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POUR RÉPONDRE A
QUELQUES LETTRES,
OU L'ÉTAT DE LA QUESTION EST DÉTOURNÉ.
SECOND
ÉCRIT ou MÉMOIRE DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX,
I. — Dessein et nécessité de cet écrit.
II. — Quelle obéissance promet l'auteur de ces lettres.
III. — Si l'oraison est en péril.
IV. — Que ceux qu'on veut accuser d'être opposés à l'oraison en sont les
défenseurs.
V. — Sentiments de M. de Meaux sur l'objet spécificatif de la charité.
VI. — Des motifs de la chanté : doctrine de l'Evangile : décision expresse du
concile de Trente.
VII. — Autre décision expresse du même concile.
VIII. — Illusion de l'auteur.
IX. — Réflexions sur les exemples de Moïse et de David, allégués par le concile
de Trente.
X. — Doctrine de l'Ecole sur la nature et les motifs de la charité.
XI. — Vaine plainte dans la Lettre à un ami.
XII. — La même doctrine plus précisément proposée.
XIII. — Que l'auteur de la Lettre détourne l'état de la question : son erreur
sur l'état parfait.
XIV. — Vaine réponse de l'auteur, qui n'entend ni l'espérance ni la charité.
XV. — Que la distinction du quatrième et du cinquième état de l'amour, où
l'auteur a constitué toute la doctrine de son livre, ne subsiste plus après sa
lettre, et son pur amour est un fantôme.
XVI. — Réflexions sur la distinction du quatrième et du cinquième amour posé par
l'auteur : et nouvelle conviction de son erreur dans son pur amour.
XVII. — Conséquences pour établir le vrai état de la question : première
conséquence : que l'auteur se perd dans des subtilités.
XVIII. — Seconde conséquence : inutilité de certaines thèses sur le pur amour.
XIX. — Troisième conséquence : que l'auteur déguise l'état de la question dans
sa Lettre à une religieuse.
XX. — Quatrième conséquence : qu'il n'est pas vrai que l'on convienne de la
catholicité du sens de l'auteur.
XXI. — Cinquième conséquence : que l'auteur déguise l'objet de sou livre dans la
même Lettre à une religieuse.
XXII. — Sixième conséquence : qu'en réduisant la question à deux points dans la
Lettre à un ami, l'auteur dissimule les principales difficultés.
XXIII. — On dit un mot de la lettre de M. l'abbé de Chanterac, et on conclut cet
écrit.
On me presse de répondre à deux
ou trois lettres, dont la première, du 3 août, a pour titre : Lettre de M.
l'archevêque de Cambray à un ami : la seconde est de ce même prélat à une
religieuse qu'il conduit : la troisième n'est pas de lui, mais de M. l'abbé
de Chanterac son grand vicaire et son député à Rome. Sous ces titres, ces
lettres sont en effet écrites à tout le public, puisque les mains cachées et
officieuses les répandent en un instant et plus vite que l'impression, dans la
Cour, dans la ville et dans les provinces : la première même est déjà imprimée,
et les autres apparemment le seront bientôt. Que ferai-je sur cette demande ? Il
faut poser pour fondement que je ne veux rien taire d'essentiel, ni aussi rien
écrire que de nécessaire. Pour m'obliger à parler, on dit que ces lettres
préviennent les esprits : le monde .ne peut se persuader que l'erreur soit
accompagnée de la modestie, de la soumission, de la tranquillité qu'on y fait
paraître : mais je suis encore touché de raisons plus hautes. C'est qu'on y
change insensiblement l'état de la question; et qu'une dispute, où il y va du
tout pour la religion, ne paraît plus qu'un malentendu où l'on est d'accord dans
le fond : en tout cas une finesse d'école, une innocente subtilité, où il n'y va
point de la foi, et qui aussi échappe des mains quand on la pénètre. D'autre
côté
374
néanmoins là matière est grave. On souffre pour
l'oraison qui est en péril, et pour le pur et parfait amour. « On a, dit-on,
accoutumé les chrétiens à ne chercher Dieu que pour leur béatitude et par
intérêt pour eux-mêmes. » Voilà donc déjà de grands maux qu'on se plaint de voir
introduits dans l'Eglise, et la question n'est plus si légère : l'oraison, qui
est l’âme de la religion, est non-seulement attaquée, mais encore en péril, et
une pratique basse et intéressée à laquelle les chrétiens s'accoutument, est
mise à sa place. On défend, ajoute l'auteur, le parfait amour même
aux âmes les plus avancées : qui le pourrait croire dans l'Eglise de
Jésus-Christ? Cependant il faut avouer qu'on se laisse facilement prévenir par
ceux qui font entendre au public qu'ils ont tout sacrifié pour cette cause. Il
n'est plus permis de se taire; et à moins de trahir la vérité et sa conscience,
il faut entrer dans ce parti, ou le combattre.
Pour commencer par l'obéissance,
qui sans doute est le bel endroit de la Lettre à un ami, je ne la veux
pas révoquer en doute : mais ici où je n'ai à considérer que les paroles d'un
auteur, j'en dois représenter l'obéissance selon qu'il l'a lui-même
circonstanciée. Il « demande ( seulement ) au Pape qu'il ait la bonté de marquer
précisément les endroits qu'il condamne. » Ainsi l'on élude d'abord les
condamnations générales, quoique utilement pratiquées dans l'Eglise pour donner
comme un premier coup aux erreurs naissantes, et souvent même le dernier, selon
l'exigence du cas et le degré d'obstination qu'on trouve dans les esprits; Mais
la lettre passe plus avant : il faut que le Pape « marque précisément les
endroits qu'il condamne et les sens sur lesquels portent les condamnations : »
ainsi ce ne serait pas assez à l'extraire des propositions selon la coutume, et
de les noter par une censure : il faut prévoir tous les sens qu'un esprit subtil
leur peut donner: « afin, dit-il, que ma souscription soit sans réserve, et que
je ne coure jamais risque de défendre ni d'excuser ni de tolérer
375
un sens condamné : » de sorte que si la censure tomboit sur
quelque sens que par malheur on ne voulut pas abandonner, dès à présent on se
prépare des défaites : le Pape, à qui on a déféré la cause, sera soumis à son
tour aux réserves, aux restrictions de l'auteur; et l'on verra renaître les
raffinements qui ont fatigué les siècles passés et le nôtre. Voilà comme on
tourne l'obéissance : voilà ce qu'on répand de tous côtés avec une affectation
surprenante : à ce prix on est prêt à s'humilier : « Laissons-nous corriger,
dit-on, si nous en avons besoin, et souffrons la correction quand même nous ne
la mériterions pas. » On prépare déjà le public à tout événement : l'auteur
s'attend bien que Rome, où il a porté l'affaire, ne se taira pas : et il voit
venir la censure déjà contenue en substance dans celle de Molinos et de ses
sectateurs : s'il résiste , ce qu'à Dieu ne plaise, il en a marqué le prétexte
dans la différence des sens; s'il veut, il fera naître un nouveau procès. Se
taira-t-il, il aura souffert la correction qu'il n'aura point méritée, et
il réservera sa défense à un temps plus commode. Il pourra même ou avouer ou
désavouer, malgré le style qui parle, des lettres qui distribuées avec tant de
soin et envoyées en tant do paquets par les maisons particulières, auront
toujours fait leur effet. A la vérité nous avons vu les mêmes sentiments dans
des originaux écrits de main sûre, et à des personnes qu'on ne dément pas. Mais
enfin ce sera toujours un procès : il n'est pas permis d'exposer l'Eglise à ces
incertitudes, et la charité aussi bien que la conscience nous pressent de mettre
l'affaire en un état où tout le monde y voie clair.
Venons donc au fond :
L'oraison, dit-on, est en péril : quelle oraison, et de quel côté?
est-ce l'oraison discursive et la méditation? Si cette oraison est en péril,
c'est du côté des nouveaux mystiques qui la ravilissent, puisque même elle est
renvoyée par notre auteur, à l'exercice de l'amour intéressé (1). Mais
nous
1 Act. 21, p. 165.
376
disons au contraire, malgré les nouveaux mystiques et avec
tous les spirituels anciens et modernes, que cette oraison peut conduire au plus
pur amour, et par là à la perfection du christianisme. La preuve en est
constante par notre Instruction sur les Etats d'Oraison, à laquelle nous
renvoyons pour ne charger pas cet écrit de trop de remarques (1). Quelle oraison
donc encore un coup est en péril? est-ce celle qu'on nomme affective, à cause
qu'elle s'exhale comme un encens en pieux désirs, en saintes affections ? C'est
cette oraison que nous avons défendue contre le P. la Combe qui la mettait en
péril avec « les Psaumes, les Lamentations des prophètes, les plaintes des
pénitents, la joie des saints, toutes les hymnes de l'Eglise, et toutes les
oraisons, principalement l'oraison divine que Jésus-Christ nous a enseignée (2).
» J'en reviens donc toujours à demander quelle oraison est en péril ? est-ce
l'Oraison de simple présence, de contemplation et de quiétude, ou peut-être les
oraisons extraordinaires et même passives qui sont attaquées : elles à qui on a
consacré un article exprès parmi les XXXIV d'Issy (3), où on met ces oraisons à
couvert de toute attaque sous l'autorité de saint François de Sales et des
autres spirituels reçus dans toute l'Eglise? L'article XXIV établit aussi la
contemplation, et lui propose les objets qui lui conviennent. Ce serait donc une
calomnie de faire mettre l'oraison en péril à des prélats qui prennent tant de
soin de la conserver dans tous ses états, dans toutes ses diversités.
S'il faut descendre aux
particuliers : qui sont donc ces ennemis de l'oraison contre qui il la faut
défendre ? Est-ce M. l'archevêque de Paris, qui dans la censure qu'il a publiée
contre les mystiques de nos jours, étant évêque de Chalons (4), s'oppose
également à ces deux excès, ou d'abuser de l'oraison, ou de la mépriser ; et qui
parle si dignement de l'onction qui nous l'inspire,
1 Préf., n. 7, liv. VII, n. 28, 29 ; liv. IX, n. 11,
12, 13. — 2 Liv. III, n. 18, 19, 139, 140. — 3 Art. XXI. Instr. sur les Etats
d’Or., liv. X. n. 5. — 4 Ordon. du 25 avril 1695.
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et de l'esprit qui souffle où il veut ? M. l'évêque de
Chartres prend les mêmes précautions (1) et tout respire l'intérieur et la piété
dans les Ordonnances de ces deux prélats. Ce sera donc peut-être M. de
Meaux qu'on accusera de mettre l'oraison en péril, lui qui a traité si amplement
cette matière dans une Instruction expresse, sans que personne y ait rien
repris. Est-ce lui qu'on veut déclarer l'adversaire de l'oraison, après qu'il a
tâché d'expliquer les plus beaux effets de la contemplation, dans le livre V
(2); qu'il a tiré dans le livre vu, des spirituels les plus approuvés, les
principes de l'oraison qu'on nomme passive ; et enfin qu'il a rapporté avec tant
de soin les maximes et les pratiques de saint François de Sales et de la mère de
Chantai sa sainte fille, aussi bien que celles de sainte Thérèse et des autres
saints (3). L'oraison ne sera point en péril, quand on proposera ces grands
exemples ; et c'est un dessein surprenant de lui forger des persécuteurs pour
s'en faire le martyr.
J'ai peine ici à nommer ceux qui
se sont donnés pour défenseurs du libre arbitre, comme s'il était attaqué par
les défenseurs de la grâce, pendant qu'ils le soutenaient de toute leur force,
et qui ont pris sur ce fondement des tons plaintifs pour s'attirer la pitié des
ignorants. Je veux bien ne point parler de tant d'autres, qui pour s'ériger en
défenseurs de la vérité , la supposaient combattue par les catholiques ; si
éloigné de leurs dispositions, pourquoi en renouvelle-t-on les exemples odieux,
et nous contraint-on de les rappeler à la mémoire des hommes ?
« On a, dit-on, accoutumé les
chrétiens à ne chercher Dieu que par intérêt et que pour leur béatitude. » Mais,
qui les y a accoutumés? Ce n'est pas du moins M. de Meaux, qui s'est attaché à
montrer par l'Ecriture , par les saints docteurs et surtout par saint Augustin,
que l'amour qu'on avait pour Dieu comme objet béatifiant, présupposait
nécessairement l'amour qu'on avait pour
1 Ordonn. du 21 novembre 1695. — 2 Inst., liv. V, n.
12,13,17, 18, 19 et suiv. — 3 Ibid., liv. VIII et IX.
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lui à raison de la perfection et de la bonté de son
excellente nature (1) ; sans quoi la charité même destituée de son objet
principal, et comme parle l'Ecole, spécifique et essentiel, ne subsistait plus.
« On défend, ajoute l'auteur,
aux âmes les plus avancées de servir Dieu par le motif par lequel on avait
jusqu'ici souhaité que les pécheurs revinssent de leur égarement, c'est-à-dire
la bonté de Dieu infiniment aimable. » Qui le défend ? Pour se donner le mérite
de souffrir pour la défense du pur motif de l'amour, est-il juste, est-il permis
de lui imaginer des ennemis ? On veut encore, et on voudra toujours que le
pécheur revienne de son égarement par le motif de la bonté de Dieu parfaite en
elle-même : mais l'on ne croit point déroger à la pureté de ce motif, d'y
ajouter avec David : « Louez le Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa
miséricorde est éternelle (2). » Nous voyons tous les jours que les confesseurs
se servent si utilement pour nous exciter à la pure et sincère contrition, de la
longue patience de Dieu, qui nous a pardonné tant de péchés. Si ce motif
dégradait l'amour, Jésus Christ ne l'aurait pas proposé à celle à qui il
remettait beaucoup de péchés, parce qu'elle avait beaucoup aimé (3). Quand
le concile de Trente a défini que les justes qui se dévoient aimer eux-mêmes
principalement par le motif de glorifier Dieu, y pouvaient et y devaient ajouter
la vue de la récompense éternelle pour s'animer davantage (4) : il a défini en
même temps que le motif de la récompense , bien éloigné d'affaiblir la charité,
au contraire la rendait plus forte ; et cela non-seulement dans les justes du
commun, mais encore dans les plus parfaits, dont ce concile allègue l'exemple
(5) : comme dans David, qui disait : « J'ai incliné mon cœur à vos
justifications, à cause de la récompense (6) : » et dans Moïse, dont saint Paul
a dit : « Qu'il regardait à la récompense (7). »
Il faut donc conclure de là, que
le motif de la récompense est
1 Inst. sur les Etats d'Or., Addition, n. 2 etsuiv.—
2 Psal., CV, 1.— 3 Luc, VII, 47. — 4 Sess. VI, cap. XI. — 5
Ibid.— 6 Psal., CXVIII, 112. — 7 Hebr., XI, 26.
379
né pour animer ceux qui se proposent pour leur fin dernière
la gloire de Dieu ; et que ces motifs, loin de s'affaiblir ou de s'exclure l'un
l'autre, sont subordonnés l'un à l'autre.
Quand le même concile a prononcé
« qu'il fallait proposer la vie éternelle aux enfants de Dieu, et comme une
grâce qui leur était miséricordieusement promise en Jésus-Christ, et comme une
récompense qui devait être fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres et à leurs
mérites (1) ; » ce motif, tanquàm merces, comme récompense, n'est-ce pas
le motif commun de tous les enfants de Dieu? ou bien y a-t-il deux classes des
enfants de Dieu, à l'une desquelles il faille proposer ce motif, et ne le pas
proposer à l'autre? le proposer au commun des justes, et ne le proposer pas aux
parfaits ? Qui ne voit l'illusion manifeste d'une semblable doctrine ? car le
concile dit clairement, qu'il faut proposer la vie éternelle comme récompense, «
tanquàm merces: à ceux qui persévèrent dans le bien jusqu'à la fin, et
qui espèrent en Dieu. » Il faut donc, ou dire que les parfaits ne sont pas de
ceux qui persévèrent dans le bien, et qui mettent en Dieu leur espérance:
ou avouer, comme un point de foi décidé par le concile de Trente, qu'on leur
doit proposer la vie éternelle à titre de récompense, et cela en qualité
d'enfants de Dieu, filius Dei : sans par là les rendre mercenaires, ou
les dégrader du nom d'enfants de Dieu, ou le leur faire porter d'une manière
imparfaite.
L'auteur nous répondra qu'aussi
a-t-il dit, parlant en la personne des parfaits : « Je veux Dieu en tant qu'il
est mon bien, mon bonheur et ma récompense (2) : » il est vrai. Il ajoute même :
« Je le veux formellement sous cette précision : » il fallait donc s'en tenir
là, et n'ajouter pas aussitôt après : « Mais je ne le veux
1 Sess. VI, cap. XVI. — 2 Explic. des Maximes, etc.,
p. 44, 45.
380
point par ce motif précis qu'il est mon bien. L'objet et le
motif sont différais : l'objet est mon intérêt, mais le motif n'est point
intéressé , puisqu'il ne regarde que le bon plaisir de Dieu : » ainsi ce qui est
l'objet n'est pas le motif pour les parfaits : « Je veux Dieu, dit-il, sous
cette précision qu'il est mon bien ; mais je ne le veux point par cette raison
précise. » Si cette raison précise n'est plus mon motif, ne me meut plus , ne me
touche plus : que me sert d'avoir un objet dont je ne suis plus touché ? C'est
sous prétexte de reconnaître la décision de Trente, l'éluder manifestement : et
en avouant de paroles qu'on propose aux plus parfaits la vie éternelle, en
tant qu'elle est récompense, tanquàm merces, on cesse de la proposer comme
un motif qui les touche.
C'est précisément s'opposer aux
paroles du même concile, qui décide que tous les justes et même les plus
parfaits « regardent la récompense éternelle, principalement pour glorifier
Dieu, mais aussi pour exciter leur négligence, et pour s'engager à courir dans
leur carrière (1) : » ce qui bien assurément ne serait pas, si cette récompense
ne les touchait plus, et n'était plus un motif pour eux capable de les animer et
d'exciter leur courage.
Il ne sert de rien de dire
toujours : On ne m'entend pas ; ce n'est pas ainsi que je le conçois ; car après
tout, qu'est-ce qu'on entend, sinon qu'on ôte aux parfaits le motif qui touche
les justes du commun, pendant que le concile de Trente, pour prouver que ce
motif est bon à tous les justes, leur allègue l'exemple des parfaits?
Nous avons vu que ce saint
concile appuie sa décision sur les exemples d'un David, qui dit : « J'ai incliné
mon cœur à vos préceptes, à cause de la récompense ; » et d'un Moïse, dont
l'Apôtre a dit, « qu'il regardait à la récompense (2): » pour montrer que dans
les plus grands saints, dans les hommes inspirés de Dieu, il y a pendant tout le
cours de cette vie, un fonds de paresse qui a
1 Concil. Trid., sess. VI, cap.
XI. — 2 Ibid.
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besoin d'être excité par la vue de la récompense éternelle
; et crue négliger ce secours, ou en un mot ne s'en servir pas comme par état,
c'est raffiner sur l'Evangile, c'est se livrer à l'orgueil, et ne pas connaître
l'infirmité et les tentations où nous sommes durant tout le temps de notre
pèlerinage.
Ainsi quand l'Ecole dit, comme
elle fait communément, « que la charité est l'amour de Dieu comme excellent en
lui-même sans rapport à nous, » visiblement il faut entendre, et tous aussi sans
exception l'entendent ainsi, que l'on peut bien distinguer ou séparer par
l'esprit ce rapport à nous de l'objet spécificatif de la charité ; mais non pas
l'exclure pour cela, ni séparer les bienfaits divins du rang des motifs
pressants, quoique seconds ët subsidiaires de la charité.
De cette sorte la distinction de
cet objet spécificatif d'avec les autres motifs est bonne en spéculative : mais
cette séparation ne se fait que par la pensée, pendant que réellement et dans la
pratique on s'aide de tout ; et celui-là est le plus parfait, qui absolument
aime le plus par quelque motif que ce soit.
La charité est une : la
théologie n'en connaît pas de deux espèces. Saint Paul dit que « la charité ne
se perd jamais, nunquàm excidit (1). » Et bien loin qu'il y ait une autre
charité quand on passe de l'état imparfait au parfait, il est de la foi que la
même charité demeure toujours, quand on passe de l'état présent à la patrie.
L'auteur convient avec nous dans les réponses qu'il nous a communiquées, qu'elle
est la même et de même espèce dans le ciel et dans la terre, et ici-bas la
perfection dépend des degrés. Il y a un degré connu de Dieu, où selon saint
Jean, dans sa première Epître canonique, la charité bannit la crainte
(2) : mais il n'y en a point où elle bannisse l'espérance ni son motif. La
crainte n'a pas Dieu pour son objet immédiat : son motif essentiel, qui est la
peine éternelle, ne fait qu'ôter les empêchements, et
1 I Cor., XIII, 8. — 2 I Joan.,
IV. 18.
382
rabattre la concupiscence par une terreur salutaire : mais,
comme dit excellemment saint Bonaventure, l'espérance a Dieu même pour objet
immédiat, et son motif naturellement entre dans l'amour , l'excite et l'augmente
: ce sont là des vérités inébranlables, clairement révélées de Dieu, et dont
toute la théologie est d'accord.
Quand donc la Lettre à l'ami se
plaint qu'on défend de servir Dieu pur les purs motifs de sa boulé infinie, on
veut se faire pitié à soi-même et en faire aux autres en se donnant gratuitement
des adversaires ; et au lieu de prier pour eux, comme s'ils étaient dans
l'erreur, il aurait été plus sincère de leur faire justice, en avouant qu'ils ne
mettent en péril ni l'oraison, ni l'amour parfait, ni les motifs qui nous y
portent.
Et pour montrer à M. de Cambray
que c'est en vain qu'il prétend se faire valoir envers le public comme le
défenseur particulier de l'amour désintéressé, on lui accorde sans peine avec le
commun de l'Ecole, ce qu'il demande dans sa Lettre à un ami, que « la charité
est un amour de Dieu pour lui-même, indépendamment de la béatitude qu'on trouve
en lui : » on lui accorde, dis-je, sans difficulté cette définition de la
charité : mais à deux conditions : l'une, que cette définition est celle de la
charité qui se trouve dans tous les justes, et par conséquent n'appartient pas à
un état particulier qui constitue la perfection du christianisme : et l'autre,
que l'indépendance qu'on attribue à la charité, tant de la béatitude que des
autres bienfaits de Dieu, loin de les exclure, les laisse dans la pratique comme
un des motifs les plus pressants, quoique second et moins principal de cette
reine des vertus.
On assure sans crainte, et on
met en fait, que jamais M. de Cambray, avec la tradition qu'il a tant vantée, ne
trouvera un seul auteur, ou parmi les Pères, ou parmi les scolastiques, ou
383
parmi les mystiques, qui rejette ces deux conditions ; et à
l'ouverture du livre on lui en montrera cent qui expressément les admettent : ce
qu'on aurait fait en sa présence, s'il n'avait si soigneusement évité la
conférence réglée, qu'on lui proposait avec toutes les circonstances les plus
favorables qu'il eût désirées.
Ainsi quand il réduit dans sa
Lettre la question à deux points, dont l'un est cette indépendance de la
charité, il donne le change aux théologiens ; et il demande comme une merveille
qu'on lui accorde ce que personne ne lui a jamais disputé, et ce qui ne fait
rien du tout à la question, comme on vient de voir.
Il ne réussit pas mieux dans la
seconde chose, qu'il demande pareillement qu'on lui accorde : « qui est que dans
la vie des âmes les plus parfaites, c'est la charité qui prévient toutes les
autres vertus, qui les anime, et qui en commande les actes pour les rapporter à
sa fin : en sorte que le juste de cet état exerce alors d'ordinaire l'espérance
et toutes les vertus avec tout le désintéressement de la charité même, qui en
commande l'exercice. » Tout cela, dis-je, ne sert de rien, puisque c'est là
non-seulement une doctrine absolument inintelligible, mais encore une erreur
manifeste.
C'est une doctrine
inintelligible, puisque admettre une espérance qui soit exercée avec tout le
désintéressement de la charité, c'est en admettre une, selon l'auteur même, qui,
comme la charité, soit indépendante de la béatitude : et cela c'est mie
espérance qui n'espère rien, et une contradiction dans les termes.
Mais ce qui est inintelligible
par cet endroit-là, en soi-même est une erreur manifeste pour deux raisons :
l'une, que c'est ôter l'espérance contre la parole expresse de saint Paul : «
Maintenant ces trois choses demeurent, la foi, l'espérance et la charité :
manent tria hœc (1):» l'antre, que c'est mettre une espérance qui n'excite
point, contre la définition expresse du concile de Trente :
1 I Cor., XIII, 13.
384
ce qui retombe dans le défaut d'ôter l'espérance, puisqu'il
est égal de l'ôter ou de la laisser sans effet.
Il ne sert de rien de dire que
la charité prévient l'espérance et la commande, puisqu'il doit toujours demeurer
pour certain, selon la foi, qu'elle ne la peut commander que pour s'exciter
elle-même ; car pourquoi l'acte d'espérance est-il si précisément commandé de
Dieu par ces paroles ; Espérez au Seigneur : Spera in Domino (1); et
encore: Attendez le Seigneur: agissez avec courage ; et que votre cœur se
fortifie (2) : et par cent autres de cette force: pourquoi, dis-je, cet acte
d'espérance est-il si soigneusement commandé, si ce n'est parce qu'il sert à la
charité ; qu'il est né pour l'exciter, pour la soutenir, pour l'accroître,
conformément à cette parole de l'Apôtre : La fin du précepte,
c'est-à-dire sans aucun doute, la fin de tout précepte, c'est la charité:
finis prœcepti charitas (3) ? »
C'est aussi très-vainement que
l'auteur suppose que cette prévention de la charité ne convient qu'à son amour
pur : car l'amour du quatrième degré, qui selon lui n'est pas encore l'amour
pur, mais cet amour mélangé qu'il appelle partout mercenaire ou
intéressé (4), encore qu'il soit justifiant et que la charité y domine
(5); ne laisse pas d'être « un amour de préférence de Dieu à soi, où l’âme aime
principalement la gloire de Dieu (6), et ne cherche son bonheur propre que comme
un moyen qu'elle rapporte et qu'elle subordonne à la fin dernière qui est la
gloire du Créateur (7). »
Tel est l'amour du quatrième
degré, qui n'est pas encore l'amour pur, dont l'auteur fait un degré plus
éminent, qu'il appelle
1 Psal. XXXVI, 3. — 2 Ps. XXVI, 14. — 3 I Tim., I. 5. — 4
Explic. des Max., p. 14, 15. — 5 P. 6, 8. — 6 P. 15.—7 Explic., des
Max., p. 9.
385
dans son livre le cinquième amour, où non content de ne
plus « aimer son propre bonheur que comme un moyen subordonné à la gloire de
Dieu, on aime Dieu sans aucun mélange de motif intéressé ni de crainte ni
d'espérance (1). »
Et néanmoins cet amour, qui
n'est pas encore l'amour pur, ce qu'on ne peut assez répéter, prévient et
commande toutes les vertus par cette raison démonstrative. Ce qui est voulu
comme fin est voulu par prévention devant les moyens : c'est un principe
constant : or est-il qu'en cet état, qui est le quatrième et celui de la justice
commune, la gloire de Dieu qui est l'objet de la charité est voulue comme la
fin, et au contraire la béatitude n'est voulue que comme un moyen qui lui
est subordonné par la propre définition de l'auteur : donc cette prévention de
la charité , dont la Lettre à un ami voulait faire l'état des parfaits,
c'est-à-dire le cinquième état du livre, se trouve établie dès le quatrième : et
ainsi ce cinquième état, encore que ce soit celui qui fait le sujet du livre,
n'est plus qu'un fantôme.
Cette raison est démonstrative,
puisque la définition de l'état parlait, qu'on fait consister dans la charité en
tant qu'elle prévient l'exercice de l'espérance, est épuisée dès l'état de la
justice commune, en sorte qu'il ne reste rien à mettre au delà que l'exclusion
du motif de la béatitude en tout sens : ce qui emporte la suppression de
l'espérance chrétienne, et parla, comme on a vu, une erreur manifeste contre la
foi.
Dans certaines matières
abstraites et qu'on affecte encore de subtiliser pour embarrasser la matière, il
ne faut pas craindre de répéter ce qui fait la difficulté. Je répète donc que le
fort de la difficulté dans cette matière consiste dans les deux amours que
l'auteur appelle dans son livre, le quatrième et le cinquième,
Le caractère du quatrième amour,
qui est l'amour de charité et celui de la justice commune, selon l'auteur
consiste en trois
1 Explic. des Max., p. 15.
386
choses : la première, « que l’âme alors aime Dieu pour lui
et pour soi (1) : » la seconde, « qu'elle aime principalement la gloire de Dieu,
et qu'elle ne cherche son bonheur propre que comme un moyen qu'elle rapporte à
la fin dernière, qui est la gloire de son Créateur (2): » la troisième, que cet
«amour est encore mélangé d'un reste d'intérêt propre, quoiqu'il soit un
amour de préférence de Dieu à soi (3). Ce reste d'intérêt propre, » c'est
ce qu'on venait d'appeler « le propre bonheur, qu'on ne voulait plus que comme
un moyen rapporté à la fin dernière qui est la gloire de Dieu. »
Ces trois caractères posés dans
le quatrième amour, il reste que le cinquième, qui est le parfait, les doit
exclure tous trois : autrement il ne serait point au-dessus. Or il n'y a rien
au-dessus de ces caractères, que l'exclusion entière du motif du propre bonheur
: au-dessus, dis-je, de l'amour où l'on aime Dieu pour lui et pour soi,
il n'y a plus que l'amour où l'on ne l'aime que pour lui et plus pour soi :
au-dessus de l'amour où l'on n'aime son propre bonheur que connue un
moyen de glorifier Dieu; il n'y a rien que de cesser de l'aimer de cette sorte
et même comme moyen : enfin au-dessus d'un amour où il n'y a plus qu'un reste de
cet intérêt qui est le propre bonheur, il n'y a plus que l'amour où ce
reste même est ôté. Ainsi le pur et parfait amour que l'on établit au-dessus
du quatrième degré et dans le cinquième, doit avoir pour caractère la totale
extinction de ce qui restait du motif du propre bonheur et de l'espérance : et
en effet il est ainsi défini (4) : « L'amour pour D'.eu seul considéré en
lui-même et sans aucun mélange du motif intéressé ou de crainte ou d'espérance,
est le pur amour ou la parfaite charité. » Voilà cet amour que j'appelle une
illusion, l'extinction de l'espérance comme de la crainte, un amour qui se
détruit par lui-même, dont j'ai dit et je dis encore qu'on ne trouve rien dans
aucun scolastique, dans aucun mystique, dans aucun théologien, dans aucun Père.
1 Explic. des Max., P. 8. — 2 P. 9.— 3 P. 15. — 4
Ibid.
387
De là résultent quelques
conséquences, qui nous serviront à poser le véritable état de la question qu'on
veut obscurcir.
La première, que l'auteur se
perd dans de vaines subtilités, dans des finesses inintelligibles. Lorsqu'on est
venu au point de n'aimer plus son propre bonheur que comme un moyen pour
établir la gloire de Dieu, laquelle n'est en effet primitivement que dans la
glorification de ses serviteurs, on a atteint la perfection du christianisme :
or est-il que, par les propres définitions de l'auteur, on est arrivé à ce point
dès le quatrième degré : par conséquent en allant plus loin, et poussant
l'effort de l'esprit jusqu'à un certain degré supérieur, qui est le cinquième,
on sort de mesure, on donne dans l'illusion, dans l'amusement, dans la
présomption, et on se perd dans les nues, où l'on n'embrasse qu'une oui lire au
préjudice du corps de la religion.
Secondement, je conclus que ceux
qui semblent affecter depuis quelque temps de faire thèses sur thèses sur le
pur amour sans rapport à nous, ne nous nuisent pas. Ils savent bien, en leur
conscience, qu'on ne songe pas seulement à attaquer le désintéressement de la
charité en tout état, même dans celui de la justice commune : ils ne sont pas
assez malhabiles pour s'engager à soutenir le désintéressement aussi dangereux
que chimérique du prétendu pur amour du cinquième état. Ainsi quelque officieuse
que veuille être leur théologie, on veut bien la regarder comme indifférente.
388
Je conclus, en troisième lieu,
que l'auteur instruit mal la religieuse à qui il écrit «que ceux qui attaquent
son livre, le prennent en un sens qui n'a aucun rapport avec le sien (1). » Le
contraire paraît clairement par les remarques précédentes ; ce qu'on attaque
dans son livre est son amour pur du cinquième état, qui pousse l'amour au delà
de celui où le bonheur propre n'est recherché que pour Dieu, et où l'on
ne laisse aucun mélange ni aucun reste de cet intérêt. Or est-il
que cet amour est celui précisément qu'il veut défendre, comme on l'a démontré
par ses paroles. Il est donc faux qu'on le prenne dans un sens opposé au sien,
comme il le dit à la religieuse.
Il ne la trompe pas moins en
quatrième lieu, lorsqu'il l'assure que « ceux qui attaquent son livre avouent
eux-mêmes que son sens est très-catholique ; » car ou il parle du sens de son
livre considéré en lui-même, et loin de lui avouer qu'il soit catholique, on
vient de voir le contraire : ou il parle du nouveau sens qu'il lui a donné
contre la naturelle signification des paroles ; et on lui dira bientôt, forcé
par la vérité et par le service qu'on doit à l'Eglise, que ses explications ne
sont pas meilleures que son texte ; mais chaque chose doit être dite à sa place
et dans son temps.
En cinquième lieu, on le loue
d'avouer franchement à la religieuse « que son livre, supposé qu'il soit bon,
n'est pas utile à
1 Extrait d'une lettre de M. de Cambray à une religieuse
qu'il conduisait.
389
tout le monde : » mais quant à ce qu'il ajoute, « qu'il
n'est fait que pour ceux qui conduisent, et par rapport aux âmes de l'état dont
il parle ; » il suppose premièrement qu'il y ait des âmes au-dessus de celles
qui ne veulent leur bonheur propre que par rapport à la gloire de Dieu ;
et c'est ce qu'on lui conteste. Il suppose secondement, qu'il n'a écrit que pour
les directeurs ; mais en même temps il oublie ce qu'il avoue dans son
Avertissement, qu'il a voulu satisfaire à une curiosité qui est devenue
universelle (1) ; et encore, qu'il n'a écrit que pour expliquer les
principes de deux prélats dans les XXXIV Articles (2), qui certainement n'ont
point eu la direction pour objet.
En sixième lieu, je conclus que,
lorsque dans sa Lettre à un ami, il réduit la question à deux points,
dont l'un est la charité désintéressée, et l'autre est la charité toujours
prévenante ; il ne songe pas à son étrange doctrine du sacrifice absolu de
l'éternelle félicité et du simple acquiescement à sa réprobation, ni à celle de
l'espérance unie dans une même âme avec un invincible désespoir, ni à l'union
avec Jésus-Christ dans ce désespoir invincible, ni aux troubles involontaires de
la sainte âme de Jésus-Christ, ni à cette séparation des deux parties dont les
suites sont si terribles. Il se fait grâce à lui-même sur ces étranges
doctrines, et sur beaucoup d'autres non moins importantes. Plût à Dieu que nous
y pussions consentir ; mais la vérité ne le permet pas.
Quant à M. l'abbé de Chanterac,
on entend avec plaisir dans sa lettre à madame de Ponchat, les louanges de la
modération de M. l'archevêque de Cambray dans l'incendie de son palais ; mais
qu'il s'emporte jusqu'à composer des propres paroles de saint
1 Explic. des Max., p. 4. — 2 P. 16.
390
Jean sur Notre-Seigneur le témoignage qu'il rend à ce
prélat, et qu'en même temps il fasse de ces divines paroles la chute de son
compliment pour cette dame ; qu'il attribue le soulèvement universel qui a paru
tout à coup contre le livre au dedans et au dehors du royaume à des intérêts
particuliers ou à la sublimité de sa doctrine, où le reste des théologiens comme
vulgaires esprits, ne peuvent atteindre ; qu'il le compare aux apôtres, où la
plénitude du Saint-Esprit parut une ivresse, et le comble de la sagesse une
folie, pendant qu'une contradiction si générale est l'effet visible des erreurs
palpables d'une partie de ce livre et des raffinements inouïs de l'autre : c'est
quelque chose de si outré, qu'il fait peur à ceux qui savent ce qu'ont coûté à
l'Eglise de semblables entêtements. Et pour la soumission qu'il vante dans le
même auteur, nous la louerons avec joie quand il cessera de menacer l'Eglise de
restrictions sur le jugement qu'elle attend, et qu'il a lui-même demandé.
Concluons donc de tout ce
discours, que c'est inutilement qu'on se donne au monde comme un homme contredit
pour la justice : ni l'oraison n'est en péril, ni l'amour désintéressé n'est
attaqué, ni l'on n'en défend la pratique, ni on n'accoutume les âmes à ne
chercher Dieu que par intérêt, ni on ne censure aucune opinion de l'Ecole, comme
on le voudrait faire accroire aux ignorants. Il ne faut point attendrir le monde
en déplorant des maux qui ne sont pas ; on sait en quoi l'auteur est à plaindre,
et de quelle oraison il a voulu être le martyr : n'en disons pas davantage, et
prions que la vérité paroisse bientôt, sans que le beau nom d'amour pur serve à
l'obscurcir. L'auteur demeure d'accord dans sa Lettre à un ami, « qu'on abuse du
pur amour, et qu'il y en a qui renversent l'Evangile sous un si beau nom. » Le
pur amour, dont il s'est rendu le défenseur particulier, ne peut être d'un autre
genre, puisqu'il détruit avec l'exercice et l'utilité de l'espérance et avec de
si grands motifs de la charité, un des fondements de l'Evangile : sans parler
ici davantage des autres inconvénients aussi essentiels de sa doctrine,
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