IV Carême III
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TROISIÈME SERMON
POUR
LE  IVe DIMANCHE DE CARÊME,
SUR L'AMOUR DES GRANDEURS HUMAINES (a).

 

Jesus ergo, cùm cognovisset quia venturi estent ut raperent eum et facerent eum regem , fugit iterùm in montem ipse solus.

 

Jésus ayant connu que le peuple viendrait pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit encore à la montagne tout seul. Joan., VI, 15.

 

Toujours le silence et la solitude auront de grands charmes pour notre Sauveur; toujours la montagne et le désert donneront à cet

 

(a) Exorde. — Jésus se retire souvent au désert : il y fuit seul quand on veut le faire roi. A fui un roi tyran qui voulait le faire mourir; fuit une autre persécution qui lèvent lui-même faire roi. Ave.

Obscurités et contradictions de l'Evangile, pour instruire. Deux maximes sur la puissance.

Premier point. — Félicité en deux choses : pouvoir ce qu'on veut, vouloir ce qu'il faut. Ici le temps de vouloir; au ciel le pouvoir (S. August. De Trinit., lib. XIII, n. 17). Puissance nuit, si la volonté n'est bien réglée. Pilate. Exemples. Deux captivités: une qui empêche l'exécution, l'autre qui contraint dans le principe. Puissance, mère de licence.

Contre ceux qui veulent se distinguer (ce sont les grands génies). Quel discernement doit désirer le chrétien. Etrangers au siècle. Dieu prête ses enfants.

Honneurs, enivrement.

User de la puissance. Esther. David.

Second point.— Quel est l'esprit de grandeur, obligation des grands.

Ambitieux se proposent de faire de grands biens.

Illusion. Se tenir dans ses bornes. Saint Léon.

 

Prêché dans le Carême de 1663, aux Bénédictines du Val-de-Grâce.

Aux Bénédictines, l'orateur voyait autour de sa chaire des religieuses d'une part, de l'autre la reine mère et des seigneurs de la Cour. En adressant la parole à son auditoire, il dit souvent : « Mes sœurs, âmes saintes ; » voilà pour les religieuses. Ensuite il emploie quelquefois l'appellation « Mes frères, » et s'élève avec force contre les conquérants: « Comme, dit-il vers la fin du deuxième point ; comme c'est le naturel du genre humain d'être plus sensible au mal qu'au bien , aussi les grands s'imaginent que leur puissance éclate bien plus par des ruines que par des bienfaits : de là les guerres, de là les carnages, de là les entreprises hautaines de ces ravageurs de provinces que nous appelons conquérants. Ces braves, ces triomphateurs, avec tous leurs magnifiques éloges, ne sont sur la terre que pour troubler la paix du monde par leur ambition démesurée; aussi Dieu ne nous les envoie-t-il que dans sa fureur. Leurs victoires font le deuil et le désespoir des veuves et des orphelins, ils triomphent de la ruine des nations et de lu désolation publique... » Voilà pour les gens de la Cour.

Et puisque des sectaires et des dupes se sont rencontrés, qui ont prononcé le nom de Bossuet avec celui de courtisan, qu'on veuille nous nommer le prédira leur, le philosophe, le sage qui a flétri avec autant d'énergie, sous un monarque conquérant, « les ravageurs de provinces! »

Enfin notre sermon forme, dans les éditions précédentes, des morceaux détachés.

 

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Homme-Dieu une retraite agréable. Il ne peut oublier l'obscurité sainte de ses trente premières années; et durant le cours des dernières que le soin de notre salut l'oblige de rendre publiques, il dérobe tout le temps qu'il peut pour se retirer avec son Père et apprendre par son exemple à ses serviteurs qu'il n'est rien de plus désirable à un chrétien que le repos de la vie privée. Mais quoiqu'il aime toujours la retraite, jamais il ne la cherche avec tant d'ardeur que lorsqu'on lui veut donner une gloire humaine. En effet c'est une chose digne de remarque, que les saints Evangélistes nous disent souvent « qu'il se retirait au désert : » Secedebat in desertum (1) ; « qu'il allait à la montagne tout seul pour prier : » Abiit in montem orare (2); «qu'il y passait même les nuits entières : » Erat pernoctans in oratione Dei (3). Mais qu'il se soit sauvé au désert, ni qu'il ait fui à la montagne, nous ne le lisons nulle part, si je ne me trompe, que dans l'évangile de cette journée. Et quelle cause, Messieurs, l'oblige à (a) s'enfuir si soudainement? C'est que les peuples veulent le faire roi (b). Il a fui autrefois durant son enfance , pour éviter les persécutions d'un roi tyran qui voulait le sacrifier à son ambition et à une; vaine jalousie ; voici une nouvelle persécution qui l'oblige encore de se mettre en fuite : on veut lui-même l'élever à la royauté (c) ; ne croyez pas qu'il l'endure. Vous le verrez dans quelques semaines aller au-devant de ses ennemis, pour souffrir mille indignités et des soldats et des peuples; mais aujourd'hui, chrétiens, qu'ils le cherchent pour le

 

1 Luc, V, 16. — 2 Marc., VI, 46. — 3 Luc, VI, 12.

 

 

(a) Var. : A se mettre en fuite.— (b) C'est que lui qui pénètre dans le fond des cœurs, avait vu dans celui des peuples qu'ils viendraient bientôt avec grand concours pour l'enlever et le faire roi. — (c) On veut lui-même le choisir pour roi.

 

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revêtir des grandeurs mondaines dont il dédaigne l'éclat, dont il déteste le faste et l'orgueil, pour éviter un si grand malheur, il ne croit point faire assez s'il ne prend la fuite dans une montagne déserte et où il veut si peu être découvert qu'il ne souffre personne en sa compagnie : Fugit iterùm in montem ipse solus. Si nous sommes persuadés qu'il est la parole éternelle, nous devons croire aussi, âmes saintes, que toutes ses œuvres nous parlent, que toutes ses actions nous instruisent. Et aussi Tertullien a-t-il remarqué dans le livre de l’Idolâtrie qu'en fuyant ainsi le titre de roi, lui qui savait si bien ce qui était dû à son autorité souveraine, il a laissé aux siens un parfait modèle de la conduite qu'ils doivent tenir touchant les honneurs et la puissance : Si regem denique fieri, conscius sui regni refugit, plenissimè dédit formam suis, dirigendo omni fastigio et suggestu tam dignitatis quàm potestatis (1). C'est ce qui m'a donné la pensée de traiter cette matière importante, après avoir imploré le secours d'en haut par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

 

C'est une règle infaillible pour les lettres sacrées et les mystères de Dieu, que lorsque nous trouvons dans la vie ou dans la doctrine du Fils de Dieu quelque contrariété apparente, ce n'est pas une contrariété, mais un mystère. Il ne le fait pas de la sorte pour confondre notre raison, mais pour l'avertir qu'il nous cache quelque grand secret sous cette obscurité mystérieuse ; et il nous invite , mes sœurs, à le rechercher sous sa conduite (a). Lors donc que nous remarquons dans sa vie et dans sa conduite des choses qui semblent contraires, nous devons aussitôt comprendre qu'il l'a ainsi disposé pour nous rendre plus attentifs; il nous enseigne par là qu'il y a quelque vérité importante qu'il a dessein de nous découvrir. Car comme le Fils de Dieu est la sagesse éternelle, et que c'est en sa divine personne que s'est faite la réunion et la paix des choses les plus éloignées, on voit assez, chrétiens, qu'il faut que

 

1 De Idololat., n. 18.

 

(a) Var. : Lorsque nous trouvons dans la vie ou dans la doctrine du Fils de Dieu quoique contrariété apparente, le Saint-Esprit nous avertit qu'il cache quelque grand secret sous cette obscurité mystérieuse, et il nous invite, mes sœurs, de le rechercher sous sa conduite.

 

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tous ses ouvrages s'accordent; et d'ailleurs il est évident qu'il ne peut pas être contraire à lui-même, lui qui nous a été envoyé comme le centre de la réunion et de la réconciliation universelle. Le voilé qu'il met dessus n'est pas destiné pour nous en ôter la connaissance , mais pour nous inviter à la recherche. Ce n'est pas pour nous la faire perdre, mais plutôt il veut nous la faire trouver avec plus de goût et l'imprimer dans les esprits avec plus de force ; ou, comme dit saint Augustin (a), il ne nous déguise pas la vérité, mais il l'apprête, il l'assaisonne, il la rend plus douce : Non obscuritate substracta, sed difficultate condita (1). Après avoir posé cette règle dont la vérité est connue de tous ceux qui ont goûté les Livres sacrés, remarquons maintenant, mes sœurs, deux faits particuliers de l'histoire de notre Sauveur, qui semblent d'abord assez répugnants.

Nous lisons dans l'évangile de cette journée que prévoyant que les peuples s'allaient assembler pour le faire roi, il se retire tout seul au désert et montre par cette retraite qu'il rejette tous les titres de grandeur humaine. Mais dans quinze jours, chrétiens, nous lirons un autre évangile où nous verrons ce même Jésus faire son entrée dans Jérusalem au milieu des acclamations de tout un grand peuple qui crie de toute sa force : « Béni soit le fils de David, vive le roi d'Israël (2) ! » Et bien loin d'empêcher ces cris, étant pressé par les pharisiens de réprimer ses disciples (b) qui semblaient offenser par leur procédé la majesté de l'empire, il prend hautement leur défense : « Les pierres Le crieront, dit-il, si ceux-ci ne rendent pas un assez public témoignage à ma royauté (c) : » Dico vobis quia si hi tacuerint, lapides clamabunt (3). Ainsi vous voyez qu'il accepte alors ce qu'il refuse aujourd'hui. Qui lui fait changer ses desseins et l'ordre de sa conduite? Quel nouveau goût trouve-t-il dans la royauté qu'il a autrefois dédaignée ? Sans doute il y a ici quelque grand secret que le Saint-Esprit nous veut découvrir. Cette opposition

 

1 Sem., II in Psal. CIII, n. 1. — 2 Matth., XXI, 9; Joan., XII, 13. — 3 Luc, XIX, 40.

 

(a) Var.: Mais plutôt pour nous la faire trouver avec plus de goût et pour

l'imprimer avec plus de force : tellement, dit saint Augustin..... — (b)  Cette multitude, — cette  troupe. — (c) « Si ceux-ci  ne  le disent pas encore assez haut. »

 

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apparente n'est pas pour troubler notre intelligence, mais pour l'éveiller saintement en Notre-Seigneur : cherchons et pénétrons le mystère.

Le voici en un mot, mes sœurs, et je vous prie de le bien entendre ; c'est que Jésus ne veut point de titre d'honneur qui ne se trouve joint nécessairement à l'utilité de son peuple. Quand il fait entrée dans Jérusalem, il y entre pour consommer l'œuvre de notre rédemption par sa passion douloureuse. Comme c'est là le principe de ses bienfaits (a), il ne refuse pas, chrétiens, la juste reconnaissance que rendent ses peuples à sa puissance royale. Alors il confessera qu'il est roi. Il le dira à Pilate, lui qui ne l'a jamais dit à ses disciples. Il le publiera parmi ses supplices (b), lui qui n'en a jamais parlé (c) parmi ses miracles. Le titre de sa royauté sera écrit en trois langues au haut de sa croix, afin que toute la terre en soit informée ; et il veut bien accepter un nom de puissance, pourvu qu'il ouvre à ses peuples dans le même temps une source infinie de grâces. Mais aujourd'hui, âmes saintes, que la royauté qu'on lui donne n'est qu'un honneur inutile (d) qui ne contribue rien au salut des hommes, il ne faut donc pas s'étonner s'il fuit et se retire, s'il se cache dans un désert. C'est qu'il a dessein de vous faire entendre par son exemple que, hors la nécessité d'employer sa puissance pour le bien du monde, ses enfants doivent préférer à tous les titres de grandeur humaine la paix d'une vie privée, où l'on vit en soi-même, où l'on se règle soi-même, où l'on règne enfin sur soi-même.

Si cet exemple du Fils de Dieu était, comme il le doit être, la règle de notre vie, nous aurions les sentiments véritables que doivent avoir les chrétiens touchant la puissance ; le désir et l'usage en seraient réglés; elle ne serait pas désirée avec ambition ni exercée avec injustice. Le désir de s'agrandir ne produirait pas tant de perfidies (e), ni celui de soutenir sa grandeur tant d'oppressions et de violences. Chacun se croirait assez puissant,

 

(a) Var. : Comme c'est là qu'il ouvrira la source de ses grâces. — (b) Parmi ses souffrances. — (c) Qui s’en est tu — (d) Un titre de vanité. — (e) De crimes.

 

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pourvu qu'il eût du pouvoir sur soi-même ; et s'il en avait sur les autres, il ne s'en servirait que pour leur bien. Comme ces deux choses, mes sœurs, règlent parfaitement notre conscience touchant l'amour des grandeurs humaines, je réduirai aussi à ces deux maximes tout ce que j'ai à vous dire sur ce sujet-là, en vous montrant (a) dans le premier point que le chrétien véritable ne doit désirer de puissance que pour en avoir sur lui-même, et en vous faisant voir dans le second que si Dieu lui en a donné sur les autres, il leur en doit tout l'emploi et tout l'exercice. Maximes saintes et apostoliques, qui feront le partage de ce discours ; la première réglera le désir, la seconde prescrira l'usage.

 

PREMIER POINT.

(Le même point du sermon précédent).

 

SECOND POINT.

 

Mais je n'aurais fait, chrétiens, que la moitié de mon ouvrage, si après vous avoir montré par l'Ecriture divine les périls extrêmes des grandes fortunes, je ne tâchais aussi de vous expliquer les moyens que nous donne la même Ecriture pour sanctifier la grandeur par un bon usage (b) ; et c'est pourquoi je ramasserai en peu de paroles les instructions les plus importantes que le Saint-Esprit a données aux grands de la terre pour bien user de leur puissance.

La première et la capitale d'où dérivent toutes les autres, c'est de faire servir la puissance à la loi de Dieu, (c) Nous lisons dans le second livre des Chroniques une belle cérémonie qui se

 

(a) Var. : En vous faisant voir.— (b) Apres avoir montré par les Ecritures divines les périls des grandes fortunes, je n'aurais fait, chrétiens, que la moitié de mon ouvrage, si je ne tâchais aussi... — (c) Note marg. : Ut prodesse debeat, posse se sciat, et ut extolli non debeat, posse se nesciat (S. Gregor. Magn., lib. V Moral., cap. VIII), puissance de Dieu ; donc ordonnée. Saint Paul. L'ordre. Que ce soit pour le bien; autrement nul ordre, de faire tant de différence entre de la boue et de la boue. Toute la nature, image de la libéralité divine. Tout ce qui porte le caractère de la puissance divine , le porte de sa munificence ; et il n'y aurait point dans le monde de puissance malfaisante, si le péché n'avait perverti l'ordre et l'institution du Créateur.

 

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pratiquait dans le sacre des rois de Juda. Au jour qu'on les oignait de l'huile sacrée, ainsi que Dieu l'avait commandé, on leur mettait en même temps le diadème sur la tête, et la loi de Dieu dans la main : Imposuerunt ei diadema, et dederunt in manu ejus tenendam legem, et constituerunt cum regem (1), afin de leur faire entendre que leur puissance est établie pour affermir le règne de Dieu parmi les hommes, que l'exécution de ses saintes lois ne leur doit être ni moins chère ni moins précieuse que leur couronne.

De tous les rois de Juda aucun n'a mieux pratiqué cette divine leçon que Josaphat, prince incomparable, non moins vaillant que religieux, et père de ses peuples autant que victorieux de ses ennemis. L'Ecriture nous fait souvent remarquer que les prospérités corrompent les hommes, enflent leur cœur par la vanité et leur font oublier la loi de Dieu. Mais au contraire la prospérité qui donnait de l'orgueil aux autres, n'inspira que du courage à celui-ci pour marcher vigoureusement dans les voies de Dieu et établir son service : Factœque sunt ei infinitœ divitiœ et multa gloria, sumpsitque cor ejus audaciam propter vias Domini (2). Ce prince considérant que tout bien lui venait de Dieu et touché d'une juste reconnaissance, entreprit de le faire régner dans tout son empire. Et l'Ecriture remarque que, pour accomplir un si beau dessein, il avait un soin particulier de choisir entre les lévites et les ministres de Dieu ceux qui étaient les mieux versés dans sa sainte loi, qu'il envoyait dans les villes afin que le peuple fût instruit : Circuibant cunctas urbes Juda, et erudiebant populum (3). Et ce n'est pas sans raison que les anciens conciles de l'Eglise Gallicane (4) ont souvent proposé à nos rois l'exemple de ce grand monarque, dont la conduite fut suivie d'une bénédiction de Dieu toute manifeste. Car écoutez ce que dit l'Ecriture sainte : « Josaphat marchant ainsi dans les voies de Dieu, il le rendit redoutable à tous ses voisins : » Itaque factus est pavor Domini super omnia regna terrarum, quœ erant per gyrum Juda (5). Et ce prince s'agrandissait

 

1 II Paral., XXIII, 11. — 2 Ibid., XVII, 5, 6. — 3 Ibid., XVII, 10. — 4 Concil. Paris. VII, cap. XXIII, Labb., tom. VII, col. 1665; Concil. Aquisgran. II, cap. XI, ibid., col. 1721.— 5 II Paral., XVII, 10.

 

 

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tous les jours, parce que Dieu était avec lui ; tant il est vrai que Dieu prend plaisir à protéger la puissance qui lui rend hommage et qu'il est le rempart de ceux qui le servent.

Le second soin du roi Josaphat et le second moyen dont il se servait pour sanctifier la grandeur, fut de pourvoir avec vigilance à l'administration de la justice. « Il établit des juges, dit l'Ecriture, dans les villes de Judée ; » et les appelant à lui, il leur prescrivait lui-même en ces termes de quelle manière ils devaient agir : « Prenez garde, leur disait-il, à votre conduite; car ce n'est pas la justice des hommes, mais la justice de Dieu que vous exercez, et tout ce que vous jugerez vous en serez responsables; ayez toujours devant les yeux la crainte de Dieu, faites tout avec diligence; songez que le Seigneur notre Dieu déteste l'iniquité, qu'il ne regarde point les personnes et ne se laisse point corrompre par les présents (1). «Vous donc qui jugerez en son nom par la puissance que je vous en donne, comme vous exercez son autorité, imitez aussi sa justice. Puis descendant au détail, il règle en cette manière les devoirs particuliers. « Amarias, votre prêtre et votre pontife, présidera dans les choses qui regardent Dieu et son service ; et Zabadias, qui est un des chefs de la maison de Juda, aura la conduite de celles qui regardent le ministère royal (2). » C'est ainsi que ce sage prince retenait chacun dans ses bornes ; et empêchant la confusion et les entreprises, faisait que tout concourait et au service de Dieu et à l'utilité des peuples.

Et certainement, chrétiens, si ceux que Dieu amis dans les grands emplois n'appliquent toute leur puissance à soutenir hautement le bon droit et la justice, la terre sera désolée et les fraudes seront infinies. Les hommes en général sont intéressés, et ainsi ordinairement ils sont injustes. C'est pourquoi il faut avouer que la justice est obligée de marcher dans des voies bien difficiles, et que c'est une espèce de martyre que de se tenir régulièrement dans les termes du droit et de l'équité. Que sert de dissimuler? il est aisé de comprendre que les injustes pour l'ordinaire sont les plus forts, parce qu'ils ne se donnent aucunes bornes, parce qu'ils mettent tout en usage et combattent pour ainsi dire dans un

 

1 II Paral., XIX, 5, 9, 7. — 2 Ibid., 11.

 

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champ libre où ils s'étendent à leur aise (a). L'homme de bien se resserre dans tant de limites, qu'à peine se peut-il aider. Il se renferme dans ce qui est droit ; l'injuste veut généralement ce qui l'accommode. Ce n'est pas assez à l'homme de bien de ne vouloir que ce qui est juste ; il ne veut que de bons moyens pour y parvenir, et il craint de corrompre la pureté de ses desseins innocents; il a toujours devant les yeux ce précepte de la loi : « Tu poursuivras justement ce qui est juste : » Justè quodjustum est persequeris (1). Au contraire l'homme injuste et intéressé « passe, dit l'Ecriture, de mal en mal ; et c'est pourquoi il se fortifie sur la terre : » Confortati sunt in terrà, quia de malo ad malum egressi sunt (2). Il soutient une médisance par une nouvelle calomnie, et une première injustice par une corruption. Il enveloppe la vérité dans des embarras infinis; il a l'art de faire taire et parler les hommes, parce qu'il sait les flatter, les intimider, les intéresser par toutes sortes de voies. Qui pourra donc s'étonner si l'injuste qui tente tout réussit mieux, et si l'homme de bien au contraire demeure court ordinairement dans ses entreprises, lui qui se retranche tout d'un coup plus de la moitié des moyens, j'entends ceux qui sont mauvais, et c'est-à-dire assez souvent les plus efficaces?

Mais voici encore, Messieurs, une autre incommodité de la justice. L'homme injuste sait se faire de plus grands amis. Qui ne sait que les hommes, et surtout les grands, sont pleins d'intérêts et de passions? L'injuste peut entrer dans tous les desseins, trouver tous les expédients, ménager tous les intérêts. A quel usage peut-on mettre (b) cet homme si droit, qui ne parle que de son devoir? Il n'y a rien de si sec, ni de moins souple, ni de moins flexible; et il y a tant de choses qu'il ne peut pas faire, qu'à la fin il est regardé comme un homme qui n'est bon à rien et entièrement inutile. C'est pourquoi les hommes du monde ne remarquent rien dans l'homme de bien, sinon qu'il est inutile. Car écoutez comme ils parlent dans le livre de la Sapience : « Trompons,

 

1 Deuter., XVI, 20. — 2 Jerem., IX, 3.

 

(a) Var. : ... où ils s'étendent à leur aise, parce qu'enfin ils mettent tout en litige. — (b) A quoi peut servir.....

 

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disent-ils, l'homme juste, parce qu'il nous est inutile : » Circumveniamus hominem justum, quoniam est inutilis nobis (1). Il n'est pas propre à notre commerce, il est trop attaché à son droit chemin pour entrer dans nos détours et dans nos négoces. Ainsi étant inutile, on se résout facilement à le mépriser, ensuite à le laisser périr sans en faire bruit, et même à le sacrifier à l'intérêt du plus fort et aux pressantes sollicitations de cet homme de grand secours qui ne ménage rien, ni le saint ni le profane, pour nous servir.

Elevez-vous, puissances du monde; voyez comme l'innocence est contrainte de marcher dans des voies serrées; secourez-la, tendez-lui la main, faites-vous honneur en la protégeant. « C'est pour cela, dit saint Grégoire, que vous êtes grands, afin que ceux qui veulent le bien soient secourus et que les voies du ciel soient plus étendues : » Ad hoc enim potestas... cœlitùs data est, ut qui bona appetunt adjuventur, ut cœlorum regnum largiùs pateat (2). C'est à vous, ô grands de la terre, d'élargir un peu les voies du ciel, de rétablir ce grand chemin et de le rendre plus facile. La vertu n'est toujours que trop à l'étroit et n'a que trop d'affaires pour se soutenir. C'est assez qu'elle soit aux prises sans relâche aucun avec tant d'infirmités et tant de mauvaises inclinations de la nature corrompue; mettez-la du moins à couvert des insultes du dehors, et ne souffrez pas qu'on surcharge avec tant d'excès la faiblesse humaine.

Tel est, Messieurs, le devoir et le grand emploi des grands du monde, de protéger hautement le bon droit-et l'innocence. Car c'est trahir la justice, que de travailler faiblement pour elle, et l'expérience nous fait assez voir qu'une résistance trop molle ne fait qu'affermir le vice et le rendre plus audacieux. Les méchants n'ignorent pas que leurs entreprises hardies leur attirent nécessairement quelques embarras; mais après qu'ils ont essuyé une légère (a) tempête qui s'est élevée, ils pensent avoir payé tout ce qu'ils doivent à la justice; ils défient après cela le ciel et la terre, et ne profitent de cette disgrâce que pour mieux prendre

 

1 Sap., II, 12. — 2 Epist. LXV ad Maurit., lib. III.

 

(a) Var. : Quelque.

 

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dorénavant leurs précautions. Ainsi il faut résister à l'iniquité et soutenir la justice avec une force invincible; et nous pouvons bien le publier devant un Roi si juste, si ferme (a), que c'est dans cette vigueur à maintenir la justice que réside la grandeur et la majesté.

Le vulgaire appelle majesté une certaine prestance et une pompe extérieure qui l'éblouit; mais les sages savent bien comprendre que la majesté est un éclat qui rejaillit principalement de la justice, et nous en voyons un bel exemple dans l'histoire du roi Salomon, dont vous ferez, s'il vous plaît, l'application à nos Cours. « Ce prince jeune et bien fait s'assit, dit l'Ecriture, dans le trône du Seigneur en la place de David son père, et il plut à tous : » Sedit Salomon super solium Domini in regem pro David patre suo, et placuit omnibus (1). (b) Voilà un prince agréable, qui gagne les cœurs par sa bonne mine et sa contenance royale. Mais après qu'il eut rendu ce jugement mémorable, écoutez ce qu'ajoute le texte sacré : « Tout Israël, dit la même Ecriture, apprit le beau jugement que le roi avait rendu; et ils craignirent le roi, voyant que la sagesse de Dieu était en lui. » (c) Sa mine haute et relevée le faisait aimer, mais sa justice le fait craindre de cette crainte de respect qui ne détruit pas l'amour, mais qui le rend plus retenu et plus circonspect. Les bons respirent sous sa protection, les méchants appréhendent ses yeux et son bras ; et il résulte de ce beau mélange une certaine révérence qui a je ne sais quoi de religieux, et dans laquelle consiste le véritable caractère de la majesté.

Mais, Messieurs, il faut finir et vous dire que la puissance, après avoir fait son devoir en soutenant la justice, a encore une dernière obligation qui est celle de soulager la misère. En effet ce n'est pas en vain que Dieu fait luire sur les grands du monde un rayon de sa puissance toujours bienfaisante. Ce grand Dieu en les revêtant

 

1 I Paral., XXIX, 23.

 

(a) Var. : Si vigoureux. — (b) Note marg.: Voyez en passant, Messieurs, que le trône royal appartient à Dieu, et que les rois ne le remplissent qu'en son nom; mais revenons à Salomon. — (c) Audivit itaque omnis Israël judicium quod judicasset rex, et timuerunt regem, videntes sapientium Dei esse in eo ad faciendum judicium (III Reg., III, 28).

 

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de l'image de sa gloire, les a aussi obligés à imiter sa bonté. Et ainsi, dit excellemment saint Grégoire de Nazianze (1) prêchant à Constantinople en présence de l'empereur, ils doivent se montrer des dieux en secourant les affligés et les misérables.

J'ai remarqué dans les saintes Lettres que Dieu se moque souvent des idoles qui portent si injustement le titre de dieux; mais entre les autres reproches par lesquels il se rit des peuples aveugles qui leur donnent un nom si auguste, celui-ci me semble fort considérable : « Où sont vos dieux, leur dit-il, dans lesquels vous avez mis votre confiance? » Si ce sont des dieux véritables, « qu'ils viennent à votre secours et qu'ils vous protègent dans vos besoins : » Surgant et opitulentur vobis (2). Ce grand Dieu, ce Dieu véritable et seul digne par sa bonté de la majesté de ce titre, a dessein de nous faire entendre que c'est une indignité insupportable de porter le nom de Dieu sans soutenir un si grand nom (a) par de grands bienfaits; et de là les grands de la terre peuvent aisément comprendre qu'ils seront des idoles inanimées, et non des images vivantes de l'invisible majesté de Dieu, s'ils se contentent de recevoir les adorations (b), de voir tomber les victimes à leurs pieds, sans cependant étendre le bras pour faire du bien aux hommes et soulager leurs misères.

Le sage Néhémias avait bien compris cette obligation, lorsqu'ayant été envoyé par le roi Artaxercès pour régir les Israélites dont il fut le gouverneur pendant douze ans, il se mit à considérer l'état et les forces de ce peuple. Il vit que les gouverneurs qui l'avaient précédé dans cet emploi avaient beaucoup foulé ce pauvre peuple, mais surtout que leurs ministres insolents, comme il est assez ordinaire, l'avaient tout à fait abattu (c) : Duces autem primi, qui fuerunt ante me, gravaverunt populum...; sed et ministri eorum depresserunt populum (3). Il fut donc touché de compassion, voyant ce peuple fort épuisé (d) : Valde enim attenuatus erat populus (4). Il se crut obligé en conscience de chercher tous les moyens

 

1 Orat., XXVII. — 2 Deuter., XXXII, 37, 38. — 3 II Esdr., v, 15. — 4 Ibid., 18.

 

(a) Var..- Ce grand nom. — (b) Seront non des images vivantes de l'invisible majesté de Dieu, mais des idoles inanimées, s'ils se contentent de humer l'encens, de recevoir les adorations..... — (c) Mais surtout, comme il est  assez ordinaire, que leurs ministres insolents... — (d) Atténué.

 

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de le soulager. Il ne lit pas seulement de grandes largesses, mais il crut qu'il devait remettre beaucoup de droits qui lui étaient dus légitimement (a); et après, plein de confiance en la divine bonté, qui regarde d'un œil paternel ceux qui se plaisent à imiter ses miséricordes, il lui adresse du fond de son cœur cette humble prière : « Mon Dieu, souvenez-vous de moi en bien, selon le bien que j'ai fait à ce peuple : » Memento mei, Deus, in bonum, secundùm omnia quœ feci populo huic (1).

Cette noble idée de puissance est bien éloignée de celle que se forment dans leurs esprits les puissants du monde. Car comme c'est le naturel du genre humain d'être plus sensible au mal qu'au bien, aussi les grands s'imaginent que leur puissance éclate bien plus par des ruines que par des bienfaits : de là les guerres, de là les carnages, de là les entreprises hautaines de ces ravageurs de provinces que nous appelons conquérants. Ces braves, ces triomphateurs, avec tous leurs magnifiques éloges, ne sont sur la terre que pour troubler la paix du monde par leur ambition démesurée : aussi Dieu ne nous les envoie-t-il que dans sa fureur. Leurs victoires font le deuil et le désespoir des veuves et des orphelins, ils triomphent de la ruine des nations et de la désolation publique; et c'est par là qu'ils font paraître leur toute-puissance. Mais laissons le tumulte des armes et voyons ce qui se pratique hors de la licence de la guerre. N'éprouvons-nous pas tous les jours qu'il n'est rien de plus véritable que (b) ce que dit l’Ecclésiastique : Venatio leonis, onager in eremo; sic et pascua divitum sunt pauperes (2)? « Les pauvres, disait Salvien, dans le voisinage du riche ne sont plus en sûreté de leurs biens. Ils donnent, les malheureux ! le prix des dignités qu'ils n'achètent pas; ils les paient, d'autres en jouissent; et l'honneur de quelques-uns coûte la ruine totale à tout le monde : » Reddunt miseri dignitatum pretia quas non emunt... Ut pauci illustrentur, mundus evertitur (3).

Mais ces grands crimes n'ont pas besoin d'être exagérés par

 

1 Esdr., XI, 19. — 2 Eccli., XIII, 23. — 3 Salvian., De Gubern. Dei, lib. IV, n. 4.

 

(a) Var. : Il chercha tous les moyens de le soulager: il lui remit même beaucoup de droits qui lui étaient dus légitimement. — (b) Il n'est rien de plus véritable que...

 

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nos paroles, et ils sont assez condamnés par l'exécration publique. Et d'ailleurs il sera aisé de connaître de quels supplices sont dignes ceux qui tournent leur puissance au mal, puisque j'ai maintenant à vous faire voir que ceux qui ne remploient pas à faire du bien, ne peuvent éviter leur condamnation.

Le vice de la grandeur, c'est un excès d'amour-propre, et l'amour-propre ne porte ce nom qu'à cause qu'il ne regarde que soi : Erunt homines seipsos amantes, cupidi, avari (1), non-seulement pour amasser de grandes richesses, mais d'une avarice délicate et spirituelle qui attire tout à soi. Voilà comme la racine de cet arbre; voyons maintenant les branches : superbi, elati; superbes, pleins d'eux-mêmes, élevés, dédaignant les autres. Cet arbre ne pousse ses branches qu'en haut. Il ne ressemble pas à ces plantes bienfaisantes...; ils étalent de loin la beauté et la verdure de leurs feuilles, des fruits pour la vue.

C'est là où nous conduit l'esprit de grandeur. Et il ne se trouve pas seulement dans les grands, mais dans ceux qui affectent de les imiter ; et qui ne l'affecte pas dans un siècle tout de grandeur comme le nôtre? Ils prennent un certain esprit de ne regarder qu'eux-mêmes, excellemment représenté dans Isaïe. Dixisti in corde tuo : Ego sum, et prœter me non est altera . « Je suis : » ne diriez-vous pas qu'elle a entrepris d'égaler celui qui a dit : Ego sum qui sum ? Je suis ; toute la menue populace n'est rien, ce n'est pas vivre : il n'y a que moi sur la terre. Ils n'ont garde de s'inquiéter de l'état des autres, ni de se mettre en peine de leurs besoins; ah! leur délicatesse ne le souffre pas. Rien de plus opposé à la charité fraternelle. Esprit de christianisme, esprit de fraternité et de communication. Sont-ils membres de Jésus-Christ, s'ils se regardent comme séparés et s'ils se détachent du corps?

Mais quand ils n'agiraient pas comme chrétiens, le dépôt dé sa puissance que Dieu leur confie les oblige indispensablement de penser aux autres et de pourvoir à leur bien. S’ils portent sur leur front le caractère de sa puissance, ils doivent aussi porter sur leurs mains le caractère de sa libéralité. Car, ainsi que j'ai déjà dit, ce n'est pas en vain, chrétiens, que Dieu fait luire sur eux

 

1 Timoth., III, 2. — 2 Isa., XLVII, 10.

 

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un rayon de cette puissance toujours bienfaisante : s'ils sont en ce point semblables à Dieu, « ils doivent, dit saint Grégoire de Nazianze, se faire les dieux des hommes en procurant leur bien de tout leur pouvoir. »

Mais où en trouverons-nous sur la terre? Nous voyons assez d'ostentation, assez de dais, assez de balustres, assez de marques de grandeur; mais ceux qui se parent de tant de splendeur, ce ne sont pas des dieux, ce ne sont pas des images vivantes de la puissance divine; ce sont des idoles muettes qui ne parlent point pour le bien des hommes. La terre est désolée, les pauvres gémissent, les innocents sont opprimés : l'idole est là qui hume l'encens, qui reçoit les adorations, qui voit tomber les victimes à ses pieds et n'étend pas son bras pour faire le bien : O pastor et idolum (1) ! Car non-seulement les supérieurs ecclésiastiques, mais encore les grands de la terre sont appelés dans l'Ecriture les pasteurs des peuples. Est-ce pour recevoir des hommages que vous êtes élevés si haut? Dieu vous demandera compte du dépôt qu'il vous confie de sa puissance souveraine. Car écoutez ce qu'on dit à la reine Esther : Ne putes quòd animam tuam tantum liberes, quia in domo regis es prœ cunctis Judœis (2). Ne croyez pas que Dieu vous ait élevée à ce haut degré de puissance pour votre propre agrandissement. Si silueris, per aliam occasionem liberabuntur Judaei, et tu et domus patris tui peribitis (3). Si peu que nous ayons de puissance, nous en rendrons compte à sa justice. C'est le talent précieux, lequel si l'on manque seulement de faire valoir pour le service de Dieu et le bien de sa famille, on est relégué par sa sentence aux ténèbres extérieures où est l'horreur et le grincement de dents.

Considérons donc, chrétiens, tout ce que Dieu a mis en nous de pouvoir ; et le regardant en nos mains comme le talent dont nous devons compte, prenons une sainte résolution de le faire profiter pour sa gloire, c'est-à-dire pour le bien de ses enfants. Mais en formant en nous un si saint désir, prenons garde à l'illusion que l'ambition nous propose. Elle nous propose de grands ouvrages; mais pour les accomplir, nous dit-elle, il faudrait avoir du crédit

 

1 Zach., XI, 17. — 2 Esther., IV, 13. — 3 Ibid.

 

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et être dans les grandes places. C'est l'appât ordinaire des ambitieux. « Et quoiqu'ils aspirent à ces places par des vues d'élévation, ils se promettent cependant, dit saint Grégoire, d'y faire de grandes merveilles : » Et quamvis hoc elationis intentione appetant, operaturos tamen se magna pertractant (1). Ils plaignent toujours le public, ils s'érigent en réformateurs des abus, ils deviennent sévères censeurs de tous ceux qu'ils voient dans les dignités. Pour eux que de beaux desseins ils méditent ! que de sages conseils pour l'Etat ! que de grands sentiments pour l'Eglise ! que de saints règlements pour un diocèse ! Au milieu de ces desseins charitables et de ces pensées chrétiennes, on s'engage bien avant dans l'amour du monde ; on prend l'esprit de ce siècle, on devient mondain et ambitieux; et quand on est arrivé au but, il faut attendre les occasions, et ces occasions ont des pieds de plomb, elles n'arrivent jamais; peu à peu tous ces beaux desseins se perdent et s'évanouissent ainsi qu'un songe.

Que le désir de faire du bien n'emporte pas notre ambition jusqu'à désirer une condition plus relevée. Faisons le bien qui se présente, celui que Dieu a mis en notre pouvoir. Un fleuve, pour faire du bien, n'a que faire de passer ses bords, ni d'inonder la campagne ; en coulant paisiblement dans son lit, il ne laisse pas d'arroser et d'engraisser son rivage, de présenter ses eaux aux peuples, de leur faciliter le commerce. Ainsi demeurons dans nos bornes. Nos emplois sont bornés, mais l'étendue de la charité est infinie, (a) La charité toujours agissante sait bien trouver des emplois. Elle se fait tout à tous, elle se donne autant d'affaires qu'il y a de nécessités et de besoins, etc. Elle ne craint pas de manquer d'ouvrage ; et au lieu d'aspirer à une plus grande puissance, elle songe à rendre son compte de l'emploi de celle que Dieu lui confie (b).

 

1 Regul. Pastor., part. I, cap. IX.

 

(a) Note marg. : Ne craignez pas de demeurer sans occupation et d'être inutile au monde, si vous ne sortez pas de vos bornes et ne remplissez quelque grande place. (b) Note marg. : Que les puissants songent au bien. L'un des biens, c'est l’exemple, un bien pour eux et un bien pour nous. C'est un don qui les enrichit, c'est un présent qui retourne à eux. Il ne faut pas pour cela un grand travail : ils n'ont qu'à se remplir de lumière, elle viendra à nous d’elle-même. Ils rendront compte des péchés des autres. Combien le vice est plus hardi quand il est soutenu par leur exemple, etc.! Exemple en sa maison : chacun est grand dans sa maison ; chacun est prince dans sa famille.

 

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