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PREMIÈRE VÉRITÉ.

QUE L'ON PEUT SE SAUVER EN LA COMMUNION DE L'ÉGLISE ROMAINE.

 

 PREMIÈRE VÉRITÉ.   QUE L'ON PEUT SE SAUVER EN LA COMMUNION DE L'ÉGLISE ROMAINE.

SECTION PREMIÈRE,  ou cette vérité est prouvée par les principes du ministre.

CHAPITRE PREMIER.  Que selon le sentiment du ministre on pouvait se sauver en la communion et en la croyance de l'Eglise romaine jusqu'à l'an 1543.

CHAPITRE II  Qu'il n'y a aucune difficulté que nous soyons dans le même état que nos pères en ce qui regarde la religion.

CHAPITRE III.  Que cette conformité de créance prouve clairement que nous pouvons nous sauver en l'Eglise romaine avec la même facilité que nos ancêtres; et que le ministre, qui nous condamne, ne s'accorde pas avec lui-même.

CHAPITRE IV.  Que le ministre, voulant mettre de la différence entre nos ancêtres et nous, établit encore plus solidement la sûreté de notre salut dans l'Eglise . romaine.

CHAPITRE V.  Continuation de la même matière. Explication du sentiment du ministre, qui déclare que l'invocation des saints n'empêche pas notre salut.

CHAPITRE VI.  Seconde et troisième propositions qui assurent notre salut dans l'Eglise romaine; que selon les principes du ministre, le fondement essentiel de la foi, lequel étant posé, les erreurs surajoutées ne nous damnent pas, c'est la confiance en Jésus-Christ seul; et que c'est vouloir s'aveugler que de nier que nous ayons cette confiance.

CHAPITRE VII.  Conclusion et sommaire de tout ce discours.

SECTION SECONDE,  OU IL EST PROUVÉ CONTRE LES SUPPOSITIONS OU MINISTRE, QUE LA FOI DU CONCILE DE TRENTE, TOUCHANT LA JUSTIFICATION ET LE MÉRITE DES BOMBES OEUVRES, NOUS A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR L'ANCIENNE ÉGLlSE, ET QU'ELLE ÉTABLIT TRES-SOLIDEMENT LA CONFIANCE DU FIDÈLE EN JÉSUS-CHRIST SEUL.

CHAPITRE PREMIER.  Que l'Eglise catholique enseigne très-purement le mystère de la rédemption du genre humain.

CHAPITRE II.  Diverses choses à considérer touchant la justification, et premièrement qu'elle est gratuite, selon le concile de Trente.

CHAPITRE III.  Ce que c'est que la justification selon les principes des adversaires; les fondements ruineux de leur doctrine.

CHAPITRE IV.  Ce que c'est que la justification du pécheur selon la doctrine de l'Eglise qui est éclaircie par les Ecritures.

CHAPITRE V.  Que les péchés sont détruits dans les justes, bien qu'il n'y ait point de justes qui ne soient pécheurs.

CHAPITRE VI.  Que nous sommes justifiés par l'infusion du don de justice qui nous régénère en Notre-Seigneur. Belle doctrine de l'Apôtre très-bien entendue par saint Augustin.

CHAPITRE VII.  Réflexion sur la doctrine précédente ; qu'elle relève la gloire de Jésus-Christ, et que nos adversaires la diminuent.

CHAPITRE VIII. De la justification par la foi.

CHAPITRE IX.  De la justification par les œuvres.

CHAPITRE X.  De l'accomplissement de la loi, et de la vérité de notre justice à cause du règne de la charité.

CHAPITRE XI.  Continuation de la même matière, où il est traité de l'imperfection de notre justice à cause du combat de la convoitise.

CHAPITRE XII.  Du mérite des bonnes œuvres. Sentiments de l'ancienne Eglise.

CHAPITRE XIII.  Que la doctrine du concile de Trente touchant le mérite des bonnes œuvres honore la grâce de Jésus-Christ, et nous apprend à nous confier en lui seul.

CHAPITRE XIV.  Conclusion de la seconde section. Injustice du ministre qui nie que nous ayons notre confiance en Jésus-Christ.

 

 

SECTION PREMIÈRE,
ou cette vérité est prouvée par les principes du ministre.

 

CHAPITRE PREMIER.
Que selon le sentiment du ministre on pouvait se sauver en la communion et en la croyance de l'Eglise romaine jusqu'à l'an 1543.

 

Encore que la Providence divine par des jugements terribles, mais très-équitables, permette que la doctrine céleste soit en quelque sorte obscurcie par les hérétiques, néanmoins elle se réserve le droit de tirer, quand il lui plaît, de leur bouche des témoignages illustres de ses vérités. Les exemples en sont communs dans l'antiquité chrétienne : mais nous devons au grand Dieu vivant de sincères actions de grâces, de celui qu'il fait paraître à nos yeux. Enfin les ministres de Metz prophétisent et nous

 

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donnent des arguments très-certains, par lesquels nous leur prouvons invinciblement que l'on se peut sauver dans l'Eglise que leurs prédécesseurs ont abandonnée. Je conjure le lecteur chrétien de considérer attentivement de quelle sorte le sieur Ferry enseigne cette doctrine à son peuple.

Après avoir discouru de la réformation de l'Eglise, il propose cette question en la demande XIII de son Catéchisme : « Que croyez-vous donc de nos ancêtres qui sont morts dans la communion de l'Eglise romaine? » A quoi il répond en premier lieu que « les Juifs auraient pu faire la même question aux apôtres qui les invitaient à embrasser l'Evangile (1). » Il est très-aisé de connaître que cette réponse n'est nullement à propos, parce qu'il n'y a pas sujet de douter qu'avant la publication du saint Evangile on n'ait pu se sauver dans le judaïsme ; et tout homme de bon sens jugera qu'il est ridicule de comparer le changement de religion qui est arrivé du temps des apôtres, avec celui que nos adversaires ont fait dans ces derniers siècles. Ceux-ci ont changé, comme chacun sait, la religion que leurs pères avaient professée, parce qu'elle leur semblait corrompue, pleine de sacrilège et d'impiété. Or il est clair que ce n'est point pour cette raison que les saints disciples de Notre-Seigneur se sont retirés de la religion judaïque ; mais sachant que la loi de Moïse n'était qu'une ombre et une figure , ils l'ont quittée de la même sorte que l'on fait laisser la grammaire à ceux que l'on avance aux sciences supérieures ; si bien que cet exemple ne conclut rien en faveur de notre adversaire : aussi l'a-t-il touché fort légèrement sans s'y être beaucoup arrêté, et après il passe à d'autres réponses qui semblent plus essentielles et plus sérieuses.

Il allègue donc deux raisons pour lesquelles il ne veut pas que l'on fasse le même jugement de ceux qui meurent en la communion de l'Eglise romaine , et de ceux qui sont morts en son unité avant la réformation prétendue (2). La première de ces raisons , c'est que l'ignorance, à ce qu'il estime, a rendu nos pères plus excusables ; la seconde , c'est que l'Eglise romaine n'est plus la même qu'elle était lors. C'est ce que nous avons à considérer :

 

1 P. 75. — 2 P. 75 et 76.

 

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mais auparavant posons bien le sens et la doctrine du ministre.

Voyons en premier lieu jusqu'à quel temps il dit que l'on pouvait se sauver en la communion de l'Eglise romaine. Et premièrement , il est très-certain qu'il y comprend tout celui qui s'est écoulé avant les auteurs de sa secte : et ainsi Luther n'ayant commencé à fonder ses nouvelles églises qu'environ l'an 1521, il s'ensuit que du consentement de notre adversaire, on pouvait se sauver parmi nous dans toutes les années précédentes (1). Mais il passe encore plus loin : car décrivant au long la manière avec laquelle les curés de Metz exhortaient les agonisants en l'an 1543, selon le Manuel imprimé sous l'autorité du cardinal de Lorraine qui régissait alors ce diocèse, il ne fait nulle difficulté d'avouer que l'on pouvait mourir, même en ce temps-là, dans la communion de l'Eglise romaine sans préjudice de son salut (2). Et enfin voulant expliquer quand les choses ont commencé d'y être tellement renversées, qu'on ne peut plus y espérer la vie éternelle, il rapporte ce changement environ à la session iv du concile de Trente , qui fut tenue l'an 1546 (3), et veut faire croire au peuple ignorant que depuis cette session, et les Pères de ce concile, et les papes en exécutant ses décrets, ont introduit dans l'Eglise romaine une doctrine si pernicieuse, qu'on ne peut plus y obtenir la couronne que Dieu a promise à ses serviteurs.

De là il s'ensuit qu'avant ce temps-là, les fidèles se pouvaient sauver en la créance de l'Eglise romaine : et certes la question même, comme il la propose, ôte tout le doute qu'on pourrait avoir de son sentiment sur ce sujet-là. Car ce qu'il veut éclaircir principalement, c'est l'estime qu'il faut faire de ceux « qui sont morts en la communion de l'Eglise romaine avant la réformation. » Qui dit communion, dit société de créance , d'autant que le nœud le plus ferme qui lie la communion ecclésiastique, c'est la profession de la même foi. En effet, il n'est pas possible de vivre en la communion d'une église, sans participer à ses sacrements et au service par lequel elle adore Dieu : ce qui enferme une déclaration solennelle qu'on approuve et qu'on reçoit sa créance. Le ministre lui-même reconnaîtra que ceux qui font la Cène avec lui

 

1 P. 98 et ensuite. — 2 P. 104. — 3 P. 106 et 107.

 

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professent hautement par cette action la doctrine de ses églises. Il faut dire la même chose de nos ancêtres auxquels il ne dénie pas le salut; qui toutefois mourant, comme il le confesse, en l'unité de l'Eglise romaine et en la communion de ses sacrements, ont assez témoigné par là qu'ils n'avaient point d'autre foi que la sienne. Mais ce qui achève de nous découvrir la pensée du sieur Ferry sur ce point, c'est ce qu'il dit en la page 98 et dans les suivantes.

C'est là qu'il remarque de quelle sorte l'Eglise catholique de Metz exhortait et consolait les mourants en l'an 1543. Il récite toutes les interrogations qu'on leur faisait; et après les avoir bien considérées, il déclare nettement qu'il ne doute point qu'ils ne se pussent sauver en cette créance. Examinons donc quelle était la foi qu'ils professaient jusqu'à la mort.

La première question qu'on fait au malade, et sur laquelle on lui demande son consentement, est couchée dans le Rituel, et rapportée dans le Catéchisme , en ces termes : « Mon ami, voulez-vous vivre et mourir en la foi chrétienne comme vrai, loyal et obéissant fils de notre Mère sainte Eglise ? » Le malade répondait, Oui : et je soutiens que par cette seule parole, il faisait profession de croire tout ce qui était cru en l'Eglise.

Le ministre dira sans doute qu'on ne lui parlait pas de l'Eglise romaine : et que « celle qui était nommée la Mère sainte Eglise n'était pas la particulière de Rome, mais l'universelle, et n'avait point d'autre nom à Metz, ni ailleurs que de catholique et apostolique (1).» Mais certes il s'abuse visiblement, s'il croit que nous restreignions le titre d'Eglise catholique à la seule Eglise de Rome, comme il le suppose en plusieurs endroits. L'Eglise que nous appelons catholique n'est pas renfermée dans les murailles d'une seule ville si grande et si peuplée qu'elle soit. Elle s'étend bien loin dans les nations. Cette même Eglise que nous nommons catholique et apostolique, parce qu'elle a la succession des apôtres, et qu'elle se multiplie, tous les jours par toutes les provinces du monde, nous la désignons aussi par le nom d'Eglise romaine, parce qu'une tradition ancienne lui apprend à reconnaître l'Eglise

 

1 P. 141.

 

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de Rome comme le chef de sa communion ; et par là nous la distinguons plus spécialement de toutes les sectes qui se sont séparées du Siège de l'apôtre saint Pierre, que l'antiquité chrétienne a révéré dès les premiers temps comme le centre de l'unité ecclésiastique. Nous ferons voir à notre adversaire en un autre lieu, que nos pères nous l'ont ainsi enseigné. Maintenant il nous suffit qu'il observe que c'est de cette Eglise que le curé parle dans les pieuses interrogations qui sont apportées dans le Catéchisme. Car il est clair qu'il ne parlait pas de l'église luthérienne, ni de la prétendue réformée, ni de l'éthiopique, ni de la grecque. Il parlait de l'Eglise en laquelle il était établi pasteur, où le malade voulait mourir, à laquelle il avait demandé le saint Viatique du divin corps de notre Sauveur, et le remède salutaire de l'Extrême-Onction : de laquelle il attendait les honneurs de la sépulture ecclésiastique. Celle-là était sans doute l'Eglise que l'usage commun appelle romaine. C'est de cette Eglise que le malade se reconnaissait le vrai fils, le fils loyal et obéissant : et ainsi témoignait-il pas qu'il embrassait sincèrement sa doctrine, qu'il recevait avec humilité ses décisions, qu'il suivait de tout son cœur ses enseignements? Et toutefois le ministre avoue que le chemin du ciel lui était ouvert, bien qu'il fit cette déclaration en mourant. Par conséquent il faut qu'il accorde qu'en l'an 1543, les fidèles se pouvaient sauver en la communion et en la créance de l'Eglise romaine.

 

CHAPITRE II
Qu'il n'y a aucune difficulté que nous soyons dans le même état que nos pères en ce qui regarde la religion.

 

C'est ici que je lui demande quel nouveau crime a commis l'Eglise romaine, de quelle nouvelle hérésie s'est-elle infectée depuis l'an 1543 et 46, et d'où vient que depuis ce temps-là seulement elle ne peut plus engendrer des enfants au ciel? Je n'ai pas besoin d'employer ici, ni des raisonnements recherchés, ni des remarques étudiées. Je ne veux seulement que le sens commun, pour voir que notre foi ne diffère pas de celle que nos ancêtres professaient alors : et de là il est aisé de conclure que s'ils se sont sauvés en

 

 

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cette créance, il n'y a aucune raison de douter de nous. Mais pour bien entendre cette vérité, il faut considérer avant toutes choses quel était en ce temps-là l'état de l'Eglise.

Que la foi fût la même, je le puis justifier aisément par les reproches de nos adversaires. Il est clair que les ministres ne forment aucune accusation contre nous, que leurs prédécesseurs n'aient commencée avec une pareille animosité. Il serait long de citer les passages; mais il est assez constant que la sainte messe, les images , les reliques, le purgatoire, l'invocation des saints, le mérite des œuvres et enfin tous les autres points que l'on nous objecte , ont été le sujet de leurs invectives : et entre les articles qui sont récités en la page 37 du Catéchisme, par lesquels le ministre prétend que nous avons perverti l'Evangile, je soutiens qu'il n'en saurait désigner un seul que ses pères n'aient déjà taxé de leur temps avec une véhémence extraordinaire. Il faut donc nécessairement qu'il confesse, ou que ses premiers maîtres ont été d'impudents calomniateurs, ou bien que si l'on nous a fait les mêmes reproches, nous avions par conséquent la même doctrine.

Ce qui le montre encore plus clairement, c'est que les premiers docteurs de nos adversaires, non contents de. reprendre cette créance pour faire voir combien ils s'en éloignaient, se sont publiquement séparés delà communion de l'Eglise romaine, prenant pour prétexte les mêmes causes que nos adversaires défendent encore : ce que le ministre ne peut nier sans une insigne infidélité. Et qui ne voit par là qu'ils jugeaient que la foi qu'on professait en l'Eglise, était directement opposée à celle qu'ils voulaient introduire?

En effet ils ont bien vu qu'ils se roidissaient contre une créance reçue. Aussitôt qu'ils parurent au monde et que sous le beau prétexte de réformation, ils débitèrent leurs nouveaux dogmes, et les évêques, et les conciles, et les universités catholiques résistèrent hautement à leurs entreprises. Chacun s'étonna de leur nouveauté ; et c'est une marque évidente que la doctrine qu'ils venaient combattre était profondément imprimée en l'esprit des peuples : ce qui ne serait pas ainsi arrivé , si elle n'eût été confirmée depuis plusieurs siècles par un consentement général.

 

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Bien plus, il est certain que, non-seulement les points de notre doctrine que nos adversaires contestent, étaient crus pendant ce temps-là par tous les fidèles qui vivaient en notre communion ; mais encore que pour la plupart ils avaient déjà été définis par l'autorité des conciles, contre diverses sectes qui s'y étaient injustement opposées. Le sieur Ferry dit-il pas lui-même que « dès l'an 1215, au concile de Latran, la transsubstantiation avait été passée en article de foi (1)?» Par conséquent cet article était cru dans le temps duquel nous parlons, pendant lequel du consentement du ministre on pouvait se sauver parmi nous. Néanmoins il n'est pas croyable combien nos adversaires l'ont en horreur. Du Moulin dit en son Bouclier de la foi, que «cette transsubstantiation sappe la piété par les fondements, et frappe droit au cœur de la religion (2). » Que s'ils demeurent d'accord que cette créance n'a pas empêché le salut de nos pères, ne nous font-ils pas voir sans difficulté qu'ils se sont emportés excessivement, quand ils l'ont si sévèrement censurée? Et ensuite ne nous donnent-ils pas une certitude infaillible qu'il n'y a plus aucun point de notre doctrine qui puisse nous exclure du ciel, puisque celui-ci, qu'ils blâment si fort, n'en a pas exclu nos pieux ancêtres?

Davantage, peut-on nier que la messe ne fût le service public de l'Eglise ? Nos adversaires ne le contestent pas, et c'est une vérité trop connue. Or c'est ce qu'ils ont le plus en exécration ; c'est la messe qu'eux et leurs pères ont décriée comme le comble de toutes sortes d'impiétés et d'idolâtrie. Mais il faut bien qu'ils sentent en leurs consciences que tous ces reproches sont très-injustes, puisqu'ils avouent maintenant, et qu'ils prêchent, et qu'ils enseignent même dans leurs Catéchismes, qu'avant leur réformation prétendue et jusqu'à l'an 1543, où la messe constamment était en l'Eglise en la même vénération qu'elle est en nos jours, cette Eglise qui la célébrait ne laissait pas de contenir en son sein, et d'y conserver jusqu'à la mort les enfants de Dieu.

Que dirai-je de l'administration de l'Eucharistie? Est-il rien de plus ordinaire en la bouche de nos prétendus réformés qu'un de nos plus grands attentats contre l'Evangile, c'est de ne la

 

1 P. 57. — 2 Sect. 173.

 

 

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donner pas sous les deux espèces? C'est ce qu'ils ne cessent de nous reprocher. Cependant au temps duquel nous parlons, cette Eglise qui, selon l'avis du ministre même, conduisait si bien ses enfants à Dieu, ne les communiait que sous une espèce. Et qui ne sait que quelques Bohémiens animés par les prédications de Jean Hus, ayant rétabli la communion du sacré calice , le concile général de Constance prononça qu'il fallait croire sans aucun doute que tout le corps et tout le sang de Notre-Seigneur était vraiment sous chacune des deux espèces; que la coutume de communier sous la seule espèce du pain tenait lieu de loi, qui ne pouvait être changée sans l'autorité de l'Eglise ; et que tous ceux qui seraient contraires à cette doctrine dévoient être tenus hérétiques (1). Telle fut la décision du concile, qui ayant été embrassée par toute l'Eglise, il n'y a qu'une extrême ignorance qui puisse douter de sa foi sur cette matière.

D'ailleurs les calvinistes publient tous les jours, et le ministre ne le niera pas, que les Vaudois et les Albigeois sont leurs vénérables prédécesseurs (2), qu'ils ont professé leur même créance , et qu'ils se sont retirés d'avec nous pour les mêmes causes, pour la messe, pour l'invocation des saints, pour le purgatoire, pour les images, pour la primauté du Pape, pour le sacrement de la sainte Table, et ainsi du reste. Or il est très-certain que l'Eglise condamna ces hérétiques sitôt qu'ils parurent. Et en condamnant leur doctrine, qui ne voit que par une même sentence elle a proscrit celle des calvinistes, qui se glorifient d'être leurs enfants? De cette sorte quand ils sont venus, il y avait déjà plusieurs siècles que leurs principales maximes avaient été publiquement rejetées, et par conséquent les contraires reçues par l'autorité de l'Eglise.

Mais ce qui fait clairement connaître combien elle détestait ces opinions, c'est que Jean Viclef et Jean Hus les ayant presque toutes ressuscitées, le concile général de Constance et le pape Martin V, et toute l'Eglise renouvela contre eux le juste anathème qu'elle avait prononcé contre les Vaudois. Et après tant de condamnations, qui serait si aveugle que de ne voir pas combien de points que nos adversaires ont taxés d'erreur, étaient reçus en l'Eglise

1 Sess XIII. — 2 P. 57.

 

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romaine comme des articles de foi catholique, dans le temps où le catéchiste confesse qu'on pouvait y trouver la vie éternelle.

Encore que ces choses soient très-évidentes, je suis contraint de les expliquer au ministre, qui fait semblant de les ignorer. Qu'il lise la session vin avec la XVe du concile universel de Constance, et la bulle du pape Martin V touchant la condamnation des erreurs de Jean Dus et de Jean Viclef, deux de ses prophètes. Là, parmi les propositions censurées , il y trouvera celles-ci entre autres : « La substance du pain matériel et semblablement la substance du vin matériel, demeurent dans le sacrement de l'autel. Jésus-Christ n'est pas réellement en ce sacrement en sa propre présence corporelle, » c'est-à-dire par la présence de son corps. « Il n'est pas fondé en l'Evangile, que Jésus-Christ ait institué la messe. Il n'y a aucune apparence qu'il soit nécessaire qu'il y ait un chef qui régisse l'Eglise militante dans les choses spirituelles, et qui vive, et soit conservé toujours avec elle. Il n'est pas de nécessité de salut de croire que l'Eglise romaine soit la première entre toutes les autres ; c'est une erreur, remarque ici le concile , si par l'Eglise romaine il entend l'Eglise universelle, ou le concile général, ou en tant qu'il nierait la primauté du souverain Pontife sur les autres églises particulières (1)  »

En conséquence de ces erreurs ainsi condamnées, le Pape avec le consentement du concile, ordonne que celui qui aura soutenu ces propositions, ou qui sera soupçonné de les croire, soit interrogé en cette manière : « S'il croit qu'au sacrement de l'autel, après la consécration du prêtre sous le voile du pain et du vin, ce n'est pas du pain et du vin matériel, mais le même Jésus-Christ qui a souffert à la croix, et qui est assis à la droite du Père. S'il croit et assure que la consécration étant faite, sous la seule espèce du pain soit la chair de Jésus-Christ, son sang, son âme, sa divinité et enfin Jésus-Christ tout entier. S'il croit que la coutume de communier les laïques sous la seule espèce du pain, observée par l'Eglise universelle et approuvée par le concile de Constance, doit être tellement gardée, qu'il n'est pas permis de la blâmer ou de

 

1 Propositions de Jean Viclef et de Jean Hus censurées au concile de Constance, sess. VIII et XV.

 

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la changer sans l'autorité de l'Eglise. S'il croit que le chrétien outre la contrition de cœur est obligé, par nécessité de salut, de se confesser aux seuls prêtres quand il le peut, et non à aucun laïque, si dévot qu'il soit. S'il croit que l'apôtre saint Pierre a été vicaire de Jésus-Christ, ayant puissance de lier et délier sur la terre. S'il croit que le Pape élu canoniquement est successeur de saint Pierre, ayant la suprême autorité en l'Eglise de Dieu. S'il croit les indulgences. S'il croit qu'il est permis aux fidèles de vénérer les images et les reliques des saints, et généralement tout ce qui a été défini au concile général de Constance (1). » Telles furent les décisions de ce saint concile ; reste maintenant que nous remarquions ce qu'il en résulte à notre avantage.

 

CHAPITRE III.
Que cette conformité de créance prouve clairement que nous pouvons nous sauver en l'Eglise romaine avec la même facilité que nos ancêtres; et que le ministre, qui nous condamne, ne s'accorde pas avec lui-même.

 

Ces choses ayant été résolues ainsi que je les ai rapportées, s'il reste quelque sincérité au ministre, il reconnaîtra franchement que ce concile étant reçu comme universel, ses déterminations ont été suivies par toute l'Eglise, et que jamais elles n'ont été révoquées. D'où il s'ensuit très-évidemment que dans le temps duquel nous parlons, et lorsque le concile fut ouvert à Trente, elles étaient en la même vigueur et en la même vénération : et qu'il y avait un siècle passé que la plupart des points contestés, et encore sans difficulté les plus importants, étaient proposés à tous les fidèles par l'autorité de l'Eglise, en la même manière que nous les croyons et avec une pareille certitude.

D'ailleurs ces interrogations de Martin V, que l'on faisait en particulier à ceux que l'on soupçonnait d'hérésie, tenaient lieu d'une profession de foi spéciale que l'on exigeait d'eux sur tous ces articles : tellement qu'il était impossible de demeurer en la communion de l'Eglise romaine sans les croire et les professer : d'où il s'ensuit que le concile de Trente n'a rien ordonné sur

 

1 Bulle de Martin V contre Jean Viclef et Jean Hus, tom. IV, Conc. gen. Edit. Rom.

 

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toutes ces choses, qui n'eût été déjà établi avec la même fermeté du temps de nos pères : et c'est ce qui fait voir manifestement combien le ministre abuse le monde, quand il tâche de persuader que c'est à Trente que se sont faits ces grands changements dans la religion ancienne (1) et que c'est ensuite de ses décrets que l'entrée du royaume céleste nous est interdite.

Je ne vois pas ce qu'il peut répondre à des raisons si fortes et si évidentes. Niera-t-il que la foi de nos pères fût telle en ce temps-là que je la propose ? Mais qu'est-ce qui peut mieux faire voir la créance qui est tenue dans l'Eglise, que les déterminations qu'elle fait dans ses assemblées générales sur les doutes et sur les questions qui s'élèvent? N'est-ce pas sur les résultats des conciles que les confessions de foi sont dressées ? Dira-t-il qu'il y a d'autres points que je n'ai pas encore touchés? Mais du moins il avouera sans difficulté que ceux que j'ai rapportés sont les principaux; et que si nous en étions demeurés d'accord, presque toutes nos disputes seraient terminées. A quoi donc se réduira-t-il? Bien avant dans le siècle passé on se sauvait en l'Eglise romaine; notre adversaire n'en disconvient pas : maintenant à son avis il est impossible. Que si la créance est la même, pourquoi damner les uns et sauver les autres? Dans une telle conformité, sur quoi le ministre peut-il fonder une sentence si dissemblable? Quel procédé plus injuste ni plus téméraire?

Je vois bien qu'il cherche à nos pères, qui sont morts en l'Eglise romaine, un asile assure dans leur ignorance. Mais en attendant que nous lui prouvions par un raisonnement invincible que cette réponse ne s'accorde pas avec ses principes, faisons-lui seulement remarquer qu'il n'a pas bien considéré ce qu'il dit. Car je lui demande quelle estime il fait des Vaudois et des Albigeois. Sont-ce de bons ouvriers comme il les appelle (2), ou de faux prophètes comme nous disons? Que s'ils sont ces bons ouvriers, que  le grand Père de famille avait employés pour la réformation de l'Eglise, ainsi que notre adversaire l'assure, qui pouvait s'excuser sur son ignorance depuis qu'ils ont paru dans l'Eglise? Leur séparation avait-elle point assez éclaté? Nos adversaires ne disent-

 

1 P. 107 et ensuite.— 2 P. 57.

 

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ils pas que Dieu les avait dispersés parmi les nations et les peuples, pour y porter le témoignage de l'Evangile ? Et encore plus nouvellement Viclef et Jean Hus que les calvinistes estiment des leurs, n'avaient-ils pas enseigné et dogmatisé à la face de toute l'Eglise? Et d'où vient donc que les ministres déclarent que l'ignorance excuse nos pères, puisqu'ils disent d'ailleurs que la vérité leur avait déjà été annoncée? Est-ce qu'ils se veulent réserver la gloire d'avoir les premiers prêché l'Evangile, et dissipé l'ignorance du monde? Mais donnons au ministre qu'il soit ainsi ; qu'il songe à ce qu'il a dit de nos ancêtres qui vivaient en l'an 1543 et encore quelque temps au-dessous: que persistant jusqu'à la mort en la communion de l'Eglise romaine, ils y ont pu obtenir la vie éternelle, comme nous l'avons montré assez clairement. Certes il y avait déjà vingt années que l'on prêchait et en France et en Allemagne la réformation prétendue (1), et elle faisait tant de bruit dans l'Europe, que personne ne la pouvait ignorer. Combien d'églises de la nouvelle Réforme avaient été déjà établies, et même dans le voisinage de Metz (2) ? Quoi plus? Le ministre ne dit-il pas que « la réformation se prêchait lors hautement en cette ville? » C'est peu de dire qu'elle s'y prêchait; il dit qu'elle s'y prêchait hautement. Cependant c'est dans Metz qu'il assure que nos pères pouvaient mourir durant ce temps-là en la communion de l'Eglise romaine, sans préjudice de leur salut. En quoi différons-nous d'avec eux? Vous nous prêchez, vos prédécesseurs les prêchaient ; vous nous appelez, ils les appelaient ; nous vous refusons, ils les refusaient. Par quelle justice nous condamnez-vous, ou par quelle justice les absolvez-vous, puisque nous sommes également innocents, ou également criminels?

 

CHAPITRE IV.
Que le ministre, voulant mettre de la différence entre nos ancêtres et nous, établit encore plus solidement la sûreté de notre salut dans l'Eglise . romaine.

 

Le ministre s'est bien aperçu que ceux qui considéreraient

 

1 A Wittemberg dès l'an 1521. Sleidan, lib. III. — 2 A Genève, à Berne, à Constance, à Bâle, à Strasbourg, en 1528 et 1529. Idem., lib. VI, p. 103.

 

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attentivement cette conformité de créance, jugeraient sans difficulté qu'il a prononcé en notre faveur, quand il a justifié nos ancêtres. C'est pourquoi il n'épargne aucun artifice pour mettre quelque différence entre nous et eux. Il dit donc que les anciens Rituels dont les catholiques usaient en ces temps, font bien voir que le mérite du Fils de Dieu était leur unique espérance ; au lieu que la doctrine que nous professons, ruinant cette confiance au Libérateur en laquelle tout le christianisme consiste, elle renverse par conséquent l'Evangile et détruit toute la piété chrétienne. C'est là le sujet principal des invectives de son Catéchisme.

Pour faire paraître la fausseté de cette accusation mal fondée, je n'aurais qu'à proposer en peu de paroles une simple explication de notre créance. Mais il y a quelque chose de plus remarquable que je veux représenter aux lecteurs : il faut que toutes les personnes sensées reconnaissent la force secrète de la main de Dieu, qui conduit si puissamment l'esprit du ministre, que pendant qu'il s'élève le plus contre nous, et qu'il défigure notre doctrine par des calomnies plus visibles, il établit lui-même les fondements qui assurent notre salut dans l'Eglise romaine selon la conséquence de ses principes. Pour mettre cette vérité en son jour, je pose ces trois propositions.

1. Tant que l'on conserve immuable le fondement essentiel de la foi, quelque erreur où l'on soit d'ailleurs, le ministre estime qu'on se peut sauver. 2. Ce fondement essentiel de la foi, lequel étant mis et demeurant ferme, les erreurs sur les autres points ne nous damnent pas, selon les maximes du catéchiste, c'est la confiance en Jésus-Christ seul. 3. Nier que nous ayons cette confiance, c’est s'aveugler volontairement. Quand ces trois propositions seront bien prouvées, il n'y a personne si opiniâtre qui ne nous accorde cette conséquence , que le ministre démentira sa propre doctrine, s'il n'avoue que nous pouvons nous sauver en la communion de l'Eglise romaine. Montrons par des raisonnements invincibles ces trois importantes propositions.

Pour cela il faut comprendre avant toutes choses quelques principes de nos adversaires, qui ayant été examinés très-solidement par des personnes d'une réputation éminente, nous

 

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en toucherons seulement ce qui sera nécessaire à notre sujet.

C'est une maxime constamment reçue parmi les ministres, qu'il y a deux sortes d'erreurs en la foi. « Les unes , dit un ministre célèbre, sont pernicieuses et incompatibles avec la vraie piété ; les hommes à perdition (1). » De ces erreurs du second rang, ce ministre enseigne que « si nous ne pouvons en délivrer nos prochains, il ne faudra pas pour cela rompre avec eux; mais y supporter doucement ce qui ne s y peut changer, et qui au fond ne préjudicie pas à leur salut, et moins encore au nôtre. » C'est ce que le catéchiste explique en d'autres paroles, lorsqu'il dit que toute erreur, qui est hors des matières nécessaires, ne doit pas être prise pour la révolte de la foi dont parle l'Apôtre, ni estimée cause de séparation (2). » Mais la suite de ce discours éclaircira mieux quel est son sentiment sur cette matière.

Cependant nous remarquerons. que c'est sur ce seul fondement que nos adversaires bâtissent cette union si mal assortie avec leurs nouveaux frères les luthériens. C'est une affaire qui s'est traitée entre les ministres, et on n’en a pas divulgué le secret aux peuples. De tous les articles de notre créance, celui qui les choque le plus c'est la réalité du corps du Sauveur dans le sacrement de l'Eucharistie ; et toutefois les ministres se sont accordés avec les luthériens, qui la tiennent non moins fortement que les catholiques. Mais parce que je serais suspect à nos adversaires, si je leur rapportais de moi-même une chose qui leur est désavantageuse , je les veux instruire de la vérité par le témoignage d'un de leurs pasteurs. C'est Daillé, ministre de Charenton , qui parle ainsi des luthériens en l’Apologie qu'il a faite des églises prétendues réformées : « J'avoue, dit-il, qu'il ne nous est non plus possible de croire que de concevoir ce qu'ils posent, que le corps du Seigneur est réellement présent sous le pain de l'Eucharistie. Mais bien nous est-il possible, et comme j'estime, nécessaire selon les lois de la charité de supporter en leur doctrine cela même que nous ne croyons pas. Car cette opinion qu'ils ont demeurant en

 

1 Daillé, Apocal., cap. VII, imprimée avec approbation de Mestrezat, Drelincourt et Aubertin. — 2 P. 44.

 

 

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ces termes, n'a aucun venin (1). » Et un peu après continuant le même sujet : « Cette hypothèse, dit-il, ne nous engage en rien qui soit contraire ou à la piété, ou à la charité, ou à l'honneur de Dieu, ou au bien des hommes. » Cette vérité étant reconnue par nos adversaires en termes si forts et si énergiques, il n'y a personne qui ne confesse que notre doctrine sur ce point est très-innocente. Et afin qu'on ne pense pas que ce soit une opinion particulière pour autoriser sa pensée, Daillé rapporte le résultat d'un synode national tenu à Charenton en l'an 1631, où les églises prétendues réformées reçoivent expressément les luthériens à leur communion et à leur table, nonobstant cette opinion et quelque peu d'autres de moindre importance encore (2). » Tel est le sentiment de nos adversaires touchant la réalité du corps et du sang dans l'auguste sacrement de l'Eucharistie.

Nous avons toujours bien prévu que cette déclaration authentique aurait des conséquences très-considérables : que les ministres s'étant relâchés sur ce point qui paraît le plus incroyable, et qui est sans doute celui sur lequel les contentions ont été de tout temps le plus échauffées, ils auraient fort mauvaise grâce de se roidir si fort sur les autres : et qu'enfin ils se trouveraient fort embarrassés à nous expliquer quels sont les articles qui renversent la piété chrétienne, puisque celui-ci dans leur sentiment n'y est pas contraire. Nous ne nous sommes pas trompés dans cette pensée, et nous en voyons l'effet tout visible dans le Catéchisme du sieur Ferry. Car encore qu'il ait remarqué lui-même que la transsubstantiation, dont le nom seul fait horreur à ses frères, a été passée en article de foi dès l'an 1215, encore qu'il sache très-bien que la messe et la communion des laïques sous la seule espèce du pain , était reçue en l'Eglise du temps de nos pères, et qu'il n'ait pas pu ignorer, ni ces fameuses décisions de Constance, ni les autres déterminations ecclésiastiques lesquelles nous lui avons objectées : toutes ces choses ne sont pas capables de le faire prononcer contre nos ancêtres : au contraire il prêche en termes formels que jusqu'à l'an 1543 on se sauvait encore en l'Eglise qui

 

1 Daillé, Apol., cap. VII. — 2 Synode national de Charenton en l'an 1631, pour autoriser cette union. Daillé, ibid.

 

 

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avait résolu tant de points contre sa créance. Et quoiqu'il tâche d'excuser nos pères sous prétexte de leur ignorance , c'est de là même que je conclus que les articles dont nous parlons, ne peuvent pas être fondamentaux selon les principes de nos adversaires, puisque tout le monde convient unanimement que l'ignorance des fondements de la foi n'est pas une excuse suffisante devant la justice divine, et que c'est des articles fondamentaux que nous pouvons dire ce que dit l'Apôtre : « Qui ignore, sera ignoré (1). »

 

CHAPITRE V.
Continuation de la même matière. Explication du sentiment du ministre, qui déclare que l'invocation des saints n'empêche pas notre salut.

 

C'est encore cette union si célèbre avec les sectateurs de Luther qui pousse le ministre si loin, que bien qu'il enseigne dans son Catéchisme que c'est une erreur de prier les saints, il ne peut croire qu'elle soit plus pernicieuse que la créance des églises luthériennes touchant cette incompréhensible réalité du corps du Sauveur dans le pain de l'Eucharistie. C'est pourquoi il enseigne à ses auditeurs sans aucune ambiguïté, que cette prière n'enferme pas une erreur damnable; et il importe pour mon dessein que le lecteur pénètre bien sa pensée.

Il faut rappeler ici la mémoire des choses que nous avons déjà remarquées, et considérer que le catéchiste ayant représenté bien au long la manière d'exhorter les malades, pratiquée au diocèse de Metz par les pasteurs catholiques de cette église, déclare qu'il ne doute point du salut de tous ceux qui mouraient en la foi qui leur y était proposée, parce qu'on les adressait au Sauveur comme à leur unique espérance. Toutefois voici ce qu'il dit qui mérite d'être observé sérieusement : « Vrai est que le curé y entremêlait quelque chose de l'invocation de la Vierge et du bon ange du malade, et du saint auquel il pouvait avoir une affection particulière (2). » Ce sont les paroles du catéchiste, dont les personnes judicieuses reconnaîtront aisément l'artifice. Car il ne récite pas le passage entier, comme il avait fait tout le reste qu'il

 

1 I Cor., XIV, 38. — 2 P. 102.

 

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tâche de tirer à son avantage; il passe cet endroit fort légèrement : « on y entremêlait, dit-il, quelque chose et un petit mot. » Mais faisons paraître la vérité, et découvrons ce que c'est que ce petit mot, et ce que veut dire ce quelque chose. Le curé parlait ainsi au malade : « Ayez en votre cœur mémoire de la croix et des plaies de Jésus-Christ, en invoquant à votre aide la glorieuse Vierge Marie, Mère de miséricorde et refuge des pauvres pécheurs, et pareillement votre bon ange et les saints et saintes auxquels vous avez eu singulière et spéciale dévotion (1). » Quant à ce petit mot par lequel on invoquait la très-sainte Vierge, il était ainsi énoncé : « Marie, Mère de grâce, Mère de miséricorde, défendez-moi de l'ennemi, et à l'heure de la mort veuillez me recevoir : Amen (2). » Tel est le petit mot que le catéchiste coule si doucement.

J'avoue certes qu'un ministre plus chagrin que lui s'écrierait incontinent au blasphème ; mais le sieur Ferry ne va pas si vite ; il s'est souvenu en ce lieu qu'il faisait un Catéchisme, non une invective. Il sait bien que nous recourons au Sauveur comme à celui qui nous a réconciliés, qui a expié nos crimes en sa propre chair, par lequel seul nous avons accès au trône de grâce : que nous appelons la sainte Vierge à notre secours d'une manière infiniment différente, laquelle néanmoins est très-fructueuse parce que la très-pure Marie ayant des entrailles de mère pour tous les fidèles à cause de son cher Fils Jésus-Christ dont nous avons l'honneur d'être membres, elle s'entremet pour nous par la charité , et nous obtient des grâces très-considérables par ses puissantes intercessions. Le ministre n'ignore pas que c'est en cet esprit que nous la prions, et il ne peut croire que cette prière ruine le fondement du salut. Peut-être n'ose-t-il pas dire tout ce qu'il en pense ; mais du moins il en a dit tout ce qu'il a pu, tout ce que lui permettait sa profession. « Ce que les livres ajoutaient, dit-il, de l'invocation à autre qu'à Dieu pouvait être interprété en un sens tolérable (3). » Merveilleuse conduite de la Providence! De toutes les prières ecclésiastiques par lesquelles nous implorons l'assistance de la très-heureuse Marie, aucune n'est conçue en

 

1 Agende de Metz, de l'an 1543, fol. 63. — 2 Ibid. — 3 P. 105

 

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termes plus forts que celle que nous avons rapportée : et c'est toutefois celle-là que le ministre excuse lui-même, pressé intérieurement en son âme par un secret mouvement de l'Esprit de Dieu : il est contraint de céder à la vérité, et il corrige par son exemple l'ardeur indiscrète de ses confrères, qui nommeraient cette oraison une idolâtrie, et toutes ces paroles autant de blasphèmes.

Ce n'est pas qu'il ne biaise, qu'il ne dissimule; que ne fait-il pas pour persuader que nos ancêtres priaient les saints autrement que nous? Il assure que « ce qu'on faisait dire à la Vierge, c'était plutôt pour y adresser le malade selon l'usage du temps, que pour lui en imposer aucune nécessité ; que les litanies se disaient par le curé, et non par le malade ; qu'aussi l'invocation des saints n'était pas chose qui fût crue nécessaire à salut (1). » Mais tant s'en faut que ces réponses nous satisfassent, qu'au contraire nous sommes certains que le ministre lui-même n'en est pas content. Car il sait bien que nous enseignons la même doctrine que nos pères ont professée ; si nous prions les esprits bienheureux qu'ils nous assistent par leurs oraisons, ce n'est pas que cette prière nous soit ordonnée comme nécessaire , mais elle nous est recommandée comme profitable. Le sieur Ferry ne l'ignore pas; et c'est pourquoi il tâche d'échapper par une autre voie. Sur la foi de Cassandre, qu'il rapporte en marge, et dont il sait bien que l'autorité n'est pas de grand poids parmi nous, il voudrait que l'on crût que « cette prière adressée à la sainte Vierge et aux saints, était plutôt un désir du priant qu'une interpellation directe du mort (2). » Ne voyez-vous pas comme il se tourmente pour embarrasser une chose claire? Mais qu'il s'imagine ce qu'il lui plaira, quelque artifice dont il se serve pour déguiser une vérité manifeste, nous repartirons en un mot que nous n'invoquons pas les saints d'une autre manière, ni en paroles plus expresses ni plus formelles que sont celles que j'ai citées de ce Rituel de l'an 1543, que le ministre produit en son Catéchisme pour justifier la foi de nos pères.

Il a bien vu en sa conscience combien étaient vaines toutes ces

 

1 P. 102. — 2 P. 103.

 

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réponses, il parle plus franchement dans la suite, et dit que « cette invocation en tout cas devait être prise pour le foin dont parle l'Apôtre, qu'ils édifiaient ou qu'ils entassaient sur le fondement qui est Jésus-Christ, et combien qu'il ne leur servit de rien et qu'ils en fissent perte, il ne les empêchait pas d'être sauvés » O triomphe de la vérité catholique sur les calomnies de ses adversaires! Quel ministre assez téméraire osera nous objecter maintenant que c'est une idolâtrie de prier les saints, que c'est abandonner Jésus-Christ et ruiner sa médiation auprès de son Père? Le sieur Ferry nous défend contre ces reproches. Car je demande quel salut pourrait espérer celui qui serait mort avec de tels crimes? Il faut donc nécessairement qu'il confesse que ses confrères qui nous en chargent sont de très-injustes accusateurs, puisqu'il enseigne dans son Catéchisme que cette prière, qui est le sujet de leurs invectives les plus sanglantes, laisse le fondement du salut entier, et ne nous sépare pas d'avec Jésus-Christ.

Il sera forcé de dire le même des autres articles controversés qui étaient reçus en ce même temps par toute l'Eglise; et si quelque curieux l'interroge, d'où vient qu'il enseigne dans son Catéchisme que nos ancêtres se pouvaient sauver, bien qu'ils crussent tant de points importants contre la doctrine de ses églises, comme nous l'avons prouvé assez clairement : ne faudra-t-il pas qu'il réponde ce qu'il dit de l'invocation des saints, que ces erreurs « étaient le foin dont parle l'Apôtre, qui était édifié sur le fondement, et qui n'empêchait pas le salut?       Concluons donc selon ses maximes, que les erreurs, quelles  nous qu'elles soient, ne nous damnent pas tant que le fondement de la foi demeure. Reste maintenant que nous expliquions quel est ce fondement de la foi dans le sentiment de notre adversaire ; et c'est de la seconde proposition que nous avons à examiner.

 

1 P. 105.

 

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CHAPITRE VI.
Seconde et troisième propositions qui assurent notre salut dans l'Eglise romaine; que selon les principes du ministre, le fondement essentiel de la foi, lequel étant posé, les erreurs surajoutées ne nous damnent pas, c'est la confiance en Jésus-Christ seul; et que c'est vouloir s'aveugler que de nier que nous ayons cette confiance.

 

Il n'est pas nécessaire d'employer ici une longue suite de raisonnements, puisque le ministre s'explique en termes formels ; il dit nettement en son Catéchisme que ce fondement qui a sauvé nos pères, nonobstant toutes leurs erreurs, c'est « la confiance ès seuls mérites de Jésus-Christ, laquelle, dit-il, on exigeait d'eux et dont on leur faisait faire confession. » De là vient qu'il l'appelle en ce lieu et dans tout son livre, « le vrai et unique moyen de salut, le plus grand article de tous, le sommaire de la doctrine chrétienne, et ce qui fait véritablement le chrétien. » De sorte que suivant ces principes, quiconque a dans son cœur cette confiance est appuyé sur le fondement immobile; et à cause de la fermeté de ce fondement, les erreurs surajoutées ne le damnent pas et ne le séparent pas d'avec Dieu. C'est pourquoi, encore qu'il soit évident que la doctrine de nos ancêtres était directement contraire à la sienne en beaucoup de questions importantes, ainsi que nous l'avons observé, toutefois ayant reconnu cette confiance dans les livres dont on usait en l'Eglise avant le concile de Trente, il a été contraint de nous accorder qu'on pouvait se sauver jusqu'alors en la communion de l'Eglise romaine.

C'est aussi depuis ce temps-là, dit le catéchiste (1), que le chemin du ciel est fermé pour nous, parce que, voici ses paroles, « il n'est plus permis en l'Eglise romaine de mourir en se fiant ès seuls mérites de Jésus-Christ (2),» « parce que la justification par la foi et la confiance de salut, qui jusqu'alors avait été conservée pour le refuge et pour le salut des mourants, et qui en était le sommaire, fut condamnée et le mérite des œuvres établi (3). »

Nous le prions, nous le conjurons par cette charité chrétienne, qui est douce, qui est patiente , qui n'est point jalouse ni

 

1 P. 101. — 2 P. 113. — 3 P. 108.

 

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ambitieuse, qui ne soupçonne point le mal (1), qu'il dépouille la passion de sa secte, et qu'il nous considère des mêmes yeux desquels il a regardé nos pieux ancêtres ; il trouvera sans difficulté que nous sommes encore ici avec eux.

Je m'engage de lui prouver très-évidemment qu'il faut être ignorant de l'antiquité pour croire que la créance que nous professons , touchant la justification du pécheur et le mérite des bonnes œuvres, ait commencé au concile de Trente. La section suivante lui fera connaître par des témoignages certains, que la doctrine que nous prêchons nous a été enseignée par l'ancienne Eglise, et par ceux des Pères dont l'autorité lui doit être la plus vénérable.

En attendant que je m'acquitte de cette promesse, je le prie d'écouter des auteurs qui ne doivent pas lui être suspects. Ce sont les historiens ecclésiastiques de la Réformation prétendue, qui parlent ainsi de la doctrine du treizième siècle dans la préface de leur treizième centurie : « En ce siècle , disent-ils, cette doctrine évangélique était éteinte, que les hommes sont justifiés devant Dieu par la seule foi sans les œuvres. La doctrine des faux prophètes régnait publiquement, que les bonnes œuvres sont méritoires du salut (2). » Que le ministre remarque en ce lieu que tout ce qu'il reprend en notre créance, ses frères l'ont attribué au treizième siècle. Il ne serait pas malaisé de montrer que Luther et Calvin et les autres ont parlé de la même sorte des siècles qui les ont précédés ; et ainsi c'est en vain que le catéchiste s'efforce à mettre de la différence entre nos ancêtres et nous, puisque ses plus grands docteurs reconnaissent qu'ils avaient les mêmes sentiments que nous professons.

Mais le ministre est d'un autre avis ; ses pères disent que dès le XIIIe siècle, la doctrine de la justification était pervertie, et par conséquent selon leur principe la confiance en Jésus-Christ ruinée. Au contraire , « en tous ces siècles, dit le catéchiste, et jusqu'à la fin du XVe, non-seulement il était permis aux chrétiens de mourir en la confiance d'être sauvés par les seuls mérites de Jésus-Christ, mais même ils y étaient expressément adressés (3) ; » et parlant de la

 

1 I Cor., XIII, 4, 5.— 2 Magdeburg, Hist. eccles., Cent, XIII, in prœfat.— 3  P. 92.

 

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VIe session de Trente, il assure que « la justification par la foi jusqu'alors avait été conservée pour le salut des mourants (1). » Ainsi nos adversaires sont partagés en deux opinions différentes.

Donc ou ces illustres réformateurs ont fait tort à l'innocence de nos ancêtres, ou le ministre lui-même s'abuse quand il attribue aux Pères de Trente l'établissement de notre doctrine touchant la justification des pécheurs et le mérite des bonnes œuvres.

Que s'il veut soutenir ce qu'il a prêché, s'il dit que ce sont ses prédécesseurs qui ont mal pris la pensée des siècles passés, si une imprudente préoccupation les a emportés si loin hors des bornes d'une modération raisonnable ; ne doit-il pas avoir une juste crainte que sa vue n'ait été troublée par le même esprit qui les aveuglait, et qu'en déguisant la foi de la sainte Eglise, il ne nous fasse la même injustice qu'il croit que ses premiers maîtres ont faite à nos pères?

Certes quelque estime qu'il ait de notre créance, nous protestons devant Dieu et devant les hommes, que nous espérons uniquement au Sauveur ; que c'est notre seul pacificateur, le seul qui réconcilie le ciel et la terre, le seul qui purge nos consciences gratuitement par son sang : que quelque bien que nous puissions faire en ce monde ? eussions-nous toutes les vertus qui sont répandues dans tous les ordres des prédestinés, nous ne serons jamais agréés du Père, si nous ne lui sommes présentés au nom de son Fils, si lui-même ne nous présente, si nous ne paraissons revêtus de lui. C'est là notre foi, c'est notre doctrine , nous voulons vivre et mourir en cette espérance Pourquoi   C'est pourquoi en consolant les malades, après leur avoir administré les saints sacrements, la pieuse tradition de l'Eglise ordonne qu'on leur mette la croix à la main comme leur sauvegarde assurée. Cette sainte cérémonie leur enseigne à se mettre à couvert sous la croix contre les terribles jugements de Dieu justement irrité contre nous. Là une conscience effrayée par la multitude de ses péchés respire en la passion du Sauveur. Comme on voit un homme à demi noyé qui se prend de toute sa force à une branche qu'on lui tend de dessus le rivage : ainsi on avertit le vrai

 

1 P. 108.

 

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chrétien qu'il tienne fortement ce bois salutaire, de peur que ses iniquités ne l'abîment. Donc en embrassant la croix du Sauveur, que voulons-nous dire autre chose, sinon que battus des flots et de la tempête, menacés d'un naufrage certain par le débris inévitable de notre vaisseau, nous nous jetons avec Jésus-Christ sur cette planche mystérieuse, sur laquelle nous croyons arriver au port de la bienheureuse immortalité. C'est ce que signifie cette croix que nous présentons à nos frères agonisants : et afin de leur relever le courage, nous animons la cérémonie par cette pieuse exhortation : « Mon ami, après que Dieu vous a fait la grâce de recevoir tous vos sacrements, qui est tout ce que peut désirer le vrai chrétien prêt à partir de ce monde, il ne reste plus qu'à vous résigner du tout entre les bras de sa bonté et miséricorde , sans plus penser à autre chose qu'à la mort et passion de notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ, de laquelle je vous présente la figure et remembrance, suivant la sainte et louable coutume de notre Mère l'Eglise, afin qu'en voyant ce vénérable signal, il vous souvienne de ce qu'il a souffert en l'arbre de la croix pour vous, et de la charité immense qu'il vous a portée jusqu'à l'effusion de la dernière goutte de son très-précieux sang : élevez donc les yeux de l'esprit et méditez ici votre Sauveur, ayant le chef abaissé pour vous baiser, les bras tendus pour vous embrasser, le corps et les membres du tout ensanglantés pour vous racheter et sauver; priez-le en toute humilité et d'ardente affection que son sang ne soit en vain épandu pour vous, et qu'il lui plaise, par le mérite de sa douloureuse mort et passion, vous octroyer pardon de toutes vos fautes, et finalement recevoir votre âme entre ses munis, quand il lui plaira la retirer de ce monde. Ainsi soit-il (1). »

C'est ainsi qu'en la dernière agonie , l'Eglise par sa charité maternelle excite les enfants de Dieu et les siens. Elle veut qu'ils appliquent toute leur pensée à Jésus-Christ, à sa mort et à ses souffrances. Pour rassurer leur âme étonnée, elle leur représente ce Jésus-Christ se donnant à eux, se sacrifiant, s'épuisant pour eux: c'est de là qu'elle leur ordonne de tout espérer et en cette vie et

 

1 Agende de Metz, par feu Monseigneur l'Evêque de Madaure, en l'an 1631, p. 91.

 

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en l'autre : et on ose lui reprocher qu'elle ne laisse pas mourir ses enfants en cette confiance chrétienne en Jésus-Christ seul ; quelle injustice! quelle calomnie!

Elle ne se contente pas de les exhorter, elle leur fait professer cette foi; et l’Agende dont nous usons ordonne aux curés d'exiger des agonisants cette même confession, qui selon le catéchiste mourants a sauvé nos pères en l'an 1543. «Ne croyez-vous pas fermement

cette salutaire que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu mourir pour vous, et qu'autrement que par sa mort et passion vous ne pouvez être sauvé (1) ? » On leur fait la même interrogation en leur donnant le saint sacrement de l'Eucharistie : « Voici, leur dit-on, le vrai Agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. Voici votre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, au nom duquel il faut que nous soyons tous sauvés, et sans lequel il ne faut espérer aucun salut, ni en ce monde ni en l'autre. Le croyez-vous ainsi (2) ?» En quoi donc différons-nous de nos pères? Et quelle est l'obstination de nos adversaires, quelle aigreur, quelle animosité les aveugle et les irrite injustement contre nous? Nous leur prêchons, nous leur crions de toutes nos forces, que nous n'espérons rien que par Jésus-Christ, que nous espérons tout par Jésus-Christ : et ils s'opiniâtrent à publier que nous sommes capitalement opposés à cette créance !

C'est ici que le catéchiste répond « qu'il semble que cette demande ne soit ajoutée que par manière d'acquit ou comme par mégarde (3). » O faiblesse extrême de notre adversaire ! Car la charité chrétienne m'empêche d'user d'une censure plus rigoureuse. Recourir à des réponses si vaines, est-ce pas se sentir vaincu et ne l'oser dire? Mais demandons-lui pourquoi il lui semble que ceci est ajouté par mégarde. « C'est, dit-il, parce que cette demande est omise en celles que l'on fait aux Allemands. » Et pourquoi ne dites-vous pas bien plutôt que c'est par mégarde qu'elle y est omise? Quelle personne de sens rassis ne jugera pas que l'on omet par inadvertance, et que l'on ajoute par jugement? Toutefois il vous plaît de dire que ce qu'on ajoute c'est par mégarde, et que ce qu'on oublie c'est par choix. Mais venons à une réponse

 

1 Agende de Metz, de l'an 1631, p. 70. — 2 P. 59. — 3 P. 113.

 

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plus décisive. Il est faux que l'Eglise catholique n'exige pas des Allemands la même créance qu'elle fait professer aux Français. Elle sait que l'Evangile ne reconnaît point la différence des nations, si ce n'est pour les assembler en Notre-Seigneur, et pour en faire un même peuple béni par la grâce de la nouvelle alliance. Ecoutez comme le pasteur catholique parle aux Allemands en l’Agende dont nous usons, et en laquelle vous nous reprochez que cette pieuse interrogation a été omise. Voici ce que leur dit le curé en leur administrant le saint Viatique.

« Il faut croire fermement que vous devez être sauvé par la croix et par le sang précieux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et non point par vos propres mérites qui sont trop petits pour cela (1). » Et après : « Regardez votre Rédempteur vrai Dieu et vrai homme, au nom duquel seulement nous serons sauvés, et sans lequel il n'y a point de salut à espérer ni en ce monde ni en l'autre. » Que reste-t-il à dire pour vous satisfaire? Est-ce encore par mégarde que nos évêques mettent cette belle exhortation en la bouche des curés d'Allemagne ? C'est bien se défier de sa cause que de vouloir la fortifier par des observations si peu digérées et par des faussetés si visibles.

 

CHAPITRE VII.
Conclusion et sommaire de tout ce discours.

 

Eveillez-vous donc, nos chers frères, reconnaissez enfin que l'on vous abuse, et que l'on vous déguise notre doctrine afin de vous la rendre odieuse. Mais admirez que votre ministre dans le temps qu'il déclame le plus contre nous, est tellement pressé en sa conscience par la force toute-puissante de la vérité, qu'il vous montre lui-même dans notre Eglise la sûreté infaillible de votre salut ; vous en êtes bien peu soigneux, si vous ne considérez attentivement une vérité de cette importance. Elle vous paraîtra évidente, si vous pesez sérieusement en vous-mêmes les raisons que je vous ai proposées, et que je vous représenterai en peu de paroles pour vous en rafraîchir la mémoire.

 

1 P. 61.

 

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Souffrez premièrement que je vous demande quel obstacle vous trouvez à notre salut. Vous direz que c'est la doctrine que nous professons; mais ce n'est pas le sentiment de votre ministre. Car il vous a enseigné en termes formels que nos ancêtres se pou-voient sauver jusqu'à l'an 1513, en la communion de l'Eglise romaine ; toutefois il n'ignore pas, et nous lui avons prouvé assez clairement que la créance qu'ils professaient était entièrement conforme à la nôtre dans les points principaux de nos controverses.

La présence réelle du corps du Sauveur dans le sacrement de l'Eucharistie, la transsubstantiation et la messe, la communion des laïques sous la seule espèce du pain, la vénération des images, la primauté du Pape et les indulgences, et les autres articles dont j'ai parlé, sont ceux que vous combattez avec plus d'ardeur; et néanmoins on ne peut nier après les raisons que j'en ai données, que nos pères ne les reçussent dans le temps auquel on vous a prêché qu'ils pouvaient obtenir la vie éternelle en l'unité de l'Eglise romaine.

Ils étaient si certainement établis, que tous ceux qui s'y opposaient étaient condamnés par l'autorité de l'Eglise, et que l'on exigeait d'eux sur tous ces articles une profession de foi spéciale, sans laquelle on les séparait de la communion ecclésiastique.

J'aurais pu produire en ce lieu plusieurs témoignages irréprochables ; mais le seul concile de Constance achevé il y a plus de deux cents ans (1), suffit pour confirmer cette vérité.

Les décisions de la foi, qui avaient été faites en ce saint concile, avaient la même autorité dans toute l'Eglise que celles du concile de Trente y ont maintenant ; d'où il s'ensuit qu'il était impossible de vivre en la communion de l'Eglise romaine sans croire ce qui avait été prononcé.

Aussi ceux qui ne voulaient pas s'y soumettre élevèrent dès ce temps-là autel contre autel : ils se firent des églises nouvelles et séparées, comme les Hussites, les Picards, et les autres sectes de la Bohème.

En effet il n'est pas concevable qu'on demeure en la

 

 

1 An 1417.

 

389

 

communion d'une église, sans tenir la doctrine qu'elle professe, sans participera ses sacrements et au service par lequel elle adore Dieu.

Il faudrait être bien téméraire pour nier que le service public de l'Eglise en l'an 1543 fût le sacrifice de nos autels, et que les sacrements s'y administrassent en la forme dont nous usons. Pour ce qui regarde la foi, l'Eglise ne pouvait nous la déclarer d'une manière plus authentique et plus solennelle, que par ses conciles universels.

Toutes ces choses n'empêchent pas que votre ministre n'ait enseigné dans son Catéchisme, que nos ancêtres se pouvaient sauver en la communion de l'Eglise romaine : nous disons que nous avons même droit, et nous attendons de tous les bons juges une sentence aussi favorable.

Je sais que votre catéchiste répond que l'ignorance de nos ancêtres a pu excuser leurs erreurs ; mais cela ne s'accorde pas avec les principes qu'on vous enseigne.

Vous dites que nous sommes inexcusables , parce que nous résistons à la vérité après que vous nous l'avez si bien enseignée : voilà une grande accusation; mais si vous la voulez soutenir, par quelle adresse défendrez-vous vos nouveaux frères les luthériens, à qui vous prêchez depuis plus d'un siècle la créance de vos églises touchant le sacrement de l'Eucharistie? Ils l'entendent, ils la rejettent, ils la condamnent, ils refusent la communion que vous leur offrez : toutefois vous les avouez pour vos frères, et vous les admettez à la table à laquelle vous ne devez recevoir que ceux que vous estimez vrais fidèles.

Vous serez contraints de répondre que la doctrine des luthériens ne détruit pas les fondements de la foi; et c'est en effet pour cette raison que vous vous êtes unis avec, eux, ainsi que nous l'avons montré clairement. Mais c'est par là que vous appuyez notre cause, et que vous la rendez infaillible.

Je demande si ce que nos pères croyaient de la sainte messe, de l'administration de l'Eucharistie, de la transsubstantiation et des autres points, renversait les fondements de la foi.

Certes si la doctrine de nos ancêtres eût détruit les fondements de la foi, il n'y aurait point eu de salut pour eux ; et l'ignorance

 

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ne les aurait pas excusés, comme votre catéchiste l'enseigne. Car nous convenons les uns et les autres, que l'ignorance n'est pas une excuse dans les articles fondamentaux : autrement nous serions obligés d'excuser, et les hérétiques, et les infidèles, auxquels Dieu par un secret jugement n'a pas révélé ses mystères.

Il faut donc nécessairement que vous confessiez que nos pères n'erraient pas dans les fondements; et qu'ensuite vous disiez le même de nous, puisqu'il paraît si évidemment que nous professons la même doctrine.

Que si l'on demeure d'accord que ces grands articles de notre créance ne nuisent pas à notre salut, nous laissons aux personnes sensées de peser en elles-mêmes d'un jugement sain ce qu'elles doivent croire des autres.

Ici votre catéchiste s'élève; et pour mettre quelque différence essentielle entre nos ancêtres et nous, il dit que nous avons ruiné cette salutaire confiance en Jésus-Christ seul, en laquelle nos pères ont été sauvés. C'est là qu'il se réduit comme dans son fort, et il paraît que c'est l'unique raison pour laquelle il ne craint pas de nous condamner. En effet nous confessons que s'il est ainsi, nous sommes dignes du dernier supplice.

Pour autoriser un si grand reproche, il nous objecte que le concile de Trente a rejeté la justification par la foi, et établi le mérite des œuvres. Mais s'il n'a que cette seule raison pour nous séparer d'avec nos ancêtres, il s'appuie sur un mauvais fondement , puisque ses propres auteurs ont dû lui apprendre que la doctrine que nous prêchons était déjà crue au treizième siècle : et nous avons promis de lui faire voir que nous la tenons de l'ancienne Eglise.

Il a recouru aux vieux Rituels dont usaient nos pères : et nous lui montrerons dans ces Rituels que le mérite des bonnes œuvres passait pour certain, puisque les fidèles y sont exhortés dans les assemblées ecclésiastiques de se confesser aux jours solennels, afin que leurs « œuvres soient méritoires (1). »

Il tire de ces anciens Rituels la forme de consoler les agonisants, par laquelle il justifie que nos pères avaient toute leur confiance

 

1 Agende de 1543, p. 83.

 

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au Sauveur. Or nous lui faisons lire dans les Agendes que nos derniers évêques ont fait publier, cette même confession, cette même foi, cette même espérance au Libérateur, laquelle à son avis sauvait les fidèles qui vivaient dans l'Eglise romaine en l'an 1543.

Quand nos Rituels s'en tairaient, toutes les prières ecclésiastiques témoigneraient assez cette vérité. Nous ne demandons que par Jésus-Christ, nous ne rendons grâces que par Jésus-Christ, nous ne nous présentons devant Dieu qu'au nom et par les mérites de Jésus-Christ. Ce nom salutaire du Médiateur conclut toutes les oraisons de l'Eglise, et nous sommes très-assurés que c'est en ce nom seul qu'elles sont reçues.

Lorsque nous honorons la mémoire des apôtres et des martyrs et des autres fidèles de Dieu, qui règnent avec lui dans sa gloire, nous le prions au nom de son Fils qu'il ait agréables les oraisons que les saints ses serviteurs lui offrent pour nous. N'est-ce pas déclarer assez nettement que nous n'espérons rien de leur assistance, si leurs vœux ne sont présentés par notre Sauveur?

C'est que nous sommes persuadés qu'encore que l'Eglise de Dieu sur la terre et les esprits bienheureux dans le ciel, ne cessent jamais de prier, il n'y a que Jésus qui soit exaucé, parce que les autres ne le sont qu'à cause de lui.

Bien plus, il n'y a que Jésus qui prie, parce que premièrement, . c'est son Esprit saint qui forme en nos cœurs toutes nos prières, et après c'est que nous sommes ses membres, et c'est ce divin Chef qui fait tout en nous. C'est pourquoi le grave Tertullien dit si bien dans son Traité de la Pénitence : « Si l'Eglise, c'est Jésus-Christ , lorsque tu te prosternes devant les genoux de tes frères, tu touches Jésus-Christ, tu pries Jésus-Christ. Quand ils versent des larmes sur toi, c'est Jésus qui souffre, c'est Jésus qui prie Dieu son Père. On obtient toujours aisément ce qu'un fils demande (1). »

C'est dans cette pensée si évangélique que nous demandons le secours des saints avec tant de dévotion : en eux nous prions Jésus-Christ, nous croyons que Jésus-Christ prie en eux pour

 

1 Tertull., De Pœnit:, cap. X : « Ecclesia vero Christus. Ergo cùm te ad fratrum genua protendis, Christum contrectas, Christum exoras. Aequè illi cùm super te lacrymis agunt, Christus patitur, Christus Patrem deprecatur. Facilè impetiatur semper quod Filius postulat. »

 

 

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nous; et c'est pourquoi nous ne doutons pas que leurs intercessions ne soient très-puissantes.

Je ne comprends pas comment on peut dire qu'une prière conçue de la sorte ruine la confiance au Sauveur. Aussi le catéchiste a-t-il confessé que nos pères priaient les saints sans préjudice de leur salut, et sans détruire le bon fondement qui appuie les âmes fidèles en Jésus-Christ seul. Nous avons exposé très-fidèlement ce qu'il en a prêché dans son Catéchisme.

Quel prétexte peut-il donc prendre pour exclure les catholiques du ciel, après avoir excusé leurs pères ? S'il se contente d'exiger de nous cette sainte confiance en notre Sauveur, nous nous en glorifions comme nos ancêtres : s'il se rejette sur les autres points, nous lui avons fait voir nettement que nos ancêtres les croyaient aussi bien que nous ; et nous sommes entièrement dans la même cause.

Ainsi ne doutez pas, nos chers frères, qu'en justifiant nos ancêtres il ne vous invite sans y penser à prendre la voie la plus assurée, et à retourner à l'Eglise, en laquelle nos pères ont fait leur salut.

C'est le plus docte, c'est le plus ancien, c'est le plus célèbre de vos ministres; il ne vous le dit pas seulement, mais il vous le prêche ; et il vous le prêche dans un Catéchisme, et dans la plus solennelle de vos assemblées ; et par là il vous prépare à la Cène. Dieu vous avertit par sa bouche que l'Eucharistie de notre Sauveur n'étant autre chose qu'un banquet de paix, il faudrait la recevoir en l'Eglise qui a conduit vos pères à la paix du ciel.

Peut-être que ces vérités sont bien éloignées de l'intention de votre ministre : mais nous lisons dans les Ecritures que Balaam au Vieux Testament et Caïphe dans le Nouveau ont prophétisé contre leur pensée.

Bénie soit votre bonté, ô Père céleste, qui donnez ce témoignage à nos adversaires, en une de leurs assemblées principales, par la bouche de leur ministre le plus renommé, et qui est l'oracle de leur église. 0 Dieu, soyez loué éternellement. Mais achevez, û Père de miséricorde, achevez de manifester devant eux votre bras et votre puissance. Parlez à leurs cœurs par votre Esprit-Saint ;

 

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dissipez leurs erreurs par votre présence ; et enfin amenez-les avec leur ministre en votre saint temple qui est votre Eglise, afin que nous vous glorifiions d'une même voix, ô Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui avec votre Fils et le Saint-Esprit vivez et régnez aux siècles des siècles. Amen.

 

 

SECTION SECONDE,
OU IL EST PROUVÉ CONTRE LES SUPPOSITIONS OU MINISTRE, QUE LA FOI DU CONCILE DE TRENTE, TOUCHANT LA JUSTIFICATION ET LE MÉRITE DES BOMBES OEUVRES, NOUS A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR L'ANCIENNE ÉGLlSE, ET QU'ELLE ÉTABLIT TRES-SOLIDEMENT LA CONFIANCE DU FIDÈLE EN JÉSUS-CHRIST SEUL.

 

Le plus insupportable reproche que le ministre fasse à l'Eglise, c'est qu'il dit que la session VIe du sacré concile de Trente établit une doctrine nouvelle touchant la justification et les bonnes œuvres, qui renverse cette bienheureuse espérance que le chrétien doit avoir en Jésus-Christ seul. Or encore que cette calomnie si visible ait été suffisamment réfutée, toutefois pour n'oublier rien qui puisse éclaircir les errants, proposons un peu plus au long la foi de l'Eglise et du saint concile de Trente; faisons voir son antiquité vénérable, et prouvons par des raisons invincibles qu'elle ne tend qu'à glorifier le Père céleste par son Fils bien-aimé notre Rédempteur.

Dans l'explication de notre créance, je la rapporterai simplement comme elle est dans le concile de Trente, parce que c'est ce concile que l'on accuse, et parce que nul ne pourra douter que nous ne tenions pour certain tout ce qu'il prononce.

Afin que notre dispute soit nette, je proposerai avant toutes choses les principes dont nous convenons ; et quand nous serons venus au point contesté, après avoir dit quelle est notre foi sans m'embarrasser de questions inutiles, j'en déduirai les vrais fondements autant qu'il sera nécessaire pour la fin que je me suis proposée, qui est de montrer simplement que bien loin d'avoir détruit, comme on nous l'impose, cette salutaire confiance au Libérateur, nous l'avons très-solidement établie. Commençons à

 

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poser les principes desquels, parla grâce de Dieu, nous sommes d'accord.

 

CHAPITRE PREMIER.
Que l'Eglise catholique enseigne très-purement le mystère de la rédemption du genre humain.

 

Premièrement, nous confessons tous que par le péché d'Adam notre premier père, toute sa race a été perdue ; si bien que tout le genre humain était condamné par une juste et inévitable sentence , à cause du péché d'origine par lequel nous naissons tous ennemis de Dieu.

Nulle créature vivante, ni parmi les hommes, ni parmi les anges, de quelque don naturel ou surnaturel que nous nous la figurions embellie, n'était capable de payer pour nous ce que nous devions à la justice de Dieu, ni de réparer l'injure infinie que nous avions faite à sa majesté. Tellement qu'il ne restait autre chose, sinon que Dieu réparât lui-même l'injustice de notre crime par la justice de notre peine, et satisfit à sa juste vengeance par notre juste punition.

Toutefois un conseil de miséricorde rétablit nos affaires désespérées : le Fils de Dieu égal à son Père se présenta volontairement pour être la victime du monde : pour satisfaire à la justice implacable, il se destina dès l'éternité une chair humaine; et empruntant la passibilité qu'elle avait, lui donnant la dignité infinie qu'elle n'avait pas, il parut en terre au temps ordonné comme la digne hostie de tous les pécheurs, c'est-à-dire de tous les hommes.

Là se vit ce spectacle de charité : un fils uniquement agréable qui se mettait à la place des ennemis : l'Innocent, le Juste, la Sainteté même qui se chargeait des crimes des malfaiteurs : Celui qui était infiniment riche, qui se constituait caution pour les insolvables.

Là Satan ayant mis la main sur celui qui ne devait rien à la mort, parce qu'il était sans péché, Dieu rendit ce jugement mémorable par lequel il fut arrêté que le diable, pour avoir pris l'Innocent, serait contraint de lâcher les pécheurs. Il perdit les

 

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coupables qui étaient à lui, en voulant réduire sous sa puissance Jésus-Christ, le Juste dans lequel il n'y avait rien qui lui appartînt (1).

De sorte qu'il n'y a plus de condamnation à ceux qui sont en Notre-Seigneur, d'autant que par un seul sacrifice il a payé pour eux au delà de ce que l'on en pouvait exiger. Non content d'avoir satisfait pour nous, s'étant ouvert les cieux par son sang, il est monté à la droite du Père pour y faire la fonction de notre Pontife : et non-seulement de notre Pontife, mais encore de notre Avocat.

Je trouve en cette qualité d'avocat une force particulière qui relève merveilleusement notre confiance. Car si l'ambassadeur négocie, si le pontife et le sacrificateur intercèdent, l'avocat presse, sollicite et convainc : le pontife demande miséricorde, et l'avocat demande justice : le pontife prie, et l'avocat prouve.

Voici l'éloquent plaidoyer de notre miséricordieux Avocat. « O mon Père, que demandez-vous aux mortels ? Ils étaient vos débiteurs, je l'avoue; mais moi, qui ne dois rien à votre justice, j'ai rendu toute leur dette mienne, et je l'ai entièrement acquittée. Tous les hommes vous étaient dus pour être immolés à votre juste et rigoureuse vengeance ; mais une victime de ma dignité peut-elle pas remplir justement la place même d'une infinité de pécheurs? Que demande donc votre justice offensée? Veut-elle voir le Juste à ses pieds, pour mériter le pardon des coupables? Je me suis abaissé devant elle jusqu'à la mort de la croix. » Là il montre les cicatrices sacrées des bienheureuses blessures qui nous ont guéris; et le Père se ressouvenant de l'obéissance de ce cher Fils, s'attendrit sur lui, et pour l'amour de lui regarde le genre humain en pitié.

C'est ainsi que plaide notre Avocat, concluant par de vives raisons que Dieu ne peut plus condamner les hommes qui rechercheront la grâce en son nom. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean parle ainsi : « Si quelqu'un pèche, nous avons un Avocat près du Père, Jésus-Christ le Juste; et c'est lui qui est propitiation pour nos péchés (2). »

 

1 In me non habet quidquam, Joan., XIV, 30. — 2 I Joan., II, 1, 2.

 

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Nous convenons donc déjà de ces fondements, que Jésus-Christ s'est donné pour nous; que le Père ne nous gratifie qu'à cause de lui; que lui seul pouvait satisfaire pour nos péchés; et que son oblation volontaire étant d'une valeur infinie, il a satisfait pour nous surabondamment. Confesser cette sainte doctrine, est-ce pas déclarer hautement que l'on a toute son espérance en Jésus-Christ seul? Ainsi nous ne disputons pas touchant le bienfait : toute notre controverse consiste à savoir de quelle sorte il nous est appliqué par la grâce de la justification.

 

CHAPITRE II.
Diverses choses à considérer touchant la justification, et premièrement qu'elle est gratuite, selon le concile de Trente.

 

Il y a trois choses à considérer dans la doctrine de la justification : premièrement, la justification elle-même qui est le fondement de la vie nouvelle; après, le progrès de cette vie dans l'homme justifié; et enfin, son couronnement dans la vie future.

Si nous montrons clairement qu'en ces trois états la doctrine catholique ne diminue point le mérite du Médiateur Jésus-Christ : au contraire, qu'elle le met dans un plus grand jour, la calomnie de notre adversaire sera évidemment réfutée. Parlons de la justification en elle-même.

Je ne vois que trois questions importantes touchant la justification du pécheur : premièrement, pour quel motif Dieu nous justifie; secondement, ce que c'est et en quoi elle consiste; et enfin , par quel acte de nos volontés cette grâce de la justification nous est appliquée. Sur quoi il est digne d'observation que dans le point principal, qui est le premier, nos adversaires eux-mêmes ne dénieront pas que notre doctrine ne soit irrépréhensible.

Ce qui est le plus important en cette matière pour relever la grâce de Jésus-Christ, c'est de poser que le Père éternel ne nous pardonne nos péchés qu'à cause de lui ; et c'est ce que nous confessons de tout notre cœur. Certes nous croyons qu'il nous justifie, non parce que nous lui étions agréables, mais afin que nous lui soyons agréables. Sa grâce ne rencontre en nous que des

 

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crimes, parce qu'elle vient effacer les crimes. Ce n'est pas nous qui le choisissons, mais il nous choisit : nous ne l'aimons pas les premiers, c'est lui qui commence : et jamais nous ne le chercherions par la foi, s'il ne nous cherchait premièrement par miséricorde. Sa bonté nous trouvant criminels, elle nous aurait en horreur, si elle nous regardait en nous-mêmes; de sorte que pour se pouvoir approcher de nous, il faut qu'elle nous regarde en Jésus-Christ seul.

C'est pourquoi le concile de Trente représentant les pécheurs effrayés par les justes jugements de Dieu, veut que le premier sentiment qui naisse en leurs âmes soit la confiance au Libérateur : «Lors, dit-il, que sentant qu'ils sont criminels, de la crainte de la justice divine dont ils sont utilement ébranlés, ils se retournent à la divine miséricorde, et relèvent leur espérance abattue, se fiant que Dieu leur sera propice à cause de Jésus-Christ (1). » Est-ce là nier cette confiance au Sauveur, ou n'est-ce pas plutôt la poser comme le fondement immobile de notre justification ?

Et ce saint concile, pour nous apprendre que toute l'espérance de pardon est en Jésus-Christ, définit expressément «qu'il faut croire que les péchés ne se remettent jamais, et n'ont jamais été remis que parla miséricorde divine GRATUITEMENT À CAUSE DE JÉSUS-CHRIST (2). » Et rapportant les causes de la justification du pécheur : « La cause efficiente, dit-il, c'est Dieu miséricordieux qui nous lave gratuitement et nous sanctifie. La cause méritoire, c'est son très-cher Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui lorsque nous étions ennemis, à cause de la charité infinie par laquelle il nous a aimés, nous a mérité la justification, et a satisfait pour nous à son Père par sa très-sainte passion au bois de la croix (3). » Et

 

1 Conc. Trid., sess. VI, cap. VI : « Dùm peccatores se esse intelligentes, à divinae justitiœ timore quo utiliter concutiuntur, ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fident ea Deum sibi propter Christum propitium fore. » — (2) Ibid., cap. IX : « Quamvis autem necessarium sit credere neque remitti, neque remissa unquàm fuisse peccata nisi gratis divinà misericordià propter Christum. — 3 Ibid., cap. VII : « Efficiens, misericors Deus, qui gratuitò abluit et sanctificat...; memoria autem, dilectissimus unigenitus suus, Dominus noster Jesus Christus, qui cùm essemus inimici, propter nimiam charitatem quâ dilexit nos..., nobis justificationem meruit, et pro nobis Deo Patri satisfecit. »

 

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encore en termes plus nets : « Nous sommes dits justifiés gratuitement, parce qu'aucune des choses qui précèdent la justification , soit la foi, soit les œuvres, ne peut mériter cette grâce (1). » Que reste-t-il donc au pécheur, sinon de s'appuyer sur le Juste? Que reste-t-il à celui qui est délivré, sinon de glorifier le Libérateur? Voilà cette session vie, qui selon le sentiment du ministre détruit la pieuse confiance qu'avaient nos ancêtres au seul mérite du Fils de Dieu. Est-il une calomnie plus visible?

 

CHAPITRE III.
Ce que c'est que la justification selon les principes des adversaires; les fondements ruineux de leur doctrine.

 

Certainement il n'est pas possible d'expliquer la confiance au Libérateur par des maximes plus évangéliques. Mais entrons plus profondément en cette matière, afin que la comparaison de notre doctrine avec celle de nos adversaires fasse voir aux personnes sincères, que les ministres ont obscurci les mérites de Jésus-Christ , et perverti les Ecritures divines : et afin que cette vérité paroisse en son jour, exposons nettement quelle est leur créance.

Ils n'expliquent pas comme nous ce que c'est que la justification du pécheur. Car ils enseignent qu'elle n oie pas les péchés, mais qu'elle les couvre; et c'est pourquoi justifier selon eux, « c'est déclarer juste , tenir et reconnaître pour juste ; » ce sont les paroles de Dumoulin en son Bouclier de la foi (2). De sorte que la justification selon ce principe, c'est une action de Dieu comme juge, par laquelle étant satisfait de l'oblation volontaire de Jésus-Christ, il prononce en notre faveur, et déclare qu'il ne poursuivra pas la vengeance des crimes dont nous étions convaincus.

De là il s'ensuit manifestement que la justification ainsi exposée ne changeant point l’âme du pécheur, elle n'a rien de plus excellent que ce que nous voyons pratiquer dans les tribunaux de justice. Aussi Dumoulin dit au lieu allégué que «justifier, c'est

 

1 Conc. Trid., cap. VIII : « Gratis justificari ideô dicimur, quia nihil eorum quœ justificationem prœcedunt, sive fides, sive opera, ipsam justificationis gratiam promeretur : si enim gratia est, jam non ex operibus : alioquin, ut idem Apostolus inquit, gratia jam non est gratia. » — 2 Sect. 43.

 

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déclarer juste, en même sens qu'un homme accusé d'un crime est renvoyé absous et justifié. »

L'Eglise catholique assure au contraire que Dieu nous justifie par notre Sauveur en détruisant le péché en nous, et en nous communiquant la justice ; et conséquemment que justifier, c'est faire que de pécheurs nous devenions justes.

Mais afin que nous comprenions en quoi consiste précisément la difficulté, nous observerons en ce lieu que les ministres pressés parles saintes Lettres, sont contraints de s'approcher de notre doctrine. Nous disons que Dieu en nous pardonnant, nous change intérieurement et nous renouvelle. Les adversaires ne le nient pas; et le sieur Ferry en son Scholastique orthodoxe enseigne qu'il « a été nécessaire de nous donner une grâce inhérente ; par laquelle notre volonté fût délivrée du péché dans lequel elle était détenue (1).» Voici donc quel est le point contesté. Dumoulin et ses collègues condamnent le concile de Trente et l'Eglise de ce qu'elle « entend par justifier, régénérer et sanctifier, et par justification régénération ou sanctification (2). » Pour eux ils distinguent ici double grâce. L'une est celle par laquelle Dieu nous déclare justes, qui n'est qu'un acte judiciaire, à ce qu'ils estiment, qui ne change pas le pécheur, mais seulement le prononce absous ; et c'est ce qu'ils appellent justification : l'autre grâce, dit Dumoulin , « c'est la régénération et renouvellement intérieur par le Saint-Esprit, lequel changement est une autre naissance et une conformation d'un nouvel homme fait à l'image du Fils de Dieu (3) » C'est ce qu'ils disent que l'Ecriture appelle régénération et sanctification. Le sieur Ferry approuve cette distinction en son livre du Désespoir de la Tradition, chap. 6.

L'Eglise catholique ne comprend pas cette subtilité superflue ; elle procède plus simplement : elle recherche les Ecritures avec les anciens docteurs orthodoxes, et elle n'y remarque aucune raison sur laquelle cette distinction puisse être fondée. C'est néanmoins tout le sujet du procès que les ministres nous font sur cette matière.

Avant qu'approfondir cette question et qu'établir la vérité

 

1 Cap. XXXII. — 2 Bouclier de la foi, sect. 43. — 3 Ibid., sect. XXIX.

 

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catholique par l'autorité des Lettres sacrées et de l'antiquité chrétienne, il me semble à propos de considérer les fondements principaux de nos adversaires, afin que tout le monde connaisse combien leur créance est mal appuyée.

Ils disent que le mot de justifier est pris très-souvent dans les Ecritures dans le sens auquel ils l'exposent ; ce que nous leur accordons sans difficulté. Mais qui ne sait que dans les Livres divins un même terme n'a pas toujours une signification uniforme, et que le lieu, le sujet et les circonstances y apportent une différence notable? C'est par ces circonstances bien examinées que nous leur montrerons dans les saintes Lettres, que la justification du pécheur ne se prononce pas au dehors, mais qu'elle s'opère au dedans par l'infusion de la grâce.

Ils ajoutent que le terme de justifier a été tiré du palais, où il signifie absoudre par un acte judiciaire ; de sorte qu'à leur avis, il doit retenir sa signification naturelle : et ils confirment leur raisonnement par l'autorité de l'Apôtre, lequel aux Romains, V, VIII et ailleurs , oppose le mot de justifier à celui d'accuser et de condamner, qui sont sans difficulté termes de justice. C'est là leur argument le plus fort ; et toutefois il est très-défectueux. Car supposé même qu'il soit véritable que le mot de justifier soit pris du palais, n'est-ce pas raisonner faiblement de croire qu'il faille toujours le restreindre à la signification du palais ? Que si nos adversaires s'opiniàtrent à ne vouloir point sortir du barreau, qu'ils nous disent en quel tribunal et devant quel juge il faut s'appliquer par la foi la sentence qui nous absout, comme ils enseignent qu'il est nécessaire dans la justification du pécheur? Du moins avoueront-ils en ce lieu que la comparaison du palais n'est pas si exacte, qu'il n'y ait des différences notables. Prenons donc un autre principe, et disons qu'il n'est pas nouveau dans les Ecritures que diverses façons de parler prises originairement des choses humaines, soient élevées à un sens plus auguste lorsqu'on les applique aux divines : « Vos noms, dit le Sauveur, sont écrits au ciel (1) ; » c'est une similitude tirée de la coutume ancienne d'écrire dans les rôles publies ceux à qui l'on donnait le droit de

 

1 Luc, X, 20.

 

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bourgeoisie. Mais ces noms et cette écriture appliquée aux mystères divins, passe à une signification bien plus éminente, et désigne l'ordre immuable des décrets de Dieu, par lesquels il nous donne droit dans la sainte cité de Jérusalem. Toute l'Ecriture est pleine de pareils exemples. Nous lisons au livre des Psaumes : « Dieu a dit, et les choses ont été faites; il a commandé, et elles ont été créées (1). » Il serait ridicule de s'imaginer que Dieu commande premièrement, et après, que ses ordres soient exécutés, comme il se pratique parmi les hommes. Le commandement signifie ici l'action même toute-puissante par laquelle il exécute tout ce qu'il lui plaît dans le ciel et dans la terre. Ne puis-je pas raisonner de la même sorte de la justification du pécheur, et dire que le Père éternel apaisé par la mort de son Fils unique, prononce comme il appartient à un Dieu, comme celui dont la seule parole met tout l'effet par sa vertu propre ? Tellement que l'homme prononce en déclarant juste celui qui a été accusé, et Dieu prononce en le faisant juste. Certes cette manière de justifier est d'autant plus digne de Dieu , qu'elle n'appartient qu'à lui seul, parce que c'est une œuvre de toute-puissance.

De là, il est aisé de connaître d'où vient que le mot de justifier, selon le style du saint Apôtre, est opposé à celui de condamner. Ce n'est pas que Dieu nous justifiant, nous délivre seulement de la damnation ; mais c'est qu'en effaçant le mal de la coulpe , il nous exempte du mal de la peine.

Voilà les principaux fondements de la doctrine de nos adversaires, desquels certes la faiblesse est toute visible. Mais après que nous avons découvert l'erreur, proposons la vérité catholique toute pure et toute sincère, telle que le concile de Trente suivant les traces des anciens docteurs l'a puisée dans les Ecritures divines , pour célébrer la gloire de Dieu et les infinis mérites du Sauveur des âmes. Rendez-vous attentif, lecteur chrétien , à la théologie la plus sainte et la plus céleste que l'Eglise catholique nous ait enseignée : c'est ici que nous apprendrons à honorer la dignité du sang précieux qui nous a réconciliés.

 

1 Psal. CXLVIII, 5.

 

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CHAPITRE IV.
Ce que c'est que la justification du pécheur selon la doctrine de l'Eglise qui est éclaircie par les Ecritures.

 

La foi de l'Eglise consiste en trois points. Premièrement elle ne peut croire que nos péchés demeurent en nous après que nous sommes lavés au sang de l'Agneau. C'est pourquoi en second lieu elle estime que Dieu nous justifie par le Saint-Esprit, selon ce que dit l'apôtre saint Paul, « qu'il nous a sauvés par le lavement de régénération et renouvellement du Saint-Esprit qu'il a répandu sur nous abondamment par Jésus-Christ (1). » Elle enseigne que cet Esprit lave nos taches comme une eau divine et consume nos ordures comme un feu céleste; et de plus qu'étant la sainteté même, non content de nettoyer nos péchés, il répand en nous la justice. D'où elle conclut enfin en troisième lieu, que Dieu justifie les hommes pécheurs, en leur rendant le don de justice, comme dit l'Apôtre : « De même que par le péché d'un seul la mort a régné, beaucoup plus ceux qui reçoivent l'abondance de grâce et du don de justice régneront en la vie par un seul Jésus-Christ (2). » Ainsi la justification selon nous, n'est pas seulement un acte de juge par lequel Dieu nous renvoie absous ; c'est une action de Créateur et de Tout-puissant, par laquelle opérant en nos cœurs, il nous fait agréables à sa majesté, en nous communiquant la justice que son Fils notre Sauveur nous a méritée.

Commençons à faire entendre cette vérité par un principe dont notre adversaire convient avec nous sans s'être aperçu de la conséquence. Il reconnaît au livre de son Désespoir, que la grâce qui nous justifie lave les péchés, et que « ce lavement c'est la justification même (3). » Qu'il recherche donc dans les Ecritures comme Dieu nous lave ; et il verra comme il justifie.

Ecoutons le divin Psalmiste dans les gémissements de sa pénitence : « Vous me laverez, dit-il, ô Seigneur, et je serai blanchi par-dessus la neige (4). » Que signifie cette céleste blancheur, sinon

 

1 Tit., III, 5. — 2 Rom. V, 17. — 3 Desesp. de la Trad., chap. VI. — 4 Psal. I, 9.

 

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« l'abondance du don de justice (1), » qui rend nos âmes toutes éclatantes ; d'où il résulte clairement que Dieu lave, et ensuite qu'il justifie par l'infusion de la grâce?

Mais expliquons plus amplement par les Ecritures les trois points que nous avons proposés, qui renversent toute la doctrine de nos adversaires ; et pour nous acquitter de notre promesse, montrons dans la suite du même discours, et la gloire du Fils de Dieu très-bien établie dans la créance que nous professons, et la témérité de nos adversaires qui l'accusent de nouveauté.

Premièrement nous disons ainsi. L'action par laquelle Dieu nous justifie ne peut pas être simplement un acte de juge. Car le juge agissant seulement en juge n'ôte pas le péché du coupable. Aussi est-ce un des principes de nos adversaires, que les péchés demeurent en nous lors même que nous sommes justifiés (2). Toutefois nous apprenons par les Ecritures que Dieu ôte les péchés en justifiant. Donc la justification du pécheur n'est pas seulement un acte de juge. Toute la force de ce raisonnement consiste en ce point, que Dieu en justifiant ôte les péchés, qui est le premier que nous devons éclaircir.

Pour entendre solidement cette vérité, observons que la rémission des péchés est l'un des premiers articles de l'alliance que Dieu a contractée avec nous par Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est pourquoi l'Ecriture divine nous exprime cette grâce en plusieurs façons, afin qu'elle entre en nos cœurs plus profondément. Elle dit que Dieu oublie les péchés, qu'il ne les impute point, qu'il les couvre; elle dit aussi qu'il les lave et qu'il les efface , qu'il les éloigne de nous et qu'il les détruit. Et encore que toutes ces façons de parler nous expriment la rémission des péchés, les unes signifient ce bienfait plus parfaitement que les autres ; tellement que pour en comprendre toute l'étendue, il faut nécessairement le considérer dans tous les passages conférés ensemble, et non pas en chacun d'eux pris séparément.

Ce principe si certain, si indubitable, découvre le mauvais

 

1 Rom., V, 17. — 2 « L'Apôtre dit que nous sommes lavés des péchés, en tant qu'ils ne nous sont point imputés : et nous savons que ce qui ne nous est point imputé ne laisse point d'être en nous. » Ferry, Désesp. de la Trad., ch. IX.

 

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procédé de nos adversaires. Car d'autant qu'ils voient en quelques endroits que la rémission nous est proposée en ce que nos péchés sont couverts, et ne nous sont pas imputés, ils s'arrêtent à cette seule façon de parler, à laquelle il fallait joindre les autres pour avoir la définition tout entière. Que s'ils les avaient bien examinées, au lieu de quelques passages de l'Ecriture qui disent que nos péchés sont couverts, ils auraient trouvé les Livres sacrés pleins de textes qui témoignent qu'ils ne sont plus. Ils auraient entendu David qui publie, « qu'autant que le levant est loin du couchant, autant Dieu éloigne de nous nos iniquités (1) ; » le prophète Miellée leur aurait appris que « Dieu jette nos péchés au fond de la mer (2) ; » ils auraient ouï la voix de Dieu même parlant en son prophète Isaïe : « C'est moi, c'est moi, dit-il, qui efface tes péchés à cause de moi (3); » le Psalmiste les aurait encore assurés que « si Dieu le lave, il sera blanchi comme neige (4) : » enfin tout le Nouveau Testament leur aurait prêché que « nos péchés sont lavés au sang de l'Agneau (5). » Certes nous ne pouvons pas faire cette injure à Dieu, que de croire que ce qu'il éloigne , demeure ; que ce qu'il efface, soit encore en nous; que les ordures qu'il lave, ne soient point ôtées. Et en effet laver une ordure ce n'est point la couvrir, mais la nettoyer : d'autant plus que Dieu y emploie, non le sang des taureaux et des boucs, mais le sang innocent de son propre Fils, lequel étant infiniment pur, « nettoie notre conscience des œuvres de mort, » comme l'apôtre saint Paul l'enseigne aux Hébreux (6). Ainsi qui pèsera bien ces passages, il dira que selon la sainte Ecriture, Dieu pardonne les péchés en les détruisant ; qu'il ne les impute point, parce qu'il les lave ; qu'il les couvre, à cause qu'en les effaçant, il fait qu'ils ne paraissent plus à sa vue , c'est-à-dire qu'ils ne sont plus.

De là vient que saint Augustin répondant aux pélagiens, qui lui objectaient que le baptême selon sa doctrine ne donnait pas la rémission de tous les péchés et qu'il ne les ôtait pas, mais qu'il les rasait, comme on rase les cheveux, disaient-ils, dont la racine demeure en la tête; »  soutient « qu'il n'y a que les infidèles qui

 

1 Psal. CII, 12. — 2 Mich., VII, 19. — 3 Isa., XLIII, 23. — 4 Psal. L, 5. — 5 Apoc., I, 5. — 6 Hebr., IX, 14.

 

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osent assurer une telle chose, et nier que le baptême OTE LES PÉCHÉS (1) » Et encore qu'il soit celui de tous les docteurs qui a sans doute le mieux entendu les langueurs et les maladies de notre nature, ensuite du principe qu'il a posé, que la grâce du baptême ôte les péchés, il parle ainsi de la convoitise, combattant d'une même force les hérétiques pélagiens et les calvinistes : « Bien qu'elle soit nommée péché, ce n'est pas, dit-il, qu'elle soit péché : mais elle est ainsi appelée, parce qu'elle est faite par le péché ; comme en voyant l'écriture d'un homme, on l'appelle souvent sa main, parce que c'est la main qui l'a faite (2). » Et ce grand homme passe si avant, qu'il ne veut pas même que la convoitise soit au nombre de ces péchés pour lesquels nous disons tous les jours : « Remettez-nous nos dettes (3). » Ce qui montre combien il est convaincu que la grâce justifiante ôte les péchés. Car c'est en conséquence de cette doctrine qu'il enseigne positivement que la convoitise n'est pas un péché dans les baptisés, parce que si elle était un péché en eux, il s'ensuivrait que les péchés ne sont point ôtés, puisque la convoitise demeure. Il me serait aisé de produire beaucoup d'autres passages de saint Augustin non moins formels ni moins décisifs : mais celui-ci doit suffire aux pieux lecteurs ; d'autant plus que le sieur Ferry au chapitre I de son Désespoir, bien qu'il combatte notre créance par l'autorité de saint Augustin , ne laisse pas néanmoins de dire que selon la doctrine de ce grand homme, « la convoitise n'est plus après le baptême, quant à la coulpe, quant à la condamnation, à l'imputation, mais qu'elle est en effet. » D'où il s'ensuit manifestement que la convoitise n'ayant plus de coulpe, elle n'a plus aussi de péché, parce que le péché, comme chacun sait, consiste essentiellement en la coulpe.

 

1 « Quis hoc adversùs Pelagianos nisi infidelis affirmet? Dicimus ergo baptisma dare omnium indulgentiam peccatorum, et auferre crimina, non radere. » Conf. duas Epist. Pelag., lib. I, cap. XIII, n. 20. — 2 « Etiamsi vocatur peccatum, non utiquè quia peccatum est, sed quia peccato facta est, sic vocatur; sicut scriptura cujusque manus dicitur, quia manus eam fecerit. » Ibid., n. 27.— 3 « Nec propter ipsam dicunt in oratione baptizati : Dimitte nobis, » etc. Idem.

 

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CHAPITRE V.
Que les péchés sont détruits dans les justes, bien qu'il n'y ait point de justes qui ne soient pécheurs.

 

Je sais que nos adversaires seront étonnés de ce que l'Eglise catholique enseigne que Dieu ôte nos péchés , quand il justifie , puisqu'elle confesse d'ailleurs qu'il n'y a aucun homme vivant qui ne soit pécheur; ils trouvent de la contrariété dans cette doctrine; mais c'est ici qu'il faut leur faire paraître l'admirable économie de la grâce par laquelle nous sommes justifiés.

Il y a dans les saintes Lettres une distinction de péchés très-considérable, qu'il est nécessaire que nous remarquions.

Le disciple bien-aimé prêche : « Si quelqu'un dit qu'il ne pèche pas, il se trompe, et la vérité n'est pas en lui (1). » Par conséquent il y a des péchés dans lesquels peuvent tomber les plus justes, el qui ne nous séparent pas d'avec Dieu.

Mais d'autre part l'apôtre saint Paul parle de certains péchés capitaux dont il prononce la condamnation en ces termes : « Ceux qui les feront, nous dit-il, ne posséderont pas le royaume de Dieu (2). » Il y a donc de certains péchés qui rompent notre union avec Dieu, et nous ferment l'entrée du ciel.

Que les péchés de ce dernier genre soient entièrement effacés dans l’âme des justes, l'Apôtre le décide sans aucun doute. Car après avoir fait le dénombrement de ceux qui n'ont point de part avec Dieu, des voleurs, des injustes, des impudiques, des ivrognes, des médisants et des autres, il ajoute incontinent ces paroles qu'il adresse aux fidèles Corinthiens : « Quelques-uns de vous, dit-il, ont été ces choses : mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ , et par l'Esprit de notre Dieu (3). » Certes lorsque saint Paul parle de la sorte, c'est de même que s'il disait : Vous avez été ces choses , mais maintenant vous n'êtes plus tels. Où je demande à nos adversaires : Est-ce que Dieu ne les répute pas tels, ou bien qu'effectivement ils ne sont pas tels? Mais l'Apôtre en disant :

 

1 I Joan., i, 8. — 2 I Cor., VI, 9. — 3 Ibid., 11.

 

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Vous l’avez été, fait entendre assez clairement qu'ils ne le sont plus. Et d'où vient qu'ils ne le sont plus? « Vous avez été lavés, poursuit-il, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés. » Donc laver, sanctifier et justifier, ce n'est pas déclarer seulement que Dieu ne nous impute plus ce que nous étions ; c'est faire que nous ne sommes plus ce que nous étions. Ce n'est pas prononcer seulement que nous ne serons pas condamnés pour les crimes dont notre conscience est souillée ; c'est faire que notre conscience n'en soit plus souillée; ce n'est pas seulement nous réputer nets, nous réputer saints, nous réputer justes; c'est nous faire nets, nous faire saints et nous faire justes.

Il est donc vrai ce que dit l'Apôtre, que les injustes, les homicides et les adultères n'entrent pas au royaume de Dieu. Ce n'est pas que nous ne sachions que plusieurs y entrent qui avaient été homicides; mais ils n'y entrent pas homicides. Ils ont été lavés, dit l'Apôtre, ils ont été sanctifiés et justifiés. Leur injustice ne se trouve plus, parce qu'elle a été effacée par un Esprit infiniment saint, et par un sang infiniment pur.

Voilà ce que nous croyons de ces grands péchés qui ne peuvent être commis par les justes, sans leur faire perdre cette qualité. Pour les autres péchés dont il est écrit : « Si quelqu'un dit qu'il ne pèche pas il se trompe, » qui sont ceux que nous appelons véniels, il est vrai que l'homme juste en fait tous les jours : mais il n'est pas moins véritable qu'il peut en être purgé tous les jours. Il a de ces péchés, je ne le nie pas; mais il a aussi le sang du Sauveur, il a les sacrements de l'Eglise et le Saint-Esprit qui les lave. Il a les gémissements de la pénitence, et le sacrifice de cœur contrit, et le remède des aumônes, et la foi vivante, par laquelle « Dieu purifie les cœurs, » comme dit l'apôtre saint Paul (1). C'est ce qu'enseigne admirablement le grand saint Augustin dans cette savante Epître à Hilaire : « Celui, dit-il, qui étant aidé par la divine miséricorde, s'abstiendra de ces péchés qu'on appelle crimes et qui ne négligera pas de purger les autres sans lesquels on ne vit pas en ce monde, par des œuvres de miséricorde et par des saintes prières : encore qu'il ne vive pas ici sans péché

 

1 Act., XV, 9.

 

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IL MÉRITERA D’EN SORTIR SANS AUCUN PÉCHÉ, parce que, ajoute ce grand docteur, comme sa vie n'est pas sans péché, aussi les remèdes pour les nettoyer ne lui manquent pas (1). » Doctrine vraiment sainte, vraiment salutaire, qui honore la grâce et confesse l'infirmité. Quiconque croit ainsi, avoue ses péchés, et ne laisse pas de connaître que Dieu les efface; lui-même touché de son Saint-Esprit, il les lave par un baptême de larmes pieuses; il ne présume point de ses propres forces ; mais il remercie humblement celui dont la vertu ôte de nos âmes les taches que nous y faisons par nos volontés déréglées.

De là il s'ensuit manifestement que la grâce qui nous justifie lave nos péchés, qu'elle les efface et qu'elle les ôte. Or ce n'est pas la fonction d'un juge de laver et d'ôter les péchés, mais seulement d'absoudre le criminel ; de sorte que c'est une pure imagination de croire que la justification du pécheur soit plutôt un acte de juge qui exempte du mal de la peine, qu'une action d'un Créateur infiniment saint, qui efface le mal de la coulpe.

C'est pourquoi le second point de notre créance selon que nous l'avons rapportées, c'est que Dieu nous justifie, non en prononçant , mais en répandant sur nous son Esprit : ce qui montre clairement qu'il nous justifie d'une manière infiniment différente de celle dont on use dans les tribunaux. Aussi les ministres ont été contraints de nier que la justification des pécheurs soit attribuée au Saint-Esprit dans les Ecritures. Erreur grossière et extravagante que Dumoulin enseigne en plusieurs endroits de son Bouclier de la foi (3). Mais l'apôtre saint Paul s'y oppose, écrivant ainsi aux Corinthiens : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été JUSTIFIÉS au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et EN L'ESPRIT DE NOTRE DIEU (4). » Pouvait-il parler en termes plus clairs? Et encore instruisant son disciple Tite : « Quand, dit-il, la bénignité de notre Sauveur nous est apparue,

 

1 « Qui misericordià Dei adjutus et gratia, se ab eis peccatis abstinuerit, quai etiam crimina vocantur, atque illa peccata sine quibus non hic vivitur, mundare operibus misericordià; et piis orationibus non neglexerit, merebitur bine exire sine peccato, quamvis cùm hic viveret, habuerit nonnulla peccala: quia sicut ista non defuerunt, ita etiam remedia quibus purgarentur, affuerunt. » August., Epist. LXXXIX, nunc CLVII, n. 3.— 2 Ci-dessus, chap. IV. — 3 Dumoulin, Bouclier de la foi, sect. 33, 61 et ailleurs. — 4 I Cor., VI, 11.

 

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elle nous a sauvés, non par les œuvres de justice que nous ayons faites, mais selon sa miséricorde, par le lavement de régénération et renouvellement du Saint-Esprit, qu'il a répandu sur nous abondamment par Jésus-Christ notre Sauveur (1). » Je demande à nos adversaires de quoi nous sauve, selon l'Apôtre, le Saint-Esprit répandu sur nous? N'est-ce pas des péchés qui nous opprimaient? Par conséquent il nous justifie, puisqu'il nous sauve de nos péchés. Et de là vient que l'Apôtre poursuit en ces mots : « Afin que justifiés par sa grâce, nous soyons héritiers selon la promesse de vie éternelle. » Saint Paul distinguait-il, comme les ministres, la grâce qui nous régénère d'avec celle qui nous justifie? Mais pouvait-il dire plus expressément que nous sommes justifiés par le Saint-Esprit, et ainsi que la justification du pécheur n'est pas une sentence au dehors, mais une action au dedans? Où sont les yeux de nos adversaires, s'ils ne voient pas encore cette vérité ?

 

CHAPITRE VI.
Que nous sommes justifiés par l'infusion du don de justice qui nous régénère en Notre-Seigneur. Belle doctrine de l'Apôtre très-bien entendue par saint Augustin.

 

De là naît une autre raison admirable, qui prouve le troisième point de notre créance; c'est-à-dire que la justification du pécheur n'est pas seulement un acte de juge qui prononce et renvoie absous, mais une action de Créateur et de Tout-Puissant qui régénère et qui renouvelle ; ce qui renversera par les fondements la vaine imagination des ministres, qui distinguent mal à propos la grâce qui nous régénère d'avec celle qui nous justifie.

C'est ici que nous devons expliquer quelle est cette justice que Dieu fait en nous, quand il nous justifie en Notre-Seigneur : et je ne vois rien de plus excellent pour le faire entendre, que cette belle comparaison de l'Apôtre aux Romains, chap. V, par laquelle ce grand Docteur des Gentils nous montre que Jésus-Christ nous est pour le bien ce qu'Adam nous a été pour le mal.

 

1 Tit., III, 4-6.

 

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Si nous savons bien comprendre cette ressemblance, ou plutôt cette opposition merveilleuse entre le Fils de Dieu et Adam, nous trouverons qu'il n'y a rien de plus achevé. En Adam il y a le péché, en Jésus-Christ la justice parfaite; la rébellion en Adam, l'obéissance en Notre-Seigneur; en Adam la concupiscence, en Jésus la plénitude du Saint-Esprit : en naissant d'Adam par la convoitise, nous contractons un péché véritable qui est actuellement en nos âmes ; renaissant en Jésus-Christ par l'Esprit de Dieu, nous recevons une véritable justice, qui n'est pas en nous moins réellement ; si bien que la génération nous faisant pécheurs, la régénération nous fait justes; et de même qu'il serait ridicule de vouloir distinguer l'action par laquelle nous sommes faits pécheurs en Adam de celle par laquelle nous naissons de lui, il n'est pas moins éloigné de la vérité de croire que ce n'est pas la même action par laquelle Dieu nous régénère et nous justifie en son Fils : et puisque nous contractons le péché par le malheur de notre première naissance, il faut que la seconde nous en délivre : c'est elle par conséquent qui remet les crimes, c'est elle qui nous justifie en Notre-Seigneur : et ainsi par cette doctrine tout apostolique la vaine distinction des ministres s'en va en fumée.

Aussi l'apôtre saint Paul montre bien que la justification du pécheur n'est pas seulement un acte de juge par lequel Dieu déclare qu'il nous tient pour justes, mais que c'est une action véritable par laquelle Dieu nous fait justes. Car poursuivant toujours son dessein d'opposer le second Adam au premier : « De même, dit-il, que par la désobéissance d'un seul plusieurs ont été constitués pécheurs, aussi par l'obéissance d'un seul plusieurs seront constitués justes (1).» Qu'est-ce à dire constitués pécheurs et constitués justes, sinon faits pécheurs et faits justes? Où se tourneront ici les ministres avec leurs raffinements inutiles? Certes c'est de la justification que l'Apôtre parle; et il dit manifestement qu'elle nous fait justes. Peut-être répondront-ils qu'elle nous fait justes, non point par une justice qui soit en nous, mais par la justice de Jésus-Christ qui nous est miséricordieusement imputée.

 

1 Rom., v, 19.

 

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Ce n'est pas ainsi, dit l'Apôtre : « Plusieurs sont constitués justes, comme plusieurs ont été constitués pécheurs. » Maintenant que nos adversaires nous disent si nous ne sommes pas pécheurs en Adam, à cause que naissant de lui, nous contractons un péché véritable par la tache originelle inhérente en nous? Donc c'est s'aveugler volontairement et s'obstiner contre la raison évidente, de ne voir pas que l'apôtre saint Paul veut nous faire entendre en ce lieu, que nous sommes faits justes en Notre-Seigneur, non-seulement parce que sa justice nous est imputée, mais parce que par le Saint-Esprit qui nous est donné nous recevons une véritable justice inhérente réellement en nos âmes.

De là vient que saint Augustin, qui a si bien pénétré le sens de

l'Apôtre, enseigne constamment la même doctrine que nous avons ici expliquée. « La première nativité, nous dit-il, tient l'homme dans la damnation, et il n'y a que la seconde qui l'en exempte (1). » Et ailleurs : « Par la régénération tous les péchés passés sont remis (2). » Si par cette régénération tous nos péchés passés sont remis , si c'est elle qui nous exempte de la damnation, il est clair que c'est elle qui nous justifie. Ce grand homme parle toujours de la même sorte; et il me serait aisé de produire une infinité de passages. Sans doute il n'a pas été assez clairvoyant pour voir cette distinction raffinée de nos théologiens réformés, entre la grâce qui nous régénère et celle qui nous justifie de nos crimes.

C'est pourquoi en son Epître XXIII il décrit la régénération par ces belles paroles : « L'Esprit opérant intérieurement le bienfait de la grâce, déliant le lien de la coulpe, réconciliant le bien de la nature, régénère l'homme en Jésus-Christ (3). » Vous voyez que le même bienfait de la régénération comprend tout ensemble la rémission des péchés, l'opération de l'Esprit de Dieu, avec l'infusion de la grâce. C'est aussi cette infusion de la grâce que saint Augustin appelle justification. Car au livre Ier des Mérites et de la

 

1 « In damnatione hominem prima nativitas tenet, undè nisi secunda non liberat. » Angust., lib. II, De pecc. orig., cap. XL, n. 45.— 2 « Regeneratione spiritus modo in ut peccata omnia praeterita remittantur. » Id., ibid., cap. XXXIX, n. 44, — 3 « Spiritus operans intrinsecùs beneficium gratiœ, solvens vinculum culpae, reconcilians bonum naturœ, regenerat hominem. » August., Epist. XXIII, nunc XCVIII, n. 2.

 

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Rémission des péchés, après qu'il a enseigné au chapitre IX que « Dieu donne aux fidèles une grâce très-occulte de son Esprit, qu'il communique même aux petits enfants par une infusion secrète (1), » il dit au chapitre suivant « que ceux qui croient en Jésus-Christ, sont justifiés en lui à cause de la communication et inspiration secrète de la grâce spirituelle (2). » D'où il s'ensuit, non-seulement qu'il se fait en nous une infusion secrète de grâce, mais encore que c'est par elle que la justification s'opère en nos cœurs. C'est ainsi que parlait l'Eglise ancienne; mais la nouveauté des réformateurs a voulu paraître plus éclairée que la sage antiquité chrétienne.

Pour nous, demeurons toujours dans les bornes de la sainte simplicité de nos pères : disons avec eux selon l'Ecriture, que la justification du pécheur n'est pas tant un acte de juge qu'une action de Créateur tout-puissant qui renouvelle l'intérieur : disons que la grâce qui nous justifie étant une grâce régénérante, elle remet en même temps les péchés et nous enrichit du don de justice : disons enfin que cette grâce justifiante ôte les péchés en les pardonnant, parce qu'elle les nettoie par le Saint-Esprit qui purge toutes les ordures par sa présence : c'est la foi des saints docteurs de l'antiquité, c'est la créance perpétuelle de toute l'Eglise.

 

CHAPITRE VII.
Réflexion sur la doctrine précédente ; qu'elle relève la gloire de Jésus-Christ, et que nos adversaires la diminuent.

 

Cette belle, cette céleste doctrine nous est d'autant plus agréable, qu'elle relève merveilleusement la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le prix et l'efficace de sa passion, la force et la vertu de son Esprit-Saint, et la grandeur de sa charité dans la réparation de notre nature. Car au lieu que nos adversaires enseignent que nos péchés ne nous sont pas imputés, c'est-à-dire que Dieu ne les punit pas à cause du mérite de Jésus-Christ, nous disons que nos

 

1 « Dat etiam sui Spiritûs occultissimam fidelibus gratiam, quam latenter infundit et parvulis. » Lib. I, De pecc. merit., cap. IX, n. 10.— 2 « Legimus in Christo justificari qui credunt in eum, propter occultam communicationem et inspirationem gratiae spiritualis. » Ibid., cap. X, n. 11.

 

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péchés ne sont plus à cause du mérite de Jésus-Christ. Ils disent que ce mérite est si grand, qu'il suffit pour couvrir nos crimes ; nous disons qu'il suffit même pour ôter nos crimes. Ils disent que la justice du Fils de Dieu mérite que les fidèles soient tenus pour justes; nous disons qu'elle leur mérite même d'être justes. Si nous errons en cette créance, notre erreur vient de notre amour ; notre faute c'est que nous avons une idée plus haute de la sainte passion de notre Sauveur; mais à Dieu ne plaise que ce soit errer que de glorifier Jésus-Christ !

Que si nos adversaires estiment que nous voulons avoir la justice en nous afin de nous glorifier en nous-mêmes, ils se trompent, ils s'abusent, ils nous calomnient. Ce n'est pas nous glorifier en nous-mêmes que de confesser qu'on nous donne : dire que le bienfait est plus grand, ce n'est pas diminuer l'obligation, mais honorer la magnificence. L'Apôtre nous apprend que « la charité a été répandue en nos cœurs (1) : » c'est en nous sans doute qu'elle est, puisque c'est en nos cœurs qu'elle est répandue. Toutefois à Dieu ne plaise que nous prétendions nous glorifier en nous-mêmes d'un don si grand et si précieux, parce que, dit le même Apôtre, «elle est répandue en nous par le Saint-Esprit. » Il en est de même de cette justice que nous appelons inhérente. Elle est à l'homme qui la reçoit; elle est encore plus à Dieu qui la donne. «Cette justice est nôtre, dit saint Augustin, mais elle est appelée dans les Ecritures justice de Dieu et de Jésus-Christ, parce qu'elle nous est donnée par sa largesse (2). » Ainsi l'homme qui se glorifie se doit glorifier en Notre-Seigneur, puisque n'ayant rien de lui-même, toute sa gloire consiste en ce qu'il reçoit, et la gloire de celui qui reçoit se doit toute rapporter à celui qui donne. Est-il rien de plus respectueux ni de plus modeste ? Et quelle est la mauvaise foi de nos adversaires ! Ils pervertissent les Ecritures, ils méprisent l'antiquité, ils rabaissent la gloire du Sauveur des âmes. Nous nous joignons à l'ancienne Eglise pour expliquer par les oracles divins une doctrine toute céleste, et infiniment glorieuse au Fils de Dieu notre Rédempteur ; et ils ne cessent de

 

1 Rom., V, 5. — 2 « Ideò Dei et Christi dicitur, quòd ejus nobis largitate donatur. » De spirit. et litt., cap. , IX, n. 15.

 

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nous reprocher que nous enseignons à nos peuples à se confier en autre qu'en lui, et que nous nous attribuons à nous-mêmes ce que nous ne devons qu'à sa seule grâce ! Où est l'esprit de la charité dans ces injustes accusations et dans ces calomnies si visibles?

 

CHAPITRE VIII. De la justification par la foi.

 

Après que nous avons expliqué par quel motif Dieu nous justifie, et ce que c'est que la justification du pécheur, il faut considérer maintenant selon que nous avons proposé, par quelle action de nos âmes cette grâce nous est appliquée. Toute la controverse en cette matière se réduit à mon avis à savoir ce que c'est que la justification par la foi, et de quelle sorte la foi justifie.

Nos adversaires enseignent qu'elle justifie parce que de toutes les choses qui sont en nous, il n'y a que la seule foi qui concoure à notre justification. Mais ils ne peuvent disconvenir que, pour être justifié, il ne soit nécessaire de joindre à la foi et l'eau salutaire de la pénitence, et le feu céleste de la charité , sans laquelle la foi est morte. Et c'est pourquoi le grand cardinal de Richelieu leur montre par des raisons évidentes, que le procès qu'ils nous intentent est fondé sur une chicane inutile (1).

Mais afin qu'ils voient manifestement que nous établissons par les vrais principes la justification par la foi, représentons-leur la doctrine du sacré concile de Trente ; et après expliquons celle de saint Paul sous la conduite de saint Augustin, qui a si bien pénétré le sens de l'Apôtre, particulièrement en ce docte livre de l'Esprit et de la Lettre, où il traite excellemment cette question.

Le concile de Trente enseigne que « nous sommes dits justifiés par la foi, parce que la foi est le commencement du salut, le fondement et la racine de toute justification (2). » Il dit qu'elle est le commencement, parce que Dieu voulant nous sauver, nous propose premièrement celui qui nous sauve, c'est-à-dire son Fils

 

1 Traité pour convertir, etc., liv. III, chap. IV. — 2 « Per fidem justificari dicimus, quia fides est humanae salutis initium, fundamentum et radix omnis justificationis. » Conc. Trid., sess. VI, cap. VIII.

 

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unique. Elle est encore le fondement, parce qu'elle soutient par sa fermeté ce grand édifice de la justification du pécheur qui n'est appuyé que sur elle. Enfin elle en est aussi la racine, parce qu'elle répand sa vertu partout, et qu'elle est comme le principe et la source de tous les autres dons qui nous justifient. Ainsi toute notre créance est comprise en cette seule proposition qui est tirée de saint Augustin (1), que nous sommes dits justifiés par la foi, parce que plusieurs choses étant nécessaires pour la justification du pécheur, la foi est posée la première afin de nous impétrer tout le reste. C'est ainsi que nous enseignons très-solidement la justification par la foi.

Mais entrons profondément au sens de l'Apôtre, et pour entendre les véritables raisons pour lesquelles il attribue la justification à la foi, dans la divine Epître aux Romains et dans le reste de ses écrits, proposons quelques autres textes de ce grand docteur qui nous ouvriront l'intelligence infaillible de ceux que nous avons à traiter.

Certes le même Apôtre qui dit que nous sommes justifiés par la foi, dit aussi que nous sommes sauvés par la foi : « Si tu confesses, dit-il, en ta bouche le Seigneur Jésus, et que tu croies en ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé (2). » Est-ce à dire que nous soyons sauvés par la seule foi, sans y comprendre les autres vertus? Si cela était de la sorte, que deviendrait la sentence du juge, qui appelant les bien-aimés de son Père, témoigne en des paroles si claires que c'est leur charité qu'il couronne? « Venez, dit-il, parce que j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger (3).» Nous ne sommes donc pas sauvés par la seule foi; nous le sommes encore par la charité.

Davantage le même saint Paul enseigne, écrivant aux Ephésiens, que Jésus-Christ a habite en nous par la foi (4). » Ce n'est pas pour exclure la charité, le bien-aimé disciple disant que « celui qui est en charité est en Dieu, et Dieu en lui (5). » Mais voici encore un troisième exemple qui tranchera la difficulté jusqu'au fond. Saint Paul cite en divers endroits ce passage du prophète

 

1 De Prœd. Sanct., cap. VII, n. 12. — 2 Rom., X, 9. — 3 Matth. XXV, 34, 35.— 4 Ephes., III, 17. — 5 I Joan., IV, 16.

 

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Habacuc : « Le juste vit par la foi (1)» Considérons d'un esprit non préoccupé si le juste vit tellement par la seule foi, qu'il ne vive point par les autres vertus, spécialement par la charité.

Notre-Seigneur Jésus nous assure nettement le contraire. « Si tu veux, dit-il, entrer à la vie, garde les commandements (2) » et lorsque ce docteur de la loi lui récita le précepte de la charité : « Fais ceci, et tu vivras, » lui dit-il (3). Et le disciple bien-aimé prononce que « celui qui n'aime pas demeure en la mort (4). » Il est aisé de justifier par les Ecritures que la charité est la vie de l'âme, parce que c'est par elle que nous mourons au péché et vivons à Dieu avec Notre-Seigneur Jésus-Christ.

D'où vient donc que saint Paul détermine que le juste vit de la foi? C'est à cause que la foi nous montre la vie en Jésus-Christ, en sa mort, en son Evangile, en ses paroles vivifiantes. Ainsi la foi est le principe de vie, elle est elle-même la vie commencée; et de plus elle est le germe divin par lequel nous croissons à la vie parfaite en Notre-Seigneur Jésus-Christ. De là vient que l'apôtre saint Paul attribue la vie à la foi.

Nous disons que c'est pour la même raison qu'il lui attribue aussi le salut, parce qu'elle en est le principe et c'est encore pour la même cause qu'il enseigne que la foi justifie, parce qu'elle est le commencement de notre justice, et qu'elle est la source des autres dons par lesquels elle est achevée.

Toutefois il y a quelque chose de plus relevé dans la doctrine

admirable de du saint Apôtre; et quand nous l’aurons pénétré, nous entendrons les raisons solides pour lesquelles définissant la justice chrétienne en la savante Epître aux Romains, il l'appelle « la justice qui est par la foi. »

Il faut savoir qu'en cette Epître admirable saint Paul distingue deux sortes de justice : l'une est la justice qui est par la loi, qui est celle dont les Juifs se glorifiaient et que l'Apôtre entreprend de combattre; l'autre, c'est la justice qui est par la foi, qui est la vraie justice chrétienne que l'Apôtre veut établir, et qu'il oppose à la fausse justice des Juifs.

 

1 Rom., I, 17; Hebr., X; 38; Habac., II, 4. — 2 Matth., XIX, 17. — 3 Luc., X, 28 — 4 I Joan., III, 14.

 

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Mais d'où vient, direz-vous, que saint Paul la qualifie justice de la foi ? En voici la véritable raison. On définit les choses par leurs propres différences; or il est sans doute que c'est la foi qui met la véritable différence entre cette justice judaïque contre laquelle l'Apôtre dispute, et la justice chrétienne qu'il établit. Faisons voir clairement cette différence par les principes du Docteur des Gentils.

Il définit doctement la justice qui vient de la loi par ce texte du Lévitique : « Qui fera ces choses, vivra par elles (1). Moïse a écrit, dit l'Apôtre (2), de la justice qui est par la loi, que qui la fera vivra par elle. » Ces paroles nous font entendre en quoi consiste précisément la justice qui est par la loi. Car elles montrent manifestement que le propre de la loi étant de commander, celui qui veut être juste selon la loi ne regarde qu'à l'action commandée; il ne songe simplement qu'à faire et à vivre.

Encore que cette justice soit spécieuse, l'Apôtre la combat par plusieurs raisons, par lesquelles il prouve invinciblement que si elle a quelque gloire devant les hommes, elle n'est point reçue devant Dieu.      Premièrement ce n'est pas assez de regarder ce qu'il faut faire, si on ne considère ce qu'il faut purger. Car tous les hommes généralement sont pécheurs. C'est donc une fausse justice, si nous contemplons seulement les vertus qu'il faut acquérir, et que nous laissions sans remède les péchés qu'il faut nettoyer. Que si pour être juste véritablement, il faut penser avant toutes choses à purger les crimes, l'intervention de la foi y est nécessaire ; d'autant que la loi ne les ôte pas, mais plutôt, dit l'Apôtre, elle les condamne. Ainsi tant qu'on est sous la loi, on est dans la damnation selon sa doctrine. Par conséquent il faut que la foi nous montre Jésus-Christ le grand Propitiateur qui expie les péchés par son sang.

C'est la première raison de l'Apôtre contre la fausse justice des Juifs qui espéraient seulement aux œuvres ; et cet excellent docteur l'explique en ces mots : « Tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la

 

1 Levit., XVIII, 5. — 2 Rom., X, 5.

 

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rédemption qui est en Jésus-Christ que Dieu a ordonné propitiateur par la foi (1).»

La seconde raison dont se sert l'Apôtre pour prouver la fausseté de cette justice ne sera pas malaisée à entendre, si nous remarquons que les hommes étant impuissants par eux-mêmes, ceux qui veulent être justifiés doivent premièrement regarder la grâce.

Il ne suffit pas de considérer le précepte qui nous éclaire; il faut encore lever les yeux au Saint-Esprit de Dieu qui nous meut. C'est peu de chose de s'arrêter simplement à l'action qui nous est commandée; il faut aller au principe qui l'opère en nous. Nous ne voyons pas ce principe; mais nous le croyons, parce que ce principe c'est Jésus-Christ même : de sorte que c'est la foi qui nous y conduit, puisque le propre de la foi c'est de croire, comme le propre de la loi c'est de commander.

Cette vérité étant supposée, il s'ensuit très-évidemment que celui qui se proposera la loi sans la foi établira une fausse justice. Car il n'aura aucun égard à la grâce, et il croira pouvoir être juste par ses propres forces. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul parle ainsi des Israélites charnels qui considéraient la loi de Moïse sans la foi du Sauveur Jésus : « Ignorant la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils n'ont pas été soumis à la justice de Dieu (2). « Cette justice de Dieu dont il parle n'est point celle par laquelle Dieu est juste, mais celle par laquelle Dieu nous fait justes. L'Apôtre veut donc dire que les Juifs charnels ignorant cette véritable justice par laquelle Dieu nous fait justes, ont voulu établir leur propre justice, c'est-à-dire la justice par leurs propres forces.

De là vient que saint Augustin expliquant par les principes du saint Apôtre quelle est cette justice qui est par la foi : « Il faut entendre une foi, dit-il, par laquelle nous croyons fermement que la justice nous est donnée par la grâce, et non point faite en nous par nous-mêmes (3). »

C'est à quoi regarde saint Paul, lorsqu'ayant proposé cette

 

1 Rom., III, 23, 24, 25. — 2 Rom., X, 3. — 3 « Quae ex Deo justitia in fide, in fide utique est, quâ credimus nobis justitiam divinitùs dari, non à nobis in nobis nostris viribus fieri. » Epist. CVI, nunc CLXXXVI, n. 8.

 

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question ; « Pourquoi les Israélites suivant la loi de justice, ne sont point parvenus à la loi de justice (1) ? » il en rend cette excellente raison : « Parce que ce n'a pas été par la foi, mais comme par les œuvres : » c'est-à-dire comme opérant par eux-mêmes et ne croyant pas que c'est Dieu qui opère en eux. C'est l'interprétation de saint Augustin (2).

C'est encore ce qui fait dire au même saint Paul que « notre orgueil est anéanti, non point par la loi des œuvres, mais par la loi de la foi (3) ; » parce que la seule foi nous fait voir que rien ne peut subvenir à l'infirmité humaine, si ce n'est la miséricorde divine.

De cette belle doctrine du grand Apôtre, il résulte que le défaut essentiel de cette orgueilleuse justice, qui ne se proposait que les œuvres, consiste en ces deux choses que nous avons dites. C'est qu'il fallait que les hommes qui veulent bien faire, considérassent premièrement qu'ils étaient pécheurs et qu'ils cherchassent celui qui réconcilie; secondement, qu'ils étaient impuissants, et qu'ils recourussent à celui qui aide. C'est ce que la fausse justice ne pratiquait pas; et c'est pourquoi c'était un orgueil damnable qui se couvrait du nom de justice. Mais la justice chrétienne le fait par la foi. Car la foi nous propose Jésus-Christ Sauveur, Libérateur et Réparateur. S'il nous répare, nous étions tombés; s'il nous délivre, nous étions captifs ; s'il nous sauve, nous étions perdus.

C'est donc là cette foi qui nous justifie, si nous croyons, si nous confessons que nous sommes morts en nous-mêmes et que Jésus-Christ seul nous fait vivre. C'est, dis-je, cette foi qui nous justifie, parce qu'elle fait naître l'humilité, et par l'humilité la prière, et dans la prière la confiance; et ainsi elle nous impètre le don de la grâce par laquelle notre langueur est guérie, et notre conscience purifiée.

C'est la doctrine constante de saint Augustin ; c'est tout le but de ce docte livre qu'il a composé de l'Esprit et de la Lettre : « La

 

1 « Israël sectando legem justitiae, in legem justitiae non pervenit. Quare ? Quia non ex fide, sed quasi ex operibus. » Rom., IX, 31, 32. — 2 «Tanquam ex semetipsis operantes, non in se credentes operari Deum. » De spir. et litt., cap. XXIX, n. 50. — 3 « Ubi est gloriatio tua? Exclusa est. Per quam legem? Factorum? Non : sed per legem fidei. » Rom., III, 27; August., De spir. et litt., cap. X, n. 17.

 

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justification , dit-il, est impétrée par la foi (1); » et : « La foi nous rend propice celui qui justifie (2) ; » et encore : « Par la foi nous impétrons le salut, tant celui qui se commence en nous effectivement que celui que nous attendons par une fidèle espérance (3) ; » et enfin : « Par la loi la connaissance du péché, par la foi l'impétration de la grâce contre le péché, par la grâce l’âme est guérie du vice du péché (4). » Ce grand homme parle toujours de la même sorte.

Ainsi dans la pensée de saint Augustin, la vertu de la foi consiste en la force qu'elle a d'impétrer la grâce; et ce docte personnage l'a pris de saint Paul. Car l'Apôtre expliquant la vertu de la foi : « Si tu confesses, dit-il (5), de ta bouche le Seigneur Jésus, et que tu croies en ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » Il entend par ce mot général : Tu seras sauvé, tant le salut qui s'accomplira en la vie future que celui qui se commence en la vie présente. De sorte que la justification du pécheur y doit être nécessairement comprise. C'est pourquoi il ajoute aussitôt après : « Car on croit de cœur a justice , et on confesse de bouche à salut. » L'Apôtre se propose donc de nous expliquer quelle est la vertu de la foi, même dans la justification du pécheur : « Si tu crois , dit-il, tu seras sauvé ; » et il en rend cette solide raison : « Car celui qui croit en lui ne sera point confondu. » Ce que voulant prouver au verset suivant, il continue ainsi son discours : « Quiconque croit n'est point confondu : car il n'y a point de différence du Juif et du Grec, parce que c'est le même Seigneur de tous, qui est riche sur tous ceux qui l'invoquent. Car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Après

 

 

1 « Justificatio ex fide impetratur. » De spir. et litt., cap. XXIX, n. 51.— 2  « Per fidem concilians justificatorem, » etc. Ibid. — 3 « Fide Jesu Christi impetramus salutem, et quantum nobis inchoatur in re, et quantum perficieuda expectatur in spe. » Ibid. — 4 « Per legem cognitio peccati, per fidem impetratio gratia; contra peccatum, per gratiam sanatio animae à vitio peccati. » Ibid., cap. XXX, n. 52. — 5 « Si confitearis in ore tuo Domiuum Jesum, et in corde tuo credideris quôd Deus suscitavit illum à mortuis, salvus eris. Corde enim créditur ad justitiam, ore autem confession fit ad salutem. Dicit enim Scriptura : Omnis qui credit in illum, non confundetur. Non enim est distinctio Judœi et Graeci; nam idem Dominus omnium, dives in omnesqui invocant illum. Omnis enim quicumque invocaverit nomen Domini, salvus erit. Quomodò ergo invocabunt in quem non crediderunt? » Rom., X, 9 et seq.

 

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quoi il vient à la foi, disant : « Comment donc invoqueront-ils celui auquel ils n'ont point cru ? » Où il est clair que la raison pour laquelle il dit que celui qui croit n'est point confondu, c'est parce qu'en croyant il invoque, et que celui qui invoque, il obtient. Donc selon l'apôtre saint Paul la force de la foi en Notre-Seigneur, c'est qu'elle a la vertu d'impétrer : et saint Augustin raisonne très-bien selon ces maximes apostoliques, quand il dit que la foi justifie, parce qu'elle attire les grâces par lesquelles nous sommes justifiés.

Nos adversaires eux-mêmes ne le nieront pas, s'ils considèrent bien quelques vérités desquelles il est impossible qu'ils disconviennent. Car je leur demande si un pécheur, comme par exemple le roi David après son homicide et son adultère, ne doit pas prier continuellement que Dieu lui pardonne son crime. Or s'il prie , il est en la foi,, selon ce que dit l'apôtre saint Paul : « Comment invoqueront-ils s'ils ne croient (1)? » Que s'il est vrai que la seule foi sans tous les autres dons de la grâce, opère la rémission des péchés , comment demande-t-elle avec tant de larmes ce qu'elle a déjà obtenu sitôt qu'elle a été formée en nos cœurs ?

Il faut donc dire nécessairement que la foi en Jésus-Christ justifie, non qu'elle fasse elle seule toute la justice, mais parce qu'elle en est le principe et que nous fondant sur l'humilité, elle nous impètre les autres dons par lesquels la justice s'accomplit en nous.

De là il s'ensuit clairement que nous sommes justifiés par la foi sans exclusion de la charité. Car il paraît que saint Paul se sert de la foi pour mettre une différence solide, telle que nous l'avons exposée, entre la fausse justice des Juifs et la vraie justice du christianisme, c'est-à-dire entre la justice qui glorifie l'homme et la justice qui glorifie Dieu : et ainsi la justification est attribuée singulièrement à la foi, pour éloigner de nous l'arrogance humaine qui veut se glorifier en elle-même, non pour exclure la charité ni les autres vertus divines qui ne se glorifient qu'en la grâce.

C'est la doctrine de la sainte Eglise de laquelle je tire ces deux conséquences. Premièrement, que nous ne nions pas la

 

1 Rom., X, 14.

 

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justification par la foi ; au contraire que nous l'établissons par les vrais principes que l'antiquité chrétienne nous a enseignés par la bouche de saint Augustin. Secondement je conclus que c'est une extrême injustice de nous opposer que nous renversons la justification gratuite. Car il n'est rien de plus gratuit que ce que la foi en Jésus-Christ nous impètre, parce que quand la foi invoque, c'est le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et le mérite de sa passion qui obtient. Est-ce pas une calomnie manifeste d'assurer qu'une telle croyance renverse la confiance au Libérateur ?

Ici nos adversaires objectent que l'Eglise catholique prêche la justification par les œuvres. Pour résoudre cette difficulté, il est nécessaire que nous entrions en la seconde des trois questions proposées touchant l'économie de la grâce ; et qu'après avoir vu son commencement, nous considérions son progrès.

 

CHAPITRE IX.
De la justification par les œuvres.

 

Ceux qui ont écrit de nos controverses ont judicieusement remarqué, qu'il n'y a entre nous et nos adversaires aucune dispute particulière touchant la justification par les œuvres; et la simple intelligence des termes fera connaître cette vérité.

Par la justification nous pouvons entendre la seule rémission des péchés, et c'est ainsi que nos adversaires l'expliquent. Sur cela nous leur avons accordé que nos péchés sont remis gratuitement (1), non point à cause de nos mérites, mais par les mérites de Jésus-Christ. Nous avons produit les décrets par lesquels le sacré concile de Trente a défini cette salutaire doctrine; et par conséquent en ce point nous n'avons rien à contester avec les ministres.

Mais nous prenons la justification en un autre sens pour notre régénération à la vie nouvelle, et notre sanctification par le Saint-Esprit. On demande si la justification ainsi entendue, se fait par les œuvres ou non : et nous disons que nous et nos adversaires n'avons rien à démêler sur cette matière ; et en voici la preuve évidente.

 

1 Ci-dessus, chap. II.

 

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Cette sanctification par le Saint-Esprit peut être regardée en deux sortes, dans son commencement ou dans son progrès. Or nous convenons les uns et les autres : premièrement, qu'elle ne se fait point en nous par les bonnes œuvres, parce qu'elle en est le principe, et par conséquent elle les précède; secondement nous sommes d'accord qu'elle s'accroît par les bonnes œuvres, parce qu'il est clair que notre sanctification s'augmente à mesure que nous croissons en la charité. De sorte que toute la question consiste à savoir si la grâce qui nous justifie diffère de celle qui nous sanctifie et nous régénère, comme les ministres l'enseignent. Cette question n'est pas de ce lieu, et nous l'avons assez expliquée. Ainsi j'ai eu juste sujet de dire que dans la matière où nous sommes, il n'y a entre nous et nos adversaires aucune dispute particulière. Dumoulin lui-même le reconnaît, lorsqu'il dit : « Notez que nos adversaires par la justification entendent la sanctification ou régénération ; ainsi le but auquel ils visent, est de prouver que nous sommes régénérés par les œuvres, chose que nous accordons volontiers (1). »

Toutefois pour la satisfaction des pieux lecteurs et pour éclaircir d'autant plus la foi catholique , proposons la créance de la sainte Eglise. L'apôtre saint Paul nous enseigne que « notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2), » parce qu'à mesure que nous croissons en foi, en espérance et en charité, nous imprimons de plus en plus en nos âmes l'image du nouvel homme, qui est Jésus-Christ. D'ailleurs le Saint-Esprit qui nous est donné ouvre en nous une source toujours féconde, qui ne cessant jamais de couler, s'enrichit continuellement elle-même ; ce qui fait dire à saint Augustin : « Il faut que nous entendions que celui qui aime, a le Saint-Esprit ; et qu'en l'ayant il mérite de l'avoir davantage, et conséquemment d'aimer davantage (3). »

Nous donc qui sommes persuadés par les Ecritures, que c'est la même grâce qui nous justifie, et nous sanctifie, et nous régénère, nous croyons aussi très-certainement qu'autant que l'œuvre

 

1 Bouclier de la foi, sect. 45. — 2 II Cor., IV, 16. — 3 « Restat ut intelligamus Spiritum sanctum habere qui plus diligit, et habendo mereri ut plus habeat, et plus habendo plus diligat. Tract, LXXIV in Joan., n. 2.

 

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de notre régénération est avancée tous les jours par le Saint-Esprit, autant la grâce qui nous justifie est accrue, selon ce que dit saint Jean en l'Apocalypse : « Que celui qui est juste soit justifié encore ; et que celui qui est saint, soit sanctifié encore (1), » c'est-à-dire sans difficulté, que celui qui est saint devienne plus saint, et que celui qui est juste devienne plus juste. C'est à raison de cet accroissement de justice que l'Eglise enseigne avec saint Jacques, que nous sommes justifiés par les œuvres, parce que la foi sans les œuvres est morte (2)?

Je sais que nos adversaires répondent que saint Jacques ne parle point de la justification devant Dieu ; et que par le mot de justifier, il entend déclarer la foi par les bonnes œuvres qui en sont les fruits. Mais certes si nous prenons bien le sens de l'Apôtre, nous trouverons que l'interprétation des ministres lui est directement opposée, car encore que saint Jacques ait dit en ce lieu, que la foi est déclarée par les œuvres : « Je te montrerai, dit-il, ma foi par les œuvres (3), » la suite du discours fait assez paraître que ce n'est pas son intention principale. Son dessein est de reprendre ceux qui se confiaient tellement en la seule foi, qu'ils négligeaient la pratique des bonnes œuvres ; il entreprend de leur faire voir que leur foi est morte, qu'elle est sans vertu, qu'elle n'est pas capable de les sauver : « Quelle utilité, mes Frères, dit-il, si quelqu'un se vante d'avoir la foi et n'a pas les œuvres; sa foi le peut-elle sauver (4)? » Or, pour leur montrer cette vérité, c'était peu de chose de les avertir qu'ils ne déclaraient pas leur foi devant les hommes ; il fallait encore leur faire sentir qu'ils n'étaient pas justifiés devant Dieu. Donc saint Jacques parle en ce texte de la justification devant Dieu, non devant les hommes : et néanmoins il assure manifestement que nous sommes justifiés par les œuvres, parce qu'il est plus clair que le jour que ce n'est pas seulement par la foi , mais encore par les bonnes œuvres que nous rendons notre vie agréable à Dieu.

Nos adversaires objecteront que si nous sommes justifiés par les œuvres, la justification n'est pas gratuite. Mais la réponse n'est pas difficile : car nous avons déjà remarqué que la

 

1 Apoc., XXII, 11. — 2 Jacob., II, 17, 20. —  3 Ibid., 18. — 4 Ibid., 14.

 

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justification s'accroît par les œuvres, et qu'elle ne se fait pas par les œuvres, parce qu'elle en est le principe ; de même que l'homme croit par la nourriture, mais il ne se fait pas par la nourriture.

De cette sorte il est aisé de comprendre que les œuvres sont des fruits de la justification , et que néanmoins elles la font croître, comme ce que nous pouvons nous nourrir c'est une suite de ce que nous sommes vivants, et toutefois la nourriture conserve la vie.

Ainsi l'apôtre saint Jacques a très-bien prêché que nous sommes justifiés par les œuvres, et l'apôtre saint Paul a très-bien nié que nous fussions justifiés par les œuvres : de la même façon que je pourrais dire, sans sortir de l'exemple que j'ai apporté, que c'est la nourriture qui nous fait vivre, parce qu'elle nous conserve la vie ; et que ce n'est pas la nourriture qui nous fait vivre, parce qu'avant que de nous nourrir nous vivons. Est-il rien de plus net, ni de plus sincère, ni de moins embarrassé que cette doctrine ?

Mais du moins il s'ensuivra, dira-t-on, que ce progrès de la justification n'est pas gratuit, parce qu'il se fait en nous par les œuvres. Cette conséquence serait véritable, si les œuvres ne venaient point de la grâce ; mais « c'est la grâce elle-même, dit saint Augustin, qui mérite d'être augmentée, afin qu'étant augmentée, elle mérite aussi d'être consommée (1). »

C'est ce que l'Eglise catholique enseigne du progrès des justes dans la vie nouvelle ; ils sont unis comme membres au Fils de Dieu par la grâce qui les justifie , et ils s'avancent en cette unité autant qu'ils croissent en la charité. Etant unis plus étroitement à ce divin Chef du corps de l'Eglise, ils reçoivent une influence plus forte, et la justice de Jésus-Christ se répand sur eux plus abondamment. Quelle opiniâtreté, ou quelle ignorance pourrait dire que cette sainte doctrine diminue la gloire du Fils de Dieu, et la confiance que nous avons en lui seul ?

 

1 « Ipsa gratia meretur augeri, ut aucta mereatur et perfici. » Epist. CVI, nunc CLXXXVI, n. 10.

 

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CHAPITRE X.
De l'accomplissement de la loi, et de la vérité de notre justice à cause du règne de la charité.

 

Mais nos adversaires opposent que nous n'avons pas une opinion assez humble de l'imperfection de notre justice, qui n'est que souillure et iniquité ; ils disent que nous croyons pouvoir accomplir la loi, et ils assurent que c'est mal comprendre la corruption de la convoitise qui demeure jusqu'à la mort dans les baptisés. Répondons par ordre à tous leurs reproches ; s'ils nous écoutent en esprit de paix, ils verront qu'il n'appartient qu'à l'Eglise de savoir glorifier le Sauveur des âmes, et proposer les mystères divins avec leur majesté naturelle.

L'homme rétabli par la grâce a de grandes misères et de grands dons ; de grandes misères, par sa nature corrompue ; de grands dons, par la miséricorde divine. Nous devons donc parler de ce que nous sommes avec un si juste tempérament, qu'en avouant notre infirmité, nous ne méprisions pas le remède que le Sauveur Jésus-Christ nous présente : pour cela il faut rabaisser ce que nous avons de nous-mêmes, et reconnaître la dignité de ce que le Saint-Esprit fait en nous. Ainsi nous domptons l'arrogance humaine , et nous glorifions la grâce divine.

C'est pourquoi nous détestons la fausse justice que les sages de ce monde cherchent par eux-mêmes; mais nous apprenons par les Ecritures qu'il y a une justice que Dieu fait en nous, qui découle de Jésus-Christ sur les fidèles qui sont ses membres par l'abondance de son esprit qu'il nous communique. A Dieu ne plaise que nous disions que cette justice ne soit que souillure , et que nous déshonorions par un tel blasphème l'ouvrage du Saint-Esprit en nos âmes !

Il en est de même des bonnes œuvres. Si je dis que l'homme n'a rien de son propre fonds que le mensonge et l'iniquité (1), je confesse la langueur de notre nature : si je dis que l'homme aidé par la grâce ne fait rien de saint ni de juste, je fais injure, non point à l'homme, mais au Saint-Esprit qui agit en nous.

 

1 Conc. Araus., II, cap. XXII.

 

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Pour ce qui regarde la convoitise, nous avons déjà dit à nos adversaires qu'encore qu'elle demeure après le baptême, elle n'est pas péché dans les baptisés; et nous avons établi les principes par lesquels cette vérité peut être éclaircie. Mais ne laissons pas d'expliquer selon la doctrine de saint Augustin, qui vient de la source des Ecritures, pour quelles causes la concupiscence, bien qu'elle ne soit pas éteinte dans les baptisés, ne les empêche pas d'être vraiment justes, ni de pouvoir accomplir la loi selon la mesure de cette vie.

Pour entendre cette vérité, supposons premièrement que la convoitise est un attrait en l'homme, par lequel il est porté à s'attacher aux biens périssables; et la charité un attrait en l'homme, par lequel le Saint-Esprit le pousse et l'excite au bien éternel.

Secondement remarquons encore que toute la justice des mœurs chrétiennes consiste en la loi de la charité, Jésus-Christ lui-même nous ayant appris que toute la loi était renfermée en ce seul précepte , Tu aimeras (1). De là vient que saint Augustin parle ainsi de la charité : « C'est elle qui est la très-véritable, la très-entière et la très-parfaite justice (2). » D'où il s'ensuit, par contrariété de raison, que toute l'injustice a son origine dans la convoitise.

Ces principes étant posés, notre doctrine sera très-intelligible. Quand l'attrait de la convoitise domine dans l'âme, elle devient captive des biens corruptibles, et par conséquent criminelle. Mais Dieu pour empêcher ce désordre, inspire aux cœurs de ses vrais enfants la chaste délectation du bien éternel qui les délivre de la servitude, et leur fait aimer Dieu plus que toutes choses. Ce doux lien de la charité attache si puissamment l'homme juste à Dieu, qu'il peut venir à ce haut point de perfection de dire avec l'apôtre saint Paul : a Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? Sera-ce l'affliction ou l'angoisse, la persécution, ou la faim , la nudité, le péril, le glaive? Je suis certain que ni la mort, ni la vie , ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni le présent, ni le futur, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre

 

1 Matth., XXII, 40. — 2 « Ipsa est verissima, plenissima, perfectissimaque justitia. » De nat. et grat., cap. XLII, n. 49.

 

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créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).» Ce qui montre que l'attrait de la convoitise n'empêche pas que l’âme fidèle ne s'attache si étroitement au souverain bien, qu'elle méprise pour l'amour de lui tout ce qui flatte, tout ce qui menace, tout ce qui tourmente.

De là suit par une conséquence infaillible, l'accomplissement de la loi. Car le Sauveur a dit dans son Evangile : « Celui qui m'aime gardera mes commandements (2) ; » et l'apôtre saint Paul nous enseigne que « la charité est l'accomplissement de la loi, et que celui qui aime accomplit la loi (3). » Or nous savons que « la charité a été répandue en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné (4); » et elle peut croître à une telle force, qu'elle nous fera prodiguer de bon cœur nos vies pour le salut éternel de nos frères, selon ce que dit l'apôtre saint Paul : « Nous étions prêts de vous donner, non-seulement l'Evangile, mais encore nos propres âmes, parce que vous nous étiez devenus très-chers (5) ; » ce que le Fils de Dieu appelle lui-même la perfection de la charité (6).

N'entreprenons donc pas de rabaisser l'homme en diminuant la grâce de Dieu. Ecoutons la promesse qu'il fait aux héritiers du Nouveau-Testament : J'écrirai, dit-il, ma loi en leurs cœurs (7). Qu'est-ce qu'écrire la loi dans nos cœurs, sinon faire que nous aimions la justice qui éclate si magnifiquement en la loi ; et que nous l'aimions d'une affection si puissante , que malgré tous les obstacles du monde elle soit la règle de notre vie? Car notre Dieu n'imprime point en nos cœurs une affection inutile, mais une affection agissante. Et ce qu'il grave au fond de nos âmes, il le grave d'une manière très-efficace. C'est pourquoi, comme il y grave sa loi, l'apôtre saint Paul nous enseigne que « la justification de la loi est accomplie en nous par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ (8). » Ainsi nos adversaires, qui nient que les justes puissent accomplir la loi, n'entendent pas assez l'énergie des promesses de la nouvelle alliance.

Saint Augustin l'a bien entendue, quand il assure en une infinité de lieux que « la volonté guérie accomplit la loi, » et « que la grâce

 

1 Rom., VIII, 35, 38, 39, — 2 Joan., XIV, 23. — 3 Rom., XIII, 10. — 4 Rom., V, 5. — 5 I Thess., II, 8. —  6 Joan., XV, 13. — 7 Jerem., XXXI, 33. — 8 Rom., VIII, 4.

 

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nous est donnée, afin que nous la puissions accomplir (1) : » et c'est par là que ce grand docteur a relevé l'efficace du secours divin.

Peut-être que les ministres diront que nous n'accomplissons pas la loi si exactement, qu'il ne se mêle de grands défauts en nos mœurs. A cela nous leur répondons que si c'est là tout ce qu'ils désirent de nous, nous ne disputons point avec eux. Proposons ce que l'Eglise catholique enseigne.

 

CHAPITRE XI.
Continuation de la même matière, où il est traité de l'imperfection de notre justice à cause du combat de la convoitise.

 

Nous pouvons considérer trois choses dans l'homme : premièrement, le règne de la convoitise, tel que nous le voyons dans les grands pécheurs, qui éteint toute la charité, et c'est l'injustice consommée; secondement, le règne parfait de la charité, tel que nous le croyons dans les bienheureux, qui consume toute la convoitise, et c'est la justice parfaite; et enfin le règne de la charité, tel qu'il est en ce pèlerinage mortel, où encore que la convoitise soit surmontée, elle n'est pas entièrement abolie. Ce règne de la charité fait en nous une véritable justice; ce mélange de la convoitise empêche qu'elle ne soit justice parfaite.

Il résulte clairement de cette doctrine qu'en ce lieu de misère et d'infirmité, où la chair convoite contre l'esprit, il n'y a aucun homme exempt de péché. Car si la convoitise domine, il s'ensuit que la charité est vaincue, et l'homme est précipité aux péchés damnables; et encore que la charité soit victorieuse, toutefois la convoitise résiste ; et dans une si âpre mêlée et une résistance si opiniâtre, où nous avons à nous combattre nous-mêmes, il arrive infailliblement que l'esprit, qui surmonte par la charité, reçoit quelques blessures par la convoitise. C'est pourquoi nous avons besoin toute notre vie de recourir au baptême de larmes, et au remède salutaire de la pénitence.

 

1 « Voluntas nostra ostenditur infirma per legem, ut sanet gratia voluntatem, et voluntas sancta impleat legem. » August., De spir. et litt., cap. IX, n. 15. — « Per quam (gratiam) solam quod lex jubet possit implere. » Ibid., cap. X, n. 16.

 

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Cette vérité catholique met une différence notable entre les péchés. Car il y a en nous des péchés qui établissent la domination de la convoitise, et ce sont ceux que l'Eglise appelle mortels, parce qu'ils éteignent la charité. Il y en a d'autres qui naissent en nous à cause du combat de la convoitise, et qui n'empêchent pas que la charité ne triomphe en nous; ce sont ceux que nous appelons véniels. C'est à cause de ces péchés que ceux-là mêmes dans lesquels la chante règne, qui peuvent dire avec l'apôtre saint Paul : « Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ? » doivent dire aussi tous les jours à Dieu : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent. » Je ne pense pas que nos adversaires osent s'opposer à cette doctrine, s'ils veulent prendre la peine de la bien comprendre.

De là vient que nous confessons humblement que c'est une partie de notre justice de reconnaître que nous sommes pécheurs, et que celui-là est le plus avancé dans la justice de cette vie qui remarque « en profitant tous les jours, combien il est éloigné de la perfection de la justice (1). »

Ce n'est pas qu'il ne faille avouer qu'il y a quelque perfection ici-bas selon la mesure de cet exil. Car Jésus-Christ n'a pas dit en vain : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (2) ; » et saint Paul : « Nous prêchons la sagesse entre les parfaits (3). » Il y a donc quelque sorte de perfection même en ce pèlerinage mortel, parce qu'encore que l'homme juste n'arrive pas à la charité achevée, il n'obéit à aucune convoitise : et encore qu'il ne possède pas entièrement le souverain bien, néanmoins il ne se plaît en aucun mal, gémissant avec l'Apôtre, et disant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (4)? » « Ainsi nous pouvons, dit saint Augustin, nous déplaire dans les ténèbres, encore que nous ne puissions pas arrêter nos vues sur une lumière très-éclatante (5). »

C'est la perfection qui nous est promise par la grâce de la nouvelle

 

1 « Multum in hâc vitâ ille profecit, qui quàm longè sit à perfectione justiae, proficiendo cognovit. » August., De spir. et litt., cap. XXXVI, n. 64.— 2 Matth., V, 48. — 3 I Cor., n, 6. — 4 Rom., VII, 24. — 5 « Potest oculus nullis tenebris delectari, quamvis non possit in fulgentissimà luce defigi. » August., De spir. et litt., cap. XXXVI, n. 65.

 

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nouvelle alliance. Moïse dit au Deutéronome : « Le Seigneur Dieu circoncira ton cœur, et le cœur de ta postérité après toi, afin que tu aimes le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme (1). » Nous voyons dans ce beau passage la convoitise vaincue par la circoncision de nos cœurs, et la sainte charité régnante par l'attachement au souverain bien.

Que si nos adversaires objectent que les oppositions de la convoitise diminuent les transports de la charité, nous y consentirons volontiers ; et toutefois nous ne craindrons pas d'assurer avec l'admirable saint Augustin, que la grâce du Saint-Esprit abonde tellement en l’âme des justes, que leur charité, quoique combattue , a quelque chose de plus vigoureux qu'elle n'avait en Adam notre premier père, lorsqu'elle y jouissait d'une pleine paix. Car Adam n'avait rien à combattre dans une si grande félicité, dans une telle facilité de ne pécher pas. «Maintenant, dit saint Augustin , il faut une liberté plus grande contre tant de tentations qui n'étaient pas dans le paradis, afin que ce monde soit surmonté avec toutes ses erreurs, toutes ses terreurs et les attraits de ses fausses amours (2). » D'où vient cette liberté plus grande, sinon d'une charité plus puissante, que la grâce de Jésus-Christ inspire à ses saints? En effet est-il pas nécessaire que cette charité soit plus forte et plus fortement attachée à Dieu, puisqu'ayant à se roidir contre tant d'obstacles, malgré tant d'ennemis dedans et dehors, elle ne laisse pas de dire de tout son cœur : « Jésus-Christ est ma vie (3) ; » et : « Je vis non plus moi, mais Jésus-Christ en moi (4) ? » Aussi saint Augustin nous enseigne que Dieu mettant Adam dans le paradis, voyait bien qu'il devait tomber; « mais en même temps il voyait, dit-il, que par sa postérité aidée de la grâce, le diable serait surmonté avec une plus grande gloire des saints (5). » Ainsi quoi que la convoitise entreprenne pour détruire la justice des enfants de Dieu, elle demeure victorieuse par la charité,

 

1 Deut., XXX, 6. — 2 « Major quippe libertas necessaria est adversùs tot et tantas tentationes quœ in paradiso non fuerunt,... ut cum omnibus amoribus, terroribus, erroribus suis vincatur hic mundus, » etc. De concept, et grat., cap. XII, n. 35. — 3 Philip., I, 21. — 4 Galat., II , 20. — 5 « Nullo modo quod vinceretur incertus ; sed nihilominùs praescius quod ab ejus semine adjuto sua gratia idem ipse diabolus fuerat sanctorum glorià majore vincendus. » De Civit. Dei, lib. XIV ,cap. XXVII.

 

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qui est la véritable justice, comme l'appelle saint Augustin; et la grâce les remplit tellement, que nous voyons tout ensemble en l'homme fidèle plus de force, plus d'infirmité, plus de gloire, plus de bassesse. Qui pourrait opérer un si grand miracle, sinon celui qui dit à saint Paul, qui se plaignait de se voir assailli d'une tentation violente : « Ma grâce te suffit, car ma puissance se parfait dans l'infirmité (1) ? »

Concluons donc enfin cette question, et confessons que la doctrine catholique triomphe de tous les reproches de ses adversaires. Car s'ils nient la vérité de notre justice, et l'accomplissement de la loi à la manière que nous avons exposée, ils contredisent à l'Ecriture et outragent l'esprit de la grâce. Que s'ils combattent l'accomplissement de la loi pour montrer qu'il n'est jamais si exact qu'il évite toute sorte de répréhension, ils ne touchent point à notre créance, puisque l'Eglise catholique confesse avec le plus grand de tous ses docteurs que « Dieu justifie tellement ses saints, qu'il ne laisse pas d'y avoir toujours quelque chose qu'il accorde libéralement à la prière, et qu'il pardonne miséricordieusement à la pénitence (2). »

 

CHAPITRE XII.
Du mérite des bonnes œuvres. Sentiments de l'ancienne Eglise.

 

Des trois questions importantes sur lesquelles je m'étais proposé d'expliquer les sentiments de l'Eglise, les deux premières ont été traitées, et par la miséricorde divine la gloire de Jésus-Christ a paru dans le commencement et dans le progrès de la vie nouvelle du chrétien. Maintenant il faut montrer à nos adversaires que la doctrine que nous professons touchant notre couronnement dans la vie future n'est pas moins glorieuse au Sauveur des âmes, afin que tout le monde connaisse que l'Eglise catholique n'a rien plus à cœur que de faire éclater par toute la terre l'honneur du Fils de Dieu son Epoux.

 

1 II Cor., XII, 9. — 2 « Sic operatur (Deus) justificationem in sanctis suis,... ut tamen sit et quod petentibus largiter adjiciat, et quod confitentibus clementer ignoscat. » August., De spir. et litt., cap. XXXVI, n. 65.

 

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Les calvinistes ne peuvent souffrir que nous enseignions que la vie éternelle est rendue aux mérites des bonnes œuvres; et c'est pour cela principalement que le ministre que nous combattons, accuse le sacré concile de Trente de ruiner la confiance en notre Sauveur.

J'ai promis de lui faire voir que la foi de la sainte Eglise est un héritage ancien qu'elle a reçu des pieux docteurs qui ont fleuri dans les premiers siècles ; par où le catéchiste reconnaîtra que sous le nom des Pères de Trente, il condamne l'antiquité chrétienne qui prononce nettement en notre faveur.

Pour entendre cette vérité , comprenons les raisons solides par lesquelles l'Eglise ancienne a vaincu l'hérésie des pélagiens.

La malice de cette hérésie consistait en ce que, niant la grâce de Dieu, elle attribuait tout le bien à notre mérite. Pour détruire cette superbe doctrine, il n'y avait rien de plus nécessaire que d'abattre le mérite insolent par lequel ces hérétiques enflaient notre orgueil. Si l'Eglise n'eût pas cru le mérite, il était temps alors de le déclarer, pour confondre les pélagiens qui s'y confiaient excessivement. Mais au contraire elle se propose de renverser le mérite pélagien, en établissant le mérite. Elle ruine un mérite insolent par un mérite respectueux ; elle oppose au mérite qui prévient la grâce un mérite qui est un fruit de la grâce, et c'est ce mérite que nous croyons.

Le seul témoignage de saint Augustin est capable de convaincre les plus obstinés. Car qui ne sait que ce grand évêque est celui de tous les saints Pères qui a disputé le plus fortement contre ce mérite pélagien qui s'élève contre la gloire de Dieu? Et toutefois cet humble docteur, ce puissant défenseur de la grâce, dans les lieux où il foudroie les pélagiens, prêche si constamment le mérite, qu'il est impossible de ne voir pas que le mérite établi par les vrais principes, bien loin d'être contraire à la grâce, en prouve clairement la nécessité et en fait éclater la vertu.

Ecoutons parler ce grand personnage dans cette Epître si forte, qu'il écrit à Sixte contre l'hérésie des pélagiens : « De quels mérites se vantera celui qui a été délivré, auquel si l'on rendait selon

 

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ses mérites, il n'éviterait jamais la damnation (1) ? » Quelle arrogance pélagienne pourrait se défendre contre ces paroles? Mais de peur que les ignorants n'estimassent qu'en s'opposant à ce faux mérite il voulût combattre le véritable, il ajoute aussitôt après ces beaux mots : « Les justes n'ont-ils donc aucuns mérites? Ils en ont certainement, parce qu'ils sont justes : mais ils n'avaient pas mérité que Dieu les fit justes. »

Qui ne voit ici que saint Augustin ruine le mérite qui prévient la grâce par le mérite qui est un fruit de la grâce ; et qu'autant qu'il déteste ce premier mérite, autant approuve-t-il le second ?

Mais celui qui voudra connaître sans obscurité les sentiments de saint Augustin touchant le mérite des bonnes œuvres, il n'a qu'à considérer attentivement de quelle sorte ce grand homme emploie contre les ennemis de la grâce ce passage de l’Epître aux Romains : « Le paiement du péché, c'est la mort : la grâce et le don de Dieu, c'est la vie éternelle (2). » Nos adversaires ignorants de l'antiquité ou déférant peu à ses sentiments, estiment que le mot de grâce ne se peut accorder avec le mérite. Mais l'excellent prédicateur de la grâce raisonne par des principes bien opposés ; il enseigne que la vie éternelle est donnée aux mérites des saints ; il confesse que l'apôtre saint Paul pouvait dire qu'elle est le paiement des bonnes œuvres, comme la mort est le paiement du péché, a Et il en est ainsi, dit saint Augustin, parce que, de même que la mort est rendue au mérite du péché comme son véritable loyer, aussi la vie éternelle est rendue comme paiement AU MÉRITE DE LA JUSTICE (3). » Peut-on prêcher plus clairement le mérite? Toutefois ce grand docteur passe bien plus loin ; il reconnaît qu'il y a en l'homme une « véritable justice, à laquelle il ne craint point d'assurer que la vie éternelle EST DUE (4). » D'où vient donc, demande saint Augustin, que cette vie bienheureuse est appelée grâce? Voici la raison de ce saint évêque : « La vie éternelle, dit-il,

 

1 « Quae igitur sua merita jactaturus est liberatus, cui si digna suis meritis redderentur, non esset nisi damnatus? Nullane igitur sunt merita justorum? Sunt planè, quia justi sunt : sed ut justi fierent merita non fuerunt. » Epist. CV, nunc CXCIV, n. 6. — 2 Rom., VI, 23. — 3 « Et verum est, quia sicut merito peccati tanquam stipendium redditur mors, ita merito justitiae tanquam stipendium vita aeterna. » Epist. CV, nunc CXCIV, n. 20. — 4 « Cui debetur vita aeterna, vera justitia est. » Ibid, n. 21.

 

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est rendue aux mérites précédents : toutefois à cause que ces mérites ne sont point en nous par nos propres forces, mais y ont été faits par la grâce, de là vient que la vie éternelle est appelée grâce, sans doute parce qu'elle est donnée gratuitement; et ce qu'elle est donnée gratuitement, ce n'est pas qu'elle ne soit donnée AUX MÉRITES; mais c'est à cause que les mérites AUXQUELS LA VIE ÉTERNELLE EST DONNÉE sont eux-mêmes des dons de la grâce (1). »

Tous les écrits de saint Augustin enseignent constamment la même doctrine ; et pour faire voir à nos adversaires qu'il l'a défendue jusqu'à la mort, produisons un des derniers livres qu'il a composés, et dans lequel il a ramassé tout ce qu'il y a de fort et de concluant pour faire plier l'arrogance humaine sous l'aimable joug de la grâce. C'est de là que je veux tirer un témoignage authentique pour notre créance, afin qu'il demeure certain que jamais cet admirable docteur n'a prêché plus hautement le mérite que lorsqu'il entreprend d'établir la sainte humilité du christianisme. « Puisque la vie éternelle, dit saint Augustin, laquelle certainement est rendue aux bonnes œuvres, comme chose qui leur est due, est appelée grâce par le grand Apôtre, quoique la grâce soit donnée gratuitement et non point rendue à nos bonnes œuvres : il faut confesser sans aucun doute que la vie éternelle est appelée grâce, parce qu'elle est rkndue aux mérites qui nous sont donnés par la grâce (2). » Donc selon la doctrine de saint Augustin, Dieu ne donne pas seulement, mais il rend la vie éternelle aux mérites de cette vie ; et il ne la rend pas seulement, mais il la rend comme chose due. Que les ministres murmurent tant qu'il leur plaira, qu'ils déclament contre les mérites, qu'ils disent que c'est l'orgueil qui les a produits : à Dieu ne plaise que nous croyions que les seuls calvinistes soient humbles, et que saint Augustin ait été

 

1 « Undè est ipsa vita aeterna, quae utique in fine sine fine habebitur; et ideò meritis praecedentibus redditur; tamen quia eadem mérita quibus redditur, non à nobis parata sunt per nostram sufficientiam, sed in nobis facta per gratiam, etiam ipsa gratia nuncupatur, non ob aliud nisi quia pratis datur; nec ideò quia meritis non datur, sed quia data sunt et ipsa mérita quibus datur. » Epist. CV, nunc CXCIV, n. 19. — 2 « Quia et ipsa vita aeterna, quam certum est bonis operibus debitam reddi, à tanto Apostolo gratia Dei dicitur, cùm gratia non operibus reddatur, sed gratis detur; sine ullà dubitatione contitendum est, ideò gratiam vitam aeternam vocari, quia bis meritis redditur quae gratia contulit homini.» De correct. et grat., cap. XIII, n. 41.

 

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superbe ; qu'eux seuls établissent la grâce, et que ce soit saint Augustin qui l'ait renversée; qu'eux seuls mettent leur confiance en notre Sauveur, et que saint Augustin ait perdu cette bienheureuse espérance !

Ce qui me semble ici le plus remarquable, c'est que l'Eglise toujours constante n'a jamais vu les pélagiens s'élever contre la grâce de Dieu qu'elle ne les ait défaits par les mêmes armes. Car il y a près de douze cents ans que les restes de cette hérésie infectant la France, nos pères, assemblés à Orange, les condamnèrent par ce beau chapitre : « La récompense est due aux bonnes œuvres, si l'on en fait ; mais la grâce, qui n'est point due, précède afin qu'on les fasse (1). » Tant il est véritable que l'ancienne Eglise ne croyait pas assez honorer la grâce, si elle n'enseignait les mérites; et en effet on pourra connaître par la suite de ce discours qu'il n'y a rien qui relève plus le prix et la dignité de la grâce, que les mérites fidèlement expliqués selon les sentiments de l'Eglise.

Toutes ces choses bien considérées doivent faire comprendre à nos adversaires qu'il est impossible que cette doctrine ne fût reçue très-constamment par toute l'Eglise, puisqu'ainsi que j'ai déjà observé, dans un temps où les hérétiques abusaient si arrogamment du mérite, elle se croit obligée de le soutenir en termes si clairs et si décisifs. D'où je tire deux conséquences notables contre le Catéchisme du sieur Ferry. Je dis premièrement, qu'il a tort de rapporter l'établissement du mérite entre ces autres grands changements qu'il prétend avoir été faits à Trente (2). Il y a de l'infidélité ou de l'ignorance de vouloir faire passer pour nouveau ce qui a des fondements si certains dans l'antiquité, par le témoignage d'un si grand docteur et par l'oracle d'un de nos conciles approuvé universellement par toute l'Eglise. De là en second lieu je conclus qu'il est ridicule de dire que le mérite des bonnes œuvres ruine cette confiance au Sauveur, sans laquelle il n'y a point de christianisme, puisqu'on ne peut sans une extrême impudence charger l'Eglise ancienne d'un crime si noir, et que le catéchiste confesse lui-même, qu'il n'y a rien dans la foi de saint

 

1 « Debetur merces bonis operibus, si fiant; sed gratia, quai non debetur, prœcedit ut fiant. » Conc. Araus. II, cap. XVIII. Labbe, tom. IV, col. 1670. — 2 P. 104.

 

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Augustin qui détruise les vérités essentielles , et qui donne une juste cause de séparation (1).

 

CHAPITRE XIII.
Que la doctrine du concile de Trente touchant le mérite des bonnes œuvres honore la grâce de Jésus-Christ, et nous apprend à nous confier en lui seul.

 

Je sais bien que nos adversaires, pour se défendre de ces autorités anciennes qui accablent leur nouveauté, ne manqueront pas de nous repartir que nous prêchons le mérite en un autre sens que les premiers docteurs orthodoxes. Mais l'explication de notre créance fera voir que le même esprit qui a si bien éclairé les Pères, a présidé au concile de Trente.

Certes le mérite que nous enseignons n'est pas ce mérite superbe par lequel les pélagiens flattaient l'amour-propre ; c'est un mérite soumis et respectueux, qui ne prétend qu'encourager l'homme et honorer la grâce de Dieu.

Pour établir le mérite des bonnes œuvres, il faut que ces trois choses concourent : la coopération du libre arbitre, la vérité de notre justice par la grâce de Jésus-Christ, la vie éternelle proposée aux œuvres comme leur couronne et leur récompense.

Premièrement nous croyons en l'homme le libre arbitre delà volonté, par lequel il peut choisir le bien et le mal. Notre foi est si clairement fondée sur les Ecritures, qu'il est impossible de la contredire. « J'appelle à témoin le ciel et la terre, disait Moïse aux Israélites, que je vous ai proposé la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisissez donc la vie, afin que vous viviez (2). » De là vient que l'antiquité chrétienne a cru d'un consentement unanime le libre arbitre de nos volontés, sans que personne s'y soit opposé que les hérétiques : tellement que les sectateurs de Pelage objectant à saint Augustin que la doctrine catholique détruisait le libre arbitre de l'homme, il défend l'Eglise contre ce reproche, et déclare hautement à ces hérétiques que « Dieu a révélé par les Ecritures qu'il y a dans l'homme le libre

 

1 P. 44. — 2 Deuter., XXX, 19.

 

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arbitre de la volonté (1). » Et voulant expliquer ailleurs quelle est la fonction de ce libre arbitre : « C'est à la propre volonté, dit-il, de consentir ou de résister à la vocation divine (2).» Il a fait des livres entiers sur cette matière.

De cette doctrine du libre arbitre suit notre coopération avec la grâce , suivant cette parole du saint Apôtre : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement ; car Dieu opère en vous le vouloir et le faire (3) : » où saint Paul ordonne que nous fassions ce qu'il dit que Dieu fait en nous ; et c'est pourquoi il parle ainsi de lui-même : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (4); » c'est-à-dire , selon l'interprétation de saint Augustin : « Ce n'est pas la grâce de Dieu toute seule, ce n'est pas aussi lui tout seul, mais la grâce de Dieu avec lui (5). »

La seconde chose qui est nécessaire pour les mérites., c'est la sainteté et la justice des bonnes œuvres, que nous avons très-solidement établie sur cette vérité catholique, qui nous enseigne que nos bonnes œuvres sont des ouvrages du Saint-Esprit, et qu'elles naissent de l'influence continuelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur les fidèles qui sont ses membres.

Je sais que les ministres semblent distinguer ce que nous faisons dans les bonnes œuvres d'avec ce que le Saint-Esprit y opère ; mais c'est parler ouvertement contre l'Ecriture. Car il n'y a rien dans les bonnes œuvres qui soit plus à nous que notre vouloir, et c'est là proprement ce que nous faisons : toutefois c'est notre vouloir que le Saint-Esprit s'attribue : Dieu, dit-il, opère en vous le vouloir (6). Par où nous voyons sans obscurité que Dieu agit tellement en nous, que ce que nous faisons de bien, c'est lui qui le fait, et que ce qu'il fait de bon en nos. œuvres, c'est nous-mêmes qui le faisons par sa grâce, et ainsi se justifie très-parfaitement ce que nous avons cité de l'Apôtre : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi. » Ce qui nous montre de quelle justice les

 

1 « Revelavit nobis (Deus) per Scripturas suas, esse in homine liberum voluntatis arbitrium. » August., De grat. et lib. arbit., cap. II, n. 2. — 2 « Consentire autem vocationi Dei, vel ab eà dissentire propriae voluntatis est. » De spir. et litt., cap. XXXIV, n. 60. — 3 Philip., II, 12, 13. — 4 I Cor., XV, 10.— 5 « Nec gratia Dei sola, nec ipse solus, sed gratia Dei cum illo. » De grat. et lib. arbit., cap. V, n. 12. — 6 Phil., II, 13.

 

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bonnes œuvres des saints doivent être ornées, puisqu'elles tirent leur origine de celui qui est la sainteté même et la source de toute justice.

Outre la coopération de nos volontés et la justice de nos bonnes œuvres, le mérite demande encore que la vie éternelle leur soit proposée comme leur couronne et leur récompense ; et c'est ce que toute l'Ecriture nous prêche. Car je n'y vois rien plus commun que cette sentence, que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. Mais parce que c'est ici le point principal, il est absolument nécessaire que nous l'examinions davantage. Nous en trouverons l'éclaircissement au chapitre XXV de saint Matthieu, dans lequel le jugement est dépeint avec de si vives couleurs.

Nous posons comme une maxime certaine, que non-seulement la punition des péchés, mais encore la distribution des couronnes nous est représentée dans les Ecritures comme une action de justice. C'est pourquoi dans l'une et dans l'autre de ces actions, Jésus-Christ notre Sauveur paraît comme juge ; par conséquent il y fait justice; et ainsi ces deux actions appartiennent à la justice.

De là vient qu'en toutes les deux on produit les pièces , et ces pièces ce sont les œuvres ; pour cela les livres sont apportés et les consciences ouvertes par cette lumière infinie qui pénètre le secret des cœurs.

Le juge souverain qui prononce, quoiqu'il décide tout en dernier ressort, ne laisse pas de motiver sa sentence pour l'instruction de ses serviteurs; et dans la juste distinction qu'il fait des bienheureux et des malheureux, il n'allègue pour son motif que les œuvres : il rapporte tout à la charité, parce qu'ainsi que nous avons dit, la charité comprend elle seule toute la justice des mœurs chrétiennes.

De là il s'ensuit qu'en cette journée les œuvres feront le discernement ; ce sera sur les œuvres qu'on prononcera ; ce sera donc une action de justice, parce qu'il n'appartient qu'à la justice de prononcer sur les œuvres.

C'est pour cette raison que l'Apôtre voulant faire entendre aux fidèles que toute cette action est un jugement, il leur parle d'un

 

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« tribunal, devant lequel, dit-il, nous comparaîtrons, afin que chacun remporte selon ce qu'il aura fait en son corps, soit bien, soit mal (1). » Ce qui montre sans aucun doute que Jésus-Christ en ce dernier jour agira en juge, et que tant la punition que la récompense se rapportent à la justice.

Mais saint Paul s'explique en termes plus clairs écrivant à son cher Timothée : « J'ai bien combattu, dit l'Apôtre, j'ai achevé ma course; j'ai gardé la foi : au reste la couronne de justice m'est réservée , que le Seigneur, ce juste Juge, me rendra en ce jour (2). » Nous disons qu'il n'est pas possible de parler plus clairement en notre faveur. Car premièrement l'apôtre saint Paul ne se promet point la couronne qu'après qu'il a raconté ses œuvres; et cette couronne qu'il attend de Dieu, il l'appelle couronne de justice, et c'est pourquoi il dit qu'on la lui rendra ; et insistant davantage sur cette pensée : « Le Seigneur, dit-il, ce juste Juge me la rendra. » N'est-ce pas nous déclarer nettement qu'il la rendra comme juste juge? Or le juge agissant en juge, se propose nécessairement la justice ; et donc cette dernière rétribution est un ouvrage de la justice divine.

C'est à quoi regardaient les saints Pères, quand ils ont si constamment établi le mérite des bonnes œuvres. Ils considéraient que les Ecritures rapportaient à Jésus-Christ comme juge et la punition des médians , et le couronnement des fidèles : de là ils ont inféré que cette distribution de biens et de maux se ferait selon les règles de la justice, c'est-à-dire comme chacun l'aura mérité, parce que c'est le propre de la justice de considérer le mérite. C'est encore pour la même raison qu'ils n'ont fait aucune difficulté d'enseigner positivement que la vie éternelle était due, parce que c'est une maxime infaillible que la justice ne rend que ce qu'elle doit.

Nous examinerons en son lieu quelle est la nature de cette dette par laquelle il a plu à Dieu de s'obliger à ses créatures. Il suffit que nous remarquions maintenant que l'Ecriture nous a enseigné ces trois conditions importantes qui sont requises pour le mérite, c'est-à-dire la coopération de nos volontés, la justice des bonnes œuvres et la gloire rendue comme récompense.

 

1 II Cor., V, 10. — 2 II Timoth., IV, 7, 8.

 

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L'Apôtre a renfermé ces trois choses dans le texte que j'ai rapporté de la seconde Epître à Timothée : « J'ai, dit-il, combattu un bon combat; j'ai achevé ma course; j'ai gardé la foi : » cela marque l'opération de ;la volonté. « La couronne de justice m'est réservée : » si c'est la justice que l'on couronne, il y a donc une véritable justice. «Dieu, ce juste Juge, me la rendra : » qui ne remarque ici la justice par laquelle Dieu rend la couronne aux bonnes œuvres que nous faisons, comme leur véritable récompense?

Ces trois vérités si considérables méritaient sans doute un traité plus ample ; mais un si long discours n'est pas nécessaire pour le dessein que je me suis proposé, qui ne doit comprendre autre chose qu'une simple explication de notre doctrine, par laquelle nos adversaires connaissent que nous n'avons de gloire qu'en Jésus-Christ seul.

Certes si nous présumions de nous-mêmes, nous ne pourrions fonder notre orgueil que sur la coopération du libre arbitre, ou sur la dignité de nos bonnes œuvres, ou sur ce titre de récompense, au sens que nous avons exposé. Repassons donc en peu de paroles sur ces trois vérités excellentes sur lesquelles sont appuyés tous les bons mérites ; et montrons à nos adversaires que le saint concile de Trente nous les fait considérer d'un œil si modeste , que nous pouvons assurer sans crainte que rien n'établit mieux la gloire de Dieu et le mérite de Jésus-Christ que le mérite des bonnes œuvres, comme l'Eglise catholique l'enseigne.

Premièrement il est véritable que la doctrine du libre arbitre est un des articles de notre créance. Mais que les ministres ne pensent pas que nous vantions notre liberté pour nous confier en nous-mêmes. Car nous reconnaissons devant Dieu que notre volonté est captive jusqu'à ce que le Fils l'affranchisse. Le concile de Trente confesse que nous naissons enfants de colère, et esclaves du péché et du diable (1) ; tellement qu'il est impossible que jamais notre infirmité se relève, si le miséricordieux Médecin ne lui tend sa main charitable. Comment donc nous vanterons-nous d'une liberté qui n'est réparée que par grâce ; et de quoi se

 

1 Sess. VI, cap. I.

 

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glorifiera celui qui a été délivré, sinon de la bonté du Libérateur ?

Nous croyons la justice des bonnes œuvres ; et nous disons qu'il nature de est impossible qu'elles ne soient de très-grand prix devant Dieu, puisqu'il les fait lui-même par son Esprit-Saint, puisqu'elles naissent de cette divine vertu que Jésus-Christ comme Chef répand sur ses membres. C'est aussi une des raisons qui nous oblige de les honorer du nom de mérite, pour exprimer leur valeur et leur dignité. Mais c'est aussi pour cette même raison que nous en rapportons tout l'honneur à Dieu après le sacré concile de Trente, qui imprime cette vérité en nos cœurs par ces paroles si pieuses et si chrétiennes : « Encore que nous voyions que les saintes Lettres fassent tant d'estime des bonnes œuvres, que Jésus-Christ nous promet lui-même qu'un verre d'eau donné à un pauvre ne sera pas privé de sa récompense; et que l'Apôtre témoigne qu'un moment de peine en ce monde produira un poids de gloire éternelle : toutefois, à Dieu ne plaise que le chrétien se fie ou se glorifie en lui-même, et non point en Notre-Seigneur, duquel la bonté est si grande envers tous les hommes, qu'il veut que ses dons soient leurs mérites (1). » Paroles vraiment saintes, vraiment chrétiennes, qui ôtent tout orgueil jusqu'à la racine. Car si tout ce que nous pouvons appeler mérite doit être estimé un don de la grâce, de quoi peut présumer l'arrogance humaine? Et ne paraît-il pas clairement qu'établir le mérite en ce sens, ce n'est pas vouloir glorifier l'homme, mais honorer la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ?

C'est ainsi que le mérite des bonnes œuvres a été enseigné par saint Augustin et par les anciens docteurs orthodoxes; et le concile de Trente suivant leur exemple témoigne par les paroles que j'ai rapportées, qu'il n'a point de plus grande appréhension que de voir l'homme se confier en lui-même, et non point en Notre-Seigneur. Cependant le catéchiste voudrait faire croire que ce concile ne s'est assemblé que pour ruiner cette solide espérance, qui appuie le cœur du fidèle en Jésus-Christ seul : certes la

 

1 « Absit ut christianus homo in seipso vel confidat, vel glorietur, et non in Domino; cujus tanta est erga omnes homines bonitas, ut eorum velit esse merita, quae sunt ipsius dona. » Sess. VI, cap. XVI.

 

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sincérité chrétienne ne souffre point ces déguisements, et il n'appartient qu'au mensonge de vouloir se fortifier par des calomnies.

Mais achevons de faire connaître la modeste simplicité de notre doctrine dans le point où nos adversaires s'imaginent que nous présumons le plus de nos forces. Nous disons que la couronne d'immortalité est rendue aux bonnes œuvres ;des saints par une action de justice. Les ministres tâchent de persuader qu'il n'y a point d'arrogance pareille à la nôtre, puisqu'elle ose exiger de Dieu par justice ce que nous ne devons espérer que de sa seule miséricorde. Défendons notre innocence contre ce reproche, et montrons par des raisons évidentes que nous ne disons rien en cette matière que les plus échauffés de nos adversaires ne soient obligés de nous accorder.

Ce serait une folle témérité de croire que la créature put avoir par elle-même aucun droit sur les biens de son Créateur. Quelques bonnes œuvres que nous fassions, Dieu ne nous peut devoir que ce qu'il lui plaît, et cela paraît principalement par ces deux raisons. Premièrement il est notre Créateur, ce qui lui donne un domaine si indépendant, que nous sommes à lui bien plus qu'à nous-mêmes : de sorte qu'il n'y aurait rien de plus ridicule que de disputer contre lui, et lui soutenir qu'il nous doit. Secondement nous sommes pécheurs; et en cette déplorable qualité, bien loin d'exiger de lui quelque chose, nous devons nous estimer bienheureux qu'il ne décharge pas sur nous toute sa colère que nous avons si justement méritée.

Il est donc absolument impossible que sa justice soit tenue à rien envers nous, si ce n'est que sa bonté l'y oblige. Il ne peut y avoir de justice qu'entre ceux qui doivent être réglés par un droit commun, tellement qu'elle présuppose quelque égalité ; ce qui ne peut être entre Dieu et l'homme à cause de la disproportion infinie. C'est pourquoi ce grand Dieu vivant, dont les miséricordes n'ont point de bornes, voulant établir quelques lois de justice entre sa nature et la nôtre, il nous honore de son alliance, il s'engage à nous par promesse, et ainsi cette majesté souveraine entre en société avec nous.

De là il s'ensuit que la justice qui nous récompense est fondée

 

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sur la promesse divine par laquelle Dieu s'oblige à nous gratuitement à cause de Notre-Seigneur Jésus-Christ; et le saint concile de Trente nous explique cette doctrine en ces termes : « Il faut proposer la vie éternelle à ceux qui vivent bien jusqu'à la fin et qui ont espérance en Dieu, comme une grâce qui est miséricordieusement promise aux enfants de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et comme une récompense qui sera fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres et à leurs mérites en vertu de la promesse de Dieu (1). » Tellement que nous n'avons aucun droit que celui qui nous est acquis par cette promesse de grâce que le sang de Jésus-Christ a ratifiée, et que le Père nous a faite à cause de lui.

Mais nos adversaires objecteront que nos docteurs ne l'entendent pas de la sorte, qu'ils enseignent un mérite de condignité, et une certaine proportion entre la vie éternelle et nos bonnes œuvres; et qu'ils regardent la récompense qui nous est donnée plutôt comme une dette que comme une grâce. C'est là le plus grand sujet de leurs invectives, et cependant nous ne disons rien que des personnes raisonnables puissent contester.

Nous croyons qu'il y a quelque sorte de proportion entre la vie éternelle et les bonnes œuvres, telle qu'elle est entre les moyens et la fin, entre la semence et le fruit, entre le fondement et l'édifice, entre le commencement et la perfection.

Nos adversaires ne nieront pas que l'ouvrage de notre régénération ne comprenne tous ces merveilleux changements qui se doivent faire en nous par l'Esprit de Dieu, depuis la grâce du saint baptême jusqu'à la glorieuse résurrection. Car la fin de tout cet ouvrage, c'est de nous rendre semblables à notre Sauveur. C'est pourquoi le Saint-Esprit répandu sur nous opère continuellement en l'homme fidèle, y formant peu à peu Jésus-Christ : il commence sur la terre, et il n'achève que dans le ciel ; tellement que nous pouvons dire que la grâce qui agit en nous c'est la gloire commencée, et que la gloire c'est la grâce consommée.

 

1 « Bené operantibus usque in finem et in Deo sperantibus, proponenda est vita aeterna, et tanquam gratia filiis Dei per Jesum Christum misericorditer promissa, et tanquam merces ex ipsius Dei promissione bonis ipsorum operibus et meritis fideliter reddenda. » Sess. VI, cap. XVI.

 

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De là vient que le Fils de Dieu nous promet une eau « qui jaillit à la vie éternelle (1); » c'est la grâce qui tend à la gloire, et qui venant du ciel va chercher sa perfection dans le ciel.

Davantage, les vertus divines que le Saint-Esprit fait en nous, comme la foi, l'espérance et la charité, s'attachent à Dieu d'une telle ardeur qu'elles ne peuvent goûter que lui seul : il les a faites d'une nature si noble et d'une si vaste capacité, qu'il ne lui est pas possible de les satisfaire à moins qu'il ne se donne lui-même.

Ces vérités étant supposées, dire que Dieu doit la vie éternelle aux œuvres qu'il produit en nous par la grâce , c'est dire qu'il se doit cela à lui-même, d'accomplir l'ouvrage qu'il a commencé, d'achever le merveilleux édifice dont il a posé les fondements, dé contenter les désirs qu'il a inspirés, et de rassasier une avidité qu'il a faite : est-il rien de plus digne de sa sagesse?

Enfin il y a grande différence de considérer l'homme en qualité d'homme, et l'homme comme membre de Jésus-Christ. Car lorsque les fidèles agissent comme membres de Jésus-Christ, leurs actions appartiennent à Jésus-Christ même (2), parce qu'elles viennent de la vertu qu'il répand en eux, c'est-à-dire de son Esprit, qui les prévient, qui les suit, qui les accompagne, qui fait qu'elles sont actions divines, et desquelles par conséquent la dignité ne peut être assez exprimée.

On peut comprendre par ces principes tout ce que nous croyons du mérite. Il faut premièrement poser l'action, c'est-à-dire l'opération libre de nos volontés après que la grâce les a délivrées; secondement, la dignité de l'action qui vient toute de Jésus-Christ, comme nous l'avons assez expliqué; et enfin, la promesse divine sur laquelle est appuyée notre confiance, parce que le véritable fidèle ayant persévéré jusqu'à la fin dans la foi qui agit par la charité, et ayant par ce moyen accompli la loi selon la mesure de cette vie à la manière que nous avons exposée, peut dire qu'en vertu de cette promesse il a droit sur l'héritage céleste. C'est ce que nos théologiens appellent mérite de condignité. Je ne pense pas que nos adversaires trouvent rien à reprendre en la chose;

 

1 Joan., IV, 14. — 2 Conc. Trid., sess. VI, cap. XVI.

 

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et il n'est pas bienséant à des chrétiens de se débattre pour des paroles : et moins encore pour celle-ci, dont le concile de Trente ne se sert pas, et qui n'est usitée en l'école que pour exprimer avec plus de force la valeur et la dignité que le mérite de Jésus-Christ donne aux bonnes œuvres.

Cette doctrine fait bien entendre ce que saint Augustin nous a enseigné par l'autorité des Lettres sacrées, que la vie éternelle est donnée aux œuvres, et néanmoins qu'elle ne laisse pas d'être grâce. Elle est donnée aux œuvres, parce que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres (1). Et cependant il est certain que c'est une grâce, parce qu'elle nous est promise par grâce : elle nous est préparée dès l'éternité par la grâce de celui qui nous a choisis en Jésus-Christ afin que nous fussions saints (2). Les bonnes œuvres qui nous l'acquièrent ne sont point en nous comme par nous-mêmes , mais nous « y sommes créés » par la grâce (3), qui « opère en nous le vouloir et le faire (4); » et si nous y persistons jusqu'à la fin, c'est par ce don spécial de persévérance qui est le plus grand bienfait de la grâce : si bien qu'il ne reste plus autre chose à l'homme, sinon de se glorifier en Notre-Seigneur, qui donne la vie éternelle aux mérites, mais qui donne gratuitement les mérites, selon ce que dit le concile de Trente, que les mérites sont des dons de Dieu.

Ainsi, comme remarque saint Augustin, qui finira cette question après l'avoir si bien commencée, tous les desseins de la Providence se rapportent à ces trois choses : Car ou Dieu rend le mal pour le mal, ou il rend le bien pour le mal, ou il rend le bien pour le bien. Il rend le mal pour le mal, le supplice pour le péché, parce qu'il est juste; il rend le bien pour le mal, la grâce pour l'injustice, parce qu'il est bon; enfin il rend le bien pour le bien, la gloire éternelle pour la bonne vie, parce qu'il est juste et bon tout ensemble (5). C'est pourquoi nous disons avec le Psalmiste : « O Seigneur, je vous chanterai miséricorde et jugement (6), » parce que tous les ouvrages de Dieu sont compris

 

1 Apoc., XXII, 12. — 2 Ephes., I, 4. — 3 Ephes., II, 10. — 4 Philipp., II, 13. — 5 « Reddet omninò Deus et mala pro malis, quoniam justus est; et bona pro malis, quoniam bonus est; et bona pro bonis, quoniam bonus et justus est. » De grat. et lib. arbit., cap. XXIII, n. 45. — 6 Psal. c, 1.

 

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sous la miséricorde et sous la justice. La condamnation des méchants est une action de pure justice; la justification des pécheurs est une pure miséricorde ; le couronnement des saints est une miséricorde mêlée de justice avec un si juste tempérament, que l'une ne diminue point la gloire de l'autre, la justice nous étant proposée pour nous relever le courage, et la sainte miséricorde pour fonder solidement notre humilité.

 

CHAPITRE XIV.
Conclusion de la seconde section. Injustice du ministre qui nie que nous ayons notre confiance en Jésus-Christ.

 

Après que nous avons fait voir clairement quelle est la pureté de notre doctrine, revenons à nos adversaires, et exhortons-les en Notre-Seigneur par les entrailles de la charité chrétienne, qu'ils ouvrent enfin les yeux à la vérité, et qu'ils cessent de nous reprocher que nous nous confions en nous-mêmes, et non point au Fils de Dieu, qui nous a aimés et qui a donné son âme pour nous. Laissons les disputes et les questions, laissons les contentions échauffées. Nous écouterons volontiers leurs plaintes; qu'ils entendent aussi nos raisons en paix; toutes leurs accusations seront réfutées, sitôt que notre foi sera éclaircie.

Ils se plaignent que nous attribuons tout à nos bonnes œuvres et que nous anéantissons la grâce de Dieu. Mais nos conciles ont déterminé que nos péchés nous sont pardonnes par une pure miséricorde ; que nous devons à une libéralité gratuite la justice qui est en nous par le Saint-Esprit ; et que toutes les bonnes œuvres que nous faisons sont autant de dons de la grâce.

Mais il faut confesser, disent-ils, que Dieu ne nous approuve et ne nous reçoit qu'à cause de la justice de Jésus-Christ, et non point à cause de nos bonnes œuvres. Nous les conjurons au nom du Sauveur qu'ils nous expliquent nettement quelle est leur pensée. Est-ce que Dieu, en nous donnant la vie éternelle, ne fait aucune considération de nos bonnes œuvres? A Dieu ne plaise que nous ayons un tel sentiment de celui dont il est écrit qu'il rend à chacun selon ses œuvres ! Certainement il les considère,

 

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puisqu'il les récompense et qu'il les couronne; et je ne puis croire que nos adversaires veulent nier une vérité si constante. Mais peut-être qu'ils veulent dire que les bonnes œuvres ne sont point toute la raison pour laquelle Dieu nous considère, ou bien qu'il ne les considère elles-mêmes qu'à cause de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si c'est là tout ce qu'ils prétendent, ils ne disputent pas contre nous ; nous confessons de tout notre cœur cette salutaire doctrine.

Dieu aime ses élus par un double amour ; il y a un amour qui suit leurs œuvres, et il y a un amour qui prévient leurs œuvres, et Mon Père vous a aimés, dit le Fils de Dieu, parce que vous m'avez aimé (1). » Cet amour du Père éternel suit nos œuvres ; mais il y a un autre amour qui les prévient. Car comme remarque saint Augustin, c'est Dieu qui fait en nous cet amour par lequel nous aimons son Fils, et il l'aime parce qu'il le fait ; mais il ne ferait pas en nous ce qu'il aime, si avant que de le faire il ne nous aimait (2). D'où il s'ensuit que les bonnes œuvres ne peuvent pas être tout le motif pour lequel Dieu nous favorise, puisqu'il y a en Dieu un amour qui est le principe des bonnes œuvres.

Davantage, nous ne croyons pas que lorsque Dieu couronne les œuvres, il termine son affection simplement aux œuvres. Car après le malheur de notre péché, il est certain que la bonne vie ne nous aurait acquis aucun droit sur la couronne d'immortalité, si Dieu par sa bonté ne l'avait promise à cause de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme dit le concile de Trente, et si en conséquence de cette promesse il n'agréait au nom de son Fils les bonnes œuvres que nous faisons. C'est pourquoi le même concile parlant des œuvres de pénitence , dit « qu'elles tirent de Jésus-Christ toute leur vertu : que c'est lui qui les offre à son Père ; qu'en lui elles sont reçues par son Père (3). » Tellement que nous confessons que Dieu ne nous aime qu'en Jésus-Christ, qu'il ne nous considère qu'en Jésus-Christ, qu'il ne reçoit nos œuvres que par

 

1 Joan., XVI, 27. — 2 « Amorem itaque nostrum pium fecit Deus, et vidit quia bonum est; ideô quippe amavit ipse quod fecit, sed in nobis non faceret quod amaret, nisi, antequam id faceret, nos amaret. » Tract, CII in Joan., n. 5. — 3 « Ab ipso vim habent, per ipsum offeruntur Patri, per ipsum acceptantur à Pâtre. » Sess. XIV, cap. VIII.

 

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Jésus-Christ. Une profession de foi si sincère ne surmontera-t-elle jamais l'opiniâtreté de nos adversaires?

Mais ils ne seront pas satisfaits de nous jusqu'à ce que nous disions avec eux que toute la justice des élus de Dieu n'est que souillure et iniquité : c'est ce que nous ne pouvons accorder ; et nous les conjurons en Notre-Seigneur qu'ils cessent d'outrager l'esprit de la grâce, se souvenant que cette justice vient de Jésus-Christ, et que c'est Dieu même qui la fait en nous. A Dieu ne plaise que nous croyions que Jésus-Christ amenant ses élus au Père, ne lui présente que des ordures qu'il aura laissées, et non point une justice qu'il aura faite. Car si son Esprit-Saint agit en nos cœurs, qu'est-ce qu'il y peut former sinon la justice? Or la justice, qui n'est telle que devant les hommes, n'est autre chose qu'une hypocrisie. Donc la justice des prédestinés sera justice même aux yeux de Dieu.

Et certes il ne meurt aucun des élus dans lequel la grâce de Dieu n'ait affermi le règne de la charité sur la convoitise, ainsi qu'il a été expliqué ailleurs (1). Par conséquent ces péchés énormes qui éteignent la charité ne se rencontrent plus en leurs âmes; et leurs affections sont dans un bon ordre, parce qu'ils meurent attachés à Dieu. Telle est la justice des prédestinés. Mais ils n'auront pas pour cela de quoi se glorifier en eux-mêmes, parce que Dieu, qui les trouvera justes, les trouvera tels qu'il les a faits, et il ne couronnera que ses propres dons.

Cessez donc de nous reprocher, nos chers Frères, que nous établissons les mérites pour nous élever contre Dieu. Si nous présumions des mérites, dirions-nous tous les jours à Dieu dans l'auguste sacrifice de nos autels : « Donnez, ô Seigneur tout-puissant, à nous misérables pécheurs qui espérons en la multitude de vos miséricordes, quelque part et société avec vos bienheureux apôtres et martyrs, au nombre desquels nous vous prions de nous recevoir, ne pesant point nos mérites, mais usant de grâce envers nous au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (2)? » Est-ce là s'enfler

 

1 Ci-dessus, chap. 10 et 11. — 2 « Intra quorum nos consortium non œstimator ineriti, sed veniae, quœsumus, largitor admitte, per Christum Dominum nostrum. » Can. Miss.

 

 

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de ses propres mérites? Et quelle est l'infidélité de votre ministre, quand il assure dans son Catéchisme (1) que l'on « a fait rayer comme autant d'hérésies, de l'ordre de baptiser et de la manière de visiter les malades, » ces salutaires protestations que faisaient nos pères, d'espérer la gloire éternelle, non point par leurs propres mérites, mais par les mérites de Jésus-Christ ? Si l'Eglise les a rayées de ses Rituels comme des hérésies, d'où vient qu'elle les laisse comme saintes dans son sacrifice?

Que si peut-être l'on s'imagine que cette prière de l'Eglise déroge aux mérites, l'on ne comprend pas bien son intention. Nous croyons qu'il y a des mérites, mais aucun de nous en particulier n'ose présumer qu'il en ait : car en ce lieu de tentation nous sommes si fort enclins à l'orgueil, qu'il est expédient pour notre salut que Dieu nous cache à nous-mêmes les biens qu'il nous fait. Ainsi tant que nous sommes en cette vie, bien loin de vanter nos mérites , comme faisait cet arrogant pharisien, nous nous prosternons devant Dieu à l'exemple du saint prophète, et nous espérons le fléchir à cause de ses grandes miséricordes. D'autant plus que sentant notre infirmité, nous savons bien qu'il est impossible que nous persévérions jusqu'à la fin parmi tant de difficultés que nous rencontrons dans la voie étroite, si la grâce ne nous soutient par une influence continuelle ; de cette sorte les enfants de Dieu lui demandent la vie éternelle comme une pure libéralité, parce que si c'est la justice qui les y reçoit ensuite de la promesse divine , c'est la miséricorde qui les y conduit par Jésus-Christ notre Sauveur.

Quelle est donc l'injustice de nos adversaires, qui disent que c'est la présomption qui nous a enseigné le mérite? Comment la présomption l'a-t-elle enseigné, puisque telle est la nature de ce mérite, qu'il se perd tout entier sitôt qu'on présume ? « L'Eglise a des mérites, dit saint Bernard, mais pour mériter, non pour présumer. (2) »

Si nous présumions des mérites, reconnaîtrions-nous qu'ils nous sont donnés, l'apôtre saint Paul disant : « Si tu as reçu , de

 

1 P. 109. — 2 « Habet merita, sed ad promerendum, non ad prœsumendum. » Serm. LXVIII in Cant, n. 6.

 

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quoi peux-tu te glorifier (1) ? » Si donc nous confessons humblement avec le saint concile de Trente (2), que les mérites nous sont donnés, il est clair que nous ne voulons pas glorifier l'homme ; et si nous ne voulons pas glorifier l'homme , il paraît que nous avons dessein de glorifier Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

C'est ce que notre concile témoigne en ces termes : « Nous qui ne pouvons rien par nous-mêmes, nous pouvons tout avec celui qui nous fortifie : ainsi l'homme n'a pas de quoi se glorifier, mais toute notre gloire est en Jésus-Christ ; en lui nous vivons, en lui nous méritons, en lui nous satisfaisons, faisant des fruits dignes de pénitence, lesquels tirent de lui leur vertu , par lui sont présentés à son Père, en lui sont agréés par son Père (3). »

Comment donc osez-vous dire, ô ministre, qu'il « n'est plus permis de mourir en l'Eglise romaine en se fiant ès seuls mérites de Jésus-Christ? » Quoi ! ne nous est-il pas permis de dire en mourant ce que l'Eglise dit tous les jours dans son sacrifice : « Seigneur , ne pesez point nos mérites, mais sauvez-nous par grâce au nom de Jésus-Christ? » Ne nous est-il pas permis de mourir en la foi du concile de Trente , qui dit que nous n'avons pas de quoi nous glorifier en nous-mêmes, mais que toute notre gloire est en Jésus-Christ? Certes nous espérons de mourir en cette sainte et salutaire pensée ; nous dirons, et vivants et mourants, que Jésus-Christ est toute notre gloire, par conséquent tout notre salut, tout notre appui, toute notre confiance.

Et ne nous opposez pas, ainsi que vous faites, que « nous croyons être sauvés par quelque autre chose (4). » Car ce reproche est peu raisonnable. Il est vrai que nous confessons, et c'est une maxime très-indubitable, que plusieurs choses coopèrent à notre salut, ou plutôt que par la grâce de Dieu toutes choses coopèrent à notre salut ; mais nous avons notre espérance en Jésus-Christ seul, parce que tout ce qui contribue à nous sauver, n'a de force ni de valeur que par ses mérites.

Je n'estime pas avoir assez fait en réfutant vos objections par

 

1 II Cor., IV, 7. — 2 Sess. XIV, cap. XVI. Ci-dessus, chap. 13. — 3 « Nam qui à nobis tanquam ex nobismetipsis nihil possumus, eo cooperante qui nos confortat, omnia possumus : ita non habet homo undè glorietur, sed omnis nostra gloriatio in Christo est, » etc. Sess. XIV, cap. VIII. — 4 P. 113.

 

 

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des raisons si claires et si évidentes : il faut encore que vous soyez condamné par la doctrine de vos collègues. Ecoutez votre confrère Daillé, parlant de vos amis les luthériens en son Apologie, chap. IX : «Quand, dit-il, selon les lois du discours, il s'ensuivrait légitimement et nécessairement de l'opinion des luthériens, qu'il faille adorer le sacrement, toujours me suffit-il, pour ne pas abhorrer leur communion, qu'ils ne tiennent pas cette conséquence, mais au contraire la rejettent avec moi ; » et il ajoute encore en ce même lieu , que « ce serait une extrême injustice de la leur imputer. » Et dans la lettre à M. de Monglat faite sur le sujet de son Apologie : « Encore, dit-il, que l'opinion des luthériens sur l'Eucharistie induise selon nous, aussi bien que celle de Rome, la destruction de l'humanité de Jésus-Christ, cette suite néanmoins ne peut être mise sus sans calomnie, vu qu'ils la rejettent formellement (1), » Appliquez ce raisonnement à la matière où nous sommes, et vous y verrez votre condamnation.

Vous dites que nous ne mettons pas notre confiance aux seuls mérites de Jésus-Christ. Nous enseignons positivement le contraire. Vous soutenez que notre créance ne le permet pas, vous tâchez de le prouver par des conséquences que vous tirez de notre doctrine; nous les rejetons, nous les désavouons, nous les détestons. Vous ne pouvez donc nous les imputer SANS UNE EXTRÊME INJUSTICE ET SANS CALOMNIE. Vous nous les imputez toutefois, et c'est la principale raison pour laquelle vous ne craignez pas de nous condamner. Donc selon les principes de vos collègues, la sentence que vous prononcez contre nous est fondée sur une calomnie manifeste, et donnée par une extrême injustice.

Ainsi nonobstant vos oppositions, il est vrai que nous pouvons et vivre et mourir dans cette bienheureuse espérance, qui s'appuie sur Jésus-Christ seul ; et si cette confiance a sauvé nos pères, comme votre Catéchisme l'enseigne, il résulte clairement de votre discours que nous pouvons attendre la vie éternelle dans la communion de l'Eglise romaine.

Mais elle ne permet pas, dites-vous, de mourir « avec assurance de son salut (2), » et par là vous tâchez de nous faire entendre

 

1 P. 16. — 2 P. 113.

 

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que notre confiance n'est pas assez forte. Répondons en peu de paroles à cette objection que vous faites dans le dessein de mettre quelque différence entre nos ancêtres et nous.

Nous avons l'assurance de notre salut, telle que l'ont toujours eue les enfants de Dieu ; « lesquels certes, dit saint Augustin, quoiqu'ils soient infailliblement assurés du prix de leur persévérance, toutefois ils ne sont pas assurés de leur persévérance (1). »

Nous avons l'assurance de notre salut, telle que la prêchait saint Bernard : « Qui est celui qui peut dire : Je suis des élus, je suis des prédestinés à la vie, je suis du nombre des enfants ? » Et après : « Nous n'en avons pas la certitude ; mais la confiance nous console, de peur que nous ne soyons tourmentés par l'anxiété de ce doute (2). »

Je produis ces deux grands hommes à notre adversaire , parce qu'il les appelle saints dans son Catéchisme, afin qu'il connaisse par leur témoignage que nous avons l'assurance d'être sauvés, telle que l'ont eue les hommes de Dieu et les saints docteurs de l'Eglise. Après quoi je ne vois rien de plus ridicule que d'apporter comme un empêchement de notre salut, cette incertitude modeste en laquelle la bonté de Dieu laisse les élus pour les rendre plus humbles et plus diligents. Au contraire saint Augustin nous apprend qu'il importe pour notre salut que nous ne sachions pas ce secret, « parce qu'en ce lieu de tentation, l'infirmité est si grande, que la certitude infaillible peut facilement engendrer l'orgueil (3). »

Mais finissons enfin ce discours par ce raisonnement invincible, qui découvrira manifestement deux insignes faussetés du ministre. Il accuse le concile de Trente d'avoir établi une nouvelle doctrine touchant la justification et les bonnes œuvres. Cependant il paraît sans difficulté qu'elle a été de point en point

 

1 « Qui licet de perseverantiœ suae praemio securi sint, de ipsà tamen persévérantià repenuntur incerti. » Lib.  XI, De Civit. Dei, cap. XII. — 2 « Quis dicere potest  ego de electis sum, ego de prœdestinatis ad vitam ? Certitudinem utique non habemus, sed spei fiducia consolatur nos, ne dubitationis hujus anxietate penitùs cruciemeur. » Serm. I,  De Septuag., n. 1. — 3 « Quia enim ex multitudine fidelium, quamdiù in hàc mortalitate vivitur, in numero  prœdestinatorum se esse praesumat ? Quia id occultari opus est in hoc loco, etc… Quae prasumptio in isto tentationum loco non expedit, ubi tanta est infirmitas, ut superbiam possit generare securitas. » De correct. et grat., cap. XIII, n. 40.

 

 

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enseignée il y a plus de douze cents ans par le plus célèbre de tous les docteurs, avec l'applaudissement de toute l'Eglise. Il ajoute que cette doctrine détruit le fondement de la foi, c'est-à-dire la confiance en Jésus-Christ seul. Toutefois il n'est pas assez téméraire pour accuser saint Augustin d'un crime si énorme ; au contraire il déclare en termes formels qu'il ne trouve rien en sa foi qui puisse donner une juste cause de séparation. Ainsi l'autorité de saint Augustin nous est un rempart assuré. Car si notre foi est la sienne, il est clair qu'on ne se doit pas séparer de nous, puisqu'on n'ose se séparer de saint Augustin. Que s'il y a de l'injustice à se séparer, il y en a bien plus à nous condamner : tellement que les maximes de notre adversaire sont la justification de l'Eglise. C'est ainsi que la nouveauté est forcée par une secrète vertu à venir rendre témoignage à l'antiquité ; c'est ainsi que l'unité sainte est honorée même par le schisme.

 

 

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