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ARTICLE VIII. Sur les raisons de me cacher le livre des Maximes.

§ I. Premier prétexte tire de ce qu'il m'avait refusé son approbation.

§ II. Second prétexte : que j'étais piqué.

§ III. Troisième prétexte : le concert avec les autres.

§ IV. Autre prétexte : si M. de Cambray a bien pourvu à l'explication des Articles.

§ V. Remarques sur ces paroles : On se cachait de M. de Meaux.

§ VI. Remarques sur les pensées ambitieuses.

§ VII. Autres mauvaises raisons.

§ VIII. Réflexions sur les faits des deux articles précédons.

ARTICLE IX. Remarques sur ce qui a suivi le livre.

§ I. Fausses imputations à M. de Meaux.

§ II. Sur le refus des conférences.

§ III. Conditions de la conférence par l'écrit du 15 juillet 1697.

ARTICLE X. Sur diverses autres remarques du chapitre VII et dernier de la Réponse.

§ I. Sur la falsification de la version latine du livre de M. de Cambray.

§ II. Sur un fait posé par M. de Cambray et désavoué par lui-même.

§ III. Sur les soumissions de M. de Cambray dans ses deux lettres imprimées.

§ IV. Sur les explications.

§ V. Encore sur madame Guyon.

ARTICLE XI. Sur la conclusion.

§ I. Discours de M. de Cambray sur le succès de ses livres.

§ II. Sur les cabales.

§ III. Sur Grenade.

§ IV. Propositions pour allonger.

§ V. Sur la comparaison de Priscille et de Montan.

§ VI. Sur les trois écrits publiés à Rome au nom de M. de Cambray.

 

ARTICLE VIII. Sur les raisons de me cacher le livre des Maximes.

 

1. Tout ici se réduit à un seul point : si M. de Cambray peut rendre raison pourquoi il m'a caché si soigneusement son livre des Maximes, qui ne devait être qu'une plus ample explication des Articles et des principes de deux prélats dont, j'étais l'un. Considérons les prétextes qu'il oppose aux raisons de la Relationl.

 

§ I. Premier prétexte tire de ce qu'il m'avait refusé son approbation.

 

M. DE CAMBRAY.

 

2. « J'aurais souhaité de faire examiner mon livre par M. de Meaux ; mais quelle apparence de lui demander son approbation pendant que j'étais réduit à lui refuser la mienne (2)? »

 

RÉPONSE.

 

3. Comme s'il disait : J'avais manqué envers ce prélat en lui préférant madame Guyon et ses livres ; il fallait manquer encore à toute la justice que je lui devais, en lui cachant ce que je disais pour expliquer ses principes, et en mettant au hasard la paix de l’Eglise.

 

1 Relat., sect. V et VI. — 2. Rép., chap. VI, p. 113.

 

249

 

§ II. Second prétexte : que j'étais piqué.

 

M. DE CAMBRAY.

 

4. « Je savais par des voies certaines combien il était piqué de mon refus (1). »

 

RÉPONSE.

 

5. Il voulait croire que j'étais piqué de son refus, qui ne faisait tort qu'à lui seul, à cause qu'il sentait bien que j'avais raison de m'en plaindre; et il se montre du nombre de ceux qui croient qu'il ne faut point pardonner à celui qu'on croit avoir offensé.

 

§ III. Troisième prétexte : le concert avec les autres.

 

M. DE CAMBBAY.

 

6. « Tout est plein de mécompte dans ces paroles de M. de Meaux, et je me suis si peu désuni d'avec mes confrères, que c'est de concert avec eux que j'ai donné mon livre au public (2). »

 

RÉPONSE.

 

7. Il allègue M. de Paris, et nous allons voir comme il le consultait. Il allègue M. Tronson, dont j'ai dit un mot important dans ma Relation (3), auquel M. de Cambray n'a rien répondu. Quoi qu'il en soit, cette réponse ne rend point raison pourquoi on me détachait de ceux avec qui j'avais traité toute cette affaire. J'en dirai bientôt davantage, mais ceci suffit pour convaincre M. de Cambray d'avoir voulu désunir les unanimes.

 

M. DE CAMBRAY.

 

8. « Mais M. de Meaux appelle une désunion d'avec mes confrères, tout procédé qui n'était pas une soumission pour lui (4). »

 

RÉPONSE.

 

9. Il ne s'agissait plus de soumission après que M. de Cambray

 

1 Rép., chap. VI, p. 113. — 2 Ibid., p. 114. — 3 Relat., Ve sect., n. 7. —  4 Rep., chap. VI, p. 114.

 

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en avait passé toutes les bornes, mais du concert nécessaire pour empêcher la désunion de l'épiscopat dans la doctrine, et le trouble de l'Eglise.

 

§ IV. Autre prétexte : si M. de Cambray a bien pourvu à l'explication des Articles.

 

M. DE CAMBRAY.

 

10. « Je pris soin de deux choses, Tune de ne rien dire de contraire aux XXXIV articles : je comptais qu'en les suivant, je suivais ce prélat même que je ne pouvais plus consulter; l'autre chose, que je voulais faire pour m'assurer de la première, était de faire examiner mon ouvrage par M. l'archevêque de Paris et M. Tronson (1). »

 

RÉPONSE.

 

11. Il rend de bonnes raisons de consulter ces deux Messieurs pour s'assurer du sens des Articles ; mais il n'en rend aucune pour m'exclure de leur compagnie, moi qui les avais dressés avec eux. Je ne demande pas : Qu'avais-je fait? Je dis : Quoi que j'eusse fait, il fallait chercher le concours. M. de Cambray nous va confesser qu'il commentait les Articles selon ses pensées ; mais dans un ouvrage signé en commun, il montrait un dessein formé de division quand il méprisait les pensées des autres.

 

M. DE CAMBRAY.

 

12. « J'avais, il y avait déjà longtemps, donné à M. l'archevêque de Paris et à M. Tronson mes explications des XXXIV Articles selon mes pensées : M. de Meaux se récrie : On commençait donc alors à commenter les Articles..... Oui sans doute, on les commentait d'un commentaire exact conforme au texte. »

 

RÉPONSE.

 

13. Marquez la date : Il y avait longtemps ; ainsi dès aussitôt que nous eûmes signé ensemble les Articles, vous vous détachiez de moi pour les expliquer à part : ainsi dès le commencement

 

1 Rép., chap. VI, p. 115.

 

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vous y vouliez donner des explications selon vos pensées : mais elles étaient si peu conformes à celles de M. de Paris que vous consultiez, dites-vous, qu'il a été obligé de les censurer.

 

M. DE CAMBRAY.

 

14. « Le fait décide : ces deux personnes qui avoient dressé les Articles, ne trouvèrent dans l'explication rien qui les pût éluder ni les affaiblir (1). »

 

RÉPONSE.

 

15. J'en crois les actes publics qui seuls font foi; tout ce que vous dites de particulier se perd en l'air de lui-même, quand il ne serait pas désavoué par les témoins que vous alléguez.

 

§ V. Remarques sur ces paroles : On se cachait de M. de Meaux.

 

M. DE CAMBRAY.

 

16. « Il est vrai qu'on se cachait de M. de Meaux, mais c'était de concert avec les deux autres. »

 

RÉPONSE.

 

17. Vous leur faites faire un beau personnage ! ils le désavouent : ce n'était pas de leur côté se cacher de moi, que de vous garder un secret que vous exigiez avec tant de rigueur sur vos desseins particuliers : votre procédé n'est pas plus honnête que celui dont vous les chargez injustement : quelle faiblesse de mettre votre confiance (il faut bien dire ce mot) dans de petites cachotteries plus propres à nouer une intrigue de Cour, que la sainte correspondance qui doit être entre les ministres de Jésus-Christ ! Mais après tout quel a été le fruit de cette finesse? vos consulteurs vous condamnent et m'approuvent.

 

§ VI. Remarques sur les pensées ambitieuses.

M. DE CAMBRAY.

 

18. « Ce n'était pas la dignité d'archevêque qui m'empêchait

 

1 Rép., chap. VI, p. 116.

 

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de soumettre mon livre à M. de Meaux, puisque je le soumettais de si bon cœur à M. Tronson. »

 

RÉPONSE.

 

19. Peut-on proposer seulement une telle difficulté? M. de Cambray croit qu'il faut prouver qu'il a pu, sans déroger à sa dignité, se soumettre pour l'approbation de son livre à un évêque qui avait blanchi dans le ministère ; ce n'est pas de cela qu'il doit rendre raison au public.

 

M. DE CAMBRAY.

 

20. « On n'a qu'à se souvenir de la candeur avec laquelle je livrais tout, et faisais tout livrer à M. de Meaux : un homme plein d'artifice et d'ambition est plus réservé. »

 

RÉPONSE.

 

21. Ne parlons point d'artifice ni d'ambition, non plus que de candeur en général : posons les faits. Quoi que puisse dire M. de Cambray, c'est lui qui m'a mis en main toutes les absurdités de son amie : il ne songeait pas alors que tout leur commerce spirituel dût être découvert à toute l'Eglise : Dieu le voulait néanmoins pour empêcher le cours d'une illusion si dangereuse ; et ce n'est pas la première fois que sa providence a mené les hommes les plus adroits à ses fins cachées par leurs propres précautions.

 

M. de CAMBRAY.

 

22. « De plus si j'eusse été rempli d'artifice et d'ambition, n'aurais-je rien eu à dissimuler depuis ma promotion à l'archevêché de Cambray? n'a-t-on plus rien à craindre ni a espérer depuis qu'on est dans l'épiscopat (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

23. On accorde à M. de Cambray, puisqu'il le veut, qu'il pouvait avoir bien d'autres vues que celle d'être archevêque de Cambray, et que c'était là peut-être la moindre de ses

 

1 Rép., chap. VI, p. 116, 117.

 

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prétentions : mais quand on veut tout concilier avec madame Guyon : quand on veut la faire servir par une nouvelle oraison à une direction plus fine et plus absolue : quand on a des engagements qu'on ne peut plus rompre sans perdre ses meilleurs amis ; et qu'enfin on hasarde tout dans la confiance de tourner tout à ses fins par son éloquence : alors malgré qu'on en ait on prend de fausses mesures, et on change souvent de conduite.

 

§ VII. Autres mauvaises raisons.

M. DE CAMBRAY.

 

24. « Il fallait donc sans doute que j'eusse d'ailleurs de bonnes raisons de me cacher à M. de Meaux seul, à qui j'avais voulu me soumettre autrefois avec une confiance sans bornes. »

 

RÉPONSE.

 

25. On voit dans la Relation (1) des raisons bien naturelles de ce changement : c'est qu'on voulait sauver madame Guyon : c'est qu'en tournant les pensées de cette femme on lui préparait une secrète apologie : c'est que l'on commentait à sa mode les Articles où sa doctrine était trop visiblement condamnée : à peine furent-ils signes qu'on songeait à y trouver ce qui n'y est pas : c'était depuis un long temps, et dès le commencement, qu'on méditait cet ouvrage. Dans ce dessein M. de Meaux était incommode, parce qu'on sentait dans sa conscience que le livre qu'on préparait était contraire aux principes dont on était convenu avec lui. En un mot, il était suspect : on le sentait oppose aux illusions, et prévenu contre les mystiques (2) de la nouvelle manière, contre madame Guyon, contre Molinos à qui on voulait donner de belles couleurs. Dans un état prive et particulier il avait bien fallu garder avec lui quelques mesures : mais dès qu'on est archevêque, et qu'on peut parler avec plus de force et moins de crainte, on ne songe qu'à s'affranchir d'un joug importun.

26. M. de Cambray me veut faire accroire qu'en parlant ainsi

 

1 Relat., IVe sect., n. 25, etc. ; V sect., n. 1, 6, 14, 17, 23, etc. — 2 Rép., chap. I, p. 24.

 

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je me donne pour plus éclairé que les autres : le trait est malin, mais grossier. Veut-on nier ce qui est dit dans la Relation que chacun a ses yeux et sa conscience : qu'on s éclaire les uns les autres ; et que celui dont l'espérance est dans la surprise, veut avoir le moins de témoins qu'il peut? Voilà pourquoi on m'éloignait : quand avec la liberté et la confiance que donne la vérité, j'aurais osé dire, comme moins sage, que mon âge, mon expérience, mon application à cette affaire que j'avais vue dès son origine, me pouvait mériter peut-être quelque égard particulier, qui me reprendrait? Quoi qu'il en soit, demandais-je trop en demandant le concours et le concert pour ne point hasarder la paix de l'Eglise? Encore un coup, demandais-je trop en demandant le concert que j'avais pratiqué moi-même en soumettant mon livre à la correction de M. de Cambray ? C'est de quoi il fallait rendre de bonnes raisons, et non pas jeter en l'air de belles paroles. Voyons néanmoins ces raisons pressantes que nous vante M. de Cambray.

 

M. DE CAMBRAY.

 

27. « M. de Meaux me donnait à tous ses amis pour un homme qu'il allait faire rétracter une seconde fois sous un titre spécieux (2). »

 

RÉPONSE.

 

28. Où est la preuve? M. de Cambray me parle ainsi : « Si j'ai donné les livres de madame Guyon à tant de gens, il n'aura pas de peine à les nommer : qu'il le fasse donc (3). » Je pourrais lui dire de même : Qu'il me nomme un seul de ces amis qui m'ont déféré à lui. Il en revient trente fois à cette rétractation sous un titre plus spécieux qu'on lui proposait en approuvant mon livre : qu'il montre ce beau projet par une seule de mes paroles : qu'il y pense bien : c'est lui qui m'accuse, et c'est à lui à prouver. On n'oblige point celui qu'on accuse à prouver une négative : je le ferai pourtant, et bientôt; mais en attendant, il faut qu'il porte la confusion de m'accuser sans preuve.

 

1 Relat., Ve sect., n. 1. — 2 Rép., chap. VI, p. 117. — 3 Ibid., chap. I, p. 21.

 

255

 

M.  DE CAMBRAY.

 

29. « Il m'avait tendu (M. de Meaux) un piège très-dangereux pour me jeter entre deux extrémités, et me réduire à son point (1). »

 

RÉPONSE.

 

30. Ce piège très-dangereux était de condamner avec moi les livres de madame Guyon « dans leur sens vrai, naturel, propre, unique, selon toute la suite du texte et la juste valeur des termes,» sans vouloir distinguer ce sens de l'intention de l'auteur. Ces deux extrémités étaient ou de rompre avec ses confrères pour favoriser madame Guyon, ou de sacrifier les livres de cette femme à l'unité de l’épiscopat. Ce point où je voulais le réduire, était de continuer notre saint concert dans l'explication comme dans la signature des Articles : c'était en effet un piège très-dangereux à qui voulait les éluder.

 

M. DE CAMBRAY.

 

31. « Il était vivement piqué de mon refus, et il le faisait assez entendre. »

 

RÉPONSE.

 

Il a déjà dit la même chose presque en mêmes termes; et je le remarque pour faire voir que destitué comme on voit de bonnes raisons, il croit faire valoir les mauvaises à force de les répéter.

 

M. DE CAMBRAY.

 

33. « Il ne songeait plus à garder le secret. Quoi ! disait-il, il va paraître, etc.: tout le monde verra, etc.: quel scandale! quelle flétrissure! Il comptait donc que mon secret allait devenir public en ses mains. »

 

RÉPONSE.

 

34. Il est vrai : je parlai ainsi à celui qui me vint déclarer de sa part qu'il me refusait son approbation de peur de condamner madame Guyon. Ce n'était pas moi qui étais à craindre dans la fâcheuse divulgation de ce secret; nous avons vu que c'est lui-même qui le faisait éclater par l'effet inévitable de son refus.

 

1 Rép., chap. VI, p. 117.

 

256

 

M. DE CAMBRAY.

 

35. « En cet état de vois-je encore une fois me livrer à lui : je ne m'y étais que trop livré. »

 

RÉPONSE.

 

36. En quoi trop? et qu'avais-je fait, il y avait déjà longtemps, et dès le commencement, lorsqu'il se cachait de moi avec tant de soin? Qu'avais-je fait encore un coup, sinon de lui proposer avec M. de Paris et M. Tronson la signature des Articles? Il commençait donc à se repentir de les avoir souscrits, et il y cherchait des tours. S'il ne voulait que les expliquer sincèrement, sans le faire selon ses pensées particulières, quel péril de me confier ce secret ? et en quelque manière qu'il le prit, ne fallait-il pas sacrifier son mécontentement imaginaire, à l'unité, à la paix, au concours de l'épiscopat ? Mais on avait d'autres vues, et il fallait tirer d'affaire madame Guyon, que les Articles proposés dans leur naturel accablaient.

 

M. DE CAMBRAY.

 

37. « Si je me cachai de M. de Meaux, ce fut de concert avec M. de Paris et avec M. de Chartres, auxquels M. Tronson fut uni dans ce secret. »

 

RÉPONSE.

 

38. Ainsi toute l'habileté de M. de Cambray allait à se cacher de M. de Meaux : quelle misère! Il allègue un autre témoin; c'est M. de Chartres, mais qui est encore contre lui comme les deux autres : misérables finesses, qui aboutissent à tourner ouvertement contre vous tous ceux que vous faites semblant de vouloir ménager. Pour le reste, on ne le rend pas véritable en le rebattant , et il vaudroit mieux une bonne preuve que tant de répétitions.

 

M. DE CAMBRAY.

 

39. « Si je me cachais de M. de Meaux, c'est que je n'espérais plus de trouver dans ce prélat la modération que je trouvai dans M. l'archevêque de Paris   »

 

1 Rép., chap. VI, p. 118.

 

257

 

RÉPONSE.

 

40. Ce sont des actions qu'il faut alléguer quand on accuse un manquement de modération ; autrement ce n'est pas un fait, mais une injure. Je ne rapporterai pas sept ou huit pages de faits particuliers que M. de Paris a désavoués, ni de longs discours sur les questions du fond qui ne sont pas de ce lieu, non plus que M. Pirot charmé de sou livre comme il le raconte, et les autres, qu'il se glorifie d'avoir gagnés contre moi. Démon côté je déclare à toute l'Eglise que je n'ai jamais senti cette désunion : tous ceux que M. de Cambray se vante d'avoir détournés, étaient avec moi dans un perpétuel concours contre la doctrine de son livre : et ce que je puis conclure de tous ses discours, c'est tout au plus qu'il était le malade que chacun tâchait de ramener comme il pouvait. Car, après tout, s'il avait pour lui de si grands évêques, tant de prêtres si vénérables, et tous mes amis les plus intimes : pourquoi me craindre tout seul, et comme porte la Relation (1), craignait-on que la raison ne leur manquât, si j'avais voulu faire un mauvais procès? C'est ce qui ne souffre aucune réplique, et aussi n y a-t-on rien dit.

 

M. DE CAMBRAY.

 

42. « M. de Meaux répond ici : Pourquoi me séparer d'avec ces Messieurs? c'est que ces Messieurs ne voulaient pas comme lui, m'arracher sous un titre plus spécieux une rétractation : c'est qu'ils ne m'avoient point tendu de pièges pour me réduire à approuver son livre (2). »

 

RÉPONSE.

 

43. Laissons les conjectures : voyons les faits positifs, et repassons sur le Mémoire de M. de Cambray, où se trouvent ces paroles : « On n'a pas manqué de me dire que je pouvais condamner les livres de madame Guyon, en approuvant le livre de M. de Meaux dont il était question, sans diffamer sa personne et sans me faire, tort (3). » gui sont ceux qui lui parlaient de cette sorte ?

 

1 Relat., Ve sect., n. 5. — 2 Rép., chap. VI, p. 126. — 3 Mém. de M. de Cambray ; Relat., IVe sect., n. 5.

 

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ce sont sans doute ceux dont à la ligne d'auparavant il avait dit : « M. de Meaux vient dénie donner un livre à examiner : à l'ouverture des cahiers, j'ai trouvé qu'ils sont pleins d'une réfutation personnelle (de madame Guyon) : aussitôt j'ai averti Messeigneurs de Paris et de Chartres avec M. Tronson, de l'embarras où me mettait M. de Meaux (1).» C'est dune à ces deux évêques et à ce prêtre qu'il s'adressait contre moi. Il avait dit un peu au-dessus sur le sujet de l'approbation : « J'ai dit à Messeigneurs de Paris et de Chartres et à M. Tronson,..... que si M. de Meaux voulait attaquer par son livre madame Guyon, je ne pouvais pas l'approuver (2). » C'est donc encore un coup à ces trois Messieurs qu'il avait recours pour le garantir de l'approbation que je lui demandais. Ce sont ceux qui lui ont dit ce qu'on vient d'entendre : qu'il pouvait condamner les litres de madame Guyon, sans la diffamer et se faire tort. Ils lui tendaient donc avec moi le même piège, et le pressaient d'approuver mon livre, en assurant qu'il le pouvait faire sans diffamer madame Guyon, et sans se faire tort.

43. Il emploie trois ou quatre pages à la réfutation de leur sentiment, et conclut en cette sorte : « Voilà néanmoins ce que les personnes les plus sages et les plus affectionnées pour moi avoient souhaité et préparé de loin. » Et un peu après : « Voilà ce que mes meilleurs amis ont pensé pour mon honneur (3).»

44. De cette sorte, si je lui tendais un piège en lui proposant l'approbation de mon livre, c'était avec les personnes les plus sages, les plus affectionnées : avec ses meilleurs amis: avec M. de Paris, M. de Chartres et M. Tronson. Il est donc en termes formels, contraire à lui-même, lorsqu'il dit dans sa Réponse (4) qu'ils ne lui avoient point comme moi tendu de pièges sur l'approbation de mon livre.

45. Ces sages amis, ces amis les plus affectionnés à M. de Cambray, en un mot, ses meilleurs amis étaient de tout ce concert dès l'origine. Voilà, dit M. de Cambray, ce qu'ils avaient souhaité et préparé de loin. S'il était vrai, comme M. de Cambray le répète vingt et trente fois, que ces Messieurs lui eussent conseillé

 

1 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 3. — 2 Relat., IVe sect., n, 2. — 3 Ibid., n. 16. — 4 Rép., chap. VI, p. 126.

 

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de ne point approuver mon livre, comment osaient-ils le presser si fort sur cette approbation? C'est peut-être qu'ils avoient changé d'avis: mais non, ils ne faisaient que lui répéter ce qu'ils avaient souhaité et préparé de loin. Autrement, il leur aurait dit : Ne vous souvenez-vous pas que c'est vous-mêmes qui me conseilliez, en tel et tel temps, de ne pas approuver ce livre? Ainsi tout ce qu'il a dit du conseil que lui ont donné M. de Paris, M. de Chartres et M. Tronson, par lui-même, ne peut pas être. Il avance dans les moments, ce qu'il croit convenir à ces moments mêmes sans songer à toute la suite, et il croit se tirer d'affaire : au lieu que visiblement il s'enferre de plus en plus ; et il ne veut pas lever les yeux à la main de Dieu qui l'aveugle! Qu'ainsi ne soit, écoutons encore le fort de sa preuve.

 

M. DE CAMBRAY.

 

46. « Venons au point décisif : » (remarquez: c'est donc ici le point décisif selon lui-même) « n'y avait-il au monde que M. de Meaux qui fût capable d'examiner mon livre? M. de Paris, M. Tronson, M. Pirot, étaient-ils si faciles à séduire : eux qui dévoient être si bien avertis et si précautionnés contre mes préventions? Quand même ils auraient cru avoir besoin de quelques secours, n'en pouvaient-ils pas trouver ailleurs qu'en M. de Meaux? Manquait-on dans Paris de théologiens? Est-ce fuir la lumière que de se fier ingénument à M. de Paris, à M. Tronson et à M. Pirot, à moins qu'on ne se livre aussi à M. de Meaux? Ce prélat devait-il montrer tant de vivacité, sur ce que je consultais les autres sans le consulter? Y a-t-il rien de plus libre que la confiance ? Supposé même que je me fusse éloigné de lui mal à propos, il devait ménager ma faiblesse, et être ravi que les autres me menassent doucement au but. C'est ainsi qu'on est disposé quand on se compte pour rien, et qu'on ne recherche que la vérité et la paix, etc. (1)»

 

RÉPONSE.

 

47. Je me suis lassé en voulant rapporter au long ce discours

 

1 Rép., chap. VI, p. 127.

 

260

 

pour être un exemple de la profusion des paroles qui n'ont qu'un beau son. Car dans cet endroit décisif, comme l'appelle M. de Cambray, outre qu'on ne voit aucune raison de m'éviter, on ne touche pas seulement la difficulté. Il s'agissait de répondre au point essentiel de ma Relation ; s'il était juste, s'il était honnête, s'il était utile à l'Eglise, d'empêcher le concert entre les évêques; de les empêcher de concourir tous à l'explication de leurs communes maximes, et d'achever ensemble ce qu'ils avoient commencé dans l'union : s'il y avait un autre moyen d'assurer la paix de l'Eglise que le concert : si par conséquent on ne devait pas sacrifier à un si grand bien, non-seulement de vaines imaginations fondées sur des bruits confus et sur de faux rapports, mais encore de véritables querelles s'il y en avait. C'est à quoi n'a pu se résoudre celui qui vient nous apprendre à se compter pour rien, et à ne rechercher que la vérité et la paix. M. de Paris, qui vit bien qu'il ne gagnerait rien par ses remontrances sur un homme qui prenait les honnêtetés pour approbations, et les sages ménagements pour un acquiescement à ses volontés, tâcha du moins de gagner du temps, en l'obligeant d'attendre la publication de mon livre pour voir ce qu'elle produirait, et quel secours on pourrait tirer du temps. M. de Cambray donna sa parole ; il ne la tint pas (1) : et enfin il prouve très-bien que j'étais le seul dont il se cachât ; mais on ne voit aucun fait prouvé pour justifier une conduite si basse et si partiale.

 

§ VIII. Réflexions sur les faits des deux articles précédons.

 

48. Après cela je soutiens que tous les faits que M. de Cambray avance dans sa réponse, pour justifier le refus de son approbation et le dessein de me cacher un livre qui ne devait être qu'ime plus ample explication des principes que je suivois, ne peuvent plus subsister un seul moment, pour trois raisons. Premièrement , parce que ce prélat les avance en l'air : ces divulgations de son secret : ces demi-secrets qu'il m'impute : ces confidences si multipliées avec ces hauteurs puériles : ces promesses

 

1 Rép., chap. VI, p. 122.

 

261

 

de l'obliger à se rétracter, et ces ridicules vanteries qu'il me reproche, ne sont point prouvées. C'est là néanmoins tout le fondement de ses injustes refus, de ses pratiques pitoyables pour se cacher de moi, et du décri où il voudrait me faire tomber. Voilà un premier degré de fausseté dans ses allégations : attaquer ma réputation en chose grave : me décrier : me chercher querelle sans preuve, pendant que je ne l'attaque que sur des points de doctrine, où je ne puis garder le silence sans une manifeste prévarication, et sur des faits essentiels prouvés par actes. Le second degré, c'est de se rendre positivement indigne de toute croyance, en avançant des faits sur lesquels il est convaincu par ses propres écrits. Ainsi manifestement M. de Cambray vient d'être convaincu par son Mémoire écrit de sa main, que ce qu'il avance sur les conseils de M. de Paris, de M. de Chartres et de M. Tronson, pour ne point approuver mon livre, ne peut subsister. Mais voici un dernier degré de fausseté qui résulte du même Mémoire.

49. M. de Cambray y a ramassé sans ménagement avec une adresse extrême, tout ce qui pouvait justifier le refus de l'approbation qu'il m'avait promise , et la prodigieuse aliénation qu'il témoignait contre moi, jusqu'à me cacher ce qu'il était le plus obligé de me découvrir. Il fonde maintenant ce refus et cette aliénation, sur la divulgation de son secret et sur les prétendues promesses que je faisais à tout le inonde de la future rétractation à laquelle je l'obligerais : mais dans son Mémoire il ne parlait point de tout cela. Ce sont donc choses avancées depuis, et qu'on n'osoit dire dans le temps qu'on disait tout contre moi à la personne du monde auprès de laquelle on avait le plus d'intérêt de se justifier.

50. Qu'ainsi ne soit: pour montrer que lorsqu'il rendit mon livre sans le vouloir approuver, il n'en avait vu que les marges, M. de Cambray en rapporte cette preuve (1) : «Je ne vis rien de tout le reste : une preuve claire que je ne le vis pas , est que je ne l’ai jamais allégué pour m'excuser de n'avoir pas approuve le livre. » Quand donc il n'allègue pas ce qui sert à l'excuser , c'est une preuve et une preuve claire qu'il ne l'a pas vu : or est-il que

 

1 Rép., chap. I, p. 8.

 

262

 

dans son Mémoire il n'allègue pas ces divulgations du secret, ces confidences odieuses, et tout le reste qu'il apporte maintenant pour justifier son refus : donc il ne les connaissait pas alors. C'est pourtant alors, ou jamais, qu'elles avoient dû lui paraître, puisque dès lors il commençait selon le Mémoire (1) ce qu'il a continué depuis, c'est-à-dire, de se cacher de moi et de m éviter.

51. Quelle meilleure raison pouvait-il avoir de se cacher de moi, que celle que je divulguais son secret? Il n'alléguait alors pour toute raison de me cacher ce qu'il méditait sur son livre, que « la nécessité où il était de laisser ignorer à M. de Meaux un ouvrage dont il voudrait apparemment empêcher l'impression par rapport au sien (2). » Je n'étais donc point alors ce faux ami qui trahissait le secret de M. de Cambray, et qui en tirait avantage : je ne m'étais pas encore avisé de cette trahison; mes cent confidents, qui tous en avoient cent autres, n'avoient pas encore porté mon infidélité aux oreilles de M. de Cambray.

52. Ainsi ce prélat, compose une histoire de plusieurs pièces qui se font l'une après l'autre ; et quand il écrivait ses raisons à la personne du monde à qui il voulait le plus les faire goûter, la. saison de raconter mes perfidies envers un ami n'était pas encore venue. Comment aussi persuader tous ces faits, et que je voulais décrier et perdre M. de Cambray, à une personne qui avait vu tout le contraire durant la suite de plusieurs années? Comment, dis-je, lui persuader que je trahissais le secret, quand tous les jours elle voyait mes précautions pour l'empêcher de venir où il pouvait nuire? J'ai donc la preuve constante que tous ces faits sont imaginaires. Pour justifier mon innocence attaquée avec tant d'adresse, et avec une éloquence si insinuante, par un prélat que j'ai servi en ami sincère (car il le faut dire), sans manquer à aucun devoir, tant qu'il n'a pas mis d'obstacle à mes desseins, Dieu a voulu que je trouvasse dans ses écrits de quoi le convaincre. Et que dirai-je dans une occasion si douloureuse, sinon en simplicité avec l'Evangile: Cela est, cela n'est pas?

53. Aussi voit-il le succès de ses mauvaises finesses : la vérité

 

1 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 27; Ve sect., a. 5, etc. — 2 Ibid.

 

263

 

a tourné contre lui ceux qu'il a voulu flatter : il a perdu son procès par actes : il en appelle à des faits inconnus au monde. A Nicée on est convenu du consubstantiel ; mais Eusèbe de Césarée ne l'entendait pas comme les autres : on a déguisé les sentiments d'Arius : on a brigué en particulier les souscriptions des évêques contre Pelage : Cyrille s'est trop pressé; il a eu tort, contre sa parole, de ne pas attendre Jean d'Antioche qui venait à grandes journées avec ses évêques, et qui l'avait averti de sa marche : voilà les faits particuliers et du moins douteux qu'on opposait au décret public et positif donné à Nicée, à Carthage, à Ephèse : toute l'histoire ecclésiastique est pleine de tels exemples : mais qu'en est-il arrivé ? à la fin on s'est détrompé de la vaine et fausse éloquence : on s'en est tenu aux actes publics, et les faits particuliers s'en sont allés en fumée.

 

ARTICLE IX. Remarques sur ce qui a suivi le livre.

 

§ I. Fausses imputations à M. de Meaux.

 

M. DE CAMBRAY.

 

1. « M. de Meaux promit d'abord à plusieurs personnes qu'il me donnerait en secret, et avec une amitié cordiale, ses Remarques par écrit (1). » C'est ce qu'il répète deux et trois fois à peu près dans les mêmes termes.

 

RÉPONSE.

 

2. En secret? Je n'ai promis aucunes remarques que concertées avec M. de Paris et M. de Chartres mes approbateurs. M. de Cambray aurait bien voulu me détacher d'avec ces prélats, comme il a toujours travaillé à les détacher d'avec moi : l'effet assure mon dire : nous avons fait nos remarques ensemble, sans quoi il eût été impossible de convenir; et aucun homme de bien ne dira jamais le contraire. Ou il faut prouver ces faits, ce qu'on ne fait point, ou il faut les abandonner. Mais encore, quel usage M. de

 

1 Rép., chap. VIII, p. 128, 130, etc.

 

264

 

Cambray voulait-il faire de mes Remarques ? On va l'entendre en anticipant un peu la lecture de la Réponse.

 

M. DE CAMBRAY.

 

3. « Peu de temps après, j'appris tout à coup qu'on tenait des assemblées où les prélats dressaient ensemble une espèce de censure de mon livre, à laquelle ils ont donné depuis le nom de Déclaration. Je m'en plaignis à M. l'archevêque de Paris, parce que nous avions fait lui et moi un projet de recommencer ensemble l'examen de mon livre sur les Remarques de M. de Meaux avec M. Tronson et M. Pirot.

4. » Surtout on ne voulait pas être rejeté entre les mains de M. de Meaux qui joignait à toutes ses anciennes préventions une nouvelle hauteur, etc. (1) »

 

RÉPONSE.

 

5. C'est à quoi M. de Cambray voulait faire servir mes Remarques : c'était pour en faire aussi bien que de son livre, entre lui, M. de Paris, MM. Tronson et Pirot, un examen dont surtout il exigeait que je fusse exclus : de sorte que mes Remarques seraient examinées sans moi, et à condition que si ces Messieurs ne tombaient pas dans le sens de M. de Cambray, dont ils étaient bien éloignés, il ferait de leur sentiment l'état qu'on a vu. Reprenons maintenant la suite de la Réponse.

 

M. DE CAMBRAY.

 

6. a M. de Meaux me fit attendre ses Remarques près de six mois : mon livre parut avant la fin de janvier, et je ne reçus que vers la fin de juillet ses Remarques qu'il a données sous le nom de Premier Ecrit, du 15 du même mois (2). »

 

RÉPONSE.

 

7. Il faut remarquer la date de cet écrit et la vérité de ce fait. M. de Cambray qui en convient, ne nie pas aussi ce qu'il porte : que pendant que nous rédigions nos Remarques par écrit, on lui

 

1 Rép., chap. VII, p. 131. — 2 Ibid., p. 128.

 

265

 

mit en main « deux mémoires très-amples de M. Pirot, où sont toutes nos difficultés et une partie de nos preuves (1). » Ces mémoires faits sous nos yeux contenaient le fond : ainsi M. de Cambray n'ignorait aucun de nos sentiments, et l’on n'avait rien de caché pour lui.

 

M. DE CAMBRAY.

 

8. « Alors j'étais sur le point de revenir à Cambray, et je n'avais plus que le temps de préparer mes défenses pour Rome où le Roi nous renvoyait. »

 

RÉPONSE.

 

9. Quand on ose nommer le Roi il faut parler juste : ce ne fut point le Roi qui renvoya L'affaire à Rome: Sa Majesté y laissa écrire M. de Cambray qui le voulut : la lecture de sa lettre fut entendue, et c'est tout.

 

M. DE CAMBRAY.

 

10. « Pendant que j'attendais ainsi M. de Meaux, devait-il éclater? Il veut faire entendre que d'autres apprirent au Roi ce qu'il lui avait si longtemps caché; mais dois-je lui tenir compte de ce secret, sur lequel il n'avait aucune preuve ni bonne ni mauvaise avant la publication de mon livre? De plus est-ce cacher assez une chose au Roi que de la répandre sourdement? »

 

RÉPONSE.

 

11. J'ai parlé ailleurs de cette matière (2). M. de Cambray nous va dire encore que son commerce de piété avec madame Guyon était connu. Il n'en fallait pas davantage, si l'on eût voulu se servir des connaissances qu'on avait : et ce qui scandalisait les gens de bien, c'est qu'on appelât piété une si mauvaise doctrine. « M. de Meaux, dit-il (3), veut faire entendre que d'autres apprirent au Roi, etc. » mais M. de Cambray veut-il nier ce que je dis aux yeux d’un si grand témoin, qui sait bien ce qu'on a porté à ses oreilles sacrées?

 

1 Premier Ecrit, n. 2. — 2 Ci-dessus, art. 7, n. 15, 16, 23. — 3 Rép., chap. VII, p. 155.

 

266

 

M. DE CAMBRAY.

 

12. « Au lieu de demander pardon au Roi d'avoir caché le fanatisme de son confrère et de son ancien ami, ne devait-il pas lui dire ce qu'il venait de me promettre? Ce n'était pas les rapports confus qui pouvaient alarmer un prince si sage : ce qui le frappa fut le pardon que M. de Meaux lui demanda pour ne lui avoir pas plus tôt déclaré mes égarements. Si ce prélat eût cherché la paix, il n'avait qu'à dire à Sa Majesté : Je crois voir dans le livre de M. de Cambray des choses où il se trompe dangereusement, et auxquelles je crois qu'il n'a pas fait d'attention; mais il attend des remarques que je lui ai promises : nous éclaircirons avec une amitié cordiale ce qui pourrait nous diviser; et on ne doit pas craindre qu'il refuse d'avoir égard à mes remarques si elles sont bien fondées (1). »

 

RÉPONSE.

 

13. C'était là un beau discours à me proposer : sans doute je devais répondre d'une amitié qui venait d'être violée par un acte si solennel : je devais me rendre garant de la doctrine de M. de Cambray, après la marque qu'il en donnait par un livre où il venait d'éluder tous les Articles que nous avions signés ensemble, et où il entreprenait d'expliquer ma propre doctrine sans m'en donner part : de telles propositions sont d'un homme qui a coutume d'endormir les autres par la facilité de ses expressions : il veut encore que je l'excuse sur son peu d'attention, lui à qui je voyais une attention si prodigieuse, mais à éluder, mais à peindre de belles couleurs les maximes les plus dangereuses.

14. Mais j'ai demandé pardon : quelle merveille! nous avions peut-être de bonnes raisons d'épargner M. de Cambray : mais comme j'ai déjà dit, nous avions l'événement contre nous : ne devais-je pas encore aller disputer contre un si bon maître, et soutenir M. de Cambray, qui contre tant de promesses mettait la division dans l'Eglise? On ne permet à un homme de bien d'être trompé qu’une fois.

15. « Ce n’était pas les rapports confus qui pouvaient alarmer

 

1 Rép., chap. VII, p. 129.

 

267

 

un prince si sage. » Il appelle des rapports confus la voix publique de tout le royaume contre son livre, et le témoignage précis que rendaient naturellement à Sa Majesté les gens les plus sages. C'était comme le premier cri de la foi blessée qui venait frapper ses oreilles, et s'opposer au quiétisme renaissant : je n'avais pas encore ouvert la bouche ; et je ne le dirais pas si je pouvais en être dédit. On s'étonnait de me voir si en repos pendant tous les mouvements que certaines gens faisaient contre moi. Mais quoi? je sais à qui je me fie, et que celui qui garde Israël ne dort pas.

 

M. DE CAMBRAY.

 

10. « Qu'avais-je fait depuis que M. de Meaux avait applaudi à ma nomination à l'archevêché de Cambray? je n'avais t'ait que mon livre (c'était bien assez); et c'est ce livre même sur lequel il m'avait promis ses remarques » (concertées, comme on vient de voir, avec M. de Paris et M. de Chartres ; ce qui demandait du temps). « Encore une fois qu'avais-je fait dans cet intervalle si court? je ne vois que ma lettre au Pape qui ait pu le choquer (1) » Ailleurs : « Ma soumission au Père commun doit-elle irriter M. de Meaux (2) ? »

 

RÉPONSE.

 

17. « Ma soumission » est connue, et je n'ai qu'à laisser passer des traits si malins.

 

M. DE CAMBRAY.

 

18. « Etait-ce me rendre indigne des remarques de M. de Meaux que d'écrire selon le désir du Roi une lettre au Pape pour lui soumettre mon livre, contre lequel on publiait déjà de grands bruits à Rome (3)? » Il dit ailleurs : « Le Roi n'a-t-il pas désiré que j'écrivisse (4)? »

 

RÉPONSE.

 

19. Ne disons rien sur la suite de la même malignité : mais on ne peut passer le désir du Roi. « On m'avait, dit-il, assuré que le Roi souhaitait que j'écrivisse : » Ce n'est donc point un ordre qu'il

 

1 Rép., chap. VII, p. 130. — 2 Ibid., p. 144. — 3 Ibid., p. 131. — 4 Ibid., p. 144.

 

268

 

eût reçu : mais il sait bien que c'est autre chose de souhaiter, autre chose de souffrir ou de laisser faire; et il ne lui est pas permis d'énoncer contre la vérité le désir du Roi.

 

§ II. Sur le refus des conférences.

 

M. DE CAMBRAY.

 

20. « Les prélats dressaient ensemble une espèce de censure de mon livre, etc. (1).

» Dès que ces assemblées de prélats furent établies, et que tout y eut été concerté contre mon livre, on ne songea plus qu'à me réduire à y aller comparaître. Voilà ce que signifiaient ces tendres paroles : Que ne venait-il à la conférence éprouver la force de ces larmes fraternelles, etc. »

 

RÉPONSE.

 

21. Comme le refus des conférences amiables est un des endroits qui incommode le plus M. de Cambray, il emploie ses plus grands efforts à le couvrir; mais il ne faut se souvenir que du fait expliqué dans la Relation (2). Nous ne pouvions nous dispenser de nous déclarer sur ce que M. de Cambray supposait dans son Avertissement qu'il ne faisait son livre des Maximes que pour expliquer nos principes. Est-ce une chose qu'on puisse nier, que notre silence autorisait sa déclaration? Nous ne pouvions donc ni nous empêcher de parler, ni parler sans convenir, ni convenir sans nous voir ensemble quel air voit-on là d'autorité ou d'assemblée établie pour y faire comparaître M. de Cambray ? Mais encore de quel moyen nous servions-nous pour l'attirer à ce tribunal? c'était de lui proposer une conférence amiable pour nous expliquer ensemble, l'eut-on plus visiblement abuser des mots, et renverser le langage humain que d'appeler cela comparaître?

 

M. DE CAMBRAY.

 

22. « S'agissait-il de conférences où M. de Meaux voulût me.

 

1 Rép., chap. VII, p. 131. — 2 Relat., 1ère sect., n. 5.

 

269

 

proposer douteusement ses difficultés, et se défier de ses pensées contre mon livre (1)? etc. »

 

RÉPONSE.

 

23. Il n'est pas de la nature des conférences amiables de proposer douteusement ses difficultés : car ainsi tant de conférences avec les ariens , avec les manichéens, avec les monothélites, présupposaient un doute dans saint Hilaire, dans saint Ambroise, dans saint Augustin, dans saint Maxime, dans les autres qui les proposaient. Quand les apôtres conféraient avec les Juifs, est-ce à dire qu'ils leur parlaient douloureusement de la venue de Jésus-Christ. Le faux saute aux yeux dans une semblable proposition : par conséquent j'ai raison de dire (2) ce que rapporte M. de Cambray (3) :

« Nous ne mettions point en question la fausseté de sa doctrine : nous la tenions déterminément mauvaise et insoutenable. » D'où je conclus « que supposé qu'il persistât invinciblement, comme il a fait, à nous imputer ses pensées, il n'y avait de salut pour nous qu'à déclarer notre sentiment à toute la terre. » Voilà mes paroles

dont M. de Cambray tire cette conséquence.

 

M. DE CAMBRAY.

 

24. « Rien n'est plus clair. M. de Meaux ne voulait m'attirer dans l'assemblée que pour décider, que pour parler au nom de l'Eglise, que pour me faire dédire (1) »

 

RÉPONSE.

 

25. Est-il permis de dire : Rien n'est plus clair, pendant qu'on voit le contraire ? On ne confère point pour décider, mais pour prouver ce qu'on croit : on ne parle point au nom de l'Eglise : chacun propose ses preuves, et on a de part et d'autre un même droit. En demandant à M. de Cambray une conférence amiable, nous ne prétendions pas l'obliger à douter de ses sentiments. La loi est égale, et il ne devait non plus exiger de nous que nous doutassions des nôtres : faudrait-il seulement prouver des vérités

 

1 Rép., chap. VII. p. 132. — 2 Relat., VIIe sect., n. 21. — 3 Rép., p. 132. — 4 Ibid.

 

270

 

si manifestes, si l'on agissait de bonne foi? Après les conférences, si l'on ne veut pas se rendre j La vérité, elle ne doit pas pour cela demeurer muette : si M. de Cambray ne veut jamais convenir qu'il ait tort de nous imputer sa doctrine, que nous reste-t-il en effet pour mettre notre conscience à couvert, que de déclarer notre sentiment à toute la terre? C'est reflet inévitable d'une conférence : c'est pour éviter cette extrémité qu'on fait précéder, non pas des décisions, mais des preuves, des autorités, des démonstrations M. de Cambray le sait comme nous, et il rendra compte à Dieu de nous faire perdre le temps à prouver ce qui est clair comme le soleil.

 

M. DE CAMBRAY.

 

26. « Mais quoi? M. de Meaux ne devait-il pas craindre de se tromper en me condamnant? Non, on ne mettait pas en question que je ne fusse dans l'erreur, que je ne dusse me dédire. »

 

RÉPONSE.

 

27. Dans une conférence de religion est-on obligé de mettre sa foi en doute ? Mais on doit craindre de se tromper : non, dans les matières où l'on a pour guide la tradition évidente. Au surplus, dès qu'on eût commencé de part et d'autre par mettre en doute le sujet de la dispute, il n'y avait qu'à se taire et tenir tout pour indifférent : mais ainsi la vérité eût perdu sa cause.

 

M. DE CAMBRAY.

 

28. « Devais-je tenter ces conférences, ou plutôt aller subir la correction de ce tribunal ? »

 

RÉPONSE.

 

29. On se lasse d'entendre toujours prendre à contre-sens les termes de correction et de tribunal, mais il ne faut pas se rebuter; il faut sauver les infirmes qu'une apparence de dialectique éblouit.

 

M. DE CAMBRAY.

 

30. « Dans la situation où j'étais, me convenait-il d'aller faire

 

271

 

une scène sujette à diverses explications, sur lesquelles M. de Meaux aurait été cru ? »

 

RÉPONSE.

 

31. A cette fois la difficulté serait importante, si l'on n'y avait pourvu par les conditions de la conférence. Elles sont comprises dans l'écrit du 15 juillet 1697, que M. de Cambray reconnaît : j'y avais déjà renvoyé ce prélat dans la Relation (1) : et dans une simple lecture de quelques paroles de cet écrit, on verra que j'avais par avance répondu à tout.

 

§ III. Conditions de la conférence par l'écrit du 15 juillet 1697.

 

32. La fin était de montrer la vérité claire, en peu de conférences, en une seule peut-être, et peut-être en moins de deux heures (2) : après avoir marqué les longueurs des répliques et dupliques par écrit, on offrait pourtant d'écrire et souscrire toutes les propositions qu'on aurait avancées, sitôt qu'on le demanderait : mais on voulait commencer par ce qu'il y a de plus court et de plus tranchant, qui était la vive voix.

33. Quoique M. de Cambray nous eût fait beaucoup de demandes inutiles, après avoir répondu que c'était ouvrir une nouvelle dispute au lieu de finir celle où nous étions (3), j'offris néanmoins de répondre à tout, pourvu qu'on voulût venir à la conférence amiable de vive voix (4).

34. La suite de l'écrit portait qu'on admettait à la conférence « les évêques et les docteurs que M. l'archevêque de Cambray y voudrait appeler : » et qu'encore « qu'on lui proposât toutes les conditions les plus équitables, on avait pour témoins de son refus ce que le monde a de plus auguste : » tous ces faits ont passé sans contredit : M. de Cambray a vu ces écrits : et il n'y a plus maintenant qu'à conférer un moment ses objections avec mes réponses.

 

1 Relat., VIIIe sect., n. 2 et suiv.— 2 Premier Ecrit de M. de Meaux, n. 5. — 3 Ibid. — 4 Ibid.

 

272

 

M. DE CAMBRAY.

 

35. « Dans la situation où j'étais, me convenait-il d'aller faire une nouvelle scène sujette à diverses explications, sur lesquelles M. de Meaux aurait été cru (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

36. On remédiait à sa crainte, en offrant d'écrire ce qu'il voudrait (2).

 

M. DE CAMBRAY.

 

37. « Si M. de Meaux a cité si mal les passages de mes écrits imprimés, qui sont sous les yeux du public, etc., que n'eût-il pas fait dans ces conférences particulières, où il aurait pu s'abandonner librement à sa vivacité et à sa prévention? »

 

RÉPONSE.

 

38. M. de Cambray enfle son discours par tous les reproches qu'on a cent fois réfutés, et il ne dit mot à l'offre d'écrire, qui remédiait à tous les inconvénients.

 

M. de CAMBRAY.

 

39. « Je fis proposer à M. de Meaux une voie d'éclaircissement entre nous, aussi sûre et aussi paisible que celle des conférences pouvait être tumultueuse et ambiguë (3). »

 

RÉPONSE.

 

40. Il ne pouvait rien y avoir de tumultueux ni d'ambigu avec les conditions proposées. L'auteur du tumulte, quel qu'il eût été, aurait paru aux spectateurs, et se serait convaincu lui-même : c'était donc par une crainte trop vague rejeter l'expédient le plus assuré et le plus court.

 

M. DE CAMBRAY.

 

41. « C'était de nous faire l'un à l'autre de courtes questions et de courtes réponses par écrit, afin que nous eussions de part

 

1 Rép., chap. VII. — 2 Ci-dessus, n. 32. — 3 Rép., chap. VII, p. 133.

 

273

 

et d'autre des preuves littérales de tout ce qui se passerait entre nous. »

 

RÉPONSE.

 

42. Les réponses courtes par écrit dans les grandes questions ne durent guère; la vive voix tranche, parce qu'on va d'abord au point.

 

M. DE CAMBRAY.

 

43. « Il en convint : je lui envoyai vingt courtes questions. »

 

RÉPONSE.

 

44. Il m'envoya de quoi disputer jusqu'à la fin du monde.

 

M. DE CAMBRAY.

 

45. « Il m'en envoya quelques-unes, me promettant de me répondre dès que j'aurais répondu. Je répondis aux questions de M. de Meaux; alors il refusa de me répondre par écrit, nonobstant la promesse qu'il en avait faite, et dont j'ai envoyé l'écrit à Reme. »

 

RÉPONSE.

 

46. On vient de voir (1) que je n'ai jamais refusé, mais seulement différé de répondre même par écrit, pour le faire plus nettement dans la conférence. L'envoi de mon écrit à Rome montre en M. de Cambray trop d'envie d'embarrasser une grande question par des minuties.

 

M. DE CAMBRAY.

 

47. « On peut voir par mes réponses, etc., que des conférences ne devaient pas m'embarrasser (2). »

 

RÉPONSE.

 

48. On peut voir par ses réponses que le papier souffre tout, et qu'on n'échappe pas de même à un discours qui vous presse, el vous ramène malgré vous au point de la question : c'a été là le motif et le fruit de toutes les conférences.

 

1 Ci-dessus, n. 32, 33. — 2 Rép., p. 134.

 

274

 

M. DE CAMBRAY.

 

49. « Pour éviter ces confusions (dans les conférences), je les proposai à M. l'archevêque de Paris, avec ces trois conditions. »

 

RÉPONSE.

 

50. Il sent donc bien en sa conscience que le refus se tournait en preuve contre lui.

 

M. DE CAMBRAY.

 

51. « Ière condition : qu'il y aurait des évêques et des théologiens présents. »

 

RÉPONSE.

 

52. On vient devoir (1) que j'en étais convenu, sans que M. de Cambray reproche ce fait dont nous avons de trop grands témoins.

 

M. DE CAMBRAY.

 

53. « IIe condition : qu'on parlerait tour à tour. »

 

RÉPONSE.

 

54. Comment donc aurait-on pu faire sans cela? qui jamais a imaginé une conférence où l'on parle tous ensemble ?

 

M. DE CAMBRAY.

 

55. « Qu'on écrive sur-le-champ les demandes et les réponses. »

 

RÉPONSE.

 

56. C'est ce que j'avais demandé par l'écrit que M. de Cambray a reçu (2) : et pour abréger, je proposais d'écrire ce qu'on eût voulu, au choix de la personne attaquée, quelle qu'elle fût.

 

M. DE CAMBRAY.

 

57. « IIIe condition : que M. de Meaux ne se servirait point du prétexte des conférences entre nous sur les points de doctrine, pour vouloir se rendre examinateur de mon livre. »

 

1 Ci-dessus, n. 44. — 2 Ci-dessus, n. 32.

 

275

 

RÉPONSE.

 

58. C'est là où l'on n'entend rien : pour conférer sur le livre qui seul faisait la question, il fallait bien en examiner le texte : non point par un examen de juridiction, à quoi on ne pensait pas, mais par un examen de dispute, sans lequel il n'y avait point de conférence.

 

M. DE CAMBRAY.

 

59. « Que cet examen du texte demeurerait, suivant notre projet. entre M. l'archevêque de Paris et moi avec MM. Tronson et Pirot (1). »

 

RÉPONSE.

 

60. A ce coup M. de Cambray commence à s'expliquer mieux. Il est vrai qu'il proposa de conférer avec moi à condition que je ne parlerais point de son livre : c'est ce qu'il voulait réserver à lui et à ces Messieurs ; et pour moi qui étais exclu de cet examen, j’aurais pu dans la conférence discourir en l'air sur toutes les questions hors du livre, celles du livre m'étant interdites : et il s'étonne qu'on ait regardé cette condition comme une illusion manifeste, où pour se disculper du refus injuste et absurde de conférer, on semble en convenir, et en même temps on rend la conférence non-seulement impossible, mais encore ridicule.

 

M. DE CAMBRAY.

 

61. « Pour l'histoire d'un religieux de distinction..., elle m'est absolument inconnue. »

 

RÉPONSE.

 

62. Il fallait se déclarer sans détour, si la proposition d'une conférence par un religieux de distinction, qu'il ne commît plus, lui est inconnue. Si sa réponse, que ce digne religieux raconte fort franchement, ne plaît pas à M. de Cambray, la Relation lui laissait le choix d'en faire une autre (2), qui ne pourrait être que mauvaise : il fallait donc imaginer telle autre réponse qu'il

 

1 Rép., chap. VII, p. 135. — 2 Relat., VIIIe sect., n. 5.

 

276

 

eût voulu, et non pas sur un fait si positif nous payer de conjectures en l'air.

 

M. DE CAMBRAY.

 

63. « Je ne reçus les remarques de M. de Meaux que quand il n'était plus question que de partir pour Cambray, et d'envoyer promptement mes réponses à Rome (1). »

 

RÉPONSE.

 

64. Il ne fallait qu'un oui ou un non. Si l'on eût aimé la paix, on eût bien pu différer de quelques jours le voyage. Je ne demandais que très-peu de jours, et peut-être seulement deux ou trois heures. M. de Cambray eût pu tant qu'il eût voulu envoyer ses réponses à Rome, pour lesquelles on ne lui a jamais demandé de surséance : mais il ne voulait qu'éluder les voies d'éclaircissement et de douceur, que la charité et la vérité nous faisaient demander : et il se hâtait de partir, ne sachant que dire à tout le monde, qui lui reprochait le refus de la conférence avec ses amis et ses confrères.

 

M. DE CAMBRAY.

 

65. « Je voulais bien écouter les avis par écrit de M. de Meaux, et en profiter, s'ils étaient bons : mais je ne voulais pas me livrer à lui dans son tribunal. »

 

RÉPONSE.

 

66. Voilà enfin le fond et le secret de la défense de M. de Cambray sur les conférences. Il n'y sait rien de meilleur que de changer au nom odieux de tribunal, le nom d'une conférence amiable que sa conscience et même l'honneur du monde lui reproche d'avoir injustement refusée. J'ai rapporté tout au long et presque de mot à mot toutes ses réponses : enfin il est convaincu d'avoir refusé les voies amiables, et d'avoir tellement senti le faible de sa cause, qu'il n'a pu soutenir la face de ses amis.

 

1 Rép., chap. VII, p. 136.

 

277

 

ARTICLE X. Sur diverses autres remarques du chapitre VII et dernier de la Réponse.

 

§ I. Sur la falsification de la version latine du livre de M. de Cambray.

M. DE CAMBRAY.

 

1. « Ce prélat attaque encore la version latine de mon livre que j'ai envoyée à Rome. » Là il rapporte mes paroles, qu'on peut voir dans la Relation (1) ; et il les reprend en cette sorte : « Qui ne croirait à ce ton démonstratif, que voilà la pleine conviction de mon infidélité ? mais c'est ici que je conjure le lecteur de juger entre M. de Meaux et moi (2). »

 

RÉPONSE.

 

2. J'accepte l'offre, et je consens qu'un lecteur attentif nous juge par cet endroit seul.

 

M. DE CAMBRAY.

 

3. « 1. J'ai déclaré dans mon livre que l'intérêt propre est un reste d'esprit mercenaire. 2. J'ai montré avec évidence que M. de Meaux a pris lui-même l'intérêt, non pour l'objet de l'espérance clin tienne, mais pour une affection imparfaite. 3. Le terme de propre ajouté dans mon livre à celui intérêt, signifie manifestement la propriété, qui de l'aveu même de M. de Meaux, est une affection du dedans, et non l'objet du dehors, 4. M. de Meaux en traduisant mon livre dans sa Déclaration, a rendu le mot intéressé par celui de mercenarius. Ai-je tort de traduire mon livre comme ce prélat l'a traduit lui-même (3)? »

 

RÉPONSE.

 

A. Que servait tant de discours? La fausseté dont ma Relation accusa M. de Cambray dans la version de son livre est d'avoir

 

1 Relat., VIIe sect., n. 5. — 2 Rép. P. 136. — 3 Rép., p. 137.

 

278

 

partout, et plus de cinquante fois, inséré dans son texte le terme appetitio mercenaria, qui n'y fut jamais ; et d'avoir expliqué par là le mot de motif et celui à'intérêt propre. Pour argumenter contre moi ex concessis, et pouvoir justement alléguer en preuve la Déclaration des trois évoques, il faudrait, non point y marquer en l'air, comme M. de Cambray fait à la marge, une longue suite de discours, mais quelque endroit particulier où l'on employât le terme appetitio en traduisant ses passages. Mais qui songeait seulement alors à cette interprétation entièrement inouïe? M. de Cambray lui-même n'y songeait pas encore dans sa première explication que M. de Chartres a imprimée, puisqu'il y suppose toujours comme constant qu'il a pris le terme de motif pour la fin qu'on se propose au dehors.

5. M. de Cambray destitué de preuve, a recours dans sa Réponse à une conséquence tirée du mot de propriété : mais outre qu'une conséquence n'est pas une version où le texte doit être représenté tel qu'il est en soi, on répond de plus que la conséquence est mauvaise : et quand la propriété serait un appétit, il ne s'ensuit pas que le motif en fût un. Ainsi M. de Cambray demeure en cinquante endroits faux traducteur de son propre livre, en substituant une conséquence, et encore fausse, au texte qu'il fallait rendre simplement.

6. Et pour ne m'en pas tenir, comme fait M. de Cambray, à de vagues citations, je lui représente dans son article VIII vrai (1), la traduction de ce passage : « L'ame s'abandonne à Dieu pour tout ce qui regarde son intérêt propre. » Et un peu après : « En ne lui faisant voir aucune ressource pour son intérêt propre éternel. » En vérité osera-t-on dire que ce soit traduire deux endroits si essentiels dans cette matière que de les rendre en cette sorte : le premier, permittere se Deo quoad omnis commodi proprit mercenariam appetitionem : le second, encore plus essentiel : nullâ spe quoad proprii commodi etiam aeterni mercenariam appetitionem ?

7. Il commet la même falsification lorsqu'il traduit, dans l'article X, le sacrifice absolu de l'intérêt propre pour l'éternité, par

 

1 Max., p. 72, 73; vers, lat., p. 51, 52.

 

279

 

ces mots : absolutè proprii commodi appetitionem mercenariam quantum ad œtemitatem immolat (1).

8. Pour peu qu'on entende cette dispute, on sait que ces trois passages sont les plus essentiels de tout le livre ; et ceux qui en entraînent le plus l'inévitable censure, à titre d'impiété et de blasphème, du propre aveu de l'auteur. Or est-il qu'en ces trois endroits si essentiels la traduction latine est falsifiée : elle l'est donc dans ce qu'il y a de plus essentiel dans tout le livre.

9. Il faut ici remarquer que c'est sur cette version latine que M. de Cambray demande au Pape d'être jugé (2) : et en effet beaucoup de ses examinateurs, qui n'entendent point ou entendent peu le français, le jugent sur sa version. Ils le jugent donc sur des faussetés essentielles : c'est sur des faussetés essentielles qu'il demande d'être jugé. On vante en vain le nombre de ses partisans : la plupart d'eux ne le sont manifestement, que trompés par une infidèle version.

10. Si, malgré l'évidence de ce fait, M. de Cambray propose qu'on le juge décisivement par cet endroit seul, c'est visiblement qu'il met sa confiance dans la hardiesse de l'affirmation, et non pas dans la force de sa preuve.

 

§ II. Sur un fait posé par M. de Cambray et désavoué par lui-même.

M. DE CAMBRAY.

 

11. « Voici un fait bien remarquable que j'ai avancé, et qui selon M. de Meaux est si faux que j'en supprime les principales circonstances (3). Ce fait est que M. de Chartres, » et le reste qu'on peut lire dans la Réponse.

12. «M. de Meaux veut que ce fait soit faux ; 1 parce qu'il n'en a jamais entendu parler : 2 il dit que je me suis dédit sur ce fait: comment dédit? c'est que dans une seconde édition de ma Réponse, j'ai supprimé cet article. Mais est-ce se dédire sur un fait que de le supprimer? » M. de Cambray ajoute qu'il l'a

 

1 Max., art. 10, p. 90; vers, lat., p. 65. — 2 Lett. de M. de Cambray au Pape, ci-après. — 3 Rép., chap. VII, p. 137.

 

280

 

supprimé « par discrétion, parce qu'il voulait supprimer autant qu'il pouvait les contestations personnelles (1). »

 

RÉPONSE.

 

13. Tout est ici plein d'illusion. M. de Cambray demeure d'accord d'avoir supprimé ce fait dans une seconde édition, et d'avoir voulu retirer les exemplaires de cette édition où il était énoncé : n'est-ce pas là un désaveu assez formel? .Mais ce prélat ne manque jamais de beaux prétextes; c'est, dit-il, la discrétion qui lui a fait supprimer les contestations personnelles. Cela serait beau s'il était vrai : mais s'il avait à supprimer quelque chose par discrétion sur les contestations personnelles, il aurait du commencer par ces étranges paroles : « Le procédé de ces prélats a été tel, que je ne pourrais espérer d'être cru en le racontant (2). » Loin de retrancher ces paroles de la première édition, il enchérit par-dessus dans la seconde, en y ajoutant ces mots : « Il est bon même d'en épargner la connaissance au public (3). » C'est ainsi que sa discrétion lui fait supprimer les contestations sur les faits.

14. Pour ce qui regarde M. de Chartres, dont il appelle à témoin la bonne foi, et une lettre écrite de sa part (4) : qu'il se souvienne que ce prélat, après avoir témoigné tant d'étonnement de voir M. de Cambray « donner sa première explication en la présence de Dieu, avec des protestations si sérieuses qu'il n'avait point eu d'autres sentiments en taisant son livre, et s'en départir cependant dans son Instruction pastorale (5) : » M. de Chartres, dis-je, se sert de cet exemple pour nous prémunir contre les autres allégations de cet archevêque, en parlant ainsi : « Jugez à l'avenir des faits et des raisons qu'il avancera contre nous pour défendre son livre, par ce fait qu'il avait donné comme incontestable (6). » C'en est assez contre un fait supprime par son auteur.

15. Au reste les expédients que M. de Cambray étale par un si

 

1 Rép., chap. VII, p. 138 ; Relat., VIIe sect., n. 21. — 2 Rép. à la Décl., 1ère et 2e   édit., p. 6. — 3 2e édit., p. 6. — 4 Rép., p. 138. — 5 Lett. past. de M. de Chartres, p. 69, 79, 80. — 6 Ibid., p. 119, 120.

 

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long discours (1), n'étaient point recevables, et nous les avons réfutés dans la Relation (2). Tout aboutit à conclure que nous devions envoyer secrètement nos objections à Rome. Mais où est ici l’équité? Il veut bien nous prendre publiquement à garants de ses erreurs, dans l'Avertissement de son livre des Maximes (3) : et il ne veut pas qu'il nous soit permis de rendre notre désaveu public? Chargés de ses fautes par un livre imprimé, nous ne pourrons y opposer que des .Mémoires secrets? Notre silence n'eût-il pas été un consentement honteux à l'erreur qu'on nous imputait ? C'est néanmoins ce que M. de Cambray nous reproche cent et cent fois comme une injure manifeste que nous lui faisons. Quelle cause ne soutiendra pas celui qui sait appuyer une si visible injustice?

 

§ III. Sur les soumissions de M. de Cambray dans ses deux lettres imprimées.

 

M. DE CAMBRAY.

 

Il paraissait par mes deux lettres, l'une datée eu 3 août, et l'autre de quelques jours après, que M. de Meaux a lues imprimées, qu'en demandant au Pape à être instruit en détail de peur de me tromper, je promettais de me soumettre sans ombre de restriction, tant pour le fait que pour le droit, quelque censure qu'il lui plût de faire de mou livre (4). »

 

RÉPONSE.

 

17. Je promettais, dit-il (dans ces lettres), de me soumettre sans ombre de restriction. Je lui répète ce que j'ai dit dans la Relation (5) ; « Que voulaient donc dire ces mots de la lettre du 3 août. Je demanderai seulement au Pape qu'il ait la bonté de marquer précisément les erreurs qu'il condamne, et les sens sur lesquels il porte sa condamnation, afin que ma soumission soit sans restriction. » C'est donc clairement menacer l'Eglise de restriction, si le Pape ne prononce pas comme il le demande. Ainsi il donne le

 

1 Rép., p. 138, 140, 141, etc. — 2 Relat., VIIe sect., n. 21. — 3 Ci-dessus, art. 9, n. 21. —   4 Rép., p. 139. — 5 Relat., Xe sect., n. 3.

 

282

 

change lorsqu'il dit : « Selon M. de Meaux, ce n'est être ni docile, ni sincère de demander d'être instruit (1). » Il me fait parler comme il veut. J'ai dit et je dis encore, que ce n'est pas être docile à l'instruction, quand on menace de restrictions, si on manque de nous instruire à notre mode. Que peut-on croire d'un auteur qui se glorifie d'exclure jusqu'à l'ombre de la restriction, dans les paroles où on lit la restriction toute claire ? J'espère qu'il fera mieux qu'il ne dit : mais enfin voilà ce qu'il dit en termes formels. Il ne répond rien à cette objection : il ne répond rien à l'extrémité où je lui démontre qu'il ose réduire le Pape en lui proposant l'impossible (2), c'est-à-dire de déterminer tous les sens des esprits féconds en chicane. Enfin loin de rétracter deux lettres si téméraires, comme je l'en avais averti (3), il les défend et les confirme ; et il croit avoir satisfait à tout son devoir, quand il vante après sa soumission absolue, sans rétracter ce qu'il a dit contre le respect, tant il veut accoutumer le monde, et le Pape même s'il pouvait, à se contenter de belles paroles.

 

§ IV. Sur les explications.

 

M. DE CAMBRAY.

 

18. « Voici un moyen dont M. de Meaux se sert pour se justifier sur le refus qu'on a fait de mes explications : il dit que je ne faisais que varier. C'est ce que M. de Chartres a entrepris de prouver : mais je ferai voir que ce prélat a pris ce que l'Ecole appelle argumentum ad hominem, pour l'explication précise de mon livre (4). »

 

RÉPONSE.

 

19. Le tour est nouveau : on pousse une explication dans toute sa suite, sans indiquer seulement qu'on en ait une autre; et quand on ne peut plus l'accorder avec ses autres discours, ni avec le livre qu'on veut excuser, tout d'un coup c'est un argument ad hominem. On peut tout dire à ce prix ; mais cependant on s'enfonce de plus en plus dans la variation, puisque l'on varie même pour se défendre d'avoir varié.

 

1 Rép., p. 110. — 2 Relat., Xe sect., n. 3. — 3 Ibid., n. 5. — 4 Rép., p. 142.

 

283

 

M. DE CAMBRAY.

 

20. « Mais supposons que j'aie varié :..... supposons, ce que je montrerai ailleurs n'être pas vrai, qu'il y avait des erreurs dans mes explications, que s'ensuit-il de là ? Qu'après m'avoir montré ces erreurs, il fallait au moins me redresser (1). »

 

RÉPONSE.

 

21. Que faisait M. de Chartres par tant de réponses? Il n'y a qu'à lire tout ce qu'a fait, tout ce qu'a écrit ce digne prélat, ce docte théologien (2), pour ramener son ami. Et moi, que prétendais-je autre chose dans l'écrit du 15 juillet, lorsque l'invitant à la conférence je parlais en cette sorte (3) : « Nous sommes prêts à lui faire voir :

» Que son explication ne convient pas à saint Bernard qu'il allègue seul, et qu'elle lui est contraire ;

» Qu'elle ne convient non plus à aucun Père, à aucun théologien, à aucun mystique ;

» Qu'elle est pleine d'erreurs, et que loin de purger celle du livre, elle y en ajoute d'autres ;

» Enfin que le système très-mauvais en soi, l'est encore plus avec l'explication. »

22. Pouvait-on entrer dans un détail plus utile pour redresser un ami qui s'égarait? Mais il voulait être flatté dans ses nouveautés : il refusait le secours qu'on lui offrait, et puis il vient se plaindre qu'on ne l'a pas secouru !

 

§ V. Encore sur madame Guyon.

 

M. DE CAMBRAY.

 

23. « Il est temps de revenir à madame Guyon ». »

 

RÉPONSE.

 

Puisqu'il ne fait presque plus dans le reste de sa Réponse que

 

1 Rép., p. 143. — 2 Lett. past. de M. de Chartres, p. 69, 70, etc. — 3 Premier Ecrit de M. de Meaux, n. 5. — 4 Rép., p. 144.

 

284

 

de répéter ce qu'il a dil pour cette femme, je n'aurai plus qu'à ajouter quelques petits mots à ce que j'ai déjà répondu

 

M. DE CAMBRAY.

 

24. « Je demande à M. de Meaux qu'il explique en termes précis ce qu'il veut de moi; et j'ose dire qu'il ne le pourra expliquer. »

 

RÉPONSE.

 

25. Le voici pourtant en deux mots : 1, Il faudrait nettement condamner les mauvais livres de cette femme, sans pallier le refus d'une telle condamnation par l'intention de l'auteur. 2, Il faudrait rétracter de bonne foi tout ce qu'on a dit, que les endroits repris dans les mêmes livres ne sont qu'équivoques, exagérations et termes mystiques mal entendus par leurs censeurs. 3, Il faudrait encore rétracter tout ce qu'on a dit en général sur l'intention des auteurs, et ne fournir plus des défenses à tous les hérétiques qui furent ou qui seront jamais.

 

M. DE CAMBRAY.

 

26. « J'ai écrit au Pape que ces livres étaient condamnables dans une lettre imprimée : n'est-ce pas l'acte le plus solennel, etc. (3). »

 

RÉPONSE.

 

27. On a montré que ce qu'il en dit est plutôt une excuse qu'une condamnation.

 

M. DE CAMBRAY.

 

28. « M. de Meaux dit que je n'ai pas nommé la personne de madame fiuyon : mais la nommait-il lui-même quand je fis cette lettre (5)? »

 

RÉPONSE.

 

29. Il ne s'agit pas de son nom . j'avais expressément condamné ses livres, que M. de Cambray tâchait de sauver.

 

M. DE CAMBRAY.

 

30. « Il ajoute que je désavouerais peut-être dans la suite des

 

1 Ci-dessus, art. 2-5. — 2 Rép., p. 144. — 3 Ibid.

 

285

 

citations marginales que j'ai faites du Moyen court et du Cantique : où en est-on quand on veut supposer de telles choses (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

31. On en est où en était M. de Cambray, lorsqu'il rejetait sur un autre le terme d’involontaire qu'il attribuait à Jésus-Christ : j'avais fait cette objection dans la Relation (2), et M. de Cambray la trouve si forte qu'il n'y fait aucune RÉPONSE. Au reste c'est une étrange condamnation qu'une note marginale jetée après coup à côté d'une lettre du Pape.

 

M. DE CAMBRAY.

 

32. « Il fait entendre que je désavouerai peut-être aussi mon propre texte (3).»

 

RÉPONSE.

 

33. Il trouve donc fort étrange qu'un auteur désavoue son propre texte? c'est ce qu'il a fait sur l’involontaire attribué à Jésus-Christ.

 

M. DE CAMBRAY.

 

34. « Que veut donc M. de Meaux, s'il ne peut être assuré par mon texte même ? »

 

RÉPONSE,

 

35. Je veux qu'on avoue franchement l'illusion qu'on a faite au public par le désaveu de son texte : laissant à part le texte, ce n'est pas la coutume que dans des lettres aux grandes puissances on fasse des marges : on prend bien la peine de mettre tout ce qu'il faut dans le texte même, et surtout quand il s'agit de spécifier une chose aussi essentielle que l'est la condamnation des mauvais livres : ainsi rejeter en marge les livres de madame Guyon, c'est éviter de dessein formé de, les condamner dans le texte; et c'est la suite du mauvais dessein, d'avoir déjà évité de la nommer parmi les faux spirituels, aussi bien que Molinos qu elle suit en tout, et qu'on épargne pour l'amour d'elle.

 

1 Rép., p. 145. — 2 Relat., VIe sect., n. 14. — 3 Rép., p. 145.

 

286

 

M. DE CAMBRAY.

 

36. « M. de Meaux s était plaint dans la Déclaration, que j'avais fait tomber (dans la lettre au Pape) le zèle des prélats sur les mystiques des siècles passés (1). »

 

RÉPONSE.

 

37. Je m'en suis plaint, il est vrai : car aussi que voulaient dire ces paroles de la lettre au Pape (2) : « Depuis quelques siècles beaucoup d'écrivains mystiques portant le mystère de la foi dans une conscience pure, avoient favorisé sans le savoir, l'erreur qui se cachait encore : ils l'avoient fait par un excès de piété affectueuse, etc. C'est ce qui a enflammé le zèle ardent de plusieurs évêques. » C'est donc manifestement contre ces pieux mystiques des siècles passés que notre zèle s'est enflammé : « c'est ce qui leur a fait composer XXXIV Articles : » ces Articles sont donc dressés contre eux : « c'est ce qui les a engagés à faire des censures contre certains petits livres, etc. » Il veut donc envelopper ces petits livrets dans l'idée confuse de ces anciens et pieux mystiques. Il répond (3) que, lorsqu'il dit que ces mystiques des siècles passés ont échauffé le zèle des prélats, et fait faire leurs articles et leurs censures, c'était à dire qu'ils en étaient l'origine innocente Est-ce ainsi qu'on parle quand on veut parler nettement? Un esprit si clair, qui embrouille exprès son discours, ne montre-t-il pas qu'il veut plutôt envelopper qu'éclaircir son sujet? Il ne s'agissait que de dire sans tant tournoyer, qu'il condamnait avec les évêques, les erreurs des livres dont il s'agissait ; sans leur chercher des excuses et des défenseurs parmi les pieux mystiques que personne n'attaquait : car ils sont au fond très-éloignés de madame Guyon ; et loin d'en favoriser les erreurs, comme dit M. de Cambray, ils les condamnent ; c'est ce qu'il devait dire en un mot pour dire la vérité : au lieu qu'il lui a fallu employer cinq ou six pages entières à s'expliquer, avec un long entortillement et de perpétuelles répétitions (4).

 

1 Rép., p. 145. — 2 Inst. past. de M. de Cambray, Addit., p. 51. — 3 Rép., p. 146. — 4 Ibid., p. 145-149.

 

287

 

M. DE CAMBRAY.

 

38. « M. de Meaux m'accuse encore de biaiser sur un point essentiel ; c'est de savoir ce que je pense sur les livres de madame Guyon (1). »

 

RÉPONSE.

 

39. C'est biaiser que ne vouloir jamais parler nettement : c'est biaiser que de ne reprendre que quelques endroits des livres dont tout le fond est corrompu : c'est biaiser de les reprendre « au sens qui se présente et qui est naturel : sensu obvio naturali, » quand on distingue ce sens de l'intention de l'auteur, et qu'on tâche d'en éviter la condamnation par un si mauvais artifice : c'est biaiser, lorsqu'à la place des erreurs formelles dont sont pleins des livres, on n'y veut trouver que des équivoques avec un langage mystique mal entendu des censeurs, et des exagérations qui leur sont communes avec les saints : enfin c'est biaiser, quand on nous propose avec saint Pierre, de rendre compte à tous ceux qui nous le demandent, de répondre qu'on l'a rendu à son supérieur à qui on a parlé si ambigument : M. de Cambray le fait encore : il biaise donc encore à présent qu'il se défend de biaiser.

 

M. DE CAMBRAY.

 

40. « M. de Meaux se récrie : Est-ce en vain que saint Pierre a dit qu'on doit être prêt à rendre compte à tous ceux qui le demandent (2), etc?»

 

RÉPONSE.

 

41. Il fallait répondre à l'autorité de saint Pierre, et condamner nettement de mauvais livres, en retranchant tous les subterfuges, et non pas toujours s'en défendre par une telle profusion de vaines paroles.

 

M. DE CAMBRAY.

 

42. « Il veut ignorer ce qui est public et si précis (dans la lettre au Pape), pour avoir un prétexte de me questionner, et de me réduire à une déclaration par écrit qu'il puisse faire passer

 

1 Rép., p. 150. — 2 Ibid.

 

288

 

pour une espèce de formulaire (1) : » c'est à quoi M. de Cambray revient sans cesse (2).

 

RÉPONSE.

 

43. Que d'inutiles paroles, pour éviter de dire oui ou non ! Ne voit-on pas qu'il sent en effet qu'en condamnant simplement ces livres, il se condamne lui-même, et que c'est aussi pour cela qu'il biaise toujours ?

 

M. DE CAMBRAY.

 

44. « Mais lui qui cite saint Pierre, se laisse-t-il interroger comme un coupable et comme un homme suspect, sur tout ce qu'il pense de tous les livres qu'il plaira à un adversaire de l'accuser de favoriser (3) ? »

 

RÉPONSE.

 

45. Il biaise encore : il ne s'agit pas d'un soupçon en l'air; mais d'un sentiment bien fondé, sur le refus exprès et réitéré de s'expliquer nettement : pour moi, je suis toujours prêt à répondre sur tous les livres, quoique jamais on ne m'ait accusé d'en favoriser de mauvais.

 

M. DE CAMBRAY.

 

46. « Au lieu de rendre raison de sa foi, » (sur les questions que je lui fais touchant la béatitude), « il se plaint que je le presse à répondre oui ou non (4).»

 

RÉPONSE.

 

47. La récrimination est vaine, puisque j'ai répondu précisément à toutes ses demandes utiles, n'évitant que celles qui nous auraient détournés de l'état de la question, et ne font que l'embarrasser.

 

M. DE CAMBRAY.

 

48. « Il dit que je n'ai condamné que quelques endroits du livre : et où est le livre impie qui soit impie d'un bout à l'autre (5)? »

 

1 Rep., p. 156. — 2 Ibid., p. 153, 155, 156. — 3 Ibid., p. 150. — 4 Ibid., p. 151. — 5 Ibid.

 

289

 

RÉPONSE.

 

49. Il biaise toujours : il n'a qu'à penser ce qu'on jugerait de lui, s'il disait : Calvin, Luther, Socin sont censurables en quelques endroits : ne verrait-on pas clairement qu'il en voudrait sauver le fond ? Quant à ce qui regarde le sens naturel où il ne cesse de revenir par de longs discours (1), nous en avons assez parlé (2).

 

M. DE CAMBRAY.

 

50. « Il me suffit d'adhérer du fond de mon cœur et sans ombre de restriction à la censure que le Pape a faite des livres en question (3) » (de madame Guyon).

 

RÉPONSE.

 

51. Comme si ce n'était pas une restriction, et de toutes les restrictions la plus captieuse, de distinguer l'intention d'un auteur d'avec le sens naturel, unique et perpétuel de son livre.

 

M. DE CAMBRAY.

 

52. «Il croit me convaincre par ce raisonnement : Ou ce commerce uni par un Ici lien était connu, ou non ; s'il ne l’était pas, M. de Cambray n'avait rien à craindre en approuvant le livre de M. de Meaux : s'il l’était, ce prélat n'en était que plus obligé à se déclarer (4), etc. Ma réponse est facile. Ce commerce était connu : j'avais laissé condamner les livres; il n'en était plus question : j'avais dit qu'ils étaient censurables : je ne biaisais point; mais je ne croyais pas avoir mérité qu'on exigeât de moi, comme d'un homme suspect, une déclaration par écrit, c'est-à-dire une signature d'une espèce de formulaire (5). »

 

RÉPONSE.

 

53. Sans doute ce n'est pas biaiser que distinguer l'intention d’un auteur d'avec le sens véritable, unique et perpétuel de son livre dans toute sa suite et dans la juste valeur de ses paroles : et

 

1 Rép., p. 152-155. — 2 Ci-dessus, art. 4. — 3 Rép., p. 153. — 4 Relat., IV sect., n. 18.— 5 Rép., p. 155.

 

290

 

que de dire toujours que mon livre, qui bien certainement ne condamnait que de cette sorte ceux de madame Guyon, était un formulaire. Tout est changé dans les termes : un livre approuvé est un formulaire de rétractation : condamner un livre avoué mauvais dans toute sa suite, c'est donner un acte contre soi-même : une conférence amiable est un tribunal qu'on va reconnaître : c'est ainsi qu'on parle quand on ne cherche que des prétextes, et encore vains.

 

M. DE CAMBRAY.

 

54. « Pour la Guide spirituelle de Molinos, M. de Meaux veut que je la défende, parce que je n'en ai point parlé en parlant des soixante-huit propositions : quoi! défend-on tous les livres dont on ne parle pas (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

55. Il biaise encore : je suis contraint de le répéter. Il ne s'agit pas d'un livre inconnu auquel on peut ne point penser : la Guide de Molinos est un livre qui vient d'abord dans l'esprit à tous ceux qui écrivent de cette matière. On a donc raison de s'étonner qu'il ait supprimé Molinos dans le dénombrement des faux spirituels, et qu'encore il en supprime le livre dans sa lettre au Pape.

 

M. DE CAMBRAY.

 

56. « Il m'avait déjà reproché de n'avoir pas nommé Molinos, et je répondais que je n'avais pas jugé nécessaire de nommer un nom odieux dont il n'était point question en France (2). »

 

RÉPONSE.

 

57. Etait-il plus question en France des illuminés d'Espagne qu'il a nommés? et quand il eût voulu supprimer un nom odieux, devait-il du moins se taire des quiétistes? Est-ce un jugement téméraire de croire qu'en cette occasion il ait supprimé Molinos, comme il a fait madame Guyon, à qui la Guide de Molinos avait préparé la voie ?

 

M. DE CAMBRAY.

 

58. « Pour moi je condamne sans exception et sans restriction

 

1 Rép., p. 157. — 2 Ibid., p. 158.

 

291

 

tous les ouvrages de Molinos si justement frappés d'anathème par le saint Siège (1). »

 

RÉPONSE.

 

59. Qu'il condamne donc en même temps la pernicieuse restriction de l'intention des auteurs, qui, en sauvant madame Guyon, sauve en même temps Molinos et tous les hérésiarques.

 

ARTICLE XI. Sur la conclusion.

 

§ I. Discours de M. de Cambray sur le succès de ses livres.

M. DE CAMBRAY.

 

1. « A peine ai-je publié mes défenses, que le public a commencé à ouvrir les yeux et à me faire justice... M. de Meaux me permettra de lui dire ce qu'il disait contre moi (2) : Ai-je remué d'un coin de mon cabinet à Cambray par des ressorts imperceptibles tant de personnes désintéressées? etc. Ai-je pu faire pour mon livre, moi éloigné, moi contredit, moi accablé de toutes parts, ce que M. de Meaux dit qu'il ne pouvait faire, lui en autorité, en crédit et eu état de se faire craindre? »

 

RÉPONSE.

 

2. Si M. de Cambray croit avoir autant ramené de monde par ses lettres que son livre en avait soulevé, il se flatte trop. Le soulèvement fut universel, comme il l'a été d'abord contre toutes les erreurs naissantes ; et il avoue que le petit nombre de ceux qui ne se laissèrent point entraîner au torrent, fut réduit à se taire : c'est ce qui n'arrive jamais à la vérité. Les hommes n'opèrent point de tels effets, et les sages savent distinguer l'impression solide et persévérante de la tradition, d'avec les éblouissements causés par une cabale toujours prête à remuer.

 

1 Rép., p. 158— 2 Ibid., p. 161, 162.

 

292

 

§ II. Sur les cabales.

M. DE CAMBRAY.

 

3. « Voici la réponse de ce prélat : Les cabales, les factions se remuent : les passions, les intérêts partagent le monde (1). Quel intérêt peut engager quelqu'un dans ma cause ? de quel côté sont les cabales et les factions ? Je suis seul et destitué de toute ressource humaine ; quiconque regarde un peu son intérêt n'ose plus me connaître. M. de Meaux continue : De grands corps, de grandes puissances se meuvent. Où sont-ils ces grands corps?ou sont ces grandes puissances, etc. (2) ?

 

RÉPONSE.

 

4. Croit-il avec ces paroles éblouir le monde, jusqu'à lui faire oublier une cabale qui se fait sentir par toute la terre ? Croit-il que quelqu'un ignore les intérêts, les engagements, les espérances qui ont commencé cette affaire, et les ressources qu'on attend encore pour la rétablir? On en peut voir les fondements dans la Relation. Quand est-ce qu'on a plus visiblement éprouvé les efforts d'un puissant parti? Pour ne dire que ce seul fait constant et public, d'où viennent par tout l'univers, et à Rome comme en France, quand il doit paraître quelque écrit de ce prélat, d'où viennent, dis-je, cent avant-coureurs qui publient qu'à ce coup M. de Cambray me va écraser? Il veut mettre pour lui la pitié. Je suis seul, dit-il : c'est ce que ne dit jamais un évoque défenseur de la vérité catholique, et l'Ecriture lui répond : Vœ soli : malheur à celui qui est seul; car c'est le caractère de la partialité et de l'erreur. M. de Meaux est en état de se faire craindre. Puisqu'il m'y force, je lui dirai aux yeux de toute la France sans crainte d'être démenti, qu'il peut plus avec un parti si zélé, que M. de Meaux occupé à défendre la vérité par la doctrine, et que personne ne craint.

 

1 Relat., VIe sect., n. S.— 2 Rép., p. 162.

 

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§ III. Sur Grenade.

M. DE CAMBRAY.

 

5. « Quand j'aurais admiré les visions d'une fausse prophétesse (chose dont M. de Meaux ne donne pas une ombre de preuve), le savant et pieux Grenade n'a-t-il pas été ébloui par une folle qui prédisait les visions de son cœur (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

6. On donne le change : Grenade n'a point excusé de livres pernicieux : Grenade s'est humilié, et n'a point cherché de vaines justifications. Il y a une extrême différence entre une simple surprise et une affectation manifeste de colorer des illusions. M. de Meaux, dit-il, ne donne pas une ombre de preuve : nous entendons ce langage : il veut que les illusions de madame Guyon ne soient pas prouvées ; car il la veut toujours défendre malgré son aveu et toutes les démonstrations qu'on a contre elle : et pour lui, il est trop certain par sa réponse, qu'après qu'on lui a découvert les dangereuses spiritualités et les erreurs de son amie, il ne s'est pas moins attaché à la défendre.

 

§ IV. Propositions pour allonger.

 

M. DE CAMBRAY.

 

7. « S'il reste à M. de Meaux quelque écrit ou quelque autre preuve à alléguer contre ma personne, je le conjure de n'en point faire un demi-secret : je le conjure d'envoyer tout à Rome, afin qu'il me soit promptement communiqué par ordre du Pape (2). »

 

RÉPONSE.

 

8. Pendant qu'on fait semblant de vouloir hâter la décision, on cherche des moyens de la reculer sous prétexte des communications qu'on demande au Pape promptement. Pour moi, je n'ai rien à communiquer : M. de Cambray n'a ni partie ni accusateur

 

1 Rép., p. 166. — 2 Ibid., p. 167

 

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ni dénonciateur que lui-même : la seule pièce nécessaire au jugement qu'on attend avec respect, c'est le livre des Maximes des Saints en original, et bien distingué de sa version infidèle et de ses interprétations captieuses et après coup (1). J'écris ceci pour le peuple, ou pour parler nettement, afin que le caractère de M. de Cambray étant connu, son éloquence, si Dieu le permet, n'impose plus à personne.

 

§ V. Sur la comparaison de Priscille et de Montan.

 

9. M. de Cambray en revient à toutes les pages à cette comparaison, comme si elle était trop odieuse. Priscille était une fausse prophétesse; Montan l'appuyait. On n'a jamais soupçonné entre eux qu'un commerce d'illusions de l'esprit. M. de Cambray demeure d'accord que son commerce avec madame Guyon était connu, et roulait sur sa spiritualité, que tout le monde a jugée mauvaise : je n'ai donc rien avancé qui ne soit connu, rien qui ne soit assuré : et renfermant ma comparaison dans ces bornes, je ne dis rien que de juste.

 

§ VI. Sur les trois écrits publiés à Rome au nom de M. de Cambray.

 

10. Un des endroits les plus essentiels de la Relation (2), est celui où je rapporte les écrits qu'on a présentés à Rome au nom de M. de Cambray. Par ces écrits, ce prélat nous fait jansénistes contre sa conscience. Il se fait le seul défenseur des religieux, comme si nous en étions les oppresseurs, nous qui en sommes les pères. Il s'offre au saint Siège contre les évêques de France, par lesquels il est important de ne le pas laisser opprimer. Ce ne sont pas là seulement des bruits qu'on répande : les écrits latins et italiens remplis de ces calomnies, sont présentés partout à Rome au nom de M. de Cambray, en si grand nombre, qu'ils sont venus jusqu'à nous, et nous les avons en main. Pour excuser ce prélat, j'avais espéré qu'il pourrait désavouer ces écrits scandaleux contre sa nation, contre les évêques ses confrères, et autant contre l'Etat

 

1 Voy. ci-dessus, art. 9, n. 4 et suiv. — 2 Relat., Xe sect., n. 1.

 

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que contre l'Eglise. Il fallait parler sur des faits si essentiels et si bien articulés : M. de Cambray ne dit mot, et laisse par son silence toute la France chargée de ces reproches odieux. Saint Paul envoyé à Rome y déclare publiquement aux Juifs qu'il ne vient point accuser sa nation (1) : il épargne un peuple perfide, et il en ménage la réputation : un archevêque de France sacrifie à sa passion la gloire de sa patrie et de ses confrères.

 

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