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LES PASSAGES ÉCLAIRCIS

OU

RÉPONSE AU LIVRE INTITULÉ

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DU LIVRE DES MAXIMES DES SAINTS, JUSTIFIÉES PAR DES EXPRESSIONS PLUS FORTES DES SAINTS AUTEURS

 

Avec un Avertissement sur les signatures des docteurs, et sur les dernières lettres de M. l'archevêque de Cambray.

 

 

AVERTISSEMENT

SUR

LES SIGNATURES DES DOCTEURS ET SUR DERNIÈRES LETTRES DE M. L’ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY A L’AUTEUR.

 

Pendant que j'achève cet ouvrage, et que j'en prépare la suite, si elle est encore jugée nécessaire pour l'instruction des fidèles, il tombe deux nouveaux livres entre mes mains, avec ce titre qui me surprend : Première lettre de M. l’archevêque de Cambray à M. l’évêque de Meaux, sur les douze propositions qu’il veut faire censurer par des docteurs de Paris : la seconde lettre paraît sous une inscription semblable. Tout le monde sait, et M. de Cambray ne l'ignore pas, que ces douze propositions ont été extraites, qualifiées et signées, sans que j'en aie seulement entendu parler, loin que j'eusse la moindre part, ni à l'exécution, ni au conseil même. Il nous est venu de Cambray une Relation toute à l’avantage

 

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de ce prélat, où l’on nomme d'autres auteurs de la consultation et d'autres instigateurs de ces signatures, sans me mettre dans ce dessein. Cependant comme il ne cherche avec moi que des occasions de querelle, il commence sa lettre en ces termes : « Je m'adresse à vous comme à la source de tous les desseins formés contre moi, et je prends toute l'Eglise à témoin du dernier qui éclate (1). » Voyons si l'on ne prend pas contre moi l'Eglise à témoin d'une chose qui n'est pas. « Il s'agit, continue-t il, de cette censure de douze propositions qui ont été extraites de mon livre selon vos vues. » Prenez bien garde, me dira-t-on, il pourrait bien s'être préparé une évasion, en disant qu'il n'assure pas que je les aie extraites moi-même ; mais qu'elles sont extraites selon mes vues; et c'est ainsi qu'il voudra peut-être que j'en sois la source. Mais la suite ne laisse aucun doute, et on parle à moi trop clairement dans cette interrogation : « Pourquoi n'avez-vous pas rapporté mes paroles dans toute leur étendue, pour rendre le sens complet ? » Un peu après : « Vous est-il permis de tronquer mon discours? » Et encore dans la même page : « En ne prenant que la moitié de mes paroles, vous voulez me faire enseigner l'impiété : » c'est donc moi qu'on veut faire l'auteur de l'extrait. « Vous faites, ajoute-t-il, un dilemme fondé sur cette altération (2) : » je suis donc, encore un coup, l'auteur de la pièce. Enfin il joint à l'accusation les reproches les plus amers : « Remarquez trois choses, Monseigneur, ou plutôt souffrez que les docteurs les remarquent, et reconnaissent le piège que vous leur avez tendu (3). » Occupé dans mon diocèse à toute autre chose qu'à cette censure, sans en avoir seulement entendu parler, je tendais des pièges à ceux à qui je ne songeais pas; j'encourais sans le savoir la malédiction de ceux qui entraînent les autres dans l'abîme, et qui égarent les aveugles dans le grand chemin. Il n'y a donc plus à douter : on prend toute l'Eglise à témoin d'une fausseté mani-

 

1 Ire Lett. de M. de Cambray à M. de Meaux, sur la censure des docteurs de Paris, p. 3. — 2 Ibid., p. 9, 11. — 3 Ière Lett. etc., p. 32.

 

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manifeste, et on emploie à la soutenir le plus grave témoignage qui soit sur la terre. Mais quoi? parle-t-on ainsi sans preuve? y a-t-il quelque loi divine ou humaine qui en donne la permission? mais soutient-on une si atroce accusation, de la moindre conjecture? Non, toute la raison, c'est que M. de Cambray le veut ainsi : tout lui est bon, pourvu qu'il me rende odieux à toute la terre, en m'imputant toutes les actions qu'il croit criminelles . m'est-il du moins permis de demander si cet acharnement est compatible avec la charité ? Seul, on me charge de tout impunément : je suis celui contre qui l'on n'a pas besoin de preuve, et mon nom suffit pour me condamner.

Ne répondez point : Est-il croyable qu'on ait fait sans vous une chose de cette importance ? est-ce une nécessité de consulter un absent ou de l'attendre, quand on croit qu'une affaire presse? Mais sans tout ce raisonnement, j'en reviens toujours à dire : La charité, qui n'est ni querelleuse, ni soupçonneuse, ni contredisante, et qui ne pense pas le mal, croit-elle ce qu'elle veut sans témoignage; ou le dit-elle au hasard, pour charger quelqu'un que l'on voudrait pouvoir déshonorer ?

Pour moi, j'atteste la sincérité du oui et du non des chrétiens, contre laquelle il n'est pas permis de s'élever sans raison, non plus que d'accuser son frère sans preuve, que je n'ai rien su de ce qu'on faisait. On persiste néanmoins à me l'imputer : la seconde lettre n'est pas moins outrée ni moins aigre que la première. « Les docteurs éblouis, me dit-on, n'ont lu à la hâte qu'une proposition détachée, où ils ont cru voir sur votre parole, que la chair ne se soulève plus. Mais il faut que vous ne leur ayez pas même donné le temps d'examiner dans le texte la période entière ». » J'étais bien pressant de si loin. « Vous croyez apparemment, poursuit-on, que les fautes ne sont plus fautes, pourvu qu'on les pousse à bout avec une pleine autorité (2)?... En

 

1 IIe Lett. de M. de Cambray à M. de Meaux, sur lu censure des docteurs de Paris, p. 9. — 2 Ibid., p. 10, 11.

 

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quelle conscience avez-vous pu supprimer les paroles qui suivent immédiatement celles-là? » S'il en appelle à la conscience, qu'il en reçoive le témoignage devant Dieu : « Voilà, me dit-on encore, tout ce que vous supprimez contre votre confrère, afin de pouvoir présenter aux docteurs un fantôme d'impiété qui leur fasse horreur (1). » Mais s'il vous est permis de pousser si loin un fantôme d'impiété, que vous me faites imaginer contre mon confrère, comment soutiendrez-vous devant Dieu ce que vous inventez contre le vôtre ? «Je dois faire remarquer, continuez-vous,

combien la proposition est tronquée dans votre extrait..... Mon

texte est incapable du sens horrible que vous y mettez (2). » Enfin à toutes les pages, « j'ai retranché, j'ai supprimé, j'ai tronqué : au lieu d'ouvrir les yeux moi-même, je n'ai songé qu'à fermer ceux des censeurs, dont j'ai, me dit-on, voulu conduire la plume : et voilà, conclut-on, ce qui vous a fait plus de mal devant Dieu, que vous ne sauriez jamais m'en faire auprès des hommes (3). » Me voilà jugé avant le jugement de Dieu sur un fait où son œil, qui voit tout, sait que je ne suis mêlé en aucune sorte. J'ai joint le scandale au crime, et, « telle est, dit-on, cette censure irrégulière, par laquelle vous voudriez justifier ce que le public scandalisé rejette sur vous (4). »

M. de Cambray a été si bien informé, qu'il sait même combien de temps j'ai caché cette censure clandestine. « Pour moi, dit-il, j'ai compris dès le commencement quelles devaient être vos raisons, pour cacher depuis plus de deux mois si mystérieusement cet acte. Vous n'avez mis votre espérance que dans le secret. Ainsi loin de communiquer ingénument toutes choses à votre confrère, pour l'éclaircissement de la vérité ; vous n'avez cherché qu'à fuir la lumière, et à lui porter par surprise des coups d'autant plus mortels, qu'il ne pouvait ni les parer, ni même les

 

1 IIe Lett. de M. de Cambray à M. de Meaux, sur la censure des docteurs de Paris, p. 25. — 2 Ibid., p. 28, 29. — 3 Ibid., p. 31, 32, 35, 40, 45. — 4 Ibid. p. 59.

 

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apercevoir (1). » La trahison est jointe au coup mortel : on ne prêche qu'ingénuité, et ce qu'on doit à un confrère, pendant qu'on attribue au sien les attentats qu'on croit les plus noirs : on se confie en son éloquence, on croit pouvoir persuader tout ce qu'on veut, et on ne veut pas que je déplore une éloquence qui fait tout oser.

Au reste un sage lecteur entend assez, sans qu'il soit besoin de l'en avertir, que l'injustice du procédé dont je me plains dépend uniquement de la manière dont M. de Cambray a pris la censure. Car au fond, pour la justifier il ne faut qu'un mot. Ce prélat a rempli tout Rome et toute la terre, du grand nombre des sectateurs dont il se vantait dans la Faculté de Paris. Tous ses écrits le portent encore : et si l'on en croit ses amis, la seule violence empêche les docteurs de se déclarer pour le livre des Maximes des Saints. Si à la fin, on a trouvé à propos de les réfuter par le fait constant des signatures contraires, on n'a point cherché pour cela à prévenir l'Eglise romaine, mais à dissiper une prévention dont on tâchait de l'éblouir. Quand les mêmes qui vantaient sans cesse la Faculté de Paris, pour ne point ici parler des autres, ont dit que les soixante docteurs qui avaient signé d'abord , faisaient une trop petite partie d'une Faculté si célèbre et à la fois si nombreuse ; avec la même facilité on a augmenté les signatures jusqu'à deux cent cinquante. S’étonne-t-on que depuis deux ans qu'on ne parle d'autre chose parmi les docteurs, il s'en soit trouvé un si grand nombre qui se soient crus prêts à condamner un petit livre, qui d'abord et dès la première lecture, les avait tous scandalisés au point que tout le public a vu de ses yeux ? S'il s'en est trouvé quelques-uns qui aient voulu plus de temps pour délibérer, ou sur la forme, ou sur la matière, et sur quelque circonstance particulière, ou sur quelque raison politique ou de bienséance, on les a laissés à leur liberté, sans les presser davantage et sans se fâcher de leur délai, ni même de leur refus. Au reste

 

1 Ière Lett., p. 3,4.

 

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on peut défier M. de Cambray d'en nommer un seul qui ait allégué pour excuse qu'il approuvait le livre que l'on censurait, ou qu'on en ait remarqué un seul partisan dans un aussi grand corps que la Faculté.

Après un motif si simple et si solide, tous les attentats contre le saint Siège qu'imagine M. de Cambray dans ces signatures, tombent d'eux-mêmes ; et loin qu'on soit obligé d'y répondre, il serait même irrespectueux de les répéter. Il y a des puissances sur la terre dont le nom même s'attire un si grand respect, que c'est en offenser la majesté que de présumer qu'on puisse penser contre elles de certaines choses. Aussi ne nous revient-il par aucun endroit que Rome se plaigne du procédé qu'on a tenu en cette occasion.

Il me suffit pour justifier mes confrères les docteurs, de raconter sans déguisement, et comme tout Paris l’a vu, l'histoire de leur signature. Ce sont à la vérité des docteurs particuliers, qui se sont unis pour repousser une calomnie qu'on voulait faire à leur ordre jusqu'aux yeux du Pape : mais on peut bien assurer que les délibérations les plus solennelles, n'ont guère été composées de tant de véritables vocaux. C'était les religieux qu'on voulait faire les défenseurs du faux pur amour du cinquième rang, et de ses suites affreuses : c'était donc les religieux qu'il fallait donner pour témoins. Si l'on ne s'est pas réduit au nombre de ceux qui opinent dans les assemblées publiques, c'est qu'il s'agissait d'une simple consultation particulière, action dont la Faculté n'eut jamais l'intention de les exclure. La même raison y a fait admettre quelques docteurs du nombre de ceux qui n'ont pas acquis le temps ni fait l'acte nécessaire pour acquérir le droit de suffrage dans les assemblées, mais qui pour cela n'en signent pas moins dans les délibérations et consultations particulières. M. de Cambray, je l'avoue, n'est pas obligé de savoir ces coutumes de la Faculté : mais aussi ne les sachant pas, il ne devait pas en parler. Il devait encore moins faire imprimer un Mémoire

 

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sur cette consultation, où il fait deux cent cinquante docteurs, c'est-à-dire deux cent cinquante prêtres qualifiés dans l'Eglise et dans une si fameuse Université, également prêts à signer le pour et le contre par complaisance pour leur archevêque (1). Il ne craint point de scandaliser tant de pieux prêtres, ni le peuple qui les voit paraître tous les jours au saint autel avec édification. Voici les paroles du Mémoire : « On est fort persuadé que les docteurs qui ont signé contre M. de Cambray, auraient signé en sa faveur, si M. l'archevêque l'avait désiré (2). » C'est ainsi qu'il faut parler pour se faire croire : on ne peut être trop peu ménagé, trop affirmatif. On ne songe pas qu'un mémoire de cette sorte n'est autre chose au pied de la lettre, qu'un libelle diffamatoire contre un si grand nombre de prêtres docteurs; et ce qui est pis encore, contre un si saint archevêque, dont on vient, autant qu'on peut, soulever le peuple par des écrits sans aveu qu'on répand dans la propre ville de son siège, et dans une ville comme Paris. On sait pourtant l'origine de ce Mémoire scandaleux; on voit pour qui il est fait, et d'où il est répandu : la chose est publique, et on n'en fait point de scrupule, tant on se croit tout permis, pour autoriser un parti qui a les chefs que l'on connaît. En quoi l'on commet trois fautes capitales contre la vérité et la charité : l'une, de faire un crime et un attentat contre le saint Siège, d'une action que les conjonctures rendaient nécessaire : l'autre, de la revêtir de circonstances atroces qu'elle n'eut jamais : et la troisième, d'en accuser ceux qui n'y ont nulle part comme s'ils en étaient les auteurs.

Ce qu'il y a ici de merveilleux, c'est que pendant qu'on élève ses cris jusqu'au ciel contre les signatures de Paris, l'on en tente secrètement à Louvain sur quatre propositions, où l'on déguise les miennes sur la charité. Ainsi tout ce qu'on fait contre M. de Cambray est un attentat : tout ce qu'il fait sourdement est bon,

 

1 Mémoire sur la consult. signée par des docteurs de Paris, contre le livre de M. l'archevêque de Cambray. — 2 Ibid., p. 3.

 

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et il semble vouloir imiter le langage de ceux qui disaient : Tout ce que nous entreprenons est saint : Quod volumus sanctum est. On a bien vu l'artifice ; et sans pénétrer plus avant dans ce secret, un évoque est en repos du côté de cette savante Faculté, lorsque appliqué durant trente ans à défendre la foi catholique selon la médiocrité de son pouvoir, Dieu a fait qu'il n'a jamais rien écrit de suspect, et que dans la question particulière sur laquelle on voudrait l'inquiéter, il n'a fait que suivre de mot à mot non-seulement ces fameux docteurs des Pays-Bas, Estius et Sylvius, mais encore saint Augustin et saint Thomas, qu'eux et toutes leurs Facultés reconnaissent pour leurs maîtres (1).

Je voudrais qu'il me fut permis, sans passer les bornes de cet Avertissement, de repasser sur la calomnie que continue contre moi la dernière Lettre, sur la seule raison d'aimer, dont je n'ai jamais écrit une syllabe. Cependant on s'opiniâtre, sur le droit, à m'attribuer une doctrine que j'ai réfutée vingt et trente fois par des traités exprès (2). Dans le fait M. de Cambray dit que j'ai lâché trois de mes disciples, encore qu'il y en ait deux qui nie sont entièrement inconnus ; l'un desquels se montre mon disciple en écrivant ouvertement contre moi et pour M. de Cambray : voilà ceux dont on veut me rendre garant : je demande, sans exagérer et sans élever ma voix, seulement si on le peut en conscience. Pour l'auteur des Désirs du ciel, on ose assurer « qu'il a appris dans mon école à dégrader la charité (quelles paroles !), et à réduire toute la religion à un amour de concupiscence pour Dieu. » On lui impose, il faudrait citer quelques-unes de ses paroles ; on ne l'a pu faire : il faudrait répondre aux passages exprès de

 

1 Div. Ecrits. Ve Ecr., n. 9. Préf. sur l'Instr. past., n. 88 et suiv. Sch. in tuto, quœst. II, art. 5; quœst. V, art. 10; quœst. XVI, art. 12. — 2 Etats d'Or., liv. X, n. 29; addit., n. 3, 4, 7, 8, Summ. doct., n. 7, 8. Div. Ecrits; Avertiss., n. 9. IIe Ecrit, n. 5, 10. IVe n. 2, etc. 21. Ve Ecrit, n. 9-11. Préf. sur l'Instr., past., n. 38, 39, 97. Rép. à quatre Lett., n. 14, 16, 18. Schol. in tut., Prolog., quœst. I, art. 1 ; quœst. II, art. 1, 5, 8, 10 ; quœst. III, art. 2, 3; quœst. IV, art. 2; quœst. V; art. 9, 10, 11 ; quœst. VI, art. I, 2; quœst. VIII, art. 2, 3 ; quœst. XII, art. 8,9, 11 ; quœst. XIII, art. 1 ; quœst. XVI, art. 2-4, 24. Quiet. rediv., adm. n. 5. Rem. sur la Rép., Concl., § 3.

 

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l’Ecriture, dont son livre est un tissu : on m'impose encore plus, puisque personne n'oserait nier que je n'aie toujours soutenu sur ce sujet la doctrine commune de l'Ecole et de saint Thomas (1).

C'est avec saint Thomas, c'est avec toute l'Ecole, c'est avec saint Augustin de mot à mot, que j'ai posé le principe de la béatitude, comme clair, comme universel, comme incontestable. M. de Cambray ne le peut souffrir : c'est, dit-il (2), un raisonnement de païen, c'est Cicéron que saint Augustin cite : il oublie qu'il ne cite Cicéron que comme un témoin de la voix commune du genre humain, et des chrétiens comme des philosophes. La troisième de ses dernières lettres renouvelle cet argument : selon lui on n'a recours à ce principe, que lorsqu'on a abandonné toutes les écoles chrétiennes (3) : il le fait dire à mon prétendu disciple, pour ensuite me le faire dire à moi-même : « Il cherche, dit-on, et moi après lui, dans les philosophes païens, dans Caton, dans Torquatus, dans Cicéron, les témoins de la tradition, et les principes fondamentaux de la théologie : » comme si c'était une nouveauté que la grâce fût fondée radicalement sur la nature, ou que ce ne fût pas toute l'Ecole, saint Thomas, saint Augustin, Jésus-Christ même qui excitât tous ceux qu'il attirait du dehors, et ceux qu'il réunissait au dedans, c'est-à-dire tous les fidèles, les apôtres comme les autres, et les parfaits comme les imparfaits, en leur proposant pour fin commune la béatitude. Et parce que je propose ce même principe, que nul n'a nié, que nul n'a omis, comme le principe commun de toute morale ; je suis un païen ; je ne songe plus que je parle au milieu de l'Eglise ; je paganise dans le sanctuaire, et je traite comme les païens les secrets de l'Epoux et de l'Epouse : voilà ce qu'on me reproche : tant on se laisse entraîner à une immense profusion de belles paroles.

On voit bien que je ne fais qu'effleurer cette doctrine : on en verra dans la suite quelque autre partie, autant qu'il se trouvera

 

1 Voy. les Etats d'Or.; le Sch. in tut.; les div. Ecrits, etc., aux lieux cités ci-dessus. — 2 IIe Lett. en rép. à M. de Meaux, p. 26. — 3 Lett. sur la char., p. 9.

 

 

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convenable à la matière que j'ai entreprise : mais avant que de l'entamer, il faut dire encore un mot important sur les signatures.

C'est à leur occasion que M. de Cambray travaille à rendre impossible l'examen de son livre. On n'en peut examiner aucun sans le réduire en propositions particulières, mais c'est là précisément ce qu'il blâme dans la censure des docteurs. « C'est, dit-il, vouloir défigurera plaisir ce qui est bon en soi, pour le rendre odieux, que de démembrer mon ouvrage par propositions détachées (1). » Que veut-il donc que l'on fasse ? quoi ? que l'on transcrive tout un livre, et puis qu'on le qualifie d'un seul trait sans entrer dans aucun détail ? Mais écoutons la raison : « Les membres de ce corps ainsi déchirés, et épars çà et là, ne seraient plus que des morceaux inanimés, informes et altérés. » Voilà sans doute de belles paroles, mais qui n'ont aucun sens non plus que celles qui suivent : « Nul ouvrage n'est bon qu'autant qu'il a une vraie unité qui le rend tout entier simple et indivisible : dès qu'on le coupe par morceaux, il n'est plus lui-même, et chaque morceau ainsi tronqué, n'est plus l'ouvrage de l'auteur. » Ainsi on n'a qu'à prétendre que son ouvrage est bon et uni, pour le rendre non-seulement incensurable, mais encore inexaminable. Aussitôt qu'un auteur aura prononcé « qu'il a voulu qu'on ne lût ses propositions que dans leur place naturelle (2), » et que de les considérer en particulier c'est les tronquer : aussitôt il est à couvert de toute censure : vit-on jamais une plus étrange imagination ? Ce prélat en a senti l'absurdité, et il ajoute : « Je suis bien éloigné de prétendre que l'Eglise ne puisse pas, quand elle le juge à propos, condamner certaines propositions d'un livre, qui renferment plus sensiblement que les autres le venin de l'erreur. » Mais si ce n'est pas cela que vous prétendez, qu'avez-vous donc à reprendre dans les extraits des docteurs ? qu'ont-ils voulu autre chose, que de marquer les propositions où le venin se faisait sentir ?

 

1 Ière Lett., p. 8. — 2 Ibid., p. 7.

 

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tir? On ne fit jamais autrement de censure particulière, ni juridique, ni doctrinale, et toutes les belles paroles sur l'unité d'un ouvrage s'en vont en fumée.

L'auteur tâche de se sauver en cette sorte : « Je soutiens seulement qu'on ne prend jamais en rigueur grammaticale certaines propositions détachées d'un livre, lorsqu'elles ne contiennent qu'un langage ordinaire aux saints, et qui est expliqué dans un sens très-contraire à l'erreur par tout le texte du livre même. » Quelle involution de discours ! mais après tout, cela même c'est la question, et si c'est assez de prétendre que son langage est ordinaire aux saints pour le soustraire à toute censure, l'auteur s'est préparé un beau moyen pour éluder non-seulement celle des docteurs, mais encore celle à laquelle on doit croire qu'il est soumis. Savoir au reste si son langage est le langage ordinaire des saints, c'est le sujet de ce livre. Du moins M. de Cambray ne dira pas, comme il a dit tant de fois, que c'est vouloir éloigner la décision qu'on attend, que de ne le laisser pas parler le dernier : c'est déjà se contredire soi-même, que de m'écrire lettres sur lettres, et en même temps me défendre d'y répondre : mais après tout l'Eglise maîtresse va son train réglé : sans avoir besoin de nos livres, sans se laisser amuser au spectacle qu'un prélat ingénieux donne aux beaux esprits, elle procède à son examen avec toute sa maturité et sa vigilance. Peut-être que la sentence est déjà donnée. Pour moi, je n'ai jamais prétendu que mes écrits fussent nécessaires à autre fin qu'à prévenir dans le peuple le mauvais effet des ouvrages très-séduisants d'un prélat dont les airs affirmatifs imposent aux simples. Que ses partisans cessent de vanter son bel esprit et son éloquence : on lui accorde sans peine qu'il a fait une vigoureuse et opiniâtre défense. Qui lui conteste l'esprit ? il en a jusqu'à faire peur, et son malheur est de s'être chargé d'une cause où il en faut tant.

 

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