III Pentecôte
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SERMON POUR
LE IIIe DIMANCHE
APRES LA PENTECOTE (a).

 

Dico vobis : Gaudium erit in cœlo super uno peccatore pœnitentiam agente, plus quàm super nonaginia novem justis, qui non indigent pœnitentià.

 

Je vous dis qu'il y aura plus de joie au ciel devant les anges de Dieu sur un pécheur faisant pénitence, que sur quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence. Luc, XV, 7.

 

Si quelqu'un n'a pas encore assez entendu combien est grande la charité des saints anges pour les misérables mortels, qu'il

 

(a) Prêché vers 1660.

Ce sermon renferme des expressions comme celles-ci : « Veux-tu pas restituer? accoutumance, mondes et immondes, passer plus outre, les forces se diminuent tous les jours, le bon berger va après sa brebis, » etc. D'un autre côté l'écriture du manuscrit a plus de fermeté et de régularité, la marche plus de mouvement et plus d'entrain, le style plus de souplesse et d'ampleur, les pensées plus de force et plus d'élévation que dans les premières compositions de l'auteur. Deux considérations qui justifient notre date, en l'appelant pour ainsi dire entre l'époque de Metz et l'époque de Paris.

 

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considère (a) en notre évangile les aimables paroles du Sauveur des âmes, par lesquelles il nous apprend que la conversion des pécheurs réjouit tous les esprits bienheureux; et qu'encore que Dieu les enivre du torrent de ses éternelles délices, néanmoins ils sentent augmenter leur joie, quand nous sommes renouvelés par la pénitence. Nous lisons dans les Ecritures ' qu'autrefois les esprits célestes se déclarèrent visiblement contre nous, lorsqu'un chérubin envoyé de Dieu avec une forme terrible, tenant en sa main un glaive de feu, gardait la porte du paradis pour épouvanter nos parents rebelles, et leur interdire l'entrée de ce jardin délicieux qu'ils avaient déshonoré par leur crime. Mais après la naissance de ce Sauveur qui nous a réconciliés par son sang, vous n'ignorez pas, chrétiens, que ces bienheureuses intelligences qui nous avaient déclaré la guerre, nous vinrent aussi annoncer la paix : « Que la paix, disent-ils, (b) (2), soit donnée aux hommes! » Et depuis cette salutaire journée nous leur sommes devenus si chers, que Jésus-Christ nous enseigne dans notre évangile qu'ils préfèrent nos intérêts aux leurs propres. C'est ce que vous remarquerez aisément, si vous pénétrez le sens des paroles que j'ai alléguées pour mon texte. « Les anges, dit le Fils de Dieu, se réjouissent plus de la conversion d'un pécheur que de la persévérance de quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence. » Je demande quels sont ces justes auxquels le Sauveur ne craint pas de dire que la pénitence n'est pas nécessaire. Certes nous ne les trouverons pas sur la terre, puisque tous les hommes étant pécheurs, ce serait une témérité inouïe que d'assurer qu'ils n'ont pas besoin du remède de la pénitence. « Si quelqu'un dit qu'il ne pèche pas, il se trompe et la vérité n'est pas en lui, » dit le Disciple bien-aimé de notre Sauveur (3).

Où chercherons-nous donc, chrétiens, cette innocence si pure et si achevée, qu'elle n'a pas besoin de la pénitence? Sans doute puisqu'elle est bannie du milieu des hommes, elle ne se peut rencontrer que parmi les anges, qui détestant la rébellion et

 

1 Genes., III, 24. — 2 Luc., II, 14. — 3 I Joan., I, 8.

 

(a) Var. : Ecoute. — 2 Disaient-ils.

 

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l’audace de Satan et de ses complices, demeurèrent immuablement dans le bien où Dieu les avait établis dès leur origine. Vous êtes les seuls, ô esprits célestes, parmi toutes les créatures, qui jamais n'avez été souillés par aucun péché; vous êtes ces justes de notre évangile, auxquels la pénitence n'est pas nécessaire; et ainsi lorsque notre Sauveur nous apprend que vous recevez une joie plus grande de la conversion des pécheurs que de la justice des innocents qui n'ont pas besoin de se repentir, c'est de même que s'il nous disait que notre pénitence vous réjouit plus que votre propre persévérance. Merveilleuse vertu de la pénitence, qui oblige tous les saints anges à nous préférer à eux-mêmes, qui répare si glorieusement les ruines des plus grands pécheurs, qu'elle les met en quelque sorte au-dessus des justes, et qui fait que la justice rendue a quelque avantage au-dessus de la justice toujours conservée! Car puisque ces intelligences célestes, qui goûtent le vrai bien dans sa source, ne peuvent avoir de ces joies déréglées que l'opinion fait naître en nos âmes, ne voyez-vous pas, chrétiens, qu'elles ne se peuvent réjouir que du bien? Et donc, si leur joie est plus abondante, ne faut-il pas conclure nécessairement qu'il leur paraît quelque bien plus considérable, d'autant plus que c'est le Sauveur lui-même qui les excite par son exemple à cette sainte et divine joie?

En effet ne voyez-vous pas qu'il se présente à nous dans notre évangile sous la figure de ce berger « qui laisse tous ses troupeaux au désert pour chercher une brebis égarée, qui l'ayant trouvée au milieu des bois seule et tremblante d'effroi, la rapporte sur ses épaules et appelant ses amis et ses proches : Réjouissez-vous avec moi, dit-il, de ce que j'ai rencontré ma brebis perdue (1).» De sorte que les anges et le Sauveur même se réjouissant plus d'un pécheur sauvé que d'un juste qui persévère, il paraît que l'innocence recouvrée a quelque chose de plus agréable que l'innocence continuée. Réjouissons-nous, pécheurs misérables; admirons la force de la pénitence, qui nous rend avec avantage ce que notre péché nous avait fait perdre; et pour exciter en nos cœurs les saints gémissements de la pénitence, recherchons les véritables

 

1 Luc, XV, 4 et suiv.

 

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raisons de cette vérité si satisfaisante que Jésus-Christ nous enseigne dans son Evangile.

Si je n'avais qu'à vous parler d'une joie humaine, je me contenterais de vous dire que nous expérimentons tous les jours une certaine douceur plus sensible à rentrer dans la possession de nos biens qu'à nous maintenir dans la jouissance ; nous goûtons la santé par la maladie, et la perte de nos amis nous apprend combien ils nous étaient nécessaires. Car l'accoutumance nous ôte ce qu'il y a de plus vif dans le sentiment; et notre jugement est si faible que ne pouvant pénétrer les choses en elles-mêmes, il ne les reconnaît jamais mieux que par leurs contraires : tellement que cet excès de joie que nous ressentons, lorsque nous pouvons réparer nos pertes, vient presque toujours de notre faiblesse. Mais à Dieu ne plaise que nous croyions qu'il en soit ainsi de la joie des anges et de celle du Fils de Dieu même, dont nous devons aujourd'hui expliquer les causes! Il faut prendre des principes plus relevés, si nous voulons pénétrer de si grands mystères. Entrons en matière, et disons : Tout le motif de la joie du Fils, c'est la gloire de Dieu son Père ; tout le motif de la joie des anges, c'est la gloire de leur Créateur. Si donc ils se réjouissent si fort dans la conversion des pécheurs, c'est que la gloire de Dieu y paraît avec plus de magnificence. Prouvons solidement cette vérité.

La gloire de Dieu éclate singulièrement dans les natures intelligentes par sa miséricorde et par sa justice : sa providence, son immensité, sa toute-puissance paraissent dans les créatures inanimées ; mais il n'y a que les raisonnables qui puissent ressentir les effets de sa miséricorde et de sa justice; et ce sont ces deux attributs qui établissent sa gloire et son règne sur les natures intelligentes. C'est par la miséricorde et par la justice que les anges et les hommes sont sujets à Dieu; la miséricorde règne sur les bons, la justice sur les criminels : l'une par la communication de ses dons, l'autre par la sévérité de ses lois ; l'une par douceur, et l'autre par force; l'une se fait aimer, l'autre se fait craindre; l'une attire, et l'autre réprime; l'une récompense la fidélité, l'autre venge la rébellion : si bien que la miséricorde et la justice sont en quelque sorte les deux mains de Dieu, dont l'une donne, et

 

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l'autre châtie : ce sont les deux colonnes qui soutiennent la majesté de son règne; l'une élève les innocents, l'autre accable les criminels, afin que Dieu domine sur les uns et sur les autres avec une égale puissance. C'est pourquoi le Prophète chante : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité (1) ; » c'est-à-dire miséricorde et justice selon l'interprétation des docteurs, d'autant que la justice de Dieu c'est sa vérité, parce que, comme dit le grand saint Thomas (2), c'est à cause de sa vérité qu'il est la loi éternelle et qu'il est la loi immuable qui règle toutes les créatures intelligentes. Que si toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et justice, si ce sont ces deux divins attributs qui établissent sa gloire et son règne, je ne m'étonne plus, ô saints anges, de ce que la pénitence vous comble de joie. C'est que vous y voyez éclater magnifiquement la gloire de Dieu votre créateur par sa miséricorde et par sa justice : la miséricorde dans la conversion, la justice dans la satisfaction; la première dans la rémission des péchés, la seconde dans les gémissements des pécheurs.

 

PREMIER  POINT.

 

Pour entrer d'abord en matière, je remarquerai dans notre évangile trois effets de la miséricorde divine dans la conversion des pécheurs : Dieu les cherche, Dieu les trouve, Dieu les rapporte. C'est ce que nous lisons clairement dans la parabole de notre évangile. «Le bon berger, dit le Fils de Dieu, va après sa brebis perdue : » Vadit ad illam quœ perierat; « et il va jusqu'à ce qu'il la trouve : » donec inveniat eam (3); « et après qu'il l'a retrouvée, il la charge sur ses épaules. » C'est la véritable figure du Sauveur des âmes ; il cherche charitablement les pécheurs, suivant ce qu'il dit dans son Evangile : « Le Fils de l'homme est venu chercher ce qui était perdu (4); » il les trouve par la vertu de sa grâce : car il est ce Samaritain miséricordieux, « qui trouvant en son chemin le pauvre blessé, est touché de miséricorde, et s'approche, et ne dédaigne pas de lier ses plaies : » Et alligavit vulnera ejus (5). Enfin il les porte sur ses épaules, parce que c'est

 

1 Psal. XXIV, 10. — 2 I-II, Quaest. XCIII, art. 2. — 3 Luc, XV, 4. — 4 Ibid., XIX, 10. — 5 Ibid., X, 34.

 

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lui dont il est écrit : « Vraiment il a porté nos langueurs : » Verè languores nostros ipse tulit (1). Or cette triple miséricorde répond à la triple misère en laquelle est précipitée l’âme pécheresse. Elle s'écarte, elle fuit, elle perd ses forces et devient entièrement impuissante. Elle s'éloigne du bon Pasteur, et s'en éloignant elle oublie, elle ne connaît plus son visage; tellement que lorsqu'il approche, elle fuit, et fuyant elle se fatigue et tombe dans une extrême impuissance. Mais le Pasteur infiniment bon, qui ne se plaît qu'à sauver les âmes, oppose charitablement à ces trois misères trois effets merveilleux de miséricorde. Car il cherche sa brebis éloignée ; il trouve et il atteint sa brebis fuyante ; il rapporte sur ses épaules cette pauvre brebis épuisée de forces. Apprenons ici à connaître la miséricorde du Pasteur fidèle, qui nous a sauvés au péril de sa propre vie.

Et premièrement remarquons ce qui est écrit dans notre évangile, que la brebis que le Sauveur cherche n'est plus en la compagnie de tout le troupeau, par conséquent elle est séparée ; mais entendons le sens de cette parole. Le troupeau du Fils de Dieu, c'est l'Eglise, et celui qui est séparé du troupeau semble être hors de la vraie Eglise. Dirons-nous que le Fils de Dieu ne parle en ce lieu que des hérétiques qui ont rompu le lien d'unité? Mais la suite de notre évangile réfutera manifestement cette explication, puisque Jésus-Christ nous fuit bien entendre qu'il parle généralement de tous les pécheurs, parce qu'il veut encourager tous les pénitents. Mais pourrons-nous dire, fidèles, que tous les pécheurs sont séparés du sacré troupeau et de la communion de l'Eglise? Nullement; il n'en est pas de la sorte : c'est l'erreur de Calvin et des calvinistes, contre laquelle le Fils de Dieu nous a dit qu'il y a de l'ivraie même dans son champ, qu'il y a du scandale même en sa maison, qu'il y a de mauvais poissons même en ses filets (2). Mais d'où vient, direz-vous, que notre Sauveur, nous figurant tous les pécheurs en notre évangile, les représente comme séparés du troupeau? Entrons en sa pensée, et disons avec l'incomparable saint Augustin : « Il y en a qui sont dans la maison de Dieu, et qui ne sont pas la maison de Dieu; il y en a qui sont dans la maison

 

1 Isa., LIII, 4. — 2 Matth., XIII, 28, 41, 48.

 

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de Dieu, et qui sont eux-mêmes la maison de Dieu : » Altos ita esse in domo Dei, ut ipsi etiam sint eadem domus Dei (1). Expliquons la doctrine de ce grand évêque.

Les justes sont en la maison de Dieu, et ils sont eux-mêmes la maison de Dieu, selon ce que dit le Prophète : « J'habiterai au milieu de vous (2); » et l'Apôtre : « Ne savez-vous pas que vous êtes les temples de l'Esprit de Dieu (3)? » Mais les méchants qui sont en l'Eglise qui est la maison que Dieu a choisie, ne sont pas la maison choisie; Dieu n'habite pas en leurs cœurs; ils ne sont pas les pierres vivantes de ce miraculeux édifice, dont les fondements sont posés en terre, et dont le sommet égale les cieux. « Ils sont dans l'Eglise, dit saint Augustin, comme la paille est dans le froment, » Sicut palea esse dicitur in frumentis, « parce qu'encore qu'ils soient liés par les sacrements, néanmoins ils sont séparés de cette invisible unité qui est assemblée par la charité : » Cùm intùs videantur, ab illâ invisibili charitatis compage separati sunt. — Alios ita dici esse in domo, ut non pertineant ad compagem domûs, nec ad societatem fructiferœ pacificœque justitiœ; sed sicut esse palea dicitur in frumentis : nam et istos esse in domo negare non possumus, Apostolo dicente : In magnà autem domo non solùm aurea vasa sunt vel argentea, sed et lignea et fictilia, et alia quidem sunt in honorem, alia vero in contumeliam (4).

Par où nous voyons clairement qu'il y a double unité dans l'Eglise : l'une est liée par les sacrements qui nous sont communs ; en celle-là les mauvais y entrent, quoiqu'ils n'y entrent qu'à leur condamnation. Mais il y a une autre unité invisible et spirituelle, qui joint les saints par la charité, qui en fait les membres vivants : à cette paix, à cette unité, à cette concorde, il n'y a que les justes qui y participent; les impies n'y ont point de place, ils en sont excommuniés. Il y a une arche, à la vérité, qui renferme tous les animaux mondes et immondes, il y a un champ qui porte le bon et le mauvais grain ; «mais il y a une colombe et une parfaite, » qui ne reçoit en son sein que les vrais fidèles, qui vivent en l'unité par la charité : Una est columba mea, perfecta mea (5). C'est

 

1 De Bapt. cont. Donat., lib. VII, n. 99. — 2 Levit. XXVI, 12; II Cor., VI, 16. — 3 I Cor., III, 16. — 4 Loco mox citato. II Timoth., II, 20. — 5 Cant., VI, 8.

 

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pourquoi le Sauveur des âmes représente tous les pécheurs comme séparés du troupeau, parce qu'ils sont exclus par leurs crimes de cette invisible société qui unit les brebis fidèles en la charité de Notre-Seigneur. Et pour vous faire voir, chrétiens, qu'ils ne sont plus avec le troupeau, c'est que le céleste et divin Pasteur ne leur donne plus la même pâture. Dites-moi, quel est le pain des fidèles, quelle est la nourriture des enfants de Dieu? n'est-ce pas le pain de l'Eucharistie, ce pain céleste et vivifiant que nous recevons de ces saints autels? Cette sainte et divine table est-elle préparée aux impies, dont les consciences sont infectées de péchés mortels? Nullement, ils en sont exclus ; s'ils sont si téméraires que d'en approcher, ils y prendront un poison mortel, au lieu d'une viande d'immortalité.

Reconnais donc, pécheur misérable, que tu es séparé du troupeau fidèle, puisque tu es privé de la nourriture que le vrai Pasteur lui a destinée (a). Et ne me réponds pas : Je suis de l'Eglise, je demeure en ce corps mystique. Car que sert au bras gangrené de tenir encore au reste du corps par quelques nerfs qui n'ont plus de force? que lui sert, dis-je, de tenir au corps, puisqu'il est si fort éloigné du cœur, qu'il ne peut plus en recevoir aucune influence? Quelque union qui paroisse au dehors, il y a une prodigieuse distance entre la partie vivante et la partie morte. Il en est de même de toi, ô pécheur. Il ne te sert de rien d'être dans le corps, puisque tu es entièrement séparé du cœur. Le cœur de l'Eglise, c'est la charité. C'est là qu'est le principe de vie, c'est de là que se répand la chaleur vitale : si bien que n'étant pas en la charité, bien qu'il te soit permis d'entrer au dehors, tu es excommunié du dedans. Ne me vante point ta foi, qui est morte; ne me dis pas que tu t'assembles avec les fidèles. Les hommes t'y reçoivent, mais Dieu t'en sépare; le corps s'en approche, il est vrai, mais l’âme en est infiniment éloignée ; la vie et la mort ne s'accordent pas. Considère donc, misérable ! combien tu es loin des membres vivants, puisqu'il est certain que tu perds la vie. C'est pour cette raison que le Fils de Dieu les représente dans la parabole de notre évangile comme exclus, comme excommuniés du troupeau, parce qu'étant

 

(a) Var. : Lui a préparée.

 

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des membres pourris, ils ne participent point à la vie. C'est pourquoi le pain de vie leur est refusé ; c'est pourquoi ils sont séparés du banquet céleste, qui est la vie du peuple fidèle. D'où passant plus outre, je dis qu'étant séparés de cette unité, ils commencent leur enfer même sur la terre, et que leurs crimes les y font descendre. Car ne nous imaginons, pas que l'enfer consiste dans ces épouvantables tourments, dans ces étangs de feu et de soufre, dans ces flammes éternellement dévorantes, dans cette rage, dans ce désespoir, dans cet horrible grincement de dents. L'enfer, si nous l'entendons, c'est le péché même ; l'enfer, c'est d'être éloigné de Dieu : et la preuve en est évidente par les Ecritures.

Job nous représente l'enfer en ces mots : « C'est un lieu, dit-il, où il n'y a nul ordre, mais une horreur perpétuelle (1) . » De sorte que l'enfer c'est le désordre et la confusion. Or le désordre n'est pas dans la peine : au contraire, j'apprends de saint Augustin (2) que la peine, c'est l'ordre du crime. Quand je dis péché, —je dis le désordre, parce que j'exprime la rébellion. Quand je dis péché puni, je dis une chose très-bien ordonnée. Car c'est un ordre très-équitable que l'iniquité soit punie. D'où il s'ensuit invinciblement que ce qui fait la confusion dans l'enfer, ce n'est pas la peine, mais le péché. Que si le dernier degré de misère, ce qui fait la damnation et l'enfer, c'est d'être séparé de Dieu, qui est la véritable béatitude ; si d'ailleurs il est plus clair que le jour que c'est le péché qui nous en sépare, comprends, ô pécheur misérable, que tu portes ton enfer en toi-même, parce que tu y portes ton crime , qui te fait descendre vivant en ces effroyables cachots où sont tourmentées les âmes rebelles. Car comme l'apôtre saint Paul, parlant des fidèles qui vivent en Dieu par la charité, assure « que leur demeure est au ciel, et leur conversation avec les anges (3), » ainsi nous pouvons dire très-certainement que les méchants sont abîmés dans l'enfer, et que leur conversation est avec les diables. Etrange séparation du pécheur, qui trouve son enfer même en cette vie ! et n'est-il pas juste qu'il trouve l'enfer, puisqu'il est séparé du sacré troupeau, que la charité fait vivre en Notre-Seigneur?

Mais peut-être vous répondrez que le pécheur se peut relever,

 

1 Job., X, 22. — 2 Ad Honorat., ep. CXL, n. 4. — 3 Philipp., III, 20.

 

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et que l'enfer n'a point de ressource. Ah ! ne nous flattons point de cette pensée : la blessure que fait le péché est éternelle et irrémédiable. Mais Dieu, direz-vous, y peut remédier. Il le peut, à cause qu'il est tout-puissant ; ce qui n'empêche pas que la maladie ne soit incurable de sa nature. Concevons ceci, chrétiens. L'orgueilleux Nabuchodonosor a fait jeter les trois saints enfants dans la fournaise de flammes ardentes (1) : autant qu'il est en lui, il les a brûlés, encore que Dieu les ait rafraîchis. Ainsi lorsque nous commettons un péché mortel, nous donnons tellement la mort à notre âme, qu'encore que Dieu nous puisse guérir, néanmoins de notre côté nous rendons et notre péché, et notre damnation éternels, parce que nous éteignons la vie jusqu'à la racine. Il faut regarder ce que fait le péché, non ce que fait la Toute-Puissance. Qui renonce une fois à Dieu, y renonce éternellement (a), parce que c'est la nature du péché de faire autant qu'il le peut une séparation éternelle. C'est pourquoi le Prophète-Roi se considérant dans le crime, se considère comme dans l'enfer, à cause de cette effroyable séparation : Aestimatus sum cum descendentibus in lacum (2) : « Je suis, dit-il, compté parmi ceux qui descendent dans le cachot; » et après : « Ils m'ont mis dans le lac inférieur, dans les ténèbres, et dans l'ombre de la mort : » Posuerunt me in lacu inferiori (3). Et de là vient qu'il s'écrie dans sa pénitence : De profundis clamavi ad te, Domine (4) : « Seigneur, je crie à vous des lieux profonds; » et rendant grâces de sa délivrance : « Vous avez, dit-il, retiré mon âme de l'enfer inférieur (5). » C'est que ce saint homme avait bien conçu que le péché est un abîme et une prison, un gouffre, un cachot, un enfer.

Dans ce cachot et dans cet abîme où nos crimes nous précipitent, quelle espérance aurions-nous, fidèles, si Dieu ne nous avait donné un Libérateur, qui étant venu au monde pour notre salut, a bien voulu même aller aux enfers pour achever un si grand ouvrage? C’est ce même Libérateur qui est descendu aux enfers, qui daigne descendre encore tous les jours dans l'enfer des consciences

 

1 Dan., III, 21. — 2 Psal. LXXXVII, 5. — 3 Ibid., 1. — 4 Psal. CXXIX, 1. — 5 Psal. LXXXV, 13.

 

(a) Var. : Pour jamais.

 

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criminelles. Car certes vous y descendez, ô Sauveur, lorsque vous faites luire en nos âmes, au milieu des ténèbres où elles languissent, les belles et éclatantes lumières de vos divines inspirations. C'est ainsi, ô Pasteur miséricordieux, que vous cherchez votre brebis égarée; votre amour vous transporte à un tel excès, que vous la cherchez jusque dans l'enfer, parce que vous la cherchez jusque dans le crime. Figurez-vous ici, chrétiens, quel fut le ravissement des saints Pères, lorsqu'ils virent leurs limbes honorés de la glorieuse présence du Sauveur du monde ! Combien louèrent-ils la miséricorde de ce Dieu qui les visitait jusque dans ces lieux souterrains, et qui allait pour l'amour d'eux jusqu'aux enfers ! Or sa miséricorde est beaucoup plus grande, quand il va chercher les pécheurs. Ils sont dans un enfer plus obscur et dans une captivité bien plus déplorable. Nos pères, qui étaient réservés aux limbes jusqu'à la venue du Sauveur, soupiraient continuellement après lui, et pressaient son arrivée par leurs vœux. Au contraire les misérables pécheurs, dans cet enfer de l'impiété où ils sont, non-seulement ne cherchent pas le Sauveur, mais ils fuient sitôt qu'il s'approche; et c'est la seconde misère de l’âme.

Nous sommes infiniment éloignés de Dieu , et nous le fuyons quand il vient à nous. Comprenons par un exemple sensible, combien est dangereuse cette maladie. Voyez un pauvre malade, faible et languissant; ses forces se diminuent tous les jours, il faudrait qu'il prît quelque nourriture pour soutenir son infirmité ; il ne peut. Je ne sais quelle humeur froide (a) lui a causé un dégoût étrange ; si on lui présente quelque nourriture, si exquise, si bien apprêtée qu'elle soit, aussitôt son cœur se soulève; de sorte que nous pouvons dire que sa maladie, c'est une aversion du remède. Telle et encore beaucoup plus horrible est la maladie d'un pécheur. Il a voulu goûter, aussi bien qu'Adam, cette pomme qui lui paraissait agréable : il a voulu se rassasier des plaisirs mortels; et par un juste jugement de Dieu il a perdu tout le goût des biens éternels. Vous les lui présentez, il en a horreur; vous lui montrez la terre promise, il retourne son cœur en Egypte ;

 

(a) Var. : Malfaisante.

 

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vous lui donnez la manne, elle lui semble fade et sans goût. Ainsi nous fuyons malheureusement le charitable Pasteur qui nous cherche.

Pécheur, ne le fuis-tu pas tous les jours? Maintenant que tu entends sa sainte parole, peut-être que ce Pasteur miséricordieux te presse intérieurement en ta conscience. Veux-tu pas restituer ce bien mal acquis ? Veux-tu pas enfin mettre quelques bornes à cette vie débauchée et licencieuse? Veux-tu pas bannir de ton cœur l'envie qui le ronge, cette haine envenimée qui l'enflamme, ou cette amitié dangereuse qui ne le flatte que pour le perdre? Ecoute, pécheur; c'est Jésus qui te cherche ; et ton cœur répond à ce doux Sauveur : Je ne puis encore. Tu le remets de jour en jour, demain, dans huit jours, dans un mois. N'est-ce pas fuir celui qui te cherche et mépriser sa miséricorde? Insensé ! que t'a fait Jésus que tu fuis si opiniâtrement sa douce présence? D'où vient que la brebis égarée ne reconnaît plus la voix du pasteur qui l'appelle et lui tend les bras, et qu'elle court follement au loup ravissant qui se prépare à la dévorer? Peut-être tu répondras : Je ne puis, je ne puis marcher dans la voie étroite. Mais ne vois-tu pas, misérable ! que Jésus te présente ses propres épaules pour soulager ton infirmité et ton impuissance? Il descend à toi pour te relever; en prenant ton infirmité, il te communique sa force. C'est le dernier excès de miséricorde.

Comme notre âme est faite pour Dieu, il faut qu'elle prenne sa force en celui qui est l'auteur de son être. Que si se détournant du souverain bien, elle tâche de se rassasier dans les créatures, elle devient languissante et exténuée, à peu près comme un homme qui ne prendroit que des viandes qui ne seraient pas nourrissantes. De là vient que l'enfant prodigue sortant de la maison paternelle, ne trouve plus rien qui le rassasie, parce que notre âme ne peut trouver qu'en Dieu seul cette nourriture solide qui est capable de l'entretenir. De là ces rechutes fréquentes, qui sont les marques les plus certaines que nos forces sont épuisées. Que fera une âme impuissante, si Jésus ne supporte son infirmité? Aussi présente-t-il ses épaules à cette pauvre brebis égarée, « parce qu'errant deçà et delà, elle s'était extrêmement

 

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fatiguée : » Multùm enim errando laboraverat (1). Il la cherche quand il l'invite par ses saintes inspirations, il la trouve quand il la change par la vertu de sa grâce, il la porte sur ses épaules quand il lui donne la persévérance.

O miséricorde ineffable et digne certainement d'être célébrée par la joie de tous les esprits bienheureux ! La grandeur de Dieu, c'est son abondance par laquelle étant infiniment plein, il trouve tout son bien en lui-même. Ce qui montre la plénitude, c'est la munificence. C'est pourquoi Dieu se réjouit en voyant ses œuvres, parce qu'il voit ses propres richesses et son abondance dans la communication de sa bonté. Or il y a deux sortes de bonté en Dieu : l'une ne rencontre (a) rien de contraire à son action, et elle s'appelle libéralité; l'autre trouve de l'opposition, et elle prend le nom de miséricorde. Quand Dieu a fait le ciel et la terre, rien ne s'est opposé à sa volonté. Quand Dieu convertit les pécheurs , il faut qu'il surmonte leur résistance, et qu'il combatte pour ainsi dire sa propre justice en lui arrachant ses victimes. Or cette bonté qui se roidit contre tant d'obstacles, est sans doute plus abondante que celle qui ne trouve point d'empêchements à ses bienheureuses communications. C'est pourquoi les Ecritures divines disent que « Dieu est riche en miséricorde (2), » les richesses de sa miséricorde, etc.

 

SECOND POINT.

 

Après vous avoir parlé, chrétiens, de la partie la plus douce de la pénitence, la suite de mon évangile demande que je vous représente en peu de paroles la partie difficile et laborieuse. Il paraît d'abord incroyable que la justice divine doive avoir sa place dans la conversion des pécheurs, puisqu'il semble qu'elle se relâche de tous ses droits pour donner à la seule miséricorde toute la gloire de cette action. Toutefois écoutons le Sauveur du monde, qui nous avertit dans notre évangile : « Les anges se réjouissent, dit-il, sur un pécheur faisant pénitence. » Qu'est-ce à dire faire pénitence? Si nous entendons faire pénitence selon les maximes

 

1 Tertull., de Paenit., n. 8. — 2 Ephes., II, 4.

 

(a) Var. : Ne trouve.

 

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de l'Evangile, certainement faire pénitence, c'est « faire ce que dit saint Jean, des fruits dignes de pénitence (1). » Or ces fruits dignes de pénitence selon le consentement de tous les docteurs, ce sont des œuvres laborieuses par lesquelles nous vengeons nous-mêmes sur nos propres corps la bonté de Dieu méprisée. C'est à quoi il nous exhorte par son prophète : « Retournez à moi, dit-il, retournez à moi de tout votre cœur, en pleurs, en jeûnes, en gémissements, dans le sac, dans la cendre et dans le cilice (2). »

Et pour entendre cette doctrine, figurez-vous un pauvre pécheur, qui reconnaissant l'horreur de son crime, considère la main de Dieu armée contre lui, et regarde qu'il va supporter le poids de sa juste et impitoyable vengeance. De là les craintes, de là les frayeurs, de là les douleurs amères et inconsolables. Au milieu de ces effroyables langueurs, la sainte pénitence se présente à lui pour soulager ses infirmités par ses salutaires conseils; elle lui fait voir dans les Ecritures que Dieu dit lui-même : « Je ne me vengerai pas deux fois d'une même faute; » et ailleurs : « Si nous nous jugions, nous ne serions pas jugés (3). » Lui ayant remontré ces choses : Aie bon courage, dit-elle, préviens la justice par la justice. Dieu se veut venger, venge-le toi-même; sa colère est armée contre toi, arme tes propres mains contre tes propres iniquités; Dieu recevra en pitié le sacrifice d'un cœur contrit que tu lui offriras pour l'expiation de ton crime ; et sans considérer que les peines que tu t'imposes ne sont pas une vengeance proportionnée, il regardera seulement qu'elle est volontaire. Là-dessus le pécheur s'éveille; et regardant la justice divine si fort enflammée contre nous, et que d'ailleurs il est impossible de lui résister, il voit qu'il est impossible de faire autre chose que de se joindre à elle pour en éviter la fureur, de prendre son parti contre soi-même, et de venger par ses propres mains les mystères de Jésus violés, son Saint-Esprit affligé et sa Majesté offensée. C'est pourquoi il se transporte en esprit en cet épouvantable jugement, où voyant que Dieu accuse les pécheurs, qu'il les condamne et qu'il les punit, il se met en quelque sorte en sa place;

 

1 Luc., III, 8. — 2 Joel, II, 18. — 3 I Cor., XI, 31.

 

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de criminel il devient le juge; il s'accuse, confession; il se condamne, contrition; et il se punit, satisfaction.

Et premièrement il s'accuse; et voyant dans les Ecritures que Dieu menaçant les pécheurs, leur dit : « Je te mettrai contre toi-même (1) » il prévient cette sentence très-équitable et il témoigne lui-même son iniquité. Il dit hautement avec David : « J'ai péché au Seigneur (2) ; » il dit encore avec Daniel : « Nous avons péché, nous avons mal fait, nous avons transgressé vos commandements, nous avons laissé vos préceptes et vos jugements; à vous la gloire, à vous la justice, à nous la confusion et l'ignominie (3). » Il dit avec le Publicain : « O Dieu, ayez pitié de moi misérable pécheur (4). » Il va au tribunal de la pénitence, il a recours aux clefs de l'Eglise. Une fausse honte l'arrête : O honte, dit-il, qui m'étais donnée pour me retenir dans l'ardeur du crime, et qui m'as abandonné si mal à propos, il est temps aussi que je t'abandonne; et t'ayant perdue malheureusement pour le péché, je te veux perdre utilement pour la pénitence ! Là il découvre avec une sainte confusion ses profondes et ignominieuses blessures, il se reproche lui-même sa lâcheté devant Dieu et devant les hommes. Que demandez-vous, justice divine? Qu'est-il nécessaire que vous l'accusiez? Il s'accuse lui-même volontairement.

Mais il ne suffit pas qu'il s'accuse ; il faut encore qu'il se condamne. Expliquez-le-nous, ô grand Augustin (5).... C'est ainsi que firent les Ninivites : Subvertitur planè Ninive, cum calcatis deterioribus studiis ad meliora convertitur ; subvertitur, inquam, dùm purpura in cilicium, affluentia in jejunium, lœtitia mutatur in fletum (6). O ville heureusement renversée! Renversons Ninive en nous.

Mais écoutons encore : il ne suffit pas de nous condamner, il ne suffit pas de changer nos mœurs. La bonté entreprenant sur la justice, la justice fait quelques réserves. Parce que Jésus-Christ est bon, il ne faut pas que nous soyons lâches. Au contraire nous devons être d'autant plus rigoureux à nous-mêmes, que Jésus-Christ

 

1 Psal. XLIX, 21. — 2 II Reg., XII, 13. — 3 Dan., III, 29, 30.— 4 Luc., XVIII, 13. — 4 In Psal. XLIX, n. 28; in Psal. XXXVII, n. 24; in Psal. LIX, n. 5. — 5 S. Eucher. Lugd., Hom. de Pœnit. Niniv.; Biblioth. PP., Lugd., tom. VI, p. 646.

 

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est plus miséricordieux. Panem meum cum cinere manducabam et potum meum cum fletu miscebam, à facie irœ et indignationis tuœ (1)... Ninivites, tam manifestant judicantes afflictionis rente dium, ut sibi etiam animalium crederent profuturum esse jejunium (2).

O spectacle digne de la joie des anges! parce que l'homme accuse Dieu n'accuse plus ; l'homme se joignant avec la justice, lui fait tomber les armes des mains; il l'affaiblit pour ainsi dire en la fortifiant ; Dieu lui pardonne, parce qu'il ne se pardonne pas ; Dieu prend son parti, parce qu'il prend le parti de Dieu ; parce qu'il se joint à la justice contre soi-même, la miséricorde se joint à lui contre la justice. N'épargnons pas, mes Frères, des larmes si fructueuses; frustrons l'attente du diable par la persévérance de notre douleur; plus nous déplorons la misère où nous sommes tombés, plus nous nous rapprocherons du bien que nous avons perdu.

 

1 Psal. CI, 10, 11. — 2 S. Eucher. Lugd., hom. de Pœnit. Niniv.

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