Pâques IIIe Dim.
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SERMON
POUR
LE IIIe  DIMANCHE APRÈS PÂQUES,
SUR LA PROVIDENCE (a).

 

Mundus autem paudebit, vos autem contristabhnini; sed tristitia vestra vertetur in gaudium. Joan., XVI, 20.

 

De toutes les passions qui nous troublent, je ne crains point, fidèles, de vous assurer que la plus pleine d'illusion, c'est la joie,

 

(a) Exorde. — Vanité de la joie. Risum reputavi errorem. (Eccles., II, 2.) Tristesse chrétienne. Tristes eritis. Ave.

Libertins ne veulent point de Providence. Stoïciens qui disent que le sage est lui-même sa félicité.

Premier point. Quelques gens de bien heureux.

Les vices plus heureux, et pourquoi.

Vertu. Sa médiocrité peu agissante.

Tout est réglé : Ergo à fortiori l'homme, qui est sou image.

Il faut regarder par un certain point. — Comparaison.

Discernement réservé au jugement général. En attendant, l'arbre mort et l'arbre vivant paraissent égaux durant l'hiver. Attendre la résurrection.

Dieu ne précipite pas ses conseils, parce que la précipitation est le propre de la faiblesse, qui dépend des occasions (Tertullien, Apolog., n° 41 ).

La sagesse n'est pas à faire promptement les choses, mais a les faire dans le temps.

Biens purs et biens mêlés. Purs, pour le siècle à venir où se fera la séparation; mêlés, pour celui-ci où tout est dans le mélange. Vini meri plenus mixto (Ps. LXXIV, 9).

Patience de Dieu prouve la sévérité de son jugement. Prospérité des impies est  une peine. Imaginem illorum ad nihilum rediges (Psal. LXXII   20)

Second point. — Trois sortes de douleurs. Toutes médicinales.

Appétits de malades ne doivent point être rassasiés. Utile de troubler les pécheurs dans leurs plaisirs.

Ancre Espérance. Puisque la vertu combat, donc elle sera un jour paisible, parce qu’on ne fait la guerre que pour la paix.                                                   

Bons ne sont pas confondus avec les méchants, quoique souffrant même chose.

Herbe rampante, oses-tu durant l’hiver te comparer à l'arbre fruitier, parce que tu conserves ta verdure?                                                                   

 

Prêché à Dijon le dimanche 7 mai 1656, devant le duc d'Epemon. L'allocution qu'on lira dans l'exorde n'a pas été adressée, comme le disent Ions les éditeurs, au prince de Condé, mais au duc d'Epemon. Le duc d'Epernon était, par sa mère et par sa femme, allié aux maisons de France, d'Angleterre et de Hongrie. Gouverneur de Metz, il ne montra pas moins de sagesse par son administration que de munificence par ses bienfaits. Appelé au gouvernement de la Guyenne, il repoussa les Espagnols et défit plusieurs bandas d'insurgés, qui portaient partout le pillage et la terreur. Malgré tant de mérites et de si grands services, après un échec subi par ses armes, il fut condamné par des juges plus courtisans qu'intègres, et n'obtint sa réhabilitation qu'après la mort de Richelieu. Nommé gouverneur de la Bourgogne, il réduisit les partisans de la Fronde dans sa province, et remplit d'importantes missions dans d'autres parties du royaume. Après trois années d'absence, il retourna dans le chef-lieu de son gouvernement; c'est alors que Bossuet, présent à Dijon, lui exprima, le troisième dimanche après Pâques, dans la chapelle des anciens ducs, la reconnaissance et l'admiration de la France entière; le Te Deum devait être chanté le lendemain, dans la même enceinte, après l'entrée solennelle et la réception officielle, en présence des ordres de la province.

Jetons maintenant un coup d'œil sur noire allocution. D'abord le titre d'Altesse convenait parfaitement à Bernard d'Epernon; mais il ne pouvait se donner à Louis de Coudé sans l'augmentatif de Sérénissime. Ensuite les mots : « Votre sang illustre, mêlé si souvent à celui de nos rois, » exprimaient bien la noble condition du duc allié à plusieurs maisons souveraines; mais ils auraient rabaissé la haute origine du prince qui, fils de saint Louis, Bourbon par naissance, était du sang royal. Et « ces colonnes majestueuses» que le héros s'est érigées par sa munificence « dans cette ville illustre et fameuse, » ou comme porte une variante, « dans la célèbre ville de Metz, qui a été si longtemps heureuse sous sa conduite ; » et « les trophées de cette nature que s'était élevés en Guyenne son âme si grande et si bienfaisante; » et « la paix que sa main armée a donnée et que son autorité conserve » à la province de Bourgogne : tous ces éloges s'appliquent comme d'eux-mêmes au défenseur de l'ordre et du pouvoir légitime : mais le fauteur de la Fronde n'avait appelé sur la Bourgogne et sur la Guyenne que dos troubles et des malheurs, et jamais il ne fut gouverneur du pays de Metz. D'une autre part, c'est le sujet fidèle qui succomba pour un temps, sous le coup de funestes illusions; mais le rebelle insurgé fut condamné justement. Enfin l'on voit, dans le texte de l'allocution, que la gloire du gouverneur devait être célébrée le lendemain par « de doctes et éloquentes harangues. »

L'explication contraire à celle-là ne souffre pas l'examen. Ou dit que le prince de Condé venait de soumettre la Franche-Comté en 1658; qu'il fut reçu triomphalement à Dijon, et que Bossuet lui adressa la célèbre allocution au milieu de l'enthousiasme général; mais Louis XIV avait suivi l'expédition de Franche-Comté; tous s'empressèrent d'attribuer la victoire à sa valeur, et personne n'eût songé à lui ravir l'honneur du triomphe pour le déférer à son lieutenant.

A la fin de la péroraison, le prédicateur, après avoir parlé du jubilé, dit : « Ainsi vous pourrez obtenir cette paix,... qui en est le véritable sujet. » C'est Alexandre VI! qui avait donné ce jubilé en 1656, a son avènement, pour conjurer le Seigneur de rétablir la paix parmi les princes chrétiens, et de bannir la guerre qui désolait l'Europe depuis si longtemps.

 

 

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bien qu'elle soit la plus désirée; et le Sage n'a jamais parlé avec plus de sens que lorsqu'il a dit dans l’Ecclésiaste « qu'il réputait le ris une erreur, et que la joie était une tromperie : » Risum

 

 

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reputavi errorem (1). Et la raison c'est, si je ne me trompe, que depuis la désobéissance de l'homme, Dieu a voulu retirer à lui tout ce qu'il avait répandu de solide contentement sur la terre dans l'innocence des commencements : il l'a, dis-je, voulu retirer à lui, pour la rendre un jour à ses bienheureux ; et que la petite goutte de joie qui nous est restée d'un si grand débris, n'est pas capable de satisfaire une âme dont les désirs ne sont point finis, et qui ne peut jamais reposer qu'en Dieu. C'est pourquoi nous lisons dans notre évangile que Dieu (a) laisse la joie au monde , comme un bienfait qu'il estime peu, Mundus gaudebit; et que le partage de ses enfants, c'est une salutaire tristesse qui ne veut point être consolée par les plaisirs que le monde cherche : Vos autem contristabimini.

Mais encore que le sujet de mon évangile m'oblige aujourd'hui à vous faire voir la vanité des réjouissances du monde , ne vous persuadez pas, chrétiens, que je veuille par là tempérer la joie de la belle journée que nous attendons. Je sais bien que Tertullien a dit autrefois que « la licence ordinairement épiait le temps des réjouissances publiques, et qu'elle n'en trouvait point qui lui fût plus propre : » Est omnis publicœ laetitiœ luxuria captatrix (2). Mais celle que nous verrons bientôt éclater est si raisonnable et si bien fondée, que l'Eglise même y veut prendre part, qu'elle y mêlera ses actions de grâces, dont cette chapelle royale résonnera toute ; et d'ailleurs il est impossible que cette joie ne soit infiniment juste, venant d'un principe de reconnaissance.

Et certainement, Monseigneur, quelque grands préparatifs que l'on fasse pour recevoir (b) demain votre Altesse, son entrée n'aura rien de plus magnifique, rien de plus grand ni de plus

 

1 Eccles., II, 2. — 2 De Corona, n. 13.

 

(a) Var. : Jésus. — (b) Honorer.

 

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glorieux, que les vœux et la reconnaissance publique de tous les ordres de cette province, que votre haute générosité a comblée de biens, et à qui votre main armée (a) a donné la paix que votre autorité lui conserve. Le plus digne emploi d'un grand prince, c'est de sauver les pays entiers et de montrer comme votre Altesse l'éminence de sa dignité par l'étendue de ses influences. C'est l'effet le plus relevé que puisse produire en vous votre sang illustre, mêlé si souvent dans celui des rois (b). Toutes ces obligations si universellement répandues, ce sont, Monseigneur, autant de colonnes que vous érigez à votre gloire dans les cœurs des hommes, colonnes augustes et majestueuses, et plus durables que tous les marbres ; oui, plus fermes et plus durables que tous les marbres! Autrefois de pareils bienfaits vous ont dressé de pareilles marques dans cette ville illustre et fameuse que l'Empire nous a rendue, et qui a été si longtemps heureuse sous votre conduite (c). Elles durent et dureront à jamais dans les affections de ces peuples, qu'un si long temps n'a pas altérées. Que de trophées de cette nature s'était élevés en Guyenne votre âme si grande et si bienfaisante ! L'envie n'a jamais pu les abattre, elle les a peut-être couverts pour un temps ; mais enfin tout le monde a ouvert les yeux, et l'éclat solide de votre vertu a dissipé l'illusion de quelques années. Tant il est vrai, Monseigneur, qu'une puissance si peu limitée et qui ne s'occupe comme la vôtre qu'à faire du bien, laisse des impressions immortelles. Mais je ne prétends pas ici prévenir les doctes et éloquentes harangues par lesquelles votre Altesse sera célébrée. Je dois ma voix au Sauveur des âmes et aux vérités de son Evangile ; il me suffit d'avoir dit ce mot pour me joindre aux acclamations du public, et témoigner la part que je prends aux avantages de ma patrie. Ecoutons maintenant parler Jésus-Christ, après que, etc.

 

Ce que dit Tertullien est très-véritable, « que les hommes sont accoutumés il y a longtemps à manquer au respect qu'ils doivent

 

(a) Var. : Votre épée. — (b) Dans celui de tant de races souveraines couronnées. — (c) De pareilles marques dans la célèbre ville de Metz, qui a été si longtemps heureuse sous votre conduite.

 

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à Dieu, » et à traiter peu révéremment les choses sacrées : Semper humana gens malè de Deo meruit (1). Car outre que dès l'origine du monde l'idolâtrie a divisé son empire et lui a voulu donner des égaux, l'ignorance téméraire et précipitée a gâté, autant qu'elle a pu, l'auguste pureté de son être par les opinions étranges qu'elle en a formées; l'homme a eu l'audace de lui disputer tous les avantages de sa nature, et il me serait aisé de vous faire voir qu'il n'y a aucun de ses attributs qui n'ait été l'objet de quelque blasphème. Mais de toutes ses perfections infinies celle qui a été exposée à des contradictions plus opiniâtres, c'est sans doute cette Providence éternelle qui gouverne les choses humaines. Rien n'a paru plus insupportable à l'arrogance des libertins que de se voir continuellement observés par cet œil toujours veillant de la Providence divine ; il leur a paru, à ces libertins, que c'était une contrainte importune de reconnaître qu'il y eût au ciel une force supérieure qui gouvernât tous nos mouvements, et châtiât nos actions déréglées avec une autorité souveraine. Ils ont voulu secouer le joug de cette providence qui veille sur nous , afin d'entretenir dans l'indépendance une liberté indocile qui les porte à vivre à leur fantaisie, sans crainte , sans retenue et sans discipline.

Telle était la doctrine des Epicuriens, laquelle, toute brutale qu'elle est, tâchait de s'appuyer sur des arguments ; et ce qui paraissait le plus vraisemblable, c'est la preuve qu'elle a tirée de la distribution des biens et des maux, telle qu'elle est représentée dans notre évangile : « Le monde se réjouira, dit le Fils de Dieu, et vous, mes disciples, vous serez tristes (2). » Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens? Le monde, les amateurs des biens périssables, les ennemis de Dieu seront dans la joie; encore ce désordre est-il supportable. Mais vous, ô justes, ô enfants de Dieu, vous serez dans l'affliction, dans la tristesse! C'est ici que le libertinage s'écrie que l'innocence ainsi opprimée rend un témoignage certain contre la Providence divine, et fait voir que les affaires humaines vont au hasard et à l'aventure.

Ah ! fidèles, qu'opposerons-nous à cet exécrable blasphème, et

 

1 Apolog., n. 40. — 2 Joan., XVI, 20.

 

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comment défendrons-nous contre les impies les vérités que nous adorons (a) ? Ecouterons-nous les amis de Job, qui lui soutiennent qu'il est coupable parce qu'il était affligé, et que sa vertu était fausse parce qu'elle était exercée? « Quand est-ce que l'on a vu, disaient-ils, que les gens de bien fussent maltraités (b) ? Cela ne se peut, cela ne se peut (1). » Mais au contraire, dit le Fils de Dieu, ceux dont je prédis les afflictions , ce ne sont ni des trompeurs ni des hypocrites ; ce sont mes disciples les plus fidèles, ce sont ceux dont je propose la vertu au monde comme l'exemple le plus achevé d'une bonne vie : « Ceux-là, dit Jésus, seront affligés : » Vos autem contristabimini. Voilà qui paraît bien étrange, et les amis de Job ne l'ont pu comprendre.

D'autre part, la philosophie ne s'est pas moins embarrassée sur cette difficulté importante; écoutez comme parlaient certains philosophes, que le monde appelait les stoïciens. Ils disaient avec les amis de Job : C'est une erreur de s'imaginer que l'homme de bien puisse être affligé ; mais ils se prenaient d'une autre manière : c'est que le sage, disaient-ils, est invulnérable et inaccessible à toute sorte de maux ; quelque disgrâce qui lui arrive, il ne peut jamais être malheureux, parce qu'il est lui-même sa félicité. C'est le prendre d'un ton bien haut pour des hommes faibles et mortels. Mais, ô maximes vraiment pompeuses ! ô insensibilité affectée ! ô fausse et imaginaire sagesse , qui croit être forte parce qu'elle est dure, et généreuse parce qu'elle est enflée ! Que ces principes sont opposés à la modeste simplicité (c) du Sauveur des âmes, qui considérant dans notre évangile ses fidèles dans l'affliction, confesse qu'ils en seront attristés : Vos autem contristabimini, et partant leurs douleurs seront effectives.

Plus nous avançons, chrétiens, plus les difficultés nous paraissent grandes. Mais voyons encore le dernier effort (d) de la philosophie impuissante, afin que reconnaissant l'inutilité de tous les remèdes humains, nous recourions avec plus de foi à l'Evangile du Sauveur des âmes. Sénèque a fait un traité exprès pour

 

1 Job., IV, 7.

 

(a) Var. : L'adorable vérité de notre évangile. — (b) La vertu maltraitée et les gens de bien affligés. — (c) A la doctrine. — (d) Mais voulez -vous voir en un mot le dernier effort.....

 

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défendre la cause de la Providence et fortifier le juste souffrant, où après avoir épuisé toutes ses sentences pompeuses et tous ses raisonnements magnifiques, enfin il introduit Dieu parlant en ces termes au juste et à l'homme de bien affligé : « Que veux-tu que je fasse? dit-il; je n'ai pu te retirer de ces maux, mais j'ai armé ton courage contre toutes choses : » Quia non potui subducere te istis omnibus, animum adversùs omnia armavi (1). Je n'ai pu: quelle parole à un Dieu ! Est-ce donc une nécessité absolue qu'on ne puisse prendre le parti de la Providence divine, sans combattre ouvertement sa toute-puissance ? C'est ainsi que réussit la philosophie , quand elle se mêle de faire parler cette Majesté souveraine et de pénétrer ses secrets !

Allons, fidèles, à Jésus-Christ; allons à la véritable sagesse. Ecoutons parler notre Dieu dans sa langue naturelle, je veux dire dans les oracles de son Ecriture. Cherchons aux innocents affligés des consolations plus solides dans l'évangile de cette journée. Mais afin de procéder avec ordre, réduisons nos raisonnements à trois chefs tirés des paroles du Sauveur des âmes, que j'ai alléguées pour mon texte. « Le monde, dit-il, se réjouira, et vous, ô justes, vous serez tristes ; mais votre tristesse sera changée en joie. » Le monde se réjouira ; mais ce sera certainement d'une joie telle que le monde la peut avoir, trompeuse, inconstante et imaginaire , parce qu'il est écrit que « le monde passe (2) : » Mundus autem gaudebit. « Vous, ô justes, vous serez tristes; » mais c'est votre médecin qui vous parle ainsi et qui vous prépare cette amertume ; et donc elle vous sera salutaire : Vos autem contristabimini. Que si peut-être vous vous plaignez qu'il vous laisse sans consolation sur la terre au milieu de tant de misères, voyez qu'en vous donnant cette médecine, il vous présente de l'autre main la douceur d'une espérance assurée , qui vous ôte tout ce mauvais goût et remplit votre âme de plaisirs célestes : « Votre tristesse, dit-il, sera changée en joie : » Tristitia vestra vertetur in gaudium.

Par conséquent, ô homme de bien, si parmi tes afflictions il t'arrive de jeter les yeux sur la prospérité des méchants, que ton cœur n'en murmure point, parce qu'elle ne mérite pas d'être dé-

 

1 De Provident., cap. VI. — 2 I Joan., II, 17.

 

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désirée. C'est la première vérité de notre évangile. Si cependant les misères croissent, si le fardeau des malheurs s'augmente , ne te laisse pas accabler, et reconnais dans la douleur qui te presse l'opération du médecin qui te guérit : Vos autem contristabimini. C'est le second point. Enfin si tes forces se diminuent, soutiens ton courage abattu par l'attente du bien que l'on te propose, qui est une santé éternelle dans la bienheureuse immortalité : Tristitia vestra vertetur in gaudium. C'est par où je finirai ce discours. Et voilà en abrégé, chrétiens, toute l'économie de cet entretien et le sujet du saint évangile que l'Eglise a lu ce matin dans la célébration des divins mystères. Reste que vous vous rendiez attentifs à ces vérités importantes. Laissons tous les discours superflus ; cette matière est essentielle, allons à la substance des choses avec le secours de la grâce.

 

PREMIER POINT.

 

Pour entrer d'abord en matière, je commence mon raisonnement par cette proposition infaillible, qu'il n'est rien de mieux ordonné que les événements des choses humaines ; et toutefois qu'il n'est rien aussi où la confusion soit plus apparente. Qu'il n'y ait rien de mieux ordonné, il m'est aisé de le faire voir (a) par ce raisonnement invincible.

Plus les choses touchent de près à la Providence et à la sagesse divine, plus la disposition en doit être belle. Or dans toutes les parties de cet univers, Dieu n'a rien de plus cher que l'homme qu'il a fait à sa ressemblance. Rien par conséquent n'est mieux ordonné que ce qui touche cette créature chérie, et si avantagée par son Créateur. Et si nous admirons tous les jours tant d'art, tant de justesse, tant d'économie dans les astres, dans les éléments, dans toutes les natures inanimées, à plus forte raison doit-on dire qu'il y a un ordre admirable dans ce qui regarde les hommes. Il y a donc certainement beaucoup d'ordre, et toutefois il faut reconnaître (b) qu'il n'y a rien qui paroisse moins. Au contraire, plus nous pénétrons dans la conduite des choses humaines, dans les événements des affaires, plus nous sommes contraints d'avouer

 

(a) Var. : C'est ce qu'il m'est aisé de faire voir. — (b) Confesser.

 

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qu'il y a beaucoup de désordre. Ce serait une insolence inouïe si nous voulions ici faire le procès à tout ce qu'il y a jamais eu de grand dans le monde. Il y a eu plus d'un David sur le trône, ce n'est pas pour une fois seulement que la grandeur et la piété se sont jointes; il y a eu des hommes extraordinaires que la vertu a portés au plus grand éclat, et la malice n'est pas si universelle que l'innocence n'ait été souvent couronnée.

Mais, chrétiens, ne nous flattons pas ; avouons à la honte du genre humain que les crimes les plus hardis ont été ordinairement plus heureux que les vertus les plus renommées. Et la raison en est évidente. C'est sans doute que la licence est plus entreprenante que la retenue. La fortune veut être prise par force, les affaires veulent être emportées par la violence. Il faut que les passions se remuent, il faut prendre des desseins extrêmes. Que fera ici la vertu avec sa faible et impuissante médiocrité, je dis faible et impuissante dans l'esprit des hommes ? Elle est trop sévère et trop composée. C'est pourquoi le divin Psalmiste, après avoir décrit au Psaume X le bruit que les pécheurs ont fait dans le monde, il vient ensuite à parler du juste : « Et le juste, dit-il, qu'a-t-il fait? » Justus autem quid fecit (1) ? Il semble, dit-il, qu'il n'agisse pas ; et il n'agit pas en effet selon l'opinion des mondains, qui ne connaissent point d'action sans agitation, ni d'affaires sans empressement. Le juste n'ayant donc point d'action du moins au sentiment des hommes du monde, il ne faut pas s'étonner, fidèles, si les grands succès ne sont pas pour lui.

Et certes l'expérience nous apprend assez que ce qui nous meut, ce qui nous excite, ce n'est pas la droite raison. On se contente de l'admirer et de la faire servir de prétexte; mais l'intérêt, la passion, la vengeance, c'est ce qui agite (a) puissamment les ressorts de l’âme ; et en un mot le vice qui met tout en œuvre est plus actif, plus pressant, plus prompt; et ensuite pour l'ordinaire il réussit mieux que la vertu qui ne sort point de ses règles, qui ne marche qu'à pas comptés, qui ne s'avance que par mesure. D'ailleurs les histoires saintes et profanes nous montrent partout

 

1 Psal. X, 4.

 

(a) Var. : Remue.

 

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de fameux exemples qui font voir les prospérités des impies, c'est-à-dire l'iniquité triomphante. Quelle confusion plus étrange? David même s'en scandalise, et il avoue dans le Psaume LXXII que sa constance devient chancelante, « quand il considère la paix des pécheurs, » Pacem peccatorum videns (1) ; tant ce désordre est épouvantable. Et cependant (a) nous vous avons dit qu'il n'est rien de mieux ordonné que les événements des choses humaines : comment démêlerons-nous ces obscurités (b) ? comment prouverons-nous un tel paradoxe, que l'ordre le plus excellent se doive trouver dans une confusion si visible? Accordons par une doctrine solide ces contrariétés apparentes, et montrons à l'homme de bien qu'il ne doit pas envier les prospérités de ce monde qui se réjouit.

J'apprends du Sage dans l’Ecclésiaste (2) que l'unique moyen de sortir de cette épineuse difficulté, c'est de jeter les yeux sur le jugement. Regardez les choses humaines dans leur propre suite, tout y est confus et mêlé ; mais regardez-les par rapport au jugement dernier et universel, vous y voyez reluire un ordre admirable. Le monde comparé à ces tableaux qui sont comme un jeu de l'optique, dont la figure est assez étrange, la première vue ne vous montre qu'une peinture qui n'a que des traits informes et un mélange confus de couleurs ; mais sitôt que celui qui sait le secret vous le fait considérer par le point de vue, ou dans un miroir tourné en cylindre qu'il applique sur cette peinture confuse : aussitôt les lignes se ramassant, cette confusion se démêle et vous produit une image bien proportionnée. Il en est ainsi de ce monde. Quand je le contemple dans sa propre vue, je n'y aperçois que désordre ; si la foi me le fait regarder par rapport au jugement dernier et universel, en même temps j'y vois reluire un ordre admirable. Mais entrons profondément en cette matière, et éclaircissons par les Ecritures la difficulté proposée. Suivez, s'il vous plaît, mon raisonnement.

Remarquons avant toutes choses que le jugement dernier et

 

1 Psaul. LXXII, 3. — 2 Eccle., III, 17.

 

(a) Var. : Et toutefois. — (b) Comment accorderons-nous ces contrariétés apparentes.

 

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universel est toujours représenté dans les saintes Lettres par un acte de séparation. « On mettra, dit-on, les mauvais à part; on les tirera du milieu des justes (1), » et enfin tout l'Evangile parle de la sorte. Et la raison en est évidente, en ce que le discernement est la principale fonction du juge et la qualité nécessaire du jugement; de sorte que cette grande journée en laquelle le Fils de Dieu descendra du ciel, c'est la journée du discernement général. Que si c'est la journée du discernement où les bons seront séparés d'avec les impies, donc en attendant ce grand jour, il faut qu'ils demeurent mêlés.

Approche ici, ô toi qui murmures en voyant la prospérité des pécheurs : — Ah ! la terre les devrait engloutir, ah ! le ciel se devrait éclater en foudre.— Tu ne songes pas au secret de Dieu. S'il punis-soit ici tous les réprouvés, la peine les discernerait d'avec les bons. Or l'heure du discernement n'est pas arrivée. Cela est réservé pour le jugement; ce n'est donc pas encore le temps de punir généralement tous les criminels, parce que ce n'est pas encore celui de les séparer d'avec tous les justes. « Ne vois-tu pas, dit saint Augustin (2), que pendant l'hiver l'arbre mort et l'arbre vivant paraissent égaux ; ils sont tous deux sans fruits et sans feuilles. Quand est-ce qu'on les pourra discerner? Ce sera lorsque le printemps viendra renouveler la nature, et que cette verdure agréable fera paraître dans toutes les branches la vie que la racine tenait enfermée. » Ainsi ne t'impatiente pas, ô homme de bien; laisse passer l'hiver de ce siècle, où toutes choses sont confondues; contemple ce grand renouvellement de la résurrection générale qui fera le discernement tout entier, lorsque la gloire de Jésus-Christ reluira visiblement sur les justes. Si cependant ils sont mêlés avec les impies, si l'ivraie croît avec le bon grain, si même elle s'élève au-dessus, c'est-à-dire si l'iniquité semble triomphante, n'imite pas l'ardeur inconsidérée de ceux qui poussés d'un zèle indiscret, voudraient arracher (a) ces mauvaises herbes ; c'est un zèle indiscret et précipité. Aussi le Père de famille ne le permet pas : « Attendez, dit-il, la moisson (3), » c'est-à-

 

1 Matth., XIII, 48, 40. — 2 In Psal. CXLVIII, n. 16. — 3 Matth., XIII, 30.

 

(a) Var. : Tenteraient d'arracher.

 

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dire la fin du siècle ; alors on fera le discernement et « ce sera le temps de chaque chose (a) » selon la parole de l’ Ecclésiaste (1).

Ces excellents principes étant établis, je ne me contente plus de vous dire que ce que Dieu tarde à punir les crimes, ce qu'il les laisse souvent prospérer, n'a rien de contraire à sa Providence ; je passe outre maintenant, et je dis que c'est un effet visible de sa Providence. Car la sagesse ne consiste pas à faire les choses promptement, mais à les faire dans le temps qu'il faut. Cette sagesse profonde de Dieu ne se gouverne pas par les préjugés ni par les fantaisies des enfants des hommes, mais selon l'ordre immuable (b) des temps et des lieux qu'elle a éternellement (c) disposé. « C'est pourquoi, dit Tertullien (voici des paroles précieuses), Dieu ayant remis le jugement à la fin des siècles, il ne précipite pas le discernement, qui en est une condition nécessaire. » Qui semel œternum judicium destinavit post sœculi finem, non prœcipitat discretionem, quœ est conditio judicii ante sœculi finem. Aequalis est interim super omne hominum genus, et indulgens, et increpans ; communia voluit esse et commoda profanis et incommoda suis (2). Remarquez cette excellente parole : Il ne précipite pas le discernement. Précipiter les affaires, c'est le propre de la faiblesse, qui est contrainte de s'empresser dans l'exécution de ses desseins, parce qu'elle dépend des occasions, et que ces occasions sont certains moments dont la fuite précipitée cause aussi de la précipitation à ceux qui les cherchent. Mais Dieu qui est l'arbitre de tous les temps, qui sait que rien ne peut échapper ses mains, il ne précipite pas ses conseils (d) ; jamais il ne prévient le temps résolu; il ne s'impatiente pas; il se rit des prospérités de ses ennemis, « parce que, dit le Roi-Prophète (3), il sait bien où il les attend, il voit de loin le jour qu'il leur a marqué pour en prendre une rigoureuse vengeance : » Quoniam prospicit quòd veniet dies ejus. Mais en attendant ce grand jour, voyez comme il distribue les biens et les maux avec une équité merveilleuse (e), tirée de la nature même des uns et des autres.

 

1 Eccle., III, 17. — 2 Apolog., n. 41. — 3 Psal. XXXVI, 13.

 

(a) La fin du siècle où toutes choses seront démêlées. — (b) Certain. — (c) Immuablement. — (d) Ses ouvrages. — (e) Mais voici comment en attendant cette dernière journée, Dieu distribue les biens et les maux.....

 

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Je distingue deux sortes de biens et de maux. Il y a les biens et les maux mêlés, qui dépendent de l'usage que nous en faisons : par exemple, la maladie est un mal qui peut tourner en bien par la patience, comme la santé est un bien qui peut dégénérer (a) en mal en favorisant la débauche. C'est ce que j'appelle les biens et les maux mêlés, qui participent de la nature du bien et du mal selon l'usage où on les applique. Mais il y a outre cela le bien souverain, qui jamais ne peut être mal, comme la félicité éternelle ; il y a aussi certains maux extrêmes, qui ne peuvent tourner en bien à ceux qui les souffrent, comme les supplices des réprouvés. Cette distinction (b) étant supposée, je dis que ces biens et ces maux suprêmes, si je puis parler de la sorte, appartiennent au discernement général où les bons seront séparés pour jamais de la société des impies, et que ces biens et ces maux mêlés se distribuent avec équité dans le mélange des choses présentes.

Car il fallait que la Providence destinât certains biens aux justes où les méchants n'eussent point de part, et de même qu'elle préparât aux méchants des peines dont les bons ne fussent jamais tourmentés. De là vient ce discernement éternel qui se fera dans le jugement. Et avant ce temps limité, tout ce qu'il y a de biens et de maux devait être commun aux uns et aux autres, c'est-à-dire à l'impie aussi bien qu'au juste, parce qne les élus et les réprouvés étant en quelque façon confondus durant tout le cours de ce siècle, la justice et la miséricorde divine sont aussi par conséquent tempérées. C'est ce qui fait dire au Prophète « que le calice qui est dans les mains de Dieu est plein de vin pur et de vin mêlé : » Calix in manu Domini vini meri plenus mixto (1). Ce passage est très-remarquable, et nous y voyons bien représentée toute l'économie de la Providence. Il y a premièrement « le vin pur, » c'est-à-dire la joie céleste qui n'est altérée par aucun mélange de mal; c'est une joie toute pure, vini meri. Il y a aussi le mélange, et c'est ce que ce siècle doit boire, ainsi que nous l'avons expliqué, parce qu'il n'y a que des biens et des maux mêlés, plenus mixto. Et enfin il y a la lie, fœx ejus non est exinanita; et c'est

 

1 Psal. LXXIV, 9.

(a) Var. : Qui peut être changée. — (b) Cette division.

 

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ce que boiront les pécheurs, bibent omnes (1). Ces pécheurs surpris dans leurs crimes, ces pécheurs éternellement séparés des justes, ils boiront toute la lie, toute l'amertume de la vengeance divine.

Tremblez, tremblez, pécheurs endurcis, devant la colère qui vous poursuit. Car si dans le mélange du siècle présent, où Dieu en s'irritant se modère, où sa justice est toujours mêlée de miséricorde, où il frappe d'un bras qui se retient, nous ne pouvons quelquefois supporter ses coups, où en serez-vous, misérables! si vous êtes un jour contraints de porter le poids intolérable de sa colère quand elle agira de toutes ses forces, et qu'il n'y aura plus aucune douceur qui tempère son amertume? Et vous, admirez , ô enfants de Dieu, comme votre Père céleste tourne tout à votre avantage, vous instruisant non - seulement par paroles, mais encore par les choses mêmes. Et certes s'il punissait tous les crimes, s'il n’épargnait aucun criminel, qui ne croirait que toute sa colère serait épuisée dès ce siècle, et qu'il ne réserverait rien au siècle futur? Si donc il les attend, s'il les souffre, sa patience même vous avertit de la sévérité de ses jugements. (a) Et quand il leur permet si souvent de réussir pendant cette vie, quand il souffre que le monde se réjouisse, quand il laisse monter les pécheurs jusque sur les trônes, c'est encore une instruction qu'il vous donne, mais une instruction importante. Voyez, dit-il, mortels abusés, voyez l'état que je fais des biens après lesquels vous courez avec tant d'ardeur; voyez à quel prix je les mets, et avec quelle facilité je les abandonne à mes ennemis; je dis à mes ennemis les plus implacables , à ceux auxquels ma juste fureur prépare des torrents de flammes éternelles. Regardez les républiques de Rome et d'Athènes; elles ne connaîtront pas seulement mon nom adorable, elles serviront les idoles; toutefois elles seront florissantes par les lettres, par les conquêtes et par l'abondance, par toute sorte de prospérités temporelles; et le peuple qui

 

1 Psal. LXXIV, 9.

 

(a) Note marg. : Si personne ne prospérait que les justes, les hommes étant ordinairement attachés aux biens, ne serviraient Dieu que pour les prospérités temporelles; et le service que nous lui rendrions, au lieu de nous rendre religieux, nous ferait avares; au lieu de nous faire désirer le ciel, nous captiverait dans les biens mortels.

 

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me révère sera relégué en Judée, en un petit coin de l'Asie, environné des superbes monarchies des Orientaux infidèles. Voyez ce Néron, ce Domitien, ces deux monstres du genre humain, si durs par leur humeur sanguinaire, si efféminés par leurs infâmes délices, qui persécuteront mon Eglise par toute sorte de cruautés, qui oseront même se bâtir des temples pour braver la Divinité ; ils seront les maîtres de l'univers. Dieu leur abandonne l'empire du monde, comme un présent de peu d'importance qu'il met dans les mains de ses ennemis.

Ah ! qu'il est bien vrai, ô Seigneur, que vos pensées ne sont pas les pensées des hommes, et que vos voies ne sont pas nos voies (a) (1) ! O vanité et grandeur humaine, triomphe d'un jour, superbe néant, que tu parois peu à ma vue, quand je te regarde par cet endroit! Ouvrons les yeux à cette lumière; laissons, laissons réjouir le monde, et ne lui envions pas sa prospérité. Elle passe et le monde passe; elle fleurit avec quelque honneur dans la confusion de ce siècle, viendra le temps du discernement. « Vous la dissiperez, ô Seigneur, comme un songe de ceux qui s'éveillent; et pour confondre vos ennemis, vous détruirez leur image en votre cité : » In civitate tuâ imaginent ipsorum ad nihilum rediges (2). Qu'est-ce à dire, vous détruirez leur image? C'est-à-dire : Vous détruirez leur félicité, qui n'est pas une félicité véritable, mais une ombre fragile de félicité ; vous la briserez ainsi que du verre, et vous la briserez en votre cité, in civitate tuâ; c'est-à-dire devant vos élus, afin que l'arrogance des enfants des hommes demeure éternellement confondue.

Par conséquent, ô juste, ô fidèle, recherche uniquement les biens véritables que Dieu ne donne qu'à ses serviteurs ; apprends à mépriser les biens apparents, qui bien loin de nous faire heureux, sont souvent un commencement de supplice. Oui, cette félicité des enfants du siècle, lorsqu'ils nagent dans les plaisirs illicites, que tout leur rit, que tout leur succède ; cette paix, ce repos que nous admirons, « qui selon l'expression du Prophète fait sortir l'iniquité de leur graisse, » Prodiit quasi ex adipe iniquitas

 

1 Isai., lv, 8. — 2 Psal. LXXII, 20.

 

(a) Var. : O voies de Dieu bien contraires aux voies des hommes !

 

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eorum (1), qui les enfle, qui les enivre jusqu'à leur faire oublier la mort : c'est un supplice, c'est une vengeance que Dieu commence d'exercer sur eux; cette impunité, c'est une peine qui les précipite au sens réprouvé, qui les livre aux désirs de leur cœur, leur amassant ainsi un trésor de haine dans ce jour d'indignation, de vengeance et de fureur éternelle. N'est-ce pas assez pour nous écrier avec l'incomparable Augustin : Nihil est infelicius felicitate peccantium, quâ pœnalis nutritur impunitas et mala vohmtas quasi hostis interior roboraturi : « Il n'est rien de plus misérable que la félicité des pécheurs qui entretient une impunité qui tient lieu de peine, et fortifie cet ennemi domestique, je veux dire la volonté déréglée, » en contentant ses mauvais désirs. Mais si nous voyons par là, chrétiens, que la prospérité peut être une peine, ne pouvons-nous pas faire voir aussi que l'affliction peut être un remède? Ainsi notre première partie ayant montré à l'homme de bien qu'il doit considérer sans envie les enfants du siècle qui se réjouissent, nous lui ferons voir dans le second point qu'il doit tirer de l'utilité des disgrâces que Dieu lui envoie.

 

SECOND  POINT.

 

Donc, fidèles, pour vous faire voir combien les afflictions sont utiles, connaissons premièrement quelle est leur nature ; et disons que la cause générale de toutes nos peines, c'est le trouble qu'on nous apporte dans les choses que nous aimons. Or nous pouvons y être troublés en trois différentes manières, qui me semblent être comme les trois sources d'où découlent toutes les misères dont nous nous plaignons. Premièrement on nous inquiète quand on nous refuse ce que nous aimons. Car il n'est rien de plus misérable que cette soif qui jamais n'est rassasiée, que ces désirs toujours suspendus qui courent éternellement sans rien prendre. On ne peut assez exprimer combien l’âme est travaillée par ce mouvement. Mais on l'afflige beaucoup davantage, quand on la trouble dans la possession du bien qu'elle tient, « parce que, dit saint Augustin (3), quand elle possède ce qu'elle aimait, comme les

 

1 Psal. LXXII, 7. — 2 Ep. CXXXVIII, ad Marcell., n. 14. — 3 De lib. Arbit., lib. I, cap. XV, n. 33.

 

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honneurs, les richesses , elle se l'attache à elle-même par la joie qu'elle a de l'avoir, elle se l'incorpore en quelque façon, si je puis parler de la sorte; cela devient comme une partie de nous-mêmes, et pour dire le mot de saint Augustin, comme un membre de notre cœur ; » de sorte que si on vient à nous l'arracher, aussitôt le cœur en gémit; il est tout déchiré, tout ensanglanté par la violence qu'il souffre. La troisième espèce d'affliction qui est si ordinaire dans la vie humaine, ne nous ôte pas entièrement le bien qui nous plaît ; mais elle nous traverse de tant de côtés, elle nous presse tellement d'ailleurs, qu'elle ne nous permet pas d'en jouir. Vous avez acquis de grands biens, il semble que vous deviez être heureux ; mais vos continuelles infirmités vous empêchent de goûter le fruit de votre bonne fortune : est-il rien de plus importun? C'est avoir le verre en main et ne pouvoir boire, bien que vous soyez tourmenté d'une soif ardente ; et cela nous cause un chagrin extrême.

Voilà les trois genres d'afflictions qui produisent toutes nos plaintes : n'avoir pas ce que nous aimons, le perdre après l'avoir possédé, le posséder sans en goûter la douceur à cause des empêchements que les autres maux y apportent. Si donc je vous fais voir, chrétiens, que ces trois choses nous sont salutaires, n'aurai-je pas prouvé manifestement que c'est un effet merveilleux de la bonté paternelle de Dieu sur les justes, de vouloir qu'ils soient attristés dans la vie présente, comme Jésus leur prédit dans notre évangile ? C'est ce que j'entreprends de montrer avec le secours de la grâce.

Et premièrement il nous est utile de n'avoir pas ce que nous aimons ; et c'est en quoi le monde s'abuse, qui voyant un homme qui a ce qu'il veut, s'écrie avec un grand applaudissement : Qu'il est heureux, qu'il est fortuné ! Il a ce qu'il veut ; est-il pas heureux? — Il est vrai, le monde le dit, mais l'Evangile de Jésus-Christ s'y oppose. Et la raison, c'est que nous sommes malades. Je vous nie, délicats du siècle, que la misère consiste à n'avoir pas ce que vous aimez; c'est plutôt à n'aimer pas ce qu'il faut, et de même la félicité n'est pas tant à posséder ce que vous aimez qu'à aimer ce qui le doit être.

 

 

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Pour entendre solidement cette vérité, remarquez que la félicité c'est la santé de l’âme. Nulle créature n'est heureuse si elle n'est saine ; et c'est la même chose à l'égard de l’âme qu'elle soit heureuse et qu'elle soit saine, à cause qu'elle est saine quand elle est dans une bonne constitution, et cela même la rend heureuse. Comparez maintenant ces deux choses, n'avoir pas ce que nous aimons et aimer ce qui ne doit pas être aimé ; et considérez lequel des deux rend l'homme plus véritablement misérable. Direz-vous que c'est n'avoir pas ce que vous aimez ? Mais quand vous n'avez pas ce que vous aimez, c'est un empêchement qui vient du dehors. Au contraire quand vous aimez ce qu'il ne faut pas, c'est un dérèglement au dedans. Le premier c'est une mauvaise fortune, il se peut faire que l'intérieur n'en soit point troublé ; le second est une maladie qui l'altère et qui le corrompt. Et puisqu'il n'y a point de bonheur sans la santé et le bon état du dedans, il s'ensuit que celui-là est plus malheureux qui aime sans une juste raison que celui qui aime sans un bon succès, parce qu'il est plus déréglé et par conséquent plus malade. Dans les autres maux, délivrez-moi ; mais où il y a du désordre et ensuite du péché, ah! guérissez-moi, s'écrie-t-il : c'est qu'il y a du dérèglement, et conséquemment de la maladie. D'où il résulte très-évidemment que le bonheur ne consiste pas à obtenir ce que l'on désire.

Cela est bon quand on est en bonne santé. On accorde à un homme sain de manger à son appétit ; mais il y a des appétits de malade qu'il est nécessaire de tenir en bride, et ce serait une opinion bien brutale d'établir la félicité à contenter les désirs irréguliers qui sont causés par la maladie. Or, fidèles, toute notre nature est remplie de ces appétits de malade, qui naissent de la faiblesse de notre raison et de la mortalité qui nous environne. N'est-ce pas un appétit de malade que cet amour désordonné des richesses, qui nous fait mépriser (a) les biens éternels? N'est-ce pas un appétit de malade que de courir après les plaisirs, et de négliger en nous la partie céleste pour satisfaire la partie mortelle? Et parce qu'il naît en nous une infinité de ces appétits de malade, de là vient que nous lisons dans les saintes Lettres que

 

(a) Var. : Négliger.

 

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Dieu se venge souvent de ses ennemis en satisfaisant leurs désirs. Etrange manière de se venger, mais qui de toutes est la plus terrible !

C'est ainsi qu'il traita les Israélites qui murmuraient au désert contre sa bonté. « Qui est-ce, disait ce peuple brutal, qui nous donnera de la chair? nous ne pouvons plus souffrir cette manne (1). » Dieu les exauça en sa fureur; et leur donnant les viandes qu'ils demandaient, sa colère en même temps s'éleva contre eux. C'est ainsi que, pour punir les plus grands pécheurs, nous apprenons du divin Apôtre (2) qu'il les livre à leurs propres désirs ; comme s'il disait : Il les livre entre les mains des bourreaux ou de leurs plus cruels ennemis. Que s'il est ainsi, chrétiens, comme l'expérience nous l'apprend assez, que nous nourrissons en nous-mêmes tant de désirs qui nous sont nuisibles et pernicieux, donc c'est un effet de miséricorde de nous contrarier souvent dans nos appétits, d'appauvrir nos convoitises qui sont infinies , en leur refusant ce qu'elles demandent; et le vrai remède de nos maladies, c'est de contenir nos affections déréglées par une discipline forte et vigoureuse, et non pas de les contenter par une molle condescendance. Vos autem contristabimini. En n'ayant pas ce que vous aimez, c'est la première peine qui vous est utile.

Mais, fidèle, il ne t'est pas moins salutaire qu'on t'enlève quelquefois ce que tu possèdes. Connaissons-le par expérience. Quand nous possédons les biens temporels, il se fait certains nœuds secrets qui engagent le cœur insensiblement dans l'amour des choses présentes; et cet engagement est plus dangereux en ce qu'il est ordinairement plus imperceptible. Le désir se fait mieux sentir, parce qu'il a de l'agitation et du mouvement; mais la possession assurée, c'est un repos, c'est comme un sommeil; on s'y endort, on ne le sent pas. C'est ce que dit l'apôtre saint Paul, que ceux qui amassent de grandes richesses «tombent dans les lacets,» incidunt in laqueum (3). C'est que la possession des richesses a des filets invisibles où le cœur se prend insensiblement. Peu à peu il se détache du Créateur par l'amour désordonné de la créature, et

 

1 Num., XI, 4, 6; Psal. LXXVII, 21, 27, 31. — 2 Rom., I, 24. — 3 I Timoth., VI, 9.

 

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à peine s'aperçoit-il de cet attachement vicieux. Mais qu'on lui dise que cette maison est brûlée, que cette somme est perdue sans ressource par la banqueroute de ce marchand, aussitôt le cœur saignera, la douleur de la plaie lui fera sentir « combien ces richesses étaient fortement attachées aux fibres de l’âme, et combien il s'écartait de la droite voie par cet attachement excessif (a) : » Quantum amando deliquerint, perdendo senserunt, dit saint Augustin (1). Il verra combien ces richesses pouvaient être plus utilement employées ; et qu'enfin il n'a rien sauvé de tous ses grands biens que ce qu'il a mis en sûreté dans le ciel, l'y faisant passer par les mains des pauvres; il ouvrira les yeux aux biens éternels qu'il commençait déjà d'oublier ; ainsi ce petit mal guérira les grands, et sa blessure sera son salut.

Mais si Dieu laisse à ses serviteurs quelque possession des biens de la terre, ce qu'il peut faire de meilleur pour eux, c'est de leur en donner du dégoût, de répandre mille amertumes secrètes sur tous les plaisirs qui les environnent, de ne leur permettre jamais de s'y reposer, de secouer et d'abattre cette fleur du monde qui leur rit trop agréablement, de leur faire naître des difficultés, de peur que cet exil ne leur plaise et qu'ils ne le prennent pour la patrie ; de piquer leur cœur jusqu'au vif, pour leur faire sentir la misère de ce pèlerinage laborieux, et exciter leurs affections endormies à la jouissance des biens véritables. C'est ainsi qu'il vous faut traiter (b), ô enfants de Dieu, jusqu'à ce que votre santé soit parfaite : Vos autem contristabimini; cette convoitise, qui vous rend malades, demande nécessairement cette médecine. Il importe que vous ayez des maux à souffrir, tant que vous en aurez à corriger : il importe que vous ayez des maux à souffrir, tant que vous serez au milieu des biens où il est dangereux de se plaire trop. Si ces remèdes vous semblent durs, « ils excusent, dit Terlullien, le mal qu'ils vous font par l'utilité qu'ils vous apportent : » Emolumento curationis offensam suî excusant (2).

Mais admirez la bonté de notre Sauveur, qui de peur que vous soyez accablés, vous donne de quoi vous mettre au-dessus de tous

 

1 De Civit. Dei, lib. I, cap. X. — 2 De Pœnit., n. 10.

 

(a) Var. : Vicieux. — (b) Pour : Qu'il faut vous traiter.

 

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les malheurs de la vie. Et quel est ce secours qu'il vous donne? C'est une espérance assurée que la joie de l'immortalité bienheureuse suivra de près vos afflictions. Or il n'est rien de plus solide (a) que cette espérance appuyée sur la parole qui porte le monde, et si évidemment attestée par toute la suite de notre évangile. Attestée premièrement par la joie du siècle. Car si Dieu donne de la joie à ses ennemis, songez ce qu'il prépare à ses serviteurs; si tel est le contentement des captifs, quelle sera la félicité des enfants? Attestée en second lieu par la tristesse des justes. Car si tel est le plaisir de Dieu (b), que durant tout le cours de la vie présente la vertu soit toujours aux mains avec tant de maux qui l'attaquent ; si d'ailleurs, selon la règle immuable de la véritable sagesse, la guerre se fait pour avoir la paix, donc cette vertu qu'on met à l'épreuve enfin un jour se verra paisible, et ce Dieu qui l'a fait combattre lui donnera un jour la paix assurée. Et si nous apprenons de saint Paul (1) « que la souffrance produit l'épreuve ; » si lorsque le capitaine éprouve un soldat, c'est qu'il lui destine quelque bel emploi, console-toi, ô juste souffrant ; puisque Dieu t'éprouve par la patience, c'est une marque qu'il veut t'élever, et tu dois mesurer ta grandeur future par la difficulté de l'épreuve. Et c'est pourquoi l'Apôtre ayant dit que la souffrance produit l'épreuve, il ajoute aussitôt après que « l'épreuve produit l'espérance (2). »

Mais quelle parole pourrait exprimer quelle est la force de cette espérance? C'est elle qui nous fait trouver un port assuré parmi toutes les tempêtes de cette vie. C'est pourquoi l'Apôtre l'appelle notre ancre (3) : et de même que l'ancre empêche que le navire ne soit emporté, et quoiqu'il soit au milieu des ondes, elle l'établit sur la terre lui faisant en quelque sorte rencontrer un port parmi les vagues (c) dont elle est battue; ainsi quoique nous flottions encore ici-bas, l'espérance qui est l'ancre de notre âme nous donnera de la consistance, si nous la savons jeter dans le ciel.

Donc, ô justes (d), consolez-vous dans toutes les disgrâces qui

 

1 Rom., V, 3. — 2 Ibid., 4. — 3 Hebr., VI, 19.

 

(a) Var. : De mieux établi. — (b) Si c'est une loi établie que. — (c) Entre les ragues. — (d) O fidèles.

 

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vous arrivent; et quand la terre tremblerait jusqu'aux fonde-mens, quand le ciel se mêlerait (a) avec les enfers, quand toute la nature serait renversée, que votre espérance demeure ferme : le ciel et la terre passeront, mais la parole de celui qui a dit que notre tristesse sera changée en joie sera éternellement immuable; et quelque fléau qui tombe sur vous, ne croyez jamais que Dieu vous oublie. « Le Seigneur sait ceux qui sont à lui (1) ; et son œil veille toujours sur les justes (2). » Quoiqu'ils soient mêlés avec les impies, désolés par les mêmes guerres, emportés par les mêmes pestes, battus enfin des mêmes tempêtes, Dieu sait bien démêler les siens de cette confusion générale. Le même feu fait reluire l'or et fumer la paille : « Le même mouvement, dit saint Augustins, fait exhaler la puanteur de la boue et la bonne senteur des parfums; » et le vin n'est pas confondu avec le marc, quoiqu'ils portent tous deux le poids du même pressoir : ainsi les mêmes afflictions qui consument les méchants purifient les justes. Que si quelquefois les pécheurs prospèrent, s'ils tâchent quelquefois de faire rougir l'espérance de l'homme de bien par l'ostentation d'un éclat présent, disons-leur avec le grand saint Augustin (3) : « O herbe rampante, oserais-tu te comparer à l'arbre fruitier pendant la rigueur de l'hiver, sous le prétexte qu'il perd sa verdure durant cette froide saison, et que tu conserves la tienne? Viendra l'ardeur du grand jugement qui te desséchera jusqu'à la racine, et fera germer les fruits immortels des arbres que la patience aura cultivés. »

Méditons, méditons, fidèles, cette grande et terrible vicissitude : Le monde se réjouira, et vous serez tristes ; mais votre tristesse tournera en joie, et la joie du monde sera changée en un grincement de dents éternel. Ah! si ce changement est inévitable, loin de nous l'amour des plaisirs du monde ! Quand les enfants du siècle nous inviteront à leurs délices, à leurs débauches, à leurs autres joies dissolues, craignons de nous joindre à leur compagnie. L'heure de notre réjouissance n'est pas arrivée. « Pourquoi

 

1 II Timoth., II, 19. — 2 Psal. XXXIII, 16 — 3 De Civit. Dei, lib. I, cap. VIII. — 4 In Psal. XLVIII, serm. II, n. 3, 4.

 

(a) Var. : Se confondrait.

 

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m'invitent-ils, dit Tertullien (1)? Je ne veux point de part à leurs joies, parce qu'ils seront exclus de la mienne. » Il y a une vicissitude de biens et de maux; on y va par tour : il y a une loi établie, que nous expérimenterons tour à tour les biens et les maux. J'appréhende de me réjouir avec eux, de peur de pleurer un jour avec eux. C'est être trop délicat de vouloir trouver du plaisir partout. Il sied mal à un chrétien de se réjouir, pendant qu'il n'est pas avec Jésus-Christ. Si j'ai quelqu'affection pour ce divin Maître, il faut que je le suive en tous lieux; et avant que de me joindre à lui dans l'éternité de sa gloire, il faut que je l'accompagne du moins un moment dans la dureté de sa croix. Ce sont, fidèles, les sentiments avec lesquels vous devez gagner ce jubilé que je vous annonce. C'est ainsi que vous pourrez obtenir cette paix si ardemment désirée, et qui en est le véritable sujet. Car il n'est point d'oraison plus forte que celle qui part d'une chair mortifiée par la pénitence, et d'une âme dégoûtée des plaisirs du siècle.

 

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