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Conf. M. Claude Avert.
Préparation
Conférence M. Claude
Conférence Suite
Réflexions sur M. Claude

 

III. — Suite de la conférence.

 

Je la vis le lendemain. Je fus consolé de voir qu'elle avait parfaitement entendu tout ce que j'avais dit. C'est ce que je lui avais promis. Je lui avais représenté que parmi les difficultés immenses

 

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que faisait naître parmi les hommes l'esprit de chicane et la profondeur de la doctrine chrétienne, Dieu voulait que ses enfants eussent un moyen aisé de se résoudre en ce qui regardait leur salut; que ce moyen était l'autorité de l'Eglise; que ce moyen était aisé à établir, aisé à entendre, aisé à suivre; si aisé, disais-je , et si clair, que quand vous n'entendrez pas ce que je dirai sur cela, je consens que vous croyiez que j'ai tort. Cela, en effet, doit être ainsi, quand la matière est bien traitée : mais je n'osais pas me promettre de l'avoir dignement traitée. Je reconnus avec joie et avec action de grâces, que Dieu avait tout tourné à bien. Les endroits qui dévoient frapper, frappèrent. Mademoiselle de Duras ne pouvait comprendre qu'un particulier ignorant pût croire sans un orgueil insupportable qu'il lui pouvait arriver de mieux entendre l'Ecriture que tous les conciles universels et que tout le reste de l'Eglise. Elle avait vu, aussi bien que moi, combien était faible l'exemple de la Synagogue, quand elle condamna Jésus-Christ, et combien il y avait peu de raison de dire que les particuliers qui croyaient bien manquassent, pour se résoudre, d'une autorité extérieure, lorsqu'ils avaient en la personne de Jésus-Christ la plus grande et la plus visible autorité qu'il soit possible d'imaginer. Je repassai sur le doute où il fallait être touchant l'Ecriture, si on doutait de l'Eglise. Elle dit qu'elle n'avait jamais seulement songé qu'un chrétien pût douter un moment de l'Ecriture ; et au reste elle entendit parfaitement que rejetant le nom de doute, M. Claude avait reconnu la chose en d'autres termes : ce qui ne servait qu'à faire paraître combien cette chose était dure, et à penser et à dire, puisque forcé de l'avouer, il n'avait pas cru le devoir faire en termes simples. Car enfin ne savoir pas si une chose est ou non, si ce n'est douter, ce n'est rien. Il parut donc clairement que les deux propositions dont il s'agissait étaient établies; et je fis voir en peu de mots à mademoiselle de Duras, que son église en croyant deux choses aussi étranges, avait changé tout l'ordre d'instruire les enfants de Dieu, pratiqué de tout temps dans l'Eglise chrétienne.

Il ne fallait pour cela que lui répéter en peu de mots ce qu'elle m'avait ouï dire, et ce qu'elle avait ouï accorder à M. Claude.

 

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Dieu me mit pourtant dans le cœur quelque chose de plus expliqué ; et voici ce que je lui dis.

L'ordre d'instruire les enfants de Dieu, est de leur apprendre avant toutes choses le Symbole des apôtres : « Je crois en Dieu le Père, et en Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, la sainte Eglise universelle , la communion des saints, la rémission des péchés, » et le reste. Autant que le fidèle croit en Dieu le Père, et en son Fils Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, autant croit-il l'Eglise universelle, où le Père, où le Fils, où le Saint-Esprit est adoré. Autant, dis-je, qu'il croit le Père, autant croit-il l'Eglise, qui fait profession de croire que Dieu, Père de Jésus-Christ, a adopté des enfants qu'il a unis à son Fils. Autant qu'il croit au Fils, autant croit-il l'Eglise qu'il a assemblée par son sang, qu'il a établie par sa doctrine, qu'il a fondée sur la pierre, et contre qui il a promis que les portes d'enfer ne prévaudraient point. Autant qu'il croit au Saint-Esprit, autant croit-il cette Eglise à qui le Saint-Esprit a été donné pour docteur. Et celui qui dit : « Je crois en Dieu, en Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, » quand il dit : « Je crois, » il professe : « il croit de cœur pour la justice, et il confesse de bouche pour le salut, » comme dit saint Paul et il sait que la foi qu'il a n'est pas un sentiment particulier. Il y a une Eglise, une société d'hommes, qui croit comme lui : c'est l'Eglise universelle qui n'est pas ici, ni là, ni en ce temps, ni en un autre. Elle n'est pas renfermée dans une seule contrée comme l'ancienne Eglise judaïque : elle ne doit point finir comme elle ; et « son royaume ne doit point passer à un autre peuple, » comme il est écrit dans Daniel (2). Elle est de tous les temps et de tous les lieux, et tellement répandue, que quiconque veut venir à elle le peut. Elle n'a point d'interruption dans sa suite : car il n'y a point de temps où on n'ait pu dire : « Je crois l'Eglise universelle, » comme il n'y en a point où on n'ait pu dire : « Je crois en Dieu le Père, et en son Fils, et au Saint-Esprit. » Cette Eglise est sainte, parce que tout ce qu'elle enseigne est saint ; parce qu'elle enseigne toute la doctrine qui fait les saints, c'est-à-dire toute la doctrine de Jésus-Christ ; parce qu'elle enferme tous les saints dans son unité.

 

1 Rom., X, 9, 10.— 2 Dan., II, 44 ; VII, 14.

 

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Et ces saints ne doivent pas être seulement unis en esprit : ils sont unis extérieurement dans la communion de cette Eglise; et c'est là ce que veut dire la communion des saints. Dans cette Eglise universelle, dans cette communion des saints, est la rémission des péchés. Là est le baptême, par lequel les péchés sont remis ; là est le ministère des clefs, par lesquelles « ce qui est remis ou retenu sur la terre, est remis ou retenu dans le ciel (1). » Voilà donc dans cette Eglise un ministère extérieur, et qui dure autant que l'Eglise, c'est-à-dire toujours, puisqu'on croit cette Eglise en tous les temps, non comme une chose qui ait été ou qui doive être, mais comme une chose qui est actuellement. Voyez donc à quoi cette Eglise est attachée, et ce qui est attaché à cette Eglise. Elle est attachée immédiatement au Saint-Esprit qui la gouverne : « Je crois au Saint-Esprit, la sainte Eglise universelle. » A cette Eglise est attachée la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle. Hors de cette Eglise il n'y a ni communion des saints, ni rémission des péchés, ni résurrection pour la vie éternelle. Voilà la foi de l'Eglise établie dans le Symbole. Il ne parle point de l'Ecriture. Est-ce qu'il la méprise? A Dieu ne plaise ! Vous la recevrez des mains de l'Eglise ; et parce que jamais vous n'avez douté de l'Eglise, jamais vous ne douterez de l'Ecriture, que l'Eglise a reçue de Dieu, de Jésus-Christ et des apôtres, qu'elle conserve toujours comme venant de cette source, qu'elle met dans les mains de tous les fidèles.

Il me sembla que cette doctrine vraiment sainte et apostolique, faisait l'effet qu'elle devait faire : mais il y a, dis-je, encore un mot. C'est ce que je disais à M. Claude, et je le réduis maintenant à ce raisonnement très-simple, que tout le monde peut également entendre, je veux dire le savant comme l'ignorant, et le particulier comme le pasteur. Le chrétien baptisé, avant que de lire l'Ecriture sainte, ou peut faire cet acte de foi : « Je crois que cette parole est inspirée de Dieu, comme je crois que Dieu est, » ou il ne le peut pas faire. S'il ne le peut pas faire, il en doute donc ; il est réduit à examiner si l'Evangile n'est pas une fable :

 

1 Matth., XVI, 19; Joan., XX, 23.

 

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mais s'il le peut faire, par quel moyen le fera-t-il? — Le Saint-Esprit le lui mettra dans le cœur.— Ce n'est pas répondre ; car on est d'accord que la foi en l'Ecriture vient du Saint-Esprit. Il est question du moyen extérieur dont le Saint-Esprit se sert, et il ne peut y en avoir d'autre que l'autorité de l'Eglise. Ainsi chaque chrétien reçoit de l'Eglise, sans examiner, cette Ecriture comme Ecriture inspirée de Dieu.

Passons encore plus avant. L'Eglise nous donne-t-elle seulement l'Ecriture en papier, l'écorce de la parole, le corps de la lettre? Non sans doute; elle nous donne l'esprit, c'est-à-dire le sens de l'Ecriture : car nous donner l'Ecriture sans le sens, c'est nous donner un corps sans âme, et une lettre qui tue. L'Ecriture sans sa légitime interprétation, l'Ecriture destituée de son sens naturel, c'est un couteau pour nous égorger. L'arien s'est coupé la gorge par cette Ecriture mal entendue ; le nestorien se l'est coupée ; le pélagien se l'est coupée. A Dieu ne plaise donc que l'Eglise nous donne seulement l'Ecriture, sans nous en donner le sens. Elle a reçu l'un et l'autre ensemble. Quand elle a reçu l'Evangile de saint Matthieu et l’Epître aux Romains, et les autres, elle les a entendues : ce sens qu'elle a reçu avec l'Ecriture , s'est conservé avec l'Ecriture ; et le même moyen extérieur dont le Saint-Esprit se sert pour nous faire recevoir l'Ecriture sainte, il s'en sert pour nous en donner le sens véritable. Tout cela vient du même principe; tout cela est de la suite du même dessein. Comme donc il n'y a rien à examiner après l'Eglise, quand elle nous donne l'Ecriture sainte : il n'y a rien à examiner quand elle l'interprète , et qu'elle en propose le sens véritable. Et c'est pourquoi vous avez vu qu'après le concile de Jérusalem, Paul et Silas ne disent pas : « Examinez ce décret ; » mais ils enseignent aux Eglises à observer ce qu'avaient jugé les apôtres.

Voilà comme a toujours procédé l'Eglise. « Je ne croirais pas l'Evangile , dit saint Augustin, si je n'étais touché de l'autorité de l'Eglise catholique. » Et un peu après : « Ceux à qui j'ai cru quand ils m'ont dit : «Croyez à l'Evangile, » je les crois encore quand ils me disent : « Ne croyez pas à Manichée   » Cette société

 

1 Cont. Ep. fundam. Manich, n. 6.

 

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de pasteurs établie par Jésus-Christ et continuée jusqu'à nous, en me donnant l'Evangile, m'a dit aussi qu'il fallait détester les hérétiques et les mauvaises doctrines ; je crois l'un et l'autre ensemble, et par la même autorité.

C'est la manière dont les chrétiens ont été instruits dès les premiers temps, dans lesquels on a soutenu aux hérétiques qu'ils n'étaient pas recevables à disputer de l'Ecriture, « parce que sans Ecriture on leur peut montrer que l'Ecriture n'est point à eux » qu'il n'y a rien de commun entre eux et l'Ecriture.

Et remarquez, s'il vous plaît, que toutes les sociétés chrétiennes, excepté les églises nouvellement réformées, ont conservé cette manière d'instruire. Nous disions, M. Claude et moi, que l'église grecque, l'éthiopienne, l'arménienne, et les autres, se trompaient à la vérité en se croyant la vraie Eglise ; mais toutes croient du moins qu'il n'y a rien à examiner après la vraie Eglise.

Il n'y a point d'autre manière d'enseigner les fidèles. Si on leur dit qu'ils peuvent mieux entendre l'Ecriture sainte que tout le reste de l'Eglise ensemble, on nourrit l'orgueil, on ôte la docilité. Nul ne le dit que les églises qui se disent réformées. Partout ailleurs on dit, comme nous faisons, qu'il y a une vraie Eglise, qu'il faut croire sans examiner après elle. Cela est cru, non-seulement dans la vraie Eglise, mais dans celles qui imitent la vraie Eglise.

L'église prétendue réformée est la seule qui ne le dit pas. Si la vraie Eglise, quelle qu'elle soit, le dit, l'église prétendue réformée n'est donc pas la vraie Eglise, puisqu'elle ne le dit pas.

Qu'on ne nous dise pas : L'éthiopienne le dit, la grecque le dit, l'arménienne le dit, la romaine le dit : à qui croirai-je?

Si votre doute consistait à choisir entre la romaine et la grecque, il faudrait entrer dans cet examen. Mais maintenant on convient dans votre religion que l'église grecque, que l'église éthiopienne et les autres ont tort contre la romaine ; et si elles étaient vraies églises, en quittant la romaine, qui selon vous ne l'était pas, vous eussiez dû rechercher leur communion.

Elles ne sont donc pas la vraie Eglise. Vous ne l'êtes pas non plus : car la vraie Eglise croit qu'il faut croire sans examen ce

 

1 Tertull., De Prœscript. adv. hœret., n. 18, 37.

 

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qu'enseigne la vraie Eglise. Vous enseignez le contraire. Vous vous dites la vraie Eglise, et vous dites en même temps qu'il faut examiner après vous, c'est-à-dire qu'on peut se damner en vous croyant. Vous renoncez donc dès là à l'avantage de la vraie Eglise. Vous n'êtes pas la vraie Eglise : il vous faut quitter : c'est par là qu'il faut commencer. Si quelqu'un est tenté en vous quittant de s'unira l'église grecque, on lui répondra.

Mademoiselle de Duras ayant entendu ces choses, il me sembla qu'après cela rien ne la pouvait troubler que l'habitude contractée dès l'enfance, et la crainte d'affliger madame sa mère, pour qui je savais qu'elle avait toute la tendresse et tout le respect qu'une mère de cette sorte mérite. Je vis même qu'elle était peinée des reproches qu'on lui faisait, d'avoir des desseins humains, et surtout d'avoir attendu à douter de sa religion, après une donation que madame sa mère lui avait faite. Vous savez bien, lui dis-je, en votre conscience en quel état vous étiez quand cette donation vous a été faite ; si vous aviez quelque doute, et si vous l'avez supprimé dans la vue de vous procurer cet avantage.— Je n'y son-geois pas seulement, répondit-elle.— Vous savez donc bien, lui dis-je, que ce motif n'a aucune part à ce que vous faites. Ainsi demeurez en paix; pourvoyez à votre salut, et laissez dire les hommes : car cette appréhension qu'on ne vous impute des vues humaines, est une sorte de vue humaine des plus délicates et des plus à craindre.

Elle souhaita que je répétasse en présence de M. Coton ce qui avait été dit, par un désir qu'elle avait qu'il s'instruisît avec elle. On le fit venir; on convint des faits. M. Coton me fit avec une extrême douceur quelques objections sur la doctrine que j'avais expliquée. J'y répondis. Il me dit qu'il n'était pas exercé dans la dispute, ni versé dans ces matières. Il disait vrai ; il se remettait à M. Claude. Je priai Dieu de l'éclairer, et je partis pour revenir à mon devoir.

Après une conversation que nous eûmes encore à Saint-Germain, mademoiselle de Duras et moi dans l'appartement de madame la duchesse de Richelieu, elle me dit qu'elle se croyait en état de prendre dans peu sa résolution, et qu'il ne lui restait qu'à

 

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prier Dieu de la bien conduire. Le succès fut tel que nous le souhaitions. Le 22 mars je retournai à Paris pour recevoir son abjuration. Elle la fit dans l'église des RR. PP. de la doctrine chrétienne. L'exhortation que je lui fis ne tendait qu'à lui représenter qu'elle rentrait dans l'Eglise que ses pères avaient quittée, qu'elle ne se croirait pas dorénavant plus capable que l'Eglise, plus éclairée que l'Eglise, plus pleine du Saint-Esprit que l'Eglise; qu'elle recevrait de l'Eglise, sans examiner, le vrai sens de l'Ecriture, comme elle en recevait l'Ecriture même; qu'elle allait dorénavant bâtir sur la pierre, et qu'il fallait que sa foi fructifiât en bonnes œuvres. Elle sentit la consolation du Saint-Esprit, et l'assistance fut édifiée de son bon exemple.

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