Pentecôte II
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SECOND SERMON
POUR
LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE (a).

 

To Pneuma me sbennute

 

N’éteignez pas l’Esprit. I Thessal., V, 19.

 

Cette joie publique et universelle, qui se répand par toute la terre dans cette auguste solennité, avertit les chrétiens de se souvenir

 

(a) Exorde. — Chrétiens, destinés à la guerre et à la paix : preuves par l'Ecriture.

Esprit de l'Eglise. Chaque corps a son esprit. Fermeté et union.

Esprit courageux, esprit pacifique.

Premier point. — Chrétiens soldats.

Maximes de l'esprit de fermeté.

Esprit nous fait mépriser le monde, nous donne des idées plus hautes. Chacun agit suivant ses idées. Non autem spiritum hujus mundi accepimus, sed spiritum qui ex Deo est, ni sciamus quae à Deo donata sunt nobis (I Cor., II, 12). Idées que nous donne l'Esprit de Dieu.

Complaisance, cause du règne des vices. Inclination les commence. Complaisance les fait régner, les met dans le trône, leur donne force de lois auxquelles on ne peut pas résister. Tyrannie de la coutume.

Liberté des chrétiens au prix de leur sang. Christianus pecunià salvus est, sanguine empti, nullam remunerationem procapite debemus. (Tertullien.)

Eglise du temps des Apôtres.  Non possumus .........   Nulla ncessitas delinquendi.

Second point. Courage et fermeté ordinairement contraires à la tendresse. L'esprit de Dieu unit l'un et l'autre. Ferme et tendre. Esprit de christianisme est un esprit de société. Se considérer comme dans le corps. Envie.

Communauté de biens de l'Eglise. Nécessité d'assister les pauvres. Ananias et Saphira.

 

Prêché en 1661, chez les Carmélites du faubourg Saint-Jacques.

D'une part les interrogations Bans la particule ne, comme : « Voyez-vous pas? devons-nous pas? » dénoncent l'époque de Metz; d'un autre côté la noblesse du style et l'élévation des pensées révèlent l'époque de Paris : il faut donc admettre une date qui tienne comme intermédiaire à ces deux époques. L'écriture du manuscrit nous le commande pareillement ; car si elle a toute la beauté qui la distingue dans les chefs-d'œuvre, elle court encore d'un bord à l'autre de la page comme dans les coups d'essai. Enfin l'auteur parle, dans la péroraison, des malheurs qui désolaient la France en 1661 : «Quand je considère, fidèles, dit-il, les calamités qui nous environnent, la pauvreté, la désolation, le désespoir de misère tant de familles ruinées, il me semble que de toutes parts il s'élève un cri de misère à l'entour de nous, qui devrait nous fendre le cœur, » etc.

 

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venir que c'est eu ce jour que l'Eglise est née, et que nous sommes nés avec elle par la grâce de la nouvelle alliance. Il n'est point de nations si barbares, ni de peuples si éloignés qui ne soient invités par le Saint-Esprit à la fétu que nous célébrons. Si étrange que soit leur langage, ils pourront tous l'entendre aujourd'hui dans la bouche des saints apôtres ; et Dieu nous montre par ce miracle que cette Eglise si resserrée, que nous voyons naître en un coin du monde, remplira un jour tout l'univers et attirera tous les peuples , puisque déjà dès sa tendre enfance elle parle toutes les langues ; afin, Mesdames, que nous entendions que si la confusion de Babel les a autrefois divisées, la charité chrétienne les unira toutes, et qu'il n'y en aura point de si rude ni de si irrégulière en laquelle on ne prêche le Sauveur Jésus et les mystères de son Evangile. Que reste-t-il donc maintenant, sinon que participant de tout notre cœur à la joie commune de tout le monde, nous tâchions (a) de nous revêtir de l'esprit de cette église naissante, c'est-à-dire du Saint-Esprit même; après que nous aurons imploré sa grâce par l'intercession de Marie, qui le reçoit aujourd'hui avec tous les autres, mais qui était accoutumée dès longtemps à sa bienheureuse présence, puisqu'il était survenu en elle lorsque l'Ange la salua par ces mots : Ave.

 

Puisque cette sainte journée fait revoir à tous les fidèles la solennité bienheureuse en laquelle l'Esprit de Dieu se répandit avec abondance sur les disciples de Jésus-Christ et sur son Eglise naissante, je me persuade aisément, âmes saintes et religieuses, que rappelant en votre mémoire une grâce si signalées, vous aurez aussi préparé vos cœurs pour la recevoir en vous-mêmes, et pour être les temples vivants de ce Dieu qui descend sur nous. Que si je ne me trompe pas dans cette pensée, s'il est vrai, comme je l'espère (b), que le Saint-Esprit vous anime et que vous brûliez

 

(a) Var. : sinon que nous participions saintement à la joie..., et que nous tâchions . — (b) Comme je le présume.

 

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de ses flammes, que puis-je faire de plus convenable pour édifier votre piété que de vous exhorter, autant que je puis, à conserver cette ardeur divine, en vous disant avec l'Apôtre : Spiritum nolite extinguere : « Gardez-vous d'éteindre l'Esprit. » Car, mes Sœurs, ce divin Esprit qui est tombé sur les saints apôtres sous la forme visible du feu, se répand encore invisiblement dans tout le corps de l'Eglise; il ne descend pas sur la terre pour passer légèrement sur les cœurs ; il vient établir sa demeure dans la sainte société des fidèles : In vobis manebit (1). C'est pourquoi nous apprenons par les Ecritures qu'il y a un esprit nouveau (2), un esprit du christianisme et de l'Evangile dont nous devons tous être revêtus, et c'est cet esprit du christianisme que saint Paul nous défend d'éteindre. Il faut donc entendre aujourd'hui quel est cet esprit de la loi nouvelle qui doit animer tous les chrétiens; et pour le comprendre solidement, écoutez, non point mes paroles, mais les saints enseignements de l'Apôtre, que je choisis pour mon conducteur. Grand Paul, expliquez-nous ce mystère.

Nous voyons par expérience que chaque assemblée, chaque compagnie a son esprit particulier; et quand nos charges ou nos dignités nous donnent place dans quelque corps, aussitôt on nous avertit de prendre l'esprit de la compagnie dans laquelle nous sommes entrés. Quel est donc l'esprit de l'Eglise, dont notre baptême nous a faits les membres? et quel est cet esprit nouveau qui se répand aujourd'hui sur les saints apôtres, et qui doit se communiquer à tous les disciples de l'Evangile? Chrétiens, voici la réponse de l'incomparable Docteur des gentils : Non dedit nobis Deus spiritum timoris; sed virtutis et dilectionis (3) : « Sache, dit-il, mon cher Timothée, car c'est à lui qu'il écrit ces mots, que Dieu ne nous donne pas un esprit de crainte, mais un esprit de force et d'amour. » Par conséquent saint Paul nous enseigne que cet esprit de force et de charité, c'est le véritable esprit du christianisme.

Mais il faut entrer plus avant dans le sentiment de l'Apôtre; et pour cela remarquez, Messieurs, que la profession du christianisme a deux grandes obligations que Jésus-Christ nous a imposées.

 

1 Joan., XIV, 17. — 2 Ezech., XI, 19; XXXVI, 26. — 3 II Timoth., I, 7.

 

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Il oblige premièrement ses disciples à l'exercice d'une rude guerre ; il les oblige secondement à une sainte et divine paix. Il les prépare à la guerre, quand il les avertit en plusieurs endroits que tout le monde leur résistera; c'est pourquoi il veut qu'ils soient violents; et il les oblige à la paix, lorsque malgré ces contradictions il leur ordonne d'être pacifiques. Il les prépare à la guerre, quand il les envoie « au milieu des loups, » in medio luporum; et il les oblige a la paix, quand il veut qu'ils soient « des brebis, sicut oves (1). Il les prépare à la guerre, quand il dit dans son Evangile qu'il jette (a) un glaive au milieu du monde pour être le signal du combat : Non veni pacem mittere, sed gladium (2); et il les oblige à la paix, quand il promet d'allumer un feu pour être le principe de la charité : Ignem veni mittere in terram (3). Il y a donc une sainte guerre pour combattre contre le monde; et il y a une paix du christianisme, pour nous unir en Notre-Seigneur. Pour soutenir de si longs combats, nous avons besoin d'un esprit de force; et pour maintenir cette paix, l'esprit de charité nous est nécessaire. C'est pourquoi saint Paul nous enseigne que « Dieu ne nous donne pas un esprit de crainte, mais un esprit de force et de charité (4) ; » et tel est l'esprit du christianisme dont les apôtres ont été remplis.

En effet, considérons attentivement l'histoire de l'Eglise naissante : qu'y voyons-nous d'extraordinaire, et en quoi y remarquons-nous cet esprit du christianisme? En ces deux effets admirables, je veux dire en la fermeté invincible et en la sainte union de tous les fidèles. Et vous le verrez clairement, si vous voulez seulement entendre ce que saint Luc a dit dans les Actes : « Ils furent remplis de l'Esprit de Dieu : » Repleti sunt omnes Spiritu sancto; et de là qu'est-il arrivé? Deux choses que saint Luc a bien remarquées : Loquebantur cum fiduciâ (5) : premièrement « ils parlèrent avec fermeté; » voyez-vous pas cet esprit de force? Et il ajoute aussitôt après : « Et ils n'étaient tous qu'un cœur et qu'une âme; » Cor unum et anima una (6); et c'est l'esprit de la

 

1 Matth., X, 16. — 2 Ibid., 34. — 3 Luc, XII, 19. — 4 II Timoth., I, 7. — 5 Act., IV, 31.— 6 Ibid., 32.

 

(a) Var. : Quand il jette.

 

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charité. Voilà donc, et n'en doutez pas, quel est l'esprit du christianisme; voilà quel était l'esprit de nos pères : esprit courageux, esprit pacifique; esprit de fermeté et de résistance, esprit de charité et de douceur; esprit qui se met au-dessus de tout par sa force et par sa vigueur, « esprit qui se met au-dessous de tous par la condescendance de sa charité : » Per charitatem servite invicem (1). Tel est l'esprit de la loi nouvelle ; chrétiens, « ne l'éteignez pas : » Spiritum nolite extinguere (2) ; imitez l'Eglise naissante et la ferveur de ces premiers temps, dont je vous dois aujourd'hui proposer l'exemple; conservez cet esprit de force par lequel vous pourrez combattre le monde, conservez cet esprit d'amour pour vivre en l'unité de vos frères dans la paix du christianisme : deux points que je traite (a) en peu de paroles, avec le secours de la grâce.

 

PREMIER  POINT.

 

Disons donc avant toutes choses que les chrétiens doivent être forts, et que l'esprit du christianisme est un esprit de courage et de fermeté. Car si nous voyons dans l'histoire que des peuples se vantaient d'être belliqueux, parce que dès leur première jeunesse on les préparait à la guerre, on les durcissait aux travaux, on les accoutumait aux périls, combien devons-nous être forts, nous qui sommes dès notre enfance enrôlés par le saint baptême à une milice spirituelle, dont la vie n'est que tentation, dont tout l'exercice est la guerre, et qui sommes exposés au milieu du monde comme dans un champ de bataille, pour combattre mille ennemis découverts et mille ennemis invisibles ! Parmi tant de difficultés et tant de périls qui nous environnent, devons-nous pas être munis (b) dans un esprit de force et de fermeté, afin d'être toujours immobiles, malgré les plaisirs qui nous tentent, malgré les afflictions qui nous frappent, malgré les tempêtes qui nous menacent ? Aussi voyons-nous dans les Ecritures que Dieu prévoyant les combats où il engageait ses fidèles, « leur ordonne de se renfermer et de demeurer en repos, jusqu'à ce qu'il les ait

 

1 Galat., V, 13. — 2 I Thess., V, 19.

 

(a) Var. : C'est ce que je traite. — (b) Nourris.

 

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vêtus de force : » Sedete in civitate, quoadusque induamini virtute ex alto (1) : leur montrant par cette parole que pour soutenir les efforts qui attaquent les enfants de Dieu en ce monde, il faut une fermeté extraordinaire.

C'est ce qui m'oblige, Messieurs, à vous proposer aujourd'hui trois maximes fondamentales de la générosité chrétienne, lesquelles vous verrez pratiquées dans l'histoire du christianisme naissant, et dans la conduite de ces grands hommes que le Saint-Esprit remplit en ce jour : voici quelles sont ces maximes, que je vous prie d'imprimer dans votre mémoire. Mépriser les présents du monde, ses richesses, ses biens, ses plaisirs, voilà la première maxime ; mais parce qu'en refusant les présents du monde on encourt infailliblement ses disgrâces, non-seulement mépriser ses biens, mais encore mépriser sa haine et ne pas craindre de lui déplaire, voilà la seconde maxime. Et comme sa haine étant méprisée , se tourne en une fureur implacable, non-seulement mépriser sa haine, mais sa rage, mais ses menaces, et enfin se mettre au-dessus des maux que la fureur la plus emportée peut faire souffrir à notre innocence, voilà la troisième maxime. C'est ce qu'il nous faut expliquer par ordre.

La première maxime de force que nous donne l'esprit du christianisme , c'est de mépriser les présents du monde ; et la raison en est évidente. Car c'est un principe très-indubitable que notre estime ou notre mépris suivent les idées dont nous sommes pleins et les espérances que l'on nous donne. Voyons donc de quelles idées nous remplit l'esprit du christianisme, et quels désirs il excite en nous. Il faut que vous l'appreniez de saint Paul par ces excellentes paroles qu'il adresse aux Corinthiens : Non enim spiritum hujus mundi accepimus : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde; » et par conséquent concluez que le chrétien véritable n'est pas plein des idées du monde. Quel esprit avons-nous reçu ? Sed Spiritum qui ex Deo est : « un Esprit qui est de Dieu, » dit saint Paul, et il en ajoute cette raison : « Afin que nous sachions, poursuit-il, toutes les choses que Dieu nous donne : » Ut sciamus quœ à Deo donata sunt nobis ». Quelles sont ces choses

 

1 Luc, XXIV, 49. — 2 I Cor., II, 12.

 

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que Dieu nous donne, sinon l'adoption des enfants, l'égalité avec les anges, l'héritage de Jésus-Christ, la communication de sa gloire, la société de son trône? Voilà quelles sont les idées que le Saint-Esprit imprime en nos âmes ; il y grave l'idée d'un bien éternel, d'un trésor qui ne se perd pas, d'une vie qui ne finit pas, d'une paix immuable et perpétuelle (a). Si je suis plein de ces grandes choses, et si j'ai l'esprit occupé d'espérances si relevées, puis-je estimer les présents du monde? Car, ô monde, qu'opposeras-tu à ces biens infinis et inestimables? Des plaisirs? Mais seront-ils purs? Des honneurs? Seront-ils solides? La faveur? Est-elle durable? La fortune? Est-elle assurée? Quelque grand établissement? Es-tu capable de m'en garantir une jouissance paisible, et me rendras-tu immortel pour posséder ces biens sans inquiétude ? Qui ne sait qu'il est impossible ? La figure de ce monde passe, tout ce que les hommes estiment n'est que folie et illusion (b) ; et l'Esprit de grâce que j'ai reçu me remplissant des grandes idées des biens éternels qui me sont donnés, m'a élevé au-dessus du monde, et ses présents ne me sont plus rien. Telle est la première maxime de la générosité chrétienne.

Mais, fidèles, ce n'est pas assez; si vous ne l'aimez pas, il vous haïra; ceux qui méprisent les présents du monde encourent

 

(a) Var. : (1ère réduction.) — Voici quelles sont ces maximes : mépriser les présents du monde, ses richesses, ses biens, ses plaisirs; non-seulement mépriser ses biens, mais encore mépriser sa haine et ne pas craindre de lui déplaire: non-seulement mépriser sa haine, mais sa rage, mais ses menaces, et enfin se mettre au-dessus des maux que la fureur la plus emportée peut faire souffrir à notre innocence, et c'est là le dernier effort de la fermeté chrétienne. C'est ce qu'il nous faut expliquer par ordre. La première maxime de force que nous donne le christianisme, c'est de mépriser les présents du monde ; et la raison en est évidente. Esprit du christianisme, quels désirs excitez-vous en nos âmes? que leur faites-vous espérer et de quelles idées les remplissez-vous? de l'idée d'un bien éternel, d'un trésor qui ne se perd pas, d'une vie qui ne finit pas, d'une paix immuable et perpétuelle. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul a dit une belle parole, écrivant aux Corinthiens : « Nous avons reçu un Esprit qui nous vient de la part de Dieu : » Spiritum qui ex Deo est. Et pourquoi l’avons-nous reçu? Voici la raison de l'Apôtre : Ut sciamus quœ à Deo donata sunt nobis : « C'est afin, dit-il, que nous connaissions toutes les choses que Dieu nous donne, a Quelles sont ces choses que Dieu nous donne, sinon l'adoption des enfants, l'égalité avec les anges, l'héritage de Jésus-Christ, la communication de sa gloire, la société de son trône ? Voilà quelles sont les idées que le Saint-Esprit imprime en nos âmes : Ut sciamus quœ à Deo donata sunt nobit. Si je suis plein de ces grandes choses, et si j'ai l'esprit occupé d'espérances si relevées, etc.— (b) Vanité.

 

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failliblement sa disgrâce; et il faut ou s'engager avec lui en recevant ses faveurs, ou rompre ouvertement ses liens, et ne pas craindre de lui déplaire, et c'est la seconde maxime de l'esprit du christianisme. Car c'est une vérité très-constante, que jamais les hommes ne produiront rien qui soit digne de l'Evangile et de l'esprit de la loi nouvelle, tant qu'on n'aura pas le courage de renoncer à la complaisance, et de se résoudre à déplaire aux hommes. En effet, considérez, chrétiens, les lois tyranniques et pernicieuses que le monde nous a imposées contre les obligations de notre baptême. N'est-ce pas le monde qui dit que de pardonner, c'est faiblesse, et que c'est manquer de courage que de modérer son ambition ? N'est-ce pas le monde qui veut que la jeunesse coure aux voluptés, et que l'âge plus avancé n'ait de soin que pour s'établir, et que tout cède à l'intérêt? N'est-ce pas une loi du monde, qu'il faut nécessairement s'avancer, s'il se peut par les bonnes voies, sinon s'avancer par quelque façon, s'il le faut par la flatterie, s'il est besoin même par le crime? N'est-ce pas ce que dit le monde, ne sont-ce pas ses lois et ses ordonnances? Et pourquoi sont-elles suivies? D'où leur vient cette autorité qu'elles se sont acquises par toute la terre ? Est-ce de la raison, ou de la justice? Mais Jésus-Christ les a condamnées, et il a donné tout son sang pour nous délivrer de leur servitude. D'où vient donc que ces lois maudites règnent encore par toute la terre, contre la doctrine de l'Evangile ? Je ne craindrai pas d'assurer que c'est la crainte de déplaire aux hommes, qui leur donne cette autorité (a).

Mais peut-être que vous jugerez (b) que ce n'est pas à la complaisance qu'il faut imputer tout ce crime, et qu'il en faut aussi accuser nos autres inclinations corrompues. Non, mes Sœurs, je n'accuse qu'elle, et je m'appuie sur cette raison. Car je confesse facilement (c) que nos mauvaises inclinations nous jettent dans de mauvaises pratiques ; mais je nie que ce soient nos inclinations qui leur donnent la force de lois auxquelles on n'ose pas contredire (d). Ce qui les érige en force de lois, et ce qui contraint à les

 

(a) Var. : je ne craindrai pas d'assurer que c'est la complaisance qui les autorise. — (b) vous me direz. — (c) Chrétiens, je ne le nie pas, nos. — (d) Mais je nie que ce soient nos désirs déréglés qui érigent ces pratiques pernicieuses, honteuses, criminelles, en lois souveraines.

 

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suivre (a), par une espèce de nécessité, c'est la tyrannie de la

complaisance, parce qu'on a honte de demeurer seul, parce qu'on

n'ose pas s'écarter du chemin que l'on voit battu, parce qu'on

craint de déplaire aux hommes; et on dit pour toute raison :

C'est ainsi qu'on vit dans le monde, il faut faire comme les autres :

tellement que ces lois damnables (b) que le monde oppose au

christianisme, il faut quelqu'un pour les proposer et quelqu'un

pour les établir : nos inclinations les proposent, nos inclinations

les conseillent; mais c'est la crainte de déplaire aux hommes qui

leur donne l'autorité souveraine. C'est ce que prévoyait le divin

Apôtre, lorsqu'il avertit ainsi les fidèles : « Vous avez été achetés

d'un grand prix ; ne vous rendez pas esclaves des hommes : »

Nolite fieri servi hominum (1). En effet ne le sens-tu pas que tu te

jettes dans la servitude, quand tu crains de déplaire aux hommes

et quand tu n'oses résistera leurs sentiments, esclave volontaire

des erreurs d'autrui?

Chrétiens, ce n'est pas là notre esprit, ce n'est pas l'esprit du christianisme. Ecoutez l'apôtre saint Paul, qui nous dit avec tant de force : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde : » Non mim spiritum hujus mundi accepimus. Je ne croirai pas me tromper, si je dis que l'esprit du monde, dont l'Apôtre parle en ce lieu, c'est la complaisance mondaine, qui corrompt les meilleures âmes, qui minant peu à peu les malheureux restes de notre vertu chancelante, nous fait être de tous les crimes, non tant par inclination que par compagnie; qui au lieu de cette force invincible et de cette fermeté d'un front chrétien que la croix doit avoir durci contre toute sorte d'opprobres, les rend si tendres et si délicats que nous avons honte de déplaire aux hommes pour le service de Jésus-Christ. Mon Sauveur, ce n'est pas là cet Esprit que vous avez aujourd'hui répandu sur nous : Non enim spiritum hujus mundi accepimus, sed Spiritum qui ex Deo est. « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde pour être les esclaves des hommes; mais notre Esprit venant de Dieu même, » nous met

 

1 I Cor., VI, 20.

 

(a) Var. : Et ce qui fuit qu'où ne peut pas s'en défendre et qu'on est contraint à les suivre. — (b) Maudites.

 

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au-dessus de leurs jugements, et nous fait mépriser leur haine; et c'est la seconde maxime de la générosité du christianisme.

Mais il faut encore s'élever plus haut; et la troisième, qui me reste à vous proposer, va faire trembler tous nos sens et étonner toute la nature. Car c'est elle qui fait dire au divin Apôtre : « Qui est capable de nous séparer de la charité de Notre-Seigneur? Est-ce l'affliction ou l'angoisse? Est-ce la nudité ou la faim, la persécution ou le glaive ? Mais nous surmontons en toutes ces choses, à cause de celui qui nous a aimés : » In his omnibus superamus (1). Ainsi, que le monde frémisse, qu'il allume par toute la terre le feu de ses persécutions, la générosité chrétienne (a) surmontera sa rage impuissante; et je comprends aisément la cause d'une victoire si glorieuse, par une excellente doctrine que l'apôtre saint Jean nous enseigne, « que celui qui habite en nous est plus grand que celui qui est dans le monde : » Major est qui in vobis est quàm qui in mundo (2). Entendez ici, chrétiens, que celui qui est en nous, c'est le Saint-Esprit que Dieu a répandu en nos cœurs; et qui ne sait que cet Esprit tout-puissant est infiniment plus grand que le monde? Par conséquent, quoi qu'il entreprenne et quelques tourments qu'il prépare, le plus fort ne cédera pas au plus faible ; le chrétien généreux surmontera tout, parce qu'il est rempli d'un Esprit qui est infiniment au-dessus du monde (b).

Ce sont, mes Sœurs, ces fortes pensées qui ont si longtemps soutenu l'Eglise; elle voyait tout l'Empire conjuré contre elle; elle lisait à tous les poteaux et à toutes les places publiques les sentences épouvantables que l'on prononçait contre ses enfants; toutefois elle n'était pas effrayée; mais sentant l'Esprit dont elle était pleine, elle savait bien maintenir cette liberté glorieuse de professer le christianisme; et quoique les lois la lui refusassent, elle se la donnait par son sang. Car c'était un crime chez elle de se l'acquérir par une autre voie; et l'unique moyen qu'elle proposait pour secouer ce joug (c), c'était de mourir constamment. C'est pourquoi Tertullien s'étonne qu'il y eût des chrétiens assez

 

1 Rom., VIII, 35-37. — 2 I Joan., IV, 4.

(a) Var. : L'esprit généreux du christianisme. — (b) Plus fort que le monde.— (c) Surmonter ces lois tyranniques.

 

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lâches pour se racheter par argent des persécutions qui les menaçaient; et vous allez entendre des sentiments vraiment dignes de l'ancienne Eglise et de l'esprit du christianisme. Christianus pecuniâ salvus est, et in hoc nummos habet nepatiatur, dùm advenus Deum erit dives : « O honte de l'Eglise, s'écrie ce grand homme, un chrétien sauvé par argent, un chrétien riche pour ne souffrir pas! A-t-il donc oublié, dit-il, que Jésus s'est montré riche pour lui par l'effusion de son sang? » At enim Christus sanguine fuit dives pro illo (1). Ne vous semble-t-il pas qu'il lui dise : Toi, qui t'es voulu sauver par ton or, dis-moi, chrétien, où était ton sang? N'en avais-tu plus dans tes veines, quand tu as été fouiller dans tes coffres (a) pour y trouver le prix honteux de ta liberté? Sache qu'étant rachetés par le sang, étant délivrés par le sang, nous ne devons point d'argent pour nos vies, nous n'en devons point pour nos libertés; et notre sang nous doit garder celle que le sang de Jésus-Christ nous a méritée : Sanguine empti, sanguine mimerati, nullum nummum pro capite debemus ». Ceux qui vivent en cet esprit, ce sont, mes Sœurs, les vrais chrétiens, et ce sont les vrais successeurs de ces hommes incomparables que l'esprit de force remplit aujourd'hui (b). Car il est temps de venir à eux, et de vous montrer dans leurs actions ces trois maximes que j'ai expliquées.

Et premièrement regardez comme ils méprisent les présents du monde. Aussitôt qu'ils sont chrétiens, ils ne veulent plus être riches. Voyez ces nouveaux convertis, avec quel zèle ils vendent leurs biens, et comme ils se pressent autour des apôtres, « pour jeter tout leur argent à leurs pieds : » Ponebant ante pedes apostolorum (3). Où vous pouvez aisément connaître le mépris qu'ils font des richesses. Car comme remarque saint Jean Chrysostome (4), judicieusement à son ordinaire, ils ne les mettent pas dans les mains, mais ils les apportent aux pieds des apôtres ; et en voici la véritable raison. S'ils croyaient leur faire un présent honnête , ils les leur donneraient dans leurs mains; mais en les jetant à

 

1 De fug. in persecut., n. 12. — 2 Ibid. — 3 Act., IV, 35. — 4 In Act. Apost., hom. XI, n. 1; in Epist. ad Rom., hom. VII, n. 8.

 

(a) Var. : Toi qui as recours à tes coffres. — (b) En ce jour.

 

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leurs pieds, ne semble-t-il pas qu'ils nous veulent dire que ce n'est pas tant un présent qu'ils font qu'un fardeau inutile dont ils se déchargent (a) ? et tout ensemble n'admirez-vous pas comme ils honorent les saints apôtres? O apôtres de Jésus-Christ, c'est vous qui êtes les vainqueurs du monde; et voilà qu'on met à vos pieds les dépouilles du monde vaincu, ainsi qu'un trophée magnifique qu'on érige à votre victoire. D'où vient à ces nouveaux chrétiens un si grand mépris des richesses, sinon qu'ils commencent à se revêtir de l'esprit du christianisme, et que l'idée des biens éternels leur ôte l'estime des biens périssables? C'était la première maxime, mépriser les présents du monde. Je vois que vous admirez ces grands hommes, vous êtes étonnés de leur fermeté; toutefois tout ce que j'ai dit n'est qu'un faible commencement : nos braves et invincibles lutteurs ne sont pas entrés au combat; ils n'ont fait encore que se dépouiller, quand ils ont quitté leurs richesses (b) ; ils vont commencer à venir aux prises, en attaquant la haine du monde. C'est ici qu'il faut avoir les yeux attentifs.

Certainement, chrétiens, c'était une étrange résolution que de prêcher le nom de Jésus dans la ville de Jérusalem. Il n'y avait que cinquante jours que tout le monde criait contre lui : « Qu'on l'ôte, qu'on l'ôte, qu'on le crucifie (1) ! » Cette haine cruelle et envenimée vivait encore dans le cœur des peuples : prononcer seulement son nom, c'était choquer toutes les oreilles; le louer, c'était un blasphème ; mais publier qu'il est le Messie, prêcher sa glorieuse résurrection, n'était-ce pas porter les esprits jusqu'à la dernière fureur ? Tout cela n'arrête pas les apôtres : Oui, nous vous prêchons, disaient-ils, et « que toute la maison d'Israël le sache, que le Dieu de nos pères a ressuscité, et a fait asseoir à sa droite ce Jésus que vous avez mis en croix (c) (2). » Et parce qu'ils avaient cru s'excuser de la mort de cet innocent, en le livrant aux mains de Pilate, ils ne leur dissimulent pas que cette excuse augmente leur faute : « Car Pilate, disent-ils, a voulu le sauver,

 

1 Joan., XIX, 15. — 2 Act., II, 36.

 

(a) Var. : Que ce n'est pas un présent qu'ils font, mais un fardeau inutile..... — (b) Ils se sont dépouillés, ils ont déjà quitté leurs richesses, ils commencent a.....— (c) A la croix.

 

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et c'est vous qui l'avez perdu (1). » Et voyez comme ils exagèrent leur crime : « Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé la grâce d'un voleur et d'un meurtrier, et vous avez fait mourir l'auteur de la vie (2). » Est-il rien de plus véhément pour confondre leur ingratitude que de leur mettre devant les yeux toute l'horreur de cette injustice, d'avoir conservé la vie à celui qui l'ôtait aux autres par ses homicides, et tout ensemble de l'avoir ôtée à celui qui la donnait par sa grâce? Et pendant qu'ils disaient ces choses, combien voyaient-ils d'hommes irrités dont la rage frémissait contre eux ? Mais ces grandes âmes ne s'étonnaient pas, et c'était une des maximes de l'esprit qui les possédait, de ne pas craindre de déplaire aux hommes.

Passons maintenant plus avant, et voyons-leur vaincre les menaces de ceux dont ils ont méprisé la haine. C'est la dernière maxime. On les prend, on les emprisonne, on les fouette inhumainement, « on leur ordonne sous de grandes peines de ne plus prêcher en ce nom, » in nomine isto (3), (car, Messieurs, c'est ainsi qu'ils parlent ), en ce nom odieux au monde, et qu'ils craignent de prononcer (a), tant ils l'ont en exécration. A cela, que répondront les apôtres? Une parole toute généreuse : Non possumus (4) : « Nous ne pouvons pas, nous ne pouvons pas nous taire des choses dont nous sommes témoins oculaires. » Et remarquez ici, chrétiens, qu'ils ne disent point : Nous ne voulons pas ; car ils sembleraient donner espérance qu'on pourrait changer leur résolution ; mais de peur qu'on attende d'eux quelque chose indigne de leur ministère, ils disent tous d'une même voix (b) : Ne tentez pas l'impossible; Non possumus ; « Nous ne pouvons pas. » C'est ce qui confond leurs juges iniques.

C'est ici que ces innocents font le procès à leurs propres juges, qu'ils effraient ceux qui les menacent, et qu'ils abattent ceux qui les frappent (c). Car écoutez ces juges iniques, et voyez comme

 

1 Act., III, 13. — 2 Ibid., 14, 15. — 3 Act., IV, 17. — 4 Ibid., 20.

 

(a) Var. : In nomine isto, car, Messieurs, c'est ainsi qu'ils parlent, ils craignent de prononcer ce nom odieux. — (b) D'un commun accord. — (c) C'est ici que ces innocents font le procès à leurs propres juges, ceux qui commandent sont abattus, ceux qui menacent sont effrayés, ceux qui frappent sont frappés eux-mêmes.

 

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ils parlent entre eux dans leur criminelle assemblée. Quid faciemus hominibus istis (1)? « Que pouvons-nous faire à ces hommes? » Voici un spectacle digne de vos yeux. Dès la première prédication, trois mille hommes viennent aux apôtres, et touchés de pénitence, leur disent : « Nos chers frères, que ferons-nous? » Quid faciemus, viri fratres (2)? D'autre part les princes des prêtres, les scribes et les pharisiens les appellent à leur tribunal; là, étonnés de leur fermeté et ne sachant que résoudre , ils disent : « Que ferons-nous à ces hommes? » Quid faciemus hominibus istis ? Ceux qui croient et ceux qui contredisent, tous deux disent: « Que ferons-nous? » mais avec des sentiments opposés; les uns par obéissance, et les autres par désespoir; les uns le disent pour subir la loi, et les autres le disent de rage de ne pouvoir pas la donner. Avez-vous jamais entendu une victoire plus glorieuse? Il n'y a que deux sortes d'hommes dans la ville de Jérusalem, dont les uns croient, les autres résistent; ceux-là suivent les apôtres et s'abandonnent à leur conduite : Nos frères, que ferons-nous? ordonnez ; et ceux mêmes qui les contredisent, et qui veulent les exterminer, ne savent néanmoins que leur faire : Que ferons-nous à ces hommes? Ne voyez-vous pas qu'ils jettent leurs biens, et qu'ils sont prêts de donner leurs âmes? les promesses ne les gagnent pas, les injures ne les troublent pas, les menaces les encouragent , les supplices les réjouissent : Quid faciemus ? « Que leur ferons-nous? » O Eglise de Jésus-Christ, je n'ai plus de peine à comprendre que les tiens, en prêchant, en souffrant (a), en mourant, couvriront les tyrans de honte, et qu'un jour ta patience forcera le monde à changer les lois qui te condamnaient, puisque je vois que dès ta naissance tu confonds déjà tous les magistrats et toutes les puissances de Jérusalem par la seule fermeté de cette parole : Non possumus : « Nous ne pouvons pas. »

Mais, saints disciples de Jésus-Christ, quelle est cette nouvelle impuissance? Vous trembliez en ces derniers jours, et le plus hardi de la troupe a renié lâchement son Maître ; et vous dites maintenant : Nous ne pouvons pas. Et pourquoi ne pouvez-vous

 

1 Act., IV, 16. — 2 Ibid., II, 37.

 

(a) Var. : En endurant.

 

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pas? — C'est que les choses ont été changées; un feu céleste est tombé sur nous, une loi a été écrite en nos cœurs, un Esprit tout-puissant nous presse ; charmés de ses attraits infinis, nous nous sommes imposé nous-mêmes une bienheureuse nécessité d'aimer Jésus-Christ plus que notre vie; c'est pourquoi nous ne pouvons plus obéir au monde ; nous pouvons souffrir, nous pouvons mourir; mais nous ne pouvons pas trahir l'Evangile et dissimuler ce que nous savons : Non possumus ea quœ vidimus et audivimus non loqui (1).

Voilà, Messieurs, quels étaient nos pères; tel est l'esprit du christianisme, esprit de fermeté et de résistance, qui se met au-dessus des présents du monde, au-dessus de sa haine la plus animée (a), au-dessus de ses menaces les plus terribles. C'est par cet esprit généreux que l'Eglise a été fondée ; c'est dans cet esprit qu'elle s'est nourrie; chrétiens, ne l'éteignez pas : Spiritum nolite extinguere. Quand on tâche de nous détourner (b) de la droite voie du salut, quand le monde nous veut corrompre par ses dangereuses faveurs, et par le poison de sa complaisance, pourquoi n'osons-nous résister? Si nous nous vantons d'être chrétiens, pourquoi craignons-nous de déplaire aux hommes, et que ne disons-nous avec les apôtres ce généreux « Nous ne pouvons pas? » Mais l'usage de cette parole ne se trouve plus parmi nous; il n'est rien que nous ne puissions pour satisfaire notre ambition et nos passions déréglées. Ne faut-il que trahir notre conscience, ne faut-il qu'abandonner nos amis, ne faut-il que violer les plus saints devoirs que la religion nous impose, possumus, nous le pouvons ; nous pouvons tout pour notre fortune, nous pouvons tout pour nous agrandir; mais s'il faut servir Jésus-Christ, s'il faut nous résoudre de nous séparer de ces objets qui nous plaisent trop, s'il faut rompre ces attachements et briser (c) ces liens trop doux, c'est alors que nous commençons de ne rien pouvoir : Non possumus : « Nous ne pouvons pas. » Que sert donc de dire aujourd'hui à la plupart de mes auditeurs : « N'éteignez pas l'Esprit

 

1 Act., IV, 20.

(a) Var. : La plus échauffée. — (b) Quand on attaque notre constance. — (c) Rompre.

 

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de la grâce? » Il est éteint, il n'y en a plus; cet esprit de fermeté chrétienne ne se trouve plus dans le monde (a) ; c'est pourquoi les vices ne sont pas repris, ils triomphent, tout leur applaudit ; et de ce grand feu du christianisme, qui autrefois a embrasé tout le monde, à peine en reste-t-il quelques étincelles. Tâchons donc de les rallumer en nous-mêmes, ces étincelles à demi éteintes et ensevelies sous la cendre.

Chrétiens, quoi qu'on nous propose, soyons fermes en Jésus-Christ, et dans les maximes de son Evangile. Pourquoi veut-on vous intimider par la perte des biens du monde? Tertullien a dit un beau mot que je vous prie d'imprimer dans votre mémoire. Non admittit status fidei necessitates (1) : « La foi ne connaît point de nécessités. » Vous perdrez ce que vous aimez; est-il nécessaire que je le possède? votre procédé déplaira aux hommes; est-il nécessaire que je leur plaise? Votre fortune sera ruinée; est-il nécessaire que je la conserve? Et quand notre vie même serait en péril; mais l'infinie bonté de mon Dieu n'expose pas notre lâcheté à des épreuves si difficiles; quand notre vie même serait en péril, je vous le dis encore une fois, la foi ne connaît point de nécessités; il n'est pas même nécessaire que vous viviez (b), mais il est nécessaire que vous serviez Dieu (c) ; et quoi qu'on fasse, quoi qu'on entreprenne, que l'on tonne, que l'on foudroie, que l'on mêle le ciel avec la terre, toujours sera-t-il véritable qu'il ne peut jamais y avoir aucune nécessité de pécher, « puisqu'il n'y a parmi les fidèles qu'une seule nécessité, qui est celle de ne pécher pas : » Non admittit status fidei necessitates; nulla est necessitas delinquendi, quibus una est nécessitas non delinquendi (2). Méditons ces fortes maximes de l'Evangile de Jésus-Christ; mais ne songeons pas tellement à la fermeté chrétienne, que nous oubliions les tendresses de la charité fraternelle, qui est la seconde partie de l'esprit du christianisme.

1 De Cor., n. 11. — 2 Ibid.

(a) Var. : Parmi nous. — (b) Que je vive. — (c) Que je serve Dieu.

 

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SECOND  POINT.

 

Il pourrait sembler, chrétiens, que l'esprit du christianisme, en rendant nos pères plus forts, les aurait en même temps rendus moins sensibles, et que la fermeté de leur âme aurait diminué quelque chose de la tendresse de leur charité. Car soit que ces deux qualités, je veux dire la douceur et le grand courage, dépendent de complexions différentes, soit que ces hommes nourris aux alarmes, étant accoutumés de longtemps à n'être pas alarmés (a) de leurs périls, ni abattus de leurs propres maux, ne puissent pas être aisément émus (b) de tous les autres objets qui les frappent, nous voyons assez ordinairement que ces forts et ces intrépides prennent dans les hasards de la guerre je ne sais quoi de moins doux et de moins sensible, pour ne pas dire de plus dur et de plus rigoureux.

Mais il n'en est pas de la sorte de nos généreux chrétiens, ils sont fermes contre les périls ; mais ils sont tendres à aimer leurs frères, et l'Esprit tout-puissant qui les pousse sait bien le secret d'accorder de plus opposées (c) contrariétés. C'est pourquoi nous lisons dans les Ecritures que le Saint-Esprit forme les fidèles de deux matières bien différentes. Premièrement il les fait d'une matière molle (d), quand il dit par la bouche d'Ezéchiel : Dabo vobis cor carneum (1) : « Je vous donnerai un cœur de chair; » et il les fait aussi (e) de fer et d'airain, quand il dit à Jérémie : « Je t'ai mis comme une colonne de fer et comme une muraille d'airain : » Dedi te in columnam ferream et in murum œreum (2). Qui ne voit qu'il les fait d'airain, pour résister à tous les périls? et qu'en même temps il les fait de chair pour être attendris par la charité? Et de même que ce feu terrestre partage tellement sa vertu qu'il y a des choses qu'il fait plus fermes, et qu'il y en a d'autres qu'il rend plus molles, il en est à peu près de même de ce feu spirituel qui tombe aujourd'hui. Il affermit et il amollit, mais d'une façon extraordinaire, puisque ce sont les mêmes cœurs des disciples,

 

1 Ezech., XXXVI, 26. — 3 Jerem., I, 18.

 

(a) Var. : Touchés. — (b) Ne s'émeuvent pas aisément. — (c) De plus grandes. — (d) De chair. — (e) Secondement.

 

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qui semblent être des cœurs de diamant par leur fermeté invincible, qui deviennent des cœurs humains et des cœurs de chair par la charité fraternelle. C'est l'effet de ce feu céleste qui se repose aujourd'hui sur eux ; il amollit les cœurs des fidèles (a) ; il les a pour ainsi dire fondus, il les a saintement mêlés; et les faisant couler les uns dans les autres par la communication de la charité, il a composé de ce beau mélange cette merveilleuse unité de cœur, qui nous est représentée dans les Actes en ces mots : Multitudinis autem credentium erat cor unum et anima una (1) : « Dans toute la société des fidèles, il n'y avait qu'un cœur et une âme (b). » C'est ce qu'il nous faut expliquer.

Je pourrais développer en ce lieu les principes très-relevés de cette belle théologie, qui nous enseigne que le Saint-Esprit étant le lien éternel du Père et du Fils, c'est à lui qu'il appartenait d'être le lien de tous les fidèles (c) ; et qu'ayant une force d'unir infinie, il les a unis en effet (d) d'une manière encore plus étroite que n'est celle qui assemble les parties du corps. Mais supposant ces vérités saintes, et ne voulant pas entrer aujourd'hui dans cette haute théologie, je me réduis à vous proposer une maxime très-fructueuse de la charité chrétienne, qui résulte de cette doctrine ; c'est qu'étant persuadés par les Ecritures que nous ne sommes qu'un même corps par la charité, nous devons nous regarder, non pas en nous-mêmes, mais dans l'unité de ce corps, et diriger par cette pensée toute notre conduite à l'égard des autres. Expliquons ceci plus distinctement par l'exemple de cette Eglise naissante qui fait le sujet de tout mon discours.

Je remarque donc dans les Actes, où son histoire nous est rapportée, deux espèces de multitude : Quand le Saint-Esprit descendit, il se fit premièrement une multitude assemblée par le bruit et par le tumulte ; on entend du bruit, on s'assemble ; mais quelle est cette multitude? Voici comme l'appelle le texte sacré : « Une multitude confuse : » Convenit multitudo, et mente confusa est (2). Toutes les pensées y sont différentes; les uns disent : « Qu'est-ce

 

1 Act., IV, 32. —  2 Act., 11, 6, 12, 13.

 

(a) Var. : Disciples. — (b) Qu'un même cœur et une même âme. — (c) D'unir entre eux tous les chrétiens. — (d) En effet il les a unis.

 

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que ceci? les autres en font une raillerie : Ils sont ivres, » ils ne le sont pas; voilà une multitude confuse. Mais je vois quelque temps après une multitude bien autre, une multitude tranquille, une multitude ordonnée, où tout conspire au même dessein, « où il n'y a qu'un cœur et qu'une âme : » Multitudinis credentium erat cor unum et anima una. D'où vient, mes Sœurs, cette différence? C'est que dans cette première assemblée chacun se regarde en lui-même, et prend ses pensées ainsi qu'il lui plaît suivant les mouvements dont il est poussé; de là vient qu'elles sont diverses, et il se fait une multitude confuse, multitude tumultueuse. Mais dans cette multitude des nouveaux croyants, nul ne se regarde comme détaché, on se considère comme dans le corps où l'on se trouve avec les autres; on prend un esprit de société, esprit de concorde et de paix; et c'est l'esprit du christianisme qui fait une multitude ordonnée, où il n'y a qu'un cœur et une âme.

Qui pourrait vous dire, mes Sœurs, le nombre infini d'effets admirables que produit cette belle considération, par laquelle nous nous regardons, non pas en nous-mêmes, mais en l'unité de l'Eglise? Mais parmi tant de grands effets, je vous prie, retenez-en deux, qui feront le fruit de cet entretien. C'est qu'elle extermine deux vices qui sont les deux pestes du christianisme, l'envie et la dureté : l'envie qui se fâche du bien des autres, la dureté qui est insensible à leurs maux (a) ; l'envie qui nous pousse à ruiner nos frères, et l'esprit d'intérêt qui nous rend coupables de la misère qu'ils souffrent par un refus cruel (b).

Et premièrement, chrétiens, la malignité de l'envie n'est pas capable de troubler (c) les âmes qui savent bien se considérer dans cette unité de l'Eglise; et la raison en est évidente. Car l'envie ne naît en nos cœurs que du sentiment de notre indigence, lorsque nous voyons dans les autres ce que nous croyons qui nous manque. Or si nous voulons nous considérer dans cette unité de l'Eglise, il ne reste plus d'indigence; nous nous y trouvons infiniment riches, par conséquent l'envie est éteinte. Celle-là, dites-vous, a de grandes grâces, elle a des talents extraordinaires pour

 

(a) Var. : Qui ne veut pas ressentir leurs maux. — (b) La dureté qui nous rend complices de leur misère par le refus de la soulager. — (c) Toucher, gâter.

 

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la conduite spirituelle ; la nature qui s'en inquiète, croit que son éclat diminue le nôtre. Quels remèdes contre ces pensées, qui attaquent quelquefois les meilleures âmes? Ne vous regardez pas en vous-mêmes, c'est là que vous vous trouverez indigentes; ne vous comparez pas avec les autres, c'est là que vous verrez l'inégalité ; mais regardez et vous et les autres dans l'unité du corps de l'Eglise ; tout est à vous dans cette unité, et par la fraternité chrétienne tous les biens sont communs entre les fidèles. C'est ce que j'apprends de saint Augustin par ces excellentes paroles : Mes Frères, dit-il, ne vous plaignez pas s'il y a des dons qui vous manquent. « Aimez seulement l'unité, et les autres ne les auront que pour vous : « Si amas unitatem, etiam tibi habet quisquis in illâ habet (1). Si la main avait son sentiment propre, elle se réjouirait de ce que l'œil éclaire, parce qu'il éclaire pour tout le corps ; et l'œil n'envierait pas à la main ni sa force, ni son adresse qui le sauve lui-même en tant de rencontres. Voyez les apôtres du Fils de Dieu : autrefois ils étaient toujours en querelle au sujet de la primauté ; mais depuis que le Saint-Esprit les a faits un cœur et une âme, ils ne sont plus jaloux ni contentieux; ils croient tous parler avec (a) saint Pierre, ils croient présider avec lui ; et si son ombre guérit les malades, toute l'Eglise prend part à ce don et s'en glorifie en Notre-Seigneur. Ainsi, mes Frères, dit saint Augustin, ne nous regardons pas en nous-mêmes; aimons l'unité du corps de l'Eglise, aimons-nous nous-mêmes en cette unité, les richesses de la charité fraternelle suppléeront le défaut de notre indigence, et ce que nous n'avons pas en nous-mêmes nous le trouverons très-abondamment dans cette unité merveilleuse : Si amas unitatem, etiam tibi habet quisquis in illâ habet. Voilà le moyen d'exclure l'envie (b). Tolle invidiam, et tuum est quod habeo : tollam invidiam, et meum est quod habes (2). « Tout est à vous par la charité. » Dieu vous donne des grâces extraordinaires; ah! mon Frère, je m'en réjouis, j'y veux prendre part avec vous, j'en veux même jouir avec vous dans l'unité du corps de l'Eglise. L'envie

 

1 In Joan., tract. XXXII, n. 8. — 2  Loco mox cit.

 

(a) Var. : Par. — (b) Seulement, dit saint Augustin, ayons soin d'éloigner

 

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seule nous peut rendre pauvres, parce qu'elle seule nous peut priver (a) de cette sainte communication des biens de l'Eglise.

Mais si nous avons la consolation de participer aux biens de nos frères, quelle serait notre dureté si nous ne voulions pas ressentir leurs maux ? Et c'est ici qu'il faut déplorer le misérable état du christianisme. Avons-nous jamais ressenti que nous sommes les membres d'un corps? Qui de nous a langui avec les malades? Qui de nous a pâti avec les faibles? Qui de nous a souffert avec les pauvres? Quand je considère, fidèles, les calamités qui nous environnent, la pauvreté, la désolation, le désespoir de tant de familles ruinées , il me semble que de toutes parts il s'élève un cri de misère à l'entour de nous, qui devrait nous fendre le cœur, et qui peut-être ne frappe pas nos oreilles. Car, ô riche superbe et impitoyable, si tu entendais cette voix, pourrait-elle pas obtenir de toi quelque retranchement médiocre des superfluités de ta table ? pourrait-elle pas obtenir qu'il y eût quelque peu moins d'or dans ces riches ameublements dans lesquels tu te glorifies ? Et tu ne sens pas, misérable ! que la cruauté de ton luxe arrache l’âme à cent orphelins, auxquels la Providence divine a assigné la vie sur ce fonds.

Mais peut-être que vous me direz qu'il se fait des charités dans l'Eglise. Chrétiens, quelles charités ? quelques misérables aumônes , faibles et inutiles secours d'une extrême nécessité , que nous répandons d'une main avare, comme une goutte d'eau sur un grand brasier, ou une miette de pain dans la faim extrême. La charité ne donne pas de la sorte ; elle donne libéralement, parce qu'elle sent la misère, parce qu'elle s'afflige avec l'affligé, et que soulageant le nécessiteux, elle-même se sent allégée (b). C'est ainsi qu'on vivait dans ces premiers temps où j'ai tâché aujourd'hui de vous rappeler. Quand on voyait un pauvre en l'Eglise, tous les fidèles étaient touchés; aussitôt chacun s'accusait soi-même; chacun regardait la misère de ce pauvre membre affligé comme la honte de tout le corps, et comme un reproche sensible de la dureté des particuliers. C'est pourquoi ils mettaient leurs biens en commun, de peur que personne ne fût coupable de l'indigence

 

(a) Var. : Oter cette sainte... — (b) Elle sent qu'elle se soulage elle-même.

 

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de l'un (a) de ses frères (1). Et Ananias ayant méprisé cette loi que la charité avait imposée, il fut puni exemplairement comme un infâme et comme un voleur, quoiqu'il n'eût retenu que son propre bien (b) ; de là vient qu'il est nommé par saint Chrysostome « le voleur de son propre bien : » Rerum suarum fur (2). Tremblons donc, tremblons, chrétiens ; et étant imitateurs de son crime, appréhendons aussi son supplice.

Et que l'on ne m'objecte pas que nous ne sommes plus tenus à ces lois, puisque cette communauté ne subsiste plus. Car quelle est la honte de cette parole ? Sommes-nous encore chrétiens, s'il n'y a plus de communauté entre nous (c) ? Les biens ne sont plus en commun ; mais il sera toujours véritable que la charité est compatissante, que la charité regarde les autres. Les biens ne sont donc plus en commun par une commune possession ; mais ils sont encore en commun par la communication de la charité ; et la Providence divine, en divisant les richesses (d) aux particuliers, a trouvé ce nouveau secret de les remettre en commun par une autre voie, lorsqu'elle en commet la dispensation à la charité fraternelle, qui regarde toujours l'intérêt des autres.

Tel est l'esprit du christianisme : chrétiens, n'éteignez pas cet esprit ; et si tout le monde l'éteint, âmes saintes et religieuses, faites qu'il vive du moins parmi vous. C'est dans vos saintes sociétés que l'on voit encore une image de cette communauté chrétienne que le Saint-Esprit avait opérée. C'est pourquoi vos maisons ressemblent au ciel ; et comme la pureté que vous professez vous égale en quelque sorte aux saints anges, de même ce qui unit vos esprits, c'est ce qui unit aussi les esprits célestes, c'est-à-dire un désir ardent de servir votre commun Maître : vous n'avez toutes qu'un même intérêt, tout est commun entre vous; et ce mot si froid de mien et de tien, qui a fait naître toutes les querelles

 

1 Act., V, 1 et seq. — 2 In Act. Apost., hom. XII, n. 1.

 

(a) Var. : De quelqu'un. — (b) Ananias et Saphira pour avoir retenu leur bien, sont punis comme s'ils l'avaient volé. Pureté du christianisme, qui nous enseigne que ce qui est à nous par droit n'est pas à nous par la charité. On peut être adultère de sa propre femme quand on la possède en intempérance, on peut être voleur de son propre bien quand on ne l'emploie pas par charité. — (c) Car il n'eu est pas de la sorte : nous ne serons pas chrétiens, quand il n'y aura plus de communauté entre nous. — (d) En laissant les biens.

 

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et tous les procès, est exclu de votre unité. Que reste-t-il donc maintenant, sinon qu'ayant chassé du milieu de vous la semence des divisions, vous y fassiez régner cet esprit de paix, qui sera le nœud de votre concorde, l'appui immuable de votre foi, et le gage de votre immortalité ? Amen.

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