Reproches d'idolâtrie
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Remarques
Variations XIV
Variations XV
Addition Variations XIV
Avertissements I
Avertissements II
Avertissements III
Reproches d'idolâtrie
Avertissement IV
Avertissements V
Défense Variations

 

ÉCLAIRCISSEMENT SUR LE   REPROCHE   DE   L'IDOLATRIE ET SUR L'ERREUR DES PAÏENS;

 

Où la calomnie des ministres  est réfutée par eux-mêmes.

 

Mes chers Frères,

 

Le reproche d'idolâtrie est celui qu'on a toujours le plus employé pour allumer votre haine et donner quelque prétexte au schisme de vos églises prétendues. « Si l'Eglise romaine est idolâtre, notre séparation ne peut être un schisme : » c'est ce que dit M. Jurieu, dans le livre de l’Unité  (1), mais il ne le dit pas plus dans ce livre que dans tous les autres, surtout dans toutes les Lettres de la dernière année (2), et sans cette accusation d'idolâtrie ce ministre serait muet. Il la pousse à un tel excès, que dans des esprits moins prévenus elle se détruirait par elle-même, puisqu'il veut, et qu'il le répète cent fois, que nous sommes des idolâtres aussi grossiers et aussi charnels que les païens, qui ne soupçon-noient seulement pas qu'il y eût une création ; et qu'il prétend que nous égalons avec Dieu connu comme Créateur sa créature, qu'il a tirée et qu'il tire continuellement du néant, à laquelle il ne cesse de donner tout ce qu'elle a, et dans l'ordre de la nature, et dans l'ordre de la grâce, et dans celui de la gloire. Il n'en faudrait pas davantage pour vous convaincre qu'il n'y eut jamais de calomnie plus grossière. Car qui jamais s'avisa d'égaler par son culte des choses où il reconnaît une différence infinie par leur nature, ou de rendre les honneurs divins à ce qu'il ne croit pas Dieu ? Nous serions les seuls dans l'univers et dans toute l'étendue des siècles

 

1 Traité de l'Unité de l'Eglise contre M. Nicole, en 1681. —  2 1688.

 

232

 

capables d'une semblable extravagance , de ne croire qu'un seul Dieu, et d'en adorer plusieurs comme Dieu même et du même honneur que lui. Et néanmoins, sans cela, il n'y aurait rien ou presque rien à nous dire. Sans cela premièrement, il n'y aurait plus pour M. Jurieu d'église antichrétienne, comme on a vu dans les précédents discours : on aurait ôté le plus grand, ou pour mieux dire le seul obstacle que ce ministre tâche de mettre à notre salut. C'est l'endroit où il triomphe le plus. Car ayant bientôt laissé là les Variations trop ennuyantes pour lui, après les avoir tâtées par cinq ou six Lettres, de peur qu'on ne croie qu'il n'a plus rien à me reprocher, il s'avise après trois ans d'interruption, de retomber tout de nouveau sur ma Lettre pastorale (1), et s'attache presque uniquement à cette accusation d'idolâtrie. Je veux donc bien aussi interrompre un peu la matière des variations, pour entrer dans celle-ci ; et quoique j'aie fait voir dans le dernier Avertissement (2) qu'assurément il n'y eut jamais d'idolâtrie plus innocente et plus pieuse que la nôtre, puisque de l'aveu de M. Jurieu loin de damner ceux qui la pratiquent elle leur est commune avec les Saints, de peur qu'on ne s'imagine que nous ne pouvons nous sauver que par des exemples, je démontrerai par des principes avoués des ministres mêmes que l'accusation d'idolâtrie formée contre nous ne peut subsister.

Je pose pour fondement la définition de l'idolâtrie. Idolâtrer, c'est rendre les honneurs divins à la créature : c'est, dis-je, transporter à la créature le culte qu'on doit à Dieu. Or est-il qu'il est manifeste que nous ne le faisons pas, et ne le pouvons pas faire selon nos principes ; ce que je prouve premièrement dans l'invocation des Saints, pour de là successivement passer aux autres matières. La chose est aisée à faire, puisqu'il n'y a qu'à définir cette invocation pour la justifier.

Qu'on ne chicane point sur le mot. L'invocation dont il s'agit, aux termes du concile de Trente, est inviter les Saints à prier pour nous, afin d'obtenir la grâce de Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ (3). Or est-il que c'est là si peu un honneur divin,

 

1 Aux nouveaux Catholiques, imprimée dès 1686. — 2 IIIe Avert. — 3  Decr. de invoc. Sanct., etc., sess. XXV.

 

353

 

qu'au contraire il n'est pas possible de l'attribuer à autre qu'à la créature, n'y ayant visiblement que la créature qui puisse prier, demander, obtenir les grâces et encore par un autre, c'est-à-dire par Jésus-Christ, comme on vient de voir que font les Saints. C'est donc si peu un honneur divin que c'est chose, dans les propres termes, absolument répugnante à la nature divine, d'où se forme ce raisonnement : Tout honneur qui renferme dans sa notion la condition essentielle à la créature, ne peut par sa nature être un honneur divin ; or la prière par laquelle on demande aux Saints qu'ils nous aident auprès de Dieu par leurs prières, pour nous obtenir ses grâces, enferme dans sa notion la condition de la créature , c'est-à-dire sa dépendance : ce ne peut donc pas être un honneur divin.

Cette preuve est si convaincante que pour la détruire , il faut nier que nous nous bornions à demander aux Saints le secours de leurs prières. Car, dit-on, l'Eglise les prie non-seulement de prier, mais de donner, mais de faire, mais de protéger, mais de défendre : donc on les regarde non-seulement comme intercesseurs, mais comme auteurs de la grâce. Mais cela visiblement est moins que rien.

Car celui qui prie et qui obtient, protège, défend, assiste, donne et fait à sa manière. Lorsqu'on attribue aux Saints des effets qu'on sait très-bien dans le fond qu'il faut attribuer à Dieu, on ne fait qu'exprimer parla l'efficace de la prière : qu'elle peut tout, qu'elle pénètre le ciel, qu'elle y va forcer Dieu jusque dans son trône ; il ne lui peut résister, elle emporte tout sur sa bonté, « il fait la volonté de ceux qui le craignent (1), il obéit à la voix de l'homme (2). » Pressé et comme forcé par Moïse, il lui dit : « Laissez-moi, que je punisse ce peuple; » mais Moïse l'emporte contre lui, et lui arrache pour ainsi dire des mains la grâce qu'il lui demande (3) : en un mot, « la foi peut tout, jusqu'à transporter les montagnes (4) ; » et si cela est vrai de la prière qui se fait parmi les ténèbres de la foi, combien plus le sera-t-il de celle qui est formée au milieu des lumières des Saints , et qui partant de la sainte ardeur de la

 

1 Psal. CXLIV, 19. — 2 Jos., X.  14. — 3 Exod., XXIII. 9 et seq. — 4 I  Cor., XIII, 2.

 

334

 

charité consommée, porte en elle-même le caractère de Dieu dont elle jouit! Ainsi les Saints peuvent tout : « assis sur le trône de Jésus-Christ (1) » selon sa promesse, revêtus de sa puissance par l'union où ils sont avec lui, comme lui « ils gouvernent les Gentils et les brisent avec un sceptre de fer (2). » En un mot, il n'y a rien qu'ils ne puissent, et l'Ecriture n'hésite pointa leur attribuer en ce sens ce qu'ailleurs elle attribue à Jésus-Christ même.

Quand on attribue à la prière les effets de la toute-puissance de Dieu, ce n'est pas là seulement un langage humain : c'est le langage du Saint-Esprit et de l'Ecriture. « Racontez-moi les miracles qu'a faits Elisée, » disait un roi d'Israël (3) à Giézi. Un protestant lui dirait ici : Vous parlez mal. Ce n'est pas lui qui les a faits, c'est Dieu par lui et à sa prière.

Mais le texte sacré poursuit : « Et Giézi lui raconta comment il avait ressuscité un mort. » Dites toujours : Ce n'était pas lui, c'était Dieu; mais le Saint-Esprit continue : « Et comme Giezi racontait ces choses, la femme dont il avait ressuscité le fils vint tout à coup devant le roi, et Giézi s'écria : Seigneur, voilà la femme et voilà le fils qu'Elisée a ressuscité. » Tout le peuple de Dieu parlait ainsi, et l'on appelait cette femme « la femme dont Elisée avait fait vivre le fils (4). » Il ne l'avait pourtant fait que par ses prières, et je ne crois pas qu'il fût plus puissant que le Fils de Dieu, qui voulant ressusciter Lazare : « Mon Père, dit-il (5), je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. »

Il y a donc toujours une prière secrète dans tous les miracles ; et quoiqu'elle ne soit pas toujours exprimée , il la faut sous-entendre , même dans tous ceux qui se font par une espèce de commandement , puisque c'est toujours la foi et l'invocation du nom de Dieu qui fait tout. C'est pourquoi le roi de Syrie écrivait au roi d'Israël : « Je vous ai envoyé Naaman, afin que vous le guérissiez de sa lèpre (6) ; » il voulait dire qu'il le fit guérir par Elisée. Ils entendaient pourtant bien qu'il ne le ferait que par sa prière, puisque Naaman dit ces paroles : « Je pensais qu'il viendrait à moi ; et que s'approchant, il invoquerait le nom de son Dieu, et me toucherait

 

1 Apoc., II, 26; III, 21. — 2 Ibid., XIX,  15. — 3 Joram. IV Reg., VIII, 4 et seq. — 4 Ibid., 1. — 5 Joan., XI, II. — 6 IV Reg., V, 6.

 

335

 

de sa main, et me guérirait (1). » Ainsi l'effet est attribué à celui oui prie et qui obtient; et si l'on n'exprime pas toujours la prière, c'est que la chose est si claire, qu'on la regarde comme toujours sous-entendue. L'Eglise dit tant de fois dans ses oraisons que ce qu'elle espère des Saints, elle l'espère par leur intercession et par leurs prières, qu'elle sait qu'il n'est pas possible qu'on l'entende jamais autrement, ni qu'on attende autre chose du secours des Saints qu'une  puissante intercession auprès de Dieu par Jésus-Christ. Il n'est pas toujours nécessaire d'exprimer dans les prières ce qu'on sait déjà. « Je vous prie, disait Elisée au prophète Elie, que votre double esprit soit en moi, ou que votre esprit soit en moi avec abondance ; » et Elie lui répondit : « Vous demandez une chose difficile : toutefois si vous me voyez lorsque je serai élevé, cela sera ; » et il avait dit auparavant à Elisée : « Que voulez-vous que je vous fasse (2)? » comme tout étant en sa main, parce qu'il est en celle de Dieu, qui ne refuse rien à ses amis. Ils ne parlent de Dieu ni l'un ni l'autre. En savaient-ils moins que c'était Dieu seul qui pouvait donner son esprit? A Dieu ne plaise! Il ne faut point abuser de ces façons de parler; mais aussi ne faut-il pas tomber dans la petitesse de croire qu'on déplaise à Dieu en sous-entendant une chose claire, comme s'il ne voyait pas les intentions, ou qu'à l'exemple des ministres il fût toujours attentif à épiloguer sur les paroles. L'Eglise ne manque point de bien instruire le peuple que la puissance des Saints est dans leurs prières. Ecoutez le concile : « Il faut enseigner avec soin que les Saints prient, qu'il est bon de les appeler à son secours, pour nous obtenir les grâces de Dieu par Jésus-Christ ; qu'il est bon d'avoir recours à leurs prières ; qu'il ne faut point assurer qu'ils ne prient pas pour nous, ni que ce soit une idolâtrie de leur demander qu'ils prient en particulier pour chacun de nous (3). » Voilà leur prière répétée cinq ou six fois en dix lignes , afin que nous entendions que les Saints, encore un coup, ne sont puissants qu'en priant pour nous.

Il n'y a aucun de nos catéchismes où il ne soit exprimé soigneusement que Dieu donne, et que les Saints demandent. Si nous

 

1 IV Reg., V, 11. — 2 Ibid., II, 9. — 3 Decr. de invoc. Sanct., sess. XXV.

 

336

 

leur attribuons du pouvoir auprès de Dieu, c'est que Dieu, qui leur inspire tout ce qu'ils demandent, ne leur peut rien refuser. Nous imputer une autre pensée et nous chicaner sur les mots, c'est faire le procès à l'Ecriture, où il est écrit tant de fois : « Que l'aumône éteint le péché (1), que la prière de la foi sauve le malade (2), » et cent autres choses semblables; et reprocher à Jésus-Christ même qu'il n'a pas parlé correctement quand il a dit : « Guérissez les malades, purifiez les lépreux, ressuscitez les morts, chassez les démons; vous avez reçu gratuitement, donnez de même (3).»

C'est en cette confiance que saint Augustin, un si sublime docteur, un théologien si exact, loue la prière d'une mère qui disait à saint Etienne : « Saint martyr, rendez-moi mon fils, vous savez pourquoi je le pleure, et vous voyez qu'il ne me reste aucune consolation (4). » C'est qu'il était mort sans baptême. Saint Augustin ne s'avisa pas de chicaner cette femme sur ce qu'elle disait au martyr : « Rendez-moi mon fils. » Il savait bien qu'elle n'ignorait pas à qui c'était à le rendre, et à donner l'efficacité aux prières du saint martyr. Saint Basile demandant les prières des saints quarante martyrs, les appelle « notre défense et notre refuge, les protecteurs et les gardiens de tout le genre humain (5). » Saint Grégoire, évêque de Nysse, son frère, prie saint Théodore « de regarder d'en haut la fête qui se célébrait en son honneur. Nous croyons, lui disait-il, vous devoir le repos dont nous jouissons à présent; mais nous demandons la tranquillité de l'avenir (6). » Saint Astère, évêque d'Amase, contemporain et digne disciple de saint Chrysostome, introduit dans son discours un fidèle qui prie ainsi saint Phocas : « Vous qui avez souffert pour Jésus-Christ, priez pour nos souffrances et nos maladies; vous avez vous-même prié les martyrs, avant que de l'être ; alors vous avez trouvé en cherchant; maintenant que vous possédez, donnez-nous (7). » Saint Grégoire de Nazianze a prié saint Cyprien et saint Athanase « de le regarder d'en haut, de gouverner ses discours et sa vie, de

 

1 Tob., XII, 9; et in S. Script. Passim. — 2 Jac., V, 15. — 3 Matth., X, etc. — 4 Aug., Serm. CCCXXIV, in nat. Mar., alias XXXIII, de divers. — 5 0rat. in XL Mart. — 6 Orat. in Theod. — 7 Hom. in Phoc.

 

337

 

naître avec lui son troupeau, de lui donner une connaissance plus parfaite de la Trinité, et enfin de le tirer où ils étaient, de le mettre avec eux et avec leurs semblables (1). » Les autres Pères ont parlé de même. Si ces grands Saints ignoraient que Dieu donnait toutes choses, et croyaient les recevoir des saintes âmes autrement que par leurs prières, ils ne sont pas seulement, comme le veut le ministre, des Antéchrists commencés, mais des Antéchrists consommés, ou quelque chose de pire.

Revenons donc, et disons : Idolâtrer est rendre à la créature les honneurs divins. Or prier les Saints de prier, c'est si peu un honneur divin, que c'est chose qu'il n'est pas possible d'attribuer à d'autre qu'à la créature : ce n'est donc pas un honneur divin, ni enfin rien au-dessus de la créature, puisqu'au contraire son apanage naturel est qu'on lui demande de prier.

Et cela n'est pas seulement constant par la raison naturelle ; c'est une chose expressément révélée de Dieu, puisque saint Paul a dit à la créature, et qu'il a répété souvent : « Mes frères, priez pour moi. » C'est donc chose révélée de Dieu, en termes formels, que demander des prières ne peut être un honneur divin ni au-dessus de la créature. Il n'en faudrait pas davantage pour confondre M. Jurieu et tous les ministres. Car voilà en termes précis cette demande : « Priez pour nous, » déclarée par un apôtre un honneur humain et convenable à la créature : or cet honneur, qui est humain en le faisant aux fidèles qui sont sur la terre, ne peut pas devenir divin en le faisant aux esprits bienheureux, puisqu'on fait l'un et l'autre dans le même esprit de demander la société des prières de nos frères.

Il ne reste à vos ministres que de nier, comme ils osent le faire, que nous prions les bienheureux Esprits dans le même esprit que nous prions nos frères. Mais c'est là nous contredire dans la chose du monde la plus claire, puisqu'il est clair et attesté par tous les actes de notre religion que nous ne demandons aux plus grands saints et même à la sainte Vierge que des prières. C'est ce que démontrent tous nos conciles, tous nos catéchismes, tout notre service, tous nos rituels, et en un mot tous les actes de notre

 

1 Orat. XVIII, etc.

 

338

 

religion ; et pour en venir à un exemple, c'est ce qui paraît dans le Confiteor, prière si familière à tous les fidèles, où après avoir confessé nos péchés à Dieu, à ses anges, à ses Saints et à nos frères présents, pour nous humilier non-seulement devant Dieu, mais encore devant toutes ses créatures, nous finissons en disant : « Je prie la sainte Vierge, les saints anges, saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint Paul, tous les autres Saints et vous, mes frères, de prier pour moi notre Dieu tout-puissant. »

Vous le voyez, mes chers Frères; nous ne prions point les Saints et la sainte Vierge elle-même de prier pour nous autrement que nous en prions nos frères, parmi lesquels nous vivons. Cette prière adressée à nos frères vivants avec nous, se trouve en termes formels dans l'Ecriture; donc celle que nous adressons aux Saints qui sont avec Dieu étant de même nature, est clairement autorisée dans l'équivalent.

Qui veut voir combien ce raisonnement embarrasse les ministres, n'a qu'à entendre les extravagances où il jette M. Jurieu. Il entreprend de prouver que la glorification des bienheureux est un obstacle à cette prière qu'on leur pourrait faire ; et la raison qu'il en apporte, est, dit-il, « qu'il serait moins criminel d'invoquer un homme sur la terre que de l'aller chercher dans les cieux. Sur la terre, un homme est loin de Dieu : il est ou il paraît être quelque chose étant seul; mais uni à Dieu, réuni à sa source comme un fleuve est réuni à l'Océan quand il s'y est jeté, il n'est plus rien, il est englouti et abîmé pour ainsi dire dans les rayons de la gloire de Dieu. » Quelle vision de s'imaginer qu'un bienheureux, uni à Dieu, n'est plus rien, qu'il n'agit plus et ne vit plus ! C'est du Dieu des Siamois que le ministre veut sans doute parler. Que si l'on dit que c'est une exagération qui fait voir qu'à comparaison de la gloire immense de Dieu, celle de la créature doit être comptée pour rien, il faut donc avouer en même temps que le bienheureux, loin d'être effectivement anéanti et sans action dans ce glorieux état, est au contraire d'autant plus, vit et agit d'autant plus, qu'il est plus intimement uni à la source de la vie et à La plénitude de l'être. S'imaginer maintenant qu'il n'est plus permis de l'honorer dans cet état, ce serait dire en même

 

339

 

temps qu'on ne le peut plus honorer ni glorifier, à cause qu'il est arrivé au comble de la gloire, ce qui serait la plus grossière de toutes les absurdités.

Que veut donc dire ce vain discours de votre ministre : « On est obligé de s'abstenir de rendre tout hommage à un sujet en présence de son souverain, et l'on ne sera pas obligé de s'abstenir de rendre un culte religieux à une créature devant le Créateur? » Quand on tient de pareils discours, où il n'y a qu'un son éclatant et des couleurs spécieuses, on montre bien qu'on ne veut qu'éblouir le monde. Car laissant à part l'équivoque du terme de religieux dont on parlera bientôt, demandez, mes Frères, à votre ministre s'il permet de louer et de glorifier les bienheureux Esprits dans l'état de gloire où ils sont. Voilà donc cette espèce d'hommage, puisqu'il veut l'appeler ainsi; et pour parler plus correctement, voilà les justes louanges et la glorification rendue aux Saints sous les yeux de Dieu, sans qu'il s'en offense. Niera-t-on que les louanges soient un culte, et les louanges de Dieu la principale partie du culte divin? Donc les louanges des Saints sont un honneur qu'on leur rend. On sait bien, et il ne faut pas se tourmenter à nous l'expliquer, qu'on ne les loue pas comme Dieu; mais enfin en les louant on les honore. Le ministre nous dira, quand il lui plaira, si cet honneur qu'on leur rend pour l'amour de Dieu est religieux ou profane. En attendant, il est constant qu'on ne les regarde pas devant Dieu comme des riens, puisqu'on les loue à ses yeux, et que c'est là proprement que nous les devons glorifier, puisque c'est là que Dieu les glorifie.

La comparaison des rois de la terre montre bien encore qu'on ne s'entend pas. Car sans parler de certains honneurs qu'on rend tous les jours aux enfants des rois en présence de leur père, et qui rejaillissent sur les rois mêmes, ce qui montre qu'on peut honorer les enfants de Dieu devant leur Père céleste, où est-ce qu'on les honorera, si l'on ne les honore pas devant Dieu et sous ses yeux? Où est-ce que Dieu n'est pas ? Où est-ce que la foi ne nous le représente pas dans sa majesté et dans sa gloire? Il ne faudrait donc jamais honorer nos frères, ni les prier de prier pour nous. Car nous ne le pouvons faire qu'en les regardant sous les yeux de

 

340

 

cette suprême Majesté. Et d'ailleurs peut-on ne pas voir que ce qui oblige à supprimer devant les rois certains honneurs qu'on pourrait rendre aux autres hommes en leur absence, c'est qu'après tout le roi n'est qu'un homme, et l'honneur qu'on lui rend est un honneur fini qu'un autre honneur peut partager et diminuer; mais l'honneur qu'on rend à Dieu n'ayant point de bornes, puisqu'on)- regarde toujours la disproportion de créature à Créateur, qui est infinie, Dieu ne peut rien perdre du sien, quand on honore ses serviteurs qu'on ne regarde au contraire que comme un faible écoulement de sa grandeur infinie; et qu'on regarde toujours comme d'autant plus revêtus de ses bienfaits, qu'ils sont eux-mêmes plus grands. Il n'en est pas ainsi des rois. Les hommes n'en tiennent pas toutes les belles qualités d'esprit et de corps qui leur attirent du respect. Mais tous les avantages que nous révérons dans les Saints leur viennent de Dieu; et dès qu'ils sont connus comme tels, s'ils provoquaient Dieu à jalousie, Dieu serait jaloux de lui-même.

Mais voici une autre raison de votre ministre : « Quand vous dites à un saint vivant : Priez pour nous, vous n'en faites point un intercesseur qui soit médiateur auprès de Dieu ; car il n'est pas plus auprès de Dieu que vous : il n'est point entre Dieu et vous : ce n'est qu'une jonction de prières que vous demandez; mais quand vous dites à un Saint qui est au ciel plus près de Dieu que vous, et tout près de Dieu : Priez pour nous, vous en faites un intercesseur posé près de Dieu, un médiateur entre Dieu et vous. » Dans quelles subtilités s'embarrasse l'esprit humain, et quel vain tourment il se donne, quand il ne veut pas ouvrir les veux à la vérité ! Un bienheureux est uni à Dieu par la charité : un fidèle qui est sur la terre lui est uni par le même nœud, et c'est la même charité partout, puisque saint Paul a prononcé « que la charité ne se perd jamais (1), » et par conséquent ne se perd pas même dans la gloire, comme la foi et l'espérance s'y perdent. Si c'est la même charité, elle nous unit avec Dieu et entre nous, tant dans le ciel que sur la terre, en sorte que tous ensemble nous ne faisons qu'un même corps de Jésus-Christ. Les Saints voient ce que nous

 

1 I Cor., XIII, 8.

 

341

 

croyons; mais toute la perfection de la gloire est renfermée dans la foi comme le fruit dans son germe. Les Saints ne sont donc pas entre Dieu et nous, à parler dans la précision d'une saine théologie* mais ils sont nos membres et nos frères, qui ont accès comme nous par le même Médiateur, qui est Jésus-Christ. De là se forme ce raisonnement tiré des principes du ministre : Ce n'est point offenser Dieu ni Jésus-Christ « que de demander aux Saints une jonction de prières» (ce sont les paroles du ministre qu'on vient de voir). Or nous ne demandons aux Saints qu'une jonction de prières. Ce n'est point mettre les Saints entre Dieu et nous, que de les regarder comme unis à nous (c'est encore le principe du même ministre). Or nous ne regardons les Saints, qui sont dans la gloire, que comme unis avec nous par la charité en un même corps de Jésus-Christ ; nous ne les mettons donc pas entre Dieu et nous, comme nous y mettons Jésus-Christ; et à proprement parler, il n'y a que Jésus-Christ seul à qui nous rendions cet honneur, puisqu'il n'y a que lui seul que nous regardions comme écouté par lui-même ; tous les autres, qui prient dans le ciel ou sur la terre, ne l’étant uniquement que par lui, ainsi qu'on vient de le voir par le concile de Trente, et qu'on le verra encore plus évidemment dans la suite.

Il s'ensuit de là clairement que les prières qu'on adresse aux. Saints, loin de nous détourner de Dieu, nous y unissent; ce qui se démontre en cette sorte. La prière, dont Dieu est toujours le premier et le principal objet, ne nous peut détourner de Dieu; or est-il que Dieu est toujours le premier et le principal objet de la prière que les catholiques adressent aux Saints, puisqu'ils ne les prient que de prier Dieu; par conséquent la prière adressée aux Saints ne peut jamais détourner de Dieu ceux qui la font dans l'esprit de l'Eglise catholique.

En effet le but de cette prière n'est pas tant de s'adresser aux Saints comme priés, que de nous unir à eux comme priants, et c'est pourquoi saint Basile ne croyait pas détourner les peuples de prier Dieu en les invitant à prier les Saints, parce que les invitant à prier les Saints selon l'esprit du christianisme , c'était leur dire en d'autres paroles, comme il l'interprète lui-même : « Que vos

 

342

 

prières se répandent devant Dieu avec celles des martyrs (1). » Le dessein de glorifier Jésus-Christ est toujours le principal et le plus intime motif qui anime ces prières; c'est aussi ce qui faisait dire à saint Chrysostome : « Où est le sépulcre d'Alexandre le Grand? Mais les tombeaux des serviteurs de Jésus-Christ sont illustres dans la ville maîtresse; et personne n'ignore les jours de leur mort, qui sont devenus des jours de fêtes par tout l'univers... Les tombeaux des serviteurs du Crucifié sont plus magnifiques que les palais des rois, non tant par la beauté de la structure, quoique cela ne leur manque pas, que par le concours des peuples. Car celui qui porte la pourpre y accourt lui-même pour embrasser ces tombeaux; et ayant déposé son faste, il est debout, priant les Saints qu'ils l'aident par leurs prières. Celui qui porte le diadème choisit un pêcheur et un faiseur de tentes, même après leur mort, pour ses patrons. Direz-vous que Jésus-Christ soit mort, lui dont les serviteurs, même après leur mort, sont les patrons et les protecteurs des rois de la terre (2). » C'est dans la gloire qu'il les regarde, comme vous voyez ; et loin d'être rebuté de les honorer, sous prétexte qu'il les regarde avec Jésus-Christ, c'est au contraire pour cette raison qu'il les juge dignes des plus grands honneurs. C'est ainsi que ces grands hommes faisaient servir la gloire des Saints à celle de Jésus-Christ. Le même saint Chrysostome dit encore ailleurs : « Allons souvent visiter ces saints martyrs, touchons leurs châsses, embrassons avec foi leurs saintes reliques, afin d'en attirer quelques bénédictions sur nous ; car comme de braves soldats montrant aux rois les plaies qu'ils ont reçues pour leur service, leur parlent avec confiance, de même ceux-ci, en montrant leurs têtes coupées, obtiennent tout ce qu'ils veulent du Roi du ciel (3). »

Ce beau passage de saint Chrysostome a tellement touché Oecolampade, un des prétendus réformateurs, qu'il l'oblige à parler ainsi dans les notes qu'il a faites sur cette Homélie : « Je ne voudrais pas nier que les Saints ne prient pour nous ; je ne voudrais pas dire non plus qu'il fût assuré que ce fût une impiété et une

 

1 Orat. in XL Mart. — 2 Homil. XXVI in II ad Cor. — 3 Homil. LIX de SS. Juvent. et Max.

 

343

 

idolâtrie d'implorer leur protection. Les Saints sont tout embrasés de charité dans le ciel : ils ne cessent de prier pour nous. Quel mal y a-t-il donc de leur demander qu'ils fassent ce que nous croyons que Dieu a très-agréable, quoiqu'il ne nous ait pas commandé de le faire? » Un ministre nous justifie contre les ministres ; et malgré les préventions de la secte , lorsqu'il entend les Pères parler comme nous, il n'ose $as assurer que nos prières se ressentent de l'idolâtrie.

Mais, dit-on, et voici le fort des prétendus réformés, on présuppose en priant les Saints de tant d'endroits de la terre , qu'ils ont l'oreille partout et qu'ils connaissent le secret des cœurs; ce qui est leur attribuer une prérogative divine. Qu'un autre ministre réponde pour nous. Les prétendus réformés n'ont pas dessein d'élever les anges, non plus que les autres Saints, au-dessus de la créature. Cependant que nous disent-ils de ces créatures bienheureuses ? « Les anges, dit M. Daillé, voient ce qui touche chacun de nous en particulier. Ils voient le péril de chacun de nous, ce que chaque fidèle craint, ce qu'il désire, ce qu'il demande, parce qu'ils sont présents sur la terre et mêlés au milieu de nous (1). » Daillé en fait-il des dieux en leur donnant tant de connaissances, et de nos besoins, et de nos désirs, et de tout ce qui nous touche en particulier? « Mais c'est, dit-il, qu'ils sont sur la terre au milieu de nous : » comme si la connaissance de tant de secrets dépendait des lieux, et non d'une lumière céleste, que Dieu communique à qui il lui plaît. Quoi qu'il en soit, on peut dire sans blesser la foi que les anges connaissent ce qui se passe sur la terre, et même nos secrets désirs. Ce qui fait que cette opinion qu'on a de leurs connaissances ne nous empêche pas de les reconnaître pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire pour des créatures , c'est que nous savons d'où leur viennent toutes leurs lumières, d'où ils reçoivent leurs ordres et où ils mettent leur félicité. Nous n'avons donc pas besoin d'égaler les Saints à Dieu, pour leur faire entendre nos vœux. Il ne faut que les égaler aux anges, qui savent nos prières, qui les présentent à Dieu, qui les mettent sur l'autel céleste devant le trône de Dieu comme un présent agréable (2). Lisez le chapitre VIII

 

1 Lib. III, cap. XXIII, p. 484. —  2 Apoc., VIII, 3.

 

344

 

de l’Apocalypse; et ne dites pas que l'ange qui y offre à Dieu les prières des Saints soit Jésus-Christ ; saint Jean ne l'appelle qu'un autre ange (1), un ange comme les autres qui paraissent dans ce divin livre; un ange comme les sept anges dont il venait de parler. Cet ange, qui n'est qu'une créature, entend nos vœux, puisqu'il les offre. Qu'on répète tant qu'on voudra, que c'est une idolâtrie que d'égaler par quelque endroit que ce soit les Saints à Dieu : j'en conviens ; mais sera-ce encore une idolâtrie de les égaler aux anges, à qui Jésus-Christ même nous apprend que sa grâce nous rendra semblables? « Ils seront, dit-il, comme les anges de Dieu (2). » Mais qui empêche qu'ils ne le soient dès à présent, puisqu'ils voient, comme les anges, « la face du Père? » Un ange présente nos prières (3) et les fioles qui sont pleines de ce céleste parfum. Mais les vingt-quatre vieillards, qui-nous représentent l'universalité des Saints, assis devant le trône de Jésus-Christ, revêtus de blanc et couronnés, c'est-à-dire avec la couleur et les ornements de la gloire (4), n'apportent-ils pas aussi dans leurs mains ces fioles pleines de parfums qui sont les prières des Saints? Si les anges sont appelés à la participation des secrets divins, et s'ils en font le sujet des louanges qu'ils donnent à Dieu, ne voit-on pas les âmes des martyrs sous l'autel où elles sont en Jésus-Christ, dans lequel elles sont cachées, qui connaissent l'état de l'Eglise, on savent les persécutions dont elles demandent la fin, et apprennent qu'elle est différée et pour peu de temps et pourquoi (5) ? N'est-ce donc pas blasphémer que de les ranger parmi les morts qui ne savent rien de ce qui se passe sur la terre ; et quand Babylone tombe, les apôtres et les martyrs ne sont-ils pas invités à louer Dieu de ses jugements, et n'entend-on pas en effet aussitôt après des cantiques d'admiration dans le ciel sur ce sujet (6)? Ne voit-on pas que l'exécution des justes jugements de Dieu sont une fête dans le ciel pour tous les esprits bienheureux , et autant pour les âmes saintes que pour les saints anges ? Pourquoi donc ces âmes saintes n'entreront-elles pas dans les actions particulières et dans la fête qu'on fait dans le ciel pour la conversion

 

1 Apoc., VIII, 3. — 2 Matth., XXII, 30. — 3 Apoc., VIII, 3. — 4 Apoc., IV, 4; ibid., V, 8; ibid., VI, 1,11. — 5 Apoc., VI, 9, 10, 11. — 6 Apoc., XVIII, 20; XIX, I.

 

345

 

d'un pécheur? Qu'on ne nous dise donc plus que c'est en faire des dieux que de leur faire connaître ce qui se passe ici-bas, et en particulier les prières que nous envoions au ciel. Suivons de plus hauts principes, et apprenons à connaître en quoi consiste la grandeur de Dieu. Il fait entendre à ses prophètes, aux âmes saintes, à ses anges et à tel autre qu'il lui plaît de ses serviteurs, non-seulement les pensées des hommes, mais encore ses propres pensées, et ce qu'il a résolu des peuples et des nations dans son conseil éternel. Il les élève plus haut, lorsqu'il leur montre son essence à découvert. Et sans doute c'est quelque chose de plus de le voir lui-même face à face que de connaître ses desseins quelque hauts qu'ils soient, à plus forte raison que de connaître les desseins et les pensées des hommes mortels. Dieu mène ses serviteurs autant qu'il lui plaît, ainsi qu'il lui plaît, par tous les degrés de connaissances; et à quelque perfection qu'il les élève, il se montre toujours leur Dieu , parce qu'ils ne sont éclairés que par sa lumière.

C'est pourquoi les saints docteurs n'ont point hésité à attribuer la connaissance de nos prières aux âmes saintes. Nous avons ouï saint Grégoire de Nysse dire au martyr saint Théodore: « O saint martyr, regardez-nous du plus haut des cieux. » Nous avons ouï saint Augustin louer la prière d'une mère chrétienne , qui avait perdu son fils sans être baptisé : « O saint martyr, vous savez pourquoi je le pleure (1), » disait cette mère ; et parce qu'elle avait dit : Vous savez, « Dieu, continue le même Père, voulut montrer quelle avait été sa pensée. Elle porta l'enfant ressuscité aux prêtres, il fut baptisé, il fut sanctifié, il fut oint, on lui imposa les mains; tous les sacrements étant achevés, il mourut. Sa mère accompagna son enterrement avec un visage qui faisait paraître qu'elle ne croyait pas tant mettre son fils dans le tombeau que le mener dans le propre sein du martyr. » Que d'articles de la nouvelle Réforme sont condamnés par ce récit ; et qu'on doit être fâché, s'il reste quelque sentiment de piété véritable, d'être d'une religion qui oblige à rejeter des choses si saintes et à la fois si bien attestées par de si grands hommes! Mais quelque opinion qu'on en ait, j'ai

 

1 Vide sup., n. 5.

 

346

 

toujours gagné ce que je voulais ; et il est bien assuré que, ni la femme qui fit cette prière à saint Etienne , ni saint Augustin qui la loue, ne voulaient pas faire un Dieu de ce saint martyr. Les autres Pères ne voulaient pas non plus attribuer aux Saints, dont ils demandaient les prières, aucune perfection divine, puisque quelque intelligence qu'ils y reconnussent de nos besoins , ou en général des choses du monde, ils savaient bien qu'ils ne voyaient rien que dans une lumière empruntée. « Vous savez tout, disait saint Paulin à saint Félix; vous voyez dans la lumière de Jésus-Christ les choses les plus secrètes et les plus éloignées, et vous comprenez tout en Dieu, où tout est renfermé (1). »

Il faut que le ministre succombe sous des vérités si constantes. Il en a senti le poids : il a, dis-je, bien senti que ni les saints Pères qu'il accuse comme nous d'idolâtrie, ni nous qui ne faisons que les suivre, n'attribuons rien de divin aux bienheureux Esprits; et vous le pouvez entendre par ces paroles : « Nous pouvons défier l'Eglise romaine de nous montrer aucune différence entre le culte qu'elle rend au Fils de Dieu, et celui qu'elle rend aux Saints. Ils en peuvent trouver quelqu'une entre le culte du Père et celui des Saints ; mais entre les cultes des Saints et du Fils, je les défie d'en montrer aucune (2). » Tout cela se réduit à dire que Jésus-Christ « homme fait tout le bien qu'il nous fait par voie d'intercession, » comme les Saints. Au nom de Notre-Seigneur et par le soin que vous devez avoir de votre salut, arrêtez-vous ici, mes très-chers Frères. Vous voyez à quoi votre ministre réduit principalement la difficulté : « Ils peuvent, dit-il, trouver quelque différence entre le culte du Père éternel et celui des Saints. » Il n'ose découvrir tout ce qu'il sent. « Nous pouvons trouver quelque différence, » c'est-à-dire naturellement, quelque petite différence; mais ou nous n'en pouvons trouver aucune, ou celle que nous trouvons est infinie. Car, je vous prie, quelle différence avons-nous trouvée entre le secours de Dieu et celui des Saints, entre la manière de prier Dieu et celle de prier les Saints ? C'est, avons-nous dit, que Dieu donne et les Saints obtiennent : on prie Dieu comme la source de tout bien, de donner ses grâces quelles qu'elles

 

1 Paul, de Nat. S. Fel. — 2 Lett. XV, p. 114, 115.

 

347

 

soient temporelles ou spirituelles, et on prie les Saints de les demander. Or ce n'est pas là quelque différence, c'est une différence immense, infinie, puisque c'est une différence qui d'un côté fait Dieu Être parfait, et de l'autre la créature être indigent, tiré du néant et le néant même; une différence, en un mot, qui met d'un côté l'indépendance absolue, et de l'autre la dépendance sans bornes. Ce n'est pas là quelque différence ; mais c'est toute la différence qu'on peut établir entre Dieu et la créature, et l'on ne peut en imaginer une plus grande ni une plus essentielle.

Ici votre ministre se tourmente en vain à prouver aux catholiques « qu'il n'y a point de biens et de grâces, pour le temps et pour l'éternité, qu'ils ne demandent à leurs Saints directement et sans détour. » Veut-il dire qu'on les leur demande comme à ceux qui les donnent? Il n'y aurait donc aucune différence. Or est-il qu'il ne peut nier que nous n'y en mettions quelqu'une; et nous venons de lui prouver, ou que nous n'en mettons aucune, ou que nous en mettons une aussi grande qu'on la puisse mettre, et en un mot une infinie. Qu'il enfle donc son discours de tant d'exagérations qu'il lui plaira, et qu'il raconte toutes les grâces qu'on demande à la sainte Vierge ; il demeure lui-même d'accord qu'on ne les demande que par voie d'intercession, puisque même, selon lui, on n'en attend pas davantage de Jésus-Christ. La difficulté n'est donc plus que de l'intercession de Jésus-Christ. Il s'agit de voir si celle des Saints est de même nature que la sienne ; et il est essentiel à cette-cause que vous compreniez que c'est en cela précisément que votre ministre met le nœud de cette question. C'est ce qu'il déclare par ces paroles : « Pour moi, poursuit-il, plus j’étudie le culte qu'on rend à Jésus-Christ, plus je le trouve semblable à celui des Saints. Nous adressons à Jésus-Christ deux sortes de prières : l'une indirecte en lui disant : « Priez pour nous ; » l'autre directe en lui demandant directement la grâce, la rémission des péchés, la vie éternelle. Dans l'Eglise romaine on fait précisément la même chose à l'égard des Saints. Cela laisse une différence, je l'avoue, entre l'adoration qu'on rend à Dieu le Père et celle qu'on rend aux Saints (1). » La voilà donc encore une

 

1 Lett. XV, p. 115.

 

348

 

fois établie, de son aveu, cette différence qui, comme on voit, est infinie. « Car, continue-t-il, jamais on ne dit au Père : Seigneur, priez pour nous, intercédez pour nous auprès de votre Fils. Cela serait insensé, et peut-être impie ; et je crois que Rome ne pratique pas cette impiété. » Il y a donc pour la troisième fois une différence essentielle entre la prière que l'Eglise romaine fait au Père et celle qu'elle fait aux Saints, de l'aveu de votre ministre. « Mais il n'y a, continue-t-il, aucune différence du culte rendu à Jésus-Christ et de celui qu'on rend aux Saints ; car et à celui-là et à celui-ci, on dit indifféremment : « Priez pour nous,» afin que Dieu nous donne ; ou bien : « Donnez-nous vous-même, » par voie d'intercession et d'impétration de son Père, » comme il l'explique lui-même et le répète dix fois. Il ne reste donc plus qu'à faire voir qu'il y a encore une différence infinie entre l'intercession de Jésus-Christ et celle des Saints ; et c'est là, comme vous voyez, que votre ministre fait consister notre question. Mais elle est si aisée à résoudre, que je n'y veux employer que M. Daillé. C'est un ministre que je prends pour juge entre M. Jurieu et moi.

Daillé étant obligé par une objection du cardinal du Perron de parler de cette matière, et d'expliquer comment on peut croire que Jésus-Christ prie pour nous, commence en cette sorte : « Ni nous, ni les anciens, ni aucun chrétien vraiment pieux, n'avons jamais prié Jésus-Christ de prier sou Père pour nous (1). » D'abord il apprend bien à M. Jurieu qu'il ne sait pas sa théologie, quand il dit qu'on prie Jésus-Christ de prier pour nous : « Ni nous, dit-il, ni les anciens, ni aucun chrétien vraiment pieux, ne l'a jamais fait. » M. Jurieu n'est donc pas de ces pieux chrétiens, selon le ministre Daillé. Il poursuit : « Du Perron pense-t-il que Jésus-Christ ne fasse pour nous autre chose que de se prosterner devant Dieu, afin de prier comme ferait un des Saints de ce cardinal? Assurément il se trompe, s'il a une semblable pensée. » Tout en s’emportant contre nous, Daillé nous accorde ce que nous voulons. Les Saints du cardinal du Perron, c'est-à-dire les Saints des catholiques, sont prosternés devant Dieu comme d'humbles suppliants : Jésus-Christ n'agit pas de cette manière, et nous en convenons

 

1 Daill., de Cult. Latr., lib. III, cap. XIX, p. 386

 

349

 

avec le ministre ; l'intercession de Jésus-Christ n'est donc pas de même nature que celle des Saints. Prenons encore la chose d'une autre manière. Daillé dit, et il dit vrai, qu'on n'a jamais prié Jésus-Christ de prier pour nous. Il n'y en a aucun exemple, ni aucun précepte, ni aucun conseil, ni dans l'Ecriture, ni dans la tradition. Quand donc on prie les Saints, comme fait l'Eglise romaine on ne leur demande rien de semblable à ce qu'on attend de Jésus-Christ. Voilà qui est clair, mais la suite le sera beaucoup davantage; et plus Daillé s'étudie à nous expliquer la dignité de la Médiation de Jésus-Christ, plus il justifie les catholiques. Car écoutons ce qu'il ajoute : «Jésus-Christ, Père de l'éternité, est Seigneur et dispensateur de toutes les grâces que son sang nous a méritées. Ce puissant Roi de l'univers nous les donne ainsi qu'il lui plaît : ses sujets ne le tiennent pas pour un simple intercesseur, mais pour leur Roi, pour leur Seigneur, pour leur Dieu, et ils souhaitent que ce qu'ils demandent leur soit accordé par sa volonté et par sa puissance. » Notre cause se fortifie visiblement par le discours de Daillé. Il ne permet pas qu'on regarde Jésus-Christ comme un simple intercesseur. Il est, dit-il, dispensateur et distributeur des grâces de Dieu ; mais il les donne avec autorité et comme Seigneur, parce qu'il « les a méritées par son sang : » elles sont à lui ; il les a acquises ; il les a achetées, et cela par un prix infini, qui est celui de son sang; et si M. Daillé rapporte cela à la nature divine de Jésus-Christ, c'est que c'est là qu'est la source de la dignité et du mérite infini qui se trouve dans les actions de Jésus-Christ et dans toute sa personne, ce qui est indubitable ; mais en même temps il ne l'est pas moins que ceux qui comme nous regardent les Saints, non comme « distributeurs de la grâce, » mais comme de « simples intercesseurs, » ne les égalent en aucune sorte avec Jésus-Christ. Mais le ministre en continuant de plaider sa cause, va donner comme un dernier trait à la bonté de la nôtre. » Que si on dit, poursuit-il, que Jésus-Christ prie pous nous, il faut entendre cela, non d'une manière basse mais d'une manière relevée et convenable à la majesté d'un si grand Roi. Ce n'est point en se prosternant, en tendant les mains, ni en disant des paroles de suppliant qu'il intercède pour nous ;

 

350

 

c'est qu'il apaise son Père par le prix et la bonne odeur toujours présente de la victime qu'il a une fois offerte, et fait qu'il nous donne les grâces que nous demandons, lui-même consentant aussi et voulant que nous les ayons. Telles sont les prières que Jésus-Christ fait pour nous. Elles sont dignes de sa personne; et saint Paul nous le fait entendre, lorsqu'il dit que l'épanchement du sang de Jésus crie plus haut que le sang d'Abel. » Nous sommes d'accord avec les ministres de cette manière d'expliquer la médiation de Jésus-Christ. On la peut voir très-bien expliquée dans saint Thomas, et l'on n'en connaît point d'autre dans nos écoles. On y enseigne constamment que Jésus-Christ intercède par son sang répandu pour nous, et par la vertu éternelle de son sacrifice. Il n'a besoin ni de paroles, ni de postures suppliantes; il suffit, comme dit l'Apôtre, « qu'il paraisse  pour nous devant Dieu, » afin de nous obtenir tout ce qu'il lui plaît. Ce qu'on appelle prière dans cet état glorieux de Jésus-Christ, c'est dans sa sainte âme une perpétuelle volonté de nous sanctifier, conformément à cette parole qu'il a prononcée : « Je me sanctifie pour eux, afin qu'ils soient saints en vérité (1) ; » et à celle-ci : « O mon Père, je veux que ceux que vous m'avez donnés soient avec moi (2). » Il a droit de dire : Je veux, d'une façon particulière qui ne convient qu'à lui seul : il peut disposer de nous et des grâces qu'il nous distribue, comme de choses qui sont siennes, qu'il a achetées, qu'il s'est rendues propres. Nous ne donnons rien de semblable aux Saints. Ce n'est point leur sang qui nous sauve, ni qui est une source de grâces pour nous : ils n'ont point offert le sacrifice dont l'efficace infinie et toujours présente sanctifiera les pécheurs jusqu'à la fin des siècles : ils sont humbles suppliants devant la Majesté divine, serviteurs agréables à leur Maître; mais enfin simples serviteurs, non seigneurs, ni rédempteurs, ni dispensateurs des grâces comme Jésus-Christ. Ainsi ni nous ne faisons faire à Jésus-Christ ce que font les Saints, ni nous ne faisons faire aux Saints ce que fait Jésus-Christ. Leur intercession laisse en son entier tout ce qui convient, selon les ministres aussi bien que selon nous, à celle du Fils de Dieu, et nous ne leur en donnons aucune partie.

 

1 Joan., XVII, 19. — 2 Ibid., 24.

 

351

 

Mais après avoir fait voir au ministre que nous établissons parfaitement la médiation de Jésus-Christ, apprenons-lui à la mieux entendre qu'il ne fait, lui qui en fait consister la reconnaissance à dire à Jésus-Christ : « Priez pour nous. » M. Daillé a eu raison de lui dire que, ni les modernes , ni les anciens n'ont jamais prié ainsi. Quand saint Etienne mourant invoqua Jésus-Christ pour ceux qui le lapidaient, il ne lui dit pas : O Seigneur, priez pour eux ; mais : « O Seigneur, ne leur imputez pas leur péché (1) » le regardant comme juge, comme celui « qui opère par lui-même la purification du péché (2). » Il ne lui dit pas : Priez votre Père de recevoir mon esprit; mais il lui dit à lui-même : « O Seigneur , recevez mon esprit (3). » Je ne sache aucun orthodoxe qui ait osé dire, comme fait M. Jurieu, qu'il faut dire à Jésus-Christ, même comme homme : « Priez pour nous, » parce que l'homme dans Jésus-Christ étant élevé à être Dieu, ce qui lui a donné le moyen de nous acheter les grâces et en particulier celle de la rémission des péchés par un prix proportionné à leur valeur, il en est fait Seigneur même comme homme, mais comme homme élevé à être Dieu. C'est pourquoi on ne le prie pas de la demander, mais de la donner comme Seigneur; ce qui fait aussi que saint Etienne lui donne le nom de Seigneur dans cette prière : « O Seigneur, n'imputez pas ce péché ; » et de même : « O Seigneur, recevez mon esprit. » Car c'est à vous de le recevoir, à la vérité, pour le présenter à votre Père, mais néanmoins comme Seigneur à qui il appartient en propre, parce que vous l'avez acheté par votre sang.

Mais quand il serait permis « de prier Jésus-Christ de prier, » chose que la vraie piété a en horreur, toujours le ministre n'y gagnerait rien , parce qu'il y aura toujours une différence infinie entre la prière du Chef et celle des membres, entre la prière de celui où réside la plénitude et la source de la grâce et celle de ceux qui n'en reçoivent qu'un écoulement imparfait, enfin entre la prière d'une personne sainte par la propre sainteté substantielle de Dieu et la prière de ceux qui ne le sont que par quelque participation de sa sainteté infinie; ce qui fait que la prière de l'un agréable et reçue par sa propre dignité, et celle des autres

est au

 

1 Act., VII, 5. — 2 Hebr., I, 3. — 3 Act., VII, 58.

 

352

 

contraire en son nom et par le mérite de la sienne ; et c'est aussi ce qui met la différence la plus essentielle qu'on puisse jamais établir de prière à prière, et même une différence qui va jusqu'à l'infini, parce qu'elle est fondée sur la perfection de la nature divine.

Toute cette doctrine est renfermée dans cette conclusion solennelle des prières ecclésiastiques, qui finissent toutes en ces termes: Per Dominum nostrum Jesum Christum : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ ; » par où l'Eglise reconnaît que toutes ses prières tirent leur valeur et leur efficace de l'interposition du nom de Jésus-Christ, à quoi elle ajoute en même temps la confession de la divinité du même Sauveur, en adressant ces paroles à Dieu le l'ère : « Par Jésus-Christ votre Fils unique, qui étant Dieu vit et règne aux siècles des siècles avec vous et le Saint-Esprit, » où l'Eglise met clairement la médiation de Jésus-Christ en ce qu'il est un Homme-Dieu en qui s'unissent toutes choses ; c'est-à-dire tout ensemble les hautes et les basses, les célestes et les terrestres, sans que ni nous ni les plus grands Saints puissent impétrer aucune grâce ni pour eux, ni pour leurs frères, en un autre nom.

Au reste si l'on a vu la médiation de Jésus-Christ si parfaitement expliquée par le ministre Daillé, il faut se souvenir qu'on a vu aussi qu'il n'y a rien là de nouveau pour nous, puisque tous nos docteurs l'expliquent de même sur le fondement des Ecritures et sur la doctrine de saint Paul. C'a été aussi la doctrine de tous les anciens Pères; et saint Grégoire de Nazianze l'a expliquée admirablement par ces paroles : « Le Verbe engendré de Dieu avant tous les temps et par là étant Fils de Dieu, est devenu Fils de l'homme. Il est sorti sans impureté et d'une manière miraculeuse du sein d'une Vierge, homme parfait aussi bien que Dieu parfait, pour sauver en toutes ses parties l'homme qui était blessé en elles toutes, et détruire la condamnation du péché (1). »

C'est en cela que consiste sa médiation, et c'est aussi sur ce fondement que le même Saint l'établit, en supposant premièrement qu'il ne faut point croire « que le Fils de Dieu se jette aux pieds de son Père d'une manière servile. Loin de nous, dit-il, cette

 

1 Orat. XL.

 

353

 

pensée basse et indigne de l'esprit de Dieu. Il ne convient ni au Père d'exiger une telle chose, ni au Fils de la souffrir (1). » Il enseigne «qu'intercéder n'est autre chose au Fils de Dieu que d'agir pour nous auprès de son Père en qualité de Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme ; et, ajoute ce grand personnage comme homme il intercède pour mon salut, parce qu'il est toujours avec le corps qu'il a pris, et qu'il me fait devenir un dieu par la force de l'humanité qu'il s'est unie. »

Voilà une manière d'intercéder digne de Jésus-Christ. Un Dieu en se faisant homme, nous a faits des dieux par ressemblance : son humanité est le moyen par lequel la divinité nous est communiquée : son corps, qui a été notre victime, nous attire continuellement les grâces du ciel, et Jésus-Christ ne cesse d'intercéder, parce qu'il ne quitte jamais l'humanité qu'il a prise.

Cette sublime médiation, qui ne convient qu'à Jésus-Christ seul, n'a pas empêché que le même Père, en prenant la médiation en un autre sens infiniment inférieur à celui-là, n'ait dit que « les saints martyrs sont les médiateurs de cette élévation qui nous divinise (2); » sans doute, parce qu'ils nous en montrent le chemin par leur exemple, et qu'ils nous aident à y arriver par leurs prières.

Qu'on ne nous objecte donc plus ces mots de saint Paul : « Il y a un Médiateur (3). » Sans disputer sur les mots : « Il n'y a pas plus un Médiateur qu'il y a un Dieu, » je dis que si nous pouvons par Jésus-Christ, selon saint Pierre, « participer à la nature divine (4), » nous pouvons aussi en quelque façon, quoique très-imparfaitement, participer par la charité fraternelle à la qualité de médiateur. Mais, à parler proprement, il n'y a que Jésus-Christ seul qui la porte et qui fasse cet office; ce que saint Augustin a expliqué à fond en ce peu de mots : « Les chrétiens, dit-il, se recommandent aux prières les uns des autres ; mais celui qui intercède pour tous, sans avoir besoin que personne intercède pour lui, est le seul et le véritable Médiateur (5). »

Les prétendus réformés se servent de ce passage contre la prière

 

1 Orat, XXXVI. — 2 Orat. VI. — 3 Gal., III, 20. — II Petr., I, 4. — 3 Cont. Epist. Parmen., lib. II, n. 16.

 

354

 

des Saints, au lieu qu'ils devraient comprendre que, si un Père qui a si parfaitement entendu la doctrine de la médiation de Jésus-Christ, n'a pas laissé de les prier, comme les ministres l'avouent, il paraît qu'il n'a jamais seulement pensé que ces deux choses soient incompatibles. J'en dis autant de saint Grégoire de Nazianze, qui d'un côté constamment a prié les Saints comme nous, et qui aussi constamment n'en a pas moins bien entendu la doctrine de la médiation de Jésus-Christ, comme on vient de le voir; en sorte qu'en toutes manières, il n'y a rien de plus faux que de confondre deux choses dont la différence est infinie.

Après cela en reviendra-t-on à cette objection cent fois résolue, ; mais que M. Jurieu répète encore, comme si l'on n'y avait jamais répondu ? « Vous offrez à Dieu, dit-il, les mérites des Saints, comme vous lui offrez ceux de Jésus-Christ : vous priez Dieu par les mérites des Saints, comme vous priez Dieu par les mérites de Jésus-Christ ; c'est donc en tout et partout la même chose (1). » Mais sans nous donner la peine de répondre, Bucer, un des chefs de la Réforme, répondra pour nous. Le passage en est connu, et M. Jurieu l'a lu dans l'Histoire des Variations (2) : « Pour ce qui regarde ces prières publiques qu'on appelle Collectes, où l'on fait mention des prières et des mérites des Saints, puisque dans ces mêmes prières tout ce qu'on demande en cette sorte est demandé à Dieu, et non pas aux Saints, et encore qu'il est demandé par Jésus-Christ , dès là tous ceux qui font cette prière reconnaissent que tous les mérites des Saints sont des dons gratuitement accordés. » Et un peu après : « Car d'ailleurs nous confessons et nous prêchons avec joie que Dieu récompense les bonnes œuvres de ses serviteurs, non-seulement en eux-mêmes, mais encore en ceux pour qui ils prient, puisqu'il a promis qu'il ferait du bien à ceux qui l'aiment jusqu'à mille générations. » Voilà ce qu'un reste de bonne foi fit avouer à Bucer, en 1560, dans la conférence de Ratisbonne. Je ne demande pas au ministre dédaigneux qu'il cède à l'autorité de Bucer; mais qu'il imite sa bonne foi, en reconnaissant que le mérite que nous attribuons à Jésus-Christ est bien d'une autre nature que celui que nous attribuons aux Saints,

 

1 Jur., lett. XV, p. 114, 115, etc. — 2 Liv. III, n. 43.

 

355

 

puisque le mérite de Jésus-Christ est infini à cause qu'il est Dieu et homme, et celui des Saints fini à cause qu'ils sont des hommes purs ; d’où  suit une autre différence qui n'est pas moins essentielle, savoir que le mérite de Jésus-Christ a sa valeur par lui-même auprès de Dieu, au lieu que les mérites des Saints n'en ont que par celui de Jésus-Christ : ce qui fait qu'en priant Dieu d'avoir agréables les mérites de ces Saints, l'Eglise finit toujours en demandant que ce soit par Jésus-Christ : Per Dominum nostrum Jesum Christum; et que le concile de Trente en définissant qu'il « est utile de prier les Saints de nous obtenir les grâces de Dieu, » ajoute : « Par Jésus-Christ, » et décide que c'est par là qu'ils nous les obtiennent.

Ainsi il ne reste plus de difficulté dans la question que nous traitons. Il s'agit de savoir si nous sommes idolâtres en priant les Saints, c'est-à-dire, en d'autres mots, si nous égalons les Saints ou à Dieu ou à Jésus-Christ : et le ministre est déjà demeuré d'accord que nous mettons une différence très-essentielle du côté de la prière qu'on adresse à Dieu. Restait celle qu'on adressait à Jésus-Christ; et la différence n'est pas moins essentielle, de l'aveu même et par les principes de Daillé et de Bucer ; par conséquent la question est vidée. C'est en vain que le ministre triomphe, et qu'il provoque l'évêque de Meaux à lui répondre. Cet évêque lui a répondu; mais s'il restait quelque bonne foi à votre ministre, il n'y avait rien de plus aisé pour lui que de prévenir cette réponse, puisqu'il l'aurait pu trouver dans ses propres théologiens aussi claire et aussi distincte que l'aurait pu faire un des nôtres.

En effet, quoi qu'il puisse dire, il sait bien que le vrai Dieu que nom adorons n'est pas le Jupiter des païens. Les anges et les âmes bienheureuses dont nous demandons la société dans nos prières ne sont ni des dieux, ni des demi-dieux, ni des génies ni des héros, ni rien enfin de semblable à ce que les gentils imaginaient. Notre Dieu est le Dieu qui seul a fait toutes choses par sa parole qui n'a pas commis à ses subalternes une partie de l'ouvrage comme on disait dans le paganisme. Le monde n'est pas un arrangement d'une matière que Dieu ait trouvée toute faite ; les âmes et les esprits ne sont pas une portion de son être et de sa

 

356

 

substance. Il a tout également tiré du néant, et tout également par lui-même. Vos ministres n'oseraient nier que ce ne soit là constamment notre doctrine. Qu'ils entreprennent de nous montrer ce caractère dans le paganisme. Ne sait-on pas que Jupiter y était le père des dieux, à peu près dans le même sens qu'un père de famille l'est de ses enfants, et qu'il en était le maître à peu près comme un roi l'est de ses ministres, sans leur avoir donné le fond de l'être ? Mais Dieu qui l'a donné à tous les Esprits bienheureux, ou plutôt qui le leur donne sans cesse par une influence toujours nécessaire, leur donne en même temps toute leur puissance, inspire tous leurs désirs, ordonne toutes leurs actions, et il est lui seul toute leur félicité ; choses que les païens, je dis même les philosophes, ne songeaient pas seulement à attribuer à leur Jupiter. Cette différence infinie de leur théologie et de la nôtre en produit une qui n'est pas moins grande dans le culte. C'est qu'au fond , tout notre culte se renferme en Dieu. Nous n'honorons dans les Saints que ce qu'il y met : en demandant la société de leurs prières, nous ne faisons qu'aller à Dieu dans une compagnie plus agréable; mais enfin c'est à lui que nous allons, et lui seul anime tout notre culte.

Votre ministre nous fait ici une horrible calomnie, mais qui seule devrait servir à vous désabuser de toutes les autres. « Les dieux supérieurs des païens, dit-il, étaient si célestes, si sublimes et si purs, qu'ils ne pouvaient par eux-mêmes avoir aucun commerce avec les hommes, ni s'abaisser jusqu'aux soins des affaires pour les gouverner immédiatement et par eux-mêmes. C'est pourquoi ils établirent les démons comme des médiateurs et des agents entre les dieux souverains et les hommes mortels, disait Platon (1). » Il est vrai, c'est la doctrine de Platon, et c'est aussi ce qui met une différence infinie entre lui et nous. Car qui jamais a ouï dire dans l'Eglise qu'il fût indigne de Dieu de se mêler par lui-même des choses humaines, ou qu'il fallût mettre entre lui et nous cette nature mitoyenne ou médiatrice des démons ? C'est pourtant ce qu'on nous impute. Car écoutons le ministre : « Or, dit-il, une goutte d'eau n'est pas plus semblable à une goutte

 

1 Acc. des luth., I part., p. 183.

 

357

 

d'eau que cette théologie païenne à la théologie du papisme. Dieu et Jésus-Christ, disent-ils, qui sont nos grands dieux, sont trop sublimes pour nous adresser droit à eux (1). » Je ne sais comment on ne rougit pas d'une si grossière calomnie. Car ce ministre sait bien en sa conscience qu'outre que Dieu et Jésus-Christ ne sont pas nos « grands dieux, » puisqu'ils ne sont pour nous qu'un seul et même Dieu avec le Saint-Esprit, et que c'est une trop hardie imposture de nous faire parler ainsi contre toute notre doctrine, ce n'en est pas une moindre de nous faire dire « qu'on ne peut aller droit à eux, » puisque constamment toutes les Collectes, toutes les Secrètes, toutes les Post-communions, toutes les prières du sacrifice, le Gloria in excelsis, le Te Deum, toutes les autres prières du service ou du bréviaire s'adressent ou à Dieu par Jésus-Christ, ou à Jésus-Christ lui-même; et que dans celles qu'on adresse aux Saints dans les Litanies et dans quelques autres endroits, dès là qu'on les prie de prier pour nous, on ne fait que s'unir à eux par la charité pour aller à Dieu. On ne les regarde donc pas comme des natures mitoyennes et médiatrices ; mais on entre en société avec eux pour aller également à Dieu, puisque si Dieu nous a donné un Médiateur nécessaire en Jésus-Christ, il est pour eux comme pour nous, et qu'ils n'ont d'accès qu'en ce seul nom et comme membres de ce même Chef. Qu'on nous montre ce caractère dans le paganisme. Mais on vient de nous y montrer un caractère tout contraire, en nous disant que les grands dieux du paganisme sont trop sublimes pour se mêler par eux-mêmes de nos affaires, ou avoir aucun commerce avec nous. Votre ministre sait bien que nous ne disons, ni ne croyons rien de semblable. Quand donc il ose avancer « qu'une goutte d'eau n'est pas plus semblable à une autre goutte d'eau que notre doctrine à celle des païens, » il parle contre sa conscience et contre ses propres paroles, et l'iniquité se dément visiblement elle-même.

Achevons. Le culte est intérieur ou extérieur. L'intérieur est le sentiment qu'on vient de voir. Pour donc montrer notre culte intérieur dans les païens, il y faut montrer nos sentiments : qu'on les y montre tels que nous venons de les exposer. Que si l'on

 

1 Acc. des luth., 1ère part., p. 184.

 

358

 

prétend que ce n'est pas là notre doctrine, et qu'on répète les calomnies cent fois réfutées, qu'on nous attaque du moins une fois dans ce fort et qu'on y découvre le moindre trait d'idolâtrie.

Mais si le culte intérieur des païens est si essentiellement différent du nôtre, donc le culte extérieur n'étant que le signe de l'intérieur, il s'ensuit qu'il y a la même différence. Et en effet les païens, qui regardaient tous leurs dieux, et les plus grands, et les médiocres, et les plus petits comme des natures à peu près semblables, leur offraient aussi à tous également le même culte du sacrifice que nous réservons à Dieu seul, quoi qu'en dise le ministre. A lui seul appartient la souveraine louange, à lui seul la reconnaissance d'un empire absolu et tout-puissant, et l'hommage de l'être reçu, tant de celui qui nous fait hommes que de celui qui nous fait saints et agréables à Dieu. Si l'on croit trouver tout cela dans le paganisme, on croit trouver la lumière dans les ténèbres; et si l'on croit seulement y en voir quelque ombre, c'est qu'il faut bien trouver dans l'erreur le fond de la vérité qu'elle gâte, et dans le culte des démons ce qu'ils imitent et ce qu'ils dérobent du culte de Dieu.

L'idolâtrie a eu plusieurs formes, et s'est accrue ou diminuée par divers degrés ; mais parmi ces variétés, c'est une chose constante que tous ceux qu'on a jamais vus rendre sérieusement à la créature quelque partie des honneurs divins, ont erré dans la pensée qu'ils ont eue de Dieu. Les fausses idées qu'on a de Dieu, comme dit souvent saint Augustin, sont les premières idoles que les hommes se sont forgées, et c'est là le vrai principe de l'idolâtrie. Que si nous remontons jusqu'à la source de l'erreur, nous trouverons que l'idolâtrie vient au fond de n'avoir pas bien connu la création.

Elle n'était connue que du peuple hébreu. Parmi tous les autres peuples on croyait que la substance et le fond de l'être était indépendant de Dieu, et que tout au plus il n'était auteur que de l'ordre, ou que sans avoir fait l'univers, il n'en était que le moteur.

C'est de la qu'est venue l'erreur qui a fait adorer le monde, soit qu'on le regardât comme Dieu lui-même, ou qu'on le considérât

 

359

 

comme le corps dont Dieu était revêtu. On en adorait le tout, on en adorait toutes les parties, c'est-à-dire le ciel, la terre, les astres et les démens, les rivières et les fontaines, et enfin on adorait toute la nature. Tout avait part à l'adoration, parce que tout en un certain sens avait part à l'indépendance : tout était coéternel à Dieu : tout était comme une partie de l'être divin : l’âme était dérivée de là, selon quelques-uns (1). C'est pourquoi ils le regardaient comme étant ingénérable et incorruptible en sa substance. C'était une portion de la divinité: c'était un Dieu elle-même, disait cet empereur philosophe (2), après plusieurs autres. C'est ce qui a donné lieu à l'erreur qui a consacré tant de mortels, et qui leur a fait rendre les honneurs divins. Les biens qu'ils avaient procurés au monde ont fait regarder leur âme comme ayant quelque chose de plus divin que les autres, et tout cela enfin était fondé sur ce que rien n'était regardé comme absolument dépendant d'une volonté souveraine, ni comme tenant d'autre que de soi le fond de son être.

Le ministre, qui nous parle tant de ces natures médiatrices et de ces esprits médiateurs introduits par le platonisme, ne sait pas, ou ne songe pas, ou ne veut pas avouer de bonne foi, qu'on les y faisait médiateurs de la création de l'homme, comme ils l'étaient de sa réunion avec Dieu. Ainsi la nature divine était inaccessible pour les hommes, et ils n'en pouvaient approcher que par les demi-dieux qui les avaient faits, qu'on appelait aussi démons. Il est certain que ces démons ou ces demi-dieux de Platon (3), furent adorés sous le nom des anges par un Simon le Magicien, par un Ménandre, par cent autres, qui dès l'origine du christianisme mêlaient les rêveries des philosophes avec une profession telle quelle du christianisme (4). Mais si ces hommes, aussi mauvais philosophes que mauvais chrétiens, avaient compris que Dieu tire également du néant toutes les natures intelligentes, et les anges comme les hommes, ils n'auraient jamais pensé que les uns eussent besoin d'aller à Dieu par les autres, ni que, pour approcher de lui, il fallût mettre tant de différence entre ceux qu'il avait

 

1 Platon. — 2 Marc-Aurèle. — 3 Plat., in Tim. — 4 Tertull., De Prœscr., n. 33; Hieron., adv. Lucif.; Epiph., hœr. 60 ; Theod., Hœr. Fab., lib. V, cap. VII.

 

360

 

formés de la même main. La religion chrétienne ne connaît point ces entremetteurs qui empêchent Dieu de tout faire, de tout gouverner, de tout écouter par lui-même ; et s'il a donné aux hommes un Médiateur nécessaire qui est Jésus-Christ, ce n'est pas qu'il dédaigne leur nature qu'il a faite; mais c'est que leur péché, qu'il n'a pas fait, a besoin d'être expié par le sang du Juste. C'est par là que nous avons besoin de Médiateur. Mais afin que nous connussions que c'était notre péché et non pas notre nature qui nous éloignait de Dieu, il a voulu que ce Médiateur fût homme; et il a si peu dédaigné la nature humaine, qu'il l'a même unie à la personne de son Fils.

Par ce mystère l'idolâtrie devient comme impossible au chrétien, et il ne peut y tomber qu'en oubliant jusqu'aux premiers principes de sa religion. Il ne peut plus, comme faisaient les païens, égaler les hommes à Dieu, puisqu'il voit que le genre humain était si éloigné de Dieu par son péché, qu'il avait besoin impossible d'un Médiateur pour en approcher. Mais ce Médiateur est homme ; et quand il ne serait que cela, aux merveilles qu'il a faites et aux grâces qu'il répand sur nous, le genre humain, porté à diviniser ses bienfaiteurs, aurait tenté d'en faire un Dieu et de lui rendre les honneurs divins. Pour prévenir cette erreur, Dieu en incarnant son Fils unique, en le faisant homme comme nous, a su faire de ce Médiateur qu'il nous donne un Dieu égal à lui; en sorte qu'on ne se trompe pas de l'adorer comme tel. Mais de peur qu'on n'étendit le même honneur à d'autres hommes excellents, on apprend que pour faire un Dieu de Jésus-Christ, il a fallu lui donner outre la nature humaine une nature plus haute, et qu'il ne fût rien moins qu'une des Personnes divines, à laquelle on rendît avec Dieu en unité un même culte suprême. Car si l'on avait attribué notre rédemption  ou notre réconciliation à la nature angélique, l'on aurait pu adorer les anges; mais on ne le peut plus, depuis qu'on adore en Jésus-Christ celui-là même qui a fait les anges et que les anges adorent. Il n'y a donc plus moyen de lui rien égaler dans sa pensée, ni par conséquent de rien égaler à son Père et au Saint-Esprit, auxquels seuls on le rend égal. Mais ne peut-il pas arriver qu'en le regardant en sa qualité de Médiateur,

 

361

 

qui l'approche si fort de nous, on lui donne des égaux par cet endroit-là, et des médiateurs à même titre? Point du tout, puisqu'on ne le fait Médiateur qu'au titre d'un mérite et d'une dignité infinie : ce qu'il ne pourrait avoir s'il n'était Dieu et Fils unique de Dieu, de même nature que lui. Car s'il exerce sa médiation par une nature humaine et par des actions humaines, on reconnaît tout ensemble que tout cela serait inférieur à cet emploi, si tout cela n'était élevé par la divinité même de cette Personne; et c'est ce qui nous est déclaré dans le mystère de l'Eucharistie , où Jésus-Christ exerce très-parfaitement son office de Médiateur, puisqu'il nous y consacre et nous y sanctifie par son corps et par son sang. Mais en même temps nous voyons qu'on ne nous sanctifie dans ce sacrement, ni par le corps d'un apôtre, ni par le corps d'un martyr, ni par le corps de la sainte Vierge, ni enfin par le corps d'aucun autre Saint, si ce n'est par le corps de celui qui est reconnu pour le Saint des saints. Ainsi l'Eucharistie même nous dévoue et nous consacre à Dieu seul, non-seulement parce que l'objet à qui nous nous dévouons est Dieu, mais encore parce que le moyen qui nous y unit, en même temps qu'il s'approche de nous en tant qu'homme, consomme notre unité en tant que Dieu. Cela est cru dans l'Eglise, et y est cru très-distinctement, et y est soigneusement enseigné à tous les fidèles dès l'enfance jusqu'à la vieillesse et jusqu'à la mort. Tous vos ministres le savent; et si vous savez les presser, vous leur en arracherez l'aveu, malgré qu'ils en aient. Qu'on s'imagine après cela par quel endroit l'idolâtrie pourrait s'introduire dans un tel culte, et comment il serait possible de rien égaler ou à Dieu, ou à Jésus-Christ, qui seul est un avec Dieu même. A cela qu'oppose-t-on? Des chicanes que j'ai honte de rapporter, tant elles sont vaines; et qu'il faut néanmoins encore que je réfute, puisqu'on ne cesse de les objecter, quoique cent fois réfutées.

Vous égalez, dit-on, vos Saints à Dieu, puisque vous leur érigez des temples, puisque vous leur consacrez des jours de fêtes. Quoi ! n'y aura-t-il point quelque ministre assez officieux pour nous décharger de l'ennui de répéter cent fois la même chose, sans qu on veuille nous écouter? Mais je n’ai pas besoin d'un ministre

 

362

 

officieux. Toute l'Angleterre plaide notre cause, puisqu'elle célèbre comme nous les fêtes des Saints, et pour ne manquer à aucun même la fête de la Toussaint. Le calendrier où elles sont marquées, et l'office qu'on y fait ne sont pas encore abolis. Ils pourront l'être avec le temps, et tout cela peut devenir une idolâtrie, s'il plaît au vainqueur (a) (car il faudra bien subir la loi) ; mais on ne fera jamais qu'on ne les ait célébrées, ni que Burnet qui sans doute n'eut jamais dessein de nous obliger, n'ait écrit qu'on devait les célébrer, même par principe de conscience, « parce qu'aucun de ces jours n'est proprement dédié à un Saint; mais qu'on les consacre à Dieu en la mémoire des Saints, dont on leur donne le nom (1) ; » ce qui est de mot à mot notre doctrine, comme il paraît en tout et partout par nos catéchismes, et tout ce qu'on nous impute au de la est une manifeste calomnie.

Venons aux temples ; mais ici toute l'Angleterre nous justifie encore. Qui ne connaît à Londres l'église de Saint-Paul et toutes les autres qui portent les noms des Saints? On nous dira que c’est pour en conserver la mémoire ; mais que les temples sont proprement dédiés  à Dieu, comme les fêtes. C’est encore notre doctrine. Toutes les églises et toutes les fêtes sont également dédiées à Dieu. On leur donne les noms des Saints pour les distinguer. Qu'on nous reproche après cela les églises dédiées aux Saints, et celle de Saint-Eustache ou de Notre-Dame plus belle que celle du Saint-Esprit. Tout le synode de Thorn, de la religion de nos prétendus réformés, a inséré dans ses actes qu'il s'était assemblé dans le temple de la sainte Vierge, Divœ Virginis (2). Le même synode parle encore du 25 août comme d'un jour consacré à saint Barthélemi, Divo Bartholomœo sacra. Ces actes sont rapportés dans le Recueil des Confessions orthodoxes, de Genève; et en passant, voilà non-seulement le temple de la sainte Vierge et la fête de saint Barthélemi, mais encore le mot Divus, dont Daillé nous fait un si grand crime. Car c'est, dit-il, ériger les Saints « en dieux tout court (3). » Sur cela il prend la peine de ramasser les passages

 

1 Burn., tom. I, p. 191; Var., liv. VII, n. 91. — 2 Syn. Tor., Syntag. Conf. Fidei, part. II, p. 240, 242. — 3 De cultu. latr., p. 523, 525.

 

(a) Bossuet désigne ici le prince d'Orange, qui venait d'usurper la couronne d’Angleterre sur le roi Jacques II, sou beau-père. (Edit. de Leroi.)

 

363

 

où les Saints sont appelés de ce nom dans un Paul Jove, dans un Bembe dans un Juste Lipse. Il est vrai, le zèle de l'ancien latin nous a introduit ce mot et tant d'autres aussi ridicules, quand on les affecte. Tout est perdu, si en lisant Bembe et les autres auteurs de ce goût, on trouve un seul mot que Cicéron ou Virgile n'aient point prononcé; et Juste Lipse, qui s'est  moqué de cette fade affectation, n'a pu s'empêcher d'y tomber. Qu'on s'en moque; nous y consentons; mais ceci devient une affaire de religion. N'importe que Bellarmin, plus régulier, ait blâmé ces expressions païennes. Daillé le trouve mauvais. Comme il voulait se servir de ce mot pour montrer que nous donnons de la divinité aux Saints en les appelant Divi, il s'emporte contre Bellarmin, parce qu'il ne trouve pas dans ses écrits ce mot, dont il prétendait tirer avantage, lui reprochant avec amertume que « sa modestie est fausse, ridicule et impertinente. » Enfin il fait tort aux Saints, et lorsqu'il ne....................

 

 

Précédente Accueil Suivante