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SIXIÈME AVERTISSEMENT.

SECONDE PARTIE.
QUE LE MINISTRE NE PEUT SE DÉFENDRE D'APPROUVER LA TOLÉRANCE UNIVERSELLE.

 

Ce qu'il y a de plus rare dans le sentiment de M. Jurieu, c'est que cette bizarre théologie qu'on ne peut ni réfuter, ni condamner, ni proscrire, et qu'aucun homme de bon sens ne peut juger ni hérétique ni même dangereuse, tout d'un coup (je ne sais comment) devient entièrement intolérable : « A Dieu ne plaise, dit-il, que je voulusse porter ma complaisance pour cette théologie des anciens jusqu'à l'adopter ni même à la tolérer aujourd'hui. » Il veut donc dire qu'autrefois on aurait pu adopter, ou tout au moins tolérer cette théologie des anciens; mais « aujourd'hui, à Dieu ne plaise, » c'est-à-dire qu'il la repousse jusqu'à l'horreur. Qui comprendra ce mystère ? Comment cette théologie est-elle si tolérable et si intolérable tout à la fois, si dangereuse et si peu dangereuse? Et pour trancher en un mot, pourquoi ne pas tolérer encore aujourd'hui une doctrine qui n'est condamnée par aucun concile ; qui est approuvée au contraire par celui de Nicée; qui ne peut être réfutée par l'Ecriture ; qui n'a contre elle ni les Pères, ni la tradition ou la foi de tous les siècles, puisqu'on lui donne d'abord les trois premiers siècles à remplir ? Voici la conséquence que le ministre a tant redoutée ; c'est ici qu'il se rend le chef des tolérants ses capitaux ennemis, et ils se vantent eux-mêmes que jamais homme ne les a plus favorisés que ce ministre qui s'échauffe tant contre leur doctrine. C'est en effet ce qu'on va voir plus clair que le jour.

Le ministre propose la difficulté dans la septième Lettre de son Tableau, et pour y répondre dans les formes, il dit trois choses. La première, qu'il ne s'ensuit pas pour avoir toléré des erreurs en un temps et avant que les matières soient éclaircies, qu'on les doive tolérer dans un autre et après l'éclaircissement. La seconde,

 

1 Tabl., lett. VI, p. 268.

 

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que les anciens docteurs n'ont été ni ariens, ni sociniens, et ainsi que la tolérance qu'on a eue pour eux ne donnera aucun avantage à ces hérétiques. La troisième, qu'ils n'ont erré que par ignorance et par surprise, et plutôt comme philosophes qu'autrement (1).

Mais dans toutes ses réponses, il s'oublie lui-même. Dans la première son principe est vrai ; on tolère avant l'éclaircissement ce qu'on ne peut plus tolérer après : je l'avoue; c'est notre doctrine. Quand nous l'avancions autrefois, les protestants nous objectaient que nous faisions de nouveaux articles de foi. Nous répondions : Cela est faux; nous les éclaircissons, nous les déclarons ; mais nous ne les faisons pas, à Dieu ne plaise ! Après s'être longtemps moqué d'une si solide réponse, il y faut venir à la fin comme à tant d'autres doctrines, que la Réforme avait d'abord rejetées si loin. Avouons donc à M. Jurieu que son principe est certain, et prions-le de s'en souvenir en d'autres occasions : mais en celle-ci visiblement il a oublié ce qu'il vient de dire. Une erreur est bien éclaircie, lorsqu'elle est bien réfutée par les Ecritures, que la foi de tous les siècles y paraît manifestement opposée, et qu'à la fin elle est condamnée par l'autorité de l'Eglise et de ses conciles. Or M. Jurieu vient de nous dire qu'encore à présent l'erreur qu'il attribue aux trois premiers siècles ne peut être ni réfutée par l'Ecriture, ni convaincue du moins par la tradition et par le consentement de tous les siècles; et que loin d'être condamnée par aucun concile, elle ne l'est pas même dans celui de Nicée, où la matière a été traitée, délibérée , décidée expressément : qu'au contraire elle y a été confirmée. Il n'est donc encore arrivé à cette matière aucun nouvel éclaircissement, par où l'erreur des trois premiers siècles soit moins tolérable qu'alors. Bien plus, ce n'est pas même une erreur contre la foi, puisque M. Jurieu nous apprend qu'elle ne peut être détruite que par les idées philosophiques que nous avons aujourd'hui. Or la foi n'est pas d'aujourd'hui, elle est de tous les temps : la foi n'attend pas à se former, ni à se régler par les idées philosophiques ; et il est autant tolérable d'être Mauvais philosophe, pourvu qu'on soit vrai fidèle,

 

1 Tabl., lett. VII, p. 351.

 

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maintenant, que dans les siècles précédents : et la raison est que la foi tient lieu de philosophie aux chrétiens : ainsi M. Jurieu ne sait ce qu'il dit, et on ne sait sur quoi appuyer son intolérance ; par conséquent voilà en un mot sa première raison par terre ; la seconde ne tiendra pas plus longtemps.

Les Pères n'étaient, dit-il, ni sociniens ni ariens; donc pour les avoir tolérés, on ne doit pas pour cela avoir la même condescendance pour ces hérétiques. Il est aisé de lui répondre selon ses premières Lettres. Les anciens à la vérité n'étaient ni ariens ni sociniens à la rigueur ; mais ils disaient toutefois que les trois Personnes divines n'étaient pas égales; qu'elles n'étaient pas distinctes les unes des autres de toute éternité ; que le Fils de Dieu n'était qu'un germe et une semence devenue personne dans la suite, et enfin que la Trinité ne commença d'être qu'un peu avant la création de l'univers : ce qui emportait une partie très-essentielle de l'arianisme et du socinianisme. Il les eût pourtant tolérés avec ces erreurs, comme on a vu : il eût donc toléré une partie essentielle de l'erreur arienne et socinienne.

Mais on dira qu'il s'est mieux expliqué dans les Lettres de cette année. Point du tout : car il persiste dans la même erreur sur l'inégalité des Personnes, puisqu'il y soutient encore que les anciens, dont il reconnaît que la doctrine est irréprochable, font le Fils et le Saint-Esprit inférieurs au Père en opération et en perfection ; de vrais ministres au-dessous de lui, produits dans le temps, et si librement selon quelque chose qui est en eux, qu'ils pouvaient n'être pas produits à cet égard ; imparfaits dans l'éternité , et acquérant avec le temps leur entière perfection ; le Fils de Dieu en particulier devenu Verbe dans le temps, de Sagesse qu'il était auparavant. Voilà ce que dit encore le ministre dans ces Lettres où il prétend redresser son système. Il est vrai qu'il s'est redressé en quelque façon sur la distinction des Personnes : parlons franchement ; il s'est dédit : et au lieu que la Trinité n'était pas distincte d'abord et selon ses premières Lettres, par les secondes elle est seulement développée : mais il ne se tire pas mieux d'affaire par cette solution, puisque de son propre aveu la Divinité y demeure divisible, corporelle, sans contestation

 

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muable ; ce qui est une partie des plus essentielles de l'erreur socinienne, ou quelque chose de pis.

Il est ici arrivé à M. Jurieu ce qui lui arrive toujours, comme à tous ceux qui se trompent et qui s'entêtent de leur erreur. Occupé et embarrassé de la difficulté où il est, il oublie les autres. Il songe à parer le coup de l'arianisme des Pères; et comme si la saine doctrine consistait toute en ce point, dans les autres il la laisse sans défense et également exposée à des coups mortels. Parlons net : la spiritualité et l'immutabilité de l'Etre divin , ne sont pas moins essentielles à la perfection de Dieu que la Divinité de son Verbe. Si donc vous souffrez l'erreur qui attaque cts deux attributs divins, de l'un à l'autre on vous poussera sur tous les points ; et dussiez-vous en périr, il vous faudra avaler tout le poison de la tolérance. Votre seconde raison n'est donc pas meilleure que la première. Il ne vous reste que la troisième, qui est sans comparaison la pire de toutes.

« Quand il serait vrai, dites-vous, ce qui est très-faux, que ces anciens par ignorance (il ajoute après, ou par surprise ) seraient tombez dans une erreur approchante de l'arianisme, il ne serait point vrai que ce fut la foi de l'Eglise d'alors : ce serait la théologie des philosophes chrétiens (1). » Songez-vous bien, M. Jurieu, à ce que vous dites? Les tolérants vont vous accabler. Dans une hérésie aussi dangereuse que l'arianisme, ou dans les erreurs approchantes , vous tolérez les Pères à cause de leur ignorance : c'est pour la même raison et en plus forts termes que les tolérants vous demandent que vous tolériez les peuples. Si dans la grande lumière du christianisme, les docteurs de l'Eglise ont pu ignorer dans la nature divine sa parfaite immutabilité, et dans les Personnes divines leur égalité entière : pourquoi ne voulez-vous pas qu'un peuple grossier puisse ignorer innocemment les mêmes choses ou d'autres aussi sublimes? Mais si l'immutabilité de Dieu, qui est si claire à la raison humaine, a été cachée aux maîtres de l'Eglise, pourquoi les disciples seront-ils tenus à en savoir davantage, et avec quelle justice les obligez-vous à concevoir des mystères plus impénétrables? Que faire dans cette occasion,

 

1 Lett. VII, p. 355.

 

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puisqu'il faut changer de principes, ou donner gain de cause aux tolérants ? Mais voici encore pour vous un autre embarras. Dites-moi, que prétendiez-vous quand vous avez étalé ces grossières erreurs des anciens ? Assurément vous vouliez combattre cette dangereuse et ignorante maxime de l'évêque de Meaux, « que l'Eglise ne varie jamais dans l'exposition de la foi : et que la vérité catholique, venue de Dieu, a d'abord sa perfection (1).» Pour détruire cette maxime, il fallait trouver quelque chose qu'on pût appeler la foi de l'Eglise et la vérité catholique , où vous puissiez montrer quelque changement; et pour cela vous accusez d'erreurs capitales tous les anciens « sans en excepter aucun; » il faut maintenant changer de langage : cela était bon contre l'évêque de Meaux, mais contre les tolérants ce n'est plus de même : et quand toute l'antiquité serait tombée dans une erreur approchante de l'arianisme, «ce ne serait pas, selon vous, la foi de l'Eglise d'alors, mais seulement la théologie des philosophes chrétiens (2). »

Le ministre se sera sans doute ébloui lui-même, comme il tâche de faire les autres par cette nouvelle expression : La théologie des philosophes. Mais que lui sert d'exténuer par ce faible titre la qualité des saints Pères? Les tolérants, qu'il veut contenter par ce grossier artifice, sauront bien lui reprocher que ces philosophes chrétiens c'étaient les prêtres, c'étaient les évêques, les docteurs elles martyrs de l'Eglise : enfin c'étaient ces savants de M. Jurieu, qui dans ces siècles d'ignorance « où le savoir était si rare entre les chrétiens, entraînaient la foule dans leur opinion (3). » En un mot, ou c'était ici par la bouche de ces saints docteurs une exposition de la foi de tonte l'Eglise ; et le ministre ne peut s'empêcher du moins de la tolérer : ou c'était l'exposition de quelques particuliers ; et il n'a point prouvé contre moi les variations de l'Eglise.

Mais voici sa dernière ressource. Au milieu de ces pitoyables erreurs de tous les docteurs de l'Eglise, sans en excepter aucun, il veut que la foi demeure pure; et, dit-il (4), « ces spéculations vaines et guindées des docteurs de ce temps-là n'empêchaient pas

 

1 Hist. des Var., préf., n. 2, 7 ; Tabl., lett. VI, art. 4, p. 277. — 2 Tabl., lett. VII, p. 555. — 3 Lett. VII, de 1689, p. 49. — 4 P. 269.

 

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la pureté de la foi de l'Eglise , c'est-à-dire, du peuple ; cela ne passait pas jusqu'à lui. » Jamais il ne voudra voir la difficulté : car premièrement, quelle faiblesse de mettre l'Eglise et la pureté de la foi dans le peuple seul ! « Cela, dit-il !, n'empêchait pas la pureté de la foi de l'Eglise, c'est-à-dire, du peuple : » comme si les pasteurs et les docteurs, et encore des docteurs martyrs, n'étaient pas du moins une partie de l'Eglise, si ce n'était pas la principale. Cela, dit-il, ne passait pas jusqu'au peuple. Mais quoi ! ne lisait-il pas les livres de ses docteurs ? Et qui a dit à M. Jurieu que ces docteurs n'enseignaient pas de vive, voix ce qu'ils mettaient par écrit ? Je veux bien croire que les docteurs ne prêchaient pas au peuple leurs spéculations vaines et guindées, comme les appelle le ministre : mais venons au fait. Par où passait dans le peuple la perfection et l'immutabilité de Dieu avec l'égalité de ses personnes, pendant que ses docteurs ne les croyaient pas, et n'en avaient qu'une idée confuse et fausse? Est-ce peut-être que durant ce temps, et dans ces siècles que le ministre veut appeler les plus purs, le peuple se sauvait déjà, comme il l'imagine dans les siècles les plus corrompus, en croyant bien pendant qu'on le prêchait mal, et en discernant le bon grain d'avec l'ivraie? S'il est ainsi, ces siècles, dont on nous vante d'ailleurs la pureté, sont les plus impurs de tous, puisque les erreurs qu'on y enseignait étaient plus mortelles ; puisque c'était l'essence de Dieu et l'égalité des Personnes qu'on y attaquait, puisqu'enfin on y renversait tous les fondements. Ces siècles avaient donc besoin d'un réformateur, et le ministre en convient par ces paroles : « Car, dit-il (2), il n'eût fallu qu'un seul homme pour faire revenir les anciens Pères, et pour les avertir seulement de l'incompatibilité de leur théologie avec la souveraine immutabilité de Dieu. » Mais enfin cet homme manquant, que pouvaient-ils faire? L'Ecriture ne leur montrait pas ce divin attribut : ils ne furent pas assez philosophes pour le bien entendre ; le peuple moins philosophe encore n'y voyait pas plus clair : que résultait-il de là , sinon que Dieu passât pour changeant, et la Trinité pour imparfaite?

 

1 P. 269. — 2 Lett. VII, p. 356.

 

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Le ministre croit m'étonner en me demandant si je prêche à mon peuple les notions, les relations, les propriétés des trois divines Personnes ; et il est assez ignorant pour se moquer en divers endroits de ces expressions de l'Ecole (1). Mais que veut-il dire? veut-il nier qu'au lieu qu'il est commun au Père et au Fils, par exemple, d'être Dieu et d'être éternel, il ne soit pas propre au Père d'être Père, comme au Fils d'être Fils, et que cela ne s'appelle pas des propriétés; ou qu'être Père, être Fils, et être l'Esprit du Père et du Fils, ne soient pas des termes relatifs; ou que les Personnes divines n'aient pas des caractères pour se distinguer, ou que ce ne soient pas caractères qu'on appelle notions? S'il lisait les anciens docteurs dans un autre esprit que celui de contention et de dispute, il aurait vu dans saint Athanase, dans saint Augustin, dans tous les Pères, et dès le commencement de l'arianisme dans saint Alexandre d'Alexandrie, ces relations, ces propriétés, ces notions et ces caractères particuliers des Personnes. Il s'imagine que nous croyons avoir compris le mystère , quand nous avons expliqué ces termes, au lieu que dans l'usage de l'Ecole ce ne sont pas là des idées qui rendent les choses claires, ce qui est réservé à la vie future ; mais des termes pour en parler correctement et éviter les erreurs. C'est pourquoi, lorsqu'il me demande si je prêche tout cela au peuple dans mes catéchismes, sans doute je prêche au peuple et aux plus petits de l'Eglise, selon le degré de capacité où ils sont parvenus , que le Père n'a point de principe, c'est-à-dire en autres termes qu'il est le premier, et qu'il ne faut pas remonter jusqu'à l'infini : c'est cela et les autres choses aussi assurées qu'on appelle les notions sans en faire un si grand mystère ; et le ministre qui s'en moque sans songer à ce qu'il dit, les doit prêcher comme nous, en d'autres termes peut-être, mais toujours dans le même sens. Sans donc s'arrêter à ces chicanes, il faudrait une fois répondre à notre demande, qui est-ce qui prêchait au peuple l'égalité des Personnes et l'immuable perfection de l'Etre divin, pendant que tous les docteurs croyaient le contraire? Le ministre dit à pleine bouche : « Nous trouvons dans les premiers siècles une beaucoup plus

 

1 Tabl., lett. VI, p. 268, 270, 286.

 

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grande pureté que dans les âges suivants, et nous nous faisons honneur de notre conformité avec eux (1). » Cela est bon pour s'en faire honneur, et pour faire croire au peuple qu'on a réformé l'Eglise sur le plan de ces premiers siècles. Mais cependant s'il faut trouver des variations dans la foi de l'ancienne Eglise, c'est là qu'on les cherche ; s'il faut donner des exemples des plus pauvres théologiens qui furent jamais, c'est là qu'on les prend. Ils ont si peu profité du bonheur d'être si voisins des temps apostoliques, qu'aussitôt après que les apôtres ont eu les yeux fermés, ils ont obscurci les principaux articles de la religion chrétienne par une fausse et impure philosophie. Pour comble d'aveuglement ils ne lisaient que Platon et ne lisaient point l'Ecriture , ou ils la lisaient sans application, et sans y apercevoir ce qu'elle avait de plus clair, c'est-à-dire, les fondements de la religion.

Pour ne rien omettre de considérable, il reste à examiner si en bonne théologie, et sans blesser la foi, le ministre a pu approuver ce qu'il attribue à Tertullien, que Dieu a fait son image et son Verbe (2) qui est son Fils. Il y a là deux questions : l'une si Tertullien l'a dit; l'autre quand il l'aurait dit, s'il était permis de le suivre. Le dernier n'a pas de difficulté par les principes communs des protestants comme des catholiques, puisque nous recevons les uns et les autres le Symbole de Nicée, où il est dit expressément du Fils de Dieu, engendré et non fait. Dire donc qu'il a été fait, c'est aller contre la foi de Nicée qui nous sert de fondement aux uns et aux autres. J'en pourrais demeurer là, si le ministre en m'insultant à cet endroit sur mon esprit déclamatoire. dont il veut qu'on trouve ici un si grand exemple (3), n'avait mérité qu'on découvrît son injuste fierté. Disons-lui donc qu'il n'y avait rien de plus manifeste que ce qu'il a voulu embrouiller ici. Dès le premier mot de saint Jean, le Verbe est celui par qui a été fait tout ce qui a été fait (4). Il est donc visiblement exclus par là du nombre des choses faites. Comme remarque saint Athanase on nous dit bien qu'il a été fait Christ, qu'il a été fait Seigneur (5),

 

1 Tabl., lett. VI, p. 296, 297. — 2 Lett. VI, de 1689, p. 44; I Avert., n 12. — 3 P. 286. — 4 Joan., I, 3. — 5 Act., II, 30.

 

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qu'il a été fait homme ou fait chair (1) ; mais jamais qu'il a été fait Verbe, ni qu'il a été fait Fils : au contraire, il était Verbe et il a été fait homme, par une visible opposition entre ce que le "Verbe était naturellement et ce qu'il a été fait par la volonté de Dieu. Mais il faut ici répéter ce qu'un proposant de quatre jours n'ignore pas, et que le ministre sait bien en sa conscience, puisqu'il a même bien su que quarante ans, comme il le compte, après les apôtres, Athénagore avait nié que le Fils fût sorti du sein de son Père comme une chose faite (2), assurant au contraire qu'il a été engendré (3), comme l'Ecriture le dit perpétuellement. Il cite aussi de saint Irénée ce passage mémorable où il oppose les hommes qui ont été faits au Verbe dont la co-existence est éternelle (4). Ainsi il voit bien qu'il a tort et que le langage contraire à celui qu'il tient est établi dans l'Eglise dès l'origine du christianisme. Pourquoi donc a-t-il approuvé, après tant de témoignages et après la foi de Nicée, ce qu'il fait dire à Tertullien, que Dieu a fait son Fils et son Verbe ? C'est parce qu'il ne songe pas à ce qu'il dit, et qu'en matière de foi il n'a nulle exactitude. Et pourquoi le soutient-il? C'est parce qu'il ne veut jamais avouer sa faute. Il nous allègue pour toute raison que souvent faire, signifie engendrer en notre langue (5); ce qu'il prouve par cette noble façon de parler que les hommes font des enfants et les animaux des petits. Ainsi malgré l'Ecriture, malgré la tradition, malgré la foi de Nicée, il dira quand il lui plaira (j'ai honte de le répéter), que Dieu a fait un Fils, et portera jusque dans le ciel la plus basse façon de parler de notre langue; au lieu qu'il fallait songer qu'il s'agit ici non d'une phrase vulgaire, mais du langage ecclésiastique, qui formé sur l'Ecriture et l'usage de tous les siècles, doit être sacré aux chrétiens, surtout depuis qu'il est consacré par un aussi grand concile que celui de Nicée. Cependant je suis un déclamateur, parce que je veux obliger un professeur en théologie à parler correctement ; et il fait semblant de croire que c'est sur cette seule témérité que je me plains qu'on lui souffre tout dans son parti, comme si tout ce qu'il écrit depuis

 

1 Joan., I,  14. — 2 Tabl., lett. VI, p. 23. — 3 Ibid., 232. — 4 Iren., lib. II, cap. XLIII, al. XXV, n. 3. — 5 Tabl., lett. VI, p. 286.

 

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deux ans, principalement sur cette matière, n'était pas plein d'erreurs si insupportables qu'il n'y a qu'à s'étonner de ce qu'on les souffre.

Pour ce qui regarde Tertullien, quand il lui serait échappé d'employer une fois ou deux le mot de faire, au lieu de celui d'engendrer, il faudrait mettre cette négligence parmi celles que saint Athanase a remarquées dans les écrits de quelques anciens (1), où une bonne intention supplée à une expression trop simple et trop peu précautionnée. Car au reste, Tertullien dans le livre le plus suspect, qui est celui contre Hermogène, a bien montrai qu'à l'exemple des autres Pères, il exceptait le Fils de Dieu du nombre des choses faites, comme celui par qui tout était fait (2) ; et il ne dit pas absolument dans son livre contre Praxéas ce que le ministre lui a fait dire, que Dieu a fait son Fils et son Verbe. On peut bien dire, comme je l'ai remarqué (3), que Dieu est fait, non absolument, mais, comme dit le Psalmiste, qu'il est fait notre recours et notre refuge (4). Il est clair par toute la suite, que le faire de Tertullien (5) se dit en ce sens. Ce que le ministre ajoute, qu'ici faire signifie former, n'est pas meilleur et ne sert qu'à faire voir de plus en plus qu'on se jette d'un embarras dans un autre, quand on veut toujours avoir raison ; car on ne dira non plus dans le langage correct que Dieu ait formé son Fils ni son Saint-Esprit, parce que cela ressent quelque chose qui était informe auparavant : et il n'y a que M. Jurieu qu'une telle idée accommode. On dit avec l'Ecriture que le Fils est engendré ; qu'il est né ; et par un terme plus général qui convient aussi au Fils, on dit que le Saint-Esprit procède. Dieu qui dispense comme il lui plaît selon les règles de sa sagesse la révélation de ses mystères, n'a pas voulu que nous en sussions davantage sur la procession du Saint-Esprit. On ne dit pas qu'il est né, car il serait Fils ; et le Fils de Dieu ne serait pas unique comme il l'est selon l'Ecriture ; et c'est pourquoi le ministre ne devait pas dire en parlant du Fils ou du Saint-Esprit, que les anciens les faisaient produits librement à l'égard de leur seconde naissance (6); car jamais ni dans

 

1 Athan., orat. III et IV.— 2 Tertull., adv. Hermog. cap. XIX et seq.— 3 I Avert., n. 12. — 4 Psal. IX, 10. — 5 Adv. Prax., n. 9.— 6 Tabl., lett. VI, p. 265.

 

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l'Ecriture, ni dans les auteurs ecclésiastiques, il n'entendra parler de la nativité du Saint-Esprit, ni de la première ni delà seconde, puisqu'il en veut donner jusqu'à deux à celui qui n'en a pas même une seule. Un homme qui tranche si fort du théologien, et qui s'érige en arbitre de la théologie de son parti, où il dit tout ce qu'il lui plaît sans être repris, ne devait pas ignorer ces exactitudes du langage théologique formé sur l'Ecriture et sur l'usage de tous les siècles.

Ainsi manifestement il ne lui reste aucune réplique contre les tolérants. Il n'y a plus de proposition si hardie et si téméraire contre la personne du Fils de Dieu qui ne doive passer, s'il est permis non de tolérer, mais d'approuver expressément celle qui le met au rang des choses faites. Si le Symbole de Nicée n'est pas une règle, on dira et on pensera impunément tout ce qui viendra dans l'esprit ; on sera contraint de se payer des plus vaines subtilités; et ce qu'on aura souffert au ministre Jurieu, te grand défenseur de la cause sera la loi du parti.

Enfin ma preuve est complète. Il est plus clair que le jour que le ministre n'a pu établir les variations qu'il cherchait dans l'ancienne Eglise sans renverser tous les fondements de sa propre communion. Son argument foudroyant s'en va en fumée ; il ne faut plus qu'il cherche de variations dans la véritable Eglise, puisque celle-ci qu'il croyait la plus certaine lui échappe ; et tous ses efforts n'ont abouti qu'à donner gain de cause aux tolérants : ainsi il tombe à leurs pieds défait par lui-même, et percé de tous les coups qu'il a voulu me porter.

Cependant pour étourdir le lecteur il met les emportements et les vanteries à la place des raisons. Car, à l'entendre, je suis accablé sous ce terrible argument : « M. de Meaux n'y répond, dit-il (1), que par des puérilités et par des injures. Il a fait précisément comme une bête de charge, qui tombant écrasée sous son fardeau, crève, et en mourant jette des ruades pour crever ce qu'elle atteint. » Je n'ai rien à lui répliquer, sinon qu'il a toujours de nobles idées. Vous pouvez juger par vous-mêmes, mes chers Frères, si je me donne une seule fois la liberté de m'épancher en

 

1 Tabl., lett. VI, p. 280.

 

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des faits particuliers ou de sortir des bornes d'une légitime réfutation. Mais pour lui, qui le peut porter à raconter tant de faits visiblement calomnieux qui ne font rien à notre dispute, si ce n'est qu'il veut la changer en une querelle d'injures? « Son zèle, dit le ministre (c'est de moi qu'il parle), paraît grand pour la divinité de Jésus-Christ : qui n'en serait édifié? Il y a pourtant des gens qui croient que tout cela n'est qu'une comédie ; car des personnes de la communion de l'évêque de Meaux lui ont rendu méchant témoignage de sa foi. » Mais par quelle règle de l'Evangile lui est-il permis d'inventer de tels mensonges? Est-ce qu'il croit que dès qu'on n'est pas de la même religion, ou 'qu'on écrit contre quelqu'un sur cette matière, il n'y a plus, je ne dirai pas de mesures d'honnêteté et de bienséance, mais de vérité à garder, en sorte qu'on puisse mentir impunément, et imputer tout ce qu'on veut à son adversaire ; ou bien quand on n'en peut plus, qu'on soit en droit pour se délasser, de lui dire qu'il ne croit pas la divinité de Jésus-Christ, et qu'il fait de la religion une comédie ? « Des gens de ma communion me rendent mauvais témoignage sur ma foi. » Qui sont-ils ces gens de ma communion ? Depuis vingt ans que je suis évêque, quoiqu'indigne, et depuis trente ou trente-cinq ans que je prêche l'Evangile, ma foi n'a jamais souffert aucun reproche : je suis dans la communion et la charité du Pape, de tous les évêques, des prêtres, des religieux, des docteurs, et enfin de tout le monde sans exception ; et jamais on n'a ouï de ma bouche ni remarqué dans mes écrits une parole ambiguë, ni un seul trait qui blessât la révérence des mystères. Si le ministre en sait quelqu'un, qu'il le relève : s'il n'en sait point, lui est-il permis d'inventer ce qu'il lui plaît? Et qu'il ne s'imagine pas en être quitte pour avoir ici ajouté: « Je ne me rends pas garant de ces ouï-dire : seulement puis-je dire que le zélé qu'il fait paraître pour les mystères ne me persuade pas qu'il en soit persuadé (1). » Voilà son style. Un peu après, sur le sujet du landgrave, il ose m'accuser de choses que l'honnêteté et la pudeur ne me permettent pas de répéter. Comme il sait bien que ce sont là des discours en l'air et des calomnies sans fondement,

 

1 Tabl., lett. VI, p. 300.

 

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il apaise sa conscience et se prépare une échappatoire, en disant : « Je n'en sais rien : je veux croire qu'on lui fait tort (1). » Il me semble que j'entends celui qui en frappant de sa lance, et en jetant les traits de ses calomnies, s'il est surpris dans le crime de nuire frauduleusement à son prochain, dit : Je l'ai fait en riant (2). Celui-ci, après avoir lancé ses traits avec toute la violence et toute la malignité dont il est capable, et après les avoir trempés dans le venin de la plus noire calomnie, dit à peu près dans le même esprit : Je n'en sais rien, je ne garantis pas : mais s'il n'en savait rien, il fallait se taire, et n'alléguer pas, comme il fait, pour toute preuve des ouï-dire, ou quand il lui plaît, la réputation (3), à qui il fait raconter ce qu'il veut, et qu'on n'appelle pas en jugement.

Mais puisqu'il ne veut pas nommer ses auteurs ni ces gens de ma communion, qui lui ont rendu de si mauvais témoignages de ma foi, je veux apprendre ce secret au public. Un religieux, curé dans mon diocèse dont je l'ai chassé, non pas, comme il s'en est vanté, à cause qu'il penchait à la Réforme prétendue, car je ne lui ai jamais remarqué ce sentiment ; mais parce que souvent convaincu d'être incapable de son emploi, il m'a supplié lui-même de l'en décharger : ce curé ne pouvant souffrir la régularité de son cloître où je le renvoyais, s'est réfugié entre les bras de M. Jurieu, qui s'en vante dans sa Lettre pastorale contre M. Papin : « Plus d'ecclésiastiques, dit-il (4), se sont venus jeter entre nos bras depuis la persécution, qu'il n'y en a eu en quatre-vingts ans de paix. » Nous en connaissons quelques-uns de ces malheureux ecclésiastiques, qui nous avouent tous les jours avec larmes et gémissements qu'en effet ils ont été chercher dans le sein de la Réforme de quoi contenter leur libertinage. Parmi les ecclésiastiques que M. Jurieu se glorifie d'avoir reçus entre ses bras, celui-ci, tout misérable qu'il est, a été l'un des plus importants ; et c'est lui qui sous la main de ce ministre a publié un libelle contre moi, où il avance entre autres choses dignes de remarque, que je ne crois pas la transsubstantiation, à cause, dit-il, qu'il m'a vu à la

 

1 Tabl., lett. VI, p. 300. — 2 Prov., XXVI, 19. — 3 P. 281, 301. — 4 Lett. past. cont. Pap., p. 1.

 

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campagne et dans ma chapelle domestique entendre la messe quelquefois avec un habillement un peu plus aisé que ceux qu'on porte en public, quoique toujours long et régulier, et que ma robe (car il descend jusqu'à ces bassesses) n'était pas assez boutonnée à son gré ; d'où il conclut et répète trois ou quatre fois qu'il n'est pas possible que je croie aux mystères ni à la transsubstantiation. Voilà cet. homme de ma communion, qui à son grand malheur n'en est plus : le voilà, dis-je, celui qui rend un si mauvais témoignage de ma foi: c'est le même qui a raconté à M. Jurieu tout ce qu'il rapporte de ma conduite ; c'est le même qui lui a dit encore que je menais les gens à la messe à coups de barre (1) : car il rapporte dans son libelle qu'il m'a vu en pleine rue menacer et charger d'injures les prétendus réformés qui ne voulaient pas m'en croire, avec un emportement qui tenait de la fureur. M. Basnage a relevé cette historiette fausse en toutes ses parties, et l'a jugée digne d'être placée dans sa préface à la tête de sa Réponse aux Variations. Il est vrai qu'il se dédit dans cette préface de la circonstance d'un garde-fou, sur lequel dans le corps de l'ouvrage il me faisait monter comme sur un théâtre pour y crier des injures aux passants qui refusaient de se convertir (2). Mais enfin au garde-fou près, il soutient tout le reste comme vrai. « On m'a vu forcer un malade à profaner les mystères les plus augustes, et à recevoir le sacrement contre sa conscience; » moi qui n'ai donné les mystères qu'avec les épreuves et les précautions que Dieu sait et que tout le monde a vues. Les ministres prennent plaisir à exagérer mes violences et ma feinte douceur avec aussi peu de vérité que le reste qu'on vient d'entendre ; pour éloigner s'ils pouvaient ceux à qui je tâche dans l'occasion, et lorsque Dieu me les adresse, d'enseigner la voie de salut en toute simplicité ; et tout cela sur la foi d'un apostat qui peut-être leur a déjà échappé, et dont en tout cas je puis leur répondre qu'ils seront bientôt plus las que moi qui l'ai supporté avec une si longue patience. Nous ne laisserons pas cependant de purger l'aire du Seigneur; et puisque ces Messieurs se glorifient d'en ramasser la paille, ils pourront recueillir encore d'un si grand nombre de

 

1 Tabl., lett. VI. — 2 Basn., tom. I, I part., cap. I, p. 1, 4.

 

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bons et de fidèles pasteurs trois ou quatre loups dont j'ai délivré le troupeau de Jésus-Christ, et il ne tiendra qu'à M. Jurieu d'enrichir de leurs faux rapports le récit qu'il a commencé de ma conduite.

Je ne dirai rien davantage sur ses calomnies : tout le monde s'en plaint dans son parti où il se rend redoutable par ce moyen : venons à des matières plus importantes. Il me reste encore à traiter la partie la plus essentielle de cet Avertissement, qui est l'état de nos controverses et de la religion protestante. Mais pour donner du repos à l'attention du lecteur, je réserve cette matière à un discours séparé. Il est digne par son sujet d'être examiné et travaillé avec soin. Il paraîtra pourtant bientôt, s'il plaît à Dieu : et ceux qui ont de la peine à me voir si longtemps aux mains avec un homme aussi décrié, même parmi les honnêtes gens de son parti, que le ministre à qui j'ai affaire, peuvent s'assurer qu'après avoir ajouté ce dernier éclaircissement aux matières très-essentielles qu'il m'a donné lieu de traiter, je ne reprendrai plus la plume contre un tel adversaire, et je lui laisserai multiplier ses paroles, et répandre à son aise ses confusions.

 

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