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RÉPONSE AUX PRÉJUGÉS  DÉCISIFS
POUR M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY.

 

I. Définition des préjugés.

II. Des choses jugées en cette matière.

III.  Les cinq questions de M. de Cambray.

IV. Les cinq préjugés.

V. Conclusion de l'auteur des Préjugés.

 

I. Définition des préjugés.

 

On s'aperçoit, il y a longtemps, que M. l'archevêque de Cambray ne multiplie ses écrits que par des redites continuelles, sans qu'il y ait rien de nouveau qu'un ton plus affirmatif, une hauteur extraordinaire, un style qui s'échauffe et qui s'aigrit en écrivant , et l'entier retranchement de je ne sais quelle douceur dont cet auteur se paraît au commencement.

Ce sont ces redites qu'il a voulu appeler des Préjugés, et afin que rien n'y manquât, des Préjugés décisifs : mais pour voir la vanité d'un si beau titre, il n'y a qu'à se souvenir de ce qu'on entend par le terme de préjugés. Ce mot naturellement signifie les choses jugées, ou en tout cas des raisons, sans entrer au fond, qui démontrent par elles-mêmes qu'une cause est bonne, ou tout au moins favorable.

 

II. Des choses jugées en cette matière.

 

Y a-t-il, en cette affaire, des choses jugées? oui sans doute. On a jugé Molinos : on a jugé le Père Falconi : on a jugé madame Guyon qui a entrepris de les soutenir tous deux; telles sont les choses jugées dans celle matière : mais ces préjugés sont contre M. de Cambray. Ce n'est pas nous qui défendons madame Guyon: l'on connaît celui qui l'a nommée son amie : qui avoue que tout son commerce avec elle est fondé sur sa spiritualité : qui ne trouve dans ses écrits que des phrases mystiques dont le sens est

 

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innocent : qui épuise toutes les inventions de son esprit et tous les efforts de son éloquence pour la dérober à la censure ; et qui se vante enfin d'avoir examiné en toute rigueur la variété de ses locutions, pour avoir droit d'en répondre, et d'assurer le public qu'il l'entend mieux qu'elle ne s'entend elle-même.

C'est le dénouement de cette parole qui a étonné tout le monde dans l'avertissement qui est à la tête du livre des Maximes des Saints (1). « Les Mystiques verront bien que je les entends : je leur laisse même à juger si je n'explique pas mieux leurs maximes que la plupart d'entre eux n'ont pu jusqu'ici les expliquer. » La voilà donc assez clairement cette mystique des mystiques, celle qu'on entend si bien, celle qu'on explique mieux qu'elle ne s'est expliquée : celle enfin dont on de voit faire par un livre mystérieux l'apologie secrète, en excusant son indifférence par celle du livre; ses derniers renoncements et son sacrifice extrême, par le sacrifice absolu ; l'exclusion dans la haute contemplation des attributs, et de Jésus-Christ, par de semblables dispositions; l'acte unique et continuel, par la totale uniformité qu'on met à la place : et le reste de cette nature, où l'on ressuscite, avec madame Guyon, Molinos et Falconi ses avant-coureurs.

Tels sont les préjugés, c'est-à-dire les choses jugées de cette cause : elles pronostiquent un semblable sort au livre de .M. de Cambray. Son obscurité affectée ne l'en doit pas sauver, puisqu'au contraire c'est une raison de le condamner : le rapport confus de ses expressions avec quelques-unes des bons mystiques justifierait Molinos aussi aisément que ce prélat. L'ambiguïté dans cette matière sera toujours suspecte à Rome, qui voit éclater de tous côtés les mauvais fruits du quiétisme, pendant que cette secte toujours attentive à son progrès, ne cherche qu'à se rallier sous un plus beau nom.

 

III.  Les cinq questions de M. de Cambray.

 

Venons aux autres sortes de préjugés. Nous les avons définis des raisons, sans entrer au fond : car dès qu'il y faut entrer, c'est

 

1 Avert., p. 28, 29.

 

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une discussion et non pas un préjugé; mais achevons la définition d'un préjugé : c'est donc une raison sans entrer au fond, pour bien présumer de la bonté d'une cause, ou même de s'en assurer. Mais qu'on parcoure les cinq questions où l'auteur réduit la matière, tout presque y dépend du fond. On en peut juger par la première : « La charité dans ses actes propres, et dans son motif essentiel, n'est-elle pas indépendante du motif de la béatitude (1) ? » Il faut ici revenir à discuter ce que veut dire motif essentiel, et quelle est l'indépendance de la charité dans son motif spécifique à l'égard du motif second, subordonné et moins principal : par là toutes les questions vont renaître rime après l'autre ; il faudra des deux côtés transcrire tous nos ouvrages précédents, et reprendre tous les arguments par lesquels j'ai démontré qu'on m'imposait. J'en dis autant des autres questions : par exemple de la cinquième : « N'est-il pas vrai que la passiveté dans laquelle les mystiques retranchent l'activité, c'est-à-dire les actes inquiets et empressés, laisse la volonté passive dans l'usage de son libre arbitre, en sorte qu'elle peut résister à l'attrait de la grâce (2)? » Autant de paroles, autant d'équivoques : on confond le vrai et le faux : la liberté dans les actes de vertu, qui ne fut jamais contestée, avec celle des actes discursifs dans l'oraison seulement, qui font toute la difficulté. Il faudra ici repasser tous les textes exprès des mystiques, qui prouvent si clairement la suspension des puissances dans l'exercice actuel de l'oraison qu'on nomme passive et de quiétude, que M. de Cambray lui-même qui veut la nier est contraint de la reconnaître : appellera-t-on cela des préjugés, ou plutôt l'inutile recommencement de toutes les disputes ?

Mais, dira M. de Cambray, j'allègue M. de Paris et M. de Chartres qui sont de mon sentiment ; c'est de quoi je parlerai peut-être ailleurs : maintenant qu'il ne s'agit que de préjugés, je n'ai qu'un mot à répondre. Ces deux prélats ont approuvé mon livre des Etats d'Oraison, où M. de Cambray prétend trouver tout le venin de ma doctrine, dans cette proposition, qu'on ne se peut « désintéresser par rapport à la béatitude, ni en arracher le

 

1 Préjug. déc., p. 1. — 2 Ibid., p. 2.

 

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désir à aucun acte raisonnable et délibéré (1). » J'ai avancé cette doctrine comme commune à toute l’Ecole, sans qu'on me put nommer un seul contradicteur ; et aussi est-ce sur cela que M. de Cambray dans la Réponse au Summa et dans ses autres écrits, sonne le tocsin contre moi comme contre l'ennemi commun. M. de Chartres adonné pourtant son approbation à ce livre : passera-t-on pour certain et sans discussion, que de si doctes prélats se contredisent eux-mêmes ? Je suis uni avec eux ; en commerce perpétuel d'une commune doctrine ; nos sentiments ne furent jamais différons : pour qui est le préjugé, si ce n'est pour nous contre M. de Cambray, qui a toujours tâché de nous désunir? Par exemple, M. de Paris, sans seulement songer à traiter à fond dans l'oraison de quiétude la suspension des puissances, où son dessein ne le menait pas, aura dit en passant, que les âmes de cet état paraissent liées, ou qu'elles sont comme liées (2), parce qu'en effet elles ne le sont pas si absolument, qu'il n'y ait des limitations à leur ligature tant pour les actes que pour le temps, où l'on n'a nul besoin d'entrer : quoi donc ? M. de Cambrai toujours prêt à pointiller sur des mots qui ne disent rien, détruira par un endroit si léger l'approbation authentique de tout un livre (3), où la suspension de l'acte de discourir est établie si amplement, si à fond, par tant de passages exprès et positifs de tous les mystiques ? Où est la bonne foi parmi les hommes, si de telles chicaneries (la vérité m'arrache ce mot) sont des préjugés, et encore des préjugés décisifs ?

Cette suspension des puissances est un des endroits (je ne sais pourquoi) où M. de Cambray revient le plus souvent, et où il triomphe le plus. Il a fait une ample réponse au Mystici in tuto : mais sans y parler d'un passage tranchant que j'y rapporte, où sainte Thérèse (4) et le bienheureux Jean de la Croix (5) ont dit d'un commun accord, que l’âme dans la quiétude ne pourrait pas discourir quand elle voudrait (6). Cet endroit est d'autant plus décisif qu'il est plus court, et qu'il n'y a point de locution plus forte ni

 

1 Etats d’Or., liv. X, n. 29. — 2 Préj., p. 5. — 3 Etats d’Or., liv. VI. — 4 Chât. de l’âme  6e dem., chap. VII. — 5 Vive flamm., caut. 3, 3e vers., § 6. — 6 Myst. in tut., n. 101, 173.

 

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plus naturelle pour exprimer une absolue impossibilité. Quand le concile de Trente veut expliquer nettement le pouvoir de résister à la grâce, il dit qu'on y peut résister si l'on veut. Lors, au contraire, que saint Augustin veut exprimer que sans le secours qu'il appelle sine quo, on ne pourrait pas persévérer, il répète trois à quatre fois qu'on ne le pourrait pas quand on le voudrait: sine quo non poterant perseverare si vellent (1). De même sainte Thérèse et le bienheureux Jean de la Croix concourent à exprimer la suspension absolue mais passagère du discours, par dire tout court qu'on n'y peut pas discourir quand on le voudrait : des préjugés aussi légers que ceux de M. de Cambray nous feront-ils abandonner des autorités si précises? Mais quoi? faudra-t-il aussi oublier la véritable impuissance qu'il a lui-même reconnue à l'égard de la prière vocale (2) ? ou dans les dernières épreuves, qu'une âme devient incapable de tout raisonnement, jusque-là qu'il ne s'agit plus de raisonner avec elle (3)? Qu'est-ce qu'une incapacité poussée si loin, sinon une impuissance absolue? M. de Cambray l'admet ici, et la blâme ailleurs comme un fanatisme. Je lui ai opposé ces raisonnements : je lui ai objecté ces passages et du bienheureux Jean de la Croix, et de sainte Thérèse, et les siens propres (4). Il les a vus dans un livre qu'il fait semblant de réfuter : il n'y répond pas un seul mot ; n'est-ce pas un préjugé qu'il n'a pas pu y répondre ?

 

IV. Les cinq préjugés.

 

Voyons maintenant ses cinq préjugés, pour savoir, si le système s'accorde avec le livre (5).

I. Le premier est que M. de Paris, MM. Tronson, de Beaufort et Pirot l'ont trouvé conforme (6) : donc, etc. Quelle faiblesse! premièrement, de vouloir qu'on décide par des préjugés d'un livre qu'on a entre ses mains ; et secondement, de donner pour un préjugé décisif un sentiment démenti par des actes publics.

II. « Cinq théologiens choisis par le Pape, » (et à qui M. de

 

1 De Corr. et Grat., cap. XI, XII, n. 31 et seq. — 2 Max., p. 157 — 3 Ibid., p. 90. — 4 Myst. in tut., n. 67, 173. — 5 Préj., p. 5. — 6 Ibid., p. 5, 6.

 

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Cambray donne de grandes louanges) « ont déclaré à Sa Sainteté, que le texte du livre pris dans son tout ne pouvait signifier qu'une doctrine très-pure (1). » Le nombre de cinq m'étonne: on dirait que M. de Cambray n'a eu que cinq examinateurs, et tous favorables à sa doctrine : mais si d'autres seniblablement nommés par le Pape, et les premiers, la jugent pernicieuse, est-ce un sujet de s'enorgueillir, d'avoir mis en division la théologie par ses ambiguïtés? Qui d'ailleurs nous racontera l'histoire de ses divers sentiments? et qui ne sait, par l'aveu de M. de Cambray lui-même (2), que ceux qui ont été les plus favorables à son livre, n'ont pu, tant il était clair, convenir avec son auteur d'un sens qu'on put opposer unanimement à ceux qui le condamnaient : eu sorte qu'ils ont entrepris de mieux entendre M. de Cambray qu'il ne s'entendait lui-même : comme il prétend expliquer madame Guyon mieux qu'elle ne s'est expliquée ? Voilà le nouveau mystère de ces livres contentieux : n'est-ce pas là, dans une affaire de cette importance, un préjugé bien avantageux et bien décisif?

III. Le troisième préjugé dépend du fond. Le texte du livre de M. de Cambray se concilie sans peine avec lui-même dans le sens catholique, et au contraire on n'y pourrait insérer le sens hérétique sans en détacher les différentes parties (3). C'est visiblement supposer ce qui est en question : c'est, dis-je, présupposer qu'on a raison, moyennant quoi bien certainement le tort tombera sur moi : et voilà ce qu'on appelle un préjugé. Mais on oublie que ce livre, dont le sens est si uniforme (4), fait une dispute parmi ses partisans, qui au grand étonnement de la chrétienté, n'ont pu encore convenir avec l'auteur de la manière de le défendre.

IV. Pour quatrième préjugé, M. de Cambray nous donne une dispute entre lui et moi sur la traduction de son livre (5) : il faut revoir toutes les raisons par où je l'ai convaincu d'altération de son propre texte, en quelques endroits essentiels, sans préjudice des autres que je n'ai pas cru devoir examiner. S'il fallait renouveler cette dispute, je n'aurais qu'à renvoyer M. de Cambray à ce

 

1 Préj., p. 6. — 2 Ire Lett. à M. de Ch., p. 55, 75, etc. — 3 Préj., p. 7, 8. — 4. Ire Lett. à M. de Ch., ibid. — 5 Préj., p. 8, 9.

 

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que j'en ai dit ailleurs (1), et surtout à cet argument auquel il n'a jamais répondu; que s'agissant de traduire, et non pas d'interpréter les Maximes des Saints, il n'y avait qu'à rendre le texte de mot à mot, sans y insérer des additions que j'ai démontré être fausses. J'ajoute à cette démonstration, qu'elle convainc M. de Cambray d'erreur manifeste.

Quand on lui reproche son sacrifice absolu dans le renoncement à l'intérêt propre éternel, à l'intérêt propre pour l'éternité (2) : il ne se sauve qu'en disant que l'intérêt propre éternel n'est pas le salut éternel (3). Je ne répéterai plus les raisons que j'ai opposées à de si frivoles échappatoires ; mais puis qu'on me rappelle aujourd'hui à la dispute sur l'altération de la version latine de son livre, elle confond manifestement M. de Cambray qui au lieu de ces mots français : L’âme fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité (4), traduit en latin : absolutè proprii commodi appetitionem mercenariam, quantum ad œternitatem pertinet, immolat ; c'est-à-dire l’âme sacrifie absolument le désir mercenaire de son intérêt propre en ce qui regarde l'éternité : où l'on voit à l'œil ces deux choses : l'une est les paroles que ce prélat ajoute à son texte : l'autre, encore plus essentielle, qui est que l'on sacrifie le désir de l'intérêt propre, en tant qu'il regarde l'éternité : ce qui ne peut être sans sacrifier l'éternité même. Je n'en dirai pas davantage sur ce prétendu préjugé : c'en est un grand, je l'avoue, mais contre l'auteur, puisqu'il n'y a rien qui démontre plus l'erreur et la fausseté dans un texte, que la nécessité de l'altérer pour le rendre, si l'on pouvait, supportable.

V. Le cinquième et dernier préjugé commence ainsi : « Le texte d'un livre doit passer pour correct et pour clair, quand on ne peut, après une vive contestation de près de deux ans, y reprendre aucune expression qui ne se trouve d'une manière encore plus forte et moins précautionnée dans les auteurs mystiques qui sont canonisés ou révérés dans toute l'Eglise (5) » La règle est sûre : il ne s'agit plus que d'en venir à l'application et à la

 

1 Relat., VIIe sect., n. 5; Rem. sur la Rép. à la Relat., art. 10, n. 4.— 2 Rép. à quatre Lett., n. 2; Max., p. 72, 90. — 3 Ire Lett. à M. de Meaux, p. 39. — 4 Max., p. 72, 90. — 5 Préj., p. 8.

 

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preuve : mais c'est à quoi M. de Cambray ne songera pas; et content d'une affirmation hardie : « Or est-il, continue ce prélat, qu'on ne marquera aucune des expressions de mon livre que je ne montre aussitôt, d'une manière encore plus forte, dans ces saints auteurs. » C'est ce qu'il faudrait examiner passage à passage : si ce n'est que pour le plus court, on convienne sans discussion, par un préjugé merveilleux et sur la simple parole de M. l'archevêque de Cambray, qu'il est le plus modéré et le plus précautionné de tous les mystiques.

Voilà ce qu'il appelle les cinq préjugés ; et de tous les noms, comme on voit, c'est celui qui convient le moins à un tel écrit. C'est un préjugé, mais contre vous, quand pour toute preuve vous répétez et vous supposez ce qui est en question : c'est sous un grand nom ne rien dire : ajouter à ces préjugés qu'ils sont décisifs, c'est mettre le comble à l'illusion : on montre que la raison manque, lorsqu'on prend sans raison de tels avantages.

 

V. Conclusion de l'auteur des Préjugés.

 

Cependant la conclusion de M. l'archevêque de Cambray n'en est pas moins triomphante. Qu'il me permette de l'arrêter à chaque mot. « Quand il y aurait dans mon livre des ambiguïtés qui n'y sont pas : » vous n'avouez même pas l'ambiguïté : vous étonnez tout le monde : « toute équivoque est levée par d'autres endroits : » il fallait l'éviter et non la lever. Mais si elle est si bien levée, que devient ce double sens, qui selon vous, règne partout, et dont vos amis n'ont pu encore convenir avec vous-même? «M. de Meaux devait m'inviter à m'expliquer sur ces endroits, au lieu de rejeter avec tant de passion les explications que j'ai offertes avec tant de déférence. » Hélas! quelle déférence ! ceux qui l'ont vue en sont encore effrayés: on déférait tout, pourvu qu'on emportât tout ce qu'on voulait, sans en rien rabattre. « M. de Meaux a prononcé lui-même contre sa conduite. Dans les expressions ambiguës, dit-il, la présomption est pour un auteur (2), » etc. Puisqu'il voulait me juger par mes paroles, il

 

1 Préj., p. 10. — 2 Prem. Ecrit de M. de Meaux, n. 5.

 

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fallait donc rapporter le passage entier ; le voici : « Nous approuvons les explications dans les expressions ambiguës : il y en peut avoir quelques-unes de cette sorte dans le livre dont il s'agit; et nous convenons que dans celles de cette nature, la présomption est pour un auteur, surtout quand cet auteur est un évêque, dont nous honorons la piété : mais ici où le principal de ses sentiments est si clair à ceux qui les examinent de près, il n'y a qu'à le juger par ses paroles expresses : » un peu au dessus : « Les explications qui visiblement ne cadrent pas avec le texte, constamment ne sont pas recevables, parce qu'elles ne sont pas sincères. » Voilà le cas où nous étions : et supposer le contraire, c'est donner pour préjugé une fausseté manifeste.

Sur ce fondement néanmoins, on voit paraître dans les Préjugés, une pièce de rhétorique achevée, qui commence en cette sorte : « Ici je ne veux point entrer EN PREUVE NI RAISONNER : je ne veux que faire des questions. Que doit-on penser d'un livre qui, loin de paraître ambigu à M. l'archevêque de Paris et à ces autres personnes si précautionnées, leur a paru au contraire correct et clair (1) ? » J'ai répondu à cette demande, et soit qu'on la donne comme un préjugé, soit qu'on la tourne en question, ce n'est qu'une redite sous un autre nom. C'en est une autre que de demander : « Que croira-t-on d'un livre que cinq grands théologiens ont trouvé dans la forme des paroles saines? » J'ai pareillement répondu à ce prétendu préjugé, qui n'en devient pas plus fort pour être changé en forme d'interrogation. Ces demandes répétées sans preuve, comme l'auteur en convient, seront-elles démonstratives, à cause qu'il les rebat douze ou quinze t'ois? Quand il aura dit mille fois que son livre est irréprochable, et que M. de Meaux n'a pu l'attaquer qu'en tronquant et altérant le texte (2), me fera-t-on l'injustice de ne pas voir mes réfutations plus claires que le soleil? Mais je n'ai pu attaquer ce livre qu'en attaquant toute l'Ecole. Cette fausse imputation tant de fois désavouée et tant de fois réfutée, non par des passages, mais par des traités exprès de M. de Meaux, deviendra-t-elle solide en la répétant sans preuve et sans raisonner? Il poursuit: « Que croira-t-on d'un

 

1 Préj., p. 10.— 2 Ibid., p. 12.

 

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livre que cet adversaire (M. de Meaux) aidé de tant de conseils, n'a pu attaquer qu'en se fondant sur des principes si faux qu'il n'ose les soutenir ouvertement, et si nécessaires à sa cause, qu'il ne peut encore aujourd'hui se résoudre à les abandonner, malgré toutes les instances que je fais pour l'obliger à se déclarer? » M. de Cambray veut-il être cru sur des allégations vagues et sur des discours en l'air, sans articuler ces doctrines que M. de Meaux, selon lui, n'ose ni avouer, ni désavouer? J'ai répondu cent et cent fois à ces vains reproches, et on n'a qu'à lire sans aller plus loin, cinq ou six pages des Remarques (1), pour voir le contraire de l'embarras que m'impose M. de Cambray. J'ai répondu à la division qu'on impute à trois prélats unanimes : j'ai répondu aux autres demandes de cette éloquente péroraison, et en voici seulement deux des plus importantes que j'ai réservées pour la fin.

La première est : « Que croira-t-on d'un livre, quand on voit que ceux qu'on avait si prévenus pendant que je demeurais dans le silence, ont ouvert les yeux, et m'ont fait justice dès qu'on a écouté les deux parties dans leurs écrits (2) ? » L'autre, qui tend à la même fin, et par où M. de Cambray conclut ses demandes : «Enfin que croira-t-on d'un livre, dont les défenses très-correctes sont déjà encore plus répandues que le livre même dans toute l'Europe (3) ? » A la fin donc M. de Cambray ne se contient pas : ravi de se faire lire par toute l’Europe, il croit l'avoir attirée à son sentiment. En effet il n'est pas jusqu'aux protestants qui ne le traduisent, ne l'impriment, et ne le louent. Mais sans entrer dans la thèse particulière, ni vouloir ôter à un auteur le petit plaisir de l'applaudissement dont il se flatte : si par de beaux tours d'esprit, et une agréable éloquence aidée de la nouveauté et delà curiosité, un orateur se fait lire, il croira que c'est préjuger en sa faveur, et ce sera là un argument de la solidité de sa doctrine ? Prenons-le d'un ton plus sérieux avec saint Paul. Si ceux dont cet Apôtre a écrit qu'ils errent et jettent les autres dans l’erreur (4), et que leurs discours gagnent comme la gangrène (5),

 

1 Rem., Concl., § 3. — 2 Préj. p. 12 — 3 Ibid., p. 23. — 4 II Timoth., III, — 5 Ibid., II, 17.

 

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réussissent durant un temps à se faire admirer dans le monde, ils n'auront qu'à dire qu'on a ouvert les yeux à la lecture de leurs livres, et à prendre pour un préjugé de la vérité, le succès qui achève de les plonger ou de les entretenir dans l'erreur? Les esprits solides ne se laissent pas éblouir si aisément ; et loin d'être flattés par les louanges qu'on donne à leur éloquence et à leur esprit, ils craignent dans de tels applaudissements ce progrès en mal, dont parle l'Apôtre : Proficient in pejus (1). Pour ce qui est des défenseurs de la vérité, la solidité doit être leur partage. Ainsi ils ne seraient pas étonnés, même d'un plus grand succès que celui dont se vantent leurs adversaires, ni des malheureux progrès de l'erreur, bien instruits par le Saint-Esprit que ces progrès ont leurs bornes ; et que leur erreur, leur égarement, que saint Paul appelle leur folie, sera connue de tout le monde (2).

Loin donc du milieu de nous les préjugés qu'on nous vante : si l'on en veut de solides et de véritables, je les exposerai en peu de mots, et je dirai à mon tour :

Que peut-on croire d'un livre, que dès le commencement l'on cache à ceux dont on voulait expliquer la doctrine ?

Que peut-on croire d'un livre qui est condamné par actes publics de ceux dont on vante l'approbation secrète ?

Que peut-on croire d'un livre dont l'auteur, après y avoir promis une entière précision et un éloignement de toute équivoque, n'en a pu venir à bout, et le remplit d'ambiguïtés?

Que peut-on croire d'un livre où il règne partout un double sens de l'aveu de son auteur, et, que ses amis ne peuvent défendre qu'en abandonnant le seul dénouement qu'il leur donne ?

Que peut-on croire d'un livre dont les explications toujours variables, se détruisent les unes les autres : en sorte que leur auteur, après les avoir données sous les yeux de Dieu comme son sens unique et primitif (3), les élude dans la suite en les donnant comme empruntées ?

Que peut-on croire d'un livre dont l'auteur, invité par ses amis à une conférence amiable, la refuse constamment sous toutes les

 

1 II Timoth., III, 13. — 2 Ibid., 9. — 3 Ire Lett. à M. de Chartres, p. 56, etc.

 

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conditions les plus équitables, encore qu'il n'ait à craindre que la seule force de la vérité ?

Que faut-il croire d'un livre dont l'auteur ne cherche qu'à éviter le jugement par la continuelle introduction de nouvelles questions (1), et en jetant ses juges, s'il pouvait, dans des discussions infinies ?

Je n'en veux point d'autre preuve que ces paroles des Préjugés : « Ces défenses (de son livre, répandues par toute l'Europe) ne peuvent plus être séparées du livre qu'elles justifient : elles ne font plus avec ce livre qu'un seul ouvrage indivisible dans son tout (2). » Ainsi l'examen du livre qu'il a lui-même déféré au saint Siège, ne suffit plus : ce livre est inséparable de l'infinité des livres publiés pour sa défense : tout cela ne fait qu'un même tout, sur lequel il faut prononcer par un seul et même jugement : on ne doit prononcer qu'après un examen de ce tout. S'il plaît à M. de Cambray avec son inépuisable fécondité, d'écrire de nouveaux livres, il faudra les joindre au procès ; et la décision du saint Siège, qu'il fait semblant de presser, sera prorogée jusqu'au jugement universel : y a-t-il une illusion plus manifeste ?

Enfin que peut-on croire d'un livre dont l'obscurité et l'ambiguïté fait la défense ? Expliquons-nous . les défenseurs de M. de Cambray sauvent son livre à son exemple, parce que s'il y a des obscurités en un endroit, elles sont éclaircies en d'autres, en sorte que le tout est bon : mais c'est là un des artifices dont on s'est servi pour excuser tous les mauvais livres : les auteurs suspects n'ont point eu d'autres ressources, et ils ont tâché de trouver dans leurs écrits des correctifs de tout ce qu'ils ont avancé contre la saine doctrine. On ne trouve dans aucuns auteurs plus de ces sortes de correctifs que dans Origène : mais cela ne l'a pas sauvé des justes censures de Théophile d'Alexandrie, du pape saint Anastase et du concile V, encore que plusieurs saints l'eussent appelé le maître des églises. Si l'on eût consulté les équivoques des demi-ariens sur l'éternité et sur la divinité du Fils de Dieu, et qu'on eut voulu excuser une parole par une autre, on n'aurait pu les confondre, ni condamner leur erreur. On n'ignore pas les

 

1 Rem., Concl., § 3, n. 17. — 2 Préj., p. 13.

 

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équivoques de Nestorius sur l'unité de la personne en Jésus-Christ, et sur la qualité de Mère de Dieu. Celles de Théodore de Mopsueste ont donné lieu à un Facundus et à d'autres grands hommes, de lui chercher des excuses et des correctifs dans ses livres, lors même qu'on en condamnait la doctrine ; mais elles n'ont pas suspendu l'effet d'une si juste condamnation. Les eutychiens n'ont pu se soustraire à la censure de l'Eglise en conformant leur langage à celui des orthodoxes, avec une telle adresse que souvent on a peine à les distinguer. Cependant l'Eglise a persisté à ne pas prendre des contradictions pour des correctifs, ni des ambiguïtés pour des excuses. Mais où l'on voit l'équivoque et l'obscurité régner avec le plus d'artifice, c'est dans l'erreur des monothélites. On n'a qu'à voir les expressions sublimes en apparence d'un Théodore évêque de Pharan, et des autres chefs de cette secte (1) : mais l'Eglise n'a point reçu leurs excuses, ni leurs prétendus correctifs, encore que quelquefois, et quelques-uns d'eux le plus souvent parlassent si bien le langage des orthodoxes, qu'on a encore aujourd'hui beaucoup de peine à trouver des caractères certains pour les distinguer. L'esprit de l'Eglise est de dire à ces correcteurs ambigus de leurs propres propositions : Parlez nettement : ne tenez point un langage douteux : ne laissez aucune ressource aux novateurs : et au lieu de les excuser sous prétexte qu'ils auront dit en quelques endroits des choses peu accordantes avec l'erreur ; au lieu, dis-je, de les excuser par cette contrariété, elle leur a attiré, ainsi que nous l'avons expliqué ailleurs (2), comme une nouvelle qualification de s'être combattus  eux-mêmes : Qiu etiam sui ipsius extitit impugnator. Les béguards n'ont pu tromper le jugement de l'Eglise par toutes les excuses que leur ont fourni un Eckard, et les autres hommes dont la piété fut trompée par leurs belles expressions. Vous devez savoir les mauvais sens que Molinos, que madame Guy on et les autres ont enveloppés de belles paroles : pariez nettement, encore un coup, vous qui dites que vous n'écrivez que pour confondre les faux mystiques ; et loin d'espérer que vos ambiguïtés, ou vos

 

1 Concil. Later., sub Mart. I; collat. 3; ap. Labb., Concil., tom. VI, act. XIII, col. 957. — 2 Inst. sur les Etats d'Or., liv. X, n. 1.

 

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contrariétés que vous donnez pour des correctifs, tiennent lieu d'excuse, elles seront une des raisons pour vous condamner.

Voilà de véritables préjugés, c'est-à-dire des choses jugées, comme je l'ai remarqué au commencement : ou en tout cas des arguments, sans entrer au fond, qui condamnent M. de Cambray. J'ajouterai ce dernier et inévitable préjugé. On doit préjuger contre celui qui change l'état de la question, et qui veut nous faire accroire que nous condamnons la pureté de l'amour telle qu'elle est enseignée par l'Ecole, au lieu que nous n'attachons notre juste condamnation qu'au faux amour pur que ce prélat veut établir. Il est vrai qu'il faut un peu entrer dans le fond pour bien entendre ce préjugé : mais c'est très-légèrement, et d'une manière si facile et si décisive, qu'on peut dire que l'embarras de la discussion ne s'y trouve point. Car il n'y a qu'à lire quelques lignes du livre des Remarques (1), pour y voir ces deux faits cons-tans : l'un, que nous n'avons jamais attaqué l'amour pur de l'Ecole : l'autre, que j'ai mis en fait que l'amour pur de M. de Cambray distingué et mis au-dessus de celui-là, n'avait jamais été enseigné par aucun docteur : c'est un fait qu'on a articulé, sur lequel on ose encore assurer que M. l'archevêque de Cambray ne répondra jamais qu'en biaisant. On l'assommé de nommer un seul auteur, s'il en avait : il n'en a nommé aucun : il n'a pas même répondu un seul mot à cette précise interpellation de nous indiquer ses auteurs : c'est pourtant à quoi il fallait répondre ; et faute de l'avoir seulement tenté, on peut donner avec confiance pour dernier et invincible préjugé contre le livre de ce prélat, qu'encore qu'il ait cité tant d'auteurs, il n'en a pu nommer un seul pour son prétendu amour pur distingué de son quatrième degré, qui est principalement ce qu'il avait à prouver.

Pour ce qui est des préjugés qui ne consistent, comme il l'avoue, qu'à des demandes sans preuves, et là des propositions qui désireraient une discussion qu'il ne fait point ; c'est, sous le nom de préjugés des redites perpétuelles. En auteur persuadé qu'il impose à ses lecteurs autant qu'il lui plaît, se joue de leur crédulité; c'est ce que fait trop visiblement un prélat qui n'était pas né

 

1 Rem., Concl., § 3, n. 3, 4.

 

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pour prendre de tels avantages; et au lieu de se défier en homme grave de la trop facile croyance qu'on pourrait prêter à ses préjugés sans raison, il les donne pour arguments décisifs de la bonté de sa cause.

En finissant ce petit ouvrage, il me tombe entra Les mains un écrit intitule : Les principales prépositions du livre des Maximes des Saints, justifiées par des expressions plus fortes des saints auteurs. Je ne sais pas de quelle date il est, non plus que celui-ci, que les affidés ont vu, à ce que j'apprends, il y a déjà quelque temps. M. de Cambray dit lui-même dans sa Réponse aux Remarques (3), qu'il y a des livres qu'il ne veut répandre qu'à Rome. C'est encore un préjugé de la bonne cause, de négliger ces petits mystères, et donner d'abord à toute la terre ce que nous écrivons, en sorte que ce prélat le voie aussitôt que nous. Je réponds actuellement au livre que j'ai indiqué, car il ne faut pas être moins infatigable à défendre la vérité qu'on l'est à l'attaquer ; et ceux qui répandent dans le monde avec tant de soin, à l'exemple de toutes les sectes nouvelles, que ce sont ici des querelles et des intérêts particuliers; ou, comme disaient les pélagiens, des questions de pure dispute, et non point de la foi ; res quœstionis, non fidei : s'ils ne sont pas encore désabusés de cette erreur, qui a servi d'introduction à toutes les nouveautés, verront bientôt qu'on ne serait jamais entré dans cette dispute, s'il ne s'agissait du fond de la piété, de la règle de l'Evangile, en un mot de l'essence du christianisme.

 

1 Rép. aux Rem., p. 107.

 

FIN DE LA RÉPONSE AUX PRÉJUGÉS DÉCISIFS.

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