Passages Éclaircis III
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Relation Quiétisme
Réponses Quiétisme I
Réponses Quiétisme II
Réponses Quiétisme III
Réponses Quiétisme IV
Réponse d'un théologien
Réponse aux Préjugés
Passages Éclaircis I
Passages Éclaircis II
Passages Éclaircis III
Mandement
Réflexions
Relation et Actes
Mémoire M. Dupin
Hstoire des Conciles I
Histoire des Conciles II
Histoire des Conciles III
Histoire des Conciles IV
Mystique Cité de Dieu

 

CHAPITRE VI. — Deux autres principes.

VIIIe PRINCIPE.

IXe PRINCIPE.

CHAPITRE VII. — Propositions du nouveau système.

CHAPITRE VIII. — Réflexions sur les propositions précédentes.

CHAPITRE IX. — Auteurs allégués en confirmation des propositions du nouveau système.

Ier auteur : la bienheureuse Angèle de Foligny.

CHAPITRE X. — Inutilité des autres passages sur cette matière.

CHAPITRE XI. — Suite des auteurs.

IIe auteur : saint François de Sales : Vie de ce saint par M. l'évêque d'Evreux.

CHAPITRE XII. — Suite des auteurs.

IIIe auteur : frère Laurent.

CHAPITRE XIII. — Sur le désir de cacher à Dieu ce qu'on fait pour lui.

CHAPITRE XIV. — Sur l'acquiescement simple : passages de saint François de Sales.

CHAPITRE XV. — Réflexion sur les derniers passages.

CHAPITRE XVI. — Suite des auteurs.

IVe auteur : Louis de Blois.

CHAPITRE XVII. — Règle pour entendre le croire des âmes peinées.

CHAPITRE XVIII. — Suite des auteurs.

Ve auteur : le bienheureux Jean de la Croix.

CHAPITRE XIX. — PASSAGES SPÉCULATIFS.

Sur les suppositions impossibles.

Ier auteur : saint Clément d'Alexandrie.

IIe auteur : saint Chrysostome.

IIIe auteur : Avila.

IVe auteur : Rodriguez.

Ve auteur : Sylvius.

VIe auteur : le cardinal Bona.

VIIe auteur : sainte Thérèse.

VIIIe auteur : saint François de Sales.

CHAPITRE XX. — Réponse, et remarques sur tes passages précédents.

CHAPITRE XXI. — Autres propositions du nouveau système, sur le désir de plaire à Dieu.

CHAPITRE XXII. — Autre proposition sur l'indifférence à être heureux et malheureux.

CHAPITRE XXIII. — Notes de M. de Camlray sur les propositions.

CHAPITRE XXIV. — Les notes sur la XIIe et la XIVe proposition : et leur absurdité manifeste.

CHAPITRE XXV. — Dernière proposition touchant la privation de Jésus-Christ dans les épreuves.

CHAPITRE XXVI. — Quatre auteurs cités pour le cas des dernières épreuves.

Ier auteur : saint Augustin.

IVe auteur : saint François de Sales.

CHAPITRE XXVII. — Note sur l'involontaire en Jésus-Christ.

CHAPITRE XXVIII. — Conclusion de cet ouvrage : l'auteur du nouveau système imagine de vains embarras.

 

CHAPITRE VI. — Deux autres principes.

 

VIIIe PRINCIPE.

 

Pour exciter sa paresse et s'encourager à courre dans la carrière, on peut en se proposant principalement la gloire de Dieu, agir aussi en vue de la récompense ; et c'est ce qu'a fait David en disant : J'ai porté mon cœur à accomplir vos justices, à cause de la récompense (1) : et Moïse, dont saint Paul écrit; qu'en méprisant les richesses et la gloire de Pharaon, il regardait à la récompense : aspiciebat enim in remunerationem (2). C'est l'expresse définition du concile de Trente (3), qui montre dans les plus parfaits le motif subordonné de la récompense, uni au parfait et principal motif de la charité.

 

IXe PRINCIPE.

 

Quand donc on entend dire à des âmes saintes que pour s'encourager à servir Dieu, et pour exciter le fond de la langueur que nous portons en nous-mêmes jusqu'à la mort, il ne leur sert à rien de regarder à la récompense, ou bien qu'elles ne se soucient ni d'être sauvées, ni d'être damnées, mais de la seule gloire de Dieu, ou autres choses semblables : si on poussait leurs expressions à la lettre, on feroit ces âmes plus parfaites que les plus parfaits, et on contredirait ouvertement le saint concile. Ces neuf principes contiennent si bien la claire résolution de tous les passages, que les esprits un peu exercés les pourraient expliquer d'eux-mêmes : mais pour en faciliter l'application, il faut selon le projet rapporter les propositions, et y comparer les passages.

 

1 Ps. CXVIII, 112. — 2 Hebr., XI, 26. — 3 Sess. VI, 11.

 

393

 

CHAPITRE VII. — Propositions du nouveau système.

 

1. Proposition sur l'abandon : que Dieu n'y fait voir aucune ressource, ni aucune espérance à l'intérêt propre même éternel (1).

2. Que les sacrifices des âmes désintéressées sont d'ordinaire conditionnels, mais que celui-ci est absolu (2).

3. Que le cas qui paraissait impossible dans le sacrifice conditionnel, paraît alors possible et actuellement réel (3).

4. Que l’âme est invinciblement persuadée, d'une persuasion réfléchie, qu'elle est justement réprouvée de Dieu (4).

5. Que la conviction en est invincible (5).

6. Que l’âme est incapable de tout raisonnement ; et ainsi qu'il n'est pas question de lui proposer le dogme de la foi, ni de raisonner avec elle (6).

7. Que l’âme est alors divisée d'avec elle-même, et qu'elle expire avec Jésus-Christ en disant : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (7)?

8. Que cette division consiste à faire le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité, et à regarder le cas impossible, comme réel et actuel.

9. Que l’âme fait en cet état avec le consentement de son directeur un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, c'est-à-dire, comme on vient de voir, de l'intérêt propre même éternel, de l'intérêt propre pour l'éternité, et à la juste condamnation où l'on croit être de la part de Dieu (8).

10. Que c'est par cet acquiescement que l’âme est délivrée : de sorte que sa délivrance dans cette tentation, qui est celle du désespoir, consiste à y succomber (9).

 

1 Explic. des Max. des Saints, p. 73. — 2 Ibid., p. 86, 90. — 3 P. 90. — 4 P. 87. — 5 Ibid. — 6 p. 88, 90. — 7 P. 90. — 8 P. 91. — 9 P. 92.

 

394

 

CHAPITRE VIII. — Réflexions sur les propositions précédentes.

 

Au reste l’acquiescement simple à sa juste condamnation de la part de Dieu, n'est rien de moins ici que l'acquiescement simple à sa damnation éternelle, que l’âme qu'on introduit croit mériter par ses crimes, sans y voir aucune ressource.

C'est en vain que l'auteur répond (1) que cet acquiescement n'est autre chose à cette âme, qu'une sincère reconnaissance qu'elle nx rite d'être damnée : car sans parler encore des autres raisons, on n'a pas besoin d'un avis particulier de son directeur pour re-connaître qu'on mérite d'être damné : c'est un acte de tous les moments, qui ne présuppose que la persuasion qu'on est en péché mortel, où le directeur n'intervient pas. Cette humble reconnaissance n'est pas aussi un acte qu'on laisse faire seulement : c'est un acte que l'on conseille positivement, pourvu qu'il soit accompagné de la confiance qui fait demander pardon. Mais alors «loin d'acquiescer à sa perte, ce qui est d'un désespéré ; loin de consentir à sa juste condamnation, l'on y oppose au contraire la miséricorde qui en empêche l'effet (2). »

Il est donc plus clair que le jour que l'acquiescement simple dont il s'agit en ce lieu, n'est autre chose qu'un consentement à sa damnation ; c'est aussi ce qu'on appelle le sacrifice absolu, et quand après on avoue que dans cet acte consiste la délivrance de l’âme persécutée de la tentation du désespoir, on avoue une tentation, et encore une tentation aussi mortelle que celle du désespoir, à laquelle le vrai remède est d'y succomber.

Ces deux seules propositions renferment le venin de toutes les autres, et même de tout le système. On ne peut pas dire que les dix propositions sur lesquelles il roule, puissent être sauvées en disant qu'elles sont exagératives, puisqu'on a promis dans le livre toute la rigueur théologique. D'autre part, toutes précises qu'elles sont dans l'intention de l'auteur, elles passent ce qu'il y

 

1 Ve Lett. à M. de Meaux, p. 8. IIe Lett. en rép. de M. de Meaux, à quat. Lett. p. 21. — 2 Rel. sur le Quiét., VIIe sect., n. 3.

 

395

 

a de plus excessif dans les autorités qu'il veut mettre en comparaison avec elles. Ainsi loin de tempérer les sentiments des saints, comme l'auteur nous le promet, on va voir que ces propositions sont poussées beaucoup au delà de ce qu'il y a de plus outré dans les passages.

 

CHAPITRE IX. — Auteurs allégués en confirmation des propositions du nouveau système.

 

Notre dessein nous renferme dans les passages que l'on allègue pour justifier les excès du nouveau système sur les épreuves, et sur les suppositions impossibles. On les peut considérer, ou dans ceux qui les ont mises actuellement en pratique, ou dans ceux qui les considèrent par pure spéculation. Nous traiterons à part ces deux sortes d'autorités, et nous allons commencer par les premières, qui sont les plus fortes.

 

Ier auteur : la bienheureuse Angèle de Foligny.

 

Ier PASSAGE.

 

« Je criais, dans la douleur la plus amère : Seigneur, quoique je sois damnée, je ferai néanmoins pénitence   »

 

IIe PASSAGE.

 

« En me voyant damnée, je ne me soucie nullement de ma damnation, parce que je me soucie et m'afflige bien plus d'avoir offensé mon Créateur (2). »

 

IIIe PASSAGE.

 

« Si je savais très-certainement que je serai damnée, je ne pourrais en aucune façon en être affligée ; je n'en travaillerais ni n'en ferais pas moins oraison, ni n'en servirais pas moins Dieu; tant j'ai compris sa justice et la droiture de ses jugements (3). »

 

1 Princ. propos., p. 44. — 2 Ibid. et 61. — 3 Ibid., p. 63.

 

396

 

IVe PASSAGE.

 

« Priez la justice de Dieu que cette idole tombe et se brise, pour manifester ses œuvres diaboliques et ses mensonges, etc. Je prie le Fils de Dieu, que je n'ose nommer, que s'il ne me manifeste point par lui-même, il le fasse par la terre et qu'elle m'engloutisse, afin que je serve d'exemple (1). »

 

Ve PASSAGE.

 

« Seigneur, si vous devez me précipiter dans l'abîme, ne tardez pas, mais faites-le soudainement : et puisque vous m'avez abandonnée, achevez et jetez-moi dans cet abîme (2). »

 

RÉPONSE.

 

Il n'en faut pas davantage pour voir qu'elle parle avec transport, avec excès, avec exagération, et à la rigueur contre la règle qui défend d'attribuer aux âmes saintes des sentiments impies. Elle parle donc avec une pleine sécurité, qu'il n'en était rien et qu'il n'en pouvait rien être, et toujours en présupposant la condition impossible. Voilà une claire résolution par les principes posés (3).

Au reste il ne faut point ici de raisonnement. Car que l'on fasse pénitence (par le premier passage) : que l'on continue l'oraison la plus parfaite et toujours à servir Dieu (par le troisième) : que l'on fasse un acte parfait de contrition, et que l'on veuille le faire et le continuer (par le second), en croyant avec cela être damnée, et sans voir très-certainement qu'il n'en peut rien être, ce serait évidemment blasphémer : et attribuer de tels sentiments à une personne qu'on appelle bienheureuse, ce serait non-seulement lui attribuer ce que la règle défend de penser des âmes saintes, mais encore être soi-même visiblement dans l'erreur. Elle ne veut donc rien moins qu'être damnée, quelques paroles que le transport lui fasse dire ; et tout ceci ne peut être que de ces excès, de ces amoureuses folies, que M. de Cambray reprend cent fois, sans

 

1 Princip. propos., p. 50, 51. — 2 Ibid., p. 61. — 3 Ci-dessus, ch. IV, princ. 1, 2, 3.

 

397

 

jamais répondre une seule aux passages exprès qu'on lui a produits   ni faire même semblant de les voir.

 

CHAPITRE X. — Inutilité des autres passages sur cette matière.

 

Après cela il est inutile de rapporter toutes les terribles exagérations que l'auteur se donne la peine de transcrire (1), comme pour étourdir les lecteurs et effrayer ceux qui ne savent pas que ce sont là des transports d'une âme qui se sent toute pénétrée de la corruption que notre nature porte dans son sein depuis le péché.

Quant à ce qu'on croit consentir aux violentes tentations, nous verrons bientôt ce que c'est, et je ne veux parler ici que du désespoir, qui n'est manifestement qu'exagération.

Que sert donc de remplir un livre des passages où la bienheureuse et tant d'autres se plaignent si amèrement, qu'il n'y a en eux que malice ? Ce n'est là au fond qu'une explication de ce que disait le saint Apôtre : Je ne trouve point de bien en moi (3) : c'est-à-dire dans ma chair, dans ma convoitise : et un peu après : Je ne fois pas le bien que je veux : mois je fais le mal que je ne veux pas (4) : ce qui n'empêche pas qu'on ne dise avec une entière confiance : Malheureux homme que je suis! et : Qui me délivrera? la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (5).

Que si l'espérance même semble s'éclipser, c'est encore ce que disait le même saint Paul : Contra spem, in spem: En espérance, contre l’espérance (6). Après cela, il ne reste plus de difficulté, et il serait même inutile de produire les autres auteurs, qui sont tous résolus en celui-ci, s'il ne fallait montrer une fois combien de riens on tâche de faire valoir.

 

1 Ci-dessus, ch. V. — 2 Princ. prop., p. 49, 55. 61, etc. — 3 Rom., VIIu, 18. — 4 Ibid., 19. — 5 Ibid., 24, 25. — 6 Ibid., IV, 18.

 

398

 

CHAPITRE XI. — Suite des auteurs.

 

IIe auteur : saint François de Sales : Vie de ce saint par M. l'évêque d'Evreux.

 

1er PASSAGE.

 

« Il fallut enfin, dans les dernières presses d'un si rude tourment , en venir à cette terrible résolution, que puisqu'en l'autre vie il devait être privé pour jamais de voir et d'aimer un Dieu si digne d'être aime, il voulait au moins, pendant qu'il serait sur la terre faire tout son possible pour l'aimer de toutes les forces de son âme, et dans toute l'étendue de ses affections... Le démon vaincu par un acte d'amour si désintéressé, lui céda la victoire (1). »

 

IIe PASSAGE.

 

« Il a porté dans sa jeunesse un assez long temps une impression de réprobation (2). »

 

RÉPONSE.

 

Il a porté cet état, il a pris la résolution en cessant d'aimer dans la vie future, d’ aimer toujours dans celle-ci : mais il a fait tout cela avec une pleine sécurité qu'il n'en serait rien ; il l'a fait par un de ces pieux excès que nous avons tant expliqués ; je l'avoue : autrement, c'est le faire blasphémer ; et en approuvant son blasphème, blasphémer soi-même.

Ce qui étonne dans l'auteur du nouveau système, c'est qu'il ose dire que saint François de Sales, aussi bien que Blosius et les autres dans de semblables épreuves, sont bien éloignés de cette pleine sécurité (3). Mais c'est combattre ouvertement les principes des saints : c'est faire de la piété une forcenée qui désespère de son salut, que de lui ôter l'assurance que cette sorte de damnation

 

1 Princ. prop., p. 45. — 2 Ibid., p. 53. — 3 IIe Lett. en rép. à celle de M. de Meaux à  quatre Lett., p. 23.

 

399

 

ne peut pas être. On peut voir cette vérité expliquée à fond dans un autre endroit (1) ; mais ceci suffit.

 

CHAPITRE XII. — Suite des auteurs.

 

IIIe auteur : frère Laurent.

 

Nous verrons donc encore paraître le frère Laurent, qu'on a expliqué si clairement et tant de fois. « Il s'était toujours gouverné par amour sans aucun autre intérêt, sans se soucier s'il serait damné, ou s'il serait sauvé (2).

« Il avait une très-grande peine d'esprit, croyant certainement qu'il était damné. Tous les hommes du monde ne lui auraient pas ôté cette opinion... Cette peine lui avait duré quatre ans.....

Depuis il ne songeait ni à paradis ni à enfer. Toute sa vie n'était qu'un libertinage et une réjouissance continuelle. »

Cette autorité est si importante, qu'on la répète jusqu'à trois fois (3), tant on y a de confiance : on y ajoute « qu'il avait quelquefois désiré de pouvoir cacher à Dieu ce qu'il faisait pour son amour, afin que n'en recevant point de récompense, il eût le plaisir de l'aire quelque chose purement pour Dieu. »

 

RÉPONSE.

 

Elle n'a qu'un mot : l'excès, l'exagération sortent partout dans les paroles de ce bon religieux : il croyait être damné sans perdre pourtant cette pleine sécurité dont nous avons tant parlé après les saints Pères : tout est fini par cette réponse.

Mais que veut-il dire dans le fond sur le paradis et sur l'enfer, dont il ne se soucie point? Un autre mot le va expliquer. Il ne s'en soucie point du tout ; et cela ne lui sert de rien ; à Dieu ne plaise : c'est se déclarer supérieur à David et à Moïse, aussi bien qu'à saint Paul qui l'a loué (4). Il ne s'en soucie point, pour s'en occuper uniquement, principalement, finalement ; c'est ce qu'il

 

1 Trois Ecrit. quaest. imp. — 2 Princ. prop., p. 45. — 3 Ibid., 53, 99. — 4 Ci-dessus, ch. VI, 8e et 9e princ.

 

400

 

veut dire, et il sent qu'il se faudrait oublier soi-même plutôt que d'oublier Dieu , qui lui est plus cher que lui-même: C'est ce qui n'est pas en dispute ; et tout ce qui est au-delà ne peut être pris à la lettre sans une erreur insensée. « Sa vie, dit-il, est un libertinage et une réjouissance perpétuelle : » sans inquiétude, sans trouble, il est plus libre, il est plus content que tous les hommes du monde.

Au reste quelque excessifs que soient ces passages, je n'y vois point, non plus que dans les autres, le sacrifice absolu, ni l'impossible réalisé, ni l'absolue incapacité de raisonner, ni l'acquiescement simple à sa juste condamnation, ni les autres expressions qui font voir le dérèglement du nouveau système, où l'on enchérit sur les expressions les plus exagératives.

 

CHAPITRE XIII. — Sur le désir de cacher à Dieu ce qu'on fait pour lui.

 

Pourquoi ce désir ? Pour aimer Dieu purement et sans récompense : ne le peut-on sans cela, et sans faire Dieu aveugle? On le peut sans doute : mais c'est là, dit-on, un moyen de faire connaître la pureté de son amour. A qui le faire connaître", à Dieu ou à nous? Ce n'est pas à Dieu, qu'on suppose n'en rien savoir : c'est donc à vous, pour vous donner le plaisir de connaître que vous aimez purement, vous le voulez ôter à Dieu. C'est donc vous que vous regardez, et non pas lui. Quoi ! si vous ne supposez des absurdités, Dieu ne saura pas que vous l'aimez purement? Bon gré, malgré, il faut bien entendre dans ce discours les saintes folies, le saint enivrement de l'amour.

 

CHAPITRE XIV. — Sur l'acquiescement simple : passages de saint François de Sales.

 

L'embarras du nouveau système paraît principalement dans l'acquiescement simple avec le consentement d'un directeur à la perte de l'intérêt propre, et ce qui est encore plus clair à sa juste condamnation de la part de Dieu, que croit mériter une âme

 

401

 

qui se regarde invinciblement comme criminelle ; ce qui emporte nécessairement la damnation. Pour parer ce coup, l'auteur a recours a saint François de Sales ; et, dit-il (1), le terme d'acquiescement simple « est précisément celui dont saint François de Sales se sert pour ces occasions. » Précisément, c'est tout dire ; mais examinons les passages.

 

Ier PASSAGE.

 

« Entre tous les essais de l'amour parfait, celui qui se fait par l'acquiescement de l'esprit aux tribulations spirituelles, est sans doute le plus fin et le plus relevé. »

 

RÉPONSE.

 

La proposition de l'auteur regarde l'acquiescement à la juste condamnation de la part de Dieu (2) : le passage produit pour la soutenir, regarde l'acquiescement à la tribulation spirituelle : deux choses très-différentes : c'est ainsi que l'auteur est précis.

 

IIe PASSAGE.

 

Il ne reste plus à l’âme « que la fine suprême pointe d'esprit, laquelle attachée au cœur et bon plaisir de Dieu , dit par un très-simple acquiescement : O Père éternel! mais toutefois ma votant ne soit pas faite, mais la vôtre (3).»

 

RÉPONSE.

 

Le sens est : O Père éternel ! je voudrais bien être quille de cette privation des consolations et de cette peine accablante : mai -je me soumets. Il s'agit donc de cette peine particulière, et non pas en général de la juste condamnation que mérite de la part de Dieu l’âme criminelle.

 

IIIe PASSAGE.

 

« Le sacré acquiescement se fait dans le fond de l’âme en la suprême et plus délicate pointe de l'esprit (4). »

 

1 Princ. prop... p. 58. — 2 Ibid. — 3 Ibid., p. 64. — 5 Ibid., p. 66.

 

402

 

RÉPONSE.

 

On ne voit dans ce passage, non plus que dans les passages précédents, nulle mention de perte absolue de l'intérêt propre, ni de juste condamnation méritée du côté de Dieu. Il s'agit du sincère acquiescement à la volonté divine, qui nous envoie cette peine sans nous en montrer la fin, si ce n'est, ajoute le saint, « à la partie haute où la foi nous assure que le trouble finira. » Il s'agit donc d'une peine qui de sa nature doit finir, et non de la juste condamnation dont l'effet est interminable. Voilà comme on prouve ce qui est promis si précisément et si solennellement.

 

CHAPITRE XV. — Réflexion sur les derniers passages.

 

Non-seulement on ne trouve rien, dans les passages de l'auteur, qui revienne à ce qu'il promet : mais on y trouve le contraire.

Le premier passage regarde la résignation (1) : or nous avons démontré ailleurs que la résignation aussi bien que l'indifférence, à la porter au plus loin, se borne dans les privations des grâces sensibles, sans jamais passer au delà , ainsi qu'il est accordé par les Articles d'Issy.

Par là s'explique le second passage qui n'est qu'une suite du précédent.

J'en dis autant du troisième, qui se trouve six lignes après dans la même page et dans la continuation du même sujet. Il est donc très-clairement démontré que les trois passages, qui dévoient être précis, ont un sens tout opposé à l'auteur.

La réflexion qu'on doit faire ici, c'est que dans l'endroit le plus essentiel du nouveau système, où son auteur avait besoin des passages les plus précis et les avait promis tels, il n'a fait que se jouer de son lecteur : par où l'on peut juger des autres passages, non-seulement dans cette matière, mais encore dans toutes les autres.

 

1 Am. de Dieu. liv. IX, ch. III.

 

403

 

CHAPITRE XVI. — Suite des auteurs.

 

IVe auteur : Louis de Blois.

 

«Un homme, dit-il, dans les épreuves, abandonné à lui-même, croit qu'il ne lui reste aucune connoissance de Dieu : il croit avoir perdu tout son temps, et dans ses actions, quelque bonnes qu'elles soient, il croit offenser le céleste Epoux. Celui qui n'est pas abandonné (irresignatus dans le latin, qui n'est pas résigné, qui n'est pas soumis à souffrir ces peines), croit avoir tout perdu; et par là étant tombé dans une profonde tristesse et un horrible désespoir, il dit : C'est fait de moi, je suis perdu  (1).»

Blosius ajoute « qu'on doit alors s'efforcer, afin que d'un esprit abandonné et libre on puisse dans l'intérieur être privé de Dieu même, de soi et de toutes les créatures, conservant une véritable paix (2). » Jusqu'ici sont les paroles citées de Louis de Blois, et l'on voit qu'il parle des épreuves comme un homme qui y a passé.

 

RÉPONSE.

 

Nous dirons bientôt ce que c'est que ces Je crois, d'imagination. Tout le reste n'est qu'exagération : c'en est une d'un grand excès que cet horrible désespoir : l'on appelle de ce nom la tentation qui nous y porte, et à laquelle on croit souvent avoir consenti, quoiqu'il n'en soit rien.

Cette perte intérieure de Dieu, avec ce total délaissement à soi-même, est durant certains moments une privation de tout secours perçu et sensible, pendant laquelle la concupiscence déploie tout ce qu'elle a de malins désirs. Mais ces assurances de sa damnation sont accompagnées d'une sécurité, qu'il n'est rien de tout cela et n'en peut rien être, puisque toujours on continue à servir Dieu d’un esprit résigné et libre, anima resignato et libero. De sorte que ce sont là, comme dans la bienheureuse Angèle, et dans les

 

1 Princ. prop., p. 47, 59, 124. Blos., Inst. sp., app. I, p. 330, 331, 332. — 2 Princ. propos., p, 59. ibid., p. 124.

 

404

 

autres, de pieux excès et de ces sages folies du saint amour, semblables à celle de la Croix où Jésus-Christ a signalé son amour par des excès au-dessus de toute raison, quand il a dit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? A Dieu ne plaise que son âme sainte ait pu perdre sa sécurité dans cet effroyable délaissement. En cela il est imité par ses serviteurs, à leur manière et selon la mesure qui leur est donnée, dans les épreuves les plus violentes.

Nous avons vu néanmoins que l'auteur du nouveau système refuse de convenir de cette sécurité (1) ; mais c'est disputer contre les saints et contre une tradition constante que de la nier : et ce qui la montre dans l'homme peiné de Blosius, c'est que cet homme exercé par une épreuve si rude est en paix (2), comme le rapporte l'auteur. J'ajoute que Blosius lui fait embrasser sa peine en ces termes : « Je vous salue, ô amertume très amère, pleine de toutes grâces : » Salve amaritudo amarissima, omni gratià plena : sa sécurité est si grande au milieu de sa damnation prétendue, qu'il y voit les grâces jusqu'à l'abondance.

Ce sont donc là de pieux excès, de pieuses exagérations pour exprimer une peine extrême. Mais quelque fortes qu'elles soient, elles sont beaucoup au-dessous d;> ce que dit de sang-froid l'auteur du nouveau système, puisqu'il y ajoute avec la réflexion, dont Louis de Blois ne parle pas, « l'acquiescement simple à sa juste condamnation de la part de Dieu, l'incapacité de raisonner » en aucune sorte et par conséquent l'inutilité de parler à cette âme désespérée, ni des dogmes de la foi, ni de la raison : choses si éloignées de Louis de Blois, qu'on n'y en voit pas le moindre vestige.

Il se faut bien garder de prendre pour acquiescement cet abandon, ou pour mieux parler cette résignation, animas resignatus, dont parle ce pieux abbé : c'est autre chose d'être résigné à porter sa peine, autre chose d'acquiescer à sa juste condamnation, qui comprend sa perte totale et irrémédiable.

Je reçois donc aisément ce que dit Blosius, mais non pas ce qu'y ajoute le nouvel auteur : et c'est en vain qu'il rapporte les grandes

 

1 IIe Lett. en rép. à celte de M. de Meaux, p. 23.— 2 Princ. prop., p. 59.

 

405

 

approbations qu'a méritées un docteur qui est différent de lui par des caractères si marqués.

 

CHAPITRE XVII. — Règle pour entendre le croire des âmes peinées.

 

Avant que de passer outre, pour entendre comment on a dit tant de fois dans les passages précédents qu'on croyait être damné, il faut distinguer trois sortes de croire. Il y a premièrement le croire de la partie raisonnable et supérieure, soit par opinion, soit par démonstration et par science, soit par la foi.

Le croire de la science et de la démonstration, s'appelle conviction et jugement fixe; ce que saint Paul attribue aussi à la foi, qu'il a nommée une conviction des choses qu'on ne voit pas (1) : et ailleurs aussi jugement, conformément à cette parole : Je n'ai pas jugé que je susse autre chose parmi vous, si ce n'est Jésus-Christ (2).

Il y a en second lieu le croire des songes, que l'on exprime aussi quelquefois par voir : Je croyais voir, je voyais. Vous voyiez, ô Roi! disait Joseph à Pharaon, et Daniel à Nabuchodonosor. C'est un croire d'imagination, auquel aussi se peut rapporter le croire de ceux dont l'imagination est blessée : il croit être prince, il croit être ange : on ne dit pas qu'il le juge, ni qu'il en est convaincu, mais seulement qu'il le croit.

Enfin le troisième croire est celui des âmes peinées, qui croient consentir aux tentations, qui se voient perdues même sans ressource, et ne croient pas se pouvoir jamais arracher cette impression funeste.

Ce dernier croire de sa damnation tient quelque chose du précédent ; mais il suppose dans les âmes saintes cette pleine sécurité qu'il n'en est rien, ainsi qu'elle est expliquée ci-dessus, dans les principes ».

Quand l'auteur du nouveau système croit sauver ses persuasions et convictions invincibles de sa juste réprobation par ces croire d'imagination qu'on vient d'entendre, il abuse visiblement

 

1 Hebr., XI, 1. — 2 I Cor., II, 2. — 3 Chap. IV.

 

406

 

son lecteur. Car son croire, quoi qu'il puisse dire , n'est plus un croire d'imagination, non-seulement par le caractère de réflexion et de conviction qu'il y ajoute ; mais encore à cause qu'il le réalise par ces trois effets positifs, par l'acquiescement simple, par l'avis du directeur, par le sacrifice absolu ; ce qu'on ne trouve dans aucun des saints. Ils n'ont jamais supposé que les âmes saintes, qui sont dans les peines, fussent incapables de tout raisonnement, contre la parole expresse de saint Paul : Que votre service soit raisonnable (1) : ni par conséquent qu'il ne soit plus question de leur proposer, ni la raison, ni le dogme de la foi. Toute la pratique des saints, et notamment celle de saint François de Sales, est directement contraire à celle-là. Nous avons démontré ailleurs (2), selon les maximes de ce saint, qu'en quelques peines que soient plongées les âmes, on leur doit toujours proposer la bonté de Dieu, qui ne leur manquera jamais; et l'auteur du nouveau système l'a supposé avec nous dans les Articles d'Issy (3). Ces vérités établies, continuons à examiner les auteurs qu'on nous objecte.

 

CHAPITRE XVIII. — Suite des auteurs.

 

Ve auteur : le bienheureux Jean de la Croix.

 

En pesant toutes les paroles d'un auteur si profond et si solide, on remarquera aisément ce qu'y ajoute le nouveau système.

 

1er PASSAGE.

 

« L’âme voit plus clair que le jour qu'elle est pleine de maux et de péchés, car Dieu le lui fait entendre (4). »

 

RÉPONSE.

 

Elle voit tous les péchés dans la concupiscence qui en est la

 

1 Rom., XII, 1. — 2 Trois. Ecrit, n. 14. Entr. V, liv. III, Ep. 20, en d’aut. édit. 29. — 3 Art. XXXI. — 4 Princ. prop., p. 48. Prologue des œuvres du bienheureux Jean de la Croix.

 

407

 

source, et dans le consentement qu'elle s'imagine y donner (1), quoique dans le fond de sa conscience elle ne se sente point coupable, puisque le plus souvent elle communie à son ordinaire, et n'abandonne point son oraison.

 

SUITE DU PASSAGE.

 

« Ses confesseurs la crucifient de nouveau (2). »

 

RÉPONSE.

 

En la condamnant comme si elle était tombée en ces peines par punition de ses péchés, et la fatiguant de confessions générales, qui ne sont pas de saison : circonstance marquée par le bienheureux (3) et qu'il ne fallait pas omettre.

 

SUITE DU PASSAGE.

 

« Il n'est pas question de ceci ni de cela, mais de les laisser dans cette purgation, en les consolant et encourageant à vouloir cela, tant qu'il plaira à sa divine Majesté (4). »

 

RÉPONSE.

 

Il y a ici deux conseils : l'un de laisser les âmes dans cette purgation : l'autre, de les consoler et encourager.

Par le premier conseil, on les oblige à acquiescer, non pas à leur juste condamnation de la part de Dieu ; à Dieu ne plaise : mais à la peine que Dieu leur envoie comme à une peine médicinale, en s'abandonnant à Dieu, comme il celui qui a soin de nous (5) : Quoniam ipsi cura est de vobis.

Pour ce qui est du second conseil, si on avait bien compris ce que c'est que les consoler, on n'aurait pas dit qu'il ne s'agit pas de leur annoncer le dogme de la foi, ni la bonté de Dieu envers nous, ni aucune raison, parce que cette âme en est entièrement incapable, car la consolation ne peut venir que de ces sources.

 

1 Ci-dessus, ch. X. — 2 Princ. prop., p 48.— 3 Prologue. — 4 Princ. prop., Ibid. — 5 I Petr., V, 7.

 

408

 

SUITE DU PASSAGE.

 

« Car jusqu'alors, quoi qu'elles fassent et quoi qu'ils disent, il n'y a plus de remède (1). »

 

RÉPONSE.

 

Il ne fallait pas tronquer ce passage en y retranchant ces mots essentiels : « Il n'y a point de remède qui serve et profite à cette aine pour sa douleur (2), » quoique le remède lui serve beaucoup pour la soutenir. Ainsi il ne faut pas cesser de la consoler, bien que ces consolations, au lieu de diminuer sa douleur présente, souvent l'augmentent plutôt dans les moments (3), puisque tout en les augmentant elles ne laissent pas de lui apporter un grand, quoiqu'imperceptible soutien : le Bienheureux avait parlé correctement ; mais on a outré sa doctrine en altérant son passage.

 

IIe PASSAGE.

 

« L’âme en cet état peut aussi peu de chose que celui qui est dans un cachot obscur, les fers aux mains et aux pieds, sans se pouvoir remuer. »

 

RÉPONSE.

 

Je ne sais pas comment l'auteur ne sent point ici cette impuissance réelle, mais divine, où l'aine se trouve, sans que les paroles des hommes puissent mettre fin à l'opération de Dieu, mais seulement soutenir les âmes pendant qu'elle dure.

 

IIIe PASSAGE.

 

« Il lui semble clairement que Dieu l'abandonne : c'est une peine lamentable de croire que Dieu l'ait abandonnée, (4). »

 

RÉPONSE.

 

Tout ceci regarde le sensible. « L'âme, poursuit-il, sent fort au vif l'ombre de la mort;... elle consiste à se sentir sans Dieu, car tout cela se sent ici... Elle sent aussi le délaissement des créatures

 

1 Princ. prop., p. 48.— 2 Princ. prop., p. 49. Obsc. nuit, liv. II, ch. VII, p. 283. —  3 Ibid., p. 49. — 4 Princ. prop., p. 57. Obsc. nuit, liv. II, ch. VI, p. 219.

 

409

 

dont elle se sent méprisée; » et ailleurs (1) : « Il est besoin qu'elle se voie et se sente éloignée de tout bien. » Voilà ce qui se trouve dans tout le sensible; mais tout cela n'est suivi d'aucun effet réel : point de sacrifice absolu, point d'acquiescement simple; et quoique l’âme ne sente pas qu'elle doive jamais sortir de cette peine, elle demeure en son fond dans une pleine sécurité, pour les raisons qui ont été dites et pour celles qu'on verra bientôt.

 

IVe PASSAGE.

 

« Elle ne trouve aucune consolation ni aucun appui en aucune doctrine, en aucun maître spirituel (2). »

 

RÉPONSE.

 

Aucune consolation ni appui sensible : car c'est ainsi qu'il faut entendre ce Bienheureux, qui ne se serait pas donné la peine d'écrire tant d'instructions pour les âmes de cet état (3), s'il n'eût été assuré qu'elles y trouvaient de solides quoique peu sensibles soutiens.

Au surplus elles ne sont pas si destituées de toute sensible consolation, qu'il ne « leur semble qu'elles aiment Dieu et qu'elles donneraient mille vies pour lui, comme c'est la vérité, parce que ces âmes aiment Dieu en ces travaux avec vérité et grande efficace (4) ; » voilà donc deux choses : l'une, qu'elles aiment Dieu avec efficace : l'autre, qu'au fond elles sentent bien qu'elles l'aiment jusqu'à donner pour lui mille vies. Mais ce qu'il y a ici de particulier, c'est que dans les temps d'épreuves, leur amour bien éloigné de les consoler, leur tourne en affliction, quand «elles croient voir en elles-mêmes des causes d'être délaissées et rebutées de celui qu'elles aiment et qu'elles désirent si passionnément (5): » et tout cela, je vous prie, qu'est-ce autre chose, qu'un jeu merveilleux de l'amour et de ces excès, tranchons le mot après tant de saints auteurs, de ces sages folies qu'il inspire?

 

1 Princ. prop. p. 55 et 124. Obsc. nuit, et  liv. II. ch. IX, p. 291. — 2 Princ. prop., p. 61. Obsc. nuit, liv. II. ch. VII, p. 283. — 3 Prolog. — 4 Obsc. nuit, liv. II, ch. VII, sur la fin, p. 285. — 5 Ibid.

 

410

 

Ve PASSAGE.

 

« L’âme connaît en elle deux parties : la supérieure et l'inférieure, si distinctes qu'il lui semble que l'une n'a rien de commun avec l'autre, en étant très-éloignée et très-séparée : et il est ainsi en mi sens, parce que selon l'opération qu'elle fait pour lors, qui est toute spirituelle, elle ne communique point avec la partie sensitive (1). »

 

RÉPONSE.

 

A cause que Dieu opère « dans l’âme à l'obscur et au désu des sens et puissances (2), » connue le Bienheureux l'explique lui-même : c'est-à-dire selon son style, qu'il la saisit indépendamment des images et des fantômes, de toute impression qui vient des sens et même du discours, qui selon lui en dépend naturellement: en sorte que Dieu seul, et l’âme dans sa partie la plus spirituelle, connaissent ce qui se passe, sans que les sens y puissent rien pénétrer. Telles sont les dernières bornes où puisse être poussée la séparation des deux parties. Mais d'entreprendre de la pousser jusqu'au sacrifice absolu, jusqu'au simple acquiescement par l'avis d'un directeur (3), jusqu'à donner ce remède à la tentation du désespoir et la vaincre en y succombant ; c'est de quoi on n'a vu ici aucun vestige, et par conséquent l'auteur du système jusqu'ici n'a rien dit du tout pour le soutenir. Voyons les autres passages.

 

CHAPITRE XIX. — PASSAGES SPÉCULATIFS.

 

Sur les suppositions impossibles.

 

Je prendrai ici une autre méthode que dans les chapitres précédents, et je rapporterai tout de suite les passages de comparaison, priant le lecteur attentif de penser s'il y trouvera la moindre parole qui revienne à l'entière incapacité de profiter de la raison

 

1 Princ. prop., p. 65, 66. Obsc. nuit, liv. II, ch. XXIII, sur la fin, p. 344. — 2 Ibid. Obsc. nuit, liv. II, ch. XXIII, au comm., p. 340. — 3 Max., p. 90.

 

411

 

et des dogmes de la foi, à l'acquiescement simple et au sacrifice absolu : et si cet acquiescement n'est pas au contraire manifestement éloigné par la condition ou supposition impossible le plus souvent énoncée et toujours sous-entendue, selon le principe premier et troisième (1).

 

Ier auteur : saint Clément d'Alexandrie.

 

1er PASSAGE.

 

«Si quelqu'un, par supposition impossible, demandait au gnostique (à l'homme spirituel) ce qu'il choisirait, ou de la gnose de Dieu (de la connaissance pratique accompagnée d'un amour parfait), ou du salut éternel : et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu (cette connaissance pratique), comme celle qui surpasse la foi par la charité (2). »

 

IIe PASSAGE.

 

« Si par supposition il recevait de Dieu la liberté de faire, sans être puni, les choses défendues, quand il saurait même qu'en les faisant il aurait la récompense des bienheureux, et qu'il serait assuré que Dieu ne saurait pas ses actions, ce qui est impossible, il ne voudrait jamais rien faire contre la droite raison, choisissant le beau pour lui-même (3). »

 

IIe auteur : saint Chrysostome.

 

IIIe PASSAGE.

 

« Il faudrait être bon, quand même il n'y aurait point de récompense promise (4).»

 

IVe PASSAGE.

 

« L'Apôtre dit : Je voudrais être anathème :... l'Apôtre sentait que beaucoup de gens ne le croiraient point... Nous parviendrons

 

1 Ci-dessus, ch. IV, I et III princ. — 2 Princip. prop., p. 6. Strom., lib. IV. — 3 Ibid. — 4 Ibid., p. 10.

 

412

 

à nous instruire de cet amour secret et nouveau : ... je n'ignore pas que les choses que j'en dis paraissent nouvelles et incroyables (1).» Il oublie que saint Chrysostome suppose partout expressément (2) que la condition était impossible : ce qui était essentiel à cette matière.

 

IIIe auteur : Avila.

 

Ve PASSAGE.

 

« Nous ne devons pas regarder notre intérêt, mais seulement que sa volonté s'accomplisse, quand même elle serait de ne nous donner ni les vertus que nous souhaitons, ni même le ciel auquel nous aspirons (5). »

 

IVe auteur : Rodriguez.

 

VIe PASSAGE.

 

« Comme le démon disait à un serviteur de Dieu dont parle Gerson : Tu ne seras pas sauvé, il répondit : Je ne sers pas Dieu pour la gloire, mais parce qu'il est ce qu'il est (4). »

 

Ve auteur : Sylvius.

 

VIIe PASSAGE.

 

« Il est permis d'aimer Dieu par le motif de la récompense, pourvu qu'on soit tellement disposé qu'on l'aimerait également, quand même il n'y aurait point de béatitude à attendre (5). »

 

VIIIe PASSAGE.

 

« Il n'est pas permis d'aimer Dieu pour la récompense, en sorte que la vie éternelle soit absolument la dernière fin de notre amour, ou que nous aimions Dieu en vue d'elle, en sorte que sans elle nous ne l'aimerions pas... Il doit donc être aimé, en sorte que nous pratiquions l'amour et les bonnes œuvres pour la béatitude,

 

1 Princ. prop., p. 35. — 2 Hom. XV et XVI in Ep. ad Rom. — 3 Princ. prop., p. 15, 28. — 4 Ibid., p. 16, 44. — 5 Ibid. p. 17.

 

413

 

comme pour la fin de ces œuvres; mais que nous rapportions plus loin notre béatitude à Dieu comme à la fin simplement dernière, étant disposés de sorte que nous voudrions l'aimer également, quand même nous n'en attendrions pas la béatitude (1). »

 

VIe auteur : le cardinal Bona.

 

IXe PASSAGE.

 

« Si je savais que je dusse être anéanti, je vous servirais avec le même zèle : car ce n'est pas pour moi, mais pour vous que je vous sers (2).»

 

Xe PASSAGE.

 

« Rusbroc appelle cet état ( d'épreuves extrêmes) combat de l'esprit de Dieu contre le nôtre, et une sorte de désespoir : Taulère, pressure intérieure: Harphius, une langueur infernale et une séparation de l’âme d'avec l'esprit. »

 

VIIe auteur : sainte Thérèse.

 

XIe PASSAGE.

 

« Si l’âme pouvait, elle chercherait des inventions pour se consumer dans cet amour. S'il était nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu qu'elle demeurât éternellement anéantie, elle y consentirait de très-bon cœur (3). » A quoi elle ajoute ailleurs (4) que « les âmes de ce degré ne pensent point, pour s'exciter davantage à servir Dieu, à la gloire qui leur est préparée ; et qu'elle-même ne se soucie ni de vie, ni de béatitude, ni même de son avancement, parce que tous ses désirs se renferment dans la seule gloire de Dieu. »

VIIIe auteur : saint François de Sales.

 

Nous passerons ici tous les passages où il s'agit de l'épreuve qu’il a expérimentée et de l'acquiescement, parce qu'ils ont déjà été traités (5).

 

1 Princ. prop., p. 32. —  2Ibid., p. 18. — 3 Ibid., p. 96. — 4 Ibid., p. 16, 23. — 5 Ci-dessus, ch. XI.

 

414

 

XIIe PASSAGE.

 

« Il aimerait mieux l'enfer avec la volonté de Dieu que le paradis sans la volonté de Dieu : oui même il préférerait l'enfer au paradis, s'il savait qu'en celui-là il y eût un peu plus du bon plaisir divin qu'en celui-ci ; en sorte que si par imagination de chose impossible, il savait que sa damnation fût un peu plus agréable à Dieu que sa salvation, il quitterait sa salvation et courrait à sa damnation (1). »

 

XIIIe PASSAGE.

 

« Si nous pouvions servir Dieu sans mérite, ce qui ne se peut, nous devrions désirer de le faire (2). »

 

XIVe PASSAGE.

 

« Elles ne se parent pas pour être belles, ains seulement pour plaire à leur amant, auquel si la laideur était aussi agréable, elles l'aimeraient autant que la beauté (3). »

 

CHAPITRE XX. — Réponse, et remarques sur tes passages précédents.

 

Voilà tous les passages que j'ai appelés spéculatifs, cités par l'auteur pour les conditions impossibles, et j'y ferai ces courtes remarques.

 

Ière REMARQUE.

 

On voit beaucoup de passages pour un sacrifice conditionnel du salut : ou n'en trouve aucun pour le sacrifice absolu et pour l'acquiescement simple : c'est une preuve théologique, que le premier est de tradition, et l'autre une invention du nouveau système.

 

IIe REMARQUE.

 

Par le principe VI (4), la supposition impossible prouve bien qu'il y a un autre motif même principal de l’amour de Dieu que celui

 

1 Princ. prop., p. 20. — 2 Ibid., p. 22. — 3 Ibid., p. 92. — 4 Ci-dessus, ch. IV.

 

415

 

de sa bonté bienfaisante, et ce sera la perfection de son excellente nature; mais elle ne prouve point que ce motif soit le seul.

 

IIIe REMARQUE.

 

Il parait aussi par ces mêmes suppositions, qu'elles se font avec assurance qu'on ne perd par là ni le salut, ni le désir d'y arriver, puisqu'on ne peut pas ne désirer point ce qu'on sait qu'il est impossible de ne désirer pas (par le principe (1) ).

 

IVe REMARQUE.

 

La sécurité que trouvent les Pères dans les actes des épreuves et dans ceux des suppositions impossibles, ne regarde pas seulement la béatitude naturelle, mais encore la surnaturelle, comme il paraît par les exemples de Moïse et de saint Paul, dont l'un parle du livre de vie, et l'autre de l'anathème ou séparation d'avec Jésus-Christ.

 

Ve REMARQUE.

 

Une autre raison pour montrer cette vérité, c'est que le sacrifice conditionnel et de supposition impossible étant un acte de charité et par conséquent d'amitié (par le principe V (2)), il suppose la correspondance et un amour réciproque ; ce qui prouve que le désir de la jouissance y est nécessairement compris.

 

VIe REMARQUE.

 

De là il s'ensuit que tous les passages des pieux auteurs où l'on trouve qu'on ne se met point en peine de son salut, et que ce motif ne sert de rien pour s'encourager à servir Dieu : à la lettre seraient outrés et contraires à l'expresse définition du concile de Trente (par les principes VIII et IX (3)), sans la bénigne interprétation, qui consiste à dire que la soustraction du salut, quand elle serait possible, en vivant bien, n'empêcherait pas que les actes de charité demeurassent les mêmes dans le fond et quant à la substance de l'acte.

 

1 Ci-dessus, ch. IV. — 2 Ibid. — 3 Ibid., ch. VI.

 

416

 

VIIe REMARQUE.

 

Le dessein des pieux docteurs est de faire voir qu'il n'est pas permis d'aimer Dieu en sorte que la vie éternelle, et non pas la gloire de Dieu, soit seule et absolument la dernière fin; ou qu'on cessât d'aimer, si par impossible elle manquait : ce qui paraît manifestement dans le huitième passage, qui est de Sylvius » (1).

 

VIIIe REMARQUE.

 

L'abandon des saints à la volonté de Dieu, pour le temps et pour l'éternité, a pour fondement ce passage de saint Pierre : Rejetant en lui toute votre sollicitude, à cause qu'il a soin de vous (2) : ce qui fait dire à sainte Thérèse : « Je m'abandonnais entièrement à ce Roi suprême pour disposer absolument de sa servante selon sa sainte volonté, comme sachant mieux que moi ce qui m'est utile (3) : » où l'on voit un dénouement parfait des passages qu'on nous objecte de la sainte.

 

IXe REMARQUE.

 

Les passages cinquième, treizième et quatorzième, où l'on semble renoncer aux mérites, s'il était possible, et même aux vertus dans la supposition que Dieu ne voulût pas nous les donner, n'ont rien de littéral ; car pour les mérites, les vouloir ôter c'est vouloir diminuer les dons de Dieu. Pour les vertus, il y en a que Dieu ne veut pas toujours nous donner, par exemple celles qui ne sont pas de notre état ou besoin présent : mais les vertus substantielles de la religion, si on disait autrement que par impossible et par une espèce d'excès, que Dieu ne voulût pas nous les donner, on contredirait saint Paul, qui a prononcé : La volonté de Dieu est cotre sanctification (4).

 

Xe REMARQUE.

 

Le réduit de cette doctrine et de tout ce chapitre, est que les passages qu'on nous oppose prouvent bien que dans les épreuves

 

1 Chap. précéd. — 2 I Petr., V, 7. — 3 Vie, ch. XXVII. Etats d'Or., liv. IX, n. 6. — 4 I Thess., IV, 3.

 

417

 

on peut perdre, durant un temps, le sentiment du bien qu'on a, mais non pas avec le bien même ou le don de Dieu, le désir et la confiance de l'avoir au fond : ce qui rend entièrement inutiles tous les passages de comparaison qu'on fait tant valoir.

 

CHAPITRE XXI. — Autres propositions du nouveau système, sur le désir de plaire à Dieu.

 

Outre les dix propositions du nouveau système que nous avons rapportées, en voici deux étonnantes : «On aimerait autant Dieu, quand même par supposition impossible il devrait ignorer qu'on l'aime (1). » Sans doute on ne plaira [tas à celui qui ne connaît rien, et ne sait pas même si on l'aime, puisqu'on ne lui plait qu'en l'aimant : d'où il s'ensuivra selon les principes de cet auteur, que le désir de l'aimer sera séparé du désir de lui plaire.

La démonstration en est claire, si l'on joint à la proposition qu'on vient d'entendre, celle où il est dit que par ces suppositions impossibles on prouve la séparation, non des choses, mais des motifs, parce que « les choses qui ne peuvent être séparées du côté de l'objet, le peuvent être du côté des motifs (2). » Si donc on peut aimer Dieu sans désirer de lui plaire, le motif de plaire à Dieu peut être séparé du motif de l'amour qu'on a pour lui : pensée qui n'entra jamais dans l'esprit humain.

C'est aussi à quoi aboutissent les désirs de ceux qui voudraient cacher à Dieu ce qu'ils font pour son service, afin de l'aimer sans aucune vue de la récompense ; ce qui emporte en même temps qu’on le veut aimer sans aucun désir de lui plaire, puisqu'on voudrait le pouvoir aimer sans qu'il le sût.

Mais cela étant, que deviendront tant de passages de l'Ecriture et des saints, où toute la piété est réduite au désir et au bonheur de plaire à Dieu? Hénoch plaît à Dieu, et par là devient son ami : Placens Deo factus est dilectus (3). David ne demande qu'à lui plaire dans la région des vivants. Le caractère de tous Les saints est d'être ceux qui lui plaisent : Le Saint des saints met sa gloire à faire toujours ce qui plaît à son Père (4) : et on croirait

 

1 Max., p. 10, 11. — 2 Max., p. 28. — 3 Sap., IV, 10. —  4 Joan., VIII, 29.

 

418

 

pouvoir séparer du parfait amour de Dieu la volonté de lui plaire ? Saint Paul met l'essentiel de la religion à connaître Dieu, ou plutôt à être connu de lui (1) : on ne peut donc pas désirer sérieusement de n'en être pas connu : tout ce qu'on trouve au contraire ne reçoit d'excuse que par ces sortes d'excès dont nous avons tant parlé ; et les porter jusqu'à ôter au parfait amour le motif de plaire à Dieu, ne peut être qu'un mépris formel de sa parole.

 

CHAPITRE XXII. — Autre proposition sur l'indifférence à être heureux et malheureux.

 

« On aimerait autant Dieu, quand même par supposition impossible il voudrait rendre éternellement malheureux ceux qui l'auraient aimé (2) : » c'est dans le lieu déjà allégué une autre proposition sur laquelle je fais quatre brièves remarques.

 

Ière REMARQUE.

 

Par cette supposition, Fauteur introduit l'indifférence à être heureux ou malheureux, d'où suit dans la créature une entière indépendance de tous les jugements de Dieu, qui ne peut faire ni bien ni mal à ceux que ni le bonheur ni le malheur, ni l'être même ou le non-être, n'intéressent en aucune sorte, puisqu'ils mettent la perfection à s'élever au-dessus de tout intérêt : comme il est clair de soi par les termes mêmes, et qu'il a été démontré ailleurs (3).

Que répondre ? Car ces prétendus parfaits sont en effet au-dessus du bonheur, et du malheur même éternel : ce sont des dieux indépendants de Dieu même ; ou sans y être, ils s'y mettent en paroles seulement, et par un vain effort de leur esprit ils ajoutent l'enflure à l'erreur.

 

IIe REMARQUE.

 

Aussi celle indifférence à être heureux ou malheureux est inouïe parmi les hommes : on a bien vu des passages sur les suppositions

 

1 Gal., IV, 9. — 2 Max., p. 11. — 3 Ve Ecrit de M. de Meaux, n. 15. Rép. à quatre Lett., n. 19.

 

419

 

impossibles ; mais on n'a vu dans aucun auteur qu'on aimât Dieu toujours autant quand il voudrait rendre malheureux ceux qui l'auraient aimé, cette supposition étant directement contraire à la bonté infinie de Dieu et à la nature de l'amour.

 

IIIe REMARQUE.

 

Saint Chrysostome dit bien que saint Paul se dévouait aux feux éternels, si Dieu le voulait, pour sauver les Juifs : mais il n'a garde de supposer qu'il fût malheureux, puisqu'il aurait eu ce qu'il voulait, et que par la définition du bonheur, on est heureux lorsqu'on a ce que l'on veut, et que l'on ne veut rien de mal : Beatus qui et habet quod vult, et nihil vult malè : comme dit saint Augustin (1). Conformément à cette doctrine, sainte Catherine de Gênes parlait ainsi : « L'amour pur non-seulement ne peut endurer, mais ne peut pas même comprendre quelle chose c'est que peine ou tourment, tant de l'enfer qui est déjà fait, que de tous ceux que Dieu pourrait faire : et encore qu'il fût possible de sentir toutes les peines des démons et de toutes les âmes damnées, je ne pourrais jamais croire que ce fussent peines, tant le pur amour y ferait trouver de bonheur (2). »

 

IVe REMARQUE.

 

Il est étonnant que l'auteur rejette si loin l'indifférence du salut, puisqu'il admet celle de la béatitude éternelle, qui comprend en soi tous les biens et le salut même. Voilà donc dans ces deux chapitres deux nouvelles propositions des plus condamnables du système, quoique fauteur ne les compte point parmi celles qu'il entreprend de justifier.

 

CHAPITRE XXIII. — Notes de M. de Camlray sur les propositions.

 

M. de Cambray donne d'abord une belle idée de son livre par ces paroles : «En justifiant ainsi, dit-il, chaque proposition par

 

1 Rép à quatre Lett., n. 15. Aug., de Trin., lib. XIII, n. 8. — 2 Vie, ch. XXIII, Etats dOr., liv. IX, n. 3.

 

420

 

une simple comparaison de mes paroles avec celles des Saints, je ne dois pas être accusé d'éblouir le lecteur par de vaines subtilités (1). » Cela serait vrai en partie, s'il n'omettait pas plusieurs propositions des plus condamnables : ou qu'il n'eût point attache à celles qu'il rapporte, une note qui les affaiblit et qui les déguise ; c'est ce qui nous reste à considérer en peu de mots.

Le discours serait infini, si nous avions à examiner, parole à parole, les subtiles interprétations que donne l'auteur à l'intérêt propre éternel, à l'intérêt propre pour l'éternité, à la persuasion réfléchie, et aux autres expressions singulières et d'un sens du moins équivoque, qui composent le nouveau système. Selon le projet du livre que nous examinons, il ne s'agit pas de savoir, si en corrigeant les propositions que nous reprenons dans les Maximes des Saints ? on les fera venir bon gré ou malgré aux passages des pieux docteurs dont on s'autorise : il faut voir si ces saints auteurs ayant des paroles propres et même usitées, en ont cherché d'ambiguës, d'extraordinaires et qui sonnent si mal d'abord, qu'on n'y peut trouver assez de correctifs. Par exemple, que dirons-nous du personnage qu'on fait faire à un directeur dans les Maximes des Saints ? On n'en vit jamais de semblable à celui-ci, qui persuadé que dans les épreuves, les hommes incapables de tout raisonnement ne seront point soulagés, ni par les bonnes raisons ni par le dogme de la foi, ne trouve point d'autre parti dans la direction, que celui de laisser faire à ces malheureux un sacrifice absolu par un acquiescement simple à leur juste condamnation. Si l'on trouve un tel directeur dans les livres spirituels, qu'on nous h; montre ; et s'il n'y en eut jamais, pourquoi en faisant sémillant de tempérer les expressions excessives des auteurs pieux, en emploie-t-on de plus excessives, auxquelles ils n'ont jamais pense ?

Mais, dira-t-on, j'apporte mes explications. Premièrement, vos explications ne se trouvent non plus dans vos auteurs que votre texte ; mais après tout, ce n'était pas là ce que vous aviez promis. Vous ne vouliez que comparer vos propositions avec les passages. A entendre votre projet, nous croyons trouver dans ces

 

1 Princ. prop., p. 3.

 

421

 

passages toutes vos propositions, et nous n'y trouvons que des tours d'esprit, et pas un mot approchant.

 

CHAPITRE XXIV. — Les notes sur la XIIe et la XIVe proposition : et leur absurdité manifeste.

 

Vous avez recours à vos notes sur la XIIe proposition qui regarde le sacrifice absolu. « Cette proposition a deux parties : l'une, qu'on fait le sacrifice absolu de son intérêt propre ; l'autre, qu'on est dans une impression de désespoir où l'on dit comme Jésus-Christ : Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé (1)?» Pour la première partie, vous la tranchez en un mot comme étant sans difficulté. Pour la seconde, voici, dites-vous, les expressions des saints. Vous ne les employez donc que pour celle-là ; la première passe toute seule à la faveur de vos notes, sans que vous osiez la soutenir d'aucune autorité.

Mais voyons encore quelles sont les notes qui vous affranchissent de la preuve que vous nous devez par des passages des saints plus forts que les cotres. C'est, dites-vous, que le sacrifice absolu de l'intérêt propre ne regarde pas le salut : on sacrifie seulement la propriété ou la mercenarité : et vous ajoutez, c'est aussi ce qu'on avait à sacrifier, en passant de l'état des justes imparfaits à celui dus parfaits. Tel est le dernier effort de votre théologie dans vos notes. Voilà deux choses précises: Il ne s'agit pas du salut, c'est la première ; elle est étonnante ; consultons l'exemple que vous alléguez du sacrifice absolu, de l'acquiescement simple : vous le remarquez dans ces paroles de saint François de Sales, lorsqu'il dit que, « puisqu'il sera privé dans l'autre vie de voir et d'aimer Dieu, il voulait l'aimer du moins pendant qu'il serait sur la terre (2). » Le voila ce sacrifice que vous prétendez absolu ; le voilà cet acquiescement que vous voulez être simple. Pour l'expliquer, il faut donc dire selon vos principes, que ces expressions de voir Dieu ou ne le voir pas, d'aimer ou de n'aimer pas dans l'éternité, ne regardent pas le salut. C'est déjà une absurdité inouïe : mais celle-ci est bien plus visible: car

 

1 Princ. prop., p. 54. — 2 Ibid. p 45.

 

422

 

enfin qu'a voulu sacrifier le Saint, si ce n'est pas le salut ? Il est aisé, répondent vos notes : ce sont les restes de propriété et de mercenarité (1). J'entends les paroles : dévoilons-en le mystère : les restes de propriété, de mercenarité, d'intérêt propre, sont dans tous vos livres les restes de l'amour naturel de soi-même, dont on se dépouille ; et c'est là qu'on fait ce grand sacrifice du soin inquiet et de famour naturel de soi-même (2). Mais si c'est là ce grand sacrifice qu'a offert saint François de Sales, en disant que s'il était privé de l'amour de Dieu dans l'éternité, il le pratiquerait du moins de tout son cœur dans ce temps : il faut qu'il -ait voulu dire : Mon Dieu, puisque dans l'éternité je ne vous aimerai plus avec un soin naturel et inquiet, ni avec un amour naturel de moi-même, je vous aimerai du moins avec ce soin inquiet et cet amour naturel dans tout le cours de ma vie.

Que si l'on veut séparer le soin inquiet d'avec l'amour naturel des consolations, on n'évite pas l'inconvénient, puisque toujours le Saint aura voulu dire que puisque dans la vie future il devait être privé de consolation et d'appui sensible, il voulait du moins les goûter dans celle-ci, qui est précisément le contraire de l'état où l'on prétend qu'il entrait, et où toutes les consolations sensibles dévoient se perdre.

Il en faut donc revenir à nos principes : le sacrifice du Saint, où il s'agissait de voir Dieu ou ne le voir pas, d'aimer ou de n'aimer pas dans l'éternité, ne pouvait regarder autre chose que la perte du salut : mais sous condition impossible ; mais avec la sécurité qui demeurait dans le cœur accompagnée des saints transports, des pieux excès d'un amour sans bornes.

Loin donc d'avoir rien prouvé par tant de passages, vous n'avez pas même touché la difficulté. Je n'ai pas besoin de vos notes : celles-ci me désabusent de toutes les autres ; l'intérêt propre n'est plus l'amour naturel : c'est le vrai désir de voir Dieu dans l'éternité ; et c'est celui-là que vous faites sacrifier par un sacrifice absolu à saint François de Sales, à la bienheureuse Angèle, aux autres que vous citez. La réflexion qui vous fait nommer réfléchie, la persuasion invincible de sa juste réprobation, n'est pas

 

1 Princ. prop., 54. — 2 IIe Lett. en rép. à M. de Meaux, p. 21.

 

423

 

une réflexion qui donne simplement occasion à cette même persuasion, mais qui l'approuve si bien qu'on en vient à sacrifier son salut par un acquiescement simple avec le consentement très-véritable et très-réfléchi d'un directeur.

Quand vous vous sauvez en disant et en répétant dans vos notes, qu'apparent et imaginaire, ou de la seule partie inférieure sont synonymes dans votre langage (1), je ne vous puis croire, puisque ces persuasions, que vous nommez apparentes, ont des effets si réels dans le sacrifice absolu et dans l'acquiescement simple. Aussi n'ignoriez-vous pas que Molinos n'eût pris autrement l'apparent. Les crimes qu'il autorisait sous ces mots n'étaient que trop intimes et trop réels : et pour vous éloigner autant de lui qu'il le méritait, il fallait choisir d'autres termes que ceux qui vous sont communs avec ce faux spirituel.

Je n'ai non plus besoin de répéter le reste du nouveau système : tout aboutit à ce sacrifice, à cet acquiescement comme à l'acte le plus parfait de la piété : ces désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu(2), et même les plus cachées, préparent la voie à cet acquiescement ; l'espérance n'est plus un motif, dès qu'il en faut venir jusqu'à la sacrifier : c'est là, comme je l'ai dit (3), et je ne crains point de le répéter encore une fois : c'est là, dis-je, le point décisif et la source de l'erreur, puisque c'est par là qu'on est mené pas à pas « à cet acte barbare et désespéré , de sacrifier par un sacrifice absolu son bonheur même éternel, et d'acquiescer à sa perte malgré la nature et malgré la grâce : » c'est aussi ce qui conduit insensiblement par l'indifférence du salut au dégoût du Sauveur; et sur cela j'ai encore à examiner une dernière proposition qui appartient aux épreuves.

 

CHAPITRE XXV. — Dernière proposition touchant la privation de Jésus-Christ dans les épreuves.

 

« Les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et réfléchie de Jésus-Christ en deux temps différents : mais elles ne sont jamais privées pour toujours en cette vie de la

 

1 Princ. prop., p. 57. — 2 Max., p. 61. — 3 Rép. à quatre Lett., n. 19.

 

424

 

vue simple et distincte de Jésus-Christ (1). » C'est une des propositions du nouveau système, pu il faut d'abord remarquer ces mots : Privées pour toujours ; et ceux-ci : Vue simple et distincte de Jésus-Christ; ce qui emporte qu'on pourrait être privé de cette vue simple et distincte, à condition que ce ne fût pas pour toujours en cette vie.

L'auteur passe de là à marquer deux temps pour cette privation, dont le premier est la ferveur de la contemplation naissante : ce temps ne me regarde pas ; mais le second temps est de mon sujet, puisqu'il appartient aux épreuves. « Secondement donc une âme PERD DE VUE Jésus-Christ dans les dernières épreuves (2) :» remarquez ces mots : perd de vue; et un peu après : « L’âme ne perd pas plus de vue Jésus-Christ que Dieu. Mais toutes ces pertes ne sont qu'apparentes et passagères, après quoi Jésus-Christ n'est pas moins rendu à l'aine que Dieu même. » Il n'y a nulle vérité dans ce discours. Ces pertes sont plus qu'apparentes, puisque ce retour de Jésus-Christ qui sera rendu, n'empêche pas la réalité de la privation, tant que dure ce temps d'épreuves. D'où l'auteur conclut que, « hors ces cas, l’âme la plus élevée peut dans l'actuelle contemplation être occupée de Jésus-Christ présent par la foi (3) : » par conséquent dans ces deux cas, et en particulier au cas des épreuves, l’âme n'en peut être occupée : on ne peut dire avec saint Paul : Je vis en la foi du fils de Dieu, qui ma aimé et s'est donné pour moi (4) : car c'est encore en être occupé : c'est en être occupé, que d'invoquer Dieu expressément et distinctement par Jésus-Christ, qui est alors présent par la foi : et encore qu'on puisse dire avec lui : Pourquoi me délaissez-vous? ce doit être sans aucune vue distincte et particulière. Sur cette proposition, qui est la XXXIIe du livre que nous réfutons, la note dit « qu'on n'est pas privé pour toujours de la vue simple et distincte de Jésus-Christ (5) : » mais elle ne répond rien à cette induction naturelle, qu'on peut donc en être privé très-longtemps, pourvu que ce ne soit pas pour toujours.

L'excuse que donne l'auteur à cette privation de Jésus-Christ

 

1 Max., p. 194. — 2 Ibid., p. 195. — 3 Ibid., p. 196. — 4 Gal., II, 20. — 5 Princ. prop., p. 121-123.

 

dans les épreuves, c'est qu'elles sont courtes. Il oublie le docte et pieux cardinal Bona dans le livre et dans le chapitre qu'il en a cité, où il dit que « sainte Thérèse a été dans ces épreuves affreuses dix-huit ans; saint François, deux ans; sainte Claire de Montfalco, quinze ans; sainte Catherine de Boulogne, cinq; sainte Marie Egyptienne, dix-sept; sainte Marie-Madeleine de Pazzi cinq ans, et seize ans encore dans ces extrêmes délaissements ; Henri Suzo, dix; Balthasar Alvarez, seize; et Thomas de Jésus, vingt (1). »

Enfin on fera durer cette privation aussi longtemps qu'on voudra, puisque la condition est seulement qu'on n'y soit pas pour toujours en cette vie : et durant tout ce temps, selon la note, non-seulement on sera privé de la vue sensible et réfléchie de Jésus-Christ (2), ce qui ne laisserait pas d'être pernicieux et insoutenable, mais encore de la vue distincte du même Jésus-Christ présent par la foi. On n'aura qu'une vue confuse et très-générale de Jésus-Christ en Dieu ; et sous prétexte que l’âme croit alors avoir tout perdu pour toujours, car c'est la supposition, elle ne le verra plus que confusément. Dans quel endroit de l'Evangile trouvera-t-on cette nouvelle doctrine ?

 

CHAPITRE XXVI. — Quatre auteurs cités pour le cas des dernières épreuves.

 

Ier auteur : saint Augustin.

 

« On voit par là combien il est vrai que nulle chose ne doit nous arrêter, puisque le Seigneur même, en tant qu'il est la voie, a voulu non pas nous arrêter, mais que nous passassions au delà, de peur que nous ne nous attachassions avec imperfection aux choses temporelles qu'il a faites pour notre salut, afin que nous méritions de parvenir à lui-même qui a délivré notre nature des choses temporelles, et qui l'a élevée à la droite du Père (3). »

 

1 Inst. past., p. 33. Errata sur cotte page. Via comp., cap. 10. — 2 Princ. propos.. Note de la page 122. — 3 Princ. prop., p. 124. S. Aug., lib. I de Doct. christ., 38.

 

426

 

RÉPONSE.

 

Je prends à témoin les yeux du lecteur, s'il y a là un seul mot des dernières épreuves, ni de la privation de Jésus-Christ dans quelque temps que ce soit, ni d'autre chose que d'être introduit, mais toujours et en tout état par Jésus-Christ comme voie à lui-même, comme vérité et comme vie. Cite-t-on de si longs passages , qui n'approchent pas seulement de la question, si ce n'est quand on veut manifestement éblouir le monde ?

 

IIe auteur : Blosius. IIIe auteur : le bienheureux Jean de la Croix.

 

RÉPONSE.

 

Pour abréger, on n'a qu'à jeter les yeux un moment sur ces passages expliqués ailleurs (1), pour voir qu'ils ne font rien à la question, et ne contiennent pas un seul mot de Jésus-Christ.

 

IVe auteur : saint François de Sales.

 

« Prenez courage : car s'il vous a dénué des consolations et sentiments de sa présence, c'est afin que sa présence ne tienne plus à votre cœur (2). »

 

RÉPONSE.

 

Etre dénué des consolations et sentiments de présence, est bien éloigné de perdre Jésus-Christ présent par la foi, de ne le voir plus que confusément et sans rue simple et distincte ; et cela pour autant de temps qu'on voudra, pourvu seulement que ce ne soit pas pour toujours en cette vie.

En un mot nous avons fait voir dans les auteurs, que le temps d'épreuve n'ôte pas la sécurité qu'on ne trouve qu'en Jésus-Christ, comme perpétuel Médiateur et Pontife toujours vivant afin d'intercéder pour nous.

 

1 Ci-dessus, ch. XVI, XVIII ; IIIe pass. — 2 Princ. prop., p. 125.

 

127

 

CHAPITRE XXVII. — Note sur l'involontaire en Jésus-Christ.

 

La variation de l'auteur sur ce sujet est surprenante (1) : il s'est excusé de cette parole sans faire ce qu'il fallait pour en purger son livre. Flatté par de complaisants défenseurs, il l'a soutenue comme bonne, ainsi qu'il est démontré dans la Réponse à quatre lettres (2), où je renvoie le lecteur. Il cesse de la soutenir dans la note sur la quinzième proposition (3) : il la défend de nouveau dans une nouvelle Lettre, et il ne sait quel parti prendre. Ce qui est certain, c'est que pour établir la conformité des âmes peinées avec Jésus-Christ notre parfait modèle, il l'a mise dans l’involontaire (4), qui en Jésus-Christ, comme en nous, n'avait aucune communication avec la partie supérieure.

 

CHAPITRE XXVIII. — Conclusion de cet ouvrage : l'auteur du nouveau système imagine de vains embarras.

 

J'ai rapporté environ quarante passages pour les comparer à quatorze ou quinze propositions condamnables , sur le seul sujet des épreuves, et il ne s'est trouvé nulle ressemblance qu'informe et confuse entre les uns et les autres, pas même dans les écrits de saint François de Sales, qui est celui dont on vante le plus la conformité. Cependant, comme s'il l'avait démontrée, l'auteur du nouveau système nous veut faire imaginer un embarras invincible dans la condamnation de son livre des Maximes ; et il tache d'intéresser l'Eglise romaine dans sa cause, par ces paroles : « L'Eglise romaine même a un intérêt capital de soutenir ce langage (prétendu des mystiques et des saints auteurs ) qu'elle a, pour ainsi dire, tant de fois canonisé avec les saints qui l’ont parlé dans leurs écrits. Autrement les hérétiques, les libertins et tous les autres hommes peu affectionnés au saint Siège, ne

 

1 Max. p. 122. — 2 Rép. à quatre Lett., n. 20. — 3 Princ. prop., p. 64. — 4 Max., p. 122, 123.

 

428

 

queraient pas de dire que cette Église varie selon les temps, qu'elle cède aux impressions passagères, et qu'elle censure aujourd'hui ce qu'elle donnait hier pour la règle de la perfection. Par exemple, elle paraît condamner dans mon livre des propositions qui sont visiblement rien pus précautionnées que plusieurs de saint François de Sales, dont elle dit dans son office solennel : Par ses écrits pleins d'une doctrine céleste, il a éclairé l’Eglise, et a montré un chemin assuré et uni pour arriver à là perfection. Je laisse à juger, si c'est un bon moyen de détruire les quiétistes, et de remédier à tant d'autres maux de l'Eglise, que de faire dire à tous ses ennemis qu'elle ne peut décider qu'en variant et en se contredisant elle-même (1). »

Un auteur qui écrit en cette sorte, perd le respect, et semble vouloir épouvanter l'Eglise romaine en lui montrant, pour la rebuter, une discussion infinie et embarrassante de tant de passages, qui ne sont pas moins autorisés que ceux de saint François de Sales.

Mais Dieu a donné à son Église des règles certaines pour trancher ces difficultés. Et premièrement la tradition se conserve toujours par certains actes publics et si notoires, que les novateurs eux-mêmes ne les peuvent nier. Ainsi la divinité du Fils de Dieu paraissait dans l'adoration qu'on lui rendait dans tous les temps, et qu'Arius trouvait établie. La tradition du péché originel était conservée dans le baptême des enfants, et celle de la nécessité aussi bien que de l'efficace de la grâce, par les prières de l'Eglise. Les mêmes prières de l'Eglise décident encore la question d'aujourd'hui : et on voit trop clairement que les vœux qu'elle pousse au ciel pour le salut, qui n'est autre chose au fond que la consommation de l'amour, ne peuvent pas y être contraires.

Sur cela nous avons l'aveu solennel de l'adversaire, puisqu'il est lui-même demeuré d'accord, que les motifs intéressés qu'il ôte aux parfaits « sont répandus dans tous les livres de l'Ecriture sainte, dans tous les monuments les plus précieux de la tradition ; enfin, dans toutes les prières de l'Eglise (2). »

 

1 Princ. prop., p. 127. —  2 Max., p. 33.

 

429

 

Nous n'avons pas besoin d'examiner avec lui sa nouvelle explication de l'intérêt propre ; et il suffit pour en condamner l'auteur, que ce qu'il ôte aux parfaits sous ce nom est cela même qui est répandu de son aveu dans l'Ecriture, dans la tradition et dans les prières que le Saint-Esprit dicte à l'Eglise catholique.

Si, voyant ce pas avancé qui renversait tout le système, il a voulu retourner en arrière, et soutenir que les motifs de l'intérêt propre n'étaient pas ceux de l'espérance chrétienne ; loin d'avoir affaibli par là ce que l'on concluait naturellement contre lui, il n'a fait que l'affermir, puisqu'après tout il est certain que les motifs de l'espérance chrétienne sont en effet répandus dans toute l'Ecriture, dans tous les monuments de la tradition, dans toutes les prières de l'Eglise: de sorte que c'était parler naturellement que de les avoir expliqués par ces termes.

Qu'il dise après cela tant qu'il voudra, que ces motifs ne sont point les surnaturels, mais ceux des affections naturelles, cette explication trouvée après coup ne sert qu'à faire voir que, comme tous les autres novateurs, il se sent condamné par les paroles que l'impression de la foi commune avait fait couler naturellement de sa plume ; et quelles que soient maintenant ses expressions, il sera toujours véritable que les motifs dont il parlait, et qu'il voulait ôter aux parfaits, étaient « des motifs répandus partout, des motifs révérés (1), » et des moyens révélés de Dieu « pour réprimer les passions, pour affermir toutes les vertus, et pour détacher les âmes de tout ce qui est renfermé dans la vie présente. » C'est ce que porte IIIe article vrai : le faux concourt dans le même sens (2), puisqu'il y est avoué que ces précieux motifs qu'on entreprend doter aux parfaits, « sont les fondements de la justice chrétienne, je veux dire, poursuit l'auteur, la crainte qui est le commencement de la sagesse, et l'espérance par laquelle nous sommes sauvés. »

Après cela vouloir réduire ces fondements de la justice chrétienne, et tous ces motifs révérés qui ont tout le bon effet et toutes les propriétés qu'on vient d'entendre, aux magnifiques expressions de l’Apocalypse et des prophètes, où la gloire des

 

1 Max., p. 33. — 2 Ibid  p. 38.

 

430

 

enfants de Dieu est si vivement représentée par des images sensibles qu'elles en pourraient exciter l'amour naturel : c'est un détour si visible, c'est un si manifeste affaiblissement de ce que la vérité avait inspiré d'abord, que les oreilles chrétiennes ne le peuvent plus entendre que comme un jeu d'esprit dans la matière du monde la plus grave.

Ainsi on est étonné, quand on entend un auteur se glorifier que les saints parlent comme lui, et qu'ils sont même beaucoup moins précautionnés : car à quoi attribuerons-nous le sacrifice absolu , avec toutes ses circonstances et avec l'acquiescement simple à sa juste condamnation? Est-ce une expression des saints? Point du tout : on ne trouve rien de semblable dans leurs écrits. Est-ce donc une précaution du livre des Maximes pour adoucir les expressions des pieux auteurs? Au contraire, c'est ce qu'il y a de plus excessif et de plus outré dans ce livre. Laissant à part ces excès déjà traités ailleurs, lequel des saints a parlé comme on vient d'entendre parler dans l'article III vrai et faux, un homme qui se glorifie d'être le plus précautionné de tous les mystiques, et d'avoir rendu plus corrects les premiers d'entre eux?

Après cela peut-on s'imaginer que l'Église puisse être en peine du fond de sa décision, ou s'inquiéter des passages qu'on lui objecte des siècles précédents? Les doctes savent que les ariens en avaient contre la divinité du Fils de Dieu d'aussi appareils, et en aussi grand nombre que ceux qu'on nous objecte. Mais sans s'étonner ni de leurs expressions, ni de leur sainteté, ni de leur nombre, l'Église a su distinguer le fond qui a toujours été constant d'avec les expressions qui n'ont pas toujours été également précautionnées. Car si l'auteur du nouveau système se sent lui-même obligé à réduire saint François de Sales à des expressions plus correctes, il a reconnu qu'avant les disputes on peut être beaucoup moins précautionné que depuis qu'elles sont émues, et qu'il ne faut pas s'étonner qu'on trouve quelque chose à expliquer et à tempérer dans les plus grands saints, sans préjudice du fond, qui demeure toujours inaltérable.

Quand donc aujourd'hui on veut faire craindre à l'Église romaine que ses ennemis, qui sont ceux de la vérité et de Jésus-Christ,

 

431

 

lui objecteront une doctrine variable, différente selon les temps (1), on est affligé de voir cette objection des hérétiques, des libertins et des autres hommes peu affectionnés au saint Siège, relevée par un évêque qui doit savoir combien l'Église romaine est au-dessus de tels discours. Elle sait bien qu'en l'état où Dieu a mis la vérité en ce lieu d'exil, il y aura toujours de quoi lui faire un mauvais procès; mais elle sait qu'il y a aussi un point décisif par où l'on tranche les difficultés et l'on concilie tous les passages. Au reste elle est incapable de s'émouvoir de la malignité des contredisants dont elle aura toujours à essuyer les oppositions et même les railleries tant qu'elle sera sur la terre. Accoutumée dès l'origine du christianisme à prendre le point de la décision, le fond, dis-je encore une fois, le fond ne la met jamais en peine ; et quand il se trouverait quelques saints auteurs qui se seraient quelquefois écartés de la vérité avant qu'elle fût bien reconnue, elle ne les dégraderait pas de l'état ni de l'honneur de la sainteté, parce qu'elle suppose toujours qu'ils portaient dans leur sein la soumission qui les a sanctifiés.

Mais aujourd'hui, Dieu merci, nous ne sommes point en ce cas; les propositions du nouveau système ne se lisent dans aucun des saints : il en faut outrer les passages pour y trouver quelque idée de ces étranges propositions. Il faut outrer saint François de Sales et lui faire avouer au pied de la lettre que privé de voir et d'aimer Dieu dans la vie future, il ne cessera de l'aimer du moins dans celle-ci : il faut outrer de la même sorte une Angèle de Foligny et les autres pieux auteurs, pour leur faire parler le langage du livre des Maximes. Ainsi tous les embarras dont on tâche d'envelopper cette question en multipliant les passages des saints auteurs, disparaissent comme un vain nuage.

 

1 Princ. prop., p. 127.

 

FIN DES PASSAGES ÉCLAIRCIS

Précédente Accueil Suivante