Promesses à l'Eglise II
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SECONDE INSTRUCTION PASTORALE
SUR
LES PROMESSES DE JÉSUS-CHRIST

A SON ÉGLISE,
 

OU RÉPONSE AUX OBJECTIONS D'UN MINISTRE,
CONTRE LA PREMIÈRE INSTRUCTION.

 

REMARQUES  Sur le Traité du ministre, et premièrement sur ce qu'il autorise le schisme.

REMARQUES  SUR LE FAIT DE PASCHASE RADBERT,  Où le ministre tâche de marquer une innovation positive.

REMARQUES  SUR LE FAIT DES GRECS.

REMARQUES  SUR L'HISTOIRE DE L'ARIANISME.

RÉPONSE  A diverses calomnies qu'on nous fait sur l'Ecriture et sur d'autres points.

CONCLUSION  ET ABRÉGÉ DE TOUT CE DISCOURS.

 

Jacques-Bénigne, par la permission divine Evêque de Meaux : aux nouveaux catholiques, salut et bénédiction.

 

« Heureux qui trouve un ami fidèle, et qui annonce la justice à une oreille attentive (1) ! » C'est à cette béatitude que j'aspire dans cette Instruction. J'ai proposé dans la précédente les promesses de Jésus-Christ prêt à retourner au ciel, d'où il était venu, pour assurer ses apôtres de la durée éternelle de leur ministère ; et j'ai montré que cette promesse, qui rend l'Eglise infaillible, emporte la décision de toutes les controverses qui sont nées, ou qui pourront naître parmi les fidèles. Les ministres demeurent d'accord que si l'interprétation des paroles de Jésus-Christ est telle que je la propose, ma conséquence est légitime; mais ils soutiennent que je l'ai prise dans mon esprit, et que la promesse de Jésus-Christ n'a pas le sens que nous lui donnons. Il m'est aisé de faire voir le contraire; et si vous voulez m'écouter, mes chers Frères, j'espère de la divine miséricorde de vous rendre la chose évidente. Pourrez-vous me refuser l'audience que je vous demande au nom et pour la gloire de Jésus-Christ? Il s'agit de voir si ce divin Maître aura pu mettre en cinq ou six lignes de son Evangile

 

1 Eccli., XXV, 12.

 

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tant de sagesse, tant de lumière, tant de vérité, qu'il y ait de quoi convertir tous les errants, pourvu seulement qu'ils veulent bien nous prêter une oreille qui écoute, et ne pas fermer volontairement les yeux. Ce discours tend uniquement à la gloire du Sauveur des âmes ; et il n'y aura personne qui ne le bénisse, si l'on trouve qu'il ait préparé un remède si efficace aux contestations qui peuvent jamais s'élever parmi ses disciples.

Qu'on ne dise pas que c'est mie matière rebattue, et qu'il serait inutile de s'en occuper de nouveau : point du tout. Un ministre habile vient de publier un livre sous ce titre : Traitez des préjugez faux et légitimes : ou Réponse aux Lettres et Instructions pastorales de quatre prélats : MM. de Souilles, cardinal, archevêque de Paris ; Colbert, archevêque de Rouen; Bossuet, évêque de Meaux; et Nesmond, évêque de Montauban: divisé en trois tomes : à Delft, chez Adrien Beman : M. DCCI.

On serait d'abord effrayé de la longueur de ces trois volumes, d'une impression fort serrée, si on allait si; persuader que j'en entreprenne la réfutation entière. Non, mes Frères, l'auteur de cette Réponse a mis à part ce qui me touche, et c'est à quoi est destiné le livre IV du tome II (1). Dès le commencement de son ouvrage, il en avertit le lecteur par ces paroles : « Enfin l’Instruction pastorale de M. de Meaux, contenant les promesses que Dieu a faites à l'Eglise, a paru lorsque l'édition de cet ouvrage était déjà fort avancée. Elle entrait si naturellement dans notre dessein, que nous n'avons pu nous dispenser d'y répondre; » et un peu après : « M. de Meaux sait effectivement choisir ses matières : celle de l'Eglise lui a paru susceptible de tous les ornements qu'il a voulu lui donner; et si les aimées ont diminué le feu de son esprit et la vivacité de son style, elles ne l'ont pas éteint. On a tâché de prévenir les effets que l'éloquence et la subtilité de ce prélat pouvaient faire dans l'esprit des peuples, en faisant dans le quatrième livre (du tome II) une discussion assez exacte des avantages qu'il donne à l'Eglise et à ses pasteurs (2). »

Ces avantages, que je donne à l'Eglise et à ses pasteurs, ne

 

1 Tom. II, p. 537. — 2 Tom. I, Avert., n. 3.

 

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sont autres que ceux qui leur sont donnés par Jésus-Christ même, lorsqu'il promet d'être tous les jours avec eux jusqu'à la fin de l'univers : je m'attache uniquement à ce texte, pour ne point distraire les esprits eu diverses considérations. C'est en vain que le ministre insinue que, tout affaibli que je suis par les années, on a encore à se délier de l'éloquence et de la subtilité qu'il m'attribue. Il sait bien en sa conscience que cet argument est simple, il n'y a qu'à considérer avec attention les paroles de Jésus-Christ dans leur tout, et ensuite l'une après l'autre. C'est ce que je ferai dans ce discours plus uniment que jamais. Je n'ai ici besoin d'aucuns ornements ni d'aucune subtilité, mais d'une simple déduction des paroles de l'Evangile.

J'avoue que les traités de controverse ont quelque chose de désagréable. S'il ne fallait qu'instruire en simplicité de cour ceux qui errent apparemment de bonne foi, de tels ouvrages apporteraient une sensible consolation; mais on est contraint de parler contre les ministres, qu'on voudrait pouvoir épargner comme les autres errants, puisqu'enfin ce sont des hommes et des chrétiens; et on serait heureux de ne pas entrer dans les minuties, dans les chicanes, dans les détours artificieux dont ils chargent leurs écrits. Il n'y a point de bon cœur qui ne souffre dans œs disputes, et qui ne plaigne le temps qu'il y faut donner; mais comment refuser à la charité ces lâcheuses discussions? Puisque donc on ne peut s'en dispenser sans dénier aux errants le secours dont ils ont besoin, éloignons du moins de ces traités tout esprit d'aigreur : faisons si bien qu'on ne perde pas, s'il se peut, la piste de l'Evangile. C'est à quoi je dois travailler principalement dans ce discours, où je me propose d'en expliquer les promesses fondamentales. Elles consistent en sept ou huit lignes; et afin qu'on ne puisse plus les perdre de vue, je commence par les réciter : « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et dans la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voilà, je suis tous les jours avec vous par cette toute-puissance) jusqu'à la lin du monde (1). »

 

1 Matth., XXVIII, 18-20.

 

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Si je trouve dans cette promesse faite aux apôtres et à leurs successeurs les avantages qui ne leur appartiennent pas, il sera aisé de le remarquer, puisque l'auteur a pris soin de les ramasser dans un livre particulier, qui est le quatrième de son ouvrage, « avec une discussion assez exacte. » Le soin qu'il prend d'avertir son lecteur qu'il n'écrit point pour les théologiens et pour les savants, et que c'est ici « une pièce destinée au peuple (1),» nous fait entendre quelque chose de simple et de populaire, qui par là doit être aussi très-intelligible. Dieu soit loué : si l'on tient parole, nous n'avons point à examiner des arguments trop subtils, où le peuple ne comprend rien, et l'auteur se va renfermer dans les vérités dont tout le monde est capable. Il répète dans le corps du livre : « Nous n'écrivons pas pour les savants, trop versez dans cette matière pour y recevoir instruction ; mais pour un peuple, qui a perdu ses livres et l'habitude de parler de ces matières, et d'en entendre parler (2). » On lui va donc composer un livre où il retrouve ce qu'il a perdu de plus simple, de plus nécessaire et de plus clair dans les autres. Les savants et les curieux ne sont point appelés à cette dispute ; c'est aux peuples qu'on veut montrer la voie du salut dans les avantages que Jésus-Christ a promis à leurs pasteurs, afin de les diriger sans péril, comme sans discussion, dans les voies de la vérité et du salut éternel. Comme ma preuve dans ce dessein doit être formelle et précise, le peuple le plus ignorant la doit voir sans beaucoup de peine; mais en même temps si les réponses du ministre ne sont manifestement que de vains détours, elles ne feront que montrer à l'œil la faiblesse de la cause qu'il veut soutenir. Refuser une ou deux heures de temps ou quelque peu davantage, si la chose le demandait, à la considération d'un passage de l'Evangile dont le sens est si aisé à entendre et dont le fruit sera la décision de toutes les controverses, ne serait-ce pas à la fois vouloir s'opposer à son salut éternel, à la gloire de Jésus-Christ, à la vérité des promesses qu'il a laites en termes si clairs à son Eglise et à ses pasteurs?

Dès le premier chapitre du livre IV le ministre croit révolter

 

1 Avert., n. 3.— 2 Tom. I, chap. II, n. 1, p. 125.

 

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contre moi tous les esprits en disant : « M. de Meaux réduit tout à un seul point de connaissance, qui est l'autorité de l'Eglise. Tout, dit-il, consiste à bien concevoir six lignes de l'Evangile, où Jésus-Christ a promis en termes simples, précis, aussi clairs que le soleil (1),» d'être tous les jours avec les pasteurs de son Eglise jusqu'à la fin des siècles (2). Le ministre s'écrie ici : « Dieu a donc grand tort d'avoir fait de si gros livres et de les avoir mis entre les mains de tout le monde. Six lignes : que dis-je six lignes? Six mots gravés sur une planche à Rome auraient levé toutes les difficultés, puisqu'il devait y avoir à Rome une succession d'hommes infaillibles, et qu'il n'y a point de curé dans l'Eglise qui puisse changer sa doctrine. » N'embrouillons point les matières : il ne s'agit ni de Rome, ni de l'infaillibilité de ses papes, dont le ministre sait bien que nous n'avons jamais fait un point de foi, ni de celle que le ministre veut imaginer que nous donnons aux curés et aux pasteurs en particulier : il est question de savoir si la sagesse de Jésus-Christ est assez grande pour renfermer en six lignes de quoi trancher tous les doutes par mi principe commun et universel. Oui osera contester à Jésus-Christ cet avantage? « Mais, dit-on, si tout est réduit à six lignes, Dieu a donc grand tort d'avoir fait de si gros livres : » comme qui dirait : Si, après avoir récité deux préceptes de la charité, qui n'ont pas plus de six lignes, Jésus-Christ a prononcé « qu'en ces deux préceptes, » c'est-à-dire dans ces six lignes, «était renfermée toute la loi et les prophètes (3) : » Si saint Paul a poussé plus loin ce mystérieux abrégé, en disant que tout était compris dans ce seul mot : Diliges, etc. (4), pourquoi fatiguer le monde à lire ces gros livres des Ecritures, et obliger les prophètes à multiplier leurs prophéties? Si conformément à cette doctrine, saint Augustin a enseigné que l'Ecriture ne commande que la charité et ne défend que la convoitise, pourquoi mettre tant de grands volumes entre les mains des fidèles? Comme donc Dieu a donné un abrégé de toute la doctrine des mœurs qu'il a comprise en six lignes, ainsi Jésus-Christ en a donné un pour ce qui

 

1 Tom. II, liv. IV, n. 13, p. 553. — 2 Matth., XXVIII, 20. — 3 Ibid., XXII, 40. — 4 Rom., XIII, 9.

 

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regarde la foi, en comprenant dans six lignes toutes les voies qui nous mènent à la vérité, et ne demandant autre chose sinon que l’on reçoive les enseignements qui se trouveront perpétués dans la succession des pasteurs, avec qui il sera « tous les jours, » depuis les apôtres jusqu'à nous et « jusqu'à la fin du monde. »

Il ne faut donc pas s'étonner que Jésus-Christ ait renfermé en six lignes tant de sagesse et le remède de tant de maux. Au reste ce que ce ministre trouve si étrange, n'est pas seulement accordé par les catholiques, mais encore par les protestants. Je n'en connais point parmi eux de plus éclairé que Bullus, prêtre protestant anglais, le défenseur invincible de la divinité du Fils de Dieu et de la foi de Nicée contre les sociniens, à qui il oppose en ces termes l'autorité infaillible du concile de Nicée. « Si, dit-il , dans un article principal, on s'imagine que tous les pasteurs de l'Eglise auront pu tomber dans l'erreur et tromper tous les fidèles, comment pourrait-on défendre la parole de Jésus-Christ, qui a promis à ses apôtres, et en leurs personnes à leurs successeurs, d'être toujours avec eux? Promesse, poursuit ce docteur, qui ne serait pas véritable, puisque les apôtres ne dévoient pas vivre si longtemps, n'était que leurs successeurs sont ici compris en la personne des apôtres mêmes (1). » Voilà donc manifestement l'Eglise et son concile infaillible, et son infaillibilité établie sur la promesse de Jésus-Christ entendue selon nos maximes. Si l'on dit que c'est là produire en témoignage un particulier protestant, qui parle contre les principes de sa religion, c'est ce qui l'ail voir que ce n'est pas nous qui inspirons de tels sentiments, mais qu'on les prend dans le fonds commun du christianisme, quand on combat naturellement pour la vérité, comme faisait ce savant auteur contre ses ennemis les plus dangereux.

Mais ce n'est plus un particulier ; c'est tout un synode qui oppose aux remontrants, lorsqu'ils rejetaient l'autorité des synodes qu'on assemblait contre eux : « que Jésus-Christ, qui avait promis à ses apôtres l'esprit de vérité, avait aussi promis à son Eglise d'être toujours avec elle : » d'où il tire cette conséquence, « que lorsqu'il s'assemblerait de plusieurs pays des pasteurs pour

 

1 Bull., Def. fid. Nic., proœm., n. I.

 

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décider, selon la parole de Dieu, ce qu'il faudrait enseigner dans les églises, il fallait avec une ferme confiance se persuader que Jésus-Christ serait avec eux selon sa promesse (1). » C'est un synode qui parle : il n'est que provincial, je l'avoue; mais il est lu et approuvé par le synode de Dordrecht, où toute la Réforme était assemblée sans en excepter aucun pays ; en sorte qu'on l'appelait le synode comme œcuménique de Dordrecht. Qui leur inspirait ce langage si contraire aux maximes de leur religion? D'où leur venait cette ferme confiance : confiance « selon la promesse, » et par conséquent selon l'expression de saint Paul (2), confiance selon la foi, plus inébranlable que les fondements de la terre, quoique soutenue du doigt de Dieu? C'est que les hommes se trouvent souvent imprimés de certaines vérités fortes qu'ils ne suivent pas. Ils posent le principe : ils ne peuvent soutenir la conséquence. Les philosophes connaissent e pouvoir immense de Dieu : ils n'ont pas la force de l'adorer, et se perdent dans leurs pensées : le Juif croit Miellée, qui lui annonce la venue du Christ dans Bethléem (3) ; il n'a pas le courage de s'élever à sa naissance éternelle avec le même prophète. Notre ministre demeure d'accord « qu'il ne faut jamais quitter l'Eglise de Dieu : Où est, dit-il, l'homme assez fou, pour contester qu'on ne doive toujours demeurer dans l'Eglise de Dieu? Il vaudrait autant demander s'il est permis de se damner (4). » Voilà de belles paroles, mais qui s'en vont en fumée et se réduisent à rien, si l'on ne fait qu'éluder toutes les expressions des promesses faites à l'Eglise, pour en venir à conclure qu'on « se peut sauver dans le schisme (5), » loin de vouloir demeurer dans l'Eglise de Dieu, comme la suite le fera paraître.

Mais il faut considérer d'abord comme le ministre incidente sur chaque parole des promesses de Jésus-Christ. Répétons-les donc encore une fois ; et n'oublions pas sur toutes choses qu'elles commencent par ces termes, qui sont l’âme et le soutien de tout le discours : « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et dans la terre, » ce qu'il continue en cette sorte : « allez donc » avec

 

1 Sym. Delph., Act. Dordr., p. 66. — 2 Rom., IV, 13, 16, 19, 20, etc. — 3 Mich., V, 2. — 4 Avert., n. 3. — 5 Ci-dessous, n. 30, etc., 66, etc.

 

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la foi et la certitude que doit inspirer un tel secours : « allez, enseignez les nations, et les baptisez au nom du Père et du Fils et ! du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voilà je suis avec vous . » par cette toute-puissance à laquelle rien n'est impossible, «je suis, dis-je, avec vous; j'y suis tous les jours jusqu'à la fin du monde (1). » Osez tout, entreprenez tout, allez par toute la terre y attaquer toutes les erreurs ; ne donnez de bornes à votre entreprise ni dans les lieux ni dans les temps. Votre parole ne sera jamais sans effet : « Je suis avec vous : » le monde ne pourra vous abattre : le temps, ce grand destructeur de tous les ouvrages des hommes, ne vous anéantira pas ; « je suis avec vous, » moi le Tout-Puissant, dès aujourd'hui, « tous les jours, et jusqu'à la fin du monde. »

Ces paroles portent la lumière jusque dans les coeurs les plus ignorants : embrouillons-les donc, disent vos ministres. C'est ce que va entreprendre avec plus d'adresse que jamais celui qui m'attaque; et voici par où il commence: «M. de Meaux, qui soutient que ces deux mots : « Je suis avec vous, » sont simples, précis, clairs comme le soleil, et qu'ils n'ont besoin d'aucun commentaire, est obligé d'y en faire un, dans lequel il insère ses préjugez et fait dire à Jésus-Christ ce qui lui plaît (2).» Voyons, lisons, examinons s'il y a un seul mot du mien dans ce qu'il appelle mou commentaire. « Il y trouve ( M. de Meaux ) une Eglise toujours visible, comme une chose qui est sortie avec emphase de la bouche de Jésus-Christ. » Laissons l'emphase qu'il ajoute, et voyons si j'explique bien les paroles du Fils de Dieu : «Il ne faut pas demander : c'est ainsi, dit-il, que M. de Meaux l'ait parler ce divin Maistre, si le nouveau corps, la nouvelle congrégation, c'est-à-dire la nouvelle Eglise que je vous ordonne de former, sera visible, étant comme elle le doit être, composée de ceux qui donnent les sacrements et de ceux qui les reçoivent. Cependant, poursuit le ministre, Jésus-Christ n'a rien dit de semblable. » Il n'a rien dit de semblable, mes Frères? L'a-t-on pu penser, que la distinction expresse de ceux qui enseignent et de ceux qui sont enseignes. de ceux qui baptisent et de ceux qui sont baptisés,

 

1 Matth., XXVIII. 18-20. — 2 Tom. II, liv. IV, chap. II. n. 3, p. 559.

 

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n'eût rien de semblable à une Eglise visible? A quoi donc est-elle semblable? A une Eglise invisible? La fausseté suite aux yeux : la prédication de la parole est comprise en termes formels sous cette expression : Enseignez: l'administration des sacrements n'est pas moins évidemment contenue sous le baptême qui en est la porte; ce sont là les caractères propres et essentiels qui rendent l'Eglise visible : tous les chrétiens, sans en excepter les protestants, l'entendent ainsi. C'est donc ici une chose qui non-seulement est semblable à l'Eglise visible, mais qui est l'Eglise visible elle-même.

Passons et écoutons le ministre. « M. de Meaux trouve encore ici l'Eglise composée de toutes les nations jusqu'à la fin des siècles (1). » Eh! de quoi sera donc formée, d'où sera tirée, de qui sera composée cette Eglise, dont les pasteurs ont reçu cet ordre : « Allez par tout le monde, prêchez l'Evangile à toute créature (2) : » et encore : « Allez, enseignez toutes les nations (3)? » Mais, direz-vous, il n'exprime pas que l'Eglise, qu'il a dessinée par ces paroles, sera jusqu'à la fin composée de toutes les nations : non, sans doute ; il ne dit pas non plus que moi, que toutes les nations y seront toujours actuellement rassemblées ; mais les apôtres et leurs successeurs ne cesseront de prêcher et d'annoncer l'Evangile à toutes les nations, au sens que saint Paul disait après le Psalmiste : «Le bruit que fait leur prédication (celle des apôtres) retentit par toute la terre, et la voix s'en fait entendre par tout l'univers (4) ; » et encore : « Votre foi est annoncée par tout le monde (5) ; » et encore : « L'Evangile est parvenu jusqu'à vous, comme il est dans tout l'univers, et y fructifie, et y croît, comme parmi vous (6) » Il ne dit pas que tout le monde doive croire à la fois : « Cet Evangile doit être prêché ou sera prêché (successive ment) par toute la terre, en témoignage à toutes les nations ; et après viendra la fin (7). » C'est Jésus-Christ même qui parle, et il donne à son Eglise le terme de la fin de l'univers, pour porter a toute la terre la lumière de l'Evangile.

Mais tous croiront-ils? Non, répond saint Paul : « Tous

 

1 Tom. II, liv. IV, chap. II, n. 3, p. 559. — 2 Marc, XVI, 15 — 3 Matth., XXVIII, 19. — 4 Rom., X, 18. — 5 Ibid., I, 8. — 6 Coloss., I, 6. — 7 Matth. , XXIV, 14.

 

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n’obéissent pas à L'Evangile, selon que dit Isaïe : Seigneur, qui croira Les choses que nous avons ouïes? Mais je dirai : N'ont-ils pas ouï? puisqu'il est écrit : Le bruit s'en est fait entendre par toute la terre (1). » S'il y a des particuliers qui ne croient pas à L'Evangile, qui doute qu'il n'y ait aussi des nations, puisqu'on en trouve même, « à qui l'esprit de Jésus ne permet pas de prêcher (2) » durant de certains moments? Allez donc chicaner saint Paul et Jésus-Christ même, et alléguez-leur la Chine, comme vous laites sans cesse, et si vous voulez les Terres Australes, pour leur disputer la prédication écoutée par toute la terre : tout le monde, malgré vous, entendra toujours ce langage populaire qui explique par toute la terre le monde connu, et dans ce monde connu une partie éclatante et considérable de ce grand tout : en sorte qu'il sera toujours véritable que ce sera de ce monde que l'Eglise demeurera toujours composée, et que la fin du monde la trouvera, « enseignant et baptisant les nations, » et recueillant de chaque contrée ceux que Dieu lui voudra donner.

Voilà ce commentaire chimérique qu’on m'accuse de faire à ma fantaisie des promesses de Jésus-Christ, quand je n'allègue que saint Paul et Jésus-Christ lui-même pour les expliquer. Mais voici encore une autre partie de ce commentaire des promesses de l'Evangile. « M. de Meaux y trouve une Eglise qui subsistera rangée sous un même gouvernement, c'est-à-dire sous l'autorité des mêmes pasteurs; » à quoi le ministre ajoute, en insultant : « Le simple ne voyait point cela dans le texte de saint Matthieu (3),» comme qui dirait : Le simple n'y voyait pas que le troupeau serait gouverné par les enseignements des apôtres, à qui il est dit : « Allez, enseignez, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. » Le simple ne voyait pas que c'est là le gouvernement ecclésiastique : le simple ne voyait pas que toute l'autorité des pasteurs devait consister à donner les sacrements, ou bien à les refuser aux indignes, selon qu'ils écouteraient ou qu'ils n'écouteraient pas la prédication de leurs pasteurs, ce que ce même ministre conclut enfin par cette amère raillerie : « Le peuple ne voyait pas toutes ces choses : il avait besoin d'un autre

 

1 Rom., X, 16. — 2 Act. XVI, 6, 7. — 3 Tom. II, p. 559.

 

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soleil, c'est-à-dire de M. de Meaux, pour l'éclairer, et pour lui découvrir ce qui est plus clair que le soleil (1). » Il fallait un « nouveau soleil » pour apprendre au peuple, que partout où il y a prédication, sacrement, gouvernement ecclésiastique, il y a une Eglise visible à qui appartiennent les promesses, puisque c'est à elle, en termes formels, qu'elles sont adressées par le Sauveur du monde.

Mais écoutons encore où le ministre se réduit : « Pesons, dit-il, toutes les paroles de Jésus-Christ, comme M. de Meaux les a pesées, et par ce moyen nous en découvrirons le sens et la vérité (2). » C'est là, mes Frères, ce que je prétends; et puisque votre ministre le prétend aussi, c'est pour lui que je vous demande une audience particulière.

« Premièrement, M. de Meaux borne cette promesse aux pasteurs de son Eglise, quoiqu'elle soit commune à tous les fidèles, avec lesquels Jésus-Christ sera jusqu'à la consommation des siècles. » Il produit saint llilaire et saint Chrysostome, et se donne la peine de prouver ce que personne ne contesta jamais. Quand j'ai dit que la promesse de Jésus-Christ s'adressait directement aux pasteurs, j'ai pour garant Jésus - Christ, qui leur dit lui-même : « Enseignez et baptisez. » Il parle donc directement à ceux qu'il a préposés à la prédication et à l'administration des sacrements. Mais tout cela est fait pour le peuple : « Tout est à vous, dit saint Paul, soit Paul, soit Céphas, soit Apollos (3). » Nous ne sommes que les ministres de votre salut, dont la dispensation nous est commise. Jésus-Christ est avec les apôtres pour le profit des fidèles : les fidèles sont donc compris dans la promesse : « Je vous prie, dit-il, mon Père, non-seulement pour ceux-ci ; » c'est-à-dire pour mes apôtres, « mais encore pour tous ceux qui croiront en moi par leur parole  (4). » On voit qu'il prie pour les fidèles en les attachant aux apôtres. On n'a pas besoin d'alléguer saint Hilaire, ni saint Chrysostome; la chose parle d'elle-même; et le profit des fidèles sous Le ministère marque clairement la pari qu'ils ont à la promesse, encore qu'elle se trouve directement

 

1 Tom. II, p. 560. — 2  Ibid., n. 4, p. 560. — 3 I Cor., III, 22. — 4 Joan., XVII, 20.

 

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adressée à leurs pasteurs, comme il fallait pour établir l'autorité, aussi bien que l'éternité de leur ministère.

Ecoutez donc les paroles, et prenez l'esprit et l'intention des promesses de Jésus-Christ : « Je suis avec vous, » qui enseignez, qui administrez les sacrements et qui gouvernez par ce moyen le peuple fidèle : « Je suis avec vous, » et votre ministère subsistera : « Je suis avec vous, » et je bénirai ce ministère : il sera saint et fructueux; et ne cessera jamais de l'être, parce que je promets, moi qui peux tout, et ma promesse immuable sera tout ensemble l'objet et le soutien de la foi.

Ne croyez donc pas qu'il ne promette que l'extérieur du ministère : c'est bien ce qu'il exprime nommément dans sa promesse : mais l'effet intérieur, les grâces intérieures y sont attachées et renfermées, parce que Jésus-Christ est toujours présent pour donner efficace à sa parole et à ses sacrements, comme il sera plus amplement expliqué en son lieu.

Le ministre poursuit en cette sorte : « Jésus-Christ, le meilleur de tous les interprètes, a l'ait la même promesse aux laïques (qu'aux pasteurs), en leur disant qu'ils demeureront en lui, et lui en eux. L'union est intime, réciproque, et marque une durée éternelle. Cependant quoique Jésus-Christ ait promis aux fidèles une union éternelle, M. de Meaux ne voudrait pas soutenir que les laïques auront toujours une lumière éclatante et une connaissance pure de la vérité : et lui qui nous fait un si grand crime de la justice inamissible et de la persévérance des saints, devrait avoir conclu que si Dieu, malgré sa promesse de demeurer dans les saints, les laisse tomber dans le crime, et du crime sous la puissance du démon, il peut aussi laisser son Eglise dans l'erreur et le vice, malgré cette parole: « Je suis avec vous(1). »

Il ne faudrait point mêler tant de choses, si l'on voulait éclaircir plutôt qu'embrouiller la question. Surtout il ne faudrait point, confondre ensemble la doctrine de « l'inamissibilité de la justice avec celle de la persévérance des saints, » ni avancer, ce qui n'est pas, que je fais un crime de l'une comme de l'autre. La doctrine

 

1 Tom. II, 560

 

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de la persévérance n'a jamais été révoquée en doute. Celle de l'inamissibilité de la justice est particulière aux calvinistes; et par le peu qu'en dit notre ministre, on doit sentir qu'elle est impie. « L'union, dit-il, que Jésus-Christ promet aux laïques est intime, réciproque et d'une éternelle durée; néanmoins maigre sa promesse de demeurer dans les saints, il les laisse tomber dans le crime et sous la puissance du démon; ainsi le laïque en qui Jésus-Christ demeure, avec qui son union est intime, réciproque, et d'une éternelle durée (1), » est en même temps dans le crime et sous la puissance de l'enfer : en faudrait-il davantage pour quitter une religion, où l'on enseigne des absurdités, disons, des impiétés si manifestes?

L'application de l'auteur aux promesses faites à l'Eglise n'est pas moins étrange, et il faudra dire que, par la même raison qu'un particulier peut être dans le même temps uni intimement à Jésus-Christ et sous la puissance du démon, par cette même raison la société des pasteurs se trouvera par l'erreur, par la corruption et enfin en toutes manières sous la puissance des ténèbres, pendant que « tous les jours sans interruption Jésus-Christ serti avec elle: quelle convention y aura-t-il donc avec Jésus-Christ et Bélial (2), » et la Réforme est-elle venue pour les concilier ensemble?

Ouvrez les yeux, mes chers Frères, et voyez que l'on vous amuse, non-seulement en vous proposant des questions hors de propos, mais encore en sauvant une erreur par une autre, au lieu de les condamner toutes deux. Dieu n'a promis à aucun des saints qu'il « ne perdrait jamais la justice ni l'union intime avec lui, » comme l'ont perdue du moins pour un temps un David, un Salomon, un saint Pierre. Dieu n'a promis à aucun des saints, comme il a fait à l'Eglise entière, « d'être » avec lui « tous les jours, » c' est-à-dire sans la moindre interruption, « et jusqu'à la fin des siècles : » le terme de la fin des siècles, qu'il donne à son assistance, dénote l'Eglise telle qu'elle est en ce monde, visible par toute la terre, à qui il donne pour caractère de sa visibilité la prédication et les sacrements, et lui promet de la conserver « tous

 

1 Tom. II, p. 560. — 2 II Cor., VI, 15.

 

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les jours» en cet état, tant que l'univers subsistera. A-t-il dit quelque chose de semblable de son union avec aucun saint particulier? Ecoutons : « Vous êtes purs encore, dit le Sauveur, demeurez en moi et moi en vous (1) ; » tant que vous serez en moi, je serai en vous : est-ce à dire : Vous y serez toujours? Point du tout, puisqu'il vient de dire : « Vous êtes encore purs, » pour insinuer qu'ils cesseraient bientôt de l'être, leur chef en le reniant et tous en tombant dans l'incrédulité pendant le scandale de la croix. Il poursuit : « Qui demeure en moi et moi en lui, portera beaucoup de fruit (2):» qui en doute? Mais voulait-il dire que pendant le temps de leur incrédulité, « ils dussent demeurer en lui et lui en eux;» et porter des fruits de vie éternelle, pendant qu'au contraire ils ne produisaient que des fruits d'incrédulité et de mort? Le disciple bien-aimé prononce : « Dieu est amour :» et ainsi « quiconque demeure dans l'amour, demeure en Dieu et Dieu en lui (3). » Qui ne le sait pas? On y demeure en effet tant qu’on aime d'un vrai amour. Est-ce à dire qu'on «aime» toujours, et qu'on « demeure toujours en Dieu » sans aucune interruption, même en reniant, en maudissant et en jurant qu'on ne commit pas Jésus-Christ? Qui osera prononcer un tel blasphème? Reconnaissez donc, encore un coup, que les passages qu'on vous allègue n'ont rien de commun avec celui dont il s'agit, où Dieu promet sans réserve, ni restriction à son Eglise visible, à la communion des pasteurs et des troupeaux, d'être avec elle « tous les jours, » et que le monde périra avant qu'il les abandonne.

Et remarquez, mes chers Frères, que je ne vous jette ni dans des discours inutiles ou d'une grande recherche, ni dans des questions ou subtiles ou étrangères : seulement je pèse avec vous parole à parole les promesses de Jésus-Christ, sans qu'il faille ouvrir d'autres livres que l'Evangile, ou que jusqu'ici il s'y trouve la moindre difficulté : voyons si votre ministre en use de même.

« M. de Meaux, poursuit-il, applique la promesse de Jésus-Christ uniquement aux pasteurs et aux évêques latins .» On vous amuse, mes Frères : je ne distingue dans la promesse ni Latins

 

1 Joan., XV, 3, 4. — 2 Ibid., 5. — 3 I Joan., IV, 16. — 4 Tom. II, n. 5, p. 561.

 

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ni Grecs, et j'y comprends également tous les pasteurs grecs, latins, scythes et barbares, qui succéderont aux apôtres sans aucune interruption, et sans avoir changé leur doctrine par aucun fait positif. Ainsi ce qu'on dit des Grecs jusqu'ici demeure inutile: il faudra seulement nous souvenir d'examiner en son lieu la foi des Grecs, et s'il est vrai qu'ils n'aient jamais abandonné la succession : ce qui ne regarde ni l'examen ni l'intelligence de la promesse dont il s'agit, considérée en elle-même.

Laissons donc en surséance, pour un peu de temps, ce qui regarde l'application de la promesse ou aux Latins ou aux Grecs, ou aux autres peuples particuliers, puisqu'il n'en est rien dit dans cette promesse, et continuons à peser les propres paroles qu'elle contient.

« C'est assez parler des personnes, continue votre ministre, venons au fond. Jésus-Christ promet à l'Eglise qu'il sera toujours avec elle : ce terme : Avec elle, dit M. de Meaux, marque une protection assurée et invincible de Dieu : » ce qu'il avoue en disant : « Il a raison jusque-là (1). » Si j'ai raison jusque-là, je tire deux conséquences : l'une, que l'Eglise visible sera toujours; l'autre, qu'elle sera toujours attachée aux pasteurs qui prendront la place des apôtres, et que l'erreur y sera toujours exterminée. C'est ici que votre ministre cite ces paroles de mon Instruction : « Ceux qui voudront être enseignés de Dieu, n'auront qu'à vous croire, comme ceux qui voudront être baptisés n'auront qu'à s'adresser à vous (2). » A cela, quelle réponse? Le ministre avoue « que Dieu peut suppléer à tous nos besoins par sa présence, quand il veut (3); mais, ajoute-t-il, il ne le l'ait pas toujours. Où est donc cette protection assurée et invincible, que j'ai raison de reconnaitre dans ces paroles : « Je suis avec vous? » Et comment est-elle assurée, si Dieu pouvant la donner, il ne le veut pas?

Pour montrer que ces paroles : « Je suis avec vous, » emportent une protection assurée autant qu'invincible, j'allègue ce qui fut dit par l'ange à Gédéon : « Vous sauverez Israël, parce que je suis avec vous : » et je produis en même temps plusieurs

 

1 Tom. II, liv. IV, cap. III. n. 1. p. 566. — 2 1ère Instruct. pastor., n. 5. —3 Ibid., p. 507.

 

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sages où cette parole : « Je suis avec vous, » marque un effet toujours certain (1). Le ministre n'a pu le nier, comme on a vu; mais sur l'exemple de Gédéon, il répond deux choses : La première : « Comme tous ceux avec-qui Dieu est, n'ont pas la force de Gédéon pour tuer miraculeusement six vingt mille hommes dans une bataille, ainsi quoique Dieu soit avec les successeurs des apôtres, il ne s'ensuit pas qu'ils doivent étendre comme eux l'Eglise jusqu'au bout du monde, ni avoir la même autorité qu'eux (2). » C'est la première réponse ; voici la seconde : « Comme la présence de Dieu, qui était avec Gédéon, ne l'empêcha pas de faire un éphod, après lequel Israël idolâtra, ce qui fut un lacet à sa maison (3), ainsi la présence de Dieu dans l'Eglise n'empêche pas que ses principaux chefs n'introduisent en certains lieux l'erreur, et ne rendent l'Eglise très-obscure par leur idolâtrie. » Vous le voyez, mes Frères, il n'a pas osé pousser à bout sa conséquence : pour la tirer toute entière, il devait conclure que tous les pasteurs pourraient tomber dans l'idolâtrie : il n'a osé le conclure que des principaux. Il devait encore conclure « que toute, l'Eglise devait être obscure par l'idolâtrie : » il a évité ce blasphème, qui ferait horreur, et n'ose livrer à l'idolâtrie « que de certains lieux, » ce qui n'empêcherait pas la pureté du culte dans le gros. Il a donc lui-même senti la défectuosité manifeste de son principe, qu'il n'a osé pousser à bout : mais quoi qu'il en soit, ses deux réponses vont tomber sans ressource par un seul mot.

Cette parole : « Je suis avec vous, » n'emporte « de garde assurée et de protection invincible » que dans l'effet pour lequel Dieu l'a prononcée, et pour lequel il a promis d'être avec nous. C'était à l'effet de défaire les Madianites et d'en délivrer Israël, que Dieu était avec Gédéon : aussi cet effet n'a-t-il pas manqué, et les Madianites ont été taillés en pièces par ce capitaine : c'était aussi à l'effet d'enseigner la vérité et d'administrer les sacrements, que Jésus-Christ devait être tous « les jours et jusqu'à la fin du monde » avec ses apôtres et leurs successeurs : cet effet est donc celui qui n'a pu manquer; autrement il ne sert de rien d'avoir

 

1 1ère Instr. past., n. 5. — 2 Tom. II, p. 567, 568. — 3 Judic., VIII, 27.

 

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avec soi le Tout-Puissant, si l'on peut perdre l'effet pour lequel il assure qu'il y est et qu'il y sera toujours. Appliquons la même chose à l'éphod érigé par Gédéon ; l'effet de cette promesse : « Je suis avec vous, » était accompli par la défaite des Madianites, pour laquelle elle était donnée : l'éphod, qui vient si longtemps après, n'appartient pas à cette promesse ; et le ministre, qui nous le produit, abuse trop visiblement de votre créance.

« M. de Meaux, poursuit le ministre, devait remarquer que Dieu avait promis à l'Eglise judaïque d'être éternellement avec elle, d'y mettre son nom à jamais : et néanmoins que cette présence n'a pas empêché ni sa ruine, ni que pendant qu'elle a duré, il n'y ait eu des abominations et des idolâtries jusque dans le temple, et que les prêtres et les sacrificateurs ne se soient corrompus (1). »

Pour procéder nettement, je distingue ici deux difficultés : l'une qu'on tire de la ruine de l'Eglise judaïque, et l'autre qu'on tire de sa corruption pendant qu'elle subsistait.

Pour la ruine, il est vrai que Dieu avait dit « qu'il mettrait son nom à jamais dans le temple de Salomon ; » et, ce qu'il y a de plus fort, «qu'il y aurait tous les jours ses yeux et son coeur : » promesse qui ne paraît pas de moindre étendue que celle de Jésus-Christ dont nous parlons. Voilà du moins l'argument de votre ministre dans toute sa force. Remarquez pourtant, mes chers Frères, qu'il n'a osé citer ce passage entier, de peur d'y trouver sa confusion. Lisons-le donc tel qu'il est : « Je mettrai mon nom à jamais dans cette maison, et j'y aurai tous les jours mes yeux et mon cœur. Si tu marches dans mes voies, comme a fait ton père David, j'établirai ton trône à jamais. Si au contraire vous et vos enfants cessez de me suivre et adorez des dieux étrangers . j'arracherai Israël de la terre que je leur ai donnée, et je rejetterai de devant ma face le temple que j'ai consacré à mon nom, en sorte qu'Israël sera la risée et la fable de tout l'univers, et que ce temple sera en exemple à tous les peuples du monde (2). » On vous a tu, mes chers Frères, la condition expressément apposée

1 Tom. II, p. 567, etc., 674, etc. — 2 III Reg., IX, 3 et seq. ; II Paral., VII, 15, 16.

 

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à la promesse de la synagogue : et vous ne voulez pas voir la différence entre cette promesse absolue : « Et voilà je suis avec vous tous les jours ; » et celle-ci : « J'y serai, si vous faites bien. »

Votre ministre objecte souvent: Quoi donc! ne faudra-t-il point quitter l'Eglise, si elle tombe dans l'idolâtrie et dans l'erreur? Autre illusion, puisque c'est là précisément ce qui est exclus comme impossible par cette promesse absolue : « Je suis avec vous tous les jours : » étant choses visiblement incompatibles, et que Jésus-Christ soit « avec elle tous les jours, » et qu'elle soit quelque jour livrée à l'idolâtrie et à l'erreur, avec lesquelles Jésus-Christ ne demeure pas.

Et pour parler plus à fond, sans nous jeter néanmoins dans des discussions embarrassantes, est-il possible, mes Frères, que vous ne vouliez pas voir que l'Eglise judaïque ou la synagogue par sà condition devait tomber, au lieu qu'au contraire l'Eglise de Jésus-Christ par sa condition devait subsister à jamais malgré les efforts de l'enfer? La chose ne reçoit pas de difficulté. « Dieu promet un nouveau Testament : donc le premier devait vieillir et être aboli (1), » conclu! sain! Paul. « bien promet en Jésus-Christ un nouveau sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech ; » donc il promet en même temps l'abolition de la loi, puisque selon le même saint Paul, « la loi doit passer en même temps que le sacerdoce (2). » Jésus-Christ a lui-même prononcé, selon la prophétie de David, « que la pierre qui devait faire la tète du coin, devait être auparavant rejetée par les Juifs (3); » d'où il devait arriver qu'il serait contraint de leur ôter la vigne, et de la donner à d'autres ouvriers (4). Jésus-Christ a vu aussi dans Daniel « L'abomination de la désolation dans le lieu saint : et, dit-il, que celui qui lit, entende (5), » afin qu'on soit attentif à ce grand mystère. Dans ce mystère était compris le « meurtre du Christ » par les Juifs ; et après ce meurtre, « l'entière dissipation de tout ce peuple, avec l'abomination et la désolation jusqu'à la fin (6). » l’a-t-il donc un aveuglement pareil à celui de régler les promesses faites à l'Eglise par celles de la synagogue, et de ne vouloir jamais

 

1 Hebr., VIII, 8, 9 et seq. — 2 Ibid., VII, 12. — 3 Matth., XXI, 42. — 4 Ibid., 40, 41. — 5 Ma., XXIV. 15. — 6 Dan , IX, 20, 27.

 

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connaître, ni mettre de différence entre celle dont Dieu se retire, et celle à qui il proteste qu'il est toujours avec elle : entre celle à qui il dit : « Je suis avec vous jusqu'à la fin ; » et celle dont il est écrit : « La désolation jusqu'à la fin demeure sur elle. »

Voilà une claire résolution de l'argument que l'on tire de la ruine de la Synagogue : mais on a objecté en second lieu que du moins Dieu était présent dans l'Eglise judaïque tant qu'elle devait subsister, et néanmoins « que cette présence n'a pas empêché que pendant le temps qu'elle a duré, il n'y ait eu des idolâtries et des abominations jusque dans le temple; et que les prêtres et les sacrificateurs ne se soient corrompus (1). » Voilà sans doute votre argument le plus spécieux : mais ouvrez les yeux, mes chers Frères, et voyez avec quelle précision nous y répondons par cette seule demande.

Veut-on que l'Eglise judaïque ait été dans ces obscurcissements tellement abandonnée, que Dieu ne lui laissât aucune visibilité, en sorte qu'on la perdit de vue et que le fidèle ne sût plus à quoi se prendre dans sa communion ? C'est ce qu'il faudrait prouver, et c'est en effet la prétention des ministres. Mais elle est directement opposée à la parole de Dieu. Il n'y a qu'à l'écouter dans Jérémie, où il dit : « Depuis le temps que je vous ai tires de l'Egypte jusqu'à ce jour, je n'ai cessé d'avertir vos pères par un témoignage public, on me levant pendant la nuit et dès le matin et leur envoyant mes serviteurs les prophètes, et ils n'ont pas écoulé (2). » Dieu se compare à un maître vigilant, ou, si vous voulez, à cette femme des Proverbes, « qui se relève la nuit sans laisser éteindre sa lampe (3), » pour mettre à la main d'un chacun de ses domestiques en particulier, et par un soin manifeste, « la nourriture convenable. » Il répète sept et huit fois cette parole pour l'inculquer davantage, et il prend son peuple à témoin qu’il ne leur a jamais manqué, pas même à l'extérieur : et vous voulez qu'à l'extérieur le fidèle qui cherche l'Eglise ne sache durant certains temps à quoi se prendre, non plus qu'un pilote déroulé pour qui ne luit plus l'astre qui doit conduire sa navigation !

 

1 Tom. II, p. 567, 568. — 2 Jer., VII, 13, 15; XI, 7; XXV, 3, 4; XXVI, 5; XXIX, 19 ; XXXV, 14, 15. — 3 Prov., XXXI, 15, 18.

 

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Ne voyez-vous pas que Dieu, non content de leur avoir une fois donné la loi, se lève encore la nuit, tous les jours et dès le matin, pour leur envoyer ses prophètes? Et ne dites pas que ce ministère des prophètes était extraordinaire, ou qu'il n'était pas continu parmi les Juifs. Car c'est démentir l'Ecriture et Dieu même, qui les assure « que, depuis le temps qu'il les a retirés de l'Egypte jusqu'à ce jour (1), » il n'a cessé de les envoyer, ni de parler à son peuple publiquement, nuit et jour; en sorte que rien n'a manqué à leur instruction : et vous voulez qu'il soit moins soigneux de l'Eglise chrétienne, après qu'il l'a assemblée par le sang de son Fils et qu'il l'a affermie par ses promesses? Remarquez encore que ce ministère des prophètes, bien qu'extraordinaire, était ordinaire en ce temps et jusqu'après le retour de la captivité, puisqu'on voit partout la congrégation, le corps, la société, les habitations des prophètes et de leurs enfants; et que ceux qui les voulaient contrefaire, s'ingérant par eux-mêmes dans le ministère prophétique, étaient confondus sur l'heure par les vrais prophètes du Seigneur, comme Hananias par Jérémie (2).

Pour comble de conviction, il faut ajouter qu'à ce ministère, extraordinaire, quoique continu des prophètes, Dieu n'a jamais cessé de joindre le, ministère ordinaire, du sacerdoce établi par Moïse. ; et on ne peut le nier sans démentir Ezéchiel, qui a prononcé ces paroles : « Les sacrificateurs et les lévites, enfants de, Sadoc, qui oui gardé les cérémonies de mon sanctuaire pendant l'erreur des enfants d'Israël, seront toujours devant ma face (3). » Pesez ces mots : « Qui ont gardé et mis en pratique les cérémonies de mon sanctuaire, » et ce qu'on appelle ledroit lévitique et sacerdotal; et encore : « Le sanctuaire sera dans la possession des enfants de Sadoc, qui ont garde mes cérémonies durant l'erreur des autres lévites et des enfants d'Israël (4) : » et vous voulez que durant ce temps le culte fût aboli ?

Remarquez que le sacerdoce d'Aaron était éternel et ne devait jamais discontinuer jusqu'à ce que fût venu le temps destine à sa translation marquée par saint Paul, comme on a vu. Outre

 

1 Jerem., VII, 13, 15; XI, 7; XXV, 3, 4; XXVI, 5 ; XXIX, 19; XXXV, 14, 15 — 2 ibid., XXVIII, 15-17. — 3 Ezech., XLIV, 15. — 4 Ibid., XIVIII, 11.

 

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cette promesse générale, Dieu avait dit en particulier « à Phinées, fils d'Eleazar, fils d'Aaron : Je fais avec lui et avec sa race le pacte d'un sacerdoce éternel (1). » On voit bien qu'il faut toujours sous-entendre une éternité telle qu'elle pouvait convenir à une loi qui par sa constitution devait tomber, comme la loi l'exprime elle-même. Dieu avait encore promis du temps d'Héli et de ses enfants : « Je susciterai un sacrificateur, et je lui édifierai une maison fidèle, et il marchera tous les jours devant mon Christ (2); pour marque que le sacerdoce ne souffrirait point d'interruption dans tous les temps pour lesquels il était établi.

        L'effet suivit la promesse : et non-seulement la race d'Aaron, où le sacerdoce était attaché, ne défaillit pas; mais le Saint-Esprit nous assure que l'observance du culte public demeura dans les plus illustres des pontifes et dans la race de Sadoc, qui servait dès le temps de David et sous Salomon : et vous dites indéfiniment que les sacrificateurs étaient corrompus.

On ne lit en aucun endroit que la circoncision qui mettait les Juifs et leurs enfants sous le joug delà loi, ni les autres cérémonies du temple aient cessé. Les prophètes ne s'en plaignent pas, ni que rien leur eût manqué dans les sacrements de l'ancien peuple.

C'est dans les temps du plus grand obscurcissement et sous Achaz même, qu'Isaïe a prophétisé, comme le porte l'intitulation de sa prophétie (3). C'est dans un autre pareil obscurcissement que Jérémie et Ezéchiel prophétisaient, unis aux prêtres, étant prêtres eux-mêmes : le ministère ordinaire subsistait toujours : les prophètes n'ont jamais fait de séparation, et au contraire ils ralliaient tous les gens de bien dans l'observance du culte public, et extérieur.

Où veut-on que se prononçassent ces jugements solennels contre les rois impies, comme un Achaz, un Manassés et les autres, où l'on condamnait leur mémoire en les privant de la sépulture royale, et Manassés même malgré sa pénitence, à cause du scandale horrible qu'il avait causé; qui, dis-je, prononçait ces jugements si soigneusement marqués dans l'Ecriture (4), s'il n'y avait

 

1 Numer., XXV, 11-13. — 2 I Reg., II, 35. — 3 Isa., II, 1. — 4  II Paral., XXVIII, 27 ; XXXIII, 20.

 

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pas dans l'Eglise un tribunal révéré de toute la nation, où la religion prévalait après les règnes les plus impies?

Voilà des faits , et des faits illustres, et des faits plus éclatants que le soleil, qui font voir qu'au milieu de la défection qui semblait comme universelle et au milieu de la violence de quelques rois, qui empêchaient autant qu'ils pouvaient le culte de Dieu, il subsistait malgré eux et que la vérité se faisait sentir dans le ministère public. Ne dites donc pas avec votre ministre « que l'Eglise était réduite au petit nombre des fidèles, qu'on pouvait à peine distinguer de la génération tortue et perverse (1) » Car quel veut-on qu'ait été. « ce sang innocent que Manassés fit regorger dans Jérusalem (2)? » Ce sang innocent était-ce un sang idolâtre? Etoit-ce le sang de ceux qui se laissaient corrompre par les séductions de ce prince, ou le sang de ceux qui résistaient à ses volontés, et combattaient jusqu'à la mort pour la religion et pour le vrai culte, du nombre desquels on tient que fut Isaïe? Et quoi qu'il en soit pour ce dernier fait, n'est-il pas constant que dans le temps du plus grand obscurcissement, c'est-à-dire sous Manassés, ce n'était pas le sang « d'un petit nombre de fidèles » que ce prince impie répandit, puisqu'il est écrit expressément « qu'il en remplit Jérusalem et qu'elle en avait jusqu'à la gorge (3) :» et on vous dit qu'on ne savait plus où était l'Eglise et qu'on l'avait perdue de vue.

Voici pourtant votre dernier retranchement : c'est d'en appeler an temps de Jésus-Christ, « où l'Eglise se voyait réduite à un petit nombre de fidèles. qu'on ne pouvait plus distinguer qu'avec peine au milieu de la génération tortue et perverse. Cela, dit-il, arriva du temps de Jésus-Christ (4).» Ce sont les propres paroles de votre ministre: mais l'Evangile le dément en ternies formels: et quoique le moment lut venu où l'Eglise judaïque allait être réprouvée. Jésus-Christ, par l'autorité que lui donnaient tant de miracles qui ne laissaient aucune excuse aux incrédules, lui conserva jusqu'au bout le caractère de sa visibilité; en sorte qu'elle ne lui jamais plus reconnaissable. En effet il reconnut dans Jérusalem le siège de la religion, en

 

1 Tom. II. p. 568. — 2 IV Reg., XXI. 16. — 3 Ibid. — 4 Tom. II, p. 568.

 

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l'appelant « la ville du grand Roi (1). » Le zèle qu’il eut pour le temple, dont il chassa les profanateurs (2), démontra la sainteté de cette maison jusqu’à la veille de sa ruine et de l'abomination qu'il reconnaissait devoir être bientôt dans le lieu saint.

Il reconnut la vérité du sacerdoce dans la Synagogue, lorsqu'il y renvoya les lépreux qu'il avait guéris : « Allez, dit-il, montrez-vous aux prêtres (3). »

Il fit porter honneur jusqu'à la fin à la chaire de Moïse, et deux jours devant la sentence qui le condamnait à mort, il disait encore : « Les docteurs de la loi et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse (à cause qu'ils composaient le conseil ordinaire de la nation) : faites donc ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (4) ; » où il fait deux choses : l'une, de déclarer cette chaire pure jusqu'alors des erreurs courantes parmi les docteurs, qu'elle n'avait point passées en dogme; l'autre, d'établir la maxime sur laquelle roule la religion et le remède perpétuel contre tous les schismes, que la corruption des particuliers laisse en son entier l'autorité de la chaire.

Quoique la sentence de mort qu'on prononça contre lui fût le dernier coup de la réprobation de la Synagogue, il voulut que cette sentence eût quelque chose de plus prophétique, à cause « qu'elle fut prononcée par le pontife de cette année, » comme le remarque saint Jean (5) ; et au moment même que la sentence fut prononcée, il fut fidèle à répondre au pontife qui l'interrogeait juridiquement « s'il était le Fils de Dieu (6) : » tant il fut soigneux de garder toute bienséance et toute justice, et de conserver autant qu'il se put à la chaire qui tombait tous les caractères de sa visibilité.

Il est vrai qu'il avait pourvu à l'éternité de son culte, et qu'il avait commencé la nouvelle Eglise visible qui devait durer à jamais, à laquelle il dit aussi bientôt après : « Voilà, je suis avec vous (7). »

Votre ministre continue à éluder ces paroles en disant, « que

 

1 Matth., V, 35. — 2 Ibid., XXI, 12. ; Joan., II, 15, 16 . — 3 Matth., VIII, 4. — 5 Joan., XI, 49-51 ; XVIII, 14. — 6 Matth., XXVI, 63, 64. — 7 Ibid., XXVIII, 20.

 

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le sort de L'Eglise peut changer comme celui des royaumes de la terre : et qu'il suffit que Dieu, dont la présence est intérieure et spirituelle, donne aux persécutez des consolations et des sentiments de son amour qui les soutiennent dans les afflictions, parce qu'il suffit, pour accomplir la promesse de Dieu, que son Eglise subsiste jusqu'à la fin des siècles, et cette Eglise subsiste dans le petit troupeau comme dans la multitude (1). »

Encore un coup, mes chers Frères, on élude la promesse : on abuse des consolations intérieures et spirituelles, pour exclure la nécessité des soutiens extérieurs de la foi, sans laquelle il n'y a point de consolation ni d'intérieur. Or il a plu à Jésus-Christ d'attacher la foi à la prédication et à la perpétuité du ministère visible : en l'ôtant, on vante inutilement les consolations intérieures, puisqu'on les éteint dans leur source. Ainsi il est inutile d'alléguer « le petit troupeau; » et l'on ne prouve rien, si l'on ne montre qu'il n'a pas besoin de tenir à la suite perpétuelle du saint ministère, mais au contraire qu'il doit agir comme en étant détaché : ce qui n'est pas expliquer, mais abolir la promesse.

Le ministre tâche d'établir qu'il n'y a nulle conséquence à tirer des apôtres à leurs successeurs, en marquant trois dons dans les premiers qui ne sont point dans les autres : à savoir, le don des miracles, le don d'infaillibilité et le don de sainteté. Il commence par les miracles, en parlant ainsi : « M. de Meaux veut que l'Eglise jouisse jusqu'à la fin des siècles précisément des mêmes effets de la présence de Dieu et des mêmes privilèges que les apôtres; » ce qu'il réfute en cette sorte: « Dieu était avec les apôtres par une présence miraculeuse; je veux dire qu'il leur donnait la vertu de guérir les malades et de ressusciter les morts (2).» C'est là qu'il allègue ces paroles : « Ils chasseront les démons, ils guériront les malades.» et le reste qu'on peut lire dans saint Marc (3).

    Il n'y a qu'un mot à répondre : Ces paroles et celles-ci de même sens : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, etc., (4) » appartiennent aux grâces extraordinaires, qui constamment et de

 

1 Tom. II. p. 569. — 2 Ibid., 569 et 570. — 3 Marc., XVI, 17, 18. — 4 Matth., X, 8.

 

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l'aveu du ministre même dévoient cesser: on les compare avec celles-ci : « Enseignez et baptisez, » qui sont du ministère ordinaire de tous les jours et inséparable de l'Eglise, auquel aussi Jésus-Christ attache en termes formels la perpétuelle durée : n'est-ce pas vouloir tout confondre, et peut-on montrer un plus visible dessein de trouver de l'embarras où il n'y en a point?

Il n'y a pas moins d'illusion dans ces paroles: « L'onction intérieure donnée à chacun des apôtres, qui leur enseignait toute vérité et les rendait tous infaillibles, était le second effet de la présence de Dieu. » Ainsi pour vérifier la promesse, « il faut que tous les évêques, du moins ceux de l'Eglise latine, qui ont vécu, ou qui vivront jusqu'à la fin du monde, soient purs dans la foi et infaillibles dans la doctrine. » Aussi nous attribue-t-il en cent endroits de son livre (1) l'erreur de faire infaillibles, comme les apôtres, tous les évêques et tous les curés. Mais la réponse est aisée; car qui ne voit que pour accomplir la promesse faite à un corps, on n'est pas astreint à la vérifier dans chaque particulier? C'est assez que le corps subsiste, et que la vérité prévale toujours contre un Arius, contre un Pelage, contre un Nestorius, contre tous les autres errants. Il n'est pas besoin pour cela que tous les évêques soient infaillibles.

Quand Dieu tant de fois a envoyé au combat le camp d'Israël avec la promesse d'une victoire assurée, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ne dût jamais périr aucun des combattants ou des chefs ; et quoiqu'il en tombât à droite et à gauche, l'armée était invincible. Il en est ainsi de l'armée que Jésus-Christ a mise en bataille contre les erreurs. Il ne faut pas s'imaginer que la défection de quelques-uns, quels qu'ils soient, rende la victoire douteuse; autrement les décisions des conciles les plus universels et les plus saints, seraient inutiles par la résistance d'un seul. Cinq ou six évêques l'emporteraient à Nicée contre trois cent dix-huit évêques, avec qui tous les évêques du monde seraient constamment et publiquement en communion. C'est donc aux ministres une témérité inouïe, de venir déclarer à Jésus-Christ que s'il ne

 

1 Tom. II, p. 571 et p. 553,  556, 557, 576, 604, 609, 610, 612, 614, 621, 708, 730, etc.

 

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rend infaillible chaque pasteur, ils ne croient pas qu'il leur ait rien promis. Dieu ne rend pas impeccables tous ceux qu'il préserve du péché : et de même, sans rendre infaillibles tous ceux qu'il conserve dans la profession ouverte de la vérité, c'est assez qu'il sache les moyens de les garantir actuellement de l'erreur. Mais le ministre a trouvé beau d'attribuer cette absurdité, parlons simplement, de donner ce ridicule aux catholiques ; de leur faire dire que pour accomplir la promesse : « Je suis toujours avec vous, » il faut croire que tous les évêques et tous les curés sont infaillibles. C'est ce qu'il répète à chaque page du livre dont je vous expose les illusions : et ainsi plus de la moitié de ce livre tombe, dès qu'il est certain que bien éloigné de rendre infaillibles tous les pasteurs, à quoi nous n'avons jamais seulement pensé, il n'est pas même nécessaire qu'aucun particulier le soit, puisqu'on peut justifier sans tout cela la vérité de la promesse : « Je suis avec vous ; » et qu'il suffit pour produire un si grand effet, que Dieu sache tellement se saisir des cœurs, que la saine doctrine prévale toujours dans la communion visible et perpétuelle des successeurs des apôtres.

Mais voici une troisième absurdité où le ministre voudrait nous pousser, en soutenant que pour vérifier la promesse au sens que nous l'entendons, il faudrait que les successeurs des apôtres suc cédassent tous à leur sainteté comme à leur doctrine. « La pureté des mœurs, dit-il, était un troisième fruit de la présence de Dieu dans les apôtres. Ces saints hommes et leurs successeurs entraînaient les peuples par la lumière de leurs bonnes œuvres.... Cet endroit embarrasse M. de Meaux... M. de Meaux abandonne cette promesse, claire comme le soleil, à l'égard de la sainteté des mœurs si nécessaire à l'Eglise pour la rendre visible, puisque les vices déshonorent l'Eglise de Dieu, et la rendent souverainement obscure et même odieuse aux infidèles (1). » Voilà le discours de votre ministre : mais il m'impose manifestement; cet embarras où il veut me mettre est imaginaire, et quatre articles de notre doctrine exposes en peu de mots, le vont démontrer.

I. L'Eglise enseigne toujours hautement et visiblement la bonne

 

1 Tom. II, n. 7-9, p. 572-574.

 

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doctrine sur la sainteté des moeurs : elle est envoyée pour cela par ces paroles de la promesse dont il s'agit : « Enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé (1) : » ce qui comprend toute sainteté. Elle est toujours assistée pour accomplir ce commandement ; et ces paroles : « Je suis avec vous » ( enseignants et baptisants), en sont la preuve.

II. La doctrine de la sainteté des mœurs n'est jamais sans fruit : c'est ce qui suit des mêmes paroles ; et si Jésus-Christ « est toujours » avec ceux qui prêchent, leur prédication ne sera jamais destituée de son effet.

III. Si donc il y a dans l'Eglise des désobéissants et des rebelles, il y aura aussi des saints et des gens de bien, tant que la prédication de l'Evangile subsistera, c'est-à-dire sans interruption et sans fin.

IV. Encore que le bon exemple des pasteurs soit un excellent véhicule pour insinuer l'Evangile, Dieu n'a pas voulu attacher la marque précise de la vraie foi à la sainteté de leurs mœurs, puisqu'on ne la peut connaître, et que tel qui paraît saint n'est qu'un hypocrite ; et au contraire il l'a attachée à la profession de la doctrine, qui est publique, certaine, et ne trompe pas. «Je suis, dit-il, avec vous » (enseignants) : et encore plus expressément : « Ils sont assis sur la chaire : » ils ont la succession manifeste et légitime, ainsi qu'il a été dit : « Faites donc ce qu'ils vous disent, et ne faites pas ce qu'ils font (2). »

Où est ici l'embarras que l'on m'attribue? Comment peut-on dire que j'abandonne la sainteté des moeurs, moi qui sur l'expresse promesse de Jésus-Christ fais voir l'Eglise enseignant toujours une saine et sainte doctrine : une doctrine toujours féconde par la parole de l'Evangile qui ne cessera jamais d'être en sa bouche ; une doctrine par conséquent qui produit continuellement des saints, et qui renferme tous les saints dans son unité? Telle est la doctrine de l'Eglise catholique. Quel embarras peut-on feindre dans une doctrine si clairement décidée par Jésus-Christ? Vos ministres veulent-ils dire qu'on puisse prescrire contre la règle par les mauvais exemples, ou qu'ils l'empêchent de

 

1 Mattth., XXVIII, 20. — 2 Ibid., XXIII, 2, 3.

 

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résister dans toute sa force? C'est une erreur manifeste, et qui tend à la subversion totale de l'Eglise. Ainsi quelque grande que soit ou puisse être la corruption qu'on imagine dans les mœurs, on ne peut pas dire qu'elle prévale, puisque la règle de la vérité subsistera toujours en son entier.

« M. de Meaux, dit-on, se fait l'objection, et se parle ainsi à lui-même : Pourquoi vous rêtreignez-vous à dire que les erreurs seront toujours exterminées dans l'Eglise, et que n'assurez-vous aussi qu'il n'y aura jamais de vices (1)? » Il est vrai ; je reconnais mes paroles : mais quel embarras contiennent-elles ? Le voici selon le ministre : « Que répond à cela M. l'Evêque? Il reconnaît la puissance de Dieu : mais il ne laisse pas de la borner, parce qu'il faut savoir ce que Jésus-Christ a promis; et que loin de promettre qu'il n'y aurait que des saints dans son Eglise, il nous apprend au contraire qu'il y aurait des scandales (2). » Qu'y a-t-il là, je vous prie, qui me cause le moindre embarras? N'est-il pas vrai que Jésus-Christ a prédit dans son Eglise les scandales que j'ai marqués? Ne voit-on pas dans ses paraboles « les filets remplis de poissons de toutes les sortes, bons et mauvais (3) ? Je borne, dit-on, la puissance de Dieu. » Est-ce la borner que de montrer par l'Evangile, en termes formels, à quoi elle se rêtreint elle-même? Le ministre le nie-t-il? Il ne le fait, ni ne l'ose. Est-ce là une doctrine douteuse et embarrassante? En vérité, mes chers Frères, on vous en impose trop grossièrement, quand on imagine de « tels embarras. »

On demande si Jésus-Christ n'a donc promis que l'extérieur, et s'il ne promet pas en même temps les grâces intérieures et la sainteté dans son Eglise? La réponse est prompte par le discours précédent. Jésus-Christ influe et au dedans et au dehors : il inspire la sainte parole, et il lui donne son efficace. Quand donc il dit : « Je suis avec vous, » il promet également l'un et l'autre : mais il n'a besoin de parler que du ministère extérieur, parce que c'est à ce ministère qu'il a voulu que la grâce intérieure fût attachée, ainsi qu'il a daigné l'expliquer lui-même. Il y aura donc des scandales dans le royaume de Jésus-Christ, puisqu'il l'a

 

1 Tom. II, p. 572. — 2 Ibid., p. 573. — 3 Matth., XIII, 47, 48.

 

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prédit : ces scandales n'empêcheront pas qu'il ne soit avec son Eglise, et que la vérité qu'on y prêchera toujours n'ait son efficace, puisqu'il l'a ainsi promis: la simplicité de cette doctrine ne laisse aucun lieu aux subtilités du ministre.

Mais voici son grand argument : « Si Dieu a menacé son Eglise qu'il y aurait des scandales, le même Dieu lui impose la triste nécessité d'y voir des hérésies : « Il faut qu'il y ait des hérésies entre vous, dit saint Paul (1). » Je réponds : Achevez du moins le passage. Mes chers Frères : « Il faut qu'il y ait des hérésies, afin que ceux qui sont à l'épreuve parmi vous soient manifestés (2). » C'est une épreuve qui opère la manifestation des fidèles, loin de les cacher et de les rendre invisibles. Il faut qu'il naisse des hérésies dans l'Eglise, mais il faut aussi qu'elles y soient condamnées par ceux qui succéderont aux apôtres pour enseigner et pour baptiser ; autrement Jésus-Christ n'est plus avec eux.

On a beau vous répéter cent et cent fois : « Quand le Fils de l'homme viendra, il ne trouvera plus de foi sur la terre; » car premièrement Jésus-Christ n'a point parlé de cette sorte ; il a parlé en interrogeant : « Pensez-vous que le Fils de l'homme trouve de la foi (3)? » Où il interroge les hommes plutôt sur ce qu'ils peuvent penser que sur ce qui sera en effet. Et pour m'expliquer davantage, c'est de votre crû que vous dites : « Il ne parle point des scandales qui naissent de la corruption des mœurs : il nous menace positivement que la foi s'éteindra et qu'il n'y en aura plus sur la terre (4). »

Il s'adoucit pourtant ailleurs (5); mais toujours en supposant sans raison qu'il s'agit de la foi catholique : «S'il n'y a, dit-il, presque plus de foi, il faut que les hérésies aient gagné le dessus (6). » Quelle erreur! Car qui vous a dit qu'il ne parle point de cette foi « qui transporte les montagnes; » de cette foi dont il est écrit : «Ta foi t'a sauvé ; » de cette foi qui se montre par les œuvres; de cette foi qui rend le cœur pur, et qui justifie le pécheur ; de cette foi, en un mot, «qui opère par la charité, » selon qu'il est dit en un autre endroit qui regarde comme celui-ci la fin du monde :

 

1 Tom. II, p. 574-576. — 2 I Cor., XI, 10. — 3 Luc. XVIII, 8.— 4 Tom. II, p. 678. — 5 Ibid., p. 620, 677, 631, etc. — 6 Ibid., p. 575.

 

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« Parce que l'iniquité abonde, la charité sera refroidie dans la multitude (1). » On ne peut nier que ce ne soit là l'exposition des saints Pères (2), et on n'a aucune raison à leur opposer. Tirez maintenant votre conséquence : s'il y a peu de cette foi qui opère par la charité, si alors elle devient rare à comparaison de l'iniquité qui abondera, « il faut que les hérésies ayent gagné le dessus, et que la vérité ait este longtemps opprimée et ensevelie sous les triomphes de l'erreur (3). » Vous y ajoutez le longtemps ; vous y ajoutez la vérité opprimée et ensevelie ; vous y ajoutez les triomphes de l'erreur : vous chargez tout ; mais prouvez du moins qu'il y ait un mot dans l'Evangile qui marque l'extinction de la saine doctrine et la victoire de l'erreur. Répondez du moins à quelle église reviendront les Juifs, si l'Eglise de Jésus-Christ est ensevelie? Comment est-ce que « la trompette ramassera les élus des quatre vents (4), » s'ils ne sont pas répandus par toute la terre, ou si le nombre en est si petit? A qui dit-on : « Levez la tête quand ces choses commenceront, parce que votre rédemption approche (5)?» Est-ce à des invisibles, à des inconnus, que Dieu laissera sans Eglise, sans société, sans sacrements, sans pasteurs? Il n'y aura plus de prédication, plus de baptême, plus d'Eucharistie ; et ce mystère où, selon saint Paul, « on annoncera la mort du Fils de Dieu jusqu'à ce qu'il vienne (6), » aura cessé avant sa venue? Où l'Antéchrist trouvera-t-il ceux qu'il lâchera de séduire, et qu'il persécutera par toute la terre à toute outrance, si l'on ne sait où ils sont. Ne pourra-t-on plus pratiquer ce commandement de Jésus-Christ: «Dites-le à l'Eglise (7)?» Ou bien faudra-t-il le dire à une inconnue? Ne faudra-t-il plus apprendre alors, selon saint Paul, « à édifier par sa bonne vie l'Eglise, qui est la colonne et l'appui de la vérité (8) ? » Ou bien cherchera-t-on à édifier une église qu'on ne verra point ? Ou si c'est, comme personne n'en peut douter, l'Eglise visible qu'on tâchera d'édifier, et de se rendre avec le même apôtre « la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu (9)?» la colonne sera-t-elle tombée, le soutien de lu récité sera-t-il à bas? Mais que deviendra

 

1 Matth., XXIV, 12.— 2 August., epist. XCIII, ad Vinc. n. 33; Hier., Dial. adv. Lucifer., cap. VI. — 3 P. 575. — 4 Matth., XXIV, 31.— 5 Luc., XXI, 21. — 6 I Cor., XI, 26. — 7 Matth., XVIII, 17. — 8 I Timoth., II, 15.— 9 II Cor., II, 14, 23.

 

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l'ordonnance du grand Père de famille qui veut « qu'on laisse croître jusqu'à la moisson l'ivraie avec le bon grain (1) ? » Remarquez bien: Jusqu'à la moisson : partout où sera ce bon grain . partout aussi l'ivraie y sera mêlée, et toujours, « jusqu'à la moisson,» que Jésus-Christ explique lui-même la fin du monde (2), ils croîtront ensemble ; ou il faut démentir la parabole : vraiment vous errez grossièrement, et vous nous faites un tissu de trop de mensonges. Avouez donc à la fin que notre doctrine n'a nul embarras : l'Eglise aura toujours des saints, parce que toujours et partout on y prêchera la doctrine sainte. La marque pour connaître cette Eglise, c'est la succession des pasteurs sans interruption en remontant jusqu'aux apôtres : les vices y abonderont, comme Jésus-Christ l'a prédit : et quoi que vous puissiez dire, la merveille sera toujours, qu'ils ne la pourront éteindre ni cacher, puisque toujours elle enseignera et crue Jésus-Christ sera toujours avec elle.

C'est ce que le ministre ne veut pas entendre. « M. de Meaux trouve une merveille de la Providence dans la durée de l'Eglise, qui subsiste malgré les vices (3). » Cette doctrine paraît étrange à mon adversaire, et il la tourne en ridicule par ces paroles : « C'est en effet quelque chose d'étonnant que Dieu aime le vice, et qu'il le tolère : et que ce ne soit plus un obstacle qui retarde les effets de sa grâce et la connaissance infaillible de la vérité. » Ecoutez bien, mes chers Frères, ce que vous dit votre ministre, et comme il mêle le vrai et le faux pour vous embrouiller l'esprit : « Dieu, dit-il, aime le vice et le tolère : » il est certain qu'il le tolère : il est faux qu'il l'aime : et on confond ces deux choses. Comment l'aime-t-il, si son Eglise, où il le tolère, ne cesse de le condamner publiquement ? Est-ce aimer le vice que de l'empêcher de nuire à la vérité? Vous nous faites dire « que le vice n'est pas un obstacle qui retarde les effets de la grâce ; » c'est nous imputer une doctrine que personne n'enseigna jamais : mais vous ajoutez : « Le vice ne retarde pas la connaissance infaillible de la vérité : » si vous disiez : «ne l'empêche pas» dans l'universalité de l'Eglise,

 

1 August., epist. XCIII, ad Vinc., ubi suprà ; Matth., XIII, 30. — 2 Ibid., 39. — 3 Tom II, p. 575

 

 

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vous auriez raison, et il n'y aurait rien dans ce discours que de glorieux à Dieu et à Jésus-Christ : il ne faut ni ajouter ni ôter à la promesse; et soit que les opiniâtres contradictions, que les passions déréglées des hommes peuvent exciter dans l'Eglise, retardent ou non la déclaration solennelle de la vérité, Jésus-Christ n'a pas prononcé que l'enfer ne combattra pas, mais «qu'il ne prévaudra pas contre l'Eglise (1) : » ainsi vous ne cherchez qu'à nous imposer, qu'à tout confondre; et le faux saute aux yeux dans tout votre discours.

Reprenons donc vos trois arguments : On ne prouve rien, dites-vous , contre les églises protestantes par ces paroles : « Je suis avec vous, » etc., si l'on ne prouve que Jésus-Christ laisse aux successeurs des apôtres le même don des miracles, ne les fait tous infaillibles, ne les fait tous saints comme les apôtres l'étaient ; or cela n'est pas : donc cette promesse ne prouve rien contre les églises protestantes. Tel est leur raisonnement, comme on vient de voir. Mais j'ai démontré au contraire que, sans avoir besoin que les pasteurs qui ont succédé aux apôtres soient doués comme eux du don des miracles, comme eux soient tous infaillibles, comme eux soient tous saints, on prouve très-bien que la vérité prévaudra toujours dans le ministère ecclésiastique, et par conséquent que ceux-là sont très-condamnables, qui enseignent que ce ministère peut cesser, ou qu'il peut cesser d'enseigner la vérité, ou qu'il la faut chercher en d'autres bouches qu'en celles des ministres qu'on trouve établis : qui est ce que j'avais à prouver.

Ainsi l'idée du ministre ne fait qu'éluder la promesse de Jésus-Christ, en réduisant sa présence à un fait vague et incertain, sur lequel on ne peut jamais être convaincu de faux. Car on réduit Jésus-Christ à être présent « par les consolations intérieures du Saint-Esprit, » que tout le monde et les faux prophètes, comme les véritables, peuvent tous également promettre, sans craindre d'être démentis par un fait constant. Mais Jésus-Christ ne parle pas en l'air, à Dieu ne plaise : il adresse manifestement sa parole à ceux qui enseignent et qui administrent les sacrements : il leur promet donc une présence proportionnée à cet état extérieur et

 

1 Matth., XVI, 18.

 

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sensible; et il ne donne pas à garant sa toute-puissance pour ne rien faire qui paroisse aux yeux de ses fidèles, puisqu'il y en veut affermir la foi par un manifeste et sensible accomplissement de ses divines promesses. Il en a fait pour l'intérieur, que chacun dans l’occasion peut reconnaître en soi-même : il en a fait pour l'extérieur, et celle que nous traitons est de ce nombre. Les grâces intérieures s'y trouvent aussi, puisqu'ainsi qu'il a été dit (1), elles ne manquent jamais d'accompagner la saine doctrine : mais en même temps il faut chercher dans cette promesse, comme font aussi les catholiques, un fait palpable, constant et précis, qui lasse voir Jésus-Christ toujours véritable, et nous assure de l'avenir comme du passé ; c'est ce qu'il l'allait pour sa gloire, et afin de manifester sa sagesse au monde.

Quelque évidentes que soient nos raisons et nos réponses, la victoire de la vérité sera plus sensible, si après avoir exposé plus amplement les vains incidents des ministres sur la promesse de Jésus-Christ, nous comparons en peu de paroles notre interprétation avec la leur.

Il n'y a rien de plus simple que notre manière d'entendre cet endroit de l'Evangile. Il contient un commandement et une promesse, avec le digne fondement de l'un et de l'autre. «Toute puissance m'est donnée dans le ciel et dans la terre (2). » Qui peut commencer par un tel discours, peut commander tout ce qu'il y a de plus difficile, peut promettre tout ce qu'il y a de plus excellent. Tel est donc le commandement : « Allez, enseignez et baptisez, » non les Juifs, comme Jean-Baptiste, mais toutes les nations que je veux toutes soumettre à votre parole. La promesse de même force suit incontinent : « Et voilà ; » l'effet est aussi prompt qu'assuré : « Je suis avec vous » dans ces fonctions sacrées que je vous ordonne : ainsi vous enseignerez, vous baptiserez, et vous administrerez les sacrements, dont je suis l'instituteur; je bénirai votre ministère : il subsistera toujours; il aura toujours son effet, qui aussi n'est autre que celui pour lequel « je suis avec vous. » On n'y verra jamais d'interruption, pas même celle d'un jour : le monde finira plutôt que vos fonctions saintes et mon secours

 

1 Ci-dessus, n. 7, 30, 32. — 2 Matth., XXVIII, 18.

 

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tout-puissant : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas (1) : » tout coule naturellement : quels termes pou-voit-on choisir autres que ceux-ci pour exprimer notre sentiment? Ce n'est pas ici une explication, c'est la chose même : on voit qu'une parole attire l'autre ; c'est la nue proposition de la suite et du tissu de tout le discours, et la chose par elle-même n'aurait besoin pour être entendue que de ce peu de paroles.

Si donc il a fallu nous étendre, ce sont les vains incidents qu'on a affectés pour embrouiller la matière, qui en sont la cause. « Je suis avec vous, » dit le ministre, ne veut pas dire une assistance infaillible pour l'effet marqué : cette assurance n'empêche pas que le ministère ne tombe dans l'idolâtrie avec Gédéon, et ceux avec qui Jésus-Christ sera toujours, n'en seront pas moins idolâtres: les promesses de l'Eglise chrétienne, qui est née pour subsister sur la terre jusqu'à la fin du monde, ne seront pas moins sujettes à la défaillance que celle de la Synagogue, à qui Dieu avait marqué le jour de sa chute : Jésus-Christ ne promet à un ministère extérieur que des consolations intérieures : pour participer à la promesse d'être aidé efficacement dans les fonctions ordinaires et perpétuelles du ministère sacré, il ne suffit pas de succéder aux apôtres dans ces fonctions, quoique ce soit les seules que Jésus-Christ marque : il faut encore avoir tous les autres dons desquels ce divin maître ne dit mot : comme eux faire des miracles, être saints, être infaillibles comme eux chacun en particulier; autrement ou ne pourra point s'assurer d'être du nombre de leurs successeurs , ou distribuer aucune des grâces du ministère; et Jésus-Christ ou ne pouvait ou ne voulait pas conserver sans tous ces dons conférés à chaque particulier, les fonctions ordinaires et perpétuelles de ce ministère apostolique, quoiqu'il ait dit : «Je suis avec vous : » et encore : «Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font. » C'est en abrégé ce qu'a dit votre ministre : après cela, mes chers Frères, peut-on ne pas voir la simplicité d'un côté, et l'embrouillement de l'autre : la suite, la précision et la netteté dans la doctrine des catholiques, l'affectation, la contradiction, l'esprit de contention dans celle de vos docteurs?

 

1 Matth., XXIV,35.

 

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Je vous raconterai en simplicité ce qu'a dit un autre ministre dans une lettre manuscrite, qui vient de tomber entre mes mains. Il me reprend d'avoir traduit : «Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles, » quoi que j'aie traduit indifféremment en d'autres endroits : « la fin du monde : » mais le ministre prétend qu'il fallait traduire : «Jusqu'à la fin du siècle, » comme porte l'original tou ainos. Sur ce fondement il assure que l'assistance promise en ce lieu par Jésus-Christ ne passe pas le siècle où les apôtres ont vécu: tout ira bien durant environ soixante ou quatre-vingts ans si l'on veut, qu'il restera en vie quelqu'un des apôtres : comme si on ne devait plus ni enseigner ni baptiser après eux, ou que Jésus-Christ n'ait eu dans sa promesse aucun égard à ces fonctions qui sont les seules qu'il exprime ! Que vous dirai-je, mes Frères? Un ministre, et un ministre savant, ne songe pas que « la fin du siècle » est dans l'Evangile, et surtout dans celui de saint Matthieu, d'où est tirée la promesse que nous traitons, une phrase consacrée pour exprimer la fin du monde : « La moisson est la fin du monde : » Consummatio sœculi, aionos : coup sur coup, au verset d'après : « Il en sera ainsi à la fin du monde (1) : » et encore un peu après les mêmes mots. En est-ce assez, ou lirai-je encore au chapitre XXIV du même Evangile : « Maître, quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde (2) ? » Et Jésus-Christ et ses disciples parloient ainsi avec tout le peuple : ainsi on trouve au même Evangile : «Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde (3).» Toutes les Bibles traduisent de même, et les vôtres comme les nôtres indifféremment : et votre ministre a voulu me contredire en oubliant la version qu'il avait en main toutes les fois qu il est monté en chaire : tant il est dur aux ministres de faire durer la promesse de Jésus-Christ jusqu'à la fin de l'univers.

Le même ministre, que je nommerais volontiers, s'il n'était plus régulier de lui laisser ce soin à lui-même quand il lui plaira, a inventé une nouvelle interprétation de ces paroles : « Les portes d'enfer ne prévaudront point contre l'Eglise. » Les portes d'enfer, dit-il, sont dans le cantique d'Ezéchias (4), ce qu'on appelle autrement

 

1 Matth., XIII, 39, 40, 49. — 2 Ibid., XXIV, 3. — 3 Ibid., XXVIII, 20. — 4 Isa., XXXVIII, 10.

 

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les portes de la mort: d'où il conclut que Jésus-Christ n'a d'autre dessein que de rassurer son Eglise contre la mort par la foi de la résurrection : comme si la mort était la seule ennemie que Jésus-Christ dût abattre aux pieds de l'Eglise. Mais le ministre savait le contraire ; l'ennemi que l'Eglise avait à combattre était celui que l'Eglise appelle le Prince du monde : il voulait affermir l'Eglise « contre les principautés et les puissances, » dont saint Paul le fait « triompher à la croix (1) » Jésus-Christ nous donne partout l'idée d'un empire opposé au sien, mais qui ne peut rien contre lui. Il ne faut qu'ouvrir l'Ecriture, pour trouver partout que la puissance publique paraissait aux portes des villes, où se tenaient les conseils et se prononçaient les jugements. Ainsi les portes d'enfer signifient naturellement toute la puissance des démons. Tout le monde l'entend ainsi, catholiques et protestants indifféremment. Il ne fallait donc pas seulement affermir l'Eglise contre la mort, mais encore contre toute sorte de violence et toute sorte de séduction. C'est même principalement contre l'erreur que Jésus-Christ voulait munir son Eglise. Saint Pierre avait confessé sa divinité, tant en son nom qu'au nom de tous les apôtres (2) : et Jésus-Christ lui promet « que l'enfer ne pourrait rien » contre cette foi si hautement manifestée: pour cela il établit un corps où elle sera toujours annoncée aussi clairement que saint Pierre venait de le faire. Ce corps, c'est ce qu'il appelle son Eglise: Eglise toujours visible par la prédication de cette foi, à qui aussi il donne aussitôt après un ministère visible et extérieur: « Tout ce que tu lieras sur la terre, sera, dit-il à saint Pierre, lié dans le ciel, » et le reste que tout le monde sait. Si l'enfer prévaut contre l'Eglise, la puissance de lier et de délier tombera d'un même coup : si au contraire il n'y a aucun moment où l'Eglise qui prêche la foi succombe aux efforts de l'enfer, Pierre confessera toujours, Pierre exercera jusqu'à la fin la puissance de lier et de délier qui lui est donnée. «Jésus-Christ sera donc toujours avec son Eglise jusqu'à la fin du monde. » Les promesses de l'Evangile se prêtent la main les unes aux autres; c'est ainsi que l'Eglise catholique les exalte et les considère dans toute leur connexion.

 

1 Coloss., II, 15. — 2 Matth., XVI, 16, 18.

 

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C'est ainsi que la nouvelle Réforme les détourne et les affaiblit : je n'en dis pas davantage, et je laisse le reste à la réflexion de nos frères.

Cette doctrine des catholiques est un remède assuré contre tous les schismes et contre toutes les hérésies futures : elle prouve invinciblement que toute secte qui ne naît pas dans la suite de la succession des apôtres, qui ne montre pas devant elle, ainsi que nous avons dit, une Eglise toujours subsistante dans la même profession de foi, sort de la chaîne, interrompt la succession, et se range au nombre de ceux dont saint Jude a dit « qu'ils se séparent eux-mêmes (1) : » ce qui emporte leur condamnation par leur propre bouche, comme je l'ai démontré dans la première Instruction pastorale (2). Ainsi la promesse dont nous parlons, pourvu qu'on y apporte un oui simple et un coeur droit, est la fin des hérésies et des schismes. C'était un effet digne de cette préface : « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre : » et ma preuve demeure invincible, sans avoir encore ouvert un seul livre que l'Evangile, ni supposé d'autres faits que des faits cons-tans et sensibles.

Après une exposition si simple et si claire de la promesse du Tout-Puissant, chaque protestant n'a qu'à penser en soi-même : Que dirai-je? Le sens est clair : les paroles de Jésus-Christ sont expresses : on n'a pu les éluder que par des gloses contraires manifestement au texte et à la doctrine des Ecritures. Il faut donc que cette promesse ait son entière exécution. Lorsqu'on nous allègue des faits qui semblent s'y opposer, on dispute contre Jésus-Christ : c'est à nous à examiner si nous pouvons nous persuader à à nous-mêmes, de bonne foi, que nous avions des pasteurs de notre créance et de notre communion, quand nous nous sommes séparés. Mais le fait même dément cette prétention. Car s'il y avait alors des pasteurs de notre créance, pourquoi a-t-il fallu en élever d'autres ou renoncer à la foi de ceux qui nous avaient baptisés? Osons-nous prétendre seulement que dans tous les siècles passés, à remonter sans interruption jusqu'aux apôtres, nous puissions nommer nos pasteurs? Mais où les trouverons-nous ? Nous alléguons des témoins disperses

 

1 Jud., 19. — 2 Ire Instr. past., n. 10.

 

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par-ci par-là. Mais Jésus-Christ promettent une suite, une succession , un tous les jours , un jusqu'à la fin des siècles, etc. Pour corps d'Eglise nous alléguons les va i a lois et les albigeois : mais en laissant à part tous les laits qu'établissent les catholiques sur cette matière, c'en est un constant qu'ils avaient tous le même embarras et ne pouvaient, non plus que nous, nommer leurs prédécesseurs. Ainsi vint un Arius, ainsi un Pélage, ainsi un Nestorius, ainsi tous les autres qui ont voulu s'établir en renonçant à la foi des siècles immédiatement précédons : vous êtes, mes frères, dans le même cas, et la date de votre rupture comme de la leur est manifeste et ineffaçable.

On a osé vous dire, mes chers frères, que Jésus-Christ était venu de la même sorte. Quand j'ai parlé des schismatiques et des hérétiques, qui s'étaient formés en se séparant à la fois et de leurs prédécesseurs et de ton! le reste de l'Eglise, j'avais remarqué que pour les convaincre de schisme, « il n'y avait qu'à les ramener à leur origine : que le point de la rupture demeurerait pour ainsi dire toujours sanglant : et que ce caractère de nouveauté que toutes les sectes séparées porteront éternellement sur le front, sans que cette empreinte se puisse effacer, les rendrait toujours reconnaissables (1). » Chose étrange ; on ose attribuera Jésus-Christ même toutes ces notes flétrissantes, et si l'on en croit le ministre (2), « le Fils de Dieu n'avait aucun de ces trois caractères qu'on donne aujourd'hui à l'Eglise : » c'est-à-dire, comme il l'avait définie dès le commencement, « l'ancienneté, la durée et l'étendue (3). »

Pour la durée, sans doute il ne l'avait pas dès le premier jour : mais une éternelle durée était due à l'ouvrage qu'il commençait. On ne doit pas lui reprocher que l'étendue lui manquait dans le temps « qu'il n'était encore envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (4). » Il fallait d'ailleurs que ce « petit grain de froment » se multipliât par sa mort (5). Quand on conclut après cela « que l'Eglise n'a point d'autres caractères que son chef (6); »

 

1 Ire Instr. past., n. 14. — 2 Tom. II, cap. IX, n. 1 et 2, p. 675. — 3 Tom. II, chap. I, n.2,3, etc , p. 538, 540, etc. — 4 Matth , X, 6; XV, 14. — 5  Joan., XII, 24. — 6 Tom. II, p. 675.

 

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et ainsi qu'il ne faut lui attribuer ni durée, ni étendue, ni ancienneté, on combat directement le dessein de Dieu, qui voulait donner à ce Chef des membres par toute la terre. C'est vouloir empêcher l'arbre de croître, à cause qu'il est petit dans sa racine. Tout cela est d'une visible absurdité : et l'impiété manifeste . c'est de dire que « l'ancienneté manque à Jésus-Christ. » C'est par où commence le ministre ; et se sentant accablé par l'autorité des patriarches et des prophètes qui attendaient sa venue, il y répond en cette sorte : « Les prédictions des prophètes sur la Venue du Messie ne changent point l'état de la question ; car les prophètes n'avaient point prédit que le Messie romprait avec les sacrificateurs et avec l'Eglise judaïque pour former une nouvelle communion (1). » Si l'on veut dire que Jésus-Christ ait rompu avec les prêtres de la loi, on est démenti par son Evangile : mais si l'on prétend que la réprobation de la Synagogue par Jésus-Christ ne soit point annoncée par les prophètes, que veulent donc dire tant de passages où tout ce qui est arrivé à la Synagogue, c'est-à-dire sa réprobation, celle de son temple, de ses sacrifices, de son sacerdoce et de toutes ses cérémonies, est raconté et circonstancié avec une telle évidence, que l'Evangile n'a rien eu à y ajouter? Cependant on ose vous dire que les prophètes n'en ont rien prédit : ils n'ont rien prédit de la nouvelle société où tous les gentils devaient entrer à l'exclusion des Juifs; le ministre sait le contraire, et ce n'est point ici une vérité qu'on doive prouver aux chrétiens. Pourquoi donc a-t-on avancé un si visible mensonge, si ce n'est qu'on veut oublier l'antiquité attribuée à Jésus-Christ par ces paroles : « Il était hier et aujourd'hui, et il est aux siècles des siècles (2)? » C'est qu'à quelque prix que ce soit, pour excuser la Réforme qui s'est séparée elle-même, on veut donner jusqu'au l'ils de Dieu le caractère de novateur et de séparé de l'Eglise.

Votre ministre ne s'en cache pas : selon lui, Jésus-Christ était seul, comme Calvin le fut au commencement de son innovation : « Je n'aime pas, dit-il, à mettre Calvin en parallèle avec Jésus-Christ, et ce n'est pas ma pensée. » Que veut donc dire cette

 

1 Tom. II. p. 675.— 2 Hebr., XIII, 8.

 

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suite? « Mais puisque l'Eglise réformée est la même que Jésus-Christ a établie, il nous doit être permis de dire que la réduction d'une société à un seul homme n'est pas sans exemple, puisque l'Eglise chrétienne commence nécessairement par là (1).» Ainsi on veut réduire l'Eglise dans toute sa suite à l'état où elle devait être au commencement par un dessein déterminé de Dieu. Mais en cela on se trompe encore, lorsqu'on lui conteste l'antiquité sous ce prétexte. Jésus-Christ avait pour lui tous les temps qui précédaient sa venue. puisqu'il y était attendu sans l'interruption d'un seul jour, et que même quand il parut, tout le monde savait où il devait naître (2). Je ne parle point des autres endroits où il est parlé de lui comme de l'objet de l'espérance publique. On veut cependant le regarder comme un séparé de l'Eglise, lorsque tous ceux qui attendaient le royaume de Dieu étaient unis avec lui.

On veut effacer d'un seul trait ce qu'a fait Jésus-Christ jusqu'à la fin de sa vie pour honorer l'Eglise judaïque et la chaire de Moïse. Bien éloigné de se séparer d'avec elle, ou d'en séparer ses disciples , il leur a déclaré « qu'il les envoyait pour moissonner » ce qui avait éjé semé par les prophètes (3) : « D'autres, dit-il (4), ont travaillé, et vous êtes entrés dans leur travail : » remarquez ces mots; c'est le même ouvrage, la même foi, la même Eglise, dont on ne s'est séparé qu'après que, justement reprouvée par son infidélité, elle a effectivement perdu ce titre.

        Pendant que l'on conteste à Jésus-Christ son ancienneté contre la foi des Ecritures et la doctrine commune de tous les chrétiens, on l'accorde à une « église chinoise, » qu'on a érigée dès le commencement du livre sous ce titre exprès : « L'église des Chinois est ancienne (5) : » étrange sorte d'église, sans foi, sans promesse, sans alliance, sans sacrements, sans la moindre marque de témoignage divin : où l'on ne sait ce que l'on adore, et à qui l'on sacrifie, si ce n'est au ciel ou à la terre, ou à leurs génies comme à celui des montagnes et des rivières : et qui n'est après tout qu'un amas confus d'athéisme, de politique et d'irréligion, d'idolâtrie, de magie, de divination et de sortilège : et on prend le ton le plus

 

1 Tom. II. p. 711. — 2 Matth., II, 5. — 3 Joan., IV, 38. — 4 Ibid. — 5 Tom. II, chap. I, n. 6, p. 540, 541.

 

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grave pour établir l'antiquité comme la durée et l’étendue de cette « église chinoise,» et même pour l'opposer à la dignité de l'Eglise chrétienne et catholique : et vous n'ouvrirez jamais le yeux, pour voir du moins qu'on vous amuse, et qu'on ne travaille qu'à vous embrouiller ce qui est clair?

C'est par la suite du même dessein qu'on fait semblant d'ignorer en quoi nous mettons la succession de la visibilité que Jésus-Christ a promise à son Eglise; on a voulu imaginer que nous la mettions dans la splendeur extérieure, et c'est à quoi nous n'avons jamais pensé. Prenez-y garde, mes Frères, ce point est très-essentiel. Votre ministre ne cesse de dire que l'Eglise et sa succession ne peut pas être visible, « quand ses pasteurs avec les laïques fuient d'une ville à une autre, et se dérobent à la vue de leurs persécuteurs : quand elle fuit dans les montagnes , qu'elle se retire, et qu'au lieu de se montrer à tout l'univers, elle se cache dans le sein de la terre, dans des grottes, dans des cavernes (1) » où, comme le ministre le répète souvent, «on ne la peut découvrir qu'à la lueur des flammes où on la brûle (2); le ministère, poursuit-il (3), n'était pas visible dans certaines occasions, où il s'exerçait par des hommes déguisez en soldais qui allaient à cheval créer de nouveaux pasteurs, » etc. De cette sorte, selon lui, pour la visibilité du ministère, il fallait être habillé à l'ordinaire, et sans cela on osera dire que la succession des pasteurs avait cessé, pendant même que l'on confesse qu'on en créait de nouveaux à la place de ceux qu'on avait perdus. Etrange imagination, de croire tellement éblouir le monde par quatre ou cinq belles phrases, qu'on ne laisse plus de place à la vérité. Néanmoins c'est un fait constant et avéré, que l'Eglise persécutée était toujours visible : elle n'en comptait pas moins ses pasteurs, dont elle savait la suite : on n'avait jamais de peine à les trouver, quand on demandait l'instruction et le baptême : jamais elle n'a été sans Eucharistie : aussi avons-nous déjà remarqué que. par la célébration de ce sacrement, « on annoncera la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (4). » Pesez ces mots :

 

1 Tom. II, p. 602, 603. — 2 Ibid., 588, 692, 703. — 3 Ibid., p. 663. — 4 I Cor., II. 2. 6.

 

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«jusqu'à ce qu'il vienne, » qui excluent jusqu'au dernier jour toute interruption dans la célébration de ce saint mystère, et induisent par conséquent la perpétuelle succession de ses ministres légitimes. On les trouvait dans « ces grottes, » où l'on veut les imaginer toujours enfermés. Quand ils fayotant d'une ville à l'autre, c'était ordinairement une occasion de prêcher la sainte parole et d'étendre l'Evangile, comme il paraît dans les Actes et dans la persécution où saint Etienne fut lapidé (1). Quand les prédicateurs de l'Evangile étaient traînés devant les tribunaux, et qu'ils y portaient aux rois et aux empereurs le témoignage de Jésus-Christ, quelle imagination de croire alors l'Eglise cachée et destituée de sa visibilité, pendant que dans « les liens » elle annonçait la foi « devant tous les prétoires (2), » et y continuait « le bon témoignage que Jésus-Christ avait rendu sous Ponce-Pilate (3) ! »

Il y a enfin un certain éclat, une certaine splendeur que l'Eglise conserve toujours par la prédication de l'Evangile, qui n'est autre chose que l'illumination, marquée par saint Paul, de la science et de la gloire de Dieu sur la face de Jésus-Christ (4) ; et on voudra s'imaginer que l'Eglise, qui par sa nature est revêtue d'un si grand éclat, puisse être cachée ?

Le ministre oppose divers passages de l'Evangile (5), dont les uns nous montrent l'Eglise «comme une ville bâtie sur une montagne » éclatante et remarquable par sa spacieuse enceinte: et les autres nous la font voir un « petit troupeau » sans nombre et sans étendue, qui est aussi resserré dans la voie étroite « où peu de personnes entrent, » ainsi que le l'ils de Dieu le prononce. Ces passages semblent au ministre d'une manifeste contrariété, si ou ne les concilie en reconnaissant le différent sort de l'Eglise, tantôt éclatante et spacieuse, tantôt petite et cachée.

        Voilà donc cette grande contrariété tant répétée par le ministre; mais elle n'a pas la moindre apparence. « Il y a beaucoup d'appelés et peu d’élus (6).» Ceux qui entrent en foule dans l'Eglise par la prédication et les sacrements, ne sont pas tous des élus, et

 

1 Act., VIII, 4. — 2 Phil., I. 13. — 3 I Timoth., VI, 12, 13. — 4 II Cor., IV, 6. — 5 Tom. II, p. 9, 602, 603, 680, 681, 683, 704, etc. — 6 Matth., XX, 16; XXII, 14.

 

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beaucoup d'eux demeurent dans le nombre des appelés : par conséquent les appelés qui sont beaucoup, et les élus qui sont peu, composent la même Eglise : visible et étendue dans ceux qui se soumettent à la parole et aux sacrements ; peu nombreuse et cachée dans des élus, sur lesquels le sceau de Dieu est posé. Tout s'accorde parfaitement par ce moyen, et il ne faut plus nous objecter ni la voie étroite, ni le petit troupeau: le petit troupeau est partout, et partout il fait partie de la grande Eglise où David a vu en esprit tous les Gentils ramassés (1) : comme les élus qui sont peu, font partie de ces appelés qui sont en grand nombre, la voie étroite des commandements et de la sévère vertu est aussi partout; et quoique peu fréquentée par la malice des hommes, elle leur est montrée dans toute la terre. Le petit nombre de ceux qui y entrent, quoique grand en soi plus ou moins, et petit seulement à comparaison de ceux qui périssent, écoute le même Evangile que les appelés : unis avec eux par la communion extérieure, ils ne font point de rupture et ne se séparent que de la corruption des mœurs.

Ne songeons donc pas tellement à la voie étroite que nous oubliions le grand chemin, «les voies publiques, » où Jérémie nous rappelle (2), où aboutissent « les anciens sentiers » que nos pères ont fréquentés, et où aussi on nous commande de les suivre. Cette voie n'est jamais cachée, et l'Eglise la montre par tout l'univers à ceux qui la veulent voir.

C'est par où tombe manifestement celle doctrine de votre ministre, où après avoir présupposé avec nous que l'Eglise doit toujours durer en vertu de la promesse de Jésus-Christ, et contre nous que cette durée ne peut pas être attachée « à l'infaillibilité » du corps des pasteurs (3), avec lequel Jésus-Christ a promis d'être tous les jours, il croit sortir de tout embarras de cette sorte : «Le réformé marque une voie plus naturelle, plus simple et plus facile pour la conservation de l'Eglise. Il soutient que Dieu l'empêche de périr par le moyen des élus, qu'il conserve dans le monde (4) : » comme si la difficulté ne lui restait pas toute entière,

 

1 Psal. XXI, 26, 27, etc. — 2 Jerem., VI. 16 — 3 Tom. II, p. 630, 631, etc.

 

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et qu'il ne lui fallût pas encore expliquer comment et par quels moyens ordinaires et extérieurs ces élus sont eux-mêmes conservés.

Les élus, comme élus, ne se connaissent pas les uns les autres : ils ne se connaissent que dans le nombre des appelés; c'est pourquoi nous venons de voir que ces élus, qui sont cachés et en petit nombre, font toujours partit; de ces appelés qui sont connus et nombreux. S'il faut qu'ils soient appelés, par quelle prédication le seront-ils? Par quel ministère? Sous quelle administration des sacrements? « Comment croiront-ils, s'ils n'ont pas ouï? Ou comment écouteront-ils, si on ne les prêche? Ou qui les prêchera sans être envoyé (1)? » Ils ne tomberont pas certainement tout formés du ciel : ils ne viendront point tout d'un coup comme gens inspirés d'eux-mêmes : il faut donc qu'il y ait toujours un corps subsistant, qui jusqu'à la fin du monde les enfante par la parole de vie ; et c'est avec ce corps immortel que Jésus-Christ a promis d'être tous les jours.

Saint Paul a décidé la question par ce beau passage de l’Epître aux Ephésiens : « Jésus-Christ nous a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être prophètes, les autres pour être évangélistes, les autres pour être pasteurs et docteurs : pour la perfection des saints, pour les fonctions du ministère à l’édification (et formation) du corps de Jésus-Christ : jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et à celle de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge complet de Jésus-Christ : afin que nous ne soyons plus des enfants emportés à tout vent par la doctrine trompeuse et artificieuse des hommes (2). » Le ministre veut faire durer le ministère ecclésiastique et apostolique par les élus: et saint Paul au contraire attache la formation et la perfection des élus au ministère ecclésiastique et apostolique.

        Le ministre s'entend-il lui-même, lorsqu'il dit « que la promesse pour la durée de l'Eglise par les élus est plus positive que celle de la succession des évêques, dont Jésus-Christ n'a pas parlé? » Que voulaient donc dire ces mots : « Allez, enseignez et

 

1 Rom., X, 14. — 2 Ephes., IV, 11-14.

 

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baptisez? » Sont-ils adressés à d'autres qu'aux apôtres mêmes : et quels autres que leurs successeurs sont désignés dans la suite? Mais quel mot y a-t-il là des élus? Au lieu donc de dire qu'il est ici parlé des élus, et non des pasteurs, c'est précisément le contraire qu'il fallait penser: et il est plus clair que le jour, que pour expliquer la promesse de Jésus-Christ, le ministre a commencé par en perdre de vue les propres paroles.

Il a peu connu la prérogative des élus. Ils ne sont pas tant le moyen pour faire durer le ministère extérieur de l'Eglise que la chose même pour laquelle il est établi; c'est l'amour éternel que Dieu a pour eux qui fait subsister l'Eglise; il n'en est pas moins véritable qu'elle les prévient toujours par son ministère. Il n'es! que pour les élus : quand ils seront recueillis, il cessera sur la terre : mais aussi comme Dieu ne cesse de les recueillir jusqu'à la tin des siècles, il a déclaré que la suite continuelle du saint ministère ne finira pas plus tôt.

Toute la ressource du ministre, «c'est que la même puissance infinie de Dieu qui, selon M. de Meaux, entretient la succession des apôtres au milieu des vices les plus affreux,.... peut conserver les élus dans les sociétés errantes, comme (il les conserve) dans le monde corrompu (1). »

Ainsi toute religion est indifférente, et l'on trouve également les élus dans une communion, soit qu'elle erre dans la foi jusqu'à tomber dans l'idolâtrie (car c'est ce qu'on nous oppose), soit qu'elle fasse profession de la vérité.

Venons aux objections; voici la plus apparente : «On ne gagne rien, dit le ministre, par l'infaillibilité (du corps de l'Eglise), puisque la foi sans la sanctification ne fait point voir Dieu, et n'empêche pas la ruine de l'Eglise (2). » Nous avons déjà répondu que la prédication de la vérité étant toujours accompagnée de l'efficace du Saint-Esprit, est toujours féconde pour sanctifier le nombre des auditeurs et des pasteurs mêmes connu de Dieu (3). La réponse ne pouvait pas être ni plus courte, ni plus certaine, ni plus décisive : « Ma parole qui sort de ma bouche, dit le Seigneur, ne reviendra pas à moi sans fruit, mais elle aura tout l'effet pour

 

1 Tom. II, p. 659. — 2 P. 632. — 3 Ci-dessus, n. 7, 30, 32.

 

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lequel elle est envoyée (1). » Dire donc qu'on ne gagne rien « pour la sanctification par l'infaillibilité de la foi. » c'est une ignorance grossière et une erreur pitoyable contraire au fondement du christianisme.

Mais c'est là, répond le ministre, un miracle trop continu qu'on ne doit pas admettre. C'est ce qu'il répète à toutes les pages (2), et c'est là un de ses grands arguments; mais qu'il est faible! Le miracle que le ministre refuse de croire, c'est celui que Jésus-Christ a reconnu en disant : « Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (3). » Le ministre change la sentence, et il veut que les élus se conservent sous un ministère, dont il faudra dire : Ni ne croyez ce qu'ils disent, ni ne pratiquez ce qu'ils font. Lequel est le plus naturel, ou de dire que pour convertir les cœurs des élus, Dieu conserve dans le ministère la vérité de la parole qui les sanctifie malgré les mauvaises mœurs de ceux qui l'annoncent; ou de dire qu'en laissant éteindre à la fois dans la succession des pasteurs et la vérité et les bonnes mœurs, il ne continue pas moins à conserver les élus? Le premier plan est celui des catholiques : le second est celui des protestants. Parlons mieux : le premier est en termes formels celui de Jésus-Christ. et le second est celui que les hommes ont imaginé : le premier, dis-je, est celui que Jésus-Christ a reconnu jusqu'à la lin dans l'Eglise judaïque, en disant : « Faites ce qu'ils disent, » etc., et le second est celui que les proie tans envient à l'Eglise chrétienne. Où est ici le miracle le plus incroyable, ou celui qui attache la conversion des enfants de Dieu à un certain ordre commun de la prédication de la vérité, ou celui qui supprimant la vérité dans la prédication des pasteurs, établit contre l'Apôtre et contre Jésus-Christ même qu'elle sera entendue sans être prêchée? Souffrirez-vous, mes chers frères, qu'on vous annonce des absurdités si manifestes?

Après tout j'avouerai bien à votre ministre que la conversion des pécheurs, soit qu'elle se fasse par des saints, soit qu'elle se fasse par le ministère même des pasteurs ou corrompus ou scandaleux, est un miracle continuel : mais c'est un miracle qu'il faut

 

1 Isa. LIV 11. — 2 P. 630, 631, etc. — 3 Matth., XXIII. 1.

 

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bien admettre, si l'on ne veut être manifestement pélagien, et qu'aussi votre ministre n'oserait nier. C'est un miracle qui présuppose l'ordre naturel, et qu'on soit du moins bien enseigné ; mais que l'on conserve les élus, en leur étant la vérité dans la prédication de leurs pasteurs, c'est un miracle que nous laissons aux protestants.

Ne laissez donc point soustraire à vos yeux la lumière toujours présente et toujours visible de la vérité dans la prédication successive et perpétuelle des prêtres ou des pasteurs, soit de ceux qui sont venus après Moïse, soit de ceux qui ont enseigné après les apôtres, puisque c'est le seul moyen ordinaire établi de Dieu par toutes les Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament pour la sanctification des élus. Lorsqu'on tâche de vous faire perdre de vue la suite continuelle de l'Eglise de Jésus-Christ dans les successeurs des apôtres, on ne cherche qu'à vous tirer du grand chemin battu par nos pères, pour vous jeter dans les voies obliques et détournées de la séparation et du schisme. Ce n'est pas ici une conséquence que je tire de la doctrine des ministres; c'est leur thèse, c'est leur sentiment exprès. Oui, mes Frères, le schisme est un crime dont on ne veut pas connaître le venin parmi vous, et on ne tâche au contraire qu'à vous ôter la juste horreur qu'en ont tous les chrétiens. Il faut donc encore vous faire voir que votre ministre s'emporte jusqu'à dire que le schisme, même celui où la foi et la religion sont intéressées, n'empêche pas le salut; et ce qui jusqu'ici était inouï, qu'on peut être ensemble et saint et schismatique : vous serez trop ennemis de vous-mêmes, si vous refusez un peu d'attention à une vérité que je vais rendre aie-claire qu'elle est importante.

 

REMARQUES
Sur le Traité du ministre, et premièrement sur ce qu'il autorise le schisme.

 

J'ai consommé mon ouvrage : la promesse de Jésus-Christ est entendue, et on a vu qu'on ne lui oppose que de manifestes chicaneries. Il est temps de passer plus avant, et de découvrir dans l'écrit du ministre d'insupportables erreurs.

 

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Je commence par ce qu'il enseigne sur le schisme, et je distingue avant toutes choses le schisme où la foi est intéressée d'avec les schismes où l'on tombe innocemment sur de purs faits; comme quand on voit par une élection partagée deux évêques dans la même église, sans qu'on puisse discerner lequel des deux est bien ordonné : c'est alors une erreur de simple fait, où la foi n'est point engagée, ni souvent même la charité. Quand l'esprit de dissension ne s'y trouve pas, et qu'on est trompé seulement par l'ignorance d'un fait, ce n'est pas un vrai schisme qui désunisse les cœurs, puisqu'on y voit, comme dit saint Paul, «un seul Christ, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, avec un seul corps (de l'Eglise) et un seul esprit (1),» et on n'est point schismatique : mais ce que je veux remarquer dans les écrits de votre ministre, c'est qu'il enseigne positivement qu'on est ensemble et fidèle et schismatique même dans la foi.

Pour parvenir à cette fin, voici par où l'on vous mène, et l'on jette de loin ces faux principes : « L'unité de l'Eglise tant vantée ne fut point le premier objet des soins et des travaux des apôtres. Ils ne travaillèrent point à la former par des lois et des règlements qui dussent être observés par l'Eglise universelle jusqu'à la fin des siècles... Chaque apôtre allant de lieu en lieu, selon que le Saint-Esprit le poussait, ou que la Providence lui en fournissait les moyens, enseignait la vérité évangélique et formait un troupeau... Chaque église particulière que les apôtres fondaient, vivait sous la conduite de son pasteur, et s'assemblait secrètement dans mie chambre. Elle formait sa discipline selon ses besoins et selon la circonstance des lieux et des temps. Il n'y avait point alors de Symbole commun : c'est une chimère de s'imaginer que les apôtres en aient dressé un, ou l’aient envoyé à toutes les églises... On savait en Orient que l'Occident avait reçu le christianisme un peu plus tard (qu'en Orient : mais l'union de ces églises, la plupart inconnues et cachées les unes aux autres, ne pouvait être ni générale, ni publique, ni sensible. Toutes ces églises particulières ne pouvaient être unies que par l'union intérieure, parce qu'elles avaient la même foi et la même espérance,

 

1 Ephes., IV, 3-6.

 

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rance, et que Jésus-Christ était le chef intérieur et commun à tous les chrétiens... Les églises naissantes étaient précisément dans le même état que celles de la Réforme, à qui les vaudois, dispersez en divers lieux et cachez dans leurs montagnes, n'étaient pas connus. Concluons de là que l'union extérieure de toutes les églises les unes avec les autres, ou avec le chef résidant à Rome, n'était ni nécessaire ni possible dans les deux premiers siècles de l'Eglise (1).» Le ministre parle à peu près dans le même sens en d'autres endroits (2) : mais je me contente de ce seul passage que j'ai rapporté exprès tout entier, à la réserve de ce qui pourrait regarder d'autres questions que celle où nous sommes de l'union des églises.

S'il ne fallait que de beaux discours et des tours ingénieux pour établir la vérité, j'aurais ici tout à craindre. Mais pour peu qu'on veuille pénétrer le fond, il n'y a personne qui ne trouve étrange cette impossibilité de l'union extérieure des églises, et le peu d'attention qu'on donne aux apôtres, pour assembler leurs disciples dans une même communion.

Le ministre n'ose pousser cette prétendue impossibilité plus avant que les deux premiers siècles, et dès là on doit tenir pour certain que s'il nous abandonne les siècles suivants, c'est qu'il y a trouvé l'union si clairement établie, qu'il n'a pas vu de jour à la nier.

Confessons donc avant toutes choses, du consentement du ministre, que l'union intérieure et extérieure des églises chrétiennes a un titre assez authentique, puisqu'il a quinze cents ans d'antiquité, et qu'il a été arrosé du sang des martyrs durant tout le troisième siècle. C'est cependant cette antiquité qu'on vous apprend à mépriser; au lieu que la raison seule vous doit apprendre, non-seulement qu'une telle antiquité est digne de toute créance, mais encore que ce qu'on trouve si solidement et si universellement établi dans un siècle si voisin des apôtres, ne peut manquer de venir de plus haut.

C'est donc en vain qu'on nous veut cacher cette union des églises dans le second siècle. Car encore qu'il nous en reste à

 

1 Tom. I, liv. I, chap. IV, n. 4, p. 34, 33. — 2 Tom. II, p. 331.

 

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peine cinq ou six écrits, il v en aurait pourtant assez dans ce petit nombre pour convaincre le ministre; et si je n'avais voulu dans cette Instruction me renfermer précisément dans l'Evangile, la preuve en serait aisée : mais pour aller à la source, comment a-t-on pu penser que l'union des églises n'était pas du premier dessein du Fils de Dieu, puisque c'est lui-même qui, formant le plan de son Eglise, a donné à ses apôtres, comme la marque à laquelle « on reconnaîtrait ses disciples, de s'aimer les uns les autres : » et encore : « Mon Père, qu'ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé (1). » Ainsi l'union même extérieure, et qui se ferait sentir à tout le monde, devait être une des marques du christianisme.

Mais peut-être que Jésus-Christ ne voulait pas dire que cette union s'entretînt d'église à église, et ne la voulait établir que de particulier à particulier dans chaque église chrétienne. A Dieu ne plaise : au contraire il paraît que, de toutes les églises, il en a voulu faire une seule Eglise, une seule Epouse; qu'il a voulu à la vérité sanctifier au dedans par la foi qu'elle a dans le cœur, mais qu'il a voulu « en même temps purifier à l'extérieur par le baptême de l'eau et par la parole de la prédication (2). » C'est ainsi que parle saint Paul. C'est cette Eglise que dès l'origine on appela catholique ; ce terme fut mis d'abord dans le Symbole commun des chrétiens; et sans entrer avec le ministre dans la question inutile, si les apôtres ont arrangé ce sacré Symbole comme nous l'avons, il suffit qu'on ne nie pas et qu'on ne puisse nier que la substance et le fond n'en fût de ces hommes divins, puisque tout l'univers l'a reçu comme de leur main et sous leur nom. On a donc toujours eu une foi commune; une commune profession de la même foi ; une seule et même Eglise universelle composée en unité parfaite de toutes les églises particulières, où aussi on établissait la communion tant intérieure qu'extérieure des suints, qu'on nous donne maintenant comme impossible.

« Les apôtres, dit le ministre, n'ont point travaillé à former la discipline par des lois qui dussent être perpétuelles et universelles (3). » Mais sous prétexte qu'ils laissaient une sainte liberté

 

1 Joan., XIII. 35; XVII, 21. — 2 Ephes., V, 26, 27. — 3 Tom. I, 35, 36.

 

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dans les cérémonies indifférentes, la vouloir pousser plus avant, ou dire que ces saints hommes ne s'étudiaient pas à rendre commune la profession de la foi, le fond de la discipline et la substance des sacrements, c'est ignorer les faits les plus avérés, et vouloir ôter au christianisme la gloire de cette sainte uniformité que le monde même y admirait.

Ce n'est pas une moindre erreur de dire « que les églises étaient pour la plupart inconnues les unes aux autres, » et s'assemblaient secrètement dans une chambre, sans se soucier de leur mutuelle communication. Car au contraire, dès l'origine les églises ont toutes tendu à s'unir et à se faire mutuellement connaître. Tout est plein dans les écrits des apôtres du salut réciproque qu'elles se donnaient en la charité du Seigneur ; l'église de Babylone qu'elle qu'elle fût, constamment bien éloignée, saluait celles de Bithynie et du Pont, d'Asie, de Cappadoce et de Galatie (1). La gravité des églises ne permet pas de prendre ce salut, qu'on trouve en tant de lettres des apôtres, pour un simple compliment : c'était la marque sensible de la sainte confédération et communion des églises dans la créance et dans les sacrements, conformément à cette parole : « Si quelqu'un vient à vous, » de quelque côté qu'il y arrive, « et n'y apporte pas la saine doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas bonjour (2) : » ne lui donnez pas le salut. La première Epître de saint Jean, selon l'ancienne tradition, se trouve adressée aux Parthes ; et de l'Asie mineure où il demeurait, cet apôtre enseignait les peuples si éloignés des pays dont il prenait soin et de l'Empire romain. Les apôtres n'écrivaient pas seulement à des églises particulières, mais en nom commun « à toutes les tribus dispersées (3), et à tous ceux qui se conservaient en Dieu et en Jésus-Christ (4). » Tout l'univers savait « la foi, l'obéissance des Romains (5) ; » et réciproquement on savait à Rome « ce que c'était que toute l'église des Gentils (en nom collectif et en nombre singulier) : et qui étaient ceux à qui elle était redevable (6).» Qu'importe donc qu'on s'assemblât « ou dans une chambre » ou ailleurs, puisque l'on se

 

1 I Petr., I, 1 ; V, 13. — 2 II Joan., 10. — 3 Jacob., I, 1. — 4 Jud., I. — 5 Rom., I, 8; XVI, 19. — 6 Ibid., 4

 

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communiquait même des prisons, d'où l'Evangile courait, comme dit saint Paul (1), sans pouvoir être lié?

Au surplus si on eût tenu pour nidifieront d'être uni ou ne l'être pas dans la doctrine une fois reçue, saint Paul n'aurait pas donné aux Romains ce précepte essentiel : « Prenez garde à ceux qui causent des dissensions et des scandales parmi vous contre la doctrine que vous avez reçue, et retirez-vous de leur compagnie (2). » Est-ce peut-être qu'on observait ceux qui causaient des divisions contre la doctrine reçue dans les églises particulières, et qu'on laissait impuni le scandale qu'auraient pu causer les églises mêmes? Ce serait une absurdité trop insupportable.

Mais si l'autorité de l'Eglise nommée en commun était de si peu de poids sur chaque église particulière, d'où vient que saint Paul prenait tant de soin de faire remarquer aux Corinthiens ce qu'il enseignait à tout l'univers : « leur envoyant exprès Timothée, pour les instruire des voies qu'il tenait partout et en toute l'Eglise (3); » et encore : «C'est ce que j'enseigne dans toutes les Eglises (4) ; » sur ce fondement : « Dieu n'est pas un Dieu de dissension, mais de paix; » comme s'il eût dit qu'il unissait non-seulement les particuliers, mais encore toutes les Eglises entre elles : ce qui lui faisait ajouter contre les auteurs des divisions et des scandales : « Est-ce de vous qu'est sortie la parole de Dieu, ou bien êtes-vous les seuls à qui elle est parvenue (5)? » leur montrant par cette doctrine combien ils dévoient déférer au commun sentiment des églises, et surtout de celles d'où la parole de Dieu leur était venue. Voilà ces églises « qui ne se connaissaient pas, pour la plupart, » et qui avaient si peu d'égard pour la doctrine et les sentiments les unes des autres.

Quand le ministre veut imaginer que les églises chrétiennes ressemblaient « à la Réforme qui, lorsqu'elle vint, ne connaissait pas les vaudois, » il devait donc faire voir par quelque exemple de l'Ecriture, ou du moins de l'antiquité ecclésiastique, qu'il s'était formé des églises, comme la Réforme, qui ne tinssent rien de celles qui étaient auparavant, et même n'en connussent

 

1 II Thess., III, 1 ; II Timoth., n, 9. — 2 Rom., XVI, 17. — 3 I Cor., IV, 17. — 4 Ibid., XIV, 33. — 5 Ibid., 30.

 

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aucune de leur créance : c'est ce qu'il ne montrera jamais ; toutes les églises naissantes venaient de la tige commune des apôtres, ou de ceux que les apôtres avaient envoyés, et en tiraient leurs pasteurs avec la doctrine.

Le ministre n'aurait pas fait agir les pasteurs si fort indépendamment les uns des autres et sans aucun mutuel concert, s'il avait songé que saint Paul même ne dédaigna pas « de venir à Jérusalem exprès pour visiter Pierre, de demeurer avec lui quinze jours; » et encore quatorze ans après, « de conférer avec les principaux apôtres sur l'Evangile qu'il prêchait aux Gentils, pour ne point perdre le fruit de sa prédication (1). » Ces hommes inspirés de Dieu n'avaient pas besoin de ce secours ; mais Dieu même « leur révélait » cette conduite, comme saint Paul le marque expressément (2), afin de donner l'exemple à leurs successeurs, et les avertir de prendre garde dans la fondation des églises à poser toujours, «comme de sages architectes, le même fondement qui est Jésus-Christ, et à observer en même temps ce qu'ils bâtissaient dessus (3). »

Cependant à la faveur de ces beaux récits, et du tour ingénieux qu'on y donne à l'état des deux premiers siècles, on insinue le schisme : on dégoûte insensiblement les fidèles du lien de la communion des églises : elle n'était pas, dit-on, du « premier dessein, » et c'est une invention du troisième siècle : quelque établie qu'on la voie depuis ce temps, c'est assez qu'elle ne soit pas de l'institution primitive, et l'on veut désaccoutumer les églises de faire leur règle de la foi commune.

        Après avoir ainsi préparé de loin la voie à ne plus craindre le schisme même dans la foi, et à tenir toute communion pour indifférente, on en vient à dire tout ouvertement que le schisme dont nous parlons n'empêche pas le salut.

Le sentiment du ministre n'est pas obscur : « Les sept mille réservés de Dieu » dans le royaume d'Israël, qui « n'avaient point courbé le genou devant Baal, » étaient schismatiques. séparés de l'église primitive de Jérusalem, « damnés » par conséquent, dit votre ministre, « au jugement de messieurs

 

1 Galat., I, 18; II, 2. — 2 Ibid. — 3 I Cor., III, 10.

 

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les prélats; et cependant, continue-t-il, Dieu les absout (1). »

Ces sept mille, ajoute-t-il, « étaient l'Eglise de Dieu, quoiqu'ils n'eussent ni étendue, ni visibilité, ni union avec l'Eglise de Jérusalem, ni la succession des prêtres : ils ne périssaient donc pas (2). »

Un abîme en appelle un autre. « Dieu avait là ( dans le schisme d’Israël) une suite de prophètes nez et vivants dans le schisme : » c'est-à-dire, comme il vient de l'expliquer, a séparé de la succession des prêtres et de l'Eglise primitive de Jérusalem (3). » Les prophètes dont il veut parler, sont ceux qui prophétisaient en Israël avec Elie et Elisée : donc Elie et Elisée, avec tous les saints prophètes qui leur étaient unis, selon le ministre, étaient schismatiques : « Et cependant, poursuit-il, ces prophètes schismatiques, » Elie, Elisée et les autres, « étaient-ils damnez à cause de leur séparation, à cause que la succession leur manquait? » Point du tout, dit-il; cela n'est rien selon les ministres; le titre de schismatique devient beau dans leur bouche, et la nouvelle Réforme le donne aux prophètes les plus saints.

Tout cela est avancé pour sauver le schisme ; la Réforme prend soin de le défendre. « Il y a du plaisir, dit le ministre, à entendre là-dessus M. de Meaux, qui entêté de l'unité de son Eglise et de la succession des pasteurs, rejette les Samaritains, comme autant de schismatiques perdus, parce qu'ils n'étaient pas unis à la source de la religion, et que la succession d'Aaron leur manquait (4). »

Ainsi ce n'était pas Dieu qui avait commandé à tout son peuple et aux dix tribus, comme aux autres, de demeurer unis et soumis aux seuls prêtres de la famille d'Aaron : ce n'était pas Dieu qui avait prescrit au même peuple par la bouche de Moïse de «reconnaître le lieu que le Seigneur choisirait, » avec expresses défenses « d'offrir en tous lieux qui se pourraient présenter à la vue (5) : » le temple de Jérusalem n'était pas ce lieu expressément désigné de Dieu sous David et sous Salomon, et unanimement reconnu par toutes les douze tribus. Malgré des commandements

 

1 Tom. II, chap. VII, n. 30, p. 661 ; III Reg., XIX, XX. — 2 P. 653.— 3 Ibid.— 4 Tom. II, p. 661, 662. — 5 Deuter., XII, 5, 11, 13, etc.

 

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si précis de Dieu et de la loi, il n'y avait aucune obligation de s'unir à la succession du sacerdoce d'Aaron ni à « l'Eglise primitive » de Jérusalem ; ce sont là des entêtements de M. de Meaux, et non pas des témoignages exprès de la loi de Dieu.

Mais ce qui m'étonne le plus, c'est le peu d'attention qu’on fait parmi vous à l'expresse condamnation du schisme de Sa marie, prononcée par Jésus-Christ même, lorsqu'il dit aux Samaritains : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; et nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs (1). » Il les sépare manifestement de sa compagnie, lorsqu'il dit : Vous et nous : il les sépare conséquemment du salut, qui ne peut être qu'avec lui : et il ne reste plus qu'à examiner s'il les condamne pour l'idolâtrie, ou seulement pour le schisme.

Le ministre abuse manifestement de cette parole de Jésus-Christ : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas : » « Ce qui fait voir, nous dit-il, que les Samaritains étaient condamnez à cause de leur ignorance, ou des dieux inconnus qu'ils adoraient ; et non pas à cause du schisme, ou parce que la succession du sacerdoce d'Aaron leur manquait (2). » C'est ainsi qu'il combat toujours en faveur du schisme, et ne veut pas que Jésus-Christ l'ait pu condamner : mais il se trompe manifestement, quand il rejette la condamnation sur l'idolâtrie des Samaritains. C'est un fait constant et avoué, qu'il y avait plusieurs siècles que les Samaritains n'avaient plus d'idoles; et qu'attachés uniquement, comme ils sont encore, à l'adoration du vrai Dieu, toute leur question avec les Juifs ne regardait que le lieu où il fallait adorer. Sans avoir besoin d'ouvrir les histoires pour voir cette vérité, le seul Evangile nous suffit, puisque la Samaritaine y parle au Sauveur en ces termes (3): « Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites que c'est à Jérusalem qu'il faut adorer; nos pères, » c'était-à-dire Jacob et les patriarches, n'adonnent point les idoles : ce n'était donc point les idoles que la Samaritaine voulait adorer, et la dispute ne regardait pas l'objet, mais Le seul lieu de l'adoration : en un mot toute la question entre les Juifs et les Samaritains était à savoir si Dieu voulait qu'on le servit ou dans le

 

1 Joan., IV, 22. — 2 Tom. II, p. 661. — 3 Joan., IV, 20.

 

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temple de Jérusalem avec la Judée, ou dans celui de Garizim avec Samarie. Cela posé, il est manifeste que la condamnation de Jésus-Christ tombe précisément sur le schisme ; et s'il reproche aux Samaritains de ne pas connaître Dieu, c'est comme je l'avais expliqué (1), au sens où l'on dit que l'on ne commit pas bien, quand on méprise ses commandements, ses promesses, la source de l'unité, le fondement de l'alliance, et le reste de même nature que Samarie avait rejeté.

Si comme le ministre l'insinue trop ouvertement, c'était une chose indifférente de reconnaître ou ne reconnaître pas les piètres successeurs d'Aaron, et que les Samaritains hissent excusables de n'y avoir pas recours selon l'ordonnance expresse de la loi, Jésus-Christ n'y aurait pas renvoyé avec les autres lépreux celui qui était Samaritain (2). J'ai rapporté ce passage dans ma première Instruction pastorale (3) : le ministre y devait répondre, ou convenir avec moi après Tertullien, que Jésus-Christ apprenait par là aux Samaritains à reconnaître le temple et les prêtres enfants d'Aaron comme la tige du sacerdoce et la source de la religion et des sacrements.

Après cela quand on attribue, non-seulement aux vrais fidèles, mais encore aux saints prophètes du Seigneur, le schisme des dix tribus, et que l'on compte pour rien de les désunir de la suite du sacerdoce et de celle du peuple de Dieu, c'est vouloir induire sur eux le péché de «Jéroboam qui pécha et qui fit pécher Israël (4). » C'est le caractère perpétuel qui est donné à ce roi impie dans tout le Livre des Rois (5). Mais il faut en même temps se souvenir que c'était une partie principale du péché tant reproche à Jéroboam, d'avoir établi «des prêtres qui n'étaient point enfants de Lévi, ni du sang d'Aaron (6),» et d'avoir rejeté ceux que Dieu avait institués dans ces races consacrées. L'érection des veaux d'or de Jéroboam ne fut que la suite de cette ordonnance schismatique : « Ne montez plus en Jérusalem ni au lieu que le Seigneur a choisi) : voilà tes dieux, Israël, qui t'ont tiré de la terre d'Egypte (7).» Ainsi la source du crime dans Jéroboam, c'est « d'avoir

 

1 Ire Inst., n. 17.— 2 Luc, XVII, 13-15.— 3 N. 17. — 4 III Reg., XIV, 16, etc.— 5 IV Reg., X,31, etc. — 6 III Reg., XII, 31 ; II Paral., XIII, 5. — 7 III Reg., XII, 28.

 

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séparé Israël d'avec le Seigneur, » comme porte expressément le Livre des Rois (1), et son plus mauvais caractère est celui de séparateur. Ce fui en haine de l'ordonnance qui séparait le peuple de Dieu de sa tige, que non-seulement les lévites, mais encore tous ceux d'Israël « qui avaient mis leur cœur à chercher Dieu (2),» abandonnèrent le schisme auquel on veut maintenant faire adhérer les prophètes.

Il est vrai qu'en mémoire d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Dieu voulut laisser dans les dix tribus un grand nombre de saints prophètes qui attachèrent une partie considérable du peuple au culte du Dieu de leurs pères : mais, après tout, ce fut à la fin pour le péché de Jéroboam qu'il livra les Israélites à leurs ennemis (3) : la source de tous les malheurs, marquée au Livre des Rois, est toujours cette première séparation, où Jéroboam « divisa» le peuple et « le sépara du Seigneur (4). » Aussi Dieu avait-il maudit l'autel schismatique dès son origine, en lui faisant annoncer sa future extermination sous le saint roi Josias, par des prophètes envoyés exprès (5). Si cependant par violence et par voies de fait les vrais Israélites avec leurs prophètes étaient empêchés de monter effectivement en Jérusalem, et d'y reconnaître le seul sacerdoce légitime qui fût alors, ils n'en pouvaient jamais être désunis de cœur, et sans manquer de fidélité aux rois d'Israël que Dieu avait dans la suite rendus légitimes, Elisée sut bien reconnaître la prérogative que Dieu avait conservée aux rois de Juda par rapport à la religion, lorsqu'il parla ainsi à Achab, roi d'Israël, qui l'interrogeait sur les volontés du Seigneur : « Qu'y a-t-il entre vous et moi, roi d'Israël? Allez aux prophètes de votre père et de votre mère. Vive le Seigneur! si je n'avais respecté la présence de Josaphat, roi de Juda, je ne vous aurais pas seulement regardé (6). » Josaphat de son côté, au seul nom d'Elie et d'Elisée, reconnut d'abord qu'ils étaient de véritables prophètes, et tout le monde savait que tous les saints du royaume d'Israël étaient de même religion, et dans le cœur autant qu'ils pouvaient, de même culte que ceux de Juda.

 

1 IV Reg., XVII, 21. — 2 II Paral., XI, 13, 16. — 3 III Reg., XIV, 16. — 4 IV Reg., XVII, 21. — 5 III Reg., XIII, 1, 2. — 6 IV Reg., III, 13, 14.

 

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C'était pour établir cotte vérité qu'Elie dans ce mémorable sacrifice, où le feu du ciel descendit à sa prière pour consumer l'holocauste en présence des dix tribus assemblées, redressa un des autels du Seigneur, et pour le construire. « prit douze pierres selon le nombre des douze tribus des enfants de Jacob, à qui le Seigneur avait dit : Israël sera ton nom (1) : » par où il voulait montrer qu'Israël dans son origine n'était pas un nom de séparation, comme il l'était devenu depuis: mais qu'au contraire c'était en matière de religion et de sacrifice un nom de communion, et que des douze tribus étaient faites pour adorer au même autel le Dieu de leurs pères.

Aussi le même prophète l'invoqua-t-il en cette occasion à haute voix, « sous le nom de Dieu d'Abraham . d'Isaac et d’Israël (2), » en lui disant: « Montrez, Seigneur, que vous êtes le Dieu d'Israël, » et que les douze tribus « dont vous voulez aujourd'hui de nouveau convertir les cœurs, » ne sont qu'un seul peuple à votre autel. Telle était l'union qu'Elie reconnaissait entre tous les vrais Israélites dans ce sacrifice commun.

    Jonas, qui prophétisait parmi les tribus séparées dont il était, ainsi qu'on le trouve au Livre des Rois (3), ne s'était point pour cela séparé du temple de Jérusalem, puisque jusque dans le ventre de la baleine qui l'avait englouti, il se consolait en criant: «Seigneur, quoique rejeté de devant vos yeux, je reverrai votre saint temple (4): » par où il marquait tout ensemble, et qu'il avait accoutumé de le visiter, et qu'il espérait encore d'y rendre à Dieu ses adorations.

Un autre prophète d'Israël, ce fut Osée, en prédisant aux dix tribus séparées leur heureux retour, leur annonce « qu'ils reviendraient au Seigneur leur Dieu et à David leur roi (5), » pour les ramener par ces paroles au temps qui avait précédé le schisme de Jéroboam, et leur rappeler le souvenir de cette parole du roi Abiam : « Ecoutez, Jéroboam et tout Israël : ignorez-vous que le Seigneur a donné a David le règne sur tout Israël pour tout jamais (6)? »

 

1 III Reg., XVIII, 30-32. — 2 Ibid. 36, 37. — 3 IV Reg., XIV, 25. — 4 Jon., II, 5. — 5 Ose., III, 4, 5. — 6 II Paral., XIII, 5.

 

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Ainsi tout vrai fidèle est frappé d'horreur, quand il entend dire que les sept mille que Dieu réservait, et que les prophètes du Seigneur qui enseignaient les dix tribus étaient schismatiques, jusqu'à celui que son zèle ardent fit enlever dans le ciel dans un chariot de feu.

Et il ne faut pas s'imaginer que la partie de l'Eglise qui se conservait dans le royaume d'Israël demeurai sans culte. Car ce n'était pas en vain que Dieu leur envoyait tant de saints prophètes avec, tant de miracles éclatants pour les empêcher d'oublier la loi de Moïse. Ils en gardaient ce qu'ils pou voient, en s'assemblant « avec les prophètes au premier jour du mois et tous les jours du Sabbat (1), » c'est-à-dire aux jours ordinaires marqués par la loi, comme il est écrit expressément au Livre des Rois. Il y avait même parmi eux des autels de Dieu; et s'ils en eussent été privés, Elie n'aurait pas dit au même temps que les sept mille lui furent montrés en esprit: «Seigneur, les enfants d'Israël ont abandonné votre alliance: ils ont abattu vos autels et massacré vos prophètes (2). » Ils persistaient donc dans l'alliance, et en avaient  pour marques sensibles les prophètes sous la conduite desquels ils servaient Dieu, et les autels qu'ils (dévoient au nom du Seigneur. Ce pouvaient être des autels semblables à celui qu'érigèrent ceux de Ruben et de Gad avec la demi-tribu de Manassés (3), non point pour se séparer de l'autel du Seigneur, mais au contraire comme un mémorial de la part qu'ils se réservaient aux sacrifices communs. Mais enfin quels que fussent ces autels et quel qu'ait été le culte que Dieu y établissait, selon la condition de ces temps, par le ministère extraordinaire et miraculeux des prophètes, toujours est-il bien certain que ce n'était pas l'autel de Bethel ni les autres de Jéroboam que Dieu avait en horreur, comme on a vu.

Par conséquent cette Eglise, que Dieu réservait en Israël, se rendait visible autant qu'elle le pouvait dans une si cruelle persécution; et quand elle fut réduite à se cacher tellement dans le royaume des dix tribus séparées, qu'Elie ne l'y voyait plus, deux raisons empêchent que cela ne nuise à tout le corps de

 

1 IV Reg., IV, 23. — 2 III Reg., XIX, 24. — 3 Jos., XXII, 27.

 

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L’Eglise : l'une, que cet état ne dura pas, comme le reste de l'histoire d'Elie et toute celle d'Elisée le fait paraître ; et l'autre, qui est l'essentielle, que c'est un fait avéré dans le même temps, que l'Eglise et la religion éclataient en Judée sous Josaphat et les autres rois.

Ainsi on ne fait ici que vous amuser: on vous fait prendre le change, et on met la difficulté où elle n'est pas. Cette dispute sur les sept mille qui est votre unique refuge, ne sert de rien à la question, et ne nuit en aucune sorte à la doctrine que j'ai établie touchant la promesse de l'Evangile. Les catholiques ne prétendent pas que la foi ne puisse jamais être cachée en des endroits particuliers, puisque même nous confessons quelle y pourrait être tout à fait éteinte. Le fondement que nous posons, c'est que la succession des pasteurs qui remontent jusqu'aux apôtres, sans que la descendance en puisse être interrompue ni niée, est incontestable : que ceux qui chercheront Dieu, verront toujours une Eglise où on le pourra trouver : une Eglise qui soit toujours « le soutien et la colonne de la vérité (1) ; » une Eglise à qui l'on dira jusqu'à la fin de l'univers : « Dites-le à l'Eglise ; et s'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il vous soit comme un gentil et un publicain (2) : » une Eglise enfin plus immuable que le roc, dont la foi toujours comme et victorieuse verra toutes les erreurs tomber à ses pieds, et contre laquelle l'enfer ne prévaudra pas. Que cette Eglise ait quelque part des membres cachés : qu'elle s'obscurcisse, qu'elle périsse même quelque part, sa perpétuelle universalité ne laissera pas de subsister : la promesse ne sera pas anéantie pour cela; et une marque que les objections qu'on vient d'entendre n'appartiennent seulement pas à la question que nous traitons, c'est qu'on peut vous accorder tout ce que vous dites sur les fidèles cachés, sans que notre doctrine ait reçu la moindre atteinte.

        Les sept mille vous servent si peu, que même vous ne sauriez vous mettre à leur place. Si la messe ou toute autre chose que vous voudrez imaginer, est le Baal devant lequel les sept mille n'avaient pas fléchi le genou, quand Luther ou Zuingle ou Œcolampade

 

1 I Timoth., III, 15. — 2 Matth., XVIII, 17.

 

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ou Bucer ou Calvin ont éclaté, « les sept mille » qui croyaient comme eux secrètement, ont dû venir leur déclarer cette secrète créance, et leur dire : Nous étions déjà dans ces sentiments; vous n'avez fait que nous rallier et nous donner la hardiesse de nous découvrir. Mais loin d'en trouver sept mille qui leur tinssent ce langage, nous avons presse vos ministres d'en nommer un seul. J'en ai moi-même interpellé M. Claude, et il a dit : « M. de Meaux croit-il que tout soit écrit?» Je l'ai demandé à M. Jurieu, et il a répondu: « Que nous importe? » J'ai mis ce fait sous les yeux de tous les lecteurs de mon Troisième Avertissement contre M. Jurieu (1). Sans vous obliger à recourir à ce livre, et pour renfermer dans ce seul écrit foute la force de ma preuve, interrogez-vous vous-mêmes si jamais on vous a nommé, non pas sept mille hommes et un nombre considérable, mais deux ou trois hommes, mais un seul homme qui ait déclaré aux réformateurs qu'il n'avait jamais été d'une autre créance que de celle qu'ils leur annonçaient : pressez de nouveau vos ministres les plus curieux, les plus savants, les plus sincères, de vous éclaircir d'un fait si essentiel à la décision de cette cause : si vous ne voyez clairement leur embarras; si loin de vous montrer un seul homme qui avant Luther ou Oecolampade, ait cru comme Luther et Oecolampade, ils ne sont à la fin contraints à vous avouer de bonne foi que Luther même et Oecolampade, Bucer et Zuingle s'étaient faits prêtres ou même religieux de bonne foi, et qu'ils avaient innové non-seulement sur les pasteurs précédents, mais encore sur eux-mêmes, je ne veux plus mériter de vous aucune créance. Ils n'avaient donc pour eux ni les visibles ni les invisibles, ni les connus ni les inconnus; et il faut que vous confessiez qu'en cela semblables à tous les hérésiarques qui furent jamais, vos auteurs, quand ils ont paru, n'ont rien trouvé sur la terre qui pensât comme eux.

Dès là donc pour justifier le schisme qu'ils avaient fait avec tous leurs prédécesseurs et avec tous les vivants, il a fallu s'intéresser pour le schisme même et en adoucir l'horreur : par ce moyen les sept mille sont devenus schématiques sans péril de

 

1 III Avert., n. 30-32.

 

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leur salut : les saints prophètes étaient séparés de la suite du sacerdoce et de l'Eglise, sans scrupule et sans aucune diminution de leur sainteté : il a fallu faire voir qu'il n'y avait nulle nécessité que les églises fussent si unies : chaque église se doit former par elle-même : des églises on en viendra aux particuliers : nul ne doit régler sa foi sur son prochain non plus que sur les églises, pas même sur celle où l'on est, chacun n'a à consulter que son cœur et sa conscience : vous voyez par expérience où l'on va par ce chemin ; et si la suite inévitable n'en est pas toujours la religion arbitraire ou l'indifférence des religions, sans en excepter le socinianisme ni le déisme.

 

REMARQUES
SUR LE FAIT DE PASCHASE RADBERT,
Où le ministre tâche de marquer une innovation positive.

 

Pour détourner vos oreilles d'une doctrine si simple, on vous accable de faits inutiles. Mais il n'y a que deux faits qui servent à votre salut, et ils sont constants : l'un est que vos prétendus réformateurs ont établi vos églises en se séparant de la communion de ceux qui les avaient baptisés et ordonnés, et en rejetant à L'exemple de toutes les hérésies la doctrine de tous les pasteurs qui étaient en place lorsqu'ils ont paru (1) : l'autre, que l'Eglise catholique n'a jamais rien fait de semblable. Il fallait donc écarter tous les autres faits qui ne servent qu'à détourner la question, et ensuite n'étourdir le monde ni des Chinois, ni des Grecs, ni de Claude de Turin, ni de la morale sévère, ni de la morale relâchée, ni des maximes du clergé de France, ni des jansénistes, ni des quiétistes, ni du cardinal Sfondrate et de ses nouveautés sur le péché originel ou sur les autres matières semblables, ni même des albigeois ni des vaudois, que la Réforme confesse elle-même, comme on vient de voir, qu'elle ne connaissait pas quand elle est venue, et qui d'ailleurs ne se trouvaient pas moins embarrassés que vous à nommer leurs prédécesseurs. Il fallait donc,

 

1 Ière Inst., n. 12, etc.

 

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ou nommer la suite des vôtres sans interruption, ce que vous n'entreprenez seulement pas; ou pour convaincre par un fait certain l'Eglise romaine de rupture avec ses auteurs, y marquer dans toute sa suite un point fixe et déterminé où l'on se soit vu contraint, pour soutenir sa doctrine, de renoncer à la leur. Voilà, dis-je, précisément ce qu'il fallait avoir prouvé ; sinon l'on dispute en l'air, et l'Eglise subsiste toujours sans pouvoir être troublée dans son état.

Votre ministre a senti ce qui manquait à sa preuve; et je vous prie, mes chers Frères, de bien entendre ses paroles, qui vous met Iront dans la voie de votre sa lui, si vous les voulez comprendre. Les voici de mot à mot.

« M. de Meaux soutient mal à propos qu'on ne peut marquer à la vraie Eglise, c'est-à-dire à l'Eglise romaine, son commencement par aucun fait positif, qu'en remontant aux apôtres, à saint Pierre et à Jésus-Christ : et si cela était vrai, il aurait raison (1).» Pesez bien encore une fois que s'il y a une Eglise à laquelle on ne puisse montrer son innovation par aucun fait positif, ce sera la véritable Eglise. Le ministre en est convenu, et il ne se sauve qu'en niant que cet avantage appartienne à l'Eglise catholique ; il se sent donc obligé à donner des dates précises de chaque dogme de l'Eglise : « Oui, poursuit-il, on marque précisément les innovations, le commencement et le progrès des erreurs, des faux cultes et de l'idolâtrie par laquelle L'Eglise romaine se distingue de la Réforme. » Si c'était assez de le dire, il serait trop aisé de gagner sa cause : mais ouvrez son livre : lisez la page citée, où il promet d'établir ces dates; considérez le texte et la marge ; ni dans le texte ni dans la marge vous ne trouverez aucune preuve, je ne dis pas établie, mais indiquée : il confond le vrai, le faux, le douteux, ce qui est de foi et de discipline, c'est-à-dire ce qui peut changer et ce qui est invariable : et au lieu de montrer la rupture qu'il pose en fait, sans raisonner il suppose que nous avons tort : est-ce ainsi qu’on établit les faits comme constants, comme positifs, comme avères? Il sent donc qu'il n'a rien à dire , puisque entreprenant de

 

1 Tom. II, lib. IV, cap. IV, n. 15, p. 598.

 

 

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marquer ces faits, il demeure court dans la preuve. Lisez vous-mêmes et jugez.

Le fait qu'il articule le plus nettement, c'est la prétendue innovation de Paschase Radbert. « On montre, dit-il, le point fixe où une parcelle se séparait de la tige sur l'Eucharistie, lorsque Paschase était presque le seul au neuvième siècle qui enseignait la présence réelle (1). » S'il voulait montrer ce point fixe de séparation, il devait donc dire de qui Paschase s'était séparé, qui lui avait dit anathème, qui avait fait alors un corps à part : il n'en dit mot, parce qu'il sait bien en sa conscience qu'il n'y eut rien de semblable, et qu'au contraire Paschase avançait positivement à la face de toute l'Eglise, sans être repris par qui que ce soit, « qu'encore que quelques-uns (remarquez ce mot) errassent par ignorance sur cette matière de la présence réelle, néanmoins il ne s'était encore trouvé personne qui osât ouvertement contredire ce qui était cru et confessé par tout l'univers (2). » Voilà ce qu'écrit Paschase, sans crainte d'être démenti ; et en effet il resta si bien dans la communion de toute l'Eglise, que ni sa doctrine, ni ses livres, ni sa mémoire n'ont jamais été notés d'aucune censure. Au lieu de trouver Paschase d'un côté, et comme le ministre l'a-voit promis, presque tout le monde de l'autre, il trouve Paschase, avec tout le monde, et de l'autre quelques-uns. Voilà ce point fixe de séparation, où le ministre avait mis son espérance.

Il y revient encore une fois, et encore une fois il ne dit rien. « Avant Paschase, dit-il, la transsubstantiation était inconnue (5).» Si elle eût été inconnue, tout le monde se serait donc élevé contre, comme on a fait contre toutes les autres nouveautés : on nommerait ou le pape ou le concile qui aurait condamné le novateur. Mais non ; on ne dit rien de tout cela, et l'on n'y songe même pas. Il est vrai que le ministre dit bien qu'on cria : Paschase au neuvième siècle « parut avec son dogme de la présence réelle, et alors on cria fort contre la nouveauté de sa doctrine (6). » Il le dit; mais du moins rapportera-t-il quelque acte authentique, comme il fallait faire pour marquer «ce point fixe de la séparation » qu'il

 

1 Tom. II, p. 599. — 2 Epist. ad Fruct., p. 1634. — 3 Tom. II, p. 635. — 4 P. 641.

 

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avait promis? Non; et voici tout ce qu'il en sait : a l'Eglise gallicane, poursuit-il, avait toujours été dans une créance très-différente de l'Eucharistie. » On attendait sur cette matière quelque décret authentique d'une Eglise si éclairée : mais le ministre tourne tout court pour nous dire en l'air : « Tout ce qu'il y avait de grands hommes en ce temps-là, quoique divisez sur la grâce, se réunirent pour défendre l'ancienne doctrine sur l'Eucharistie. » Mais que firent-ils? Tout se va réduire au seul livre de Ratramne qu'on n'ose nommer, parce que son autorité n'est pas assez grande pour montrer un consentement décisif, et que d'ailleurs on n'est pas d'accord de son sentiment, ni du sujet du livre ambigu qu'il fit par ordre de Charles le Chauve. Le ministre n'ignore pas les disputes entre les savants sur le sujet de ce livre, et dit seulement : « Charles le Chauve entra dans cette dispute : ce fut par son ordre qu'on écrivit : et ceux qu'il avait chargez de cette commission combattirent la présence réelle contre Paschase (1). » C'est la question que l'auteur suppose sans preuve décidée en sa faveur : « Ce qui achève, conclut-il, de faire voir que c'était là le parti le plus autorisé et le plus nombreux. » C'est tout ce qu'il a pu dire de ce point fixe de séparation qu'on lui demandait, et qu'il entreprenait de montrer ; comme si un ordre d'écrire donné par un empereur, sur une matière de foi, était une approbation de ce prince; ou que cette approbation, quand elle serait véritable, fût un acte authentique de l'Eglise. Quoi qu'il en soit, le ministre n'en a pas su davantage. C'est en vain que j'entrerais dans un l'ait avancé en l'air et dans les autres jetés à la traverse : il faut abréger les voies du salut, et ne pas faire dépendre votre instruction d'une critique inutile, où quand j'aurai l'avantage qui suit toujours la bonne cause, je n'aurai fait que perdre le temps. Il suffit qu'il soit véritable que si l'on avait une fois trouvé dans le fait ce moment d'interruption, la mémoire ne s'en serait jamais effacée parmi les hommes; et l'Eglise catholique, ou si l'on veut l'Eglise romaine, porterait empreinte sur le front la date de sa nouveauté et de son schisme, au lieu qu'elle y porte le témoignage immémorial de sa perpétuelle et invariable succession.

 

1 Tom. II, p. 641 et 642.

 

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REMARQUES
SUR LE FAIT DES GRECS.

 

La même raison m'empêche d'entrer plus avant dans ce qui regarde les tirées. Jeu ai dit assez sur ce sujet dans la précédente Instruction pastorale, et je veux seulement vous faire observer pie votre ministre n'a pu ni osé le contredire.

Il a cité l'endroit de cette Instruction (1), où je reproche justement aux Grecs de n'avoir «plus voulu dire comme ils faisaient» dans les conciles généraux qu'ils ont tenus avec nous : « Pierre a parlé par Léon (2) : Pierre a parlé par Agathon : Léon nous présidait » à Chalcédoine, « comme le chef préside à ses membres : les saints canons et les lettres de notre saint Père et Conserviteur Célestin nous ont forcés à prononcer cette sentence (3). » C'est celle où Nestorius fut déposé à Ephèse, dans le troisième concile œcuménique et dans l'action principale pour laquelle il était assemblé.

Le ministre a vu toutes ces paroles, même celles où le concile d'Ephèse a prononcé qu'il « était contraint (à déposer l'hérétique ) par les saints canons et par les lettres » émanées canoniquement de la chaire de saint Pierre. Que demandons-nous davantage aux Grecs, et de quoi les accusons-nous, sinon d'avoir renoncé au sentiment où nous étions tous dans les premiers conciles généraux, que constamment nous avons tenus ensemble?

Voilà ce que je disais, ce que votre ministre a vu et cité : écoutez ce qu'il y répond. Lisez seulement le titre qui est à la marge, vous y trouverez ces mots : « Primauté de saint Pierre reconnue ; » et dans le corps du discours : « Les Grecs reconnaissent la primauté de saint Pierre (4). »

Mais peut-être qu'en reconnaissant « la primauté de saint Pierre, » qui ne peut venir que de Jésus-Christ, ils ne reconnaissaient pas également qu'elle eût passé à ses successeurs, évêques de Rome. Lisez encore dans le livre de votre ministre, à

 

1 Inst. past., n. 32; Réponse, tom. II, liv. IV, chap. II, n. 6, etc. — 2 Epist. Conc. Chalced. ad Leon. — 3 Conc. Ephes., act. 1. — 4 Tom. II, n. 6, p. 562.

 

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la marge : « Sentiment des Grecs ; » et dans le corps ces paroles : « Que M. de Meaux n'allègue pas les acclamations des Grecs au concile de Chalcédoine, en faveur de saint Pierre et de Léon le Grand : les Grecs ne contestaient pas à saint Pierre sa primatie, ni à l'évêque de Rome le premier rang dans les conciles où il était présent (1). » Ne nous arrêtons pas à ce qu'il voudrait insinuer sur la présence du pape. Il n'était présent que par ses légats ni à Ephèse ni à Chalcédoine, où le concile disait qu'il présidait « comme chef» aux évêques qui étaient « ses membres, » et qu'il était « contraint par ses lettres » à prononcer la sentence. Mais enfin il est donc certain, de l'aveu de votre ministre, que les Grecs reconnaissaient dans le pape mie primauté venue de saint Pierre, et par conséquent d'institution divine. Si donc ils ont changé de ton et n'ont plus voulu la reconnaître dans la suite, j'ai eu raison de leur reprocher que c'est eux qui ont innové, et qui ont laissé tomber une institution qu'ils reconnaissaient auparavant, non-seulement comme ecclésiastique, mais encore comme divine et venue de Jésus-Christ même.

Mais allons encore plus avant, et voyons à quoi le ministre veut réduire la foi des Grecs. C'est qu'en leur faisant avouer la primauté divine de saint Pierre et de ses successeurs, ils nient seulement «qu'on doive leur être soumis ou communier avec les évêques romains pour être l'Eglise (2) ; » et un peu après : « Ils ont toujours soutenu (les Grecs ) que cette primauté de saint Pierre n'emporte ni soumission de la part des apôtres à saint Pierre, ni obéissance de la part des évêques au pape : et les actes des conciles, les registres publics de l'Eglise (ce sont ici mes paroles qu'il rapporte ) en font foi (3). » Il devait donc réfuter ou nier du moins ce que j'ai tiré de ces registres et de la propre sentence que le concile d'Ephèse a prononcée contre Nestorius : « Contraint par les saints canons et par les lettres de saint Célestin. » Il n'a pu ni osé nier que ces paroles ne se lisent effectivement dans ces registres authentiques de l'Eglise, que les Grecs ont dressés conjointement avec nous. Il y avait donc, de l'aveu commun de l'Orient et de l'Occident unis alors et assemblés dans un concile

 

1 Tom. II, n. 7, p. 563. — 2 Ibid., n. 6, p. 562. — 3 Ibid., n. 7, p. 563.

 

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général pour condamner l'hérésie de Nestorius ; il y avait, dis-je, dans les lettres du pape quelque chose qui, joint aux canons, contraint les esprits; c'est-à-dire manifestement quelque chose qui a force et autorité dans les jugements de la foi que rendent les plus grands conciles; et il ne reste plus de ressource à votre ministre qu'en disant que cette contrainte canonique n'imposait ni déférence ni soumission à ceux qui la reconnaissaient.

Mais le ministre produit encore « les séparations fréquentes des deux patriarcats d'Orient et d'Occident . pour prouver que les Grecs ne croyaient pas que la primauté de saint Pierre et de sa chaire fut si nécessaire qu'on y doive communier pour être l'Eglise (1) : » de sorte qu'il faudrait croire, si l'on ajoutait foi à son discours, que les Grecs ne voulaient pas croire qu'il fallût, pour « être l'Eglise, » demeurer dans un état qu'eux-mêmes ils reconnaissaient établis par Jésus-Christ, et qu'on pouvait renoncer à ses institutions : absurdité si visible qu'elle tombe par elle-même en la récitant.

Il ne faut donc pas tirer avantage des séparations des Grecs, puisque s'ils se sont quelquefois séparés, ils sont aussi retournés à leur devoir, et ne se sont jamais rendus plus évidemment condamnables que lorsqu'ils ont semblé vouloir oublier à jamais l'état où ils étaient avec nous, et changer par un l'ait certain et positif la doctrine perpétuelle dans laquelle leurs pères avaient été élevés jusqu'au jour de leur rupture.

Voilà où votre ministre a réduit les Grecs, et c'est sur ce fondement qu'il leur accorde sans peine « la succession apostolique et la présence miraculeuse de Jésus-Christ, si elle est promise aux pasteurs qui ont pris la place des apôtres (2). » A la bonne heure; ils ont donc pris la place des apôtres, et n'en ont point interrompu la succession : votre ministre le veut lui-même ainsi. Commencez donc par avouer que cette succession leur était nécessaire, et laissez là vos églises à qui elle manque si visiblement.

        Quand donc en expliquant la promesse : « Je suis avec vous, » j'ai dit que saint Pierre y était compris avec la prérogative de sa primauté (3), le ministre ne devait pas dire que « cette lumière ne

 

1 Tom. II, cap. II, n. 7, p. 503. — 2 Ibid. — 3 I Inst. past., n. 32.

 

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sort pas de l'oracle ni de la promesse de Jésus-Christ, mais de l'esprit subtil de M. de Meaux (1), » puisqu'il fait lui-même convenir les Grecs de la primauté divine de saint Pierre passée à ses successeurs et si certaine d'ailleurs, que ses plus grands adversaires ne peuvent la désavouer.

Je n'ai donc rien pris dans mon esprit, et je n'ai l'ait qu'expliquer l'Evangile par l'Evangile, et une vérité par une autre qui n'est pas moins assurée ; et si vous le permettez, j'ajouterai, mes chers Frères, ce seul mot, que des deux causes principales que les Grecs allèguent pour sauver leur rupture avec Rome, la première étant la procession du Saint-Esprit, et la seconde la primauté de saint Pierre passée à ses successeurs ; dans la première, vous êtes des nôtres par votre propre Confession de foi, puisqu'elle porte en termes formels que « le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils (2); »et pour la seconde qui regarde la primauté de saint Pierre, votre ministre vous vient d'avouer non-seulement qu'on la trouve dans les registres publics des conciles oecuméniques, mais encore que les Grecs en étaient d'accord. Il sait bien en sa conscience que je pourrais soutenir cet aveu des Grecs par cent actes aussi positifs que ceux qu'on a rapportés : mais je me suis renfermé exprès dans ceux qui sont avoués par votre ministre. Pourquoi donc en appeler sans cesse aux Grecs, si ce n'est pour vous détourner du vrai état de la question par des faits où il se trouve après tout, sans consulter autre chose que, L'Evangile et l'aveu de votre ministre, que la vérité est pour nous ?

 

REMARQUES
SUR L'HISTOIRE DE L'ARIANISME.

 

J'ai réservé à la fin de cette Instruction le grand argument du ministre qu'il a répandu dans tout son livre : c'est celui qu'il tire de L'oppression de l'Eglise, sous les règnes de Constance et de Valons : « On marquait, dit-il, alors le point fixe où une parcelle combattait contre le tout ; » à quoi il ajoute : « Ce point fixe était

 

1 I Inst. past., n. 5, p. 81. — 2 Art. 6.

 

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l'année de la mort de Constance : l'Eglise étendue et visible changea la doctrine dont elle faisait profession le jour précédent (1). » C'est-à-dire, selon le ministre, que d'arienne qu'elle était hier sous ce prince, dès le lendemain sans plus tarder, elle redevint catholique : et il ne veut pas seulement songer qu'un changement si subit ne sert qu'à faire sentir qu'il ne se fit rien dans les formes ni par raison sous ce prince, mais que l'injustice et la force ouverte y régnaient toujours.

Il est fâcheux, je l'avoue, d'avoir à repasser sur des faits si souvent éclaircis par nos docteurs ; mais la charité nous y force, puisque l'aveu du ministre et les tours qu'il donne à ces faits vont mettre la vérité dans un si grand jour, qu'il n'y aura qu'à ouvrir les yeux pour l'apercevoir.

D'abord donc lorsqu'il joint la persécution de Valens avec celle de Constance, il veut grossir les objets : l'Eglise fut tourmentée d'une cruelle manière sous l'empereur Valens, arien qui régnait en Orient : mais sans aucun péril pour la succession, puisque dans le même temps tout était paisible en Occident sous Valentinien, son frère aîné. Et même du côté de l’Orient, les grands évêques de cet empire, un Athanase, un Basile, les Grégoire de Nazianze et de Nysse, un Eusèbe de Samosate et tant d'autres qui sont connus, illustraient la foi par leur doctrine et par leurs souffrances. Les évêques catholiques chassés de leurs églises, ne faisaient que porter la foi du lieu de leur résidence à celui de leur exil. Le ministre dit quelquefois que l'Eglise perdait alors « de son étendue et de sa visibilité : » ce n'est rien dire, on sait ce qu'opérait la persécution : le sang des fidèles, que versaient les empereurs chrétiens, n'était pas moins fécond que celui des autres martyrs; et quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de savoir si l'Eglise peut devenir ou plus ou moins étendue, ni éclater davantage en un temps qu'en un autre; mais si elle peut cesser d'être étendue et visible, malgré la protection de celui qui a promis d'être tous les jours avec elle.

Laissant donc les temps de Valens, arrêtons-nous à Constance, sous qui la confusion parut plus grande ; et puisqu'il faut ici

 

1 Tom. II, p. 598. — 2 Ibid., p. 580, 691, 692, 665.

 

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établir des faits, faisons si bien que nous ne posions que ceux qui seront constants et même avoués par le ministre.

La déduction en sera courte, puisque je les réduis à deux seulement, mais qui seront décisifs. Le premier est ainsi posé dans ma Première Instruction pastorale : « Que quelques progrès qu'a il pu faire l'arianisme, on ne cessait de le ramener au temps du prêtre Aldus, où l'on comptait par leur nom le petit nombre de ses sectateurs ; c'est-à-dire huit ou neuf diacres, trois ou quatre évêques, en tout treize ou quatorze personnes qui s'élevèrent contre la doctrine qu'ils avaient apprise et professée dans l'Eglise sous leur évêque Alexandre, qui joint avec cent évêques de Libye, leur dénonçait un anathème éternel adressé à tous les évêques du monde, de qui il était reçu (1). » C'est donc à ce temps précis et marqué qu'on ramenait les ariens, et il suffit pour les mettre au rang de ceux qui, contre le précepte de saint Jude et de saint Paul, se séparent et se condamnent eux-mêmes (2), en condamnant la doctrine qu'ils avaient reçue à leur baptême et à leur sacre.

Voilà le fait précis et constant de la rupture d'Arius, à quoi il faut attacher un fait de même nature et aussi certain qu'est celui du concile de Nicée , qui sept ans après opposa à cinq ou six évêques seulement de la faction d'Arius la condamnation de trois cent dix-huit évêques, avec qui tout l'univers communiquait dans la foi, et qui aussi était reconnu par toute la terre pour universel; en sorte; qu'il n'y avait rien de plus constant que le point de la séparation d'Arius et des ariens.

C'est ce point qu'on ne perdit jamais de vue ; et pour montrer que l'Eglise malgré la persécution de Constance et le concile de Rimini, où le ministre prétend que la succession fut interrompue, était demeurée en état, je pose ce second fait également incontestable : que deux ou trois ans après ce concile et la mort de cet empereur, saint Athanase écrivait encore à l'empereur Jovien : « C'est cette foi ( de Nicée que nous confessons ) qui a été de tout temps, » et c'est pourquoi, continue-t-il, « toutes les Eglises la suivent (en commençant par les plus éloignées), celles d'Espagne, de la Grande-Bretagne, de la Gaule, de l'Italie, de la

 

1 I Instruct. past. n. 14, p. 91. — 2 Ibid.

 

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Dalmatie, Dacie, Mysie, Macédoine; celles de toute la Grèce, de toute l’Afrique, des îles de Sardaigne, de Chypre, de Crète: La Pamphylie, la Lycie, l’Isaurie, l'Egypte, La Libye, le Pont, la Cappadoce : les églises voisines ont la même foi, et toutes celles d’Orient (c'est-à-dire de la Syrie et les autres du patriarcat d’Antioche), à la réserve d'un très-petit nombre : les peuples les plus éloignés pensent de même (1); » c'était-à-dire, non-seulement tout l'empire romain , mais encore tout l'univers jusqu'aux peuples les plus barbares. Voilà l'état où était l'Eglise sous l'empereur Jovien, trois ans après la mort de Constance et le concile de Rimini : ainsi ni ce concile, ni les longues et cruelles persécutions de l'empereur, ni le support violent qu'il donna vingt-cinq ans aux ariens, ne purent leur faire perdre le caractère de la parcelle séparée du tout. « Tout l'univers, poursuit saint Athanase, embrasse la foi catholique, et il n'y a qu'un très-petit nombre qui la combatte. »

Cela veut dire qu'après la rupture, qui montre à l'hérésie son innovation contre les prédécesseurs immédiats et Les met visiblement au rang de ceux qui se séparent eux-mêmes, Dieu permet bien des tentations, des scandales, des ébranlements et même des chutes affreu es dans les colonnes de l'Eglise, qui causent durant un temps quelque sorte d'obscurité ; mais, comme j'ai déjà dit , on ne perd jamais le point de vue qui met toujours manifestement les hérétiques au rang de ceux qui se séparent eux-mêmes. Il n'y a donc qu'à comparer l'un avec l'autre ces deux faits toujours constants, l'un de la rupture précise et de l'innovation dans les hérésies, et l'autre de la consistance et succession perpétuelle de l'Eglise, pour voir sans discussion et sans embarras, d'un côté La vérité catholique et universelle, et de l'autre la partialité et le schisme.

Le fait de la rupture posé de la manière qu'on vient d'entendre dans la précédente Lettre pastorale, a été vu et avoué par mon adversaire; mais voici ce qu'il y répond : « Renvoyer les artisans, les laboureurs, les soldats et les femmes chercher dans les archives de l'église d'Alexandrie, si Arius n'avait que treize ou

 

1 Epist. Athan. ad Jov. Imp.

 

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quatorze sectateurs, c'était jeter les simples dans les embarras d'un examen plus difficile que celui de la vérité par l'Ecriture (1).» C'est toute la réponse du ministre, où l'on voit qu'il avoue le fait, que personne aussi ne peut nier, et se contente de dire qu'il ne peut être connu des simples.

Je vous plains en vérité, mes chers frères, si ceux qui se chargent de votre instruction sont assez aveugles pour croire ce qu'ils vous disent; et je vous plains encore davantage, si ne pouvant croire des faussetés si visibles, ils osent vous les proposer sérieusement. Je vous demande : Est-ce à présent un embarras de savoir qu'avant Luther, avant Zuingle, avant Calvin, il n'y avait point de Confession d'Augsbourg, ni d'églises protestantes; et les catholiques ont-ils jamais été obligés à prouver ce fait ? Point du tout : il a passé pour constant ; et jusqu'ici, je ne dirai pas que personne ne s'est avisé de le nier, mais je dirai que personne ne s'est avisé de dire qu'il n'en savait rien. Si ce fait demeure pour constant deux cents ans après, et le sera éternellement sans pouvoir être nié, à plus forte raison du temps d'Anus et du concile de Nicée, le fait dont il s'agit fut connu et avoué par toute la terre. Il ne fallait pas aller feuilleter les registres de l'église d'Alexandrie : les lettres d'Alexandre évêque d'Alexandrie, et les décrets de Nicée étaient entre les mains de tout le monde : mais ces faits une fois posés ne se peuvent jamais effacer. Il en est de même de toutes les autres hérésies : on les sait dans le temps : c'est l'affaire du jour, qu'on apprend à coup sur du premier venu : ainsi, comme je l'ai dit, le point de la rupture est toujours marqué et sanglant: chaque secte porte sur le front le caractère de son innovation : le nom même des hérésies ne le laisse pas ignorer, et c'est trop vouloir abuser le monde que de proposer une discussion où il n'y a qu'à ouvrir Les yeux, et où jamais on ne trouvera la moindre dispute.

Le fait de la rupture d'Arius étant ainsi avère du consentement du ministre, et la conséquence étant assurée par la faiblesse visible de sa réponse, il faudrait peut-être voir encore ce qu'il dit sur l'état de l'Eglise après la mort de l'empereur Constance. Mais

 

1 Tom. II, p. 617, 618.

 

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nous l'avons déjà vu dans ces paroles : « On marquait alors (après la mort du persécuteur ) le point fixe où la parcelle combattait contre le tout; ce temps fixe était l'année de la mort de Constance : l'Eglise étendue et visible (qu'il suppose avoir été arienne sous ce prince, changea la doctrine dont elle-même faisait profession le jour précédent (1) : » il ne fallut, ni effort, ni violence : toute l'Eglise par elle-même se trouva catholique, c'est-à-dire qu'elle se trouva dans son naturel; et cependant ce ministre veut imaginer qu'elle avait perdu sa succession.

Mais, dit-il, « les ariens avaient vanté la constante et paisible possession de leurs dogmes, criant à Libérius : Vous estes le seul: pourquoi ne communiez-vous pas avec toute la terre (2) ? »

Encore un coup, mes chers Frères, on vous doit plaindre si vous êtes capables de croire qu'au temps que les ariens parlaient ainsi à Libérius, ils pussent se vanter de la constante et paisible possession de leurs dogmes : c'était en l'an 355 que ce pape eut avec l'empereur l'entretien célèbre où votre ministre leur fait tenir ce discours ; il n'y avait pas encore trente ans que le concile de Nicée avait été célébré; car il le fut, comme on sait en 325 : la foi de Nicée vivait par toute l'Eglise : il n'y avait pas douze ans que le grand concile de Sardique, comme l'appelait saint Athanase, en avait renouvelé les décrets : ce concile était vénérable pour avoir rassemblé trente-cinq provinces d'Orient et d'Occident , le pape à la tète par ses légats, avec les saints confesseurs qui avaient déjà été l'ornement du concile de Nicée. Le scandale de Rimini, où les ministres veulent croire que tout fut perdu et que l'Eglise, visible fut ensevelie, n'était pas encore arrivé, et ce concile ne fut tenu que douze ans après, l'an 339, et l'année qui précéda la mort de Constance. Cependant on voudrait vous faire accroire que les ariens se glorifiaient dès lors d'une « constante et tranquille possession » de leurs dogmes, pendant que la résistance des orthodoxes sous la conduite de saint Athanase et des autres était la plus vive.

Mais ils ne portaient pas si loin leur témérité ; et voici ce qu'on objectait à Libérius : « Je souhaite, » c'est Constance qui lui parle

 

1 Tom. II, p. 598. — 2 Ibid.

 

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ainsi, « que vous rejetiez la communion de l'impie Athanase, puisque tout l'univers après le concile de Tyr le croit condamnable (1) ; » et un peu après : « Tout l'univers a prononcé cette sentence, » et ainsi du reste. Il s'agit donc simplement du fait de saint Athanase, et encore que ce fût en un certain sens attaquer la foi que d'en condamner le grand défenseur à ce seul titre, il y a une distance infinie entre cette affaire et la tranquille possession des dogmes de l'arianisme.

Mais était-il vrai du moins que tout l'univers eût condamné saint Athanase? Point du tout. Constance abusant des termes et tirant tout à son avantage, veut appeler tout le monde tout ce qui cédait à ses violences : il veut compter pour tout l'univers le seul concile de Tyr, où il avait ramassé les ennemis déclarés de saint Athanase. Mais Libérius au contraire lui demande un jugement légitime où Athanase soit ouï avec ses accusateurs ; et bien éloigné de croire que tout le monde l'ait condamné, il se promet la victoire dans ce jugement. Il n'y a donc rien de plus captieux, ni visiblement de plus faux, que cette tranquille possession du dogme arien.

Mais que dirons-nous de la chute de Libérius et de la prévarication du concile de Rimini? L'Eglise conserva-t-elle sa succession, lorsqu'un pape rejeta la communion d'Athanase, communia avec les ariens, et souscrivit à une confession de foi, quelle qu'elle soit, où la foi de Nicée était supprimée.

Pouvez-vous croire, mes Frères, que la succession de l'Eglise soit interrompue par la chute d'un seul pape, quelque affreuse qu'elle soit, quand il est certain dans le fait que lui-même il n'a cédé qu'à la force ouverte, et que de lui-même aussi il est retourné à son devoir ? Voilà deux faits importants qu'il ne faut pas dissimuler, puisqu'ils lèvent entièrement la difficulté. Le ministre répond sur le premier que la violence qu'il souffrit fut légère ; et tout ce qu'il en remarque, c'est qu'il ne put supporter la privation des honneurs et des délices de Rome (2). Il fait un semblable reproche aux évêques de Rimini (3): mais fallait-il taire les rigueurs d'un empereur cruel et dont les menaces trainaient après

 

1 Theod., Hist. eccl., lib. II, cap. XVI. — 2 Tom. II, p. 696. — 3 P. 698.

 

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elles, non-seulement des exils, mais encore des tourments et des morts? On sait par le témoignage constant de saint Athanase (1) et de tous les auteurs du temps, que Constance répandit beaucoup de sang, et que ceux qui résistaient à ses volontés sur le sujet de l'animisme, avaient tout à craindre de sa colère : tant il était entêté de cette hérésie. Je ne le dis pas pour excuser Libérius, mais afin qu'on sache que tout acte qui est extorqué par la force; ouverte est nul de tout droit et réclame contre lui-même.

Mais si le ministre déguise le fait de la cruauté de Constance , il se tait entièrement du retour de Libérius à son devoir. Il est certain que ce pape après un égarement de quelques mois, rentra dans ses premiers sentiments, et acheva son pontificat, qui fut long, lié de communion avec les plus saints évêques de l'Eglise, avec un saint Athanase, avec un saint Basile et les autres de pareil mérite et de même réputation. On sait qu'il est loué par saint Epiphane (2), et par saint Ambroise, qui l'appelle par deux fois le pape Libérius de sainte mémoire (3) et insère dans un de ses livres avec cet éloge un sermon entier de ce pape, où il célèbre hautement l'éternité, la toute-puissance, en un mot la divinité du Fils de Dieu, et sa parfaite égalité avec son Père. L'empereur savait si bien qu'il était rentré dans la profession publique de la loi de Nicée. qu'il ne voulut pas l'appeler au concile de Rimini, et craignit de pousser deux fois un personnage de cette autorité, et qu'il n'avait pu abattre qu'avec tant d'efforts.

Le ministre n'altère pas moins le concile de Rimini : il convient qu'il n'a été composé que des évêques d'Occident (4). C'est donc d'abord un fait avoué, qu'il n'était pas œcuménique : mais il ne fallait pas oublier qu'il ne fut pas même de l'Occident tout entier, puisque Ton convient que le pape qui en est le chef particulier, pour ne point parler des autres évêques, n'y fut pas même appelé (5). Le second fait avoué, c'est que le premier décret de ce concile fut un renouvellement du concile de Nicée et de la condamnation des ariens : le ministre passe en un mot sur un fait si essentiel, mais

 

1 Apol., ad Const., etc. — 2 Epiph., haer. LXXV ; Bas , epist LXXIV. — 3 Ambr., de Virg., lib. III, cap. I, n. 2, 3. — 4 Tom. II, p. 697, etc. — 5 Sozom , lib. IV, cap. XVII, XVIII; Theod., lib. II, cap. XXII.

 

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enfin il en convient (1) : il ne fallait pas oublier la vive exhortation que le concile fait à l'empereur de ne plus troubler la foi de l'Eglise, ni affaiblir le concile de Nicée qui avait été assemblé par le grand Constantin son père. Le ministre semble avoir peine à faire voir la sainte disposition du concile, tant qu'il agit naturellement et en liberté. Après vinrent les menaces et les fraudes : à la faveur des proclamations, où l'on déclarait « la génération éternelle du Fils de Dieu, non pas du néant, mais de son Père à qui il était coéternel, et ne avant tous les siècles et tous les temps, » on coula la trompeuse proposition, « qu'il n'était pas créature. comme les autres créatures (2). » Les évêques que l'on pressait avec violence, à la réserve d'un petit nombre, ne furent pas attentifs au venin caché sous ces paroles, dont la malignité semblait effacée par le dogme précédent. Le ministre déguise ce fait, et semble ne vouloir pas le recevoir ; mais il est constant, et nous verrons ailleurs ce qu'il en dit. Ce qu'il fallait le moins oublier, c'est que les évêques retournèrent dans leurs sièges, où réveillés par le triomphe des hérétiques, qui se vantaient par toute la terre d'avoir enfin rangé le Fils de Dieu au nombre des créatures, en lui laissant seulement une faible distinction, ils gémirent d'avoir donné lieu par surprise et sans y penser à ce triomphe de l'arianisme ; et c'est ce que saint Jérôme voulait exprimer par cette parole célèbre, « que le monde avait gémi d'être arien : » c'était-à-dire que tout s'était fait par surprise et non de dessein. Quoi qu'il en soit, ils revinrent tous à la profession de la foi catholique, qu'ils avaient déclarée d'abord et qu'ils portaient dans le cour. Ce changement, qui est appelé par saint Ambroise leur « seconde correction (3), » fut aussi prompt qu'il était heureux; et ce Père dit expressément qu'ils révoquèrent aussitôt ce qu'ils avaient fait contre l'ordre, statim (4) : ce fait n'est pas contesté. Votre ministre avoue bien que les évêques revinrent manifestement et bientôt (5) ; mais il passe trop légèrement sur les circonstances : il ne devait pas taire que ce fut alors une question dans l’Eglise,

 

1 P. 698. hic. — 2 Hier., Dial. adv. Lucif., cap. VII. — 3 Ambr., lib. I de  Fid., cap. XVIII, n. 122. —  4 Idem, Epist. lib. I, epist. XXI, n. 15. — 5 Tom. II, p. 697.

 

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non pas si ces évêques étaient ariens, car tout le monde savait qu'ils ne l’étaient pas ; mais si on les laisserait dans l'épiscopat, ou si en les dégradant on les mettrait au rang des pénitents (1). Mais les peuples ne voulurent point souffrir qu on leur ôtât leurs évêques, dont ils connaissaient la foi opposée à l'arianisme, et firent pencher l'Eglise au sentiment le plus doux. Le seul Lucifer, évêque de Cagliari en Sardaigne, se sépara de l'Eglise par un zèle outré, à cause qu'elle conservait dans leurs sièges les évêques qui se repentaient de s'être laissé surprendre, et on l'accusa d'avoir renfermé toute l'Eglise dans son ile. C'est tout ce que lui reprochèrent les orthodoxes parla bouche de saint Jérôme (2). Mais qu'eût nui ce reproche à Lucifer, s'il était vrai que l'Eglise pût perdre sa visibilité et son étendue ? On présupposa le contraire dans toute l'Eglise, lorsqu'on y condamna le schisme des lucifériens, et il n'y eut de rupture que par cet endroit. Jusqu'ici le fait est constant ; et encore que le ministre en ait tu ou dissimulé les plus avantageuses circonstances, il n'en a pu nier le fond, qui consiste en ces quatre mots : D'abord naturellement les Pères de Rimini soutinrent la foi de Nicée : ils l'affaiblirent par force et par surprise : ils s'y réunirent d'eux-mêmes peu de temps après, et l'Eglise se; retrouva comme auparavant avec la même étendue que saint Athanase a représentée. Est-ce là ce qu'on appelle une interruption de la foi ou de la succession apostolique?

Qu'a donc enfin prouvé le ministre par tout son discours et par tant de faits inutiles qu'il a encore altérés en tant de manières ? Qu'a-t-il, dis-je, prouvé par tous ces faits? Quoi? Qu'il y a eu de grands scandales? C'était là un fait inutile; nous n'en doutons pas : nous ne prétendons affranchir l'Eglise que des maux dont Jésus-Christ a promis de la garantir; et loin de la garantir «des scandales, » il a prédit au contraire que, «jusqu'à la fin, » il en paraîtrait « dans son royaume (3). » Ce qu'il a promis d'empêcher, c'est l'interruption dans la succession des pasteurs, puisqu'il a promis malgré les scandales qu'il sera toujours avec eux. Mais puisqu'en cette occasion il ne s'agit en façon quelconque delà succession, et que toute l'Eglise catholique à la réserve des seuls

 

1 Hier., adv. Lucif., cap. VII. — 2 Hier., ibid. — 3 Matth., XIII, 41.

 

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lucifériens jugea que les évêques de Rimini trop visiblement surpris et violentés, après la déclaration de leur foi demeureraient dans leurs places, il faut avouer que tant de longues dissertations sur ce concile ne touchent pas seulement la question que nous traitons.

En un mot nous avouons les scandales, et nous en attendons de plus grands encore en ce dernier temps, où nous savons qu'il doit arriver « que les élus mêmes, s'il était possible, soient déçus (1). » Mais nous nions que tous les scandales qui pourront jamais arriver soient capables de donner atteinte à la succession des ministres des sacrements et de la parole, avec qui Jésus-Christ promet d'être tous les jours, et aussi ne voyons-nous pas dans ces faits tant exagérés sur Libérius et sur le concile de Rimini, qu'il y ait l'ombre seulement d'une interruption semblable.

Les autres faits sont bien moins relevans, et le ministre en a rempli le récit de faussetés manifestes. Il prouve que tous les peuples, dont les évêques étaient hérétiques, dévoient être ariens, sur ce principe général qu'il nous attribue, « que les peuples sont obligez de soumettre leur foi à celle de leur évêque (2). » C'est nous imposer. On ne doit rien à des évêques intrus, à des évêques mis par violence en chassant les légitimes pasteurs, à des évêques dont la succession n'est pas constante, ou qui s'arrachent de l'unité par une rupture. «Il y eut, dit-il, des évêchés où plusieurs prélats se succédèrent l'un à l'autre également hérétiques. » Que veut-il conclure de là, puisque leur succession n'est qu'une continuation de la violence? Le bannissement d'un Athanase, d'un Hilaire, d'un Eusèbe de Verceil et de Samosate, d'un Paulin de Trêves, d'un Lucius de Mayence et de tant d'autres illustres exilés, ne leur ôtait pas leurs sièges et ne donnait point d'autorité à ceux qui les usurpaient. Le peuple tenait par la foi à ses légitimes pasteurs, à quelque extrémité du monde qu'ils fussent chassés. Ainsi la succession subsistait toujours, et même d'une manière très-éclatante. Quelle difficulté y peut-on trouver ? On objecte les dix provinces d'Asie qui étaient pleines, disait saint Hilaire, « de blasphémateurs (4). » Sans doute elles étaient pleines

 

1 Matth., XXIV, 24.— 2 Tom. II, p. 616, 618. — 3 P. 616. — 4 P. 618, 671, 673.

 

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de ces blasphémateurs que Constance avait établis par la force, et dont le titre emportait leur condamnation. Que nuit à la succession une pareille violence?

Au reste il ne faut point chicaner sur la violence, ni insinue; qu'on ne voit pas dans les coeurs pour discerner ceux qui dissimulent d'avec ceux qui croient de bonne foi : la violence paraît assez quand on ne change que par force, et qu'on revient à son naturel aussitôt qu'on est en sa liberté; c'est ce qui arriva du temps de Constance. Le ministre en est d'accord, et il répète par deux fois qu'on changea d'un moment à l'autre par la seule mort de l'empereur On ne peut donc pas douter de l'état violent où tout était.

On ne veut pas croire la surprise. « L'arianisme. dit-on, était trop connu pour s'y laisser tromper (2). » Cependant le fait est constant. Dans le temps que les donatistes objectaient à l'Eglise l'obscurcissement qui arriva sous Constance: «Qui ne sait, leur répondit saint Augustin, qu'en ce temps plusieurs hommes de petit sens furent trompés par des paroles obscures, en sorte qu'ils croyaient que les ariens (qui affectaient de parler comme eux) étaient aussi de même créance (3)?»

Saint Hilaire explique plus amplement ce mystère d'iniquité, et il disait aux ariens : « Pourquoi imposez-vous à l'empereur, aux comtes (et aux officiers de l'empire), et pourquoi circonvenez-vous l'Eglise de Dieu par les artifices de Satan? Que ne parlez-vous franchement? Ou avouez ouvertement ce que vous voulez avouer, ou niez ouvertement ce que vous voulez nier (4). »

En général tout novateur est artificieux ; et pour ôter au peuple l’idée de son innovation odieuse, il tâche de faire passer ses dogmes sous la figure et l'expression des dogmes anciens. C'est la pratique ordinaire de tous les hérétiques, qui savent si bien se cacher, que les plus fins y sont pris, et dans les innovations du seizième siècle les équivoques de Bucer sur la présence réelle en pourraient être un exemple: quoi qu'il en soit, c'est ainsi que furent déçus les évoques de Rimini. Il ne faut pas dire que l'arianisme

 

1 Tom. II, p. 698, 699. — 2 Ibid., 699. — 3 Epist. XCIII, al. XLVIII, ad Vincent., n. 31. — 4 Epist. ad Aux.

 

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était trop connu; les ariens, et entre les autres Ursace et Valens, qui avaient fait plus d'une fois une feinte abjuration de l'arianisme, et dont le dernier la renouvela solennellement dans le concile de Rimini, étaient de si subtils dissimulateurs et si féconds en expressions trompeuses, que les évêques trop simples, « hérétiques sans le savoir, sine conscientià haeretici, tombèrent, dit saint Jérôme (1), dans leurs nouveaux pièges, Ariminensibus dolis irretiti ; » et ce Père après avoir raconté « qu'ils appelaient à témoin le corps du Seigneur et tout ce qu'il y a de saint dans l'Eglise, » qu'ils n'avaient rien soupçonné qui lut douteux dans la foi de ceux qui les avaient engagés à souscrire, les fait parler en cette sorte : «Nous pensions que leur sens s'accordait avec leurs paroles : nous n'avons pu croire que dans l'Eglise de Dieu, où règne la bonne foi et la pure confession de la vérité, on cachai dans le cœur autre chose que ce qu'on avait dans la bouche : nous avons été trompés par la trop bonne opinion que nous avons eue des méchants : Decepit nos bona de malis existimatio : nous n'avons pu croire que des ministres de Jésus-Christ s'élevassent contre lui-même. » Voilà dans le fait ce que disaient ces évêques; et si j'ajoute un seul mot à leurs discours, le ministre peut me convaincre à l'ouverture du livre : ce que j'ose bien assurer qu'il n'entreprendra pas.

Mais, dit-il, « pourquoi alléguer la violence, » si c'est une affaire de surprise? Comme si l'on n'eût pas pu mêler ensemble ces deux injustes moyens, et faire servir les menaces à rendre les esprits moins attentifs à l'artifice : quoi qu'il en soit, le fait est positif, et il n'est pas permis d'y opposer de si vaines conjectures.

Mais encore, poursuit le ministre, « des évêques si aisés à surprendre étaient-ils fort propres à assurer la foi des peuples? » Sans doute dans ce moment ils manquèrent à leur devoir d'une manière déplorable : mais peu de temps auparavant et tant qu’ils furent en liberté, ils avaient si bien enseigne la foi de Nicée, a laquelle aussi ils revinrent aussitôt après, que les peuples savaient à quoi s'en tenir, et que la foi de leurs évêques leur était connue. Je pourrais en confirmation vous alléguer d'autres faits

 

1 Hier., adv. Luc., cap. VII.

 

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aussi constants, et je suis certain que personne n'osera soutenir que je raconte autre chose que ce qu'on trouve dans saint Athanase, dans saint Hilaire, dans saint Jérôme, dans saint Augustin et dans tous les auteurs du temps, sans en excepter un seul.

Mais voici le dernier effort des objections du ministre : « La maxime (que l'Eglise ne peut jamais perdre sa visibilité ni son étendue) est de saint Augustin; » ce sont ses paroles, et de son aveu nous avons déjà pour nous un si grand homme : mais, ajoute-t-il, elle est évidemment fausse, à cause « qu'elle est contraire à saint Grégoire de Nazianze ; » ce qu'il appuie en ces termes : « Que Messieurs les prélats se déterminent entre ces deux Pérès, ils seront assez embarrassés: » il nomme dans la même cause « saint Hilaire et saint Athanase (1). »

Vous le voyez, mes chers Frères : toute l'adresse de vos ministres n'est qu'à mettre aux mains les saints docteurs les mis contre les autres sur des articles capitaux. Ils ne veulent trouver dans leur doctrine que doutes et incertitudes, notamment sur les promesses de Jésus-Christ : c'est aussi ce que doivent faire ceux qui n'y croient pas, et qui veulent en éluder l'évidence : mais il n'y a là aucun embarras: car que d'il saint Augustin, et que disent ces autres Pères? Saint Augustin dit que si la visibilité, et l'étendue de l'Eglise était éteinte par toute la terre avant saint Cyprien et Donat, il n'y aurait plus d'Eglise qui eût pu enfanter saint Cyprien, et de qui Donat ait pu naître : Donatus undè ortus est? Cyprianum quae peperit? Et encore, pour faire voir que la succession n'a pu manquer : « Il y avait, dit-il, sans doute une Eglise qui pût enfanter saint Cyprien : » Erat Ecclesia quae pareret Cyprianum (2), et ainsi du reste. Si cette doctrine est douteuse, ce n'est pas au seul saint Augustin qu'il s'en faut prendre : saint Jérôme disait comme lui aux lucifériens avec tous les orthodoxes : « Si l'Eglise n'est plus qu'en Sardaigne, d'où espérez-vous comme un nouveau Deucalion retirer le monde abimé (3)?» Tous les Pères grecs et latins ont raisonné de la même sorte ; et on a pu voir dans l’Instruction précédente (4) leur doctrine, que le ministre laisse

 

1 Tom. II, 667, 668, 67I, 672. — 2 Epist. XCIII, ad Vinc., n. 37, etc. — 3 Hier., Dial. adv. Luc., cap. I. — 4 I Instr. past., n. 20. p. 99 et suiv.

 

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en son entier, sans même songer à y répondre. Voyons si saint Athanase, si saint Grégoire de Nazianze, si saint Hilaire ont dit ou pu dire que la succession ait manqué de leur temps. Mais au contraire nous venons d'ouïr saint Athanase, qui trois ans après l'affaire de Rimini, nous fait voir l'Eglise étendue par toute la terre, et les ariens toujours réduits au petit nombre.

Mais il a blâmé les ariens, qui se vantaient de la multitude de leurs peuples, de leurs évêques et de leurs temples : oui, dans quelques endroits de l'Orient il a vu des peuples entièrement oppressés, des évêques intrus, des temples et des églises arrachés par force aux catholiques, dont les fondateurs témoignaient la foi des ancêtres. Il ne veut point qu'on se vante de tels temples; des trous, des cavernes leur sont préférables ; et il vaut mieux être seul, comme un Noé, comme un Lot, que d'être avec une telle multitude. C'est ce que dit saint Athanase ; c'est ce que dit saint Hilaire ; c'est ce que dit saint Grégoire de Nazianze : veulent-ils dire par là qu'en effet on demeure seul ? Et qu'a tout cela de contraire à la doctrine de saint Augustin sur la perpétuité et l'étendue de l'Eglise?

Il ne faut pas croire pour cela que les saints évêques abandonnassent les églises, ni qu'ils en tinssent la possession pour indifférente; au contraire ils la regardaient comme des titres de l'antiquité de la foi. On sait les combats de saint Ambroise, pour ne point livrer les catholiques que les ariens voulaient lui ôter par l'autorité de l'impératrice Justine. « Qu'on nous les enlève par force, répondait-il ; je ne résisterai pas ; mais je ne les livrerai jamais; je ne livrerai pas l'héritage de Jésus-Christ...; je ne livrerai pas l'héritage de nos pères; l'héritage de Denys qui est mort en exil pour la cause de la foi ; l'héritage d'Eustorge le Confesseur ; l'héritage de Mirocles et des autres évêques fidèles mes prédécesseurs (1).» Ils conservaient donc autant qu'ils pouvaient, les temples sacrés que leurs prédécesseurs avaient bâtis, et comme nous ils prouvaient par ces monuments l'antiquité de la foi catholique. Quand ils leur étaient ravis par force, ils se contentaient de garder la foi, qui ne laissait pas néanmoins de demeurer établie

 

1 Ambr., Epits., lib. I, epist. XXI, n. 18.

 

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par ces temples mêmes, quoiqu'entre les mains des hérétiques, parce que tout le monde savait qu'ils n'avaient point été dressés pour eux. C'est ce que nous disons encore, et nous employons ces témoignages dans le même esprit que les Pères.

J'ai donc achevé l'ouvrage que la charité m'imposait pour le salut de nos Frères réunis, et il ne me reste qu'à prier Dieu, comme j'ai fait au commencement, qu'il leur donne des yeux qui voient et des oreilles qui écoutent. Pour peu qu'ils les ouvrent et qu'ils se rendent attentifs à la vérité, elle ne leur sera pas longtemps cachée : les promesses de l'Evangile, que je les prie de considérer, sont courtes, claires, précises : on a vu qu'elles ne demandent aucun examen pénible ; et si j'ai voulu entrer dans quelques faits qui dépendent de l'histoire ecclésiastique, comme ils sont connus, incontestables et dans le fond avoués par le ministre, ils ne peuvent plus causer aucun embarras.

En effet considérons encore une fois devant Dieu et en éloignant L'esprit de dispute, ce qu'on a prouvé par tant de faits, tirés par exemple de l'histoire de l'arianisme. Quoi? Qu'il y aura eu des tentations, des scandales, des chutes affreuses, de longues persécutions, sous prétexte de piété, et par de faux frères soutenus de l'autorité de quelques rois chrétiens? Nous le savons ; nous avons été avertis que nous avions tout à craindre, même «de nos pères, de nos mères, de nos frères, et des domestiques de la foi (1). » C'est pourquoi s'il s'est trouvé parmi les persécuteurs des Nérons, des Domitiens ouvertement infidèles ; s'il s'y est trouvé des apostats et des déserteurs de la foi, il s'y est aussi trouvé, et bientôt après, des Constances, des Valens, des Anastases, qui ont affligé l'Eglise sous l'apparence d'un christianisme trompeur, et nous avons déjà remarqué que nous attendions encore à la fin des siècles quelque chose de plus séduisant : mais que l'on puisse perdre pour cela la trace de la succession apostolique, loin de nous l'avoir prédit, Jésus-Christ nous a promis le contraire, et l'expérience du temps passe aide encore à nous confirmer pour l'avenir,

Ainsi l'on n'est pas même obligé à savoir ces faits qu'on exagère si fort ; les promesses fondamentales de l'Evangile sur la durée

 

1 Matth., X, 35, 36.

 

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de l'Eglise étant, comme on a vu, très-intelligibles par elles-mêmes, il ne faut pour toute réponse à ceux qui cherchent des difficultés dans leur accomplissement, que l'exemple d'Abraham qui, comme disait saint Paul, « n'a point vacillé dans la foi, mais au contraire s'y est affermi, donnant gloire à Dieu et demeurant pleinement persuadé qu'il était assez puissant pour accomplir (à la lettre ) tout ce qu'il avait promis (1).»

Si donc on a peine à croire qu'au milieu de tant de traverses et de changements qui arrivent sous le soleil, Dieu conserve sans interruption la succession des apôtres et la suite du ministère ecclésiastique, en sorte que toute rupture et toute innovation soit une conviction d'erreur et de schisme, sans même avoir besoin de remonter jamais plus haut : si, dis-je, on a peine à croire que cela se puisse exécuter et qu'on y cherche des difficultés ou des embarras, il n'y a qu'à se souvenir que Jésus-Christ nous a donné « sa toute-puissance » pour garant d'une promesse si merveilleuse, et conclure avec Abraham selon saint Paul, « qu'il est puissant pour accomplir ce qu'il a promis. »

Pour éluder un raisonnement si pressant , votre ministre propose cette trompeuse maxime : « L'événement est interprète de la promesse (2). «On voit bien où ces Messieurs en veulent venir. C'est à éluder l'effet évident et le sens certain de la promesse de Jésus-Christ, en alléguant des interruptions telles qu'on voudra, en inventant des innovations sur la doctrine et en attribuant à l'Eglise des idolâtries qu'elle n'eut jamais. .Mais si l'on veut, par exemple, lui imputera idolâtrie l'honneur qu'elle rend aux Saints, à leurs reliques et à leurs images, il faudra comprendre non-seulement l'Eglise romaine, mais encore l'Eglise grecque dans cette accusation, puisque c'est elle qui a célébré avec Rome même, et qui compte encore: aujourd'hui parmi ses conciles le concile de Nicée, où tout cela est contenu. Qu'était donc devenue alors la promesse de Jésus-Christ? Pour soutenir ces idolâtries prétendues universelles dans l'Eglise, il faudrait dire de deux choses l'une, ou que Jésus-Christ aurait été « tous les jours » avec une église idolâtre, ou que ce mot : Tous les jours, n'exclut pas toute

 

1 Rom., IV, 20, 21. — 2 Tom. II, p. 563, 683.

 

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interruption, et que Jésus-Christ, ce qu'à Dieu ne plaise, a jeté en l'air de grands mots qui n'ont point de sens.

On me fait accroire que j'entreprends de donner des bornes à la promesse de Jésus-Christ par rapport aux Grecs, et on croit avoir droit, à mon exemple, de lui en donner par rapport aux Latins. Mais c'est là une pure chicanerie, et j'ai déjà dit que la promesse de Jésus-Christ n'est astreinte par elle-même, ni aux Grecs, ni aux Latins, ni à aucune nation particulière; mais qu'il suffit, pour la vérifier, que la succession des apôtres subsiste toujours par toute la terre, en quelque peuple que ce soit. Si on prétend que l'événement démente cette promesse, on argumente contre Jésus-Christ, et on change le sens naturel de ses paroles.

Laissons donc là ce commentaire par l'événement. J'avouerai peut-être que l'événement pourra, en second, servir d'interprète à des prophéties obscures et paraboliques. Mais pour la promesse fondamentale de l'Evangile, qui est conçue en termes si clairs, elle s'interprète elle-même; et pour toute interprétation il n'y a qu'à dire : Jésus-Christ « est assez puissant pour faire tout ce qu'il a promis : » et la restreindre par l'événement, c'est la démentir.

La promesse de Dieu à Abraham : « Je multiplierai ta postérité, » était absolue, et Dieu avait déterminé « que cette postérité lui serait donnée par Isaac (1) : » le cas arriva qu'Abraham l'allait immoler par ordre de Dieu; mais ce terrible événement ne iil chercher à Abraham aucune restriction à la promesse : il n'en crut pas moins « que sa race lui serait comptée dans cet Isaac » qu'il était prêt d'égorger; à cause « qu'il crut, dit saint Paul, que Dieu le pouvait ressusciter (2). » C'est-à-dire qu'il faut croire tout ce qu'il y a de plus incroyable, plutôt que d'affaiblir des promesses claires contre leur sens manifeste. « Toute puissance m'est donnée : » allez donc avec assurance : et sans vous jeter dans la recherche des faits particuliers, croyez d'une ferme foi que votre ouvrage n'aura ni fin ni interruption, puisque c'est moi qui le dis.

Contre la simplicité, la précision, la clarté de ces paroles, on

 

1 Genes., XXI, 12; Rom., IX, 7. — 2 Hebr., XXI, 19.

 

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n'allègue que chicanerie , illusion, dissimulation : on appelle au secours la Synagogue, avec laquelle en ce point l'Eglise chrétienne n'a rien de commun : on critique chaque parole, et visiblement on ne dit rien : et il demeure si clair par la promesse de Jésus-Christ que tout ce qui rompt la chaîne, tout ce qui s'écarte de la ligue de la succession, est schismatique, qu'il a fallu en venir enfin à défendre ouvertement le schisme, à le trouver digne des saints et des prophètes, et à séparer ces grands hommes de la société du peuple de Dieu et du sacerdoce institue par Moïse. Jugez maintenant, mes Frères, qui sont les vrais défenseurs de la promesse de Jésus-Christ, ou ceux qui la prennent comme nous dans toute son étendue, ou ceux qui contraints d'en déguiser ou violenter toutes les paroles, après y avoir cherché toute sorte d'inconvénients, à la fin se laissent forcer à trouver la sainteté dans les schismatiques.

Au contraire la gloire de l'Eglise ne lui peut être ôtée. Luther et les novateurs du seizième siècle savent bien, en leur conscience , qu'ils l'ont trouvée en pleine possession lorsqu'ils s'en sont séparés, et que d'abord ils avaient été nourris dans son sein. J'en dis autant des vicléfites, des bohémiens, des vaudois, des albigeois, de Bérenger et des autres. Si nous remontons aux Grecs, le ministre n'a pu nier que nous n'ayons vécu ensemble, et reconnu d'un commun accord la chaire de saint Pierre : ils se sont donc faits en la quittant novateurs comme les autres, et leur défection est notée. Nous sommes à couvert de tels reproches, et l'Eglise catholique se peut glorifier d'être la seule société sur la terre, à qui parmi tant de sectes on ne peut jamais montrer, en quelque point que ce soit, par aucun fait positif, qu'elle se soit détachée des pasteurs qui étaient en place, ou du corps du christianisme qu'elle a trouvé établi. Elle est donc la seule qui n'est point sortie de la suite promise par Jésus-Christ, et qui par la succession écoute encore dans les derniers temps ceux qui ont ouï les apôtres et Jésus-Christ même. Quelle plus belle distinction peut-on trouver dans le monde ? Quelle plus grande autorité ? Mais les errants la craignent, parce qu'elle est trop contraignante pour leurs esprits licencieux.

 

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RÉPONSE
A diverses calomnies qu'on nous fait sur l'Ecriture et sur d'autres points.

 

Après de si grands éclaircissements sur la promesse de Jésus-Christ, vous offenserai-je, mes Frères, si je vous conjure de vous y rendre attentifs? Donnez encore deux heures de temps à relire notre Première instruction pastorale : vous aurez honte des chicanes dont on s'est servi pour y répondre, et des minuties où l'on a réduit le mystère du salut. Surtout vous y trouverez en quatre ou cinq pages la résolution manifeste de la difficulté où votre ministre vous jette d'abord (1). Il vous fait craindre, mes Frères, de prendre à la lettre et dans toute son ('tendue la promesse de Jésus-Christ; et il tâche de vous faire accroire que nous ne la proposons que dans le dessein « de jeter les hommes dans l'ignorance, » et de leur rendre l'Ecriture sainte non-seulement « inutile, » mais encore « dangereuse (2) : » il conclut, sur ce fondement, que nous « inspirons le mépris de l'Ecriture (3); » et ce n'est pas là, poursuit-il, « une illusion (4), » une conséquence qu'on nous attribue: « M. de Meaux l'enseigne précisément et nettement. » À cela que répondrai-je? Me plaindrai-je de la calomnie? En demanderai-je réparation? Cela serait juste : mais le salut de mes Frères m'inspire quelque chose de meilleur. Je demande, en un mot, par quel endroit prétendent-ils que nous voulons introduire l'ignorance? Est-ce à cause que nous disons que la science du salut ne s'éteint jamais dans l'Eglise? Est-ce induire à mépriser cette science que de montrer où elle est toujours?

Mais vous dites qu'on n'a pas besoin de chercher sa loi dans les Ecritures? Le catholique répond : Il est vrai, je n'ai pas besoin de la chercher, parce qu'elle est d'abord toute trouvée. J'ai dit mon Credo avant que d'ouvrir l'Ecriture : vaut-il mieux en commencer la lecture dans un esprit de vacillation et d'incertitude, que dans la plénitude de la foi?

Mais, poursuit-on, l'Ecriture est donc inutile, si on a déjà la foi

 

1 Ire Instr. sur les Prom. de l'Eglise, n. 37, 43, 46.— 2 Tom. II, liv. IV, chap. I, n. 10, etc., p. 544, 546, 547, 553, etc. — 3 P. 546. — 4 P. 548.

 

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sans elle? N'est-ce donc rien de la confirmer, de l'animer, de la rendre agissante par l'amour; d'en peser toutes les promesses, tous les préceptes, tous les conseils ; de s'en servir pour mieux entendre ce qu'on croit déjà, et dans l'occasion pour convaincre l'hérétique et l'opiniâtre qui ne veut pas croire à l'Eglise? Mon Instruction précédente a reconnu ces utilités dans l'Ecriture: et vous nous faites accroire que nous croyons inutile ce qui produit de si grands fruits.

La calomnie est bien plus étrange de nous faire dire que nous la trouvons « dangereuse. » Mais qui jamais parmi nous a proféré ce blasphème? Sous prétexte qu'il est dangereux de vouloir interpréter l'Ecriture par son propre esprit, et qu'il n'y a de salut que de l'entendre humblement comme elle a toujours été entendue, on nous fera dire que nous la trouvons dangereuse? Seigneur, jugez-nous, et inspirez à nos Frères des sentiments plus équitables.

Nous méprisons les saints Livres : le peut-on seulement penser? Est-ce mépriser l'Ecriture que de dire qu'elle a son sens simple et naturel, qui a frappé d'abord les esprits des fidèles? Lorsqu'ils écoutaient, « qu'au commencement le Verbe était, et qu'il était en Dieu, et qu'il était Dieu (1), » ils ont entendu qu'il était Dieu, non point en figure, mais naturellement et proprement : et c'est pourquoi l'Evangéliste ajoute après, non pas qu'il a été fait Verbe ou qu'il a été fait Dieu, mais « qu'étant Verbe et étant Dieu » devant tous les temps, il a encore dans le temps « été fait homme : » est-ce mépriser l'Ecriture de dire que ce vrai sens a fait impression sur les fidèles ; qu'on se l'est transmis les uns aux autres ; et qu'Anus, qui l'a rejeté, l'a trouvé établi dans l'Eglise? J'en dis autant des autres dogmes révèles de Dieu et nécessaires au salut : le vrai chrétien n'en a jamais pu douter; et sans aucun examen, sa foi est formée. Est-ce donc là ce qu'on appelle mépriser l'Ecriture? N'est-ce pas plutôt l'honorer, et sans crainte de s'égarer y trouver la vie éternelle?

Mais vous avez dit, m'objecte-t-on (2), qu'on avait instruit des peuples entiers sans leur faire chercher leur foi dans les

 

1 Joan., I, 1. — 2 Tom. II, p. 550.

 

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Ecritures, et qu'en effet « la charité ne permettait pas d'attendre à prêcher la foi jusqu'à ce qu'on sût assez des langues barbares pour y faire une traduction aussi difficile et aussi importante que celle des Livres divins, ou bien d'en faire dépendre le salut des peuples (1). » Il est vrai, je reconnais mes paroles: mais le ministre, qui me les reproche, ne devait pas oublier que c'est là un fait incontestable, et le sentiment exprès de saint Irénée, évêque de Lyon, que j'ai marqué en ces ternies, comme connu de tout le monde: « Saint Irénée et les autres Pères en ont fait la remarque dès leur temps (2). » Le passage de ce saint martyr n'est ignoré de personne; le ministre l'a vu marqué dans nia précédente Instruction, et n'a pu le nier. Lisez-le, mes Frères, comme un témoignage authentique de la foi de nos ancêtres, puisque c'est la foi d'un saint qui a conversé avec les disciples des apôtres, et qui a illustré le second siècle par sa doctrine et par son martyre : l'Eglise gallicane a eu l'avantage particulier de l'avoir pour évêque dans une de ses plus anciennes et principales églises, et ce nous doit être une singulière consolation de trouver dans ses écrits un monument domestique de notre foi ; voici ses paroles : « Si les apôtres, dit-il, ne nous avaient pas laissé les Ecritures, ne fallait-il pas suivre la tradition qu'ils laissaient à ceux à qui ils confiaient les Eglises? Ordre qui se justifie par plusieurs nations barbares qui croient en Jésus-Christ, sans caractère et sans encre, ayant la loi du salut écrite dans leurs cœurs par le Saint-Esprit, et gardant avec soin la foi d'un seul Dieu créateur du ciel et de la terre, et de tout ce qu'ils contiennent, par Jésus-Christ fils de Dieu (3), » et le reste qu'il est inutile de rapporter. Il suffit de remarquer seulement qu'il détaille et spécifie tous les articles qu'on apprend sans les Ecritures, et voilà en termes très-clairs la foi salutaire sans le secours de ces Livres divins.

Votre ministre s'élève ici contre moi sur ce que je dis, que ces peuples étaient sauvés sans « qu'on leur portât autre chose que le sommaire de la foi dans le Symbole des apôtres (4), » et il ne veut pas qu'on lui en parle. Mais qu'il l'appelle comme il voudra:

 

1 Ire Instr. past., n. 43. — 2 Ibid. — 3 Iren., adv. hœr., lib. III, cap. IV. —

4 Ire Instr, past., n. 43; Rép. du min., p. 551.

 

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il faut bien avouer au fond qu'il y avait un sommaire de la foi semblable à celui que nous avons : qu'on l'appelle, ou comme parlait dans un autre endroit le même saint Irénée, « la règle immobile de la vérité qu'on recevait dans le baptême (1), » ou avec toute l'antiquité le Symbole des apôtres : toujours est-il bien certain que la doctrine n'en pouvait venir que de ces hommes divins qui ont fondé les églises. Ne vous lassez point, mes chers Frères, et écoulez la suite du passage de saint Irénée, que nous avons commencé : « Ceux, dit-il, qui ont reçu cette foi sans les Ecritures, selon notre langage sont barbares; mais pour ce qui regarde le sens, les pratiques et la conversation selon la foi, ils sont extrêmement sages, marchant devant Dieu en toute justice, chasteté et sagesse; et si quelqu'un leur annonce la doctrine des hérétiques, on les verra fermer leurs oreilles et prendre la fuite le plus loin qu'il leur sera possible, ne pouvant seulement souffrir ces blasphèmes ni ces prodiges, à cause, répondront-ils, que ce n'est pas là ce qu'on leur a enseigné d'abord (2). » Vous le voyez, mes chers Frères, ces barbares si bien instruits sans les Ecritures n'étaient pas de faibles chrétiens, mais très-fermes dans la foi et dans les oeuvres, et très-pleinement instruits contre la doctrine des hérétiques. Si c'était moi qui parlasse ainsi, combien votre ministre se récrierait-il que je méprise les Ecritures en les déclarant inutiles? Mais les Saints, de qui nous avons reçu les Livres divins, ne craignent point ce reproche. Car ils savaient que l'Ecriture viendrait en confirmation de la foi, qu'ils avaient reçue sans elle; et louant la bonté de Dieu, qui pour s'opposer davantage à l'oubli des hommes, avait rédigé la foi dans les écrits des apôtres, ils ne laissaient pas de bien entendre qu'on pouvait être parfait chrétien sans les avoir.

Vous voyez maintenant la cause du silence de votre ministre sur le passage de saint Irénée : c'est qu'il a senti qu il ne laissait point de réplique, et il a seulement tenté de lui opposer un endroit de saint Chrysostome, « où il assure positivement que les Barbares, Syriens, Egyptiens, Indiens, Perses, Ethiopiens avaient appris à philosopher en traduisant chacun dans sa langue l’Evangile

 

1 Lib. I, cap. I. — 2 Lib. III, cap. IV.

 

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de saint Jean (1). » Il triomphe de cette parole en disant : « Que M. de Meaux démente s'il veut saint Chrysostome. » Mais je ne veux non plus démentir saint Chrysostome que saint Irénée. Il ne convient qu'aux ennemis de la vérité de chercher à commettre entre eux ses défenseurs plutôt que de les concilier ensemble, comme il est aisé en cette occasion.

Il n'y a pas ombre d'opposition entre saint Irénée, qui assure que de son temps il y avait des peuples entiers qu'on regardait dans toute l'Eglise comme parfaits chrétiens, sans qu'ils eussent l'Ecriture sainte, et saint Chrysostome qui dit deux cents ans après qu'elle se trouve chez les peuples qu'on lui vient d'entendre nommer. Car d'abord il est bien certain que dès le temps de saint Irénée des peuples entiers, que saint Chrysostome n'a pas nommés, avaient reçu la foi. Saint Justin qui a souffert le martyre un peu devant saint Irénée, compte parmi ceux où la foi avait pénétré jusqu'à ces Scythes vagabonds et presque sauvages, qui traînaient sur des chariots leurs familles toujours ambulantes (2). Qu'on ait traduit l'Ecriture dans leur langue, ni saint Chrysostome ne le dit, ni il n'en reste aucune mémoire dans toute la tradition ecclésiastique ; et quand il serait certain, ce qui n'est pas, que les peuples dont saint Chrysostome a parlé comme ayant traduit l'Ecriture, seraient les mêmes dont saint Irénée a si positivement assuré qu'ils ne l’avaient pas de son temps, notre cause n'en serait pas moins en sûreté, et il demeurerait toujours pour également incontestable qu'on peut être parfaitement chrétien sans l'Ecriture par la seule autorité de la tradition, comme a parlé saint Irénée.

Il sera donc véritable qu'on doit, à la vérité, donner l'Ecriture le plus tôt qu'on peut à tous les peuples chrétiens ; mais sans discuter davantage ni saint Justin, ni saint Irénée, ni saint Chrysostome, il n'y a point de protestant si déraisonnable pour laisser périr quelques peuples dans leur ignorance, sous prétexte qu'on n'aurait encore pu traduire en leur langue les Livres sacrés.

Sans parler des peuples barbares qu'on aurait sauvés par la foi avant même qu'ils pussent avoir les Ecritures, il est bien certain

 

1 Tom. II, p. 551 ; Chrysost. hom. I in Joan. — 2 Apol. II, et adv. Tryph.

 

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que la méthode commune de tous les chrétiens est de faire dire Credo à ceux qu'on instruit, grands et petits, dès qu'on leur présente l'Ecriture sainte et avant qu'ils l'aient ouverte : qu'on dise tout ce qu'on voudra du Symbole des apôtres, ce sera toujours un fait véritable qu'il est reçu et pratiqué par tout ce qui porte le nom de chrétien : et que pour en suivre la méthode, il faudra toujours faire connaître aux fidèles l'Eglise catholique, avant qu'on leur ait nommé l'Ecriture sainte, dont le Symbole ne fait aucune mention ; c'est-à-dire que les apôtres, dont le Symbole a pris tout l'esprit, ont reconnu dans l'Eglise catholique la source primitive de la foi et du salut.

C'est là que tout hérétique demeurera court; et encore que le nom même de l'Eglise catholique ne se trouve pas dans l'Ecriture, ce sera toujours sous l'autorité de ce nom que les fidèles seront élevés dans la vraie foi. Quand ensuite ils liront l'Ecriture sainte, et que toujours sous l'instruction de l'Eglise catholique ils y trouveront la même foi qu'on leur avait annoncée, ils y seront confirmés, leur cœur sera consolé : mais la foi reçue de main en main par les successeurs des apôtres, sera toujours leur première règle.

Quand le ministre trouve ridicule et même impossible, que les pasteurs de l'Eglise reçoivent la foi les uns des autres, à cause, dit-il, «que la foi de l'évêque mourant s'éteint avec lui, sans qu'il la puisse laisser à son successeur qu'il ne connaît pas » il montre par ce mauvais discours qu'il ignore parfaitement l'état de la question. Quand on dit qu'on reçoit la foi de son prédécesseur, on ne veut dire autre chose, sinon qu'on se fait une règle inviolable de croire et de prêcher dans l'Eglise ce qu'on y a cru et prêché devant nous. Tant qu'on persévérera dans cette résolution, on n'enseignera jamais d'erreur, on ne sera jamais dans le schisme et dans la rupture. Si quelque évêque rompt la chaîne de la tradition, le reste de l'Eglise réclamera contre : le novateur sera noté éternellement; et quand il entraînerait son peuple avec lui, son peuple devra sentir dans sa conscience par la seule innovation de son pasteur, qu'il ne peut plus se sauver sous sa conduite.

 

1 Tom. II, p. 610-612, etc.

 

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Le ministre met donc tout en confusion, et ne s'entend pas lui-même, lorsqu'il demande si l'évêque « qui meurt laisse sa foi sur son siège, ou s'il peut la laisser de main en main, comme une chose matérielle (1). » Voici le nœud et la chaîne qui captive tous les esprits. L'Eglise catholique a toujours pensé dès son origine que sa foi ne changerait jamais, et ne devait ni ne pouvait jamais changer. Aussitôt donc qu'on sent quelque changement dans un corps constitué de cette sorte, en quelque temps que ce soit, on se souvient de la promesse : on rappelle dans son esprit la règle de ne changer point et de n'avoir jamais besoin de changer : l'innovation est remarquée et en même temps détestée avec ses auteurs, et la foi demeure immuable dans sa succession.

C'est la consolation des catholiques toutes les fois qu'ils voient le corps de leurs pasteurs tenir toujours le même langage, et prêcher la même foi ; dans les derniers qui sont en place, ils entendent tous leurs prédécesseurs, et remontent par les apôtres jusqu'à Jésus-Christ.

Quand on s'écrie après cela : «Pauvre Ecriture, comment Dieu

vous a-t-il dictée? Que; vous devenez inutile ! Il n'y a qu'à montrer l'Eglise (2) : » encore un coup, on ne s'entend pas. Heureux celui qui, né et instruit dans le sein maternel de l'Eglise et dans la foi des promesses, n'a jamais besoin de disputer! S'il s'est écarté de cette voie, on travaille à le ramener par les Ecritures ; s'il n'y a jamais été et qu'il soit encore infidèle, on lui lira les prophéties dont l'Ecriture est pleine, et on tâchera de lui en marquer les autres caractères divins. Mais il y aura toujours grande différence entre celui qui cherche , et celui qui bien instruit par l'Eglise aura tout trouvé dès le premier pas.

L'exemple des hérésies lui fera sentir la sûreté où il faut marcher. Cette voie, nous a-t-on dit, mène à l'ignorance (3) : voyons donc ce qu'ont appris ceux qui l'ont quittée, et qui ont voulu être plus sages que l'Eglise catholique. C'est par là que les marcionites et les manichéens ont appris que l'Eglise précédente avait falsifie les Ecritures canoniques, et qu'il y avait deux premiers principes, dont l'un était la cause du péché. Les ariens ont appris

 

1 Tom. II, p. 610-612, etc. — 2 P. 547-549, etc. — 3 P. 546, 553.

 

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que le fils de Dieu était une créature, et ne pouvait être appelé Dieu qu'improprement. Les pélagiens ont appris qu'il n'y avait que les simples et les ignorants qui pussent croire qu'on fût pécheur par le péché de son père, ou que l'on eût besoin de la grâce à chaque acte de piété que produisait le libre arbitre. Viclef a appris qu'il n'y a point de libre arbitre, et que Dieu était auteur du péché : Luther, Melanchthon, Calvin et Bèze, avec les autres réformateurs du seizième siècle, ont succédé à cette science : les luthériens en particulier ont appris à sauver la réalité par leur ubiquité ; et les calvinistes, à mettre au rang des Saints et à recevoir aux mystères ceux qui tiennent ce prodige de doctrine, aussi bien que le senii-pélagianisine, dont les mêmes luthériens sont convaincus. Les calvinistes ont pour leur compte particulier l'inamissibilité de la justice, et la sanctification de tous les enfants des fidèles dans le sein de leurs mères. Ces deux dogmes sont définis dans le synode de Dordrecht : la chose n'est pas douteuse parmi les gens de bonne foi : la suite de ces deux dogmes, c'est que jusqu'à la fin du monde la grâce ne peut sortir d'une famille où elle est entrée une fois, et que David dans ses deux crimes, Salomon dans ses idolâtries, et saint Pierre dans son reniement, n'ont point perdu la justice.

C'est ainsi que se sont rendus savants ceux qui ont renonce à la foi de l'Eglise : tous ces faits que j'ai posés sont demeurés et demeureront éternellement sans réplique. Les catholiques évitent par leur soumission ces sciences «faussement nommées (1), » et ils éprouvent heureusement que c'est tout savoir que de n'en pas vouloir savoir plus que l'Eglise, c'est-à-dire, de ne vouloir pas être « savants plus qu'il ne faut (2).»

Mais on doit bien se garder de croire que sous ce prétexte nous négligions d'enseigner au peuple les vérités de la religion. Il n'y a qu'à lire nos catéchismes; et puisque c'est moi qu'on prend à partie et qu'on accuse de vouloir introduire l'ignorance sous prétexte de faire valoir la promesse de Jésus-Christ, il vous est aisé de connaître la calomnie. Car puisqu'on vient de parler de catéchisme, si vous voulez jeter les yeux seulement sur celui

 

1 I Timoth., VI, 20.— 2 Rom., XII, 3.

 

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que j'ai mis en main au peuple que je sers ( et chaque évêque vous en dit autant dans les diocèses où vous êtes, avec encore plus de confiance ), vous verrez qu'à l'exemple de saint Paul, « nous ne leur avons rien soustrait de ce qui est utile à leur salut ; et que nous leur annonçons » en toute vérité et pureté, « la connaissance de Dieu et la foi en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).» Dites-nous donc, mes Frères, en quoi nous entretenons l'ignorance. Vos ministres voudraient bien qu'on crût que nous n'instruisons pas assez notre peuple sur la connaissance de Dieu et contre l'idolâtrie. Vais ils savent bien le contraire : ils savent bien, dis-je, que nous enseignons parfaitement que Dieu est seul, et que seul il a tout tiré du néant. Le reproche d'idolâtrie tombe visiblement par ce seul dogme : aussi vos ministres ne nous le font plus que par coutume ou par engagement ; et leur conscience les dément, comme la nôtre nous fait mépriser de vains reproches, où nous ne sommes touchés que de l'injustice de ceux qui osent encore les renouveler.

Si par là ils sont contraints d'avouer qu'avec un tel sentiment il est impossible qu'on soit idolâtre dans son cœur, et qu'ils tâchent de trouver notre idolâtrie dans notre culte extérieur, ils n'entendent pas la nature de ce culte, qui ne pouvant être autre chose que la démonstration des sentiments intérieurs, ne permet en aucune sorte qu'on soupçonne d'idolâtrie ceux qui commissent Dieu en vérité , et l'adorent seul au dedans.

Mais si nous enseignons très-purement la connaissance de Dieu, nous ne sommes pas moins soigneux de faire connaître Jésus-Christ. Peut-on nous reprocher avec la moindre vraisemblance que nous taisions à nos peuples qu'étant Dieu et Homme, la satisfaction qu'il a offerte pour nous à la croix est infinie et surabondante ; en sorte qu'il n'y manque rien, et qu'il ne reste autre chose à faire au chrétien que de s'en appliquer la vertu par une foi vive? En quelle conscience pourrait-on dire que nous laissons ignorer cette foi, ni que nous puissions après cela égaler le fini à l'infini, et comparer aucune intercession ou des hommes ou des anges à celle du Sauveur?

 

1 Act., XX, 20, 21.

 

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On nous objecte des conséquences qu'on tire de notre doctrine : mais outre qu'elles sont fausses, du moins ne peut-on nier dans le fait qu'elles ne soient désavouées par cent actes authentiques, et que nous ne détestions toute doctrine qui déroge aux grands principes qu'on vient de poser.

Nous enseignons parfaitement la sainte et sévère jalousie de Dieu et de Jésus-Christ, mais de le rendre jaloux de ses ouvrages connus comme tels, qui sont ses Saints, ou de lui-même dans l'Eucharistie, ou des choses que l'on ne conserve dans les églises que pour exciter le souvenir de ses mystères et de ses grâces, et les porter jusqu'aux yeux les plus ignorants, c'est une délicatesse indigne de sa bonté et de sa grandeur.

C'est du cœur qu'il est jaloux ; et pour ne le point irriter, on ne doit non plus partager son culte que son amour : mais quoi? n'enseignons-nous pas que le vrai culte de Dieu est de l'aimer de tout son cœur et plus que soi-même, et son prochain comme soi-même pour l'amour de lui? Quelle partie de ces deux préceptes laissons-nous ignorer à nos peuples : et ne leur apprenons-nous pas en même temps que tout ce qu'ils font pour accomplir ces deux préceptes, autant qu'il se peut en cette vie infirme et mortelle, est donné d'en haut par une pure miséricorde à cause de Jésus-Christ; en sorte qu'il n'y a point de mérite qui ne soit un don spécial de Dieu, et qu'en couronnant nos bonnes œuvres il ne couronne que ses propres libéralités? Où est donc l'ignorance qu'on nous reproche d'affecter ou d'introduire? Avouez qu'on ne sait où la trouver, et que les ministres ne peuvent ici nous l'objecter qu'en supposant sans raison tout ce qu'il leur plaît.

Il n'est ni nécessaire ni possible d'entrer maintenant dans un plus grand détail. On n'a pas besoin de boire toute l'eau de la mer pour savoir qu'elle est amère, ni de rapporter au long toutes les calomnies qu'on nous fait pour faire sentir toute l'amertume qu'on a contre nous.

 

 

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CONCLUSION
ET ABRÉGÉ DE TOUT CE DISCOURS.

 

J'ose donc vous conjurer encore une fois de lire cette Instruction et l’Instruction précédente. Vous y trouverez la voie du salut et le repos de vos aines dans les promesses de Jésus-Christ et de l'Evangile. Elles n'ont aucun embarras : tout y est clair, ou par les textes exprès de l'Ecriture, ou par la seule exposition de notre doctrine, ou par l'aveu du ministre qui a voulu me combattre.

Puisqu'il est écrit que pour éprouver la foi des chrétiens, « il faut qu'il y ait des hérésies (1) ; » puisque dès que Jésus-Christ a paru dans le monde, il a été dit de lui « qu'il était mis pour être en butte aux contradictions (2), » et que l'homme ingénieux contre soi-même devait épuiser la subtilité de son esprit à pervertir en toutes manières les voies droites du Seigneur : avouez qu'il était de sa sagesse comme de sa puissance de préparer un remède aisé, par lequel sans dispute et sans embarras tout esprit droit pût connaître les schismes futurs. Le voilà dans la promesse de l'Evangile qui exclut toute interruption dans la succession apostolique et dans l'extérieur de son Eglise : par là l'intérieur est à couvert, puisque la prédication toujours véritable, et qui jusqu'à la fin des siècles ne cessera de passer de main en main et de bouche en bouche, aura toujours son effet au dehors par l'assistance de Jésus-Christ toujours présente. Voilà un caractère certain, qui jusqu'à la fin du monde notera les contredisants et les hérétiques.

Vous répondez : « On a tout, quand on a la vérité : le salut est infaillible à ceux qui la possèdent; mais on n'a rien avec l'ancienneté, la succession et l'étendue, lorsque la vérité manque; il faut donc chercher l'une et se mettre peu en peine de l'autre (3). » Vous ne songez pas que Jésus-Christ a voulu mettre expressément la vérité à couvert par l'assistance qu'il promet à la succession ; de sorte que quand vous dites : « Il faut chercher l'une et se mettre peu en peine de l'autre, » c'est de même que si vous

 

1 I Cor., XI, 19. — 2 Luc., II, 34. — 3 Tom. II, p. 542.

 

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disiez : Il faut chercher la fin, et se « mettre peu en peine » des moyens donnés de Dieu pour y parvenir.

Mais, dites-vous, ce remède est faible; l'autorité ne remédie point aux erreurs : il y a eu des divisions dès le temps des apôtres : « Si leur autorité échoua dés le premier schisme, que fera celle des papes et des évêques? Arius malgré le concile qui lui dénonça un anathème éternel, grossit son parti (1) : » il en est de même des autres; comme qui dirait : La sévérité des lois n'empêche pas qu'il n'y ait des vols et des massacres, donc ce remède est peu efficace: que ferez-vous donc? Abandonnez tout; et parce qu'il y a des esprits superbes et contentieux qui résistent à tous les remèdes, cessez de les proposer aux simples et aux droits de cœur.

Mais, poursuit-on, les apôtres n'avaient donc qu'à aller par toute la terre y faire lire dans le Symbole l'article de l'Eglise catholique, « dont le nom même ne se trouve pas dans les Ecrits sacrés (2), » et ils se sont tourmentés en vain à rechercher les prophéties : comme si chaque chose n'avait pas son temps, ou qu'il n'eût pas fallu établir l'Eglise catholique avant que d'en employer l'autorité.

C'est en vain qu'on tâche de l'affaiblir, en disant que « le nom ne s'en trouve pas dans les Ecrits sacrés : » quoi qu'il en soit, il est gravé dans le cœur de tous les chrétiens, et les protestants eux-mêmes n'ont pu s'empêcher de professer, comme nous, la foi de L'Eglise catholique avant toute discussion et tout examen.

On trouve de l'ostentation dans les « évêques et dans les curés, qui se voient les maîtres uniques de la religion ; qui, dit-on, s'élèvent fort au-dessus du reste des hommes, et qui veulent qu'on les écoule comme autant d'apôtres infaillibles, dès le moment qu'ils portent le nom de pasteurs (3). » Il est vrai, il y aurait là une ostentation énorme ; mais par malheur pour les protestants, elle n'est que dans leurs discours. Les évêques ne se croient maîtres ni auteurs de rien : toute leur gloire est d'enseigner ce qu'ils ont reçu de ceux qui les précédaient : on n'a jamais besoin d'aller bien loin pour trouver le novateur : c'est un fait toujours constant : nous

 

1 Tom. II, 734-738. — 2 P. 551, etc. — 3 P. 557.

 

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avons dit plusieurs fois (1) que dans l'Eglise catholique, nul ne se montre soi-même en particulier, ni ne veut donner son nom à son troupeau : tous montrent l'Eglise et les promesses qu'elle a reçues en corps; ce n'est pas présumer de soi ni s'attirer une gloire vaine, que de mettre sa confiance aux promesses do Jésus-Christ, et il est visible par le discours du ministre qu'il n'a pu nous imputer de l'ostentation qu'en altérant tous nos sentiments.

Si l'on était demeuré dans cette règle : si tout le monde avait noté ceux qui sont sortis de la ligne de la succession, il faut avouer qu'il n'y aurait eu ni schisme ni hérésie, dont la source de tout le mal sera éternellement qu'il y a eu et qu'il y aura des esprits superbes, qui veulent se faire un nom, qui adorent les inventions de leur esprit et se séparent eux-mêmes.

 

1 Ci-dessus, n. 127.

 

 

FIN DE LA SECONDE INSTRUCTION PASTORALE
SUR LES PROMESSES DE L'ÉGLISE.

 

 

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