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TROISIÈME SERMON
POUR
LE JOUR DE LA PENTECOTE (a).
Cùm tenerit Paracletus, arguet mundum de peccato.
Quand l'Esprit de vérité viendra, il convaincra le monde de
péché. Joan., XVI, 8.
Comme les hommes ingrats ont
péché dès le commencement (b) du monde contre Dieu qui les a créés, Dieu
aussi les a convaincus de péché dès le commencement du monde. Il a convaincu les
pécheurs (c), lorsqu'il a chassé nos premiers parents du paradis de
délices; lorsqu'écoutant la voix du sang d'Abel, il a fait errer par tout
l'univers le parricide Caïn, toujours fugitif et toujours tremblant; lorsque par
un déluge universel il a puni une corruption universelle. Dieu a repris les
pécheurs d'une manière plus convaincante (d), lorsqu'il a donné sa loi à
son peuple par l'entremise de Moïse, et lorsque dans l'Ancien Testament il a
exercé tant
(a) Prêché en 1672, à Saint-Germain, devant la
reine Marie-Thérèse.
Dans la péroraison, l'orateur dit : « Ce grand royaume que
le roi a mis entre vos mains avec une confiance si absolue. » Et un peu plus
loin : « Puissions-nous bientôt changer eu actions de grâces les vœux continuels
que nous faisons pour votre heureux accouchement! » Or la reine donna un nouveau
prince à la France en 1672 et fut nommée régente du royaume la même année, comme
le roi devait partir pour la guerre de Hollande. La Gazette de France dit
aussi que l'évêque de Condom prêcha le jour de la Pentecôte, en 1672, à
Saint-Germain, devant la reine, «avec beaucoup d'éloquence et
d'applaudissements. » Enfin les passages abrégés qu'on trouve dans notre
discours, indiquent une époque où le prédicateur était sûr de lui-même et de sa
parole.
(b) Var.: Dès l'origine. — (c) Il a
convaincu le monde de péché. —(d) Il a convaincu les pécheurs par une
lumière plus claire.
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de fois une justice si rigoureuse contre ceux qui ont
transgressé (a) une loi si sainte et si juste. Comme les hommes avaient
rejeté ce que Dieu avait commandé par la bouche de Moïse et des prophètes, il a
enfin envoyé son propre Fils, qui est venu en personne pour condamner les péchés
du monde, et par sa doctrine céleste, et par l'exemple fie sa vie irréprochable,
et par une autorité qui est autant au-dessus de celle de Moïse et des prophètes
que la dignité du fils surpasse la condition des serviteurs. Après que le Père
et le Fils avaient condamné les pécheurs, il fallait que le Saint-Esprit vînt
encore les convaincre; et Jésus-Christ nous enseigne qu'il est descendu en ce
jour pour accomplir cet ouvrage : « Quand cet Esprit, dit-il, sera venu, il
convaincra le monde de péché. » J'ai dessein de vous expliquer ce qu'a fait
aujourd'hui le Saint-Esprit pour convaincre les pécheurs, quelle est cette façon
particulière de reprendre les péchés, qui lui est attribuée dans notre évangile,
et de quel châtiment sera suivie une conviction si manifeste. Mais pour traiter
avec fruit (b) une matière si importante, j'ai besoin des lumières de ce
même Esprit, que je vous prie de demander avec moi par l'intercession de la
sainte Vierge. Ave.
L'ouvrage du Saint-Esprit, celui
que les saintes Ecritures lui attribuent en particulier, c'est d'agir
secrètement dans nos cœurs (c), de nous changer au dedans, de nous
renouveler dans l'intérieur et de réformer par ce moyen nos actions extérieures.
J'ai dessein de vous faire voir que l'opération du Saint-Esprit dans les apôtres
et dans les premiers chrétiens, convainc le monde de péché. Mais comme nous ne
connaissons ce qui se passe dans les cœurs que par les œuvres (d), et
qu'il serait malaisé de vous faire ici le dénombrement de tous les effets de la
grâce, je m'attacherai , Messieurs, à deux effets principaux que la grâce du
Saint-Esprit produit dans les hommes qu'elle renouvelle, et qui ont éclaté
principalement après la descente du Saint-Esprit dans les premiers chrétiens et
dans l'Eglise naissante.
(a) Var. : Méprisé. — (b)
Fructueusement : heureusement. — (c) Dans les cœurs. — (d) Les
effets.
340
Les hommes naturellement se
laissent amollir par les plaisirs, ou affaiblir par la crainte et par la
douleur. Mais ces hommes spirituels que le Saint-Esprit a formés, je veux dire
les apôtres, les premiers fidèles timides auparavant, ils ont abandonné
lâchement leur Maître par une fuite honteuse, et le plus hardi de tous a eu la
faiblesse de le renier. Aujourd'hui que le Saint-Esprit les a revêtus de force,
ce sont des hommes nouveaux, que ni la crainte, ni la douleur, ni les plus dures
épreuves, ni la violence des coups, ni l'indignité des affronts ne sont plus
capables d'émouvoir, et d'empêcher de rendre (a) à la face de tout
l'univers un glorieux témoignage à Jésus-Christ ressuscité. Tel est le premier
caractère des hommes spirituels que je dois aujourd'hui vous représenter : ils
sont pleins d'un esprit de force, qui triomphe du monde et de sa puissance.
Mais voici un second effet qui
n'est pas moins merveilleux. Au lieu qu'on voit ordinairement les hommes si
attachés à leurs intérêts, que pourvu qu'ils soient à leur aise (b), ils
regardent les maux des autres avec une souveraine tranquillité, les apôtres et
les premiers chrétiens, ces créatures nouvelles que le Saint-Esprit a formées,
attendris par la charité qu'il a répandue dans les cœurs, ne sont plus « qu'un
cœur et qu'une âme : » Cor unum et anima una (1), comme il est écrit dans
les Actes; et touchés des maux qu'endurent les pauvres, ils ne craignent
pas de vendre leurs biens, pour établir parmi eux une communauté bienheureuse.
Tels sont les deux caractères dont le Saint-Esprit a marqué les hommes qu'il
forme en ce jour. Invincibles, inébranlables, insensibles en quelque sorte à
leurs propres maux par l'esprit de force qui les a remplis, sensibles aux maux
de leurs frères par les entrailles de la charité fraternelle, ils condamnent
notre faiblesse qui ne veut rien souffrir pour l'amour de Dieu, ils convainquent
notre dureté qui nous rend insensibles aux maux de nos frères. Ainsi par
l'opération du Saint-Esprit le monde est convaincu de péché. Considérons
attentivement cette double conviction; et
(a) Var. : Que ni la crainte, ni la douleur,
ni les plus rudes extrémités ne peuvent plus empêcher de rendre... — (b)
En repos.
1 Act., IV, 32.
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voyons avant toutes choses notre faiblesse condamnée par
cet esprit de force et de fermeté qui paraît dans les apôtres et dans l'Eglise
naissante.
PREMIER POINT.
Que l'esprit du christianisme
soit un esprit de courage et de force, un esprit de fermeté et de vigueur, nous
le comprendrons aisément, si nous considérons que la vie chrétienne est un
combat continuel. Double combat, double guerre, comme dans un champ de bataille,
pour combattre mille ennemis découverts et mille ennemis invisibles. Si la vie
chrétienne est un combat continuel, donc l'esprit du christianisme est un esprit
de force. Persécution au dehors, persécution intérieure. La nature contre la
grâce. La chair contre l'esprit. Les plaisirs contre le devoir. L'habitude (a)
contre la raison. Les sens contre la foi. Les attraits présents contre
l'espérance. L'usage corrompu du monde contre la pureté de la loi de Dieu. « Qui
ne sent point ce combat, dit saint Augustin, c'est qu'il est déjà vaincu, c'est
qu'il a donné les mains à l'ennemi qui règne sans résistance : » Si nihil in
te alteri resistit, vide totum ubi sit. Si spiritus tuus à carne contra
concupiscente non dissentit, vide ne forte carni ments tota consentiat : vide ne
forte ideo non sit bellum, quia pax perversa est (1). Qui suit le courant
d'un fleuve, n'en sent la rapidité que par la force qui l'emporte avec le
courant. Pouvons-nous vaincre dans ce combat, sans être revêtus d'un esprit de
force? C'est pour cela que le Fils de Dieu, sachant que la force et la fermeté
étaient comme le fondement de toute la vie chrétienne, a voulu faire paraître
cet esprit avec un si grand éclat dès l'origine du christianisme, (b)
Vous allez voir, chrétiens, de quelle sorte cet Esprit de
1 Serm. XXX, n. 4.
(a) Var. : La coutume.
(b) Note marg. : Dieu ayant choisi les
apôtres pour convaincre le monde par leur ministère de ce qu'il ne croyait pas
en son Fils, deux choses étaient nécessaires pour rendre leur déposition
convaincante : la première, que le fait dont ils déposaient fût constamment de
leur connaissance ; la seconde, qu'on fut assuré de la sincérité de leur cœur.
Vous verrez bientôt, chrétiens, combien l’opération du Saint-Esprit était
nécessaire pour ce grand ouvrage.
Pour établir le premier, Jésus-Christ leur avait paru. Vu,
touché, etc. C’était à la vérité un grand avantage qu'ils pussent dire au monde
: Non possumus quae vidimus et audivimus non loqui (Act., IV, 20). Mais
cela ne suffisait pas; car combien avaient-ils vu de miracles? Et cependant,
fui, tremblé, renié. Aussi leur défend-il de sortir, quoudusque induamini
virtute ex alto (Luc, XXIV, 49). Il faut pousser jusqu'à a mort ce
beau témoignage, cette importante déposition sur laquelle la foi de tout
l'univers devait un jour se reposer, sans varier, sans être affaiblis, lorsque
tous les intérêts cessent, que toutes les espérances humaines s'évanouissent.
Nos témoins mis à la torture contre l'ordinaire... La preuve est complète; le
Saint-Esprit a achevé la conviction. Cherchez, désirez ce qu'il faut pour rendre
un témoignage convaincant...
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force qui a rempli les apôtres, convainc d'infidélité , et
les Juifs qui n'ont pas cru à leur parole, et les chrétiens qui ont dégénéré de
leur fermeté : Arguet mundum de peccato..., quia non crediderunt in me
(1).
Simon, fils de Jonas, c'est-à-dire fils de la colombe,
régénéré au dedans par le Saint-Esprit, Simon que ce même Esprit rend digne
aujourd'hui du titre de Pierre par la fermeté qu'il vous donne, c'est à vous à
parler pour vos frères, puisque vous êtes le chef du collège apostolique. Parlez
donc, ô disciple, autrefois le plus hardi à promettre et le plus faible à
exécuter (a), qui vouliez mourir, disiez-vous, et qui reniiez trois fois
votre Maître ; c'est à vous à réparer votre faute. Il ne connaissait pas Jésus;
écoutez maintenant comme il prêche ce Jésus, l'objet de la haine publique. Mes
Frères, qu'il est changé ! Il n'était fort alors que par une téméraire confiance
en lui-même; aujourd'hui qu'il est fort par le Saint-Esprit, écoutez quelles
paroles ce divin Esprit met dans sa bouche : « Nous vous prêchons Jésus de
Nazareth, etc. Sache donc toute la maison d'Israël, que le Dieu de nos pères a
ressuscité et qu'il a fait asseoir à sa droite ce Jésus que vous avez crucifié
(2). Car Pilate, ajoute-t-il, l'a voulu sauver, l'ayant jugé innocent; mais
c'est vous qui l'avez mis en croix (3). » Et voyez comme il exagère leur crime :
« Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé la grâce d'un
voleur et d'un meurtrier, et vous avez fait mourir l'auteur de la vie (4). »
Quelle force ! quelle véhémence ! Car que peut-on imaginer de plus fort pour
confondre leur ingratitude que de leur remettre devant les yeux toute l'horreur
de cette injustice, d'avoir conservé la vie à Barabbas qui l'ôtait aux autres
par ses homicides, et tout ensemble de l'avoir ravie (b) à
1 Joan., XVI, 8, 9. — 2 Act.,
II, 22, 36. — 3 Act., III, 13. — 4 Ibid., 14, 15.
(a) Var. : Dans l'action. — (b) Otée.
343
Jésus qui l'offrait à tous par sa grâce? Non, mes Frères,
ce n'est pas un homme qui parle ; c'est le Saint-Esprit habitant en lui qui
convainc le monde de péché, parce qu'il n'a pas cru en Jésus-Christ.
Mais voyons passer les apôtres
des discours aux actions , du témoignage de la parole au témoignage des œuvres
et du sang : sans fierté, sans emportement, sans ces violents efforts que fait
une âme étonnée, mais qui s'excite par force, comme des hommes qui sentent la
force de la vérité qui se soutient de son propre poids, ibant gaudentes
(1). Quel est ce nouveau sujet de joie dans une si cruelle persécution? De ce
qu'on les avait jugés dignes, de quelle récompense, ou de quelle gloire? dignes
d'être maltraités et battus de verges pour le saint nom de Jésus. On les cite
encore une fois, on les cite devant le conseil des pontifes , on les met en
prison, on les bat de verges (a) par main de bourreau avec cruauté et
ignominie, on leur défend sur de grandes peines de ne plus prêcher en ce nom ;
car, Messieurs, c'est ainsi qu'ils parlent : Ne prêchez pas en ce nom, en ce nom
odieux au monde, et qu'ils craignent même de prononcer, tant ils l'ont en
exécration. A cela que répondront les apôtres? Une parole de force et de fermeté
: « Nous ne pouvons pas nous taire, ne pas dire ce que nous avons vu et ce que
nous avons ouï (2). » « Remarquez, dit ici saint Jean Chrysostome, de quelle
manière ils s'expriment. S'ils disaient simplement : Nous ne voulons pas; comme
la volonté de l'homme n'est que trop changeante (b), on aurait pu espérer
de vaincre leur résolution. Mais de peur qu'on n'attende d'eux quelque
foi-blesse indigne de leur ministère : Nous ne pouvons pas, disent-ils, et ne
tentez pas l'impossible : » Non possumus. Et pourquoi ne pouvez-vous pas?
n'êtes-vous pas les mêmes? — C'est que les choses ont été changées : un feu
divin (c) est tombé sur nous, une loi a été écrite en nos cœurs, un
Esprit tout-puissant nous fortifie et nous presse : touchés par ses divines
inspirations (d), nous nous sommes imposé nous-mêmes une bienheureuse
nécessite
1 Act., V, 41. — 2 Act., IV, 20.
(a) Var. : On les fouette. — (b) Trop
variable : trop muable. — (c) Céleste. — (d) Pressés de ses
divines inspirations.
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d'aimer Jésus-Christ plus que notre vie : c'est pourquoi
nous ne pouvons plus obéir au monde; nous pouvons souffrir, nous pouvons mourir;
mais nous ne pouvons plus trahir l'Evangile, ni dissimuler ce que nous savons
par des voies si indubitables : Non possumus.
Mais admirez, chrétiens,
l'efficace du Saint-Esprit dans cette parole : les pontifes et les magistrats du
temple, étourdis et frappés de cette réponse (a) comme d'un coup de
tonnerre, consultent ce qu'ils feront, et malgré toute leur fureur, elle arrache
cet aveu de leur impuissance ; car écoutez comme ils parlent : Quid faciemus
hominibus istis (1)? « Que ferons-nous à ces hommes? » Quel nouveau genre
d'hommes nous paraît ici! aussitôt qu'ils professent la foi de Jésus, ils
commencent à jeter leurs biens, et ils sont prêts à donner leurs âmes ; les
promesses ne les gagnent pas, les injures ne les troublent pas, les menaces les
encouragent, les supplices les réjouissent : Quid faciemus? « Que leur
ferons-nous? » Eglise de Jésus-Christ, je n'ai pas de peine à comprendre qu'en
prêchant, en souffrant, en mourant, tes fidèles couvriront un jour leurs tyrans
de honte, et que leur patience forcera le monde à changer les lois qui les
condamnaient, puisque je vois que dès ta naissance tu confonds tous les
magistrats et toutes les puissances de Jérusalem par la seule fermeté de cette
parole : Non possumus : « Nous ne pouvons pas. » Arguet mundum de
peccato : Il a donc convaincu le monde de n'avoir pas cru en Jésus-Christ;
mais ce même esprit nous va convaincre d'infidélité.
Car, mes Frères, je vous en
prie, pensez un peu à vous-mêmes; mais pensons-y tous ensemble, et rougissons
devant les autels de notre délicatesse. S'il est nécessaire d'avoir de la force
pour avoir l'esprit du christianisme, quand mériterons-nous d'être appelés
chrétiens, nous qui bien loin de rien endurer pour le Fils de Dieu qui a tant
enduré pour nous, nous nous piquons au contraire de n'être pas endurants ? Nous
nous faisons un honneur d'être délicats, et nous mettons une partie de cet
esprit de grandeur mondaine dans cette délicatesse ; sensibles au moindre mot et
offensés
1 Act., IV, 16.
(a) Var. : Les pontifes et les pharisiens
frappés de cette réponse.
345
à l'extrémité si on ne nous ménage avec précaution
non-seulement dans nos intérêts, mais encore dans nos fantaisies et dans nos
humeurs ; et comme si la nature même était obligée de nous épargner, nous nous
regardons, ce semble, comme des personnes privilégiées que les maux n'osent
approcher ; tant nous paraissons étonnés d'en souffrir les moindres atteintes,
n'osant presque nous avouer à nous-mêmes que nous sommes des créatures
mortelles; et ce qui est plus indigne encore, oubliant que nous sommes
chrétiens, c'est-à-dire des hommes qui ont professé dans le saint baptême
d'embrasser la croix de Jésus-Christ, d'éteindre en eux-mêmes l'amour des
plaisirs par la mortification de leurs sens et l'étude de la pénitence.
Venez, venez, chrétiens, qui
avez oublié le christianisme. Remontez à votre origine ; contemplez dans
l'établissement de l'Eglise quel est l'esprit du christianisme et de l'Evangile.
Approchez-vous des apôtres, et souffrez que le Saint-Esprit vous convainque
d'infidélité par leur exemple. Je dis d'infidélité; car qu'eussions-nous fait,
je vous prie, faibles et délicates créatures, si nous eussions vécu dans ces
premiers temps, « où il fallait, dit Tertullien (1), acheter au prix de son sang
la liberté de professer le christianisme? » Que de chutes! que de faiblesses!
que d'apostasies !
Mais quoique ces sanglantes
persécutions soient cessées, une autre persécution s'est élevée dans l'Eglise
même. Persécution du monde, ses maximes, ses lois tyranniques, l'autorité qu'il
se donne ; ses armes dans ses traits piquants, dans ses railleries... Qu'il faut
s'avancer nécessairement, s'il se peut, par les bonnes voies, sinon s'avancer
par quelque façon; s'il le faut, par des complaisances honteuses ; s'il est
besoin, même par le crime, et que c'est manquer de courage que de modérer son
ambition. Au reste à qui veut fortement les choses, nul obstacle n'est
invincible. Un génie appliqué perce tout, se fait faire place, arrive enfin à
son but. Ainsi, mon Sauveur, on s'applique tant aux espérances du monde, qu'on
oublie et son devoir et votre Evangile.
C'est encore une maxime du monde, que qui pardonne une
1 De fug. in persec., n. 12;
ad Scapul., n. 1.
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injure en attire une autre, qu'il se faut venger pour se
faire craindre ; dissimuler quelquefois par nécessité, mais éclater quand on
peut par quelque coup d'importance; bon ami, bon ennemi ; servir les autres dans
leurs passions pour les engager dans les nôtres. Et quand achèverais-je ce
discours? etc.
Il est vrai, ces dangereuses
maximes ont leur principe caché dans nos inclinations corrompues ; mais c'est
l'usage du monde qui les érige en lois souveraines, qu'on n'ose pas contredire.
Car pour abattre ceux qui lui résistent, le monde est armé de traits piquants,
je veux dire de railleries, tantôt fines, tantôt grossières; les unes plus
accablantes par leur insolence outrageuse (a), les autres plus
insinuantes parleur apparente douceur. Voyez jusqu'à quel point le monde veut
triompher de Jésus-Christ; il pousse sa victoire jusqu'à l'insulte, tant il la
croit pleine et entière ; et il se moque hautement de ceux qui résistent, comme
s'il avait tellement raison qu'on ne put lui résister sans extravagance. Que la
foi lui paraît simple et malhabile ! que la sincérité lui paraît grossière ! que
la piété chrétienne lui semble être de l'autre monde ! que la vertu est faible à
ses yeux avec ses mesures réglées, avec ses lois contraignantes (b) ! Qui
l'eût cru, qui l'eût pensé, qu'au milieu du christianisme on eût honte de la
piété ? Le monde ne menace point de nous bannir ; mais l'abandon est quelque
espèce d'exil. Il ne fait pas mourir; mais il ôte les plaisirs et les honneurs,
sans lesquels la vie nous serait à charge, (c) Ainsi une âme bien née,
qui peut-être entrait dans le monde avec de bonnes inclinations, est entraînée
par nécessité, ou dans la fausse galanterie sans laquelle on n'a point d'esprit,
ou dans des pensées ambitieuses sans lesquelles on n'est pas du monde.
Dans cette dépravation générale,
on ne sait qui corrompt les autres ; nous nous corrompons mutuellement, et
chacun est étourdi en particulier par le bruit que nous faisons tous ensemble :
ainsi nous sommes de tous les crimes, de toutes les médisances, de toutes les
railleries contre Dieu, contre le prochain, moins par inclination que par
complaisance. Faibles créatures que nous
(a) Var. : Par leurs moqueries. — (b)
Avec son impuissante médiocrité. — (c) Note marg. : Ses traits
piquants. La vertu étouffée, accablée par les moqueries.
347
sommes, quand dirons nous (a) avec les apôtres ce
généreux « Nous ne pouvons pas? » Mais cette vigueur chrétienne ne se trouve
plus parmi nous. Il n'est rien que nous ne puissions pour satisfaire notre
ambition et nos passions déréglées. Ne faut-il que trahir notre conscience, ne
faut-il que violer les plus saints devoirs que la religion nous impose, ne
faut-il qu'abandonner nos amis; Possumus, possumus ; nous le pouvons :
l'honneur du monde y résiste un peu; mais enfin on nous trouvera des expédients
: on tendra de loin des pièges subtils à sa simplicité innocente; il périra, et
il aura tort. C'en est fait : Possumus, nous le pouvons; nous pouvons
tout pour notre fortune, nous pouvons tout pour notre plaisir. Mais s'il faut
expier nos crimes par les saintes pratiques de la pénitence, s'il faut briser
ces liens trop doux, et abandonner ces occasions dans lesquelles notre intégrité
a tant de fois fait naufrage, tout nous devient impossible, nous ne pouvons.
S'il faut surmonter ce désir de plaire, qui nous rend esclaves volontaires des
erreurs d'autrui, malgré les nobles sentiments de la liberté chrétienne, et
contre le précepte de l'Apôtre , qui nous crie si hautement : « Vous avez été
achetés d'un grand prix, ne vous rendez pas esclaves des hommes (1), » tout nous
devient impossible. Le Saint-Esprit nous convainc de péché ; les apôtres et les
premiers chrétiens , dont nous nous glorifions en vain d'être les enfants, si
nous n'en sommes les imitateurs, confondent notre lâcheté et notre mollesse. Il
n'y a point d'excuse contre Jésus-Christ, il n'y a point de raison contre
l'Evangile. Ne dites plus désormais : Le monde le veut ainsi. La foi ne
reconnait point de pareilles nécessités. Y allât-il de la fortune, y allât-il de
la vie, y allât-il de l'honneur, que vous vous vantez faussement peut-être de
préférer à la vie ; dût le ciel se mêler avec la terre, et toute la nature se
confondre; « il ne peut jamais y avoir aucune nécessité de pécher, puisqu'il n'y
a parmi les fidèles qu'une seule nécessité, qui est celle de ne pécher pas : »
Nulla est necessitas delinquendi, quibus est necessitas non delinquendi
(2).
1 I Cor., VI, 20; VII, 23.— 2
Tertull. De Coron., n. 11.
(a) Var. : Quand disons-nous.
348
SECOND POINT.
Vous craignez peut-être,
Messieurs, que ces hommes intrépides aient (a) quelque chose de rude pour
les autres ; et il est assez ordinaire que ces âmes fortes que ni leurs périls
n'alarment, ni les maux qu'on leur fait sentir n'abattent, aient quelque chose
d'insensible et soient peu disposées à plaindre les autres. Au contraire le
chrétien , cet homme spirituel que je vous représente , que le Saint-Esprit a
rempli, compage charitatis summis simul et infimis junctus. La nature de
la charité. Unie à Dieu. Par son union, insensible pour elle-même ; par sa
dilatation, mêlée avec tous les autres. Exemple. Saint Paul (1) : « Que
faites-vous, pleurant et me brisant le cœur? Car, pour moi, je suis préparé
non-seulement à être lié, mais encore à souffrir la mort en Jérusalem. » Quelle
fermeté et quelle tendresse ! la mort ne l'étonné pas, et il ne peut voir
pleurer ses frères. Couler son sang, et non couler leurs larmes. Ce même saint
Paul : « Je sais avoir faim , je sais avoir soif (2), » etc. Quis infirmatur
(3), etc. Flere cum flentibus (4).
Raison profonde : ce qui nous
rend insensibles aux maux des autres, c'est d'être pleins de nous-mêmes :
enchanté de ses plaisirs, enivré du bon succès de ses espérances; tout va bien,
c'est assez, je suis à mon aise. (b) Or on s'aime toujours soi-même, et
on n'aime que soi-même, jusqu'à ce qu'on ait aimé quelque chose de plus que
soi-même ; et ce ne peut être que Dieu. Voulez-vous donc être capables d'aimer
sincèrement?.... Mais, Messieurs, qu'on ne me mêle point dans ce discours des
pensées profanes, ni des idées de cet amour qui ne doit pas même être nommé dans
cette chaire. Car appellerai-je aimer ce transport d'une âme emportée qui
cherche à se satisfaire, et qui de quelque nom qu'il s'appelle et de quelque
couleur qu'il se déguise, a toujours la sensualité pour son fond ? Je veux vous
apprendre un amour chaste, un amour sincère, un amour tendre par la chante. Mais
il faut un objet au-dessus de nous, qui nous attire hors de nous; ce n'est
1 Act., XXI, 13. — 2 Philipp.,
IV, 12. — 3 II Cor., XI, 29. — 4 Rom.,
XII, 15.
(a) Var. : Vous croyez peut-être, Messieurs,
que ces hommes intrépides ont. — (b) Note marg. : Voyez IIe Carême
du Louvre, sermon sur l'amitié et la charité fraternelle.
349
pas assez, il faut une force intérieure qui nous pousse
hors de nous-mêmes, qui ébranlant jusqu'aux fondements cet amour-propre, nous
arrache à nous-mêmes : alors aimant Dieu plus que nous-mêmes, nous pourrons
devenir capables d'aimer le prochain comme nous-mêmes. C'est pourquoi ce divin
Esprit ayant rempli les apôtres, les ayant transportés hors d'eux-mêmes en les
attachant à Dieu par Jésus-Christ, ou plutôt à Dieu en Jésus-Christ (car
qu'est-ce que Jésus-Christ, sinon Dieu en nous, Dieu se donnant à nous? ) la
ligne de séparation étant ôtée, le parois mitoyen étant renversé, il a fait
cette bienheureuse unité de cœur : Multitudinis cor unum et anima una. Et
parce que Dieu est peu aimé, de là vient aussi que la charité fraternelle ne
paraît point sur la terre : Arguet mundum de peccato. Le monde n'aime
rien : (a) Habitatio tua in medio fraudis ; vir fratrem suum deridebit
(1). Esprit de moquerie secrète répandu dans le monde, etc. Je ne parle ici ni
des vengeances implacables, ni des inimitiés déclarées, ni des aigreurs
invincibles; je représente seulement les choses dont on ne fait pas même
scrupule, et qui font voir toutefois que ni l'amour de Dieu n'est en nous, ni la
charité fraternelle, ni enfin la moindre étincelle du Saint-Esprit, ni la
première teinture du christianisme.
Mais il y a deux péchés
principaux que le Saint-Esprit reprend, l'envie et l'esprit d'intérêt et
d'avarice. C'est convaincre l'infidélité des Juifs, que de l'attaquer ainsi par
la racine. Car la cause secrète et profonde qui a empêché les pharisiens, c'est
l'envie et l'intérêt; mais il reprend aussi les chrétiens.
« L'envie, le poison de tous les
cœurs : (saint Grégoire de Nazianze (2) ); la plus juste et la plus injuste de
toutes les passions : » la plus injuste sans doute, car elle attaque les
innocents; mais la plus juste tout ensemble, car elle punit le coupable, et fait
le juste et insupportable supplice de celui qui la nourrit dans son cœur.
Peut-elle subsister dans cette unité, si nous nous regardons comme un en
Jésus-Christ? Si la main a voit son sentiment propre, envierait-elle à l'œil de
ce qu'il éclaire, puisqu'il éclaire
1 Jerem., IX, 5, 6. — 2 Orat. XXVII, n. 8.
(a) Note marg. ; Voyez le même sermon et le discours
de l'amitié chrétienne.
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pour tout le corps ? et l'œil envierait-il à la main et sa
force et son adresse, qui l'a lui-même tant de fois sauvé? (a) Quel est
le sujet de votre envie? Elle plaît, elle est plus chérie. O Dieu , si vous
songiez ce que c'est que de plaire de cette sorte, et quel est le fond de ces
agréments ! Mais venons à quelque chose que le monde estime plus important. Vous
enviez à cet homme son élévation : s'il ne s'acquitte dignement d'un si grand
emploi, n'est-il pas plus digne de pitié que d'envie ? et pouvez-vous lui envier
une élévation qui découvre à tout l'univers ses faiblesses déplorables, ou ses
emportements furieux, ou ses ignorances grossières? Que s'il fait bien dans un
grand emploi, pourquoi portez-vous envie au soleil de ce qu'il vous éclaire avec
tous les autres? Venez plutôt profiter du bien qu'il fait à tout l'univers;
profitez de cette belle fontaine qui arrose vos terres, aussi bien que celles de
vos voisins, au lieu de songer à en faire tarir la source. Les apôtres
auparavant disputaient de la primauté; aujourd'hui ils parlent tous par la
bouche de saint Pierre, ils croient présider avec lui ; si son ombre guérit,
toute l'Eglise s'en glorifie en Notre-Seigneur.
Esprit d'intérêt et d'avarice.
Cette unité : Nec quisquam eorum quœ possidebat aliquid suum esse dicebat ;
sed erant illis omnia communia (1). — Qui animo animàque miscemur, nihil
de rei communicatione dubitamus (2). Misérables aumônes, que les
prédicateurs nous arrachent à force de crier contre la dureté de cœur ! faible
et misérable secours d'une extrême nécessité, que nous laissons tomber d'une
main avare comme une goutte d'eau dans un grand brasier! Quiconque est plein de
la charité, ressent les maux du prochain, souffre avec lui, et le soulage comme
se soulageant soi-même. On n'entend point cette unité; et cependant c'est là le
fond du christianisme. Membres du même corps par le Saint-Esprit. Et quand
est-ce que nous serons capables de le pratiquer, si nous ne sommes pas même
capables de l'entendre? Le monde répond qu'on ne peut pas; on a tant de charges.
La réponse de saint Pierre à Ananias : « Vous mentez au Saint-Esprit (3). » Il
1 Act., IV, 32. — 2 Tert.,
Apol., n. 39. — 3 Act., V, 3.
(a) Note marg. : Voyez le sermon :
Spiritum nolite extinguere, pour la Pentecôte.
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voulait avoir l'honneur d'une bonne action qu'il ne faisait
pas ; vous en savez le châtiment. Vous voulez avoir l'honneur de la charité sans
l'exercer, en vous excusant sur votre impuissance ; et moi, je vous découvrirai
un fonds inépuisable pour la charité-le fonds du Dieu créateur : argent, terre,
pierreries, tua sunt omnia; et ensuite: Quœ de manu tuà accepimus,
dedimus tibi (1). Sed adhuc excellentiorem viam vobis demonstro (2) :
« Mais je vous montre encore une voie plus excellente : » le fonds du Dieu
Sauveur, du Dieu crucifié , du Dieu dépouillé, qui vous apprend à vous
dépouiller devant lui. Fonds pour la charité, sur le retranchement de la vanité.
Pauvres intérieurs, passions insatiables : jamais. C'est assez. Rien pour les
pauvres. Circoncision. Quelle règle? Je ne puis la proposer en cette chaire ;
car elle n'est peut-être pas la même pour tous : mais que chacun s'applique à
considérer le néant du monde, et sa figure qui passe. Peregrini sumus coràm
te et advenœ; dies nostri quasi umbra super terram, et nulla est mora (3).
Voyez quelle est cette pauvreté qui fait qu'on n'est riche que parle dehors.
Quand vous vous appliquez quelque ornement, songez qu'il ne durera guère et que
peut-être il restera après vous. Telle est la nature des choses que vous dites
vôtres ; les véritables richesses, vous n'avez aucun soin de les amasser... De
là naîtra un dégoût de ces richesses empruntées, qui tiennent si peu à votre
personne : de là cette circoncision du cœur plus grande de jour en jour.
L'esprit du monde, toujours augmenter et accroître ses folles dépenses. L'esprit
du christianisme, toujours diminuer ses besoins. Double utilité : vous vous
enrichirez au dedans, et vous serez en état d'exercer la charité fraternelle.
Tel est l'esprit du christianisme ; Messieurs, « n'éteignez pas cet esprit : »
Spiritum nolite extinguere (4).
Madame, Votre Majesté est née
avec un éclat qui lui fait voir tout l'univers au-dessous d'elle. Vous êtes la
digne épouse d'un roi, qui par la sagesse de ses conseils, par la hauteur de ses
entreprises, par la grandeur de sa puissance , pourrait être l'effroi de
l'Europe si par sa générosité il n'aimait mieux en être l'appui.
1 Paral., XXIX, 14. — 2 I Cor.,
XII, 30.— 3 I Paral., XXIX, 15.— 4 Thess., V, 19.
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Mais , Madame , la moindre pensée du christianisme, le
moindre sentiment de piété, la moindre étincelle du Saint-Esprit, vaut mieux
sans comparaison que ce grand royaume que le roi a mis entre vos mains avec une
confiance si absolue. Laissez-vous donc posséder à cet esprit du christianisme.
Remplissez-vous de l'esprit de force, pour combattre en vous-même sans relâche
tous ces restes de faiblesse humaine dont les fortunes les plus relevées ne sont
pas exemptes. Remplissez-vous de l'esprit de charité fraternelle, et n'usez de
votre pouvoir que pour soulager les pauvres et les misérables. Ainsi
puissions-nous bientôt changer en actions de grâces les vœux continuels que nous
faisons pour votre heureux accouchement ! Puisse ce jeune prince, le digne objet
de votre tendresse, croître visiblement sous votre conduite; puisse-t-il
apprendre de vous cet abrégé des sciences, la soumission envers Dieu et la bonté
envers les peuples! Mais puissions-nous tous ensemble pratiquer les saintes
maximes de l'Evangile et vivre selon l'esprit du christianisme, afin que nous
puissions aussi tous ensemble, maîtres et serviteurs, princes et sujets, jouir
de la félicité éternelle : au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
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