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SERMON
POUR
LE SAMEDI DE LA IIIe SEMAINE DE CARÊME,
SUR LES JUGEMENTS HUMAINS (a).

 

Nemo te condemnavit? Quae dixit : Nemo, Domine. Dixit autem Jesus : Nec ego te condemnabo; vade et jam ampliùs noli peccare.

 

Personne ne t'a condamnée ? dit Jésus à la femme adultère; laquelle lui répondit : Personne, Seigneur (b). Et Jésus lui dit : Je ne te condamnerai pas aussi; va et dorénavant ne pèche plus. Joan., VIII, 10, 11.

 

Quel est, Messieurs, ce nouveau spectacle? Le juste prend le parti des coupables; le censeur des mœurs dépravées désarme les zélateurs de la loi, élude leur témoignage, arrête toutes leurs

 

1 Prov., XVIII, 9.

 

(a) Prêché dans le Carême de 1661, aux Grandes Carmélites de la rue Saint-Jacques.

Le manuscrit porte, écrit de la main de Bossuet : « Aux Carmélites. » Cette indication suffit.

Le même sermon lui prêché plus tard, en 1669, à l'Oratoire, dans la rue Saint Honoré; et la reine entendit cette fois le grand orateur. En effet la Gazette du 20 avril 1669 renferme ces mots: « Le 14 avril, dimanche des Rameaux, Madame entendit dans l'église des Prêtres de l'Oratoire la prédication de M. l'abbé Bossuet. » c'est à cette occasion que l'auteur ajouta l'allocution qu'on trouvera dans la péroraison, commençant par ces mots: « Réglons donc tous nos jugements...» Comme il n'avait pas reconnu la place de cette allocution, Déforis l’avait rejetée avec d'autres morceaux détachés après les sermons, sous le titre de Pensées chrétiennes et morales, n° 14. Elle était restée là jusqu'à ce jour.

(b) Var.: Non, Seigneur.

 

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poursuites ; en un mot Jésus, le chaste Jésus, après s'être montré (a) si sévère aux moindres regards immodestes, défend aujourd'hui publiquement une adultère publique; et bien loin de la punir (b) étant criminelle, il la protège hautement étant accusée, et l'arrache au dernier supplice étant convaincue. Voyez comme il renverse les choses : au lieu de confondre la coupable, il l'encourage; au lieu d'encourager les accusateurs, il les confond ; et changeant toute la rigueur de la peine en un simple avertissement de ne pécher plus, il ne craint pas de faire revivre l'espérance abattue de la pécheresse (c) et d'effacer pour ainsi dire de ses propres mains la honte qui couvrait justement sa face impudique. Il y a quelque mystère caché dans cette conduite du Sauveur des âmes, et il en faut aujourd'hui chercher le secret après avoir imploré la grâce du Saint-Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

 

Je commencerai ce discours en vous faisant le récit de l'histoire de notre évangile, afin que vous laissiez d'abord épancher vos cœurs dans une sainte contemplation de la clémence incomparable du Sauveur des âmes. Les Juifs lui amènent avec grand tumulte cette misérable adultère, et le font l'arbitre de son supplice. « La femme que nous vous présentons, disent-ils, a été surprise en adultère; Moïse nous a commandé de lapider de tels criminels; mais vous, Maître, qu'ordonnerez-vous? » Tu ergo, quid dicis (1) ? C'est ce que disent les pharisiens. Mais Jésus, qui lisant dans le fond des cœurs, voyait qu'ils étaient poussés, non point par le zèle de la justice qui craint la contagion des mauvais exemples, mais par l'impatience d'un zèle amer ou par l'orgueil fastueux d'une piété affectée, ne rougit ni devant Dieu, ni devant les

 

1 Joan., VIII, 4, 5.

 (a) Var. : Lui qui s'est montré. — (b) Condamner. — (c) Son espérance abattue.

 

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hommes, de prendre en main la défense de cette impudique. « Celui de vous qui est innocent, qu'il jette, dit-il, la première pierre (1). » Ils se retirent confus, et je ne vois plus, dit saint Augustin, que le médecin avec la malade, et la chasteté même avec l'impudique : je vois la grande et extrême misère avec la grande et extrême miséricorde : Remansit peccatrix et salvator, remansit œgrota et medicus, remansit misera et misericordia (2).

Cette pauvre femme étonnée, après avoir échappé des mains des coupables qui avoient eu honte de la condamner, se croyait perdue sans ressource, regardant devant ses yeux la justice même et se voyant appelée à son tribunal, lorsque Jésus, l'aimable Jésus, toujours facile, toujours indulgent, « non par la conscience d'aucun péché, mais par une bonté infinie, » rassura son âme tremblante par ces aimables paroles que la douceur même a dictées : « Nul, dit-il, ne t'a condamnée, et je ne te condamnerai pas non plus que les autres. » De même que s'il eût dit : « Si la malice t'a pu épargner (a), pourquoi craindrais-tu l'innocence? » Si malitia tibi parcere potuit, quid metuis innocentiam (3)? Je suis un Dieu patient, qui pardonne volontiers les iniquités; j'en veux aux crimes et non aux personnes, et je supporte les péchés afin de sauver les pécheurs : « Va donc, et seulement ne pèche plus : » Vade, et jam ampliùs noli peccare.

Voilà, Messieurs, un rapport fidèle de ce que raconte saint Jean dans l'évangile de cette journée : quelles seront là-dessus nos réflexions? Je découvre de toutes parts des instructions importantes que nous pouvons tirer de cet évangile ; mais il faut réduire toutes nos pensées à un objet fixe et déterminé ; et parmi ce nombre infini de choses qui se présentent, voici à quoi je m'arrête. Les deux vices les plus ordinaires et les plus universellement étendus que je vois dans le genre humain, c'est un excès de sévérité et un excès d'indulgence; sévérité pour les autres, et indulgence pour nous-mêmes. Saint Augustin l'a bien remarqué et l'a exprimé élégamment en ce petit mot : Curiosum genus ad cognoscendam

 

1 Joan., VIII, 7. — 2 S. August., Serm. XII, n. 5. — 3 S. August., Epist. CLIII ad Macedon., n. 15.

 

(a) Var. : T'a pu pardonner.

 

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vitam alienam, desidiosum ad corrigendam suam (1) : «Ah! dit-il , que les hommes sont diligents à reprendre (a) la vie des autres, mais qu'ils sont lâches et paresseux à corriger leurs propres défauts ! » Voilà donc deux mortelles maladies qui affligent le genre humain : juger les autres en toute rigueur, se pardonner tout à soi-même ; voir le fétu dans l'œil d'autrui, ne voir pas la poutre dans le sien ; faire vainement le vertueux par une censure indiscrète , nourrir ses vices effectivement par une indulgence criminelle; enfin n'avoir un grand zèle que pour inquiéter le prochain . et abandonner cependant sa vie à un extrême relâchement dans toutes les parties de la discipline (b).

O  Jésus, opposez-vous à ces deux excès, et apprenez aux hommes pécheurs à n'être rigoureux qu'à leurs propres crimes. C'est ce qu'il fait dans notre évangile; et cette même bonté, qui réprime la licence de juger les autres, éveille la conscience endormie pour juger sans miséricorde ses propres péchés. C'est pourquoi il avertit tout ensemble , et ces accusateurs échauffés qui se rendent inexorables envers le prochain , qu'ils modèrent leur ardeur inconsidérée ; et cette femme trop indulgente à ses passions, qu'elle ne donne plus rien à ses sens (c). Vous, dit-il, pardonnez aux autres, et ne les jugez pas si sévèrement; et vous, ne vous pardonnez rien à vous-même, et désormais ne péchez plus. C'est le sujet de ce discours.

 

PREMIER POINT.

 

Cette censure rigoureuse que nous exerçons sur nos frères, est une entreprise insolente et contre les droits de Dieu et contre la liberté publique. Le jugement appartient à Dieu, parce qu'il est le Souverain; et lorsque nous entreprenons de juger nos frères sans en avoir sa commission, nous sommes doublement coupables, parce que nous nous rendons tout ensemble et les supérieurs

 

Confess., lib. X, cap. III,

 

(a) Var. : A rechercher. — (b) Et s'abandonner à un extrême relâchement pour soi-même.— (c) C'est pourquoi il dit tout ensemble, et à ces accusateurs échauffés qui se rendent inexorables envers le prochain, qu'ils modèrent leur ardeur inconsidérée; et à cette femme trop indulgente à ses passions, qu'elle ne leur donne plus rien désormais.

 

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de nos égaux et les égaux de notre supérieur, violant ainsi par un même attentat et les lois de la société et l'autorité de l'empire. Pour nous opposer, si nous le pouvons, à un si grand renversement des choses humaines (a), il nous faut chercher aujourd'hui des raisons simples et familières, mais fortes et convaincantes.

Pour les exposer avec ordre, distinguons avant toutes choses deux sortes de faits et deux sortes d'hommes que nous pouvons condamner ; ou plutôt ne distinguons rien de nous-mêmes, mais écoutons la distinction que nous donne l'Apôtre. Il y en a dont les actions sont manifestement criminelles, et d'autres dont les conduites peuvent avoir un bon et un mauvais sens. Il faut aujourd'hui poser des maximes pour bien régler notre jugement dans ces deux rencontres, de peur qu'il ne s'égare et ne se dévoie. Cette distinction est très-importante, et saint Paul n'a pas dédaigné de la remarquer lui même, écrivant ces mots à saint Timothée : « Il y a des hommes, dit-il, dont les péchés sont manifestes et précèdent le jugement que nous en faisons ; et aussi il y en a d'autres qui suivent le jugement (b) : » Quorumdam hominum peccata manifesta sunt, pracedentia ad judicium; quosdam autem et subsequuntur (1).

Ce passage de l'Apôtre est assez obscur, mais l'interprétation de saint Augustin nous éclaircira sa pensée. Il y a donc des actions, dit saint Augustin (2), qui portent leur jugement en elles mêmes et dans leurs propres excès. Par exemple, pour nous restreindre aux termes de notre évangile, un adultère public, c'est un crime si manifeste, que nous pouvons condamner sans témérité ceux qui en sont convaincus, parce que la condamnation que nous en faisons est si clairement précédée par celle qui est empreinte dans la malice de l'acte, que le jugement que nous en portons ne pouvant jamais être faux, ne peut par conséquent être téméraire. Mais il y a d'autres actions dont les motifs sont douteux et les intentions incertaines, qui peuvent être expliquées, ainsi que je l'ai dit, d'un

 

1 I Timoth., V, 24. — 2 De Serm. Domini in monte, lib. II, cap. XVIII, n. 60.

 

(a) Var.: Afin d'empêcher, si nous le pouvons, un si grand renversement des choses humaines. — (b) Dont le jugement suit les actions.

 

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bon ou d'un mauvais sens. De telles actions, dit l'Apôtre, ne portent pas en elles-mêmes leur jugement, parce qu'il ne nous paroli pas dans quel esprit, on les fait; si bien que dans le jugement que nous en faisons, nous accommodons ordinairement, non point notre pensée à la chose, mais la chose ta notre pensée. Ainsi, dit le saint Apôtre, le jugement ne précède pas dans la chose même; ii.ms ne recevons pas la loi, mais nous la donnons sans autorité. La sentence que nous prononçons n'est donc qu'une pure idée, le songe d'un homme qui veille, le jeu ou l'égarement d'un esprit qui bâtit en l'air et qui feint (a) des tableaux dans les nues; mais le jugement véritable suivra en son temps.

Car viendra le grand jour de Dieu, où tous les secrets des cœurs seront, découverts, tous les conseils publiés, toutes les intentions éclaircies; et en attendant, chrétiens, le jugement du Seigneur n'ayant pas encore paru, celui que nous porterions, en cela même que très-souvent il pourrait être douteux et trompeur, serait toujours nécessairement téméraire et dangereux. Voilà les deux états de notre prochain, sur lesquels nous pouvons juger. O Dieu! que d'excès dans l'un et dans l'autre! que de soupçons téméraires! que de préjugés iniques! que de jugements précipités! Delicta quis intelligit (1) ? Qui pourra entendre tous ces crimes? qui pourra démêler tous ces embarras? Pour vous en donner l'ouverture, je vous propose en un mot une maxime générale que je mets devant votre vue comme un flambeau lumineux, sous la conduite duquel vous pourrez ensuite descendre au détail des vices particuliers dans lesquels nous tombons par nos jugements.

Cette merveilleuse lumière que j'ai aujourd'hui à vous proposer, c'est, Messieurs, cette vérité, que nous devons suivre Dieu et juger autant qu'il décide. Car ce beau commandement de ne juger pas. si souvent répété dans les Ecritures, ne s'étend pas jusqu'à nous défendre de condamner ce que Dieu condamne; au contraire c'est notre devoir de conformer notre jugement à celui de sa vérité. Non, non, ne croyez pas, chrétiens, que ce soit le dessein de notre. Sauveur de faire un asile au vice, de le mettre à couvert du blâme

 

1 Psal. XVIII, 13.

 

(a) Var. : Qui fait.

 

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et de le laisser triompher sans contradiction (a) ; il veut qu'on le trouble, qu'on l'inquiète, qu'on le blâme, qu'on le condamne. Il faut condamner hautement les crimes publics et scandaleux; il faut aller quelquefois en les reprenant jusqu'à la dureté et à la rigueur (b). « Reprends-les durement, » dit le saint Apôtre : Increpa illos dure (1); c'est-à-dire qu'il faut presser les pécheurs et leur jeter pour ainsi dire quelquefois au front des vérités toufes sèches pour les faire rentrer en eux-mêmes, parce que la correction qui a deux principes, la charité et la vérité, doit emprunter ordinairement une certaine douceur de la charité qui est douce et compatissante, mais elle doit aussi souvent emprunter quelque espèce de rigueur et de dureté de la vérité qui est inflexible.

Vous voyez donc qu'il nous est permis, bien plus, qu'il nous est ordonné de condamner hardiment les conduites scandaleuses dès pécheurs publics, parce que le jugement de Dieu précédant le nôtre, nous ne craignons pas de nous égarer. Mais voici la règle immuable que nous devons observer : c'est de suivre Dieu simplement, sans rien usurper pour nous-mêmes. Telle est la règle assurée que sa vérité rend souveraine, son équité infaillible, sa simplicité vénérable. Mais nous péchons doublement contre l'équité de cette règle. Cardans sa simplicité elle ne laisse pas d'avoir deux parties nécessairement enchaînées : la première, de suivre Dieu, et au contraire nous jugeons plus que Dieu ne juge; la seconde, de ne rien usurper pour nous, et au contraire en jugeant les crimes nous nous attribuons ordinairement une injuste supériorité sur les personnes, qui nous inspire une aigreur cachée ou un superbe dédain (c).

Par exemple, car il faut venir au détail des choses, et j'ai promis

d'y descendre, cet homme est voluptueux, et cet autre est injuste

et violent. Vous condamnez leur conduite, et vous ne la condamnez

pas témérairement, puisque la loi divine la condamne aussi. Mais

 

1 Tit., I, 13.

 

(a) Var. : Que ce soit le dessein de notre Sauveur qu'on épargne le vice, ni qu'il triomphe.— (b) Il faut condamner les crimes publics et scandaleux ; bien loin qu'il nous soit défendu de les condamner, il nous est commandé de les reprendre et d'aller quelquefois en les reprenant jusqu'à la dureté et à la ligueur. — (c) Un dédain fastueux.

 

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si vous les regardez, dit saint Augustin (1), comme des malades incurables, si vous vous éloignez d'eux comme de pécheurs incorrigibles, vous laites injure à Dieu et vous ajoutez à son jugement. Vous avez vu ces personnes dans des pratiques dangereuses; vous blâmez ces pratiques, et vous faites bien, puisque l'Ecriture les blâme. Mais vous jugez de l'état présent par les désordres de la vie passée; vous dites avec le Pharisien : Si l'on savait quelle est cette Femme! et vous ne regardez pas, non plus que lui, qu'elle est peut-être changée parla pénitence : vous ne jugez plus selon Dieu, et vous passez les bornes qu'il vous a prescrites. Ne jugez donc plus désormais ni de l'avenir par le présent, ni du présent par le passé. Car ce jugement n'est pas selon Dieu ni selon ses saintes lumières. « Chaque jour, dit l'Ecriture, a sa malice  (2). » Ainsi lorsque vous découvrez quelque désordre visible, au lieu d'outrager vos frères par des invectives cruelles, espérez plutôt un temps meilleur et plus pur (a), et tempérez par cette espérance l'amertume de votre zèle qui s'emporte avec trop d'excès. Ne jugez pas de l'état présent par vos connaissances passées. Car ignorez-vous les miracles qu'opère l'Esprit de Dieu dans la conversion des cœurs? Peut-être que ce vieux pécheur est devenu un autre homme par la grâce de la pénitence. Si vous découvrez encore en sa vie quelque reste de faiblesse humaine, gardez-vous bien de conclure que c'est un trompeur et un hypocrite ; ne dites pas, comme vous faites : Ah! le cœur commence à paraître, le naturel s'est fait voir à travers le masque dont il se couvrait. Car, ô Dieu! ô juste Dieu! quel est ce raisonnement? Quoi! s'ensuit-il qu'on soit un démon, parce qu'on n'est pas un ange; ou que l'embrasement dure encore, parce que l'on voit quelque fumée ou quelque noirceur; ou que la campagne soit inondée, parce que la rivière en se retirant a laissé peut-être quelques eaux en des endroits plus profonds; ou que les passions dominent encore, parce qu'elles ne sont pas peut-être tout à fait domptées? Vous dites que c'est malice, et c'est peut-être imprudence; vous dites que c'est habitude, et c'est peut-être chaleur et emportement.

 

1 De Serm. Domini in monte, ubi supra. — 2 Matth., VI, 34.

 

(a) Var. : Plus heureux.

 

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Ah! cet homme que vous blâmez d'une façon si cruelle, fait peut-être beaucoup davantage. Non-seulement il se blâme, mais il se condamne, mais il se châtie, mais il gémit de son mal qu'il voit sans doute devant Dieu bien plus grand sans comparaison que vos jugements indiscrets ne le font paraître à vos yeux. Cessez donc de vous égaler à la puissance suprême par la témérité de juger vos frères. Blâmez ce que Dieu blâme, condamnez ce que Dieu condamne; mais ne passez point ces limites (a) sacrées. «Ne soyez point sages plus qu'il ne faut; mais soyez sages selon la mesure (1), » c'est-à-dire ne jugez pas plus que Dieu n'a voulu juger. Autant qu'il a plu à ce grand Dieu de nous découvrir ses jugements, ne craignez point de les suivre; mais croyez que tout ce qui est au delà est un abîme effroyable où notre audace insensée trouvera un naufrage infaillible (b). Ce n'est pas assez, chrétiens; et nous avons remarqué que même en nous élevant contre les péchés (c) publics, nous tombons dans un autre excès; nous exerçons sur les autres (d) une espèce de tyrannie, nous prenons contre eux un esprit d'aigreur ou un esprit de dédain, et devenons tellement censeurs que nous oublions que nous sommes frères. Tel était le vice des pharisiens; ce n'était pas la compassion de notre commune faiblesse qui leur faisait reprendre les péchés des hommes, ils se tiraient hors du pair; et comme s'ils eussent été les seuls impeccables, ils parlaient toujours dédaigneusement des pécheurs et des publicains. Ils s'érigeaient en censeurs publics, non point pour guérir les plaies et corriger les péchés, mais pour s'élever au-dessus des autres et étaler magnifiquement leur orgueilleuse justice. C'est pourquoi le Seigneur Jésus les voyant approcher de lui dans cet esprit dédaigneux, il les confond par cette parole : « Celui, dit-il, qui est innocent, qu'il jette la première pierre (2). »

Apprenons de là, chrétiens, en quel esprit nous devons juger, même des crimes les plus scandaleux : gardons-nous de tirer aucun avantage de la censure que nous en faisons. Car n'avons-nous pas reconnu que ce n'est pas à nous de rien prononcer, mais de

 

1 Rom., XII, 3. — 2 Joan., VIII, 7.

 

(a) Var.: Ces bornes.— (b) Sa perte infaillible.— (c) Les scandales.— (d) Nos frères.

 

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suivre humblement ce que Dieu prononce? La lumière de vérité qui brille en nos âmes et y condamne les dérèglements (a) que nos frères nous rendent visibles dans leurs actions criminelles, n'est pas une prérogative (b) qui nous soit donnée pour prendre ascendant sur eux; mais c'est une impression qui se fait en nous de la justice supérieure par laquelle nous serons jugés tous ensemble. Ainsi prononçant parle même arrêt leur condamnation et la vôtre, pouvez-vous en tirer aucun avantage, et ne devez-vous pas au contraire être saisis de frayeur et de tremblement? Considérez le Sauveur et voyez dans quel esprit de condescendance il dit à la femme adultère : Je ne te condamnerai pas. Si la justice même est si indulgente, faut-il que la malice soit inexorable? Si le juge est si patient, le criminel ose-t-il être rigoureux? Car enfin si le crime que vous condamnez, si cet infâme adultère qui vous fait dédaigner cette pécheresse n'est pas dans votre cœur par consentement, il n'est pas moins dans le fond de votre malice, ou dans celui de votre faiblesse. Ignorez-vous, chrétiens, de quelle sorte les péchés s'engendrent en nous? Ils y naissent comme des vers : Os fatuorum ebullit stultitiam (1); non engendrés parle dehors, mais conçus et bouillonnants au dedans de la pourriture invétérée de notre substance (c) et du fond malheureusement fécond de notre corruption originelle. Ainsi quand les crimes que vous blâmez ne seraient point dans vos consciences par une attache actuelle, ils sont enfermés radicalement dans ce foyer intérieur de votre corruption ; et si jamais ils en sortent par une attache effective, en condamnant votre frère, n'aurez-vous pas parlé contre vous et foudroyé votre tête? Et quand nous ne tomberions jamais dans ce même crime, ne tombons-nous pas tous les jours dans de semblables excès, également condamnés (d) par cette suprême Vérité qui est l'arbitre de la vie humaine? Car celui qui a dit : « Tu ne tueras pas, » a défendu aussi l'impudicité; et quoique les tables des commandements soient partagées en plusieurs articles, c'est la même lumière  très-simple de la justice divine qui autorise tous les

 

1 Prov., XV, 2.

 

(a) Var. : Les désordres. — (b) Une connaissance. — (c) Mais conçus et formés de la pourriture intérieure de notre substance. — (d) Qui sont également condamnés.

 

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préceptes, proscrit tous les crimes, réprouve toutes les transgressions.

« Toi donc qui juges les autres, tu te condamnes toi-même, » comme dit l'Apôtre (1). Par conséquent, chrétiens, si nous osons condamner nos frères, et nous le devons quelquefois, quand leurs crimes sont scandaleux, ne condamnons pas leurs excès comme en étant éloignés; que ce ne soit pas pour nous mettre à part, mais pour entrer tous ensemble dans un sentiment intime et profond et de nos communs devoirs et de nos communes faiblesses. Ainsi nous souvenant de ce que nous sommes, ne nous laissons jamais emporter à ces invectives cruelles (a), à ces dérisions outrageuses qui détournent malicieusement contre la personne l'horreur qui est due au vice. C'est un jeu cruel et sanglant qui renverse tous les fondements de l'humanité (b). « Un innocent, dit Tertullien parlant contre les jeux des gladiateurs (c'en est ici une image), ne fait jamais son plaisir du supplice d'un coupable : » Innocens de supplicio alterius lœtari non potest (2). Que si c'est une cruauté de se réjouir du supplice de son frère, quelle horreur, quel meurtre, quel parricide de se faire un jeu, de se faire un spectacle, de se faire un divertissement de son crime même !

Si nous devons être si réservés dans les péchés scandaleux, quelle doit être notre retenue dans les choses cachées et douteuses? A quoi pensons-nous, mes frères, de nous déchirer mutuellement par tant de soupçons injustes? Hélas! que le genre humain est malheureusement curieux! chacun veut voir ce qui est caché et juger des intentions. Cette humeur curieuse et précipitée fait que ce qu'on ne voit pas on le devine; et comme nous ne voulons jamais nous tromper, le soupçon devient bientôt une certitude, et nous appelons conviction ce qui n'est tout au plus qu'une conjecture. Mais c'est l'invention de notre esprit, à laquelle nous applaudissons et que nous accroissons sans mesure. Que si parmi ces soupçons notre colère s'élève, nous ne voulons plus l'apaiser, parce que « nul ne trouve sa colère injuste : » Nulli irascenti ira sua videtur injusta (3). Ainsi l'inquiétude nous prend ; et par cette

 

1 Rom., II, 1. — 2 De Spect., n. 19. — 3 S. August., Epist. XXVIII, n. 2.

 

(a) Var. : .Sanglantes. — (b) De la charité.

 

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inquiétude nourrie par nos défiances, souvent nous nous battons contre une ombre, ou plutôt l'ombre nous fait attaquer le corps. Nous frappons de peur d'être prévenus, nous vengeons une offense qui n'est pas encore : Ipsà sollicitudine priùs malum facimus quàm patimur (1) : voyez le progrès de l'injustice. Mon Dieu, je renonce devant vous à ces dangereuses subtilités de notre esprit qui s'égare. Je veux apprendre de votre bonté et de votre sainte justice à ne présumer pas aisément le mal, à voir et non à deviner, à ne précipiter pas mon jugement, mais à attendre le vôtre.

Vous me dites que si j'agis de la sorte, je serai la dupe publique, trompé tous les jours mille et mille fois; et moi, je vous réponds à mon tour : Eh quoi ! ne craignez-vous pas d'être si malheureusement ingénieux à vous jouer de l'honneur et de la réputation de vos semblables? J'aime beaucoup mieux être trompé que de vivre éternellement dans la défiance, fille de la lâcheté et mère de la dissension. Laissez-moi errer, je vous prie, de cette erreur innocente que la prudence, que l'humanité, que. la vérité même m'inspire. Car la prudence m'enseigne à ne précipiter pas mon jugement, l'humanité m'ordonne de présumer plutôt le bien que le mal ; et la vérité même m'apprend de ne m'abandonner pas témérairement à condamner les coupables, de peur que sans y penser je ne flétrisse les innocents par une condamnation injurieuse.

 

SECOND POINT.

 

Il pourrait sembler, chrétiens, que c'est presser trop mollement cette pécheresse à se censurer elle-même, que de lui ordonner simplement de ne pécher plus, et la traiter cependant avec une telle indulgence; mais il faut vous faire comprendre qu'il n'y a rien de plus efficace pour rappeler une âme étonnée au sentiment de ses crimes.

Nous pouvons voir nos péchés ou dans la justice de Dieu, ou dans ses miséricordes et dans les trésors de ses bontés infinies. Je soutiens, et il est vrai, que si la justice nous les fait voir d'une manière plus terrible, la bonté nous les fait sentir d'une manière plus vive et plus pénétrante. Nos péchés sont contraires, je vous

 

1 S. August., Serm. CCCVI, n. 9.

 

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l'avoue, à la justice de Dieu qui les punit; mais ne le sont-ils pas beaucoup plus à la bonté de Dieu qui les efface? Que faites-vous, ô justice? Vous laissez le crime, et vous y ajoutez la peine. Mais vous, ô bonté, ô miséricorde, vous ôtez tout ensemble la peine et le crime ; et en pardonnant au pécheur, vous portez au fond de son cœur par votre indulgence la lumière la plus perçante pour confondre son ingratitude. La justice tonne et foudroie : que fait-elle par ses foudres et par son tonnerre? Elle remplit l'imagination de la terreur de la peine. La bonté va bien plus avant, qui par ses facilités et ses compassions fait sentir au dedans l'horreur de la faute. Au milieu du bruit que fait la justice, le cœur troublé se resserre et à peine se sent-il lui-même, (a) Les douceurs de la bonté le dilatent pour recevoir les impressions du Saint-Esprit ; tout s'épanche, tout se découvre, et jamais on ne sent mieux son indignité que lorsqu'on se sent prévenu par une telle profusion de grâces.

Quand Joseph se découvrit à ses frères et qu'il leur dit ces paroles : «Je suis Joseph votre frère, que vous avez vendu en Egypte, ils furent saisis d'une grande horreur (1); » ils sentirent bien qu'ils avoient mal fait de le livrer de la sorte. Mais lorsqu'il commença non-seulement à les rassurer, mais à les excuser, et qu'il leur dit ces paroles : « Eh ! ne vous affligez pas de m'avoir vendu; ce n'a pas tant été par votre malice que par un conseil de Dieu, qui voulait vous préparer ici un libérateur par une telle aventure (2). » Et lorsqu'il « les embrassa et qu'il pleura sur chacun d'eux en particulier : » Et ploravit super singulos (3), ah ! les reproches les plus sanglants qu'il aurait pu inventer contre eux, n'eussent pas été capables de les faire entrer dans le sentiment de leurs crimes à l'égal de ces larmes, de cette tendresse, de ces embrassements imprévus d'un frère si outragé, et néanmoins si bon et si tendre et si bienfaisant. Il en est de même de notre grand Dieu.

 

1 Genes., XLV, 3, 4. — 2 Ibid., 5, 7, 8. — 3 Ibid., 15.

 

(a) Note marg. : Le mouvement dans la crainte..... le cœur se trouble et à

peine se sent-il lui-même ; il se resserre en lui-même et voudrait se cacher à ses propres yeux : il fuit de toute sa force la colère qui le poursuit; et pour fuir plus précipitamment, il voudrait pouvoir se séparer de soi-même, parce qu'il trouve toujours dans son fond un Dieu vengeur.

 

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Qu’il tonne, qu'il menace et qu'il foudroie ; qu'il crie à mon âme étonnée par la bouche de son prophète : Tu m'as quitté, infidèle; tu t'es abandonnée à tous les passants, épouse volage et parjure : Tu autem fornicata es cum amatoribus multis (1) ; j'entre à la vérité dans le sentiment de mes horribles infidélités; mais lorsqu'il ajoute après : « Toutefois retourne à moi, et je te recevrai, dit le Seigneur, » c'est ce qui achève de percer mon cœur, et je ne vois jamais mieux mes ingratitudes qu'au milieu de ces bontés si peu méritées. Non, mes frères, il n'y a rien de plus efficace pour nous faire rentrer en nous-mêmes : ces bontés si gratuites, si abondantes, si inespérées, si surprenantes, poussent l’âme jusqu'à son néant ; et les larmes d'un père attendri qui tombent sur le cou de son prodigue, lui font bien mieux sentir son indignité que les reproches amers par lesquels il aurait pu le confondre.

Venez donc ici, chrétiens, et écoutez votre Sauveur qui vous montre vos ingratitudes. Ce n'est pas la voix de son tonnerre ni le cri de sa justice irritée que je veux faire retentir à vos oreilles : parlez, amour; parlez, indulgence; parlez, bontés attirantes d'un Dieu qui est venu chercher les pécheurs, qui leur veut faire sentir leur indignité, non par la violence de ses reproches, mais par l'excès de ses grâces ; non en prononçant leur sentence , mais en leur accordant leur pardon (a). C'est la méthode du Sauveur des âmes. Il ne dit rien de fâcheux ni aux pécheurs, ni aux publicains qui conversaient avec lui. Il tourne toute son indignation contre les pharisiens hypocrites dont le superbe chagrin s'opposait à la conversion des pécheurs. Pour lui, qui était venu rechercher et porter sur ses épaules ses brebis perdues, il ne rebute point les pécheurs par un dédain accablant et par des paroles désespérantes. Il ne dit rien de rude ni à Madeleine, ni à la Samaritaine, ni à la femme adultère ; et sans les confondre par ses reproches, il laisse faire cet ouvrage et à l'excès de leurs crimes et à l'excès de ses grâces.

Ah! il n'y a plus moyen de lui résister; il faut mourir de regret d'avoir offensé si indignement une telle miséricorde. Car d'où

 

1 Jerem., III, 1.

(a) Var. : Leur absolution.

 

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vient cette facilité et cette indulgence? Est-ce qu'il n'a pas horreur des péchés, lui qui vient mourir pour les expier? Est-ce qu'il n'a pas la puissance de les châtier, lui entre les mains duquel toutes les créatures sont autant de foudres? Est-ce que les paroles lui manquent pour convaincre nos ingratitudes, lui, mes frères, dont le moindre mot pouvait laisser sur le front une impression de honte éternelle? D'où vient qu'il se tait et qu'il dissimule? C'est qu'il connaît nos faiblesses, c'est qu'il a pitié de nos maux. Encore une fois, mes frères, il faut mourir de regret ; et en même temps qu'il nous dit : Je ne te condamne pas, il faut ramasser ensemble tout ce qu'il y a dans nos âmes et de force et d'infirmité, et de lumières et de ténèbres, et de péchés et de grâces, pour nous condamner nous-mêmes et confondre devant sa face nos trahisons et nos ingratitudes (a).

D'autant plus, chrétiens, et voici ce qu'il y a de plus fort, que cette indulgence lui coûte bien cher. C'est ici ce qu'il faut entendre, c'est ici ce qui doit presser un cœur chrétien. Si Jésus nous est facile et indulgent, il a acheté, mes frères, cette indulgence qu'il a pour nous par des rigueurs inouïes (b), qu'il a souffertes en lui-même. Il n'a pardonné aucun crime, il n'a dit aucune parole de miséricorde, de douceur, de condescendance, qui ne lui ait coûté tout son sang. Car que méritait le pécheur d'un Dieu irrité, sinon des menaces, des rebuts, des arrêts de mort éternelle ? Mais Jésus notre saint pontife, pontife vraiment charitable et compatissant à nos maux , a voulu nous traiter avec indulgence; et pour acquérir ce beau droit de nous traiter, quoique indignes, avec une bonté paternelle, il s'est abandonné volontairement à des rigueurs insupportables (c).

Venez à la croix, Madeleine ; venez-y, ô femme adultère de notre évangile; voyez les coups de foudre, voyez les rigueurs, voyez le poids des vengeances qui accable ce Dieu-Homme. Voyez le ciel et la terre conjurant sa perte, les hommes furieux, son Père implacable, l'enfer déchaîné contre lui. O quel excès de rigueur ! C'est par là qu'il a mérité de vous pouvoir traiter doucement. Le

 

(a) Var. : Nos perfidies. — (b) Par une rigueur insupportable; —par une extrême rigueur. — (c) Inouïes.

 

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croyiez-vous, pauvres âmes, lorsqu'il vous parlait si obligeamment? croyiez-vous que cette douceur lui coûtât si cher? Vous croyiez peut-être alors qu'il vous faisait une grâce qui ne lui coûtait autre chose que d'ouvrir seulement son cœur, trésor inépuisable de compassion ; et il faisait un échange ; et pour faire luire sur vous un rayon de faveur divine, il se dévouait intérieurement à des rigueurs infinies, à des duretés intolérables. A vous donc toute la douceur, à lui toutes les amertumes : à vous les consolations, à lui les délaissements : à vous la facilité, le pardon, la condescendance; à lui les foudres, à lui les tempêtes et tout ce que peut inventer une colère inflexible et inexorable. Mes frères, c'est à ce prix que Jésus nous est indulgent. Pouvons-nous après cela arrêter les yeux sur les bontés qu'il exerce, sans avoir le cœur pénétré de ce que lui coûtent nos crimes? Autant de grâces qu'il nous donne, autant de péchés qu'il nous remet; autant de fois qu'il nous dit : Je ne te condamnerai pas, et il nous le dit à chaque moment, nous devons croire, mes frères, qu'il étale autant de fois à nos yeux toutes les rigueurs de sa croix et toute l'horreur du Calvaire. Et comme à chaque moment son enfer devait s'ouvrir sous nos pieds, autant d'instants qu'il nous accorde pour prolonger le temps de la pénitence, autant nous dit-il de fois : Vois, je ne te condamne pas, puisque je t'attends ; je ne te condamne pas, puisque je t'invite ; je ne te condamne pas, puisque je te presse et que je ne cesse de te dire : Retourne, prévaricateur, et tu vivras; retournez, enfants perfides ; retournez, épouses déloyales ; « et pourquoi voulez-vous périr, maison d'Israël (1) ? » Donc, mes frères, autant de moments que Jésus nous attend à la pénitence, autant de fois, non sa voix mortelle, mais ce qui est beaucoup davantage, sa bonté, sa miséricorde, sa patience déclarée, son sang, sa grâce, son Saint-Esprit nous disent au fond du coeur : Je ne te condamne pas; va, et désormais ne pèche plus. Et tout cet excès de miséricorde dont nous ressentons le fruit, nous rappelle aux rigueurs horribles qui en ont été la racine. Donc, ô Jésus, ô divin Jésus! que vos miséricordes sont pressantes ! ah ! dans le moment que je les ressens, je vois toutes vos plaies se rouvrir, tout votre sang se déborder. Il

 

1 Ezech., XXXIII, 11.

 

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faut pleurer du sang, pour le mêler avec celui que vos tendresses et mes duretés, que vos bontés et mes ingratitudes vous ont fait répandre.

Laissons-nous toucher, chrétiens, à cet excès de miséricorde, et apprenons aujourd'hui à voir toute l'horreur de nos crimes dans la grâce qui nous les remet. « Affliger et contrister l'Esprit de Dieu ! » Nolite contristare Spiritum sanctum (1) ; cette affliction ne marque pas tant l'injure qui est faite à sa sainteté par notre injustice, que la violence que souffre son amour méprisé et sa bonne volonté frustrée par notre résistance opiniâtre. Affliger le Saint-Esprit, c'est-à-dire l'amour de Dieu opérant en nous pour lui gagner nos cœurs par sa bonté ! Il se mesure avec nous par les tendresses de son amour, par les empressements de sa miséricorde. Combien la dureté est-elle inhérente, si elle ne s'amollit pas, etc. !

Réglons donc tous nos jugements sur celui de Jésus-Christ. Madame, voilà la règle que se propose sans doute une princesse si éclairée; c'est la seule qui est digne d'une âme si grande et d'un esprit si bien faitetsi pénétrant. Vos lumières seront toujours pures, quand elles seront dirigées par les lumières d'en haut. On louera plus que jamais ce juste discernement, ce jugement exquis, ce goût délicat, quand vous continuerez à goûter les célestes vérités et à préférer les biens que l'Evangile nous présente, à tous ceux que le monde nous donne et à tous ceux qu'il nous promet, beaucoup plus grands que ceux qu'il nous donne. Tous les peuples, déjà gagnés à Votre Altesse royale par une forte estime et par une juste et très-respectueuse inclination, y joindront une vénération qui n'aura point de limites et qui portera votre gloire à un si haut point, qu'il n'y aura rien au-dessus que la gloire même des saints et la félicité éternelle.

 

1 Ephes., IV, 30.

 

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