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PREMIER SERMON
POUR
LA FÊTE DE LA VISITATION
DE LA SAINTE VIERGE (c).
Troisième point modifié
Intravit in domum Zacharix, et salutavit Elisabeth.
Marie entra en la maison de Zacharie, et salua Elisabeth.
Luc, I, 40.
C'est principalement aujourd'hui
et dans la sainte solennité que nous célébrons, que les fidèles doivent
reconnaitre que le Sauveur
(c) Prêché le 2 juillet 1660, devant la reine
d'Angleterre, à la Visitation de Chaillot.
L'histoire justifie ces indications. Vingt-cinq années de
troubles et de désastres, une guerre funeste avait jeté pareillement la France
et l'Espagne dans un abîme de maux; des conférences habilement ménagées, des
négociations prudemment conduites réconcilièrent les deux nations chrétiennes ;
la paix se conclut heureusement à l'île des Faisans, dans le mois de novembre
1659; et le gage auguste du traité, ce fut le mariage de l'Infante avec Louis
XIV. Voilà pourquoi Bossuet relève, dans le troisième point modifié de notre
sermon, la paix qui donne « le repos après la guerre, » particulièrement « cette
paix admirable entre les nations chrétiennes : paix si sagement ménagée, si
glorieusement conclue et si saintement affermie. » Rien de plus clair : « Paix
des nations chrétiennes, » entre la France et l'Espagne; «paix si sagement
ménagée » par d'habiles négociations; « si glorieusement conclue » par les
avantages qu'elle assurait aux parties contractantes; enfin « si saintement
affermie » par l'alliance des deux Maisons souveraines devant les autels du Dieu
vivant.
Autres faits. Henriette de France, fille de Henri IV,
épousa Charles Stuart et devint reine d'Angleterre. Catholique sincère et
dévouée, elle vit se soulever contre elle la défiance et la haine de la Réforme;
la ruse et le fanatisme des puritains la forcèrent de prendre la fuite; et
pendant que la mer irritée menaçait de l’ensevelir sous ses flots, les canons
anglais la poursuivaient sans relâche ni merci. Ou ne peut décrire ici les mille
péripéties qui traversèrent ses projets, ni les mille dangers qui assaillirent
sou existence : reine éprouvée par tous les coups du sort, « en laquelle, dit
notre sermon, Dieu a montré un spectacle si surprenant de toutes les révolutions
des choses humaines. » Réfugiée sur la terre de France, elle fonda le couvent de
la Visitation à Chaillot, compris dans l'enceinte actuelle de Paris; c'est là
qu'elle apprit en 1649 la fin du roi son époux, condamné à mort par les séides
de Cromwell. Après les plus étranges vicissitudes, « par un changement
miraculeux, » son fils fut porté sur le trône d'Angleterre le 8 mai 1660; mais,
comme le dit encore l'orateur, « cette âme vraiment royale, que ses adversités
n'avaient pas abattue, ne se laissa non plus emporter à ses prospérités
inopinées;... seule elle ne changea point au milieu de tant de changements. » La
reine, toujours dévouée aux intérêts de la religion catholique, allait retourner
en Angleterre; tous ces événements faisaient naître les plus grandes espérances
: « Après que Dieu a rétabli le trône du roi, disait Bossuet, sa bonté disposera
tellement les choses que le roi rétablira le trône de Dieu, » etc. On voit
qu'ici, dans l'intention du grand prédicateur, le rétablissement du trône de
Dieu, c'est le rétablissement de la vraie religion.
Nous n'avons pu retrouver les
manuscrits des sermons pour la Visitation force nous a été de les reproduire
d'après les premières éditions.
193
est un Dieu caché, dont la vertu agit dans les cœurs d'une
manière secrète et impénétrable. Je vois quatre personnes unies dans le mystère
que nous honorons: Jésus et la divine Marie, saint Jean et sa mère sainte
Elisabeth; c'est ce qui fait tout le sujet de notre évangile. Mais ce que j'y
trouve de plus remarquable, c'est qu'à la réserve du Fils de Dieu toutes ces
personnes sacrées y exercent visiblement quelque action particulière. Elisabeth
éclairée d'en haut reconnait la dignité de la sainte Vierge, et s'humilie
profondément devant elle : Undè hoc mihi (1) ? Jean sent la présence de
son divin Maître jusque dans le sein de sa mère, et témoigne des transports
incroyables: Exultavit infans (2). Cependant l'heureuse Marie admirant en
elle-même de si grands effets de la toute-puissance divine, exalte de tout son
cœur le saint nom de Dieu et publie sa munificence. Ainsi toutes ces personnes
agissent, et il n'y a que Jésus qui semble immobile : caché dans les entrailles
de la sainte Vierge, il ne fait aucun mouvement qui rende sa présence sensible;
et lui qui est l’âme de tout le mystère, paraît sans action dans tout le
mystère.
Mais ne vous étonnez pas, âmes
chrétiennes, de ce qu'il nous tient ainsi sa vertu cachée ; il a dessein de nous
faire entendre qu'il est ce Moteur invisible qui meut toutes choses sans se
1 Luc., I, 43. — 2 Ibid., 44.
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mouvoir, qui conduit tout sans montrer sa main : de sorte
qu'il me sera aisé de vous convaincre que si son action toute-puissante ne nous
paraît pas aujourd'hui en elle-même dans le mystère, c'est qu'elle se découvre
assez dans l'action des autres, qui n'agissent et ne se remuent que par
l'impression qu'il leur donne. C'est ce que vous verrez plus évidemment (a)
dans la suite de ce discours, où devant vous entretenir des opérations de son
Saint-Esprit (b) sur trois différentes personnes, j'ai besoin plus que
jamais du secours de ce même Esprit qui les a remplies; et je dois tâcher
d'attirer ses grâces par l'intercession de celle à laquelle il se communique si
abondamment, qu'il se répand sur les autres par son entremise. C'est la
bienheureuse Marie, que nous saluerons avec l'ange : Ave, gratià.
L'un des plus grands mystères du
christianisme, c'est la sainte société que le Fils de Dieu contracte avec nous
et la manière secrète dont il nous visite. Je ne parle pas, mes très-chères
Sœurs, de ces communications particulières dont il honore quelquefois des âmes
choisies ; et je laisse à vos directeurs et aux livres spirituels de vous en
instruire. Mais outre ces visites mystiques, ne savons-nous pas que le Fils de
Dieu s'approche tous les jours de ses fidèles : intérieurement par son
Saint-Esprit et par l'inspiration de sa grâce ; au dehors par sa parole, par ses
sacrements et surtout par celui de l'adorable Eucharistie?
Il importe aux chrétiens de
connaître quels sentiments ils doivent avoir lorsque Jésus-Christ vient à eux ;
et il me semble qu'il lui a plu de nous l'apprendre nettement dans notre
évangile. Pour bien entendre cette vérité, remarquez, s'il vous plaît,
Messieurs, que le Fils de Dieu visitant les hommes imprime trois mouvements dans
leurs cœurs, et je vous prie de vous y rendre attentifs. Premièrement, sitôt
qu'il approche, il nous inspire avant toutes choses une grande et auguste idée
de sa majesté, qui fait que l’âme tremblante et confuse de sa naturelle
bassesse, est saisie devant Dieu d'un profond respect et se juge indigne des
dons de
(a) Var. : C'est ce que je me propose de vous
faire voir plus évidemment. — (b) De l'Esprit de Dieu.
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sa grâce: tel est son premier sentiments. Mais, chrétiens,
ce n'est pas assez. Car cette âme ainsi abaissée n'osera jamais s'approcher de
Dieu; elle s'en éloignera toujours par respect, en reconnaissant son peu de
mérite. C'est pourquoi, par un second mouvement, il presse au dedans son ardeur
fidèle de s'approcher avec confiance et de courir à lui par de saints désirs :
c'est le second sentiment qu'il donne. Enfin le troisième et le plus parfait,
c'est que se rendant propice à ses vœux, il fait triompher sa paix dans son
cœur, comme parle le divin Apôtre : Pax Christi exultet in cordibus vestris
(1); et la comble d'une sainte joie par ses chastes embrassements. Vous le
savez, mes très-chères Sœurs, vous qui êtes si exercées dans les choses
spirituelles, que c'est par ces degrés que Dieu s'avance, que tels sont les
sentiments qu'il inspire aux âmes : se juger indignes de Jésus-Christ, c'est par
cette humilité qu'il les prépare; désirer ardemment Jésus-Christ, c'est par
cette ardeur qu'il les avance; enfin posséder en paix Jésus-Christ , c'est par
cette tranquillité qu'il les perfectionne. Ces trois sentiments paraissent (a)
dans notre évangile nettement et distinctement, et avec un ordre admirable.
En effet ne voyez-vous pas
sainte Elisabeth, qui considérant Jésus-Christ, qui l'honore de sa visite en la
personne de sa sainte Mère, reconnaît humblement son indignité, en disant d'une
voix si respectueuse : Et undè hoc mihi ut veniat Mater Domini mei ad me
(1)? « Et d'où me vient un si grand honneur, que la Mère de mon Seigneur me
visite? » D'autre part, ne voyez-vous pas que ce sont des désirs ardents, qui
pressent impétueusement le saint Précurseur, lorsque tressaillant au sein de sa
mère, il veut, ce semble, rompre les liens qui l'empêchent de se jeter aux pieds
de son Maître, et ne peut souffrir la prison qui le sépare de sa présence :
Exultavit infans in utero ejus (3). Enfin n'entendez-vous pas la voix
ravissante de la bienheureuse Marie, qui étant pleine, de Jésus-Christ et
possédant en paix ce qu'elle aime, s'épanche toute en actions de grâces, et nous
témoigne la joie de son cœur par son admirable cantique : Magnificat anima
mea
1 Col.,
III, 15. — 2 Luc., I, 43. — 3 Ibid., 41.
(a) Var. : Et n'est-ce pas ce qui nous
paraît.
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Dominum (1) : « Mon a nie exalte le Seigneur, et mon
esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur? » Ainsi je ne craindrai pas de vous
assurer que j'aurai expliqué tout mon évangile, tout le mystère de cette
journée, si je vous fais voir en ces trois personnes, sur lesquelles Jésus caché
agit aujourd'hui, l'abaissement d'une âme qui s'en juge indigne, c'est ce que
vous remarquerez en Elisabeth; le transport d'une âme qui le cherche, c'est ce
que vous reconnaîtrez en saint Jean; la paix d'une âme qui le possède, c'est ce
que vous admirerez en la sainte Vierge ; et c'est le partage de ce discours.
PREMIER POINT.
Il est bien juste, âmes
chrétiennes, que la créature s'abaisse lorsque son Créateur la visite ; et le
premier tribut que nous lui devons quand il daigne s'approcher de nous, c'est la
reconnaissance de notre bassesse. Aussi est-ce pour cela que je vous ai dit
qu'aussitôt qu'il vient à nous par sa grâce, le premier sentiment qu'il inspire,
c'est une crainte religieuse, qui nous fait en quelque sorte retirer de lui par
la considération du peu que nous sommes. Ainsi lisons-nous en saint Luc que
saint Pierre n'a pas plutôt reconnu la divinité de Jésus-Christ par les effets
miraculeux de sa puissance, qu'il se jette incontinent à ses pieds, et : «
Retirez-vous, Seigneur, lui dit-il, gardez-vous bien d'approcher de moi, parce
que je suis un homme pécheur : » Exi à me, quia homo peccator sum, Domine
(2). Ainsi ce pieux Centenier, que Jésus veut honorer d'une visite, surpris
d'une telle bonté, croit ne la pouvoir reconnaître qu'en confessant aussitôt
qu'il en est indigne : Domine, non sum dignus (3). Ainsi pour venir à
notre sujet et n'aller pas rechercher bien loin ce qui se trouve si clairement
dans notre évangile, dès la première vue de Marie, dès le premier son de sa
voix, sa cousine sainte Elisabeth, qui connaît la dignité de cette Vierge et
contemple par la foi le Dieu qu'elle porte , s'écrie, étonnée et confuse : «
D'où me vient un si grand honneur, que la Mère de mon Seigneur me visite? »
Undè hoc mihi?
C'est, mes Sœurs, cette
humilité, c'est ce sentiment de respect
1 Luc., I, 47. — 2 Luc.,
V, 8. — 3 Matth., VIII, 8.
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que l'exemple d'Elisabeth devrait profondément graver dans
nos cœurs; mais pour cela il est nécessaire que nous concevions sa pensée, et
que nous pénétrions les motifs qui l'obligent à s'humilier de la sorte. J'en
remarque deux principaux dans la suite de son discours, et je vous prie de les
bien comprendre. « D'où me vient cet honneur, dit-elle, que la Mère de mon
Seigneur me visite? » C'est sur ces paroles qu'il faut méditer; et ce qui s'y
présente d'abord à ma vue, c'est qu'Elisabeth nous témoigne que, dans la visite
qu'elle reçoit, il y a quelque chose qu'elle connaît et quelque chose qu'elle
n'entend pas. La Mère de mon Seigneur vient à moi : voilà ce qu'elle connaît et
ce qu'elle admire; d'où vient qu'elle me fait cet honneur : c'est ce qu'elle
ignore et ce qu'elle cherche. Elle voit la dignité de Marie ; et dans une telle
inégalité elle la regarde de loin, s'humiliant profondément devant elle (a).
C'est la bienheureuse entre toutes les femmes; c'est la Mère de mon Seigneur;
elle le porte dans ses bénites entrailles : Mater Domini mei. Puis-je lui
rendre assez de soumissions?
Mais pendant qu'elle admire
toutes ces grandeurs, une seconde réflexion l'oblige à redoubler ses respects.
La Mère de son Dieu la prévient par une visite pleine d'amitié : elle sait bien
connaitre l'honneur qu'on lui fait; mais elle n'en peut pas concevoir la cause :
elle cherche de tous côtés en elle-même ce qui a pu lui mériter cette grâce :
D'où me vient cet honneur, dit-elle, d'où me vient cette bonté surprenante?
Undè hoc mihi? Qu'ai-je fait pour la mériter, ou quels services me l'ont
attirée? Undè hoc? Là, mes Sœurs, ne découvrant rien qui soit digne d'un
si grand bonheur, et se sentant heureusement prévenue par une miséricorde toute
gratuite, elle augmente ses respects jusqu'à l'infini, et ne trouve plus autre
chose à faire, sinon de présenter humblement à Jésus-Christ, qui s'approche
d'elle, un cœur humilié sous sa main et une sincère confession de son
impuissance.
Voilà donc deux motifs pressants
qui la portent aux sentiments de l'humilité, lorsque Jésus-Christ la visite.
Premièrement, c'est qu'elle n'a rien qui puisse égaler ses grandeurs;
secondement, c'est qu'elle n'a rien qui puisse mériter ses bontés : motifs en
effet
(a) Var.: S’abaissant humblement devant elle.
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très-puissants, par lesquels nous devons apprendre à servir
notre Dieu en crainte et à nous réjouir devant lui avec tremblement. Car quelle
indigence pareille à la nôtre, puisque si nous n'avons rien par nature et
n'avons rien encore par acquisition, nous n'avons aucun droit d'approcher de
Dieu ni par la condition ni par le mérite ? Et n'étant pas moins éloignés de sa
bonté par nos crimes que de sa majesté infinie par notre bassesse, que nous
reste-t-il autre chose lorsqu'il daigne nous regarder, sinon d'apprendre
d'Elisabeth à révérer sa grandeur suprême par la reconnaissance de notre néant,
et à honorer ses bienfaits en confessant notre indignité?
Mais afin de ne le pas faire
seulement de bouche et d'avoir ce sentiment imprimé au cœur, considérons avant
toutes choses ce qu'exige de nous la grandeur de Dieu ; et encore que nulle
éloquence ne le puisse assez exprimer, pour nous en former quelque idée, posons
d'abord ce premier principe, que ce qui gagne le respect des hommes, ce sont les
dignités qui tirent du pair, qui donnent un rang particulier, qui sont uniques
et singulières. Voilà ce que les hommes révèrent : et ce fondement étant
supposé, qui pourrait nous dire, mes Sœurs, le respect que nous devons au
souverain Etre? Il est seul en tout ce qu'il est; il est le seul sage, le seul
bienheureux, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, unique en sa majesté,
inaccessible en son trône, incomparable en sa puissance. De là vient que
Tertullien tâchant d'exprimer magnifiquement son excellence incommunicable, dit
qu'il est « le souverain grand, qui ne souffrant rien qui s'égale à lui,
s'établit lui-même une solitude par la singularité de sa perfection : »
Summum magnum, ex defectione œmuli solitudinem quamdam de singidaritale
prœstantiœ suae possidens (1). Voilà une manière de parler étrange: mais cet
homme accoutumé aux expressions fortes, semble chercher des termes nouveaux pour
parler d'une grandeur qui n'a point d'exemple. Et surtout n'admirez-vous pas
cette solitude de Dieu? Solitudinem de singularitate prœstantiœ :
solitude vraiment auguste, et qui doit inspirer de profonds respects.
1 Adv. Marc., lib. I, n. 4.
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Mais cette solitude de Dieu nous
donne encore, ce me semble, une belle idée. Toutes les grandeurs ont leur faible
: grand en puissance, petit en courage ; grand courage et petit esprit ; grand
esprit dans un corps infirme, qui empêche ses fonctions. Qui peut se vanter
d'être grand en tout? Nous cédons et on nous cède ; tout ce qui s'élève d'un
côté s'abaisse de l'autre. C'est pourquoi il y a entre tous les hommes une
espèce d'égalité : tellement qu'il n'y a rien de si grand, que le petit ne
puisse atteindre par quelque endroit. Il n'y a que vous, ô souverain Grand, ô
Dieu éternel, qui êtes singulier en toutes choses, inaccessible en toutes
choses, seul en toutes choses : Solitudinem quamdam, etc. Vous êtes le
seul auquel on peut dire : « O Seigneur, qui est semblable à vous (1), profond
en vos conseils (a), terrible en vos jugements, absolu en vos volontés ,
magnifique et admirable en vos œuvres (2)? » Que si vous êtes si grand, si
majestueux, malheur à qui se fait grand devant vous ; malheur, malheur aux têtes
superbes, qui vont hautes et levées devant votre face ! Vous frappez sur ces
cèdres et vous les déracinez ; vous touchez ces orgueilleuses montagnes et vous
les faites évanouir en fumée. Heureux ceux qui vous sentant approcher par vos
saintes inspirations, craignent de s'élever devant vous, de peur de vous exciter
à jalousie; mais qui s'écrient aussitôt avec le Prophète : « Qu'est-ce que
l'homme, ô grand Dieu, que vous vous en souvenez, ou qui sont les enfants des
hommes que vous leur faites l'honneur de les visiter (2)? » Ils se cachent et
votre face les illumine ; ils se retirent par respect et vous les cherchez ; ils
se jettent à vos pieds et votre esprit pacifique repose sur eux.
Apprenez, ô enfants de Dieu, de
quelle sorte il faut recevoir cette souveraine grandeur : mais pour vous
humilier plus profondément, sachez que sa bonté vous prévient en tout, et que sa
grâce se montre grâce en ce qu'elle n'est attirée par aucuns mérites. Rendez,
rendez ici témoignage à sa miséricorde surabondante, vous pécheurs qu'il a
convertis, vous brebis perdues qu'il a ramenées, vous autrefois enfants de
ténèbres que sa grâce a faits
1 Psal. XXXIV, 10. — 2 Exod.,
XV, 11. — 3 Psal. VIII, 5.
(a) Var. : En vos pensées.
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enfants de lumière. Ne s'est-il pas souvenu de vous dans le
temps que vous l'oubliiez? Ne vous a-t-il pas poursuivis, quand vous le fuyiez
avec plus d'ardeur? Ne vous a-t-il pas attirés, quand vous méritiez le plus sa
vengeance? Et vous, âmes saintes et religieuses, qui marchez dans la voie
étroite, qui vous avancez à grands pas dans le chemin de la perfection ; qui
vous a inspiré le mépris du monde et l'amour de la solitude? N'est-ce pas lui
qui vous a choisies, et ne lui confessez-vous pas tous les jours que vous n'avez
pas mérité ce choix ? Je n'ignore pas cependant que vous n'amassiez des mérites
: anathème à ceux qui le nient ! mais tous ces mérites viennent de la grâce. Si
vous usez bien de la grâce, il est vrai que ce bon usage en attire d'autres ;
mais il faut qu'elle vous prévienne, pour vous sanctifier par ce bon usage. Ne
voyez-vous pas dans notre évangile que ce n'est pas Elisabeth qui vient à Marie;
c'est Marie qui cherche (a) sainte Elisabeth; c'est Jésus qui prévient
saint Jean. Quel est, mes Sœurs, ce nouveau miracle? Jean doit être son
précurseur, il doit marcher devant sa face, il lui doit préparer les voies; et
néanmoins nous voyons manifestement qu'il faut que Jésus-Christ le prévienne. Et
qui donc ne prévient-il pas, s'il prévient même son précurseur? Que si nous
sommes ainsi prévenus, de quoi pouvons-nous nous glorifier? Sera-ce peut-être du
commencement? mais c'est là que la grâce nous a éclairés sans que nous l'ayons
mérité. Quoi? sera-ce donc du progrès? mais la grâce s'étend dans toute la vie,
et dans toute la vie elle est toujours grâce. Fons aquœ salientis (1) :
C'est un fleuve (b) qui retient durant tout son cours le nom qu'il a pris
dans son origine; c'est « la grâce elle-même qui mérite d'être augmentée, afin
que par cet accroissement elle mérite d'arriver à sa perfection : » Ipsa
gratia meretur augeri, ut aucta mereatur perfici, dit saint Augustin (2).
Que s'il est ainsi, chrétiens,
que nous ne vivions que par grâce, que nous ne subsistions que par grâce : que
tardons-nous à imiter sainte Elisabeth? Que ne disons-nous du fond de nos cœurs
: Undè hoc mihi? « D'où me vient un si grand bonheur? » D'où me vient
1 Joan., IV, 14. — 2 Epist. CLXXXVI, n. 10.
(a) Var. ; Visite. — (b) Elle
ressemble à un fleuve.
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cette faveur extraordinaire? Ah ! je ne l'ai point méritée;
je ne la dois, ô Seigneur, qu'à votre bonté. C'est le premier sentiment que la
grâce inspire, parce que son premier ouvrage c'est de se faire reconnaître
grâce. Confessons donc avant toutes choses que nous sommes indignes des dons de
Dieu : Dieu alors nous en croira dignes , si nous avouons ne l'être pas ; si
nous reconnaissons qu'il ne nous doit rien, il se confessera notre débiteur. Il
est allé chez le Centenier, parce qu'il se juge indigne de le recevoir. Pierre
se juge indigne d'approcher de lui, il le fait le fondement de son corps
mystique. Paul se trouve indigne qu'on le nomme apôtre, et il le fait le plus
illustre (a) de tous ses apôtres. Jean-Baptiste s'estime indigne de lui
délier ses souliers, qui est le plus vil office d'un serviteur, et il le fait
son meilleur ami : Amicus Sponsi (1) ; et cette main qu'il juge indigne
des pieds du Sauveur, est élevée jusqu'à sa tête, qu'il arrose des eaux
baptismales. Tant il est vrai, âmes chrétiennes, que ce qui nous mérite les dons
de la grâce, c'est de confesser humblement que nous ne les pouvons mériter :
tellement que l'humilité est l'appui de la confiance. Quiconque s'est préparé
par l'humilité peut ensuite s'abandonner aux désirs ardents, dont nous allons
voir les sacrés transports en la personne de saint Jean-Baptiste.
SECOND POINT.
Ce n'est pas assez à l’âme
fidèle de s'humilier devant Dieu, et de s'en retirer en quelque sorte parle
sentiment de sa bassesse; après ce premier mouvement, par lequel elle reconnaît
son indignité, elle en doit ensuite ressentir un autre; c'est-à-dire un chaste
transport, par lequel elle coure à Dieu et s'efforce de s'unir à lui. Mais
est-il possible, mes Sœurs, qu'un tel désir soit raisonnable, et que des mortels
comme nous puissent porter si haut leurs pensées? Il n'est pas permis d'en
douter; et en voici la raison solide, prise de la nature de Dieu nécessairement
bienfaisante. Je vous ai représenté sa grandeur suprême, qui éloigne de lui les
créatures; il vous faut maintenant parler de sa bonté, qui leur tend la main
1 Joan., III, 29.
(a) Var. : Le plus célèbre.
202
et qui les invite. L'un et l'autre sont inconcevables; et
comme me défiant de mes forces je me suis aidé pour la première d'une forte
expression de Tertullien, je me servirai pour la seconde d'un excellent discours
d'un autre docteur de l'Eglise : c'est le grand saint Grégoire de Nazianze, qui
a mérité parmi lus Grecs le surnom auguste de Théologien, à cause des
hautes conceptions qu'il a de la nature divine.
Ce grand homme invite tout le
monde à désirer Dieu par la considération de cette bonté infinie, qui prend tant
de plaisir à se répandre; ce qu'ayant expliqué avec soin, il conclut enfin par
ces mots : « Ce Dieu, dit cet excellent théologien (1), désire d'être désiré ;
il a soif, le pourriez-vous croire ? au milieu de son abondance. » Mais quelle
est la soif de ce premier Etre? C'est que les hommes aient soif de lui :
Sitit sitiri. Tout infini qu'il est en lui-même nt plein de ses propres
richesses, nous pouvons néanmoins l'obliger : et comment pouvons-nous l'obliger
? C'est en lui demandant qu'il nous oblige, parce qu'il donne plus volontiers
que les autres ne reçoivent : ce sont les paroles de saint Grégoire.
Ne diriez-vous pas, chrétiens,
qu'il vous représente une source vive, qui par l'abondance de (a) ses
eaux claires et fraîches semble présenter à boire aux passants altérés? Elle n'a
pas besoin qu'on la lave de ses ordures, ni qu'on la rafraîchisse dans son
ardeur ; mais se contentant elle-même de sa netteté et de sa fraîcheur
naturelle, elle ne demande, ce me semble, plus rien, sinon que l'on boive et que
l'on vienne se laver et se rafraîchir de ses eaux. Ainsi la nature divine,
toujours riche, toujours abondante, ne peut non plus croître que diminuer à
cause de sa plénitude ; et la seule chose qui lui manque, si l'on peut parler de
la sorte, c'est qu'on vienne puiser en son sein les eaux de vie éternelle, dont
elle porte en elle-même une source infinie et inépuisable. C'est pourquoi saint
Grégoire a raison de dire qu'il a soif que nous ayons soif de lui, et qu'il
reçoit comme un bienfait quand nous lui donnons le moyen de nous bien faire.
Cela étant ainsi, chrétiens,
c'est faire injure à cette bonté que
1 Orat. XL.
(a) Var. : Par la fécondité.
203
de n'avoir pas du désir pour elle. De là les transports de
saint Jean dans les entrailles de sa mère. Il sent que son Maître le vient
visiter, et il voudrait s'avancer pour le recevoir : c'est le saint amour qui le
pousse, ce sont des désirs ardents qui le pressent. Ne voyez-vous pas, âmes
saintes, qu'il tâche de rompre ses liens par son mouvement impétueux? Mais s'il
demande la liberté , ce n'est que pour courir au Sauveur ; et s'il ne peut plus
souffrir sa prison, c'est à cause qu'elle le sépare de sa présence.
C'est donc avec beaucoup de
raison que nous nous adressons à saint Jean-Baptiste pour apprendre à désirer le
Sauveur des âmes, puisqu'il lui doit préparer les voies. C'est à lui de nous
inspirer des désirs ardents ; et si vous recherchez (a), chrétiens, quel
est le ministère du saint Précurseur, vous découvrirez aisément (b) qu'il
est envoyé sur la terre pour faire désirer Jésus-Christ aux hommes, et que c'est
en cette manière qu'il lui doit préparer ses voies. En effet il faut vous faire
entendre quel est le sujet de sa mission; et-il faut qu'un autre saint Jean,
disciple et bien-aimé du Sauveur, vous explique la fonction de saint
Jean-Baptiste. Ecoutez comme il parle dans son Evangile : « Il y eut un homme
envoyé de Dieu, dont le nom était Jean : cet homme n'était point la lumière;
mais il venait sur la terre pour rendre témoignage de la lumière , »
c'est-à-dire de Jésus-Christ : Non erat ille lux, sed ut testimonium
perhiberet de lumine ». N'êtes-vous pas étonnées, mes Sœurs, de cette façon
de parler de l'évangéliste? Jésus-Christ est la lumière, et on ne le voit pas ;
Jean-Baptiste n'est pas la lumière, et non-seulement on le voit, mais encore il
nous découvre la lumière même. Qui vit jamais un pareil prodige? Quand est-ce
que l'on a ouï dire qu'il fallût montrer la lumière aux hommes et leur dire :
Voilà le soleil ? N'est-ce pas la lumière qui découvre tout? N'est-ce pas elle
dont le vif éclat vient ranimer toutes les couleurs, et lever le voile obscur et
épais qui avait enveloppé toute la nature? Et voici que l'Evangile nous vient
enseigner que la lumière était au milieu de nous sans être aperçue ; et ce qui
est beaucoup plus étrange,
1 Joan., I, 8.
(a) Var. : Si vous comprenez. — (b) Il
vous sera aisé de connaître.
204
que Jean, qui n'est pas la lumière, est envoyé néanmoins
pour nous la montrer : Non erat ille lux.
Dans cet événement
extraordinaire, chrétiens, n'accusons pas la lumière de ce que nos yeux infirmes
ne la peuvent voir (a): accusons-en notre aveuglement ; accusons la
faiblesse d'une vue tremblante, qui ne peut souffrir le grand jour. C'est ce que
le grand Augustin nous explique admirablement (b) par ces excellentes
paroles : Tam infirmi sumus, per lucernam quœrimus diem ». Saint Jean
n'était qu'un petit flambeau : Erat lucerna ardens et lucens (4); et a
telle est notre infirmité, qu'il nous faut un flambeau pour chercher le jour : »
il nous faut Jean - Baptiste pour chercher Jésus (c) : Per lucernam
quœrimus diem : c'est-à-dire, mes très-chères Sœurs, qu'il fallait à nos
faibles yeux une lumière douce et tempérée pour nous accoutumer au jour du midi
; et qu'il nous fallait montrer de petits rayons, pour nous faire désirer de
voir le soleil, que nous avions entièrement oublié dans la longue nuit de notre
ignorance. Car c'est en ceci principalement qu'était déplorable l'aveuglement de
notre nature, et je vous prie de le bien entendre.
Nous avions premièrement perdu
la lumière : « Le soleil de justice ne nous luisoit plus : » Sol
intelligentiœ non ortus est eis (3). Non-seulement nous l'avions perdue;
mais nous en avions même perdu le désir, et « nous aimions mieux les ténèbres :
» Dilexerunt homines magis tenebras quàm lucem (4). Nous en avions
non-seulement perdu le désir ; mais nous nous plaisions tellement dans
l'obscurité, l'ignorance de la vérité nous était de telle sorte passée en
nature, que nous craignions de voir la lumière ; nous fuyions devant la lumière,
nous haïssions même la lumière. Car « celui qui fait le mal hait la lumière : »
Qui malè agit odit lucem (5). D'où nous venait cet aveuglement, ou plutôt
cette haine de la clarté? Il faut que saint Augustin nous le fasse entendre, en
remarquant certain rapport de l'entendement aux yeux corporels et de la lumière
spirituelle à la lumière sensible. Les yeux ont été faits pour
1 In
Joan., tract. II n. 8. — 2 Joan., V, 35. —
3 Sap., V, 6. — 4 Joan., III , 19. — 5 Ibid., 20.
(a) Var. : Ne la voient pas. — (b)
Délicatement. — (c) Que nous cherchons le jour avec un flambeau : nous
cherchons Jésus-Christ par Jean-Baptiste.
205
voir la lumière ; et tu es faite, âme raisonnable, pour
voir la vérité éternelle, qui illumine tout homme qui naît au monde. « Les yeux
se nourrissent de la lumière : » Luce quippe pascuntur oculi nostri, dit
saint Augustin! ; et « ce qui fait voir, poursuit ce grand homme, que la lumière
les nourrit et les fortifie, c'est que s'ils demeurent trop longtemps dans
l'obscurité, ils deviennent faibles et malades : » Cùm in tenebris fuerint,
infirmantur. Et cela pour quelle raison , si ce n'est, dit le même Saint,
qu'ils sont privés de leur nourriture et comme fatigués par un trop long jeûne?
» Fraudati oculi cibo suo, defatigantur et debilitantur quasi quodam jejunio
lucis. D'où il arrive encore un effet étrange, c'est que si l'on continue à
leur dérober cette nourriture agréable, ou vous les verrez enfin défaillir
manque d'aliment; ou s'ils ne meurent pas tout à fait, ils seront du moins si
débiles qu'à force de discontinuer de voir la lumière, ils n'en pourront plus
supporter l'éclat; ils ne la regarderont qu'à demi, d'un œil incertain et
tremblant. Ah ! rendez-nous, diront-ils, notre obscurité ; ôtez-nous cette
lumière importune : ainsi la lumière, qui était leur vie, est devenue l'objet de
leur aversion.
Chrétiens, ne sentons-nous pas
qu'il nous en est arrivé de même ? Qui ne sait que nous sommes faits pour nous
nourrir de la vérité? C'est d'elle que doit vivre l’âme raisonnable : si elle
quitte cette viande céleste, elle perd sa substance et sa force; elle devient
languissante et exténuée ; elle ne peut plus voir qu'avec peine ; après, elle ne
désire plus de voir; enfin elle ne hait rien tant que de voir. Ah ! qu'il n'est
que trop véritable, qu'il n'est que trop constant par expérience ! On s'engage à
des attachements criminels, on ne cherche que les ténèbres ; les fumées
s'épaississent autour de l'esprit et la raison en est offusquée ; celui qui est
en cet état ne peut pas voir : « la lumière de ses yeux n'est plus avec lui : »
Lumen oculorum meorum et ipsum non est mecum (2). Voulez-vous être
convaincus qu'il ne veut pas voir ? Au milieu de ces ombres qui l'environnent,
un sage ami s'approche de lui ; il observe s'il n'y a point quelque endroit par
où on lui puisse faire entrevoir le jour ; mais il en détourne la vue, il ne
veut point voir la lumière,
1 In
Joan., tract. XIII, n. 5. — 2 Psal.
XXXVII, 11.
206
qui lui découvre une erreur qu'il aime et dont il ne veut
pas se désabuser : Oculos suos statuerunt declinare in terram (1).
C'est ainsi que sont les
pécheurs, c'est ainsi qu'était tout le genre humain : la lumière s'était
retirée, et avait laissé les hommes malades dans un long oubli de la vérité. Que
ferez-vous, ô divin Jésus, splendeur éternelle du Père? Montrerez-vous d'abord à
nos yeux infirmes votre lumière si vive et si éclatante? Non, mes Sœurs, il ne
le fait pas; il se cache encore en lui-même; mais il se réfléchit sur saint
Jean. Il envoie premièrement des rayons plus faibles, pour fortifier peu à peu
notre vue tremblante, et nous faire insensiblement désirer la beauté du jour.
Divin Précurseur, voilà votre emploi, et vous commencerez aujourd'hui ce saint
exercice (a).
Et en effet ne voyez-vous pas
que Jésus n'agit pas? Il ne remue pas; il ne se montre pas; il ne paraît pas
encore en lui-même, et il brille déjà en saint Jean (b). C'est pourquoi
le bon Zacharie compare Jésus-Christ au soleil levant : Visitavit nos Oriens
ex alto (1) : « L'Orient, dit-il, nous a visités. » Et comment nous a-t-il
visités, puisqu'il est encore au sein de sa mère, et qu'il ne s'est pas encore
découvert au monde? Il est vrai, nous dit Zacharie; mais c'est un soleil qui se
lève , on ne le voit pas encore paraître, il n'est pas sorti de l'autre horizon
; toutefois ne voyez-vous pas qu'il nous a déjà visités? Nous voyons déjà
poindre sa lumière, luire ses rayons : en sorte qu'il éclaire déjà les
montagnes, parce qu'il a déjà lui sur son Précurseur : Visitavit nos Oriens.
Voyez comme il se réjouit de ce nouveau jour ; considérez avec quel transport il
adore cette lumière naissante; c'est qu'il nous veut apprendre à la désirer. Car
ne semble-t-il pas qu'il nous dise par ce tressaillement
1 Psal. XVI, 11. — 2 Luc.,
I, 78.
(a) Que fallait-il faire, mes Sœurs, pour guérir ces
aveugles volontaires, qui se plaisaient dans l'obscurité? Sans doute le
commencement de leur guérison, c'était de leur faire désirer le jour : c'est
l'emploi du saint Précurseur : c'est pourquoi il marche devant Jésus-Christ.
Jésus-Christ envoie donc Jean-Baptiste aux hommes, afin que voyant sur ce grand
prophète une réflexion de sa lumière, c'est-à-dire de sa vérité, ils fussent
excités par son ministère à désirer la lumière même. C'est ce qu'a fait le saint
Précurseur par ses divines prédications; c'est ce qu'il commence à taire
aujourd'hui, et dès le sein de sa mère. Les célestes transports qu'il ressent
nous apprennent à désirer le Sauveur du monde. — (b) En la personne de
saint Jean.
207
admirable : Que tardez-vous, mortels misérables, à courir
au divin Jésus? Pourquoi fuyez-vous sa lumière, qui est la vie des cœurs, la
paix des esprits, la joie unique des yeux épurés, la viande incorruptible des
âmes fidèles? Que n'allez-vous donc à Jésus, que ne courez-vous à Jésus? Celui
qui se fait sentir au cœur d'un enfant, quels charmes aura-t-il pour les hommes
faits? Il le fait tressaillir de joie jusque dans l'obscurité du sein maternel;
que sera-ce donc dans son sanctuaire? et si ses premières approches causent des
transports si aimables, que feront ses embrassements?
Je ne me lasserai point de le
répéter. Quoi ! mes Sœurs, il ne paraît pas, il n'agit pas, il ne parle pas, et
déjà sa sainte présence remplit tout de joie et de l'Esprit de Dieu ! Quel
bonheur ! quel ravissement de recevoir de sa bouche divine les paroles de vie
éternelle, d'en voir couler un fleuve d'eau vive pour rafraîchir les cœurs
altérés ; de lui voir miséricordieusement chercher les pécheurs, d'entendre
résonner sa voix paternelle, qui appelle à soi tous ceux qui travaillent et leur
promet un si doux repos ! mais quoi, de le contempler jusque dans sa gloire, de
regarder à découvert sa divine face, et rassasier ses yeux éternellement de ses
beautés immortelles!
Ah ! que tardons-nous, âmes
chrétiennes? Que n'excitons-nous nos désirs, que ne pressons-nous nos ardeurs
trop lentes? Ce n'est pas seulement Jean qui sent de près ce divin Sauveur, qui
désire ardemment sa sainte présence : de si loin que Jésus-Christ a été prévu,
il a été désiré avec ferveur. « Mon âme, disait David, languit après vous :
quand viendrai-je, quand m'approcherai-je de la face de mon Seigneur? »
Quandò veniam et apparebo ante faciem Dei (1)? Quelle honte, quelle
indignité, si lorsqu'on soupire à lui de si loin, ceux dont il s'approche, qui
le possèdent, ne s'en soucient pas! Car, mes Frères, n'est-il pas à nous, ne
l'avons-nous pas sur nos saints autels? Lui-même, en sa propre substance, ne s'y
donne-t-il pas à nous? S'il ne nous est pas encore donné de l'embrasser dans son
trône, que ne courons-nous du moins à ses saints autels? Courons donc à cette
table mystique; prenons avidement ce corps et ce sang; n'ayons de faim que pour
cette
1 Psal. XLI, 3.
208
viande, n'ayons de soif que pour ce breuvage. Car pour bien
désirer Jésus, il ne faut désirer que lui. Désirons Jésus-Christ avec transport
; nous trouverons en lui la paix de nos âmes, cette paix qu'il vous faut montrer
en la bienheureuse Marie; et c'est par où je m'en vais conclure.
TROISIÈME POINT.
Voici l'accomplissement de
l'œuvre de Dieu dans les âmes qu'il a choisies. Il les purifie par l'humilité ;
il les enflamme par les désirs ; enfin lui-même il se donne à elles, et leur
amène avec lui une paix céleste. Ce sont, mes Sœurs, les chastes délices de
cette sainte et divine paix, qui réjouissent la sainte Vierge en Notre-Seigneur,
et qui lui font dire d'une voix contente : « Mon âme exalte le nom du Seigneur,
et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur : » Magnificat anima mea Dominum
(1). Certainement son âme est en paix, puisqu'elle possède Jésus-Christ. Et
c'est aussi pour cette raison que ne pouvant assez expliquer cette paix
inconcevable des âmes pieuses, je m'adresse à la sainte Vierge; et je vous prie
d'en apprendre d'elle les incomparables douceurs, en parcourant ce sacré
cantique qui ravit aujourd'hui le ciel et la terre. Mais pour en comprendre la
suite, il faut vous représenter comme en raccourci les instructions qu'il
contient, que nous examinerons ensuite en détail dans le peu de temps qui nous
reste (a).
1 Luc., I, 47.
(a) Var., depuis le commencement :
Vous avez vu, âmes chrétiennes, Jésus-Christ s'approchant des hommes; vous avez
vu sainte Elisabeth qui se juge indigne de le recevoir, et vous avez vu le saint
Précurseur dans l'impatience de l'embrasser. Marie a ressenti ces deux
mouvements ; mais elle est maintenant élevée plus haut. Elle a été saisie au
commencement de cette crainte que l'humilité inspire; elle a été troublée à
l'abord de l'ange : elle était bien éloignée de croire qu'elle fût digne d'être
mère, puisqu'elle s'est si humblement reconnue servante : Ecce ancilla. A
cette crainte respectueuse ont bientôt succédé les désirs, et elle a assez
souhaité Jésus-Christ. Et n'est-ce pas ce qui lui a fait dire avec tant d'ardeur
: « Qu'il me soit fait selon votre parole? » Fiat mihi secundùm verbum tuum.
Mais maintenant qu'elle le possède, qu'elle le porte dans ses entrailles, elle
s'abandonne, mes Sœurs, à des mouvements plus divins. Cette paix qui surpasse
tout entendement, dont elle jouit avec lui, la remplit d'une joie inconcevable,
qui éclate enfin en ces mots : « Mon âme glorifie le Seigneur. »
Voilà donc cette paix divine, qui doit faire notre partage,
et dont il faut vous entretenir. Mais comme je ne puis vous en expliquer les
incomparables douceurs, apprenez-les de la sainte Vierge, en parcourant avec moi
les points principaux de cet admirable cantique dont la ravissante harmonie
charme aujourd'hui le ciel et la terre; vous y verrez un ordre admirable.
Pour bien entendre une vérité, il faut la chercher jusque
dans sa cause et la reconnaitre dans ses effets : et aussi les paroles de la
sainte Vierge nous vont, mes Sœurs, expliquer par ordre et la cause et les
effets de cette paix céleste et divine. Voyous donc avant toutes choses quelle a
été la cause de cette paix, qui réjouit son esprit en Notre-Seigneur, « C'est,
dit-elle, qu'il m'a regardée, c'est qu’il a daigné arrêter les yeux sur mon
néant et sur ma bassesse : » Quia respexit humilitatem. Entendons ceci,
chrétiens : apprenons de la sainte Vierge que ce qui fait naître dans les cœurs
cette paix céleste que le monde ne peut donner, c'est le regard particulier de
Dieu sur les justes : Oculi Domini super justos. Mais afin de nous en
convaincre, je vous prie d'abord de considérer ce que veut dire la paix.
Maintenant que toute l'Europe l'attend, qu'elle se réjouit
dans cette espérance, que ce grand ouvrage qui se négocie, tient tous les
esprits en suspens; qu'est-ce que cette paix que l'on désire?
209
Pour cela, je partage ce
cantique en trois. Marie nous dit avant toutes choses les faveurs que Dieu lui a
faites. « Il a, dit-elle, regardé mon néant; il m'a fait de très-grandes choses,
il a déployé sur moi sa puissance. » Elle parle secondement du mépris du monde,
et considère sa gloire abattue : « Dieu a dissipé les superbes; Dieu a déposé
les puissants : et pour punir les riches avares, il les a renvoyés les mains
vides. » Enfin elle conclut son sacré cantique, eh admirant la vérité de Dieu et
la fidélité de ses promesses : « Il s'est souvenu de sa miséricorde, ainsi qu'il
l'avait promis à nos pères : » Sicut locutus est ad patres nostros (1).
Voilà trois choses qui semblent bien vagues, et n'ont pas apparemment grande
liaison : néanmoins elle est admirable, et je vous prie, mes Sœurs, de le bien
entendre. Car il me semble que le dessein de la sainte Vierge, c'est d'exciter
les cœurs des fidèles à aimer la paix que Dieu donne. Pour leur en montrer la
douceur, elle leur en découvre d'abord le principe, principe certainement
admirable ; c'est le regard de Dieu sur les justes, sa bonté qui les accompagne,
sa providence qui veille sur eux : Respexit humilitatem ancillœ suœ (2) ;
c'est ce qui fait naître la paix dans les saintes âmes. Mais parce que l'éclat
des faveurs du monde et les vaines douceurs qu'il promet, les pourraient
détourner de celles de Dieu, elle leur montre secondement le monde abattu et sa
gloire détruite et anéantie. Enfin comme ce renversement des grandeurs humaines
et l'entière félicité des âmes fidèles ne nous paraît pas en ce siècle,
1 Luc., I, 55. — 2 Ibid., 48.
210
de peur qu'elles ne se lassent d'attendre, elle affermit
leur esprit dans la paix de Dieu par la certitude de ses promesses. Voilà
l'ordre et l'abrégé du sacré cantique : peut-être ne paraît-il pas encore assez
clair; mais j'espère bien, chrétiens, que je vous le ferai aisément entendre.
Considérons donc avant toutes
choses le principe de cette paix, et comprenons-en la douceur par la cause qui
la fait naître. Dites-la-nous, ô divine Vierge, dites-nous ce qui réjouit votre
esprit en Dieu. « C'est, dit-elle, qu'il m'a regardée, c'est qu'il lui a plu de
jeter les yeux sur la bassesse de sa servante : » Quia respexit humilitatem
ancillœ suae. Il nous faut entendre, mes Sœurs, ce que signifie ce regard de
Dieu, et concevoir les biens qu'il enferme. Remarquez dans les Ecritures que le
regard de Dieu sur les justes signifie, en quelques endroits, sa faveur et sa
bienveillance; et qu'il signifie, en d'autres passages, son secours et sa
protection. Dieu ouvre sur eux un œil de faveur; il les regarde comme un bon
père, toujours prêt à écouter leurs demandes; c'est ce que veut dire le
Roi-Prophète : Oculi Domini super justos, et aures ejus in preces eorum
(1) : « Les yeux de Dieu sont arrêtés sur les justes, et ses oreilles sont
attentives à leurs prières : » voilà le regard de faveur. Mais, mes Sœurs, le
même Prophète nous expliquera dans un autre Psaume, le regard de protection :
Ecce oculi Domini super metuentes eum, et in eis qui sperant super misericordià
ejus (2) : « Voilà, dit-il, que les yeux de Dieu veillent continuellement
sur ceux qui le craignent; » et cela pour quelle raison? Ut eruat à morte
animas eorum, et alat eos in fame (3). Voilà ce regard de protection par
lequel Dieu veille sur les gens de bien, pour détourner les maux qui les
menacent. C'est pourquoi le même David ajoute aussitôt : « Notre âme attend
après le Seigneur, parce qu'il est notre protecteur et notre secours : »
Anima nostra sustinet Dominum, quoniam adjutor et protector noster est (4).
Une âme assurée de ce double regard, que peut-elle souhaiter pour avoir la paix?
C'est ce que veut dire la très-sainte Vierge, lorsqu'elle nous apprend que Dieu
la regarde.
1 Psal. XXXIII, 16. — 2 Psal.
XXXII, 18. — 3 Ibid., 19. — 4 Ibid., 20.
211
En effet c'est elle, mes Sœurs,
qui est singulièrement honorée (a) de ce double regard de la Providence :
Dieu l'a regardée d'un œil de faveur, lorsqu'il l'a préférée à toutes les autres
femmes : et que dis-je à toutes les femmes? mais aux anges, mais aux séraphins,
et à toutes les créatures. Le regard de protection a veillé sur elle, lorsqu'il
en a détourné bien loin la corruption du péché, les ardeurs de la convoitise et
les malédictions communes de notre nature : c'est pourquoi elle chante avec tant
de joie. Ecoutez comme elle célèbre la faveur de Dieu : Fecit mihi magna qui
potens est (1) : il m'a, dit-elle, comblée de ses grâces. Mais voyez comme
elle se loue de sa protection : Fecit potentiam in brachio suo (2) : «
Son bras a montré en moi sa puissance : » il m'a remplie de ses grâces, et m'a
fait de si grandes choses, que nulle créature ne les peut égaler, ni nul
entendement les comprendre : Fecit mihi magna. Mais s'il a ouvert sur moi
ses mains libérales pour combler mon âme de biens, il a pris plaisir d'étendre
son bras pour en détourner tous les maux : Fecit potentiam. C'est donc
particulièrement l'heureuse Marie qui est favorisée de ces deux regards de
bienveillance et de protection : Quia respexit humilitatem.
Mais néanmoins, âmes
chrétiennes, âmes saintes et religieuses, vous en êtes aussi honorées ; et c'est
ce qui doit mettre votre esprit en paix. Pourrai-je bien exprimer cette vérité?
Sera-t-il donné à un pécheur de pouvoir parler dignement de la paix des âmes
innocentes? Disons, mes Sœurs, ce que nous pourrons; parlons de ces douceurs
inconcevables pour en rafraîchir le goût à ceux qui les sentent, et en exciter
l'appétit à ceux qui ne les ont pas expérimentées. Oui certainement, ô enfants
de Dieu, il vous regarde avec bienveillance, il découvre sur vous sa face
bénigne. Il montre un visage terrible, lorsqu'une conscience coupable nous
reprochant l'horreur de nos crimes, fait que Dieu nous paraît en juge, avec une
face irritée. Mais lorsqu'au milieu d'une bonne vie il fait naître dans les
consciences une certaine sérénité, il montre alors un visage ami et tranquille,
il calme tous les troubles, il dissipe
1 Luc., I, 49. — 2 Ibid., 51.
(a) Var. : Je sais bien que la sainte Vierge
est singulièrement honorée.
212
tous les nuages. Le fidèle qui espère en lui ne le regarde
plus comme juge; il ne le voit plus que comme un bon père, qui l'invite
doucement à soi : de sorte qu'il lui dit, plein de confiance : « O Dieu, vous
êtes mon protecteur : » Dicam Deo : Susceptor meus es (1) ; et il lui
semble que Dieu lui réponde : « O âme fidèle, je suis ton salut : » Salus
tua ego sum (2); tellement qu'il jouit d'une pleine paix, parce qu'il est à
couvert sous la main de Dieu ; et de quelque côté qu'on le menace, il s'élève du
fond de son cœur une voix secrète qui le fortifie et lui fait dire avec
assurance : Si Deus pro nobis, quis contra nos (3)? « Le Seigneur est mon
salut, qui craindrai-je? le Seigneur est le protecteur de ma vie, devant qui
pourrais-je trembler (4)? »
Telle est, mes Sœurs, cette paix
cachée que Dieu donne à ses serviteurs ; paix que le monde ne peut entendre, et
qui chassée du milieu du siècle par le tumulte continuel, semble s'être retirée
dans vos solitudes. Mais n'en disons rien davantage : n'entreprenons pas de
persuader par nos discours ce que la seule expérience peut faire connaître ; et
ne pouvant vous la représenter en elle-même, finissons enfin ce discours, en
vous en disant quelque effet sensible. C'est, mes Sœurs, le mépris du monde qui
paraît clans la suite de notre cantique, de la fausse paix qu'il promet, des
vaines douceurs qu'il fait espérer. Car cette âme appuyée sur Dieu, qui goûte
les douceurs de sa sainte paix, qui a mis son refuge dans le Très-Haut, jetant
ensuite les yeux sur le monde qu'elle voit bien loin à ses pieds, du haut de son
refuge inébranlable, ô Dieu, qu'il lui semble petit et qu'elle le voit bien
d'une autre manière que ne fait pas le commun des hommes ! Mais en quel état le
voit-elle ? Elle voit toutes les grandeurs abattues, tous les superbes portés
par terre ; et dans ce grand renversement des choses humaines, rien ne lui
paraît élevé que les simples et humbles de cœur. C'est pourquoi elle dit avec
Marie : Dispersit superbos (1) : « Il a dissipé les superbes: »
Deposuit potentes (2): « Il a déposé les puissants : » exaltavit humiles:
« et il a relevé ceux qui étaient à bas. »
1 Psal. XLI, 10. — 2 Psal. XXXIV, 3. — 3
Rom., VIII, 31. — 4 Psal. XXVI, 1. — 5 Luc., I, 51. — 6
Ibid. 52.
213
Entrez mes Sœurs, dans ce
sentiment, qui est le sentiment véritable de la vocation religieuse ; et afin de
le bien entendre, représentez-vous, s'il vous plait, cette étrange opposition de
Dieu et du monde. Tout ce que Dieu élève, le monde se plaît de le rabaisser ;
tout ce que le monde estime, Dieu se plait de le détruire et de le confondre :
c'est pourquoi Tertullien disait si éloquemment qu'il y avait entre eux de
l'émulation : Est œmulatio divinœ rei et humanœ (1). Et en effet nous le
voyons par expérience. Qui sont ceux que Dieu favorise? Ceux qui sont humbles,
modestes et retenus. Qui sont ceux que le monde avance? Ceux qui sont hardis et
entreprenans. (a) Qui sont ceux que Dieu favorise? Ceux qui sont simples
et sincères. Qui sont ceux que le monde avance? Ceux qui sont fins et
dissimulés. Le monde veut de la violence pour emporter ses faveurs, Dieu ne
donne les siennes qu'à la retenue; et il n'est rien, ni de plus puissant (b)
devant Dieu, ni de plus inutile selon le monde, que cette médiocrité tempérée,
en laquelle la vertu consiste. Voilà donc une émulation entre Jésus-Christ et le
monde : ce que l'un élève, l'autre le déprime, et ce combat durera toujours
jusqu'à ce que le siècle finisse.
Et c'est pourquoi, mes Sœurs, le
monde a deux faces. Il y en a qui le considèrent dans les biens présents, et il
y en a qui jettent les yeux sur la dernière décision du siècle à venir. Ceux qui
regardent le bien présent, ils donnent, mes Sœurs, l'avantage au monde ; ils
s'imaginent déjà qu'il a la victoire, parce que Dieu, qui attend son temps, le
laisse jouir un moment d'une ombre de félicité ; ils voient ceux qui sont dans
les grandes places, ils admirent leur abondance : Voilà, disent-ils, les seuls
fortunés, voilà les heureux : Beatum dixerunt populum cui hœc sunt (2).
C'est le cantique des enfants du monde. Juges aveugles et précipités, que
n'attendez-vous la fin du combat avant d'adjuger la victoire? Viendra le revers
de la main de Dieu, qui brisera comme un verre, qui fera évanouir en fumée
toutes ces grandeurs que vous admirez. C'est ce que regarde la divine Vierge, et
avec elle les enfants de Dieu, qui jouissent de la douceur de sa paix. Ils
voient bien
1 Apolog., n. 50. — 2 Psal. CXLIII, 15.
(a) Note marg. : Ne voyez-vous pas
l'émulation? — (b) Var. : De plus grand.
214
que le monde combat contre Dieu ; mais ils savent que les
forces ne sont pas égales. Ils ne se laissent pas éblouir de quelque avantage
apparent que Dieu laisse remporter aux enfants du siècle : ils considèrent
l'événement que la justice de Dieu leur rendra funeste. C'est pourquoi ils se
rient de leur gloire ; et au milieu de la pompe de leur triomphe, ils chantent
déjà leur défaite. Ils ne disent pas seulement que Dieu dissipera les superbes ;
mais il les a, disent-ils, déjà dissipés, Dispersit, réduits à rien : ils
ne disent pas seulement qu'il déposera les puissants ; ils les voient déjà à ses
pieds, tremblants et étonnés de leur chute. Et pour vous, ô riches du siècle,
qui vous imaginez avoir les mains pleines, elles leur semblent vides et pauvres,
parce que ce que vous tenez ne leur paraît rien ; ils savent qu'il s'écoule
ainsi que de l'eau : Divites dimisit inanes. Voilà donc toute la grandeur
abattue; Dieu est triomphant et victorieux. Quelle joie à ses enfants,
chrétiens, de voir ses ennemis tombés à ses pieds, et ses humbles serviteurs qui
lèvent la tête ! Eux que le monde méprisait si fort, les voilà mis et établis
dans les hautes places : Exaltavit humiles ; eux que le monde croyait
indigents, Dieu les a remplis de ses biens : Esurientes implevit bonis
(1).
O victoire du Tout-Puissant ! ô
paix et consolation des âmes fidèles ! Chantez, chantez, mes Sœurs, ce divin
cantique ; c'est le véritable cantique de celles qui ont méprisé le siècle :
chantez la défaite du monde, l'anéantissement des grandeurs humaines, leurs
richesses détruites, leur pompe évanouie en fumée. Moquez-vous de son triomphe
d'un jour et de sa tranquillité imaginaire. Et vous qui courez après la fortune,
qui ne trouvez rien de grand que ce qu'elle avance, ni rien de beau que ce
qu'elle donne, ni rien de plaisant que ce qu'elle goûte, pourquoi vous
entends-je parler de la sorte ? N'êtes-vous pas les enfants de Dieu? Ne
portez-vous pas la marque de son adoption, le caractère sacré du baptême ? La
terre, n'est-ce pas votre exil ? le ciel, n'est-il pas votre patrie ? Pourquoi
vous entends-je admirer le monde? Si vous êtes de Jérusalem, pourquoi vous
entends-je chanter le cantique de Babylone? Tout ce que vous me dites du monde,
c'est un langage barbare,
1 Luc, 53
215
que vous avez appris dans votre exil. Oubliez cette langue
étrangère, parlez le langage de votre pays. Ceux que vous voyez jouir des
plaisirs, ne les appelez pas les heureux, c'est le langage de l'exil : Beatum
dixerunt. Ceux dont le Seigneur est le Dieu, voilà les véritables heureux
(1) : c'est ainsi qu'on parle en votre patrie.
Consolez-vous dans cette pensée,
vivez en paix dans cette pensée ; et apprenez de la sainte Vierge, pour
maintenir en paix votre conscience, premièrement que le Seigneur vous regarde ;
secondement, assurées sur cet appui immuable, ne vous laissez pas éblouir aux
grandeurs du monde, dites qu'il est déjà abattu, regardez la gloire future ;
troisièmement, si le temps vous semble trop long, regardez la fidélité de ses
promesses : Sicut locutus est. Ce qu'il a dit à Abraham sera accompli
deux mille ans après : il a envoyé son Messie ; il achèvera le reste
successivement ; et enfin nous verrons un jour l'éternelle félicité, qu'il nous
a promise. Amen.
TROISIÈME
POINT MODIFIÉ
DU
SERMON PRÉCÉDENT.
Encore que cette paix admirable
de toutes les nations chrétiennes , paix si sagement ménagée, si glorieusement
conclue et si saintement affermie, soit un illustre présent du Ciel, et un gage
de la bonté de Dieu envers les hommes, néanmoins ce ne sera pas cette paix dont
je vous expliquerai les douceurs; et celle dont je dois parler est beaucoup plus
relevée et sans comparaison plus divine. Car je dois parler de la paix qui fait
que l’âme de la sainte Vierge possédant le Fils de Dieu en elle-même, glorifie
le saint nom de Dieu, et se réjouit de tout son esprit en Dieu son Sauveur. Qui
ne voit que cette paix toute céleste, que Dieu donne, est infiniment au-dessus
de celle que les hommes négocient ? Et néanmoins
1 Psal. CXLIII, 15.
216
moins cette paix humaine étant un crayon et une ombre de la
paix divine et spirituelle dont je dois vous entretenir, servons-nous de cette
image imparfaite pour remonter jusqu'au principe original, et prendre une idée
certaine de la vérité.
Je demande avant toutes choses:
Que concevons-nous dans la paix, et que veut dire ce mot ? N'en recherchons pas,
chrétiens, des définitions éloignées ; mais que chacun de nous s'explique à
lui-même ce qu'il entend par la paix. Paix, premièrement signifie repos :
dans la guerre, on s'agite et on se remue ; dans la paix, on respire et on se
repose. C'est pourquoi on aime la paix, parce que la nature humaine étant
presque toujours agitée, rien ne doit tant flatter son inquiétude que la douceur
du repos, qui soulage son travail et relâche sa contention.
Mais en disant que la paix est
un repos, l'avons-nous entièrement expliquée? En avons-nous formé l'idée toute
entière ? Il me semble, pour moi, que ce mot de paix a encore quelque chose de
plus touchant ; et voici ce que c'est, si je ne me trompe : c'est que le repos
peut être fort court, et la paix nous fait espérer une longue tranquillité. En
effet n'avons-nous pas vu que lorsqu'on a publié la suspension d'armes, comme un
préparatif à la paix, on a cru voir déjà quelque commencement de repos : mais ce
repos n'est pas une paix, parce qu'il n'est pas permanent. Après que le traité
est conclu, et que l'alliance jurée établit une concorde certaine, c'est alors
que la paix est faite : de sorte que pour bien expliquer la paix et en
comprendre toute l'étendue, il la faut définir un repos durable et une
tranquillité permanente. Et ainsi la paix doit avoir deux choses : réjouir les
cœurs parle repos et les assurer par la consistance ; c'est ce que la paix nous
fait espérer, et c'est pourquoi nous l'aimons ; c'est ce que la paix de ce monde
ne nous donne pas, c'est pourquoi nous devons soupirer sans cesse après une paix
plus divine.
Marie nous la représente dans
son cantique : elle nous montre le repos et la consistance établie sur un
fondement inébranlable. Quel est ce fondement, chrétiens? Ecoutez la divine
Vierge : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit se réjouit en Dieu mon
Sauveur. » Mais quelle est la cause de cette joie, et d'où vient ce
217
ravissement? C'est, dit-elle, que « Dieu a jeté les yeux
sur la bassesse de sa servante : » Quia respexit humilitatem ancillœ suœ.
Arrêtons-nous là, chrétiens ; et ne cherchons pas plus loin le principe de cette
paix, qui réjouit son âme en Notre-Seigneur. Ce qui produit cette paix divine,
c'est le regard de Dieu sur les justes; sa bonté qui les accompagne, sa
providence qui veille sur eux, c'est ce qui leur donne le repos et la
consistance.
Et afin de le bien comprendre,
remarquez avec moi dans les Ecritures deux regards de Dieu sur les gens de bien
: un regard de faveur et de bienveillance, c'est ce qui les met en repos ; un
regard de conduite; et de protection, c'est ce qui rend leur repos durable. Dieu
ouvre sur les justes un œil de faveur ; il les regarde comme un bon père,
toujours prêt à écouter leurs demandes. Le Roi-Prophète l'exprime en ces mots:
Oculi Domini super justos, et aures ejus in preces eorum (1) : « Les yeux
de Dieu sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières. »
0 justes, reposez-vous en celui dont la faveur et la bienveillance se déclarent
envers vous si ouvertement. Mais ce repos sera-t-il durable? N'y aura-t-il rien
qui le trouble et rejette vos âmes dans l'agitation? Non, ne craignez rien, ô
enfants de Dieu : car outre ce regard de bienveillance, il y a un regard de
protection, qui prend garde aux maux qui vous menacent. « Voilà, dit le même
David, que les yeux de Dieu veillent continuellement sur ceux qui le craignent,
et qui établissent leur espérance sur sa miséricorde : » et pourquoi? « Pour
délivrer leurs âmes de la mort, et les nourrir dans la faim. » Voyez le regard
de protection par lequel Dieu veille sur les gens de bien, et empêche que le mal
ne les approche. C'est pourquoi il ajoute aussitôt après : « Notre âme attend le
Seigneur, parce qu'il est notre protecteur et notre secours : » Anima nostra
sustinet Dominum, quia adjutor et protector noster est (3). Une âme ainsi
regardée de Dieu, que peut-elle désirer pour avoir la paix?
C'est pourquoi l'heureuse Marie
, toute pleine de cette paix admirable , ne s'occupe plus qu'à louer son Dieu
dans les marques de sa faveur, dans les assurances de sa protection. « Le
Tout-Puissant , dit-elle, a fait en moi de grandes choses : » Fecit mihi
1 Psal. XXXIII, 16. — 2 Psal.
XXXII, 18. — 3 Ibid., 20.
218
magna qui potens est ; c'est ce qui explique la
faveur : Fecit potentiam in brachio suo; c'est ce qui regarde la
protection. Il a fait en moi de grandes choses, par le témoignage de sa faveur
et l'inondation de ses grâces. Mais s'il a ouvert sur moi ses mains libérales
pour combler mon âme de biens, il a pris plaisir d'étendre son bras pour en
détourner tous les maux : Fecit potentiam in brachio suo.
Ames saintes et religieuses, ce
n'est pas seulement la divine Vierge qui est honorée de ces deux regards : tous
les fidèles serviteurs de Dieu se réjouissent ensemble dans sa maison, à la
lumière de sa faveur et sous l'ombre de sa protection toute-puissante : Sub
umbrà alarum tuarum protège nos (1). C'est pourquoi la paix de Dieu triomphe
en leurs cœurs, comme dit l'apôtre saint Paul (2) ; et la marque de cette paix,
c'est que le monde ne les touche plus. Car en effet, cette âme, appuyée sur
Dieu, qui a mis, comme dit David, son refuge dans le Très-Haut : Altissimum
posuisti refugium tuum (3), jetant ensuite les yeux sur le monde qu'elle
voit bien loin à ses pieds, ô Dieu, qu'il lui semble petit du haut de ce refuge
inébranlable, et qu'elle le voit bien d'une autre manière que ne fait pas le
commun des hommes ! Elle voit toutes les grandeurs abattues, tous les superbes
portés par terre ; et dans ce grand renversement des choses humaines, rien ne
lui paraît élevé que les simples et humbles de cœur. C'est pourquoi elle dit
avec Marie : Dispersit superbos : « Dieu a dissipé les superbes : »
déposait potentes : « il a déposé les puissants : » et exaltavit humiles
: « et il a relevé ceux qui étaient à bas. »
Voici un effet admirable de
cette paix dont je parle, et il ne le faut point passer sous silence. A ce que
je vois, chrétiens, ce n'est pas ici une paix commune : Dieu veut qu'elle soit
accompagnée de l'appareil d'un grand triomphe ; et s'il donne la paix à ses
serviteurs, ce n'est pas en faisant leur accord avec leur ennemi abattu. Car en
effet, quel est l'ennemi de Dieu, et par conséquent de ses serviteurs, des
enfants de Dieu ? Vous ne l'ignorez pas, mes très-chères Sœurs, vous savez que
c'est le monde et ses pompes. Tout ce que Dieu élève, le monde se plaît de le
rabaisser ;
1 Psal. XVI, 8. — 2 Colos., III, 15. — 3 Psal.
XC, 9.
219
tout ce que le monde estime, Dieu se plaît de le détruire
et de le confondre : c'est pourquoi Tertullien disait si éloquemment qu'il y
avait entre eux de l'émulation : Est œmulatio divinœ rei et humanœ (1).
Que signifie, mes Sœurs, cette émulation, si ce n'est que Dieu et le monde se
contrarient éternellement, comme par un dessein prémédité? Qui sont ceux que
Dieu favorise? Ceux qui sont modestes et retenus. Qui sont ceux que le monde
avance? Ceux qui sont hardis et entreprenants. Qui sont ceux que Dieu favorise?
Ceux qui sont simples et sincères. Qui sont ceux que le monde avance? Ceux qui
sont fins et dissimulés. Le monde veut de la violence pour emporter ses faveurs
; Dieu ne donne les siennes qu'à la retenue. L'un demande un cœur ferme, droit
et inflexible ; l'autre a besoin de tours subtils, souples et accommodants ; et
il n'est rien, ni de plus puissant selon Dieu, ni de plus inutile selon le
monde, que cette médiocrité tempérée en laquelle la vertu consiste.
Voilà donc une émulation
nécessaire de Jésus-Christ et de ses fidèles contre le monde et ses sectateurs ;
et cette guerre durera toujours, jusqu'à ce que le siècle finisse. C'est
pourquoi le monde a deux faces, et il y a sur la terre deux sortes de paix. Il y
a la paix des pécheurs : Pacem peccatorum videns (2) ; il y a la paix de
Dieu et de ses enfants, « qui surpasse toute intelligence : » Pax Dei quœ
exsuperat omnem sensum (3). Chacun croit jouir delà paix, parce que chacun
croit avoir gagné la victoire. D'où vient cette diversité, et comment
arrive-t-il que deux ennemis croient sortir victorieux d'un même combat ? C'est
que les uns regardent les biens présents, et les autres jettent les yeux sur la
dernière décision du siècle à venir. Ceux qui considèrent les biens présents,
donnent précipitamment l'avantage au monde : ils s'imaginent qu'il a la
victoire, parce que Dieu, qui attend son heure, le laisse jouir pour un temps
d'une ombre trompeuse de félicité ; ils voient ceux qui sont dans les grandes
places, ils admirent leurs délices et leur abondance : Voilà, s'écrient-ils, les
seuls fortunés : Beatum dixerunt populum cui hœc sunt (4) ; c'est le
cantique des enfants du monde.
1 Apolog., n. 50. — 5 Psal.
LXXII, 3. — 6 Philip., IV, 7. — 7 Psal. CXLIII, 15.
220
Juges aveugles et précipités,
que n'attendez-vous la fin du combat avant que d'adjuger la victoire ? Viendra
le revers de la main de Dieu, qui brisera comme un verre toute cette grandeur
que vous admirez et qui vous éblouit. C'est à quoi regarde la divine Vierge , et
avec elle les enfants de Dieu, qui jouissent de la douceur de sa paix. Ils
voient bien que le monde combat contre Dieu ; mais ils savent que les forces ne
sont pas égales. Ils ne se laissent pas éblouir de quelque avantage apparent que
Dieu abandonne et laisse remporter aux enfants du siècle : ils considèrent
l'événement, que sa justice enfin leur rendra funeste. C'est pourquoi ils se
rient de leur gloire ; et au milieu de la pompe de leur triomphe, ils chantent
déjà leur défaite. Ils ne disent pas seulement que Dieu dissipera les superbes,
mais qu'il les a déjà dissipés : Dispersit superbos : ils ne disent pas
seulement que Dieu renversera les puissants du monde ; ils les voient déjà à ses
pieds, tremblants et étonnés de leur chute. Et pour vous, ô riches du siècle,
qui vous imaginez être pleins, serrez vos trésors tant qu'il vous plaira, ils ne
laissent pas de vous reprocher que vos mains sont vides , parce que ce que vous
tenez ne leur paraît rien : ils savent qu'il s'écoule à travers les doigts ainsi
que de l'eau , sans que vous puissiez le retenir : Divites dimisit inanes.
Et d'autre part, chrétiens, pendant que les ennemis de Dieu tombent à ses pieds,
ses humbles serviteurs lèvent la tête ; eux que le monde méprisoit si fort, les
voilà établis dans les grandes places : Exaltavit humiles ; eux que le
monde croyait indigents, Dieu les a remplis de ses biens : Esurientes
implevit bonis. Telle est la victoire du Tout-Puissant ; et le fruit de
cette victoire, c'est la paix qu'il donne à ses serviteurs par la défaite
infaillible de leurs ennemis.
Chantez cette victoire, mes
très-chères Sœurs ; entonnez avec Marie ce divin cantique : publiez la défaite
du monde ; chantez ses richesses dissipées, son éclat terni, sa pompe abattue,
sa gloire évanouie en fumée ; moquez-vous de son triomphe d'un jour et de sa
tranquillité imaginaire. O aveuglement déplorable de ceux qui courent après la
fortune, qui ne trouvent rien de grand que ce qu'elle élève, ni rien de beau que
ce qu'elle pare, ni rien de
221
plaisant que ce qu'elle donne ! Vous laissez ces sentiments
aux enfants du siècle : mais vous, ô filles de Jérusalem, saintes héritières du
ciel, vous parlez le langage de votre patrie. Quoique le monde étale avec pompe
ses grandeurs et ses vanités, vous ne vous couronnez pas de ses fleurs, qui
seront en un moment desséchées ; et pendant qu'il brille par un vain éclat, vous
reconnaissez son faible dans son inconstance.
Madame, Votre Majesté a ces
sentiments imprimés bien avant au fond de son âme, et l'exemple de sa constance
en a fait des leçons à toute la terre. Le monde n'est plus capable de vous
tromper; et cette âme vraiment royale, que ses adversités n'ont pas abattue, ne
se laissera non plus emporter à ses prospérités inopinées. Grande et auguste
Reine, en laquelle Dieu a montré à nos jours un spectacle si surprenant de
toutes les révolutions des choses humaines, et qui seule n'êtes point changée au
milieu de tant de changements, admirez éternellement ses secrets conseils et sa
conduite impénétrable. Ceux qui raisonnent des rois et de leurs Etats selon les
lois de la politique, chercheront des causes humaines de ce changement
miraculeux : ils diront à Votre Majesté qu'on peut être surpris pour un temps,
mais qu'enfin on a horreur des mauvais exemples ; que la tyrannie tombe
d'elle-même, pendant que l'autorité légitime se rétablit presque sans secours
par le seul besoin qu'on a d'elle comme d'une pièce nécessaire ; et qu'une
longue et funeste épreuve ayant appris aux peuples cette vérité, ce trône
injustement abattu s'affermit par sa propre chute.
Mais Votre Majesté est trop
éclairée pour ne porter pas son esprit plus haut. Dieu se montre trop
visiblement dans ces conjonctures imprévues ; et comme il n'y a que sa seule
main qui ait pu calmer la tempête, il faut encore cette même main pour empêcher
les flots de se soulever. Il le fera, Madame , nous l'espérons : et si nos vœux
sont exaucés, peut-être arrivera-t-il.... car qui sait les secrets de la
Providence ? après que Dieu a rétabli le trône du roi, sa bonté disposera
tellement les choses que le roi rétablira le trône de Dieu. Mais cette affaire,
Madame, se doit traiter avec Dieu , non avec les hommes, par des prières et des
222
vœux, non par des conseils ni par des maximes humaines. Il
n'y a que sa sagesse profonde qui connaisse le terme préfix, qui a été ordonné
avant tous les temps aux malheureux progrès de l'erreur et aux souffrances de
son Eglise. C'est à nous d'attendre avec patience l'accomplissement de son œuvre
et d'en avancer l'exécution, autant qu'il est permis à des mortels, par des
prières ardentes. Votre Majesté, Madame, ne cessera jamais d'en répandre; et
quoi qu'il arrive ici-bas, Dieu lui en rendra dans le ciel une récompense
éternelle. C'est le bien que je lui souhaite, et à toute cette audience.
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