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ENTRETIEN FAMILIER
POUR
LA FÊTE DE LA VISITATION
DE LA SAINTE VIERGE (a).
Je ne m'étonne pas si votre
fondateur, cet homme si éclairé, cet homme si pénétré des salutaires lumières de
l'Evangile, vous a choisies pour honorer cette fête, si remplie de mystères
d'ineffable suavité et d'une charité immense. Mais qui n'admirerait, pardessus
toutes choses, les grands exemples qui s'offrent à nous dans ce mystère, d'une
inexplicable instruction si profitable, non-seulement pour les personnes cachées
dans la solitude, mais propre pour vous, pour moi, pour tous les fidèles ? Pour
les justes, c'est leur consolation ; pour les pécheurs, c'est l'attrait qui les
excite à faire pénitence. Qui n'admirera premièrement Elisabeth qui s'abaisse? «
D'où me vient ce bonheur (1)? » Mais voyez
1 Luc, 1, 43.
(a) Instruction faite à la Visitation de Meaux, vers
1685.
A la Visitation de Meaux : car, d'un côté, le zélé pasteur
parle manifestement à ses ouailles, à ses « chères filles » en Jésus-Christ;
d'autre part, il dit dès la première ligue : « Je ne m'étonne pas si rolre
fondateur, cet homme si éclairé..., vous a choisies pour honorer cette fête, »
c'est-à-dire la Visitation.
Vers 1685 : le style de l'ouvrage, à la fois abondant et
concis, vigoureux et tendre, plein de force et d'onction, nous semble annoncer
la première période de la troisième époque.
Le lecteur reconnaitra, dans ce discours, les idées
fondamentales du sermon précédent.
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un effet plus surprenant : Jean, qui n'est pas né, montre
par son tressaillement sa joie à l'approche de son Sauveur ; et Marie possédée
de l'Esprit de Dieu, chante ce divin cantique : « Mon âme glorifie le Seigneur
(1). »
Au milieu de tant de merveilles,
de tant de miracles, je ne vois que Jésus qui n'agit pas, que Jésus dans le
silence. Les mères s'abaissent et prophétisent ; Jean tressaille ; il n'y a que
Jésus qui paraît sans action, et c'est Jésus qui est l’âme de tout ce mystère.
Il ne fait aucune démonstration de sa présence : lui, le Moteur invisible de
toutes choses, paraît immobile; il se tient dans le secret, lui qui développe et
découvre tout ce qui est caché et enveloppé. Nous voyons souvent cette grande
merveille, et nous ressentons ses bienfaits; mais il cache la main qui les
donne. A la faveur de cette nouvelle lumière, je découvre ce que dit le Prophète
: « Vraiment vous êtes un Dieu caché, un Dieu sauveur (2), » un Dieu qui s'est
humilié, un Dieu qui s'est épuisé lui-même dans ses abaissements, un Dieu
abaissé dans un profond néant.
Mais pénétrons dans ce mystère
ineffable, où Jésus paraît sans action. Que ce repos de Jésus est une grande et
merveilleuse action ! Le grand mystère du christianisme, c'est de comprendre la
secrète opération de Dieu dans les âmes. Dieu est descendu du ciel en terre pour
se communiquer aux hommes, soit par la participation de ses mystères, soit en se
donnant à eux par la communion. Il veut se donner à nous, et que nous nous
donnions à lui. Il opère dans les cœurs de certains mouvements pour les attirer
à lui, un entretien secret qui les élève à la plus intime communication ; mais
c'est dans la solitude que l’âme ressent ses divines approches. Que doit faire
une âme dont Dieu s'approche par sa grâce et ses fréquentes visites? Elle doit
apporter trois dispositions : un saint abaissement , une humilité profonde , une
sainte frayeur. Abaissement, humilité, frayeur : voilà la première disposition;
la seconde, c'est un transport divin, un transport admirable : elle s'éloigne
par humilité et s'approche par désir ; la troisième, c'est une joie céleste en
son Salutaire, qu'elle a le bonheur de posséder.
1 Luc., I, 47. — 2 Isaï., XLV, 15.
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Je m'assure que vous prévenez
déjà mes pensées, et que vous considérez ces saintes dispositions dans les trois
personnes qui ont part à ce mystère; vous voyez Elisabeth qui s'abaisse : « D'où
me vient ce bonheur ? » Jean qui se transporte : « L'enfant a tressailli (1) ; »
Marie qui s'élève et se repose en Dieu : « Mon âme magnifie le Seigneur. » Voilà
les trois secrets de ce mystère. L'anéantissement d'Elisabeth qui s'abaisse à
l'approche de son Dieu ; le transport divin de Jean qui le cherche ; et la paix
de la Vierge qui le possède. L'approche de Dieu produit l'abaissement de l’âme,
le transport dans celle qui le cherche, la paix dans celle qui le possède. C'est
le sujet de cet entretien familier.
Ténèbres qu'il vient illuminer,
néant qu'il vient remplir, que dois-tu faire quand Dieu approche? A l'approche
d'une telle grandeur, néant, que dois-tu faire ? Tu dois t'abaisser.
Abaissez-vous, néant. Et toi, pécheur, que dois-tu faire? Pécheur, tu dois
t'éloigner : une sainte frayeur te doit saisir, puisque le péché a plus
d'opposition à la sainteté de Dieu que le néant à sa grandeur. Grandeur que rien
ne peut égaler, sainteté qui ne peut être comprise : deux perfections en Dieu,
qui nous doivent faire entrer dans des sentiments d'une humilité profonde.
Voyez les prophètes, quand
l'Esprit de Dieu était sur eux, combien ils étaient épouvantés. Jérémie saisi
d'effroi tremble et se confond (2), en sorte que ses os semblaient se disloquer
et prêts à se dissoudre. Ezéchiel, au travers des ailes des chérubins, voit je
ne sais quoi de merveilleux; il s'étonne, il se pâme, il tombe sur sa face (3).
Mais ce qui doit nous jeter dans l'étonnement aux approches de notre Dieu, c'est
qu'il vient à un néant, et à un néant, qui lui est opposé par le péché. Aussi
saint Pierre, pénétré de cette vue, dit-il à Jésus-Christ : « Retirez-vous de
moi, car je suis un pécheur (4) » Et le Centenier : « Seigneur, je ne suis pas
digne : une parole, une parole de votre part (5). »
Où sont ces téméraires, qui n'ont point de honte de faire
entrer Jésus-Christ dans une bouche sacrilège? Vous les voyez qui traitent avec
Dieu, soit dans le secret de leur cœur, soit qu'ils
1 Luc., I, 44.— 2 Jerem.,
XXIII, 9. — 3 Ezech., II, 1. — 4 Luc, V, 8.— Matth., VIII,
8.
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reçoivent la viande sacrée, sans tremblement et sans
crainte. Ce sont des profanes, qui ne méritent pas d'être au nombre des fidèles
et qui veulent goûter le pain des anges, le pain des saints ! Mais vous, âmes
saintes et tremblantes, venez et goûtez que le Seigneur est doux, venez dans un
profond abaissement; et saisies d'admiration, vous devez dire : « D'où me vient
ce bonheur? » Car vous ne sauriez, sans l'aveuglement le plus déplorable, vous
persuader que vous l'avez mérité; et pour peu que vous vous rendiez justice,
combien n'êtes-vous pas forcées de vous en reconnaître indignes ?
En effet si je pouvais pénétrer
le secret des cœurs de ceux qui composent cet auditoire, que d'orgueil secret
sous l'apparence d'humilité, que de jalousie sous des compliments d'amitié et de
complaisance ! Voyons même les âmes les plus parfaites ; il ne m'appartient pas
de les sonder, mais qu'elles parlent elles-mêmes : elles avoueront qu'elles ont
toujours en elles la racine du péché, dont il faut arracher jusqu'à la moindre
fibre qui s'oppose à la grâce; grâce qui nous prévient toujours, et qui ne
trouve rien en nous qui l'attire que notre extrême misère.
Il n'y a en l’âme que misère ;
misère en son origine, misère dans toute la suite de la vie; misère profonde,
misère extrême : mais la misère est l'objet et le but de la miséricorde. Dieu
veut une misère toute pure, pour faire voir une miséricorde entière. Ce n'est
pas qu'il n'y ait un vrai mérite dans les justes; et c'est une erreur
intolérable dans les hérétiques de ce temps, d'avoir osé avancer que la grâce ne
servait que d'un voile pour couvrir l'iniquité. Les misérables! ils n'ont jamais
goûté ses attraits ; je ne m'en étonne pas : ce n'est pas elle qui les meut et
les conduit ; ils n'agissent que par hypocrisie et par passion.
Mais quoiqu'il y ait des mérites
dans les justes, la grâce n'en est pas moins grâce, parce que leurs mérites sont
le fruit de son opération dans leurs cœurs. La grâce tire son nom de son origine
: semblable à ces grandes rivières qui pour se répandre en différents ruisseaux,
ne perdent point leur nom. La grâce prévient les justes pour les faire mériter;
mais elle récompense après, par justice, le mérite qu'elle leur a fait acquérir.
C'est une grâce qui
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nous défend, c'est une grâce qui nous prévient; elle nous
justifie par miséricorde et nous récompense par justice, comme les paroles de
saint Paul nous l'attestent : « J'attends, dit-il, la couronne de justice que
Dieu, comme juste juge, me rendra (1). » Mais, dit saint Augustin (2), Dieu ne
serait pas juste juge, s'il n'a voit été auparavant un père miséricordieux.
Voilà, mes chères Filles, le fondement de votre abaissement
devant Dieu. S'il vous a retirées du monde, undè hoc? Si vous avez eu des
tentations durant votre noviciat, et que vous les ayez surmontées, undè hoc?
Si dans la suite vous vous êtes élevées au-dessus des dégoûts et des difficultés
de la vie spirituelle, undè hoc? S'il a plu à Dieu de vous gratifier de
quelque grâce extraordinaire, undè hoc ?
Mais disons en passant, que
c'est par Marie que la grâce nous est distribuée, pour combattre l'opinion de
ceux qui nous blâment d'honorer la Vierge comme Mère de Dieu. Ils voudraient
établir une secrète jalousie entre Dieu et la créature, à cause de l'honneur que
nous rendons aux Saints. Gens peu versés dans l'Ecriture, esprits grossiers et
pesants dans leur prétendue subtilité, qu'ils écoutent sainte Elisabeth. Elle ne
dit pas : D'où me vient ce bonheur que mon Seigneur vienne à moi, mais que la
Mère de mon Seigneur vienne à moi ? « Sitôt, dit-elle, que la voix de votre
salutation est venue à mes oreilles, l'enfant que je porte a tressailli (3). »
Ainsi Marie contribue aux opérations de la grâce dans nos cœurs; et loin de
faire injure à la grâce en attribuant cette prérogative à Marie, c'est au
contraire honorer la grâce, parce que c'est d'elle que la Vierge tire toute son
excellence.
Nous avons dit que la première
disposition d'une âme qui veut approcher de son Dieu, c'est l'anéantissement :
mais ce n'est pas assez que l’âme soit abaissée; car si elle est éternellement
abaissée, comment se transportera-t-elle vers Dieu ? Jean ne sent pas plutôt le
Sauveur qu'animé de ces dispositions, il fait effort pour rompre les liens qui
le retiennent et courir à lui : il voudrait déjà remplir ses fonctions de
Précurseur; mais il est prévenu. Jésus a prévenu son Précurseur. Ne laissons pas
passer ceci sans
1 II Tim., IV, 8. — 2 De Grat. et lib. Arbit.,
n. 14. — 3 Luc, I, 44.
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instruction. Dieu, source de tout bien, grand, immense,
inaccessible, demande de se communiquer. Dieu se donne, Dieu se développe avec
une libéralité immense : c'est, mes Filles , une vérité bien douce et bien
consolante. Dieu désire d'être désiré ; il a soif que l'on ait soif de lui.
Dieu, qui ne désire rien et n'a besoin de rien, désire cependant d'être désiré.
Il en est comme d'une belle fontaine, qui coule dans une plaine : elle est
claire, elle est fraîche, elle est pure : elle ne désire pas d'être rafraîchie ;
mais si elle désire quelque chose, c'est sans doute de désaltérer les passants.
Ainsi il ne nous est pas permis,
malgré notre indignité, de nous reposer en nous-mêmes; il faut courir avec
transport; il faut venir se plonger dans ces sources d'eau vive. Il n'y a point
d'humilité qui empêche de désirer le Sauveur, et heureux celui qui soupire après
lui, car c'est celui-là à qui Jésus-Christ se donne tout entier. Le Centurion
s'abaissa aux pieds des apôtres (1) ; mais il désira, et par là il mérita que le
Saint-Esprit prévînt l'imposition des mains des apôtres. Saint Jean interrogé de
ce qu'il est, s'il est le Christ, s'il est prophète, ne dit point ce qu'il est ;
mais il dit ce qu'il n'est pas : « Je ne suis qu'une voix, un son qui frappe
l'air (2), » qui n'a rien de considérable que de dire la vérité. Il s'estime
indigne de délier la courroie des souliers de Jésus-Christ; et plein d'ardeur
pour son Maître, il a mérité d'élever sa main sur celui au-dessous duquel il
s'était abaissé.
Mais considérons les caractères
de la mission de saint Jean. La grâce du saint Précurseur, c'est une grâce de
lumière; c'est une lumière qui veut rendre témoignage à la lumière : la lumière
découvre la lumière. Ah! c'est un petit flambeau qui découvre un grand flambeau.
Le soleil se montre de lui-même, il n'a point de précurseur qui dise: Voilà le
soleil; mais les hommes avaient besoin qu'on les préparât à l'éclat du grand
jour, qui devait bientôt briller en Jésus-Christ.
Le monde était dans de profondes
ténèbres, semblable à ceux qui sont dans un cachot; quand ils en sortent, ils
sont éblouis de la lumière, ils se détournent de la lumière, il se cachent à la
lumière. Ainsi les pécheurs emportés par la violence de leurs
1 Act., 25, X, 44. — 2 Matth., III, 3.
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passions, se précipitent dans les épaisses ténèbres du
péché, et ne peuvent ensuite souffrir la lumière qu'on leur présente pour
dissiper leur aveuglement. Vous dites à cet homme colère, à ce vindicatif, qu'en
satisfaisant son ressentiment, il va tomber dans un funeste esclavage dont il ne
pourra se retirer : mais il ne veut point de lumière; il méprise la lumière, il
la hait, et n'aime que l'obscurité qui lui cache ses désordres.
Telle est donc l'infirmité de
notre raison, qu'elle ne peut soutenir l'éclat de la lumière qui éblouit nos
faibles yeux : il faut une moindre lumière pour nous découvrir la grande, un
petit flambeau pour nous montrer le grand flambeau. Le propre de saint Jean,
c'est de découvrir et faire désirer Jésus-Christ; c'est pourquoi le prophète
Zacharie l'appelle son horizon. L'orient qui paraît sur nos montagnes, c'est le
signe, c'est l'avant-courrier du soleil, c'est ce qui nous annonce le lever du
soleil. Saint Jean, comme une belle aurore, a devancé le soleil, « cet Orient
d'en haut, Oriens ex alto, qui vient pour éclairer ceux qui sont dans les
ténèbres et dans l'ombre de la mort, et pour conduire nos pas dans le chemin de
la paix (1) » et l'observance de la loi.
Mais pour profiter de la lumière
qui luit sur nous, disons avec David : « Je chercherai, j'approfondirai, »
Scrutabor (2); j'approfondirai votre loi. Entrons avec sincérité dans cette
étude : travaillons sérieusement à connaître toute l'étendue de nos obligations;
et gardons-nous de vouloir nous dissimuler celles qui ne s'accorderaient pas
avec nos cupidités. Ne cherchons pas à les restreindre, ou à les régler sur nos
désirs : songeons plutôt à connaître, à la lumière de cette loi si pure, tous
les vices de notre cœur, et àj réformer sur ses préceptes tout ce qu'elle
condamne dans nos dispositions et dans nos œuvres, en pratiquant soigneusement
tout ce qu'elle nous commande.
O quand une âme vient à
s'examiner aux yeux de Dieu, en approfondissant dans ses commandements, en
sondant, en pénétrant la perfection qui y est cachée, qu'elle s'en trouve
éloignée ! Si j'approfondis votre loi, je vois, ô mon Dieu, que tout ce que je
fais, jusqu'aux meilleures actions, est infiniment éloigné de la
1 Luc., I, 78, 79. — 2 Psal.
CXVIII, 34.
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perfection qu'elle renferme, parce que je n'approfondis
pas, parce que je ne pratique que la surface des préceptes. C'est donc en
approfondissant la loi de son Dieu que l’âme découvre le fond de sa corruption,
et voit tant de taches dans ses œuvres qu'elle n'en trouve pas une qui ne soit
remplie de défauts. Ainsi les lumières de la loi éclairant une âme, elle
commence à entrer en de salutaires ténèbres, où Dieu s'unit à elle, et le
possédant elle ne peut contenir sa joie.
Dès lors il suivra ce que je ne
puis expliquer, et ce qui me surpasse. Parlez, Marie ; c'est à vous à nous faire
connaître vos sentiments : possédant votre Dieu, quels ont été vos transports,
vos joies, vos jubilations, votre exultation, votre paix, votre triomphe? Elle
prononce un divin cantique, qui est la gloire des humbles et la confusion des
superbes. Que votre âme éprouve cet excès de joie que ressentait Marie en
glorifiant son Dieu, en exaltant ses miséricordes.
Mais que veut dire, exalter Dieu
? Exalter Dieu, mes Filles, c'est agrandir Dieu. Pour vous le faire entendre,
mon cœur veut enfanter quelque chose de si grand, que je crains de faire un
effort inutile; mais peut-être vous ferai-je concevoir ma pensée. Exalter Dieu,
c'est le mettre au-dessus de tout ce que nous en pouvons penser, au-dessus de
toute grandeur. Si vous pensez que Dieu est infini, éternel, immense, mettez-le
encore au-dessus; élevez-le au-dessus de l'élévation; exaltez-le au-dessus de
l'exaltation. Enfin quelque haute idée que vous en puissiez former, mettez-le
toujours au-dessus : voilà ce que c'est que d'exalter Dieu.
Mais quelle est la cause de
l'exultation de Marie? quel en est le sujet? La première cause de son
exultation, c'est «qu'il a regardé la bassesse de sa servante. » Elle ne dit pas
sa servante, mais la bassesse de sa servante; tant elle est pénétrée de son
néant. Il y a en Dieu un regard de bonté et de miséricorde, qui est celui qu'il
arrête sur les âmes pénitentes, pour les consoler et les encourager à revenir à
lui. Mais il y a aussi en Dieu pour le juste un regard de faveur et de
bienveillance, un regard de défense et de protection, ah! un regard de la
sérénité de sa face, dont la beauté jamais ne se ternit. Il est écrit que le
regard du
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Roi a quelque chose d'heureux et de divin (1). Quelle
impression doit donc faire sur le cœur des justes ce regard de Dieu, si
amoureux, si tendre, dont il est écrit : « Voici les yeux du Seigneur, qui se
reposent sur les justes (2) ? » C'est là ce regard de Dieu qui transporte Marie
de joie et d'admiration.
La deuxième cause de
l'exultation de Marie, c'est le triomphe de Dieu sur le monde, c'est la victoire
qu'il a remportée sur lui. Ce monde a quelque chose d'éclatant, qui surprend et
qui trompe ceux qui s'en laissent éblouir : sa lumière faible éblouit les
faibles. Marie à la lueur de cette lumière qui l'éclairé, a découvert la vanité,
le faux éclat, le faste de cette pompe vaine. Elle n'a pas regardé le triomphe
de Dieu sur le monde, comme devant arriver; mais comme étant déjà fait :
Deposuit. Elle l'a vu abattu ; elle l'a vu renversé, et Dieu victorieux :
Deposuit : « Il les a mis à bas. » Le monde n'est pas entièrement vaincu; il
triomphe. Le monde à présent triomphe, il se moque des simples, mais Dieu le
renversera, et Marie considère ce triomphe comme accompli : Deposuit,
deposuit. Elle ne dit pas : Il les renversera, il les brisera ; mais
Deposuit. C'en est fait, il est renversé, il est brisé, il est à bas.
En effet sur qui Dieu
arrête-t-il ses regards? Qui est-ce qu'il exalte ? Ce n'est pas ces superbes du
monde. Sur qui donc Dieu arrête-t-il ses regards? Qui est-ce qu'il exalte? Une
âme humble, inconnue des autres, qui passe toute sa vie dans un coin d'un
monastère, sans se plaindre de personne, se plaignant toujours d'elle-même;
c'est cette âme que Dieu exalte : Exaltavit humiles. Mais pour cette
puissance du monde, dès que Dieu s'est fait homme, s'est fait serviteur; dès que
l'innocent s'est fait pécheur en prenant sur lui nos offenses, il l'a mise à
bas. Voilà la joie de Marie ; et c'est l'accomplissement des promesses qui nous
sont faites, et la troisième cause de son exultation.
Les promesses de Dieu valent
mieux que les dons du monde : ce que Dieu promet est meilleur que ce que le
monde donne. Soutenons-nous donc par ses promesses; relevons nos courages et nos
cœurs, et nous réjouissons comme si nous en voyions déjà l'accomplissement. Ne
disons point qu'il est longtemps. « S'il
1 Prov., XVI, 14. — 2 Psal. XXXIII, 16.
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tarde, dit le Prophète, il ne laissera pas que de venir
(1). » Abraham, en la personne duquel les promesses ont été données, s'en est
réjoui deux mille ans avant qu'elles fussent accomplies : « Il a vu le jour du
Seigneur; il s'en est réjoui (2). » Laissons-nous donc gagner à ces promesses.
Jésus est à la porte; il n'y a plus qu'une petite muraille entre lui et nous,
qui est cette vie mortelle.
1 Habac, II, 3. — 2 Joan., VIII, 56.
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