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SECOND  SERMON
POUR
LE JOUR DE PAQUES,
SUR LA VIE NOUVELLE DU CHRÉTIEN
RESSUSCITÉ AVEC LE SAUVEUR (a).

AUTRE EXORDE POUR LE   MÊME  SERMON 

 

Consepulti enim sumus cum illo per baptismum in mortem, ut quomodo Christus surrexit à mortuis per gloriam Patris, ita et nos in novitate vitae ambulemus.

 

Nous sommes ensevelis avec Jésus-Christ par le baptême dans lequel nous participons à sa mort, afin que comme Jésus-Christ est ressuscité des morts, ainsi nous marchions en nouveauté de vie. Rom., VI, 4.

 

Cette sainte nouveauté de vie dont nous parle si souvent le divin Apôtre mérite bien, Messieurs, que les fidèles s'en entretiennent,

 

(a) Prêché dans le Carême de 1660, aux Minimes de la Place-Royale. Ce sermon se présente comme intermédiaire entre l'époque de Metz et l'époque de Paris : d'une part quelques-unes de ces expressions surannées qu'on remarque dans les premiers essais de l'auteur, de l'autre plusieurs de ces traits sublimes qui distinguent ses chefs-d'œuvre.

 

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et particulièrement aujourd'hui que Jésus nous en a donné le modèle dans sa glorieuse résurrection. Enfin Jésus-Christ, cet homme nouveau, a dépouillé en ce jour tout ce qu'il avait de l'ancien (a), et nous montre par son exemple que nous devons commencer une vie nouvelle. Pour entendre cette nouveauté à laquelle nous oblige le christianisme, il faut nécessairement remonter plus haut et reprendre les choses jusqu'au principe.

L'homme dans la sainteté de son origine avait reçu de Dieu ces trois dons : l'innocence, la paix, l'immortalité. Car étant formé selon Dieu , il était juste; régnant sur ses passions, il était paisible; mangeant le fruit de vie, il était immortel. La raison, dit saint Augustin (1), s'étant révoltée contre Dieu, les passions lui refusèrent leur obéissance; et l’âme ne buvant plus à cette source inépuisable de vie, devenue elle-même impuissante, elle laissa aussi le corps sans vigueur. De là vient que la mortalité s'en est emparée incontinent (b). Ainsi pour la ruine totale de l'homme, le péché a détruit la justice, la convoitise s'étant soulevée a troublé la paix, l'immortalité a cédé à la nécessité de la mort. Voilà l'ouvrage de Satan opposé à l'ouvrage de Dieu.

Or le Fils de Dieu est venu au monde « pour dissoudre l'œuvre du diable (2), » comme il dit lui-même dans son Evangile. Il est venu pour réformer l'homme selon le premier dessein de son Créateur, comme nous enseigne l'Apôtre (3). Et pour cela il est nécessaire que sa grâce lui restitue les premiers privilèges de sa nature.

Mais il faut remarquer, Messieurs, que Dieu, en renouvelant ses élus, ne veut pas qu'ils soient changés tout à coup, mais qu'il ordonne certains progrès par lesquels il les avance de jour en jour à la perfection consommée (c). Il y a trois dons à leur rendre; il y aura aussi trois différents âges par lesquels de degré en degré ils deviendront « hommes faits, » comme dit saint Paul, in virum

 

1 De Civit. Dei, lib. XIII, cap. XIII et seq. — 2 I Joan., III, 8. — 3 Coloss., III, 10.

 

(a) Var. : Tout ce qui lui restait de l’ancien. — (b) Facilement. — (c) Mais ce qne nous avons perdu tout à coup ne nous est pas rendu tout à coup. Dieu procède avec ordre.

 

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perfectum (1) : de sorte que dans ce monde il répare leur innocence, dans le ciel il leur donne la paix, à la résurrection générale il ornera leurs corps d'immortalité. Par ces trois âges « les justes arrivent à la plénitude de Jésus-Christ, » ainsi que parle l'Apôtre, in mensuram œtatis plenitudinis Christi (2). La vie présente est comme l'enfance , celle dont les saints jouissent au ciel est semblable à la fleur de l'âge, après suivra la maturité dans la dernière résurrection. Au reste cette vie n'a point de vieillesse, parce qu'étant toute divine, elle n'est point sujette au déclin.

Vous voyez les divers degrés par lesquels le Saint-Esprit nous avance à cette parfaite nouveauté d'esprit et de corps; mais il faut encore observer, et cette remarque, Messieurs, fera le fondement de ce discours, qu'encore que ce merveilleux renouvellement ne doive avoir sa perfection qu'au siècle futur, néanmoins ces grands changements qui nous font des hommes nouveaux en Jésus-Christ doivent se commencer dès cette vie. Car comme je vous ai dit que la vie présente est comme l'enfance, je confesse à la vérité qu'elle ne peut avoir la perfection; mais néanmoins tout ce qui doit suivre y doit avoir son commencement, doit être comme ébauché dans ce bas âge. Jésus-Christ a trois ennemis à détruire en nous successivement, le péché , la convoitise et la mort, par trois dons divins, l'innocence, la paix, l'immortalité; encore que ces trois choses ne s'accomplissent pas en cette vie, elles y doivent être du moins commencées; et voyez en effet, Messieurs, de quelle sorte Dieu avance en nous son ouvrage pendant notre captivité dans ce corps mortel. Il abolit premièrement le péché, en nous justifiant par la grâce. La convoitise y remue encore, mais elle y est fortement combattue et même glorieusement surmontée. Pour la mort, à la vérité elle y exerce son empire sans résistance; mais outre que l'immortalité nous est assurée, nos corps y sont préparés (a) en devenant les temples de l'Esprit de Dieu.

Ainsi pour paraître en hommes nouveaux, il faut détruire en nous le péché, et c'est notre sanctification. Non contents d'avoir détruit le péché, il en faut attaquer les restes, il faut combattre les

 

1 Ephes., IV, 13. — 2 Ibid.

 

(a) Var. : Mais l'immortalité nous est assurée, et nos corps y sont préparés...

 

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mauvais désirs, et ce combat fait notre exercice. En mortifiant en nous les mauvais désirs (a), nous préparons peu à peu nos corps à l'immortalité glorieuse (b), et c'est ce qui entretient notre espérance. C'est par ces trois choses, mes frères, que nous nous unissons à Jésus-Christ, afin que comme il est ressuscité, « ainsi nous marchions devant lui dans une sainte nouveauté de vie : » ita et nos in novitate vitœ ambulemus.

 

PREMIER  POINT.

 

Le premier pas que nous devons faire pour nous renouveler en Notre-Seigneur, c'est de détruire en nous le péché, cette rouille invétérée (c) de notre nature, qui ayant commencé dès le principe, s'est attachée si fortement à tous les hommes, que nous n'en pouvons jamais être délivrés que par une seconde naissance. Saint Paul, dont j'entreprends aujourd'hui de vous expliquer la doctrine, exhorte les chrétiens « à détruire en eux le péché, même le corps du péché (1), » par l'exemple de Jésus-Christ ressuscité, et voici de quelle sorte il leur parle. Vous devez savoir, dit ce grand Apôtre, que « Jésus ressuscitant des morts ne meurt plus : car il est mort une fois au péché, et maintenant il vit à Dieu (2). » Puis faisant l'application aux fidèles : « Ainsi vous devez estimer, mes frères, que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu en Notre-Seigneur Jésus-Christ (3). »

Et la suite de mon discours et le mystère de cette journée m'obligent nécessairement à vous expliquer quelle est la pensée de l'Apôtre, lorsqu'il dit que Jésus-Christ est mort au péché (d). O Jésus, ô divin Jésus, quoi ! étiez-vous donc un pécheur? N'étiez-vous pas au contraire l'innocence même? Et si vous êtes l'innocence même, que veut dire votre grand Apôtre, que vous êtes mort au péché? Que n'a-t-il réservé cette mort pour nous qui sommes des criminels, et pourquoi y a-t-il soumis le saint et le juste? Il est bien aisé de l'entendre. Souvenez-vous, mes frères, en quel état nous avons vu ces jours passés le Sauveur Jésus dans

 

1 Rom., VI, 6. — 2 Ibid., 9, 10. — 3 Ibid., 11.

 

(a) Var. : En mortifiant nos mauvais désirs. — (b) A l'immortalité bienheureuse. — (c) Cette vieille rouille. — (d) ..... à vous expliquer ce que veut dire l'Apôtre, que Jésus-Christ est mort au péché.

 

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l'horreur et l'infamie de son supplice. Victime publique du genre humain, chargé de tous les crimes du monde, à peine osait-il lever la tête, tant il était accablé de ce poids honteux ; il n'en était pas seulement chargé à sa mort, « il était venu, dit l'Apôtre (1), en la ressemblance de la chair du péché ; » il a porté ce fardeau dès sa naissance. Comme les hommes naissent criminels, Jésus a commencé en naissant de porter leurs crimes; il a reçu en son corps la marque de pécheur ; durant tout le cours de sa vie mortelle, il a toujours paru, dit saint Paul, « avec la forme d'esclave (a) : » et c'est pourquoi la forme d'esclave a caché sous ses marques serviles la forme et la dignité de Mis : Semetipsum humiliavit formam servi accipiens (2). Mais ce Saint et cet Innocent ne devait pas éternellement paraître en pécheur, et celui qui n'avait jamais commis de péché n'en devait pas toujours être revêtu. Il était chargé des péchés des autres, il s'en est déchargé en portant la peine qui leur était due ; et ayant acquitté (b) par sa mort ce qu'il devait à la justice de Dieu pour nos crimes, il rentre aujourd'hui en ressuscitant dans les droits de son innocence. C'est pourquoi, dit le grand Apôtre, « il est mort enfin au péché (3) » Dieu ne le regarde plus comme un criminel qu'il abandonne ; il l'avoue publiquement pour son Fils, et il l'engendre encore une fois en le ressuscitant à la gloire : Ego hodie genui te (4). Assez de honte, assez d'infamie, assez la forme de Dieu a été cachée : paraissez maintenant, ô divinité! paraissez , sainteté ! paraissez, justice, et répandez vos lumières sur le corps incorruptible de ce nouvel homme !

C'est ainsi que le Fils de Dieu est mort au péché pour toujours; et «vous devez, dit saint Paul (5), mes frères, mourir aussi avec lui. » Pourquoi devons-nous mourir avec lui? C'est le mystère du christianisme, que le grand pape saint Léon nous explique admirablement par cette belle doctrine. Il y a, dit-il, cette différence entre la mort de Jésus-Christ et la mort des autres, que celle des autres hommes est singulière, et celle de Jésus-Christ est

 

1 Rom., VIII,3. — 2 Philipp., II, 7. — 3 Rom., VI, 10. — 4 Psal., II, 7 — 5 Rom., VI, 8, 11.

 

(a) Var. : « Il a toujours paru, dit saint Paul, en esclave; » — « Il a toujours été traité comme criminel. » — (b) Accompli.

 

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universelle ; c'est-à-dire que « chacun de nous en particulier est obligé à la mort, et il ne paie en mourant que sa propre dette : » Singulares quippe in singulis mortes fuerunt, nec alterius quisquam debitum suo fine persolvit (1). Il n'y a que Jésus-Christ seul qui soit mort véritablement pour les autres, parce qu'il ne devait rien pour lui-même. C'est pourquoi sa mort nous regarde tous ; « et il est le seul, dit saint Léon (2), en qui tous les hommes sont morts, en qui tous les hommes sont ensevelis (a), en qui tous aussi sont ressuscites : » Cùm inter filios hominum solus Dominus noster Jesus extiterit, in quo omnes mortui, omnes sepulti, omnes etiam sint suscitati. C'est notre salut, mes frères, que nous soyons tous morts en celui dont la mort a été le salut des hommes. Et si nous sommes tous morts avec Jésus-Christ, « donc nous sommes morts au péché, et vivants à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur : » Ita vos existimate, vos mortuos quidem peccato, viventes autem Deo per Jesum  Christum Dominum nostrum (3).

Ce n'est pas assez, chrétiens, de vous avoir proposé cette doctrine apostolique; il faut la rendre fructueuse (b) à votre salut, et voici l'application que l'on en doit faire. Si, selon le sentiment de l'Apôtre, notre conversion est une mort, notre baptême une mort, notre pénitence une mort, il est bien aisé de comprendre que pour nous renouveler en Notre-Seigneur, ce n'est pas assez qu'il se fasse en nous un changement médiocre. Le péché tient à nos entrailles; l'inclination au bien sensible est née avec nous; nous l'avons enracinée jusque dans nos moelles, si je puis parler de la sorte, par nos attachements criminels et nos mauvaises habitudes : nous aimons les créatures du fond du cœur; et ce cœur le fait bien paraître par la violence qu'il souffre, lorsqu'on lui veut arracher ce qui lui est cher. Alors la douleur pousse des plaintes, la colère éclate en injures, l'indignation en menaces; souvent même le désespoir va jusqu'au blasphème, et je ne m'en étonne pas. Cœur humain, on t'arrache ce que tu aimais et que tu tenais embrassé par tant de liens. Tu te sens comme déchiré, le sang sort

 

1 Serm. XII De Pas. Domin., cap. III. — 2 Ibid. — 3 Rom., VI, 11.

 

(a) Var. : En qui tous les hommes sont crucifiés, en qui tous les hommes sont morts, en qui tous aussi sont ressuscites. — (b) Utile.

 

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abondamment par cette plaie. Que si l'amour de la créature tient si fortement à nos cœurs, un changement superficiel ne suffit donc pas pour nous convertir. Donnez-moi ce couteau, que je le porte jusqu'à la racine, que je coupe jusqu'au vif, que j'aille chercher au fond jusqu'aux moindres fibres de ces inclinations corrompues ! Je veux mourir au péché, et c'est pour cela que je veux éteindre jusqu'au principe de sa vie.

C'est à quoi nous oblige, mes frères, cette mort spirituelle au péché que nous prêche l'apôtre saint Paul ; et c'est pourquoi il nous adresse ces belles paroles : « Si vous êtes morts au péché, si vous êtes renouvelés en Notre-Seigneur, montrez-vous, montrez-vous, mes frères, comme des hommes ressuscites de mort à vie : » Exhibete vos tanquam ex mortuis viventes (1). Je ne me contente pas d'un changement léger et superficiel. Il n'est pas ici question de replâtrer seulement cet édifice, je veux qu'on retouche jusqu'aux fondements. Peut-être qu'entendant parler contre le luxe, vous réformez quelque chose dans la somptuosité de vos habits; vous croyez avoir beaucoup fait, et ce n'est qu'un faible commencement. Corrigez, corrigez encore toutes ces douceurs affectées et de vos discours et de vos regards. Eh bien, votre extérieur est modeste, et il faut encore aller plus avant (a), portez la main jusqu'au cœur; ce désir criminel de plaire trop, cette complaisance secrète que vous en ressentez au dedans, ce triomphe caché de votre cœur dans ces damnables victoires, et c'est ce qu'il faut arracher.

— Eh quoi! ne sera-ce donc jamais fait? Cet ouvrage de la conversion ne sera-t-il jamais achevé? Vous ne serez donc jamais content ? — Ce n'est pas moi qui vous parle ; c'est saint Paul qui vous dit par ma bouche : Exhibete vos tanquam ex mortuis viventes : « Paraissez devant Dieu comme des personnes ressuscitées. » Si votre conversion est véritable, il a dû se faire en vous-mêmes un aussi grand changement que si vous étiez ressuscites des morts. Et quel changement voyons-nous? Un changement de grimaces, un changement qui dure deux jours ! Est-ce là ce que

 

1 Rom., VI, 13.

(a) Var. : Plus loin.

 

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l'on appelle mourir au péché? Je ne m'étonne pas, chrétiens, si les prédicateurs et les confesseurs sont souvent contraints de se plaindre qu'il y a peu d'hommes renouvelés et peu de conversions véritables. Mais quand vous auriez détruit en vous le corps du péché, ce bon succès ne suffirait pas pour vous faire un homme nouveau ; il en faudrait encore attaquer les restes en combattant vos convoitises, et c'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

La victoire que nous obtenons sur le péché par la grâce de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, n'est pas de ces victoires pleines et entières qui terminent tout d'un coup la guerre et laissent après elles un calme éternel : l'honneur et le fruit de cette victoire doivent être conservés par de longs combats, parce qu'après avoir vaincu le péché, il faut en attaquer jusqu'au principe. Jésus-Christ ressuscité nous y exhorte. Il y a ceci de remarquable dans sa glorieuse résurrection, qu'il ne ressuscite pas comme le Lazare, pour mourir encore une fois. Il ne dompte pas seulement la mort, mais il va jusqu'au principe, et il dompte encore la mortalité. Une jouit pas seulement d'une pleine paix, en bannissant le trouble et la crainte qui l'agitaient ces jours passés si violemment ; il en arrache jusqu'à la racine; et son âme non-seulement n'est plus agitée, mais encore n'est plus capable d'agitation. Ainsi nous voyons, chrétiens, que le Fils de Dieu ressuscitant a attaqué la mort jusqu'à son principe et détruit l'infirmité jusque dans sa source. C'est l'exemple que nous devons suivre.

Après avoir dompté le péché, allons à cette source des mauvais désirs, c'est-à-dire à la convoitise; et comme nous ne pouvons pas l'abolir entièrement dans cette vie par une victoire parfaite, tâchons du moins de l'affaiblir par un combat continuel. Ce combat est notre exercice durant notre pèlerinage (a) : c'est par ce combat, chrétiens, que notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour ; et afin que vous entendiez cette vérité, apprenez avant toutes choses de saint Augustin que le règne de la charité peut être considéré en deux manières. Il y a un règne de la charité

 

(a) Var. : Durant tout le cours de notre vie.

 

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où toute la convoitise est éteinte, où il n'y a plus de mauvais désirs ; il y a un règne de la charité où elle surmonte la convoitise, mais où elle est obligée de la combattre. Ce règne de la charité où la convoitise est éteinte, c'est le partage des bienheureux; ce règne de la charité où la convoitise vaincue ne laisse pas de faire de la résistance, c'est l'exercice des hommes mortels. Là donc on jouit d'une pleine paix, parce qu'il n'y a plus de mauvais désirs ; ici on a la victoire et non pas la paix, parce que, dit saint Augustin, « la chair qui convoite contre l'esprit ne peut être vaincue sans péril, ni modérée sans contrainte, ni régie par conséquent sans inquiétude : » Et ea quœ resistunt periculoso debellantur prœtio, et ea quœ victa sunt, nondum securo triumphantur otio, sed adhuc sollicita premuntur imperio (1). De sorte qu'il y a cette différence entre les saints qui sont dans le ciel et les saints qui sont sur la terre : les saints qui sont dans le ciel sont des hommes renouvelés, les saints qui sont sur la terre sont des hommes qui se renouvellent; là où les hommes sont renouvelés, ce mot de saint Augustin leur convient : « La convoitise est éteinte et la charité consommée : » Cupiditate extinctà, charitate compléta (2); voilà comme la devise des bienheureux. Ici où les hommes se renouvellent, « la convoitise diminue et la charité va toujours croissant : » deficiente cupiditate, crescente charitate. Là par conséquent les vertus triomphent, et ici les vertus combattent. Là les vertus se reposent, et ici les vertus travaillent. Nous tendons à ce repos, mais il le faut mériter par ce travail; nous aspirons à cette paix, mais on ne peut y parvenir que par cette guerre.

C'est vous, ô enfants de Dieu, qui en êtes le sujet, et vous en êtes aussi le théâtre. C'est pour l'homme que se donnent tous ces combats, c'est en lui qu'ils se donnent, et c'est lui-même qui les donne. La charité l'élève aux biens éternels, la convoitise le repousse aux biens périssables ; il n'est jamais sans mauvais désirs. Toujours ou la chair l'attire, ou la vaine gloire le flatte. « Quelque volonté qu'il ait de faire le bien, il trouve en lui-même un mal inhérent dont il ne peut pas se délivrer : » Invenio igitur legem, volenti mihi facere bonum, quoniam mihi malum adjacet (3). Que

 

1 De Civit. Dei, lib. XIX, cap. XXVII.— 2 Epist. CLXXVII, n. 17.— 3 Rom., VII, 21.

 

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fait l'homme de bien dans ce combat? La convoitise l'empêche de faire tout le bien qu'il voudrait; réciproquement, dit saint Augustin , il empêche la convoitise de faire tout le mal qu'elle désire. Il ne peut s'empêcher de la ressentir, il s'empêche du moins de la suivre ; s'il ne peut pas encore accomplir dans sa dernière perfection ce précepte : Non concupisces (1), « Tu n'auras point de convoitise ; » il accomplit du moins celui-ci : « Tu n'iras pas après tes convoitises : » Post concupiscentias tuas non eas (3). Il y a quelques restes du péché en lui ; mais il ne souffre pas qu'il y règne, selon ce que dit l'apôtre saint Paul : Non regnet (3). Tellement que s'il ne possède pas tout le bien, sa consolation dans cette peine, c'est du moins qu'il ne se plaît dans aucun mal; « de même, dit saint Augustin, que nous pouvons ne nous plaire pas dans les ténèbres, encore que nous ne puissions pas arrêter la vue sur une lumière très-éclatante : » Potest oculus nullis tenebris delectari, quamvis non possit in fulgentissimà luce defigi (4). Tel est l'état de l'homme durant l'exil de cette vie : il lutte continuellement contre sa propre infirmité ; et c'est ainsi qu'il se renouvelle, tâchant d'effacer tous les jours quelques rides de sa vieillesse.

Grand Dieu ! sera-t-il permis à des mortels de se plaindre ici de vous à vous-même? Et pourquoi laissez-vous vos serviteurs dans cette malheureuse nécessité d'avoir toujours en eux des vices à vaincre ? Que ne leur donnez-vous tout d'un coup cette paix parfaite qui calme tous les troubles de leurs passions ? Saint Paul a fait autrefois à Dieu cette plainte ; il a prié longtemps, afin qu'il plût à Dieu de le délivrer d'une tentation importune. Et que lui fut-il répondu? « Ma grâce te suffit (5); » car telle est ma conduite avec mes élus, que leur force se perfectionne dans l'infirmité. Mais je passe encore plus loin, et je vous demande, ô mon Dieu , quel est ce dessein? quel est ce mystère? Pourquoi avez-vous ordonné que la force se perfectionne dans l'infirmité? Saint Augustin, Messieurs, va vous le dire. C'est que c'est ici un lieu d'orgueil ; c'est que de toutes les tentations qui nous environnent, la plus dangereuse et la plus pressante, c'est celle qui nous porte à

 

1 Deuter., V, 21. — 2 Eccli., XVIII, 30. — 3 Rom., VI, 12. —  4 De Spirit et litter., n. 65. — 5 II Cor., XII, 9.

 

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la présomption : c'est pourquoi Dieu en nous donnant de la force, nous a aussi laissé de la faiblesse. Si nous n'avions que de la faiblesse, nous serions toujours abattus; et si nous n'avions que de la force, nous deviendrions superbes et insupportables. Dieu a trouvé ce tempérament : pour ne pas succomber sous l'infirmité, Dieu nous donne de la force ; « mais de peur qu'elle ne nous enfle, il veut qu'elle se perfectionne dans l'infirmité : » Hic ubi superbiri potest, ne superbiatur, virtus in infirmitate perficitur (1).

Par conséquent, ô enfants de Dieu, admirez en vous la conduite de votre Père céleste. Il sait que vous êtes superbes, c'est le vice inséparable de notre nature; contre cette enflure de l'orgueil, il fait un remède de votre infirmité. Apprenez à profiter de votre faiblesse; vous en profiterez, si elle vous enseigne à être humbles, à vous défier de vous-mêmes, à marcher toujours avec crainte; vous en profiterez, si elle vous apprend à dire avec Job : Si lœtatum est in abscondito cor meum et osculatus sum manum meam ore meo (2) ; « Quand j'ai résisté à la tentation, mon cœur ne s'est point enflé par cette victoire et je n'ai pas baisé ma main de ma propre bouche. » Qu'est-ce à dire, baiser sa main de sa bouche? C'est-à-dire, attribuer le bon succès à sa propre force, se remercier soi-même de ses bonnes œuvres. Loin de vous, ô fidèles, cette pensée. Si votre main était forte, vous pourriez lui imputer votre victoire, vous pourriez la baiser sans crainte et lui rendre grâce du bien que vous faites; mais la sentant faible et impuissante, il faut élever plus haut votre vue et dire avec le divin Apôtre : « Rendons grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ : » Gratias Deo qui dedit nobis victoriam per Dominum nostrum Jesum Christum (3).

Ce n'est pas assez, chrétiens, que votre infirmité vous rende humbles ; il faut qu'elle vous rende fervents et appliqués au travail. L'humilité chrétienne n'est pas un abattement décourage; plus elle se sent faible, plus elle est hardie et entreprenante : Virtus enim in infirmitate perficitur (4) : « La force se perfectionne dans l'infirmité. » Plus elle se sent accablée de mauvais désirs,

 

1 Contr. Julian., lib. IV, cap. II, n. 11. — 2 Job, XXXI, 27. — 3 I Cor., XV, 57. — 4 II Cor., XII, 9.

 

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plus elle s'excite à les combattre ; et les restes qu'elle trouve toujours en elle-même de la vieillesse, la pressent de se renouveler de jour en jour. C'est le véritable sentiment que vous devez prendre dans la sainte fête de Pâques. Vous avez tous songé durant ces saints jours à vous renouveler par la pénitence. Je ne puis avoir de vous d'autres sentiments sans offenser votre piété. Non, le sang de Jésus-Christ n'a pas ruisselé en vain sur le Calvaire; et ce n'est pas en vain qu'on a rouvert pour vous émouvoir toutes les blessures du Fils de Dieu. Si vous êtes renouvelés par la pénitence, donc « la vieillesse est passée, et vous devez commencer une vie nouvelle : » Vetera transierunt, ecce facta sunt omnia nova  (1). Adieu, adieu pour jamais à ces commerces infâmes, adieu à cette vie libertine, adieu à ces inimitiés invétérées ! « Mais ne vous persuadez pas que ce soit assez de se renouveler une seule fois : » Neque enim putes quod innovatio semel facta sufficiat, ipsa enim novitas innovanda est (2) : « Il faut renouveler la nouveauté même. » C'est peu de se dépouiller de ses péchés et d'en nettoyer sa conscience ; il faut aller maintenant aux mauvais désirs, il faut porter la main à ces habitudes vicieuses que le péché a laissées en nous en se retirant, comme un germe par lequel il espère revivre bientôt, comme un reste de racine qui fera bientôt repousser cette mauvaise herbe. Jésus ressuscité vous y exhorte : il n'a pas seulement détruit la mort, il en a ôté en lui-même jusqu'au principe. Mais encore n'est-ce pas assez de renouveler vos esprits; il faut encore jeter les fondements du renouvellement de vos corps, et c'est ce qui me reste à vous expliquer dans ma troisième partie.

 

TROISIÈME POINT.

 

Si je vous dis, chrétiens, que Jésus sortant du sépulcre, couronné d'honneur et de gloire, est un gage de notre résurrection, et que cette splendeur immortelle dont son corps est environné est une marque infaillible de ce que doivent un jour espérer les nôtres,  je vous dirai une vérité qui nous ayant été si bien enseignée par la bouche du saint Apôtre (3), n'est ignorée d'aucun des

 

1 II Cor., X, 17. — 2 Origen., In Epist. Ad Romam., lib. V, n. 8.— 3 Philipp., III, 21.

 

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fidèles. Mais si j'ajoute à cette doctrine que ce grand et divin ouvrage se commence dès à présent (a) dans nos corps mortels, vous en serez peut-être surpris, et vous aurez peine à comprendre que durant ce temps de corruption Dieu avance déjà dans nos corps l'ouvrage de leur bienheureuse immortalité. Et néanmoins il est véritable ; oui, mes frères, n'en doutez pas. Ecoutez, terre et cendre , et réjouissez-vous en Notre-Seigneur. Pendant que ce corps mortel est accablé de langueurs et d'infirmités, Dieu jette déjà en lui les principes d'une consistance immuable; pendant qu'il vieillit, Dieu le renouvelle; pendant qu'il est tous les jours exposé en proie aux maladies les plus dangereuses et à une mort très-certaine, Dieu travaille par son Esprit-Saint à sa résurrection glorieuse.

Saint Paul, pour nous faire entendre ce renouvellement de nos corps, dit « qu'ils sont devenus les temples de l'Esprit de Dieu (1), » et c'est ce qui donne lieu à saint Augustin de nous expliquer ce mystère par cette belle comparaison. Il dit que nos corps sont renouvelés par la grâce du christianisme, à peu près comme on renouvelle un temple profane où l'on aurait servi les idoles, pour le consacrer au Dieu vivant. On renverse premièrement les idoles, et après qu'on a aboli toutes les marques du culte profane, on dédie ce temple au vrai Dieu et on le sanctifie par un meilleur usage. C'est en cette sorte, dit saint Augustin, que nous devons renouveler notre corps mortel qui a été autrefois (b) un temple d'idoles, et qui devient par la grâce « un saint temple dédié au Seigneur : » Templum sanctum Domino, comme parle le saint Apôtre. Il faut premièrement briser les idoles, c'est-à-dire ces passions impérieuses qui étaient autrefois les divinités qui présidaient dans ce temple : Hœc in nobis, dit saint Augustin (2), tanquam idola frangenda sunt, « c'est ce qu'il faut détruire comme les idoles; ce qu'il ne faut pas détruire, mais changer seulement, dit ce grand docteur (c), à un usage plus saint, ce sont les membres de ce corps, afin qu'ayant servi à l'impureté de la convoitise, ils

 

1 I Cor., III, 17 ; VI, 19. — 2 Serm. CLXIII, n. 2.

 

(a) Var. : Se commence dès maintenant, — se commence déjà. — (b) Nos corps mortels qui ont été autrefois... — (c) Dit le même saint.

 

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servent maintenant à la grâce de la charité : » In usus autem meliores vertenda sunt ipsa corporis nostri membra, ut quœ serviebant immunditiœ cupiditatis, serviant gratiœ charitatis. C'est de cette sorte, mes frères, que nos corps, ces temples profanes, deviendront les temples de l'Esprit de Dieu et qu'il les remplira par sa présence.

Mais de quelle sorte remplit-il nos corps? Comment s'en met-il en possession? Le même saint Augustin vous l'expliquera par un beau principe. « Celui-là, dit-il, possède le tout qui tient la partie dominante : » Totum possidet qui principale tenet. Or en vous, poursuit ce grand homme, la partie la plus noble, c'est-à-dire « l’âme, c'est celle qui tient la première place, c'est à elle qu'appartient l'empire : » In te principatur quod melius est (1). Et ces deux principes étant établis, il tire aussitôt cette conséquence : Dieu tenant cette partie principale, c'est-à-dire l’âme et l'esprit, par le moyen du meilleur il se met en possession du moindre ; par le moyen du prince il s'acquiert aussi le sujet; et dominant sur l’âme, il étend aussi la main sur le corps et s'en met en possession comme de son temple. Voilà votre corps renouvelé; il change de maître heureusement et passe en de meilleures mains. Par la nature il était à l’âme, par la corruption il servait (a) au vice, par la religion il est à Dieu. L’âme se soumettant à Dieu, lui transporte tout son domaine : comme dans le mariage la femme épousant son mari le rend maître de tous ses biens (b), l’âme s'unissant à Dieu par un bienheureux mariage spirituel, le rend maître de tous ses biens comme étant le chef et le maître de cette communauté bienheureuse : « Sa chair la suit, dit Tertullien, comme une partie de sa dot; et au lieu qu'elle était seulement servante de l’âme, elle devient servante de l'esprit de Dieu : » Sequitur animam nubentem spiritui caro, ut dotale mancipium, et jam non animœ famula, sed spiritûs (2).

O  chair, que tu es heureuse de passer entre les mains d'un si bon maître ! C'est ce qui jette en toi les principes de l'immortalité que tu espères. Et la raison en est évidente, en insistant toujours

 

1  Serm. CLXI, n. 6. — 2 De Anima, n. 4.

 

(a) Var. : II était. — (b) Lui transporte aussi tous ses biens.

 

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aux mêmes principes. Dieu, avons-nous dit, remplissant nos âmes a pria possession de nos corps. Par conséquent, ô mort, tu ne les lui saurais enlever; tu penses qu'ils sont ta proie, mais ce n'est qu'un dépôt que l'on te confie et que l'on consigne en tes mains : Dieu saura bien rentrer dans son domaine. Le Fils de Dieu a prononcé « qu'on ne peut rien ôter des mains de son Père : » Nemo potest rapere de manu Patris mei (1), parce que ces mains étant si puissantes, nulle force ne les peut vaincre ni leur faire lâcher leur prise. Ainsi Dieu ayant déjà mis la main sur nos corps, son Saint-Esprit, que l'Ecriture appelle son doigt, en étant entre en possession, par conséquent, ô chair des fidèles, en quelque endroit (a) de l'univers que la corruption t'ait jetée ou quelque partie de tes cendres, tu demeures toujours sous sa main. Et toi, terre, mère tout ensemble et sépulcre commun de tous les mortels, en quelques sombres retraites que tu aies englouti et caché nos corps, tu les rendras un jour tout entiers, et plutôt le ciel et la terre seront renversés qu'un seul de nos cheveux périsse. Pour quelle raison, chrétiens, si ce n'est pour celle que j'ai déjà dite, que Dieu se rendant maître de nos corps, les doit posséder dans l'éternité, sans qu'aucune force (b) puisse l'empêcher d'achever en eux son ouvrage ?

Vivez dans cette espérance; et cependant, Messieurs, regardant vos corps comme les temples de l'Esprit de Dieu, n'y faites plus régner les idoles que vous y avez abattues. Votre corps, en l'état que Dieu l'a mis, ne peut plus être violé sans sacrilège. « Ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont les temples de l'Esprit de Dieu, et que si quelqu'un profane son temple, Dieu qui est jaloux de sa gloire lui fera sentir sa vengeance; il le perdra suis miséricorde, » dit ce saint Apôtre, disperdet illum Deus (2) ? Donc, mes frères, ne violons pas le temple de Dieu ; et puisque nous apprenons par la foi que notre corps est un temple, « possédons en honneur ce vaisseau fragile, et non pas dans les passions d'intempérance, comme les gentils qui n'ont pas de Dieu. Car Dieu ne nous appelle pas à l'impureté, mais à la sanctification en Jésus-

 

1 Joan., X, 29. — 2 I Cor., III, 17.

 

(a) Var. : Part. — (b) Sans que nulle force.

 

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Christ Notre-Seigneur (1). » O sainte chasteté! c'est à toi de garder ce temple, c'est à toi d'en empêcher la profanation. C'est pourquoi Tertullien a dit ces beaux mots, que je vous prie d'imprimer dans votre mémoire : Illato in nos et consecrato Spiritu sancto, ejus templi œditua et antistita pudicitia est (2) : « Le Saint-Esprit étant descendu en nous pour y demeurer comme dans son temple, la gardienne de ce temple, c'est la chasteté : elle en est, dit Tertullien, la sacristine; » c'est à elle de le tenir net, c'est à elle de l'orner dedans et dehors : dedans par la tempérance, et dehors par la modestie ; c'est à elle de parer l'autel sur lequel doit fumer cet encens céleste, je veux dire des saintes prières, et monter connue un parfum agréable devant la face de Dieu.

Mais, ô temple ! ô autel ! ô corps de l'homme ! ô cœur de l'homme ! que je vois en vous de profanation ! « Fils de l'homme, approche-toi, dit l'Esprit de Dieu à Ezéchiel (3), et je te montrerai l'abomination. Et je m'approchai, dit le prophète, et je vis le temple et le sanctuaire; et voilà, chose abominable! » voilà, dis-je, que de tous côtés chacun y érigeait son idole dans le propre temple du Dieu vivant (a), sur l'autel même du Dieu vivant, on y sacrifiait aux faux dieux. Là était l'idole de la jalousie. Ambition, c'est toi qui l'élèves; autant que tu vois de concurrents, ce sont autant de victimes que tu voudrais immoler à cette idole : idolum zeli (b). « Là des hommes qui tournaient le dos au sanctuaire et adoraient le soleil levant, » la faveur naissante : Dorsa habentes contra templum Domini et faciès ad orientem, et adorabant ad ortum solis (4) : ils oubliaient le vrai Dieu, et ils adoraient la fortune ; et des femmes au dedans du temple « pleuraient la mort d'Adonis : » Plangebant Adonidem (b); ne m'obligez pas à vous dire que c'est le sacrifice de l'amour profane. Ce spectacle vous fait horreur, et ce qui vous fait horreur pour les autres ne vous fait pas horreur pour vous-même. O corps que Dieu a choisi pour temple! ô cœur que Dieu a consacré comme son autel; que je découvre en vous d'abominations,

 

1 I Thessal., IV, 4, 5, 7. — 2 De Cult. fœmin., lib. II, n. 1. — 3 Ezech., VIII,10, 11. — 4 Ibid., 10. — 5 Ibid., 14.

 

(a) Var. : Et voilà que de tous côtés chacun érigeait son idole, spectacle abominable, dans le propre temple du Dieu vivant. — (b) Ambition, c'est toi qui l'élèves; tu veux détruire tous tes concurrents, idolum zeli.

 

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que de fausses divinités, que d'idoles que l'on y adore!

Mais peut-être qu'on les aura renversées en l'honneur de Jésus-Christ ressuscité, et que cette dévotion publique de toute l'Eglise vous aura fait nettoyer ce temple et abattre toutes ces idoles. Que j'ai sujet de craindre que vous ne soyez sortis du tombeau comme des fantômes, vains simulacres de vivants (a) qui n'ont que la mine et l'apparence, qui n'ont ni la vie ni le cœur, qui font des mouvements et des actions qui sont tout artificielles et comme appliquées par le dehors, parce qu'elles ne partent pas du principe. Si vous êtes ressuscites, toutes vos premières liaisons sont rompues. C'est en vain que vous m'appelez, vains et criminels attachements, c'est en vain que vous m'appelez à ces anciennes familiarités : il est arrivé en moi un grand changement qui ne me permet point de vous reconnaître (b). — Est-ce donc un changement si étrange que de s'être confessé à Pâques? — Ce changement est une mort; ce changement m'a fait un autre homme, et vous voulez que j'agisse de la même sorte! Je ne me contente donc pas d'un changement léger. Chrétien, dans ces saintes solennités, tu as bu à la fontaine de vie dans la source des sacrements. Tu as reçu la grâce, je le veux croire; tu as repris une vie nouvelle avec Jésus-Christ; cette vie nouvelle n'est que commencée ici-bas; et quand elle sera consommée, elle aura tous ces admirables effets que je te représentais tout à l'heure. Dans un mois, dans dix jours, dans trois jours peut-être, tes anciennes habitudes se réveilleront. L'ivrognerie, l'impudicité, la vengeance te rappelleront à leurs faux plaisirs. Tu avais pardonné une injure à ton ennemi; le venin de la haine reprendra ses forces. Arrête, misérable! considère. Eh! que de belles espérances tu vas détruire! que de beaux commencements tu vas arrêter ! Si c'est une malice insupportable de déraciner la première verdure des champs, parce qu'elle est l'espérance de nos moissons; si nous tenons à très-grande injure que l'on arrache dans nos jardins une jeune plante, parce qu'elle nous promettait (c) d'apporter de beaux fruits, quelle

 

(a) Var. : Comme des spectres, fantômes de vivants.....— (b) Je ne vous connais plus, il est arrivé en moi un grand changement. — (c) Parce qu'elle devait apporter.

 

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est notre folie, quelle injure nous faisons-nous à nous-mêmes, à l'Eglise, à l'Esprit de Dieu, de chasser cet Esprit qui commençait en nous un si grand ouvrage, de mépriser la grâce qui est une semence d'immortalité, de perdre la vie nouvelle qui, croissant tous les jours, fût venue à cette perfection que je vous ai dite !

Par conséquent, mes frères, comme Jésus-Christ est ressuscité, ainsi marchons en nouveauté de vie. Puisque nous sommes ici-bas en cet exil du monde parmi tant de maux, songeons qu'il n'est rien de meilleur que cette belle, cette illustre espérance que Dieu nous présente par Jésus-Christ. Après avoir confessé nos péchés dans l'humilité de la pénitence, cessons, cessons d'aimer ce que nous avons détesté solennellement devant le ministre de la sainte Eglise, en présence de Dieu et de ses saints anges. N'allons point aux eaux infectées, après nous être lavés au sang de Jésus. Après avoir communiqué à son divin corps, qui est le gage de notre glorieuse résurrection, ne communiquons point à Satan, ni à ses pompes, ni à ses œuvres. Que la joie sainte de l'Esprit de Dieu surmonte la fausse joie de ce monde.

Je me souviens ici, chrétiens, de l'allégresse divine et spirituelle qui était autrefois dans l'Eglise au saint jour de Pâques. C'était vraiment une joie divine, une joie qui honorait Jésus-Christ, parce qu'elle n'avait point d'autre objet que la gloire de son triomphe. C'était pour cela que les déserts les plus reculés et les solitudes les plus affreuses prenaient une face riante. Maintenant nous nous réjouissons, il n'est que trop vrai; mais ce n'est pas vous, mon Sauveur, qui êtes la cause de notre joie. Nous nous réjouissons de ce qu'on pourra faire bonne chère en toute licence ; plus de jeûnes, plus d'austérités. Si peu de soin que nous avons peut-être apporté pendant le carême à réparer les désordres de notre vie, nous nous en relâcherons tout à fait. Le saint jour de Pâques, destiné pour nous faire commencer une vie nouvelle avec le Sauveur, va ramener sur la terre les pernicieuses délices du siècle, si toutefois nous leur avons donné quelque trêve, et ensevelira dans l'oubli la mortification et la pénitence ; tant la discipline est énervée parmi nous. Nous croyons avoir assez fait quand nous nous sommes acquittés pour la forme d'une confession telle quelle, et

 

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d'une communion qui peut-être est un sacrilège. Mais quand même elle serait sainte, comme je le veux présumer, vous n'avez fait que la moitié de l'ouvrage.

Fidèles, je vous en avertis de la part de Dieu : la principale partie reste à faire, qui est d'amender votre mauvaise vie, de corriger le dérèglement de vos mœurs, et de déraciner ces habitudes invétérées qui vous sont comme passées en nature. Si vous avez été justifiés, j'avoue que vous n'avez plus à craindre la damnation éternelle; mais ne vous imaginez pas pour cela être en sûreté. Craignez vos mauvaises inclinations; craignez ces objets qui vous plaisent trop, plus qu'il n'est convenable à un chrétien qui a participé au corps du Sauveur. Craignez ces dangereuses rencontres dans lesquelles votre innocence a déjà tant de fois fait naufrage ; que votre expérience vous fasse prudents, et vous oblige à une précaution salutaire. Car la pénitence a deux qualités qui sont toutes deux également saintes et inviolables.

Retenez ceci, s'il vous plaît; la pénitence a deux qualités : elle est le remède pour le passé; elle est une précaution pour l'avenir. La disposition pour la recevoir comme remède de nos désordres passés, c'est la douleur des péchés que nous avons commis. La disposition pour la recevoir comme précaution de l'avenir, c'est une crainte filiale des péchés que nous pouvons commettre, et des occasions qui nous y entraînent. Gardons-nous bien, fidèles, de violer la sainteté de la pénitence en l'une ou en l'autre de ses parties, de peur de faire injure à la grâce et à la libéralité du Sauveur.

Par conséquent ne perdons jamais cette crainte respectueuse qui est l'unique garde de l'innocence. Craignons de perdre Jésus qui nous a gagnés par son sang. Partout où je le vois, il nous tend les bras. Jésus nous tend les bras à la croix : Venez, dit-il, mourir avec moi. Jésus-Christ sortant du tombeau, victorieux de la mort, il nous tend les bras : Venez, dit-il, ressusciter avec moi. Jésus-Christ à la droite du Père nous tend les bras : Venez, dit-il, régner avec moi ; vous serez, vous serez un jour tel que je suis en cette glorieuse demeure; vivez, consolez-vous dans cette espérance. Je suis heureux, je suis immortel : soyez immortels à la

 

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grâce, vous obtiendrez enfin dans le ciel le dernier accomplissement de la vie nouvelle, c'est-à-dire la justice parfaite, la paix assurée, l'immortalité de l'âme et du corps. Amen.

 

AUTRE EXORDE POUR LE   MÊME  SERMON.

 

Consepulti enim sumus cum illo per baptismun in mortem, ut quomodo Christus surrexit à mortuis per gloriam Patris, ita et nos in novitate cita ambulemus. Rom., VI, 4.

 

C'est une doctrine excellente de saint Augustin (1) prise des Ecritures divines, que tout ce que Dieu opère dans l'homme juste depuis sa première entrée dans l'Eglise jusqu'à la résurrection générale, n'est que la suite et l'accomplissement du baptême; de sorte que la sainte nouveauté de vie (a), qui se commence dans les «aux salutaires, n'aura sa dernière perfection que dans cette journée bienheureuse en laquelle (b) la mort étant surmontée, nos corps seront faits semblables au corps glorieux de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pour entendre cette doctrine, il faut nécessairement remonter plus haut et reprendre la chose jusque dans sa source.

L'homme dans la sainteté de son origine avait reçu de Dieu ces trois dons : la justice, la paix, l'immortalité. Car étant formé selon Dieu, il était juste; régnant sur ses passions, il était paisible en lui-même; mangeant le fruit de vie, il était immortel. La raison s'étant révoltée contre Dieu, les passions lui refusèrent leur obéissance; et l’âme ne buvant plus à cette source inépuisable de vie, devenue elle-même impuissante, elle laissa aussi le corps sans vigueur. C'est pourquoi (c) la mortalité s'en est incontinent emparée. Ainsi pour la ruine totale de l'homme, le péché a détruit la

 

1 S. August. De Nupt. et Concupisc., lib. I, n. 38 et 39.

 

(a) Var. : La sainte régénération.— (b) A laquelle. — (c) De là vient que.

 

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justice; la convoitise s'étant soulevée a troublé la paix; l'immortalité a cédé à la nécessité de la mort. Voilà l'ouvrage de Satan opposé à l'ouvrage de Dieu. Or le Fils de Dieu est venu « pour dissoudre l'œuvre du diable (1), » nous dit-il lui-même dans son Evangile. Il est venu « pour reformer l'homme selon le premier dessein de son Créateur, » comme nous enseigne l'Apôtre (2). Et pour cela il est nécessaire que sa grâce nous restitue les premiers privilèges de notre nature (a). De là vient qu'il nous appelle dans son Evangile à une bienheureuse nouveauté de vie, répandant en nos âmes son Saint-Esprit par lequel, dit l'apôtre saint Paul, « l'homme intérieur et spirituel est renouvelé de jour en jour : » Innovatur de die in diem (3). Remarquez ces paroles, « de jour en jour. » Elles nous font connaître manifestement que Dieu en renouvelant ses élus, ne veut pas qu'ils soient changés tout à coup, mais qu'il ordonne certains progrès par lesquels ils s'avancent de plus en plus à la perfection consommée. Il y a trois dons à leur rendre. Il y aura aussi trois différents âges par lesquels de degré en degré « ils deviendront hommes faits, » comme dit saint Paul, in virum perfectum (4). Et Dieu l'a arrêté de la sorte afin de faire goûter à ses bien-aimés les opérât ions de sa grâce les unes après les autres. De sorte que dans ce monde il répare leur innocence; dans le ciel il leur donne la paix ; à la résurrection générale il ornera leur corps d'immortalité. Par ces trois âges « les justes arrivent à la plénitude de Jésus-Christ, » ainsi que parie l'apôtre saint Paul, in mensuram œtatis plenitudinis Christi (5). La vie présente est comme l'enfance; celle dont les saints jouissent au ciel ressemble à la fleur de l'âge; après suivra la maturité dans la dernière résurrection.

Au reste cette vie n'a point de vieillesse, parce qu'étant toute divine, elle n'est point sujette au déclin. De là vient qu'elle n'a que trois âges, au lieu que celle de notre vie corruptible souffre la vicissitude de quatre différentes saisons. Ce sont ces trois âges et ces trois dons pour lesquels le Prophète-Roi chante à Dieu ces

 

1 I Joan., III, 8. —  2 Coloss., III. 10. — 3 II Cor., IV, 16. — 4 Ephes., IV, 13. — 5 Ibid.

 

(a) Var. : Que la grâce lui restitue les premiers privilèges de sa nature.

 

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pieuses actions de grâces : « Mon âme, dit-il (1), bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en moi célèbre la grandeur de son nom. C'est lui, dit-il, qui pardonne tous tes péchés, c'est lui qui guérit toutes tes langueurs, c'est lui qui rachète ta vie de la mort. » Il pardonne nos iniquités, quand il nous rend la justice en ce monde; il guérit nos langueurs, quand il éteint la convoitise dans son paradis; il rachète notre vie de la mort, quand il nous ressuscite à la fin des siècles. Et encore que ces opérations soient diverses, elles ne regardent toutefois que la même fin et ne s'emploient que dans la même œuvre. Car de même que l'homme en croissant n'acquiert point une nouvelle vie ni un nouvel être, mais s'avance à la perfection de celui qui lui a donné la naissance : ainsi, soit que nos âmes soient couronnées de la gloire de Dieu dans le ciel, soit que nos corps ressuscites par son Esprit-Saint soient revêtus de l'immortalité du Sauveur, ce n'est pas une nouvelle vie que nous acquérons ; mais nous allons selon l'ordre établi au dernier accomplissement de cette vie divine et surnaturelle que nous avons commencée dans le saint baptême. C'est là, fidèles, si nous l'entendons, cette nouveauté de vie dont parle l'Apôtre ; c'est là la résurrection spirituelle du chrétien à l'image de la résurrection de Notre-Seigneur. Maintenant ces vérités étant supposées, entrons dans la proposition de notre sujet.

Si la justice des chrétiens en ce monde, aussi bien que leur paix et leur immortalité au siècle futur, ne font qu'une même suite de vie; si d'ailleurs l'Apôtre nous a enseigné que la résurrection de nos corps est la maturité et la plénitude, il s'ensuit, comme je l'ai remarqué, que la vie présente ressemble à l'enfance. C'est pourquoi l'apôtre saint Pierre nous dit que nous sommes des « enfants nouvellement nés (2) ; » d'où je forme ce raisonnement, qui sera la base de tout mon discours. Tout ce que la nature donne à l'homme pendant le progrès de la vie, doit avoir son commencement dans l'enfance. Donc si j'apprends de l'apôtre saint Pierre qu'à l'égard de la vie divine qui nous est acquise par la résurrection de notre Sauveur, notre pèlerinage mortel est comme l'enfance, il faut que tous ces changements admirables qui nous rendront conformes au

 

1 Psal. CII, 1, 3, 4. — 2 I Petr. II, 2.

 

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Seigneur Jésus, se commencent en nous dès ce siècle. Or nous avons dit, et il est très-vrai que notre vie nouvelle et la réparation de notre nature consiste à vaincre ces trois furieux ennemis que le diable nous a suscités, le péché, la concupiscence et la mort, par ces trois divins dons où la grâce nous rétablit, la justice, la paix, l'immortalité. Et partant, encore que ces trois choses ne s'accomplissent pas ici-bas, il est clair qu'elles y doivent être du moins ébauchées (a).

Et voyez en effet, chrétiens, de quelle sorte et par quel progrès Dieu avance en nous son ouvrage pendant notre captivité dans nos corps mortels. Il ruine premièrement le péché ; la concupiscence y remue encore, mais elle y est fortement combattue et même glorieusement surmontée. Pour la mort, à la vérité elle y exerce son empire sans résistance, mais aussi l'immortalité nous est assurée. Le péché aboli fait notre sanctification ; la concupiscence combattue fait notre exercice ; l'immortalité assurée (b) fait notre espérance. C'est la vie du vrai chrétien ressuscité avec le Sauveur, que je me propose de vous représenter aujourd'hui avec l'assistance divine. Jésus ressuscité, assistez-nous de votre Esprit-Saint. Et vous, ô fidèles, ouvrez vos cœurs à la parole de votre Maître ; et apprenant l'incomparable dignité de la vie nouvelle que Dieu vous donne par son Fils Jésus-Christ, apprenez aussi de l'Apôtre que, comme Jésus est ressuscité, ainsi devons-nous marcher en nouveauté de vie. Commençons à montrer la ruine du péché par la grâce de la justice qui nous est donnée.

 

(a) Var. : Commencées. — (b) Promise.

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