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RELATION DES ACTES ET DÉLIBÉRATIONS

 

CONCERNANT LA CONSTITUTION EN FORME DE BREF DE N. S. P. LE PAPE INNOCENT XII,

Du douzième de mars 1699.

 

LETTRE DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY

INNOCENTIUS PAPA XII.

INNOCENT PAPE XII.

LETTRE de la main du Roi au Pape.

MANDEMENT de Monseigneur l'Archevêque duc de Cambray.

MANDATUM illustrissimi domini Archiepiscopi ducis Cameracensis.

LETTRE circulaire du Roi aux Métropolitains.

DÉCLARATION DU ROI,

 

 

Portant condamnation et prohibition du livre intitulé : Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, par Messire François de Salignac Fénelon, archevêque de Cambray, etc.

 

Avec la délibération prise sur ce sujet le 23 de juillet 1700, dans l'assemblée générale du clergé de France, à Saiut-Germain-en-Laye.

 

EXTRAIT du procès-verbal de l'assemblée du clergé de France du jeudi vingt-deuxième de juillet 1700, du matin, monseigneur l'archevêque duc de Rheims président.

 

Messeigneurs les commissaires nommés par la Compagnie pour dresser la Relation de ce qui s'est passé dans l'Eglise de France, au sujet de l'affaire de Monseigneur l'Archevêque de Cambray, ont pris le bureau ; et Monseigneur l'Evêque de Meaux, comme le plus ancien de Messeigneurs les commissaires, a dit qu'en exécution des ordres de la Compagnie, Messeigneurs de la commission et lui avaient examiné le plan qu'on pouvait se former pour faire cette Relation ; qu'on était convenu de suivre le même ordre qu'avait suivi l'assemblée de 1635 dans la Relation qu'elle avait fait dresser de ce qui s'était passé en France au sujet de la doctrine condamnée par la Constitution d'Innocent X, et de l'acceptation qui en avait été faite; que sur ce plan on s'était proposé dans la commission de diviser la Relation en deux parties, dont la première contiendrait sommairement ce qui avait précédé le livre intitulé : Explication des Maximes des Saints, qui avait donné lieu à la Constitution en forme de bref de notre saint Père le Pape, du douzième de mars 1699; et la seconde contiendrait les actes, tant ceux qui ont saisi le saint Siège de la connaissance de cette affaire, avec le jugement qu'il en a porté par cette Constitution, que ceux qui

 

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regardent l'acceptation de la même Constitution; que la procédure qu'on avait observée pour cette acceptation avait été si régulière, qu'elle pourrait servir de modèle à la postérité, et qu'aussi elle avait été précédée par les exemples de l'antiquité, et dès le temps du pape saint Léon le Grand ; qu'à l'égard des exemples de pareilles Relations faites pour conserver aux siècles futurs la mémoire des faits importants à l'Eglise , on en remarquait plusieurs dans les écrits de saint Athanase, de saint Hilaire et de saint Augustin; qu'au reste il ne pouvait dissimuler à la Compagnie la peine qu'il ressentait de se voir contraint par ses ordres à rappeler dans son souvenir une affaire si douloureuse , non plus que se dispenser de remarquer dans le fait que la Déclaration que Monseigneur l'Archevêque de Paris aujourd'hui Cardinal, Monseigneur l'Evêque de Chartres et lui avaient publiée de leurs sentiments sur le livre de Monseigneur l'Archevêque de Cambray, ne fut pas donné pour faire à l'Eglise une dénonciation de ce livre, comme il semble par un procès-verbal que l'a cru une province ecclésiastique, mais que ce fut par l'indispensable nécessité de justifier leur foi et la pureté de leurs sentiments. Mondit Seigneur l'Evêque de Meaux a ajouté qu'on trouvera, vers la fin de la Relation , une analyse des procès-verbaux des assemblées provinciales, avec des remarques pour en faire observer la parfaite uniformité (a) ; et que surtout on y verrait éclater la piété du Roi attentive à conserver les droits des évoques dans l'acceptation de la Constitution apostolique, S. M. n'ayant pas voulu en ordonner l'enregistrement et l'exécution qu'après qu'elle aurait été reçue par toutes les provinces ecclésiastiques ; qu'enfin après avoir représenté toutes ces choses à l'assemblée, il croyait ne pouvoir mieux finir que par ce passage de saint Augustin, par lequel l'indifférence des nouveaux spirituels est si précisément réfutée : Quomodò est beata vita quam non amat beatus; aut quomodò amatur quod utrùm vigeat, an pereat, indifferenter accipitur (1)?

Après quoi Monsieur l'Abbé de Louvois a fait la lecture de la Relation, laquelle étant achevée, Monseigneur l'Evêque de Meaux a supplié rassemblée d'ordonner qu'elle demeurât sur le bureau, afin que chacun de Messeigneurs et Messieurs les députés eût le loisir de l'examiner et de faire ses réflexions sur ce qu'elle contient; mondit Seigneur ajoutant que la commission la soumettait avec un profond respect au jugement de la compagnie et des particuliers qui la composent.

L'assemblée suivant l'avis delà commission, a ordonné que la Relation demeurerait sur le bureau.

 

1 Lib. III de Trinit, cap. VIII.

(a) on a supprimé avec raison, dans toutes les éditions de Bossuet, les procès-verbaux des assemblées provinciales; mais on a conservé, parce qu'elles sont du grand évêque, les remarques qui en montrent l'uniformité.

 

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EXTRAIT du procès-verlal de l'assemblée du vendredi vingt-troisième de juillet 1700, du matin, Monseigneur l'Archevêque duc de Rheims président.

 

Messeigneurs les commissaires nommés par la Compagnie pour la Relation de l'affaire de Monseigneur L'Archevêque de Cambray ayant pris le bureau, Monseigneur l'Evêque de Meaux a dit qu'il avait seulement à ajouter à ce qu'il avait dit le jour précédent, ce que Messeigneurs de la commission avaient observé sur la conduite que l'assemblée de 1655 avait tenue par rapport à la Relation qui fut faite alors par ses ordres : savoir que ladite Relation ayant été approuvée, on ordonna qu'elle serait signée par tous les députés, insérée dans le procès-verbal et imprimée dans un recueil séparé ; qu'ainsi l'avis de la commission était qu'on suivît cet exemple, si la Compagnie l'avait agréable.

Délibération prise par provinces, l'assemblée a approuvé la Relation de ce qui s'est fait dans l'affaire de Monseigneur l'Archevêque de Cambray, et a ordonné suivant l'avis de la commission qu'elle sera signée par tous Messeigneurs et Messieurs les députés, insérée dans le procès-verbal, et qu'il en sera fait incessamment une édition particulière.

 

RELATION DES ACTES ET DÉLIBÉRATIONS.

 

La décision prononcée avec tant de poids et de connaissance par N. S. P. le Pape Innocent XII, le 12 de mars 1699, est si importante, et la manière de la recevoir et de l'exécuter dans le royaume si sage et si canonique, qu'on n'en peut trop soigneusement recueillir les Actes, qui se perdraient en demeurant dispersés. Les saints Pères (1) nous ont laissé plusieurs semblables recueils, où, pour l'instruction des fidèles, tant de leur âge que des siècles futurs, ils ont réduit les actes publics dans la suite d'un récit. La Relation de l'assemblée générale du clergé de France en 1656, composée sur ces beaux modèles, nous a été en cette occasion d'une si grande utilité, qu'il n'est pas permis de douter que celle qu'on aura dressée à cet exemple ne soit également profitable à la postérité. C'est aussi ce qui a porté l'assemblée générale de la présente année 1700, à nommer Messeigneurs les Evêques de Meaux, de Montaubau, de Cahors et de Troyes, avec messieurs les Abbés de Caumartin, de Pomponne, Bossuet et de Louvois, pour disposer cette affaire, et lui en faire le rapport.

La nouvelle spiritualité ou la nouvelle oraison, qu'on a voulu introduire dans ces dernières années en Italie et en France, a son fondement principal sur un prétendu amour pur ou amour désintéressé, bien différent de l'amour de Dieu que l'Ecriture et la Tradition reconnaissent.

Dans cette nouvelle spiritualité, on appelait intérêt non-seulement les biens temporels, ou même dans l'ordre des biens spirituels les grâces et les consolations sensibles, mais encore le salut que nous espérons en Jésus-Christ, la gloire éternelle, quoiqu'elle soit celle de Dieu plus que la nôtre, la béatitude, la jouissance de

 

1 Athanas., Apol. ad Constantium. Apol. II cont. Arian.. Epist. ad solitar. de Synod. August., de gestis Pelagii. Brevic. Collat., etc.

 

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Dieu, la vision bienheureuse. Toutes ces choses paraissaient trop basses pour toucher les âmes parvenues à ce prétendu pur amour. Tout ce qu'on avait à chercher en Dieu devait être tellement détaché de nous, qu'il n'y eût aucun rapport. On oubliait que dès la troisième parole du commandement de l'amour divin, il était dit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, au même sens qu'il fut dit à Abraham : Je serai ton Dieu, et celui de ta postérité après toi (1) ; au même sens que David disait si souvent : O Dieu, mon Dieu : pour marquer qu'il était à nous, et nous à lui, de cette façon particulière que saint Paul après Jérémie explique en disant : Je leur serai Dieu, et ils me seront peuple (2); et dont encore il est écrit dans l'Apocalypse : C'est ici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu demeurant avec eux sera leur Dieu (3).

Cependant il se fallait élever au-dessus de cet amour que nous devons à Dieu comme nôtre : il avait par cet endroit-là trop de liaison avec nous. Pour achever de poser l'état de la question et la matière des décisions ecclésiastiques, on ne doit point oublier que Jésus-Christ comme Jésus-Christ et Sauveur, avait trop de rapport à nous, pour être le digne objet d'une âme contemplative, animée du pur amour. Il ne fallait plus le regarder que comme Dieu béni au-dessus de tout (4), sans s'occuper volontairement de ce qu'il avait voulu être fait pour nous ; c'est-à-dire notre sagesse, notre justice, noire sanctification, noire rédemption (5), en un mot, notre Emmanuel, Dieu avec nous (6). Tout cela nous devenait comme indifférent : on ne se souciait ni d'être sauvé, ni d'être damné ; c'était là ce qu'on appelait la sainte et bienheureuse indifférence, dans un sens bien opposé à l'intention de ceux qui s'étaient servis de cette expression : on sacrifiait aisément dans les dernières épreuves, ce qu'on tenait si indifférent : on consentait à sa damnation, en présupposant que Dieu la voulait d'une volonté absolue, et on n'aurait pas voulu faire la moindre action pour en détourner le coup.

Quelles illusions prenaient la place des solides vérités qu'on

 

1 Gen., XVII, 7. — 2 Jerem., XXXI, 33; Hebr., VIII, 10. — 3 Apoc., XXI, 3. — 4 Rom., IX, 5. — 5 I Cor., I, 30. — 4 Isa., VII, 14.

 

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laissait en cette sorte au-dessous de soi ; les exemples des béguards dans les siècles passés, et celui de Molinos en nos jours, le montrent assez. C'est de là que venaient ces étranges épreuves qui réalisaient le péché pour aussi mieux réaliser la damnation ; et on cherchait un repos funeste dans un acquiescement absolu à sa perte.

La condamnation de Molinos prononcée à Rome le 20 de novembre 1087, par la bulle d'Innocent XI, rendit l'Eglise plus attentive à ces matières ; et la France ne fut pas longtemps sans s'apercevoir qu'on répandait depuis quelque temps dans tout le royaume, une infinité de petits livres où les maximes du faux pur amour et de la nouvelle oraison étaient établies d'une manière si spécieuse, que comme ceux de Molinos, ils étaient comptés parmi les livres de dévotion. Ceux qui se firent le plus remarquer par les gens instruits, furent les livres intitulés : Le Moyen court, et une Interprétation sur le Cantique des Cantiques ; une femme avait composé ces traités. Feu Monseigneur l'Archevêque de Paris la mit dans un monastère, où il fit faire contre elle quelques procédures dont il ne se trouve aucun vestige. Comme elle parut très-obéissante, on se contenta de sa soumission, et sur la promesse qu'elle fit de ne plus écrire ni dogmatiser, on lui laissa l'usage des sacrements.

Le mal se renouvelant et le bruit s'augmentant de plus en plus par les livres qu'on vient de nommer, qui se répandaient jusque dans les communautés, leur auteur demanda en particulier l'instruction de quelques évêques sur la nouvelle oraison et le prétendu amour pur : car pour les abominations qu'on regardait comme les suites de ses principes, il n'en fut jamais question, et cette personne en témoignait de l'horreur. Sur le reste elle proposa elle-même Messeigneurs les Evêques de Meaux et de Châlons, depuis Archevêque de Paris, et aujourd'hui cardinal, avec feu M. Tronson supérieur du séminaire de Saint-Sulpice. Il se tint a Issy dans la maison de cette communauté, des conférences très-secrètes sur la nouvelle spiritualité et sur les livres en question, elle qui les avait composés fut ouïe plusieurs fois ; et s'étant retirée volontairement aux filles de Sainte-Marie de Meaux,

 

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elle et ses amis présentèrent divers écrits pour expliquer leurs sentiments, qu'ils soumirent à l'examen des juges qu'ils avaient choisis. Ce fut après les avoir examinés que les trois juges choisis crurent nécessaire d'opposer à la nouvelle oraison, et aux écrits qu'on présentait pour la défendre, les trente-quatre Articles d’Issy, du 10 de mars 1694. La suite des faits oblige ici à remarquer que M. l'Abbé de Fénelon fut un de ceux qui écrivirent en faveur du prétendu amour pur, et de la nouvelle spiritualité, et qu'après avoir expliqué sur la matière ce qu'il trouva à propos, il souscrivit les articles, étant déjà nommé Archevêque de Cambray.

Pendant que l'on travaillait à ces instructions particulières, feu M. l'Archevêque de Paris, qui veillait de son côté contre l'erreur, publia son Ordonnance du 10 d'octobre 1694, où entre autres livres, les deux dont il a été parlé furent condamnés avec la nouvelle oraison.

Pareille condamnation fut prononcée par Messeigneurs les Evêques de Meaux et de Châlons dans leurs Ordonnances des 16 et 25 d'avril 1095. Ces deux Prélats insérèrent dans leurs Ordonnances les trente-quatre Articles d’Issy pour l'instruction des fidèles. La Dame retirée à Meaux, ainsi qu'il a été dit, les avait déjà souscrits, et souscrivit encore aux deux Ordonnances où la censure de ses livres était contenue, et donna toutes les marques qu'on pouvait attendre de sa soumission.

Monseigneur l'Evêque de Chartres, qui le premier de tous les Evêques du royaume avait découvert dans son diocèse un commencement de l'introduction de la nouvelle oraison, et en avait vu de ses yeux les mauvais effets, animé par le même esprit qui guidait les autres prélats, condamna aussi par son Ordonnance du 21 de novembre de la même année, les livres intitulés : Le Moyen court, et  l’Interprétation sur le Cantique des Cantiques, avec un manuscrit du même auteur, qu'on répandait dans son diocèse et ailleurs, sous le nom de Torrens, dont les fidèles extraits, insérés dans cette Ordonnance, font assez voir les raisons de défendre et de censurer cet écrit pernicieux.

Le Roi touché à son ordinaire des intérêts de la religion, dont

 

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il est le protecteur, approuva ce que faisaient ces Evêques ; et tant de zèle, tant de précautions et de si justes mesures avec un si grand soutien, auraient étouffé le mal dans sa naissance, si par un événement qu'on ne peut assez déplorer, Monseigneur l'Archevêque de Cambray n'avait mis au jour son livre intitulé : Explication des Maximes  des Saints sur la vie intérieure, qui a renouvelé les disputes, et a excité comme en un moment par tout le royaume le soulèvement qu'on a vu.

Une circonstance remarquable de la publication de ce livre fut de déclarer dès la préface, que deux grands Prélats (ce sont les propres paroles de cette préface) « ayant donné au public trente-quatre propositions qui contiennent en substance toute la doctrine des voies intérieures, l'auteur ne prétendait dans cet ouvrage que d'expliquer leurs principes avec plus d'étendue. » Ainsi on ne laissait aucun doute, que la doctrine de ce nouveau livre ne fût celle de ces deux Prélats, c'est-à-dire de Monseigneur l'Evêque de Châlons, déjà élevé à l'Archevêché de Paris, et de Monseigneur l'Evêque de Meaux. Il ne s'agissait que d'étendre plus ou moins leurs principes. L'auteur leur attribuait les propositions, et ne se laissait à lui-même autre part, en cette affaire, que celle de développer plus au long leurs sentiments. Par là ils se trouvaient engagés malgré eux dans cette cause ; le livre étant public, imprimé en langue vulgaire, avec privilège, avec le nom d'un si grand auteur, il fallait en désavouer ou avouer la doctrine ; et ces deux Prélats se virent réduits à cette nécessité.

Elle leur parut encore plus fâcheuse, lorsque examinant la doctrine qu'on leur attribuoit, loin de la pouvoir accorder avec les Articles d’Issy, ils trouvèrent qu'elle ne faisait que les éluder, et la jugèrent d'ailleurs si opposée à la saine théologie, qu'ils se crurent obligés à déclarer sur cela leur sentiment.

Ils se flattèrent longtemps de l'agréable espérance que Monseigneur l'Archevêque de Cambray rentrerait dans les premiers sentiments de confiance qu'il leur avait témoignés dès le commencement de cette affaire. Mais ce Prélat ne trouvant plus à propos de s'en rapporter comme auparavant à ses confrères, et résolu de soutenir sa doctrine malgré toute l'opposition qu'il y trouvait en

 

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France, porta l'affaire au saint Siège par la lettre qu'on va transcrire ici toute entière, parce qu'elle est le fondement de la procédure qui fut commencée à Rome. La voici en latin et en français, selon la traduction que l'auteur en publia quelque temps après.

 

LETTRE DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY

A NOTRE TRÈS-SAINT PÈRE LE PAPE INNOCENT XII.

 

Très-Saint Père,

 

J'avais résolu d'envoyer au plus tôt avec toute sorte de soumission et de respect à Votre Sainteté, le livre que j'ai fait depuis peu sur les Maximes des Saints pour la vie intérieure. la suprême autorité avec laquelle vous présidez à toutes les églises, et les grâces dont vous m'avez comblé, m'imposaient ce devoir. Mais pour n'omettre rien dans une matière si importante et sur laquelle les esprits sont si agités, et pour remédier aux équivoques qui peuvent naître de la diversité du génie des langues ; j'ai pris le parti de faire avec soin une version latine de tout mon ouvrage. C'est à quoi je m'applique tout entier, et bientôt j'enverrai cette traduction pour la mettre aux pieds de Votre Sainteté.

Plût à Dieu , très-saint Père, que je pusse en vous présentant moi-même mon livre avec un cœur zélé et soumis, recevoir votre bénédiction apostolique. Mais les affaires du diocèse de Cambray pendant les malheurs de la guerre, et l'instruction des Princes que le Roi m'a fait l'honneur de nie confier, ne me permettent pas d'espérer cette consolation.

Voici, très-saint Père, les raisons qui m'ont engagé à écrire de la vie intérieure et de la contemplation. J'ai aperçu que les uns abusant des maximes des Saints, si souvent approuvées par le Saint Siège, voulaient insinuer peu à peu des erreurs pernicieuses, et que les autres ignorant les choses spirituelles les tournoient en dérision. La doctrine abominable des quiétistes, sous une apparence de perfection, se glissait en secret comme la gangrène en divers endroits delà France et même de nos Pays-Bas. Divers écrits, les uns peu corrects, les autres fort suspects d'erreur, excitaient la curiosité indiscrète des fidèles. Depuis quelques siècles, beaucoup d'écrivains mystiques portant le mystère de la loi dans une conscience pure, avaient favorise sans le savoir l'erreur qui se cachait encore; ils l'avaient fait [par un excès de piété affectueuse, par le défaut de précaution sur le choix des termes, et par mu ignorance pardonnable des principes de la théologie. C'est ce qui a enflammé le zèle ardent de plusieurs illustres évêques. C'est ce qui leur a fait composer trente-quatre Articles qu'ils n'ont pas dédaigné de dresser et d'arrêter avec moi. C'est ce qui les a engagés aussi à faire des censures contre certains petits livres » dont quelques endroits pris dans le sens qui se présente naturellement, méritent d'être condamnés.

Mais , très-saint Père , les hommes ne s'éloignent guère d'une extrémité sans

 

1 Moyen court et très-facile, etc. Explication du Cantique des Cantiques.

 

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tomber dans une autre. Quelques personnes ont pris ce prétexte contre notre intention, pour tourner en dérision, comme une chimère extravagante, l'amour pur de la vie contemplative.

Pour moi, j'ai cru qu'il fallait, en marquant le juste milieu, séparer le vrai du faux, et ce qui est ancien et assuré d'avec ce qui est nouveau et périlleux. C'est ce que j'ai essayé de faire selon mes forces très-bornées : de savoir si j'y ai réussi ou non, c'est à vous, très-saint Père, à en juger, et c'est à moi à écouter avec respect, comme vivant et parlant en vous, saint Pierre, dont la foi ne manquera jamais.

Je me suis principalement appliqué à rendre cet ouvrage court; et en cela j'ai suivi le conseil des personnes les plus éclairées , qui ont désiré qu'on pût trouver un remède prompt et facile , non-seulement contre l'illusion qui est contagieuse, mais encore contre la dérision des esprits profanes. Il a donc fallu songer aux âmes pleines de candeur, qui étant plus simples dans le bien que précautionnées contre le mal, n'apercevaient pas cet horrible serpent qui se glissait entre les fleurs; il a fallu songer aussi au mépris des critiques qui ne veulent point séparer de la doctrine empestée des hypocrites, les traditions ascétiques et les précieuses maximes des Saints. C'est pourquoi ou a jugé qu'il était à propos de faire une espèce de dictionnaire de la théologie mystique, pour empêcher les bonnes âmes de passer au delà des bornes posées par nos Pères.

J'ai donc, renfermé dans le style le plus concis qu'il m'a été possible, des définitions des termes que l'usage des Saints a autorisés. J'y ai même employé le poids et l'autorité d'une censure , pour tâcher d'écraser une hérésie si pleine d'impudence. Il m'a paru, très-saint Père, qu'il y aurait quelque indécence qu'un évêque montrât au public ces erreurs monstrueuses, sans témoigner aussitôt l'indignation et l'horreur qu'inspire le, zèle de la maison de Dieu. A Dieu ne plaise néanmoins que j'aie, perdu de vue ma faiblesse, et que j'aie parlé avec présomption. L'autorité suprême du saint Siégea suppléé abondamment tout ce qui me manquait. Les souverains Pontifes en examinant scrupuleusement tous les écrits des Saints qu'ils ont canonisés, ont approuvé en toute occasion les véritables maximes de la vie ascétique et de l'amour contemplatif. Ainsi en m'attachant à cette règle immuable, j'ai espéré de pouvoir dresser, sans aucun péril de m'égarer, les articles que j'ai donnés comme véritables. A l'égard des faux que j'ai condamnés , j'ai été conduit comme par la main : car je me suis proposé en tout pour modèle, les décrets solennels par lesquels le saint Siège a condamné les soixante-huit propositions de Michel de Molinos. Fondé sur un tel oracle, j'ai osé élever ma voix.

Premièrement, j'ai condamné l'acte permanent, et qui n'a jamais besoin d'être réitéré, comme ime source empoisonnée d'une oisiveté et d'une léthargie intérieure.

Secondement, j'ai établi la nécessité indispensable de l'exercice distinct de chaque vertu.

Troisièmement, j'ai rejeté comme incompatible avec l'état du voyageur, une contemplation perpétuelle et sans interruption, qui exclurait les péchés véniels, la distinction des vertus, et les distractions involontaires.

Quatrièmement, j'ai rejeté une oraison passive , qui exclurait la coopération réelle du libre arbitre pour former les actes méritoires.

Cinquièmement, je n'ai admis aucune autre quiétude, ni dans l'oraison, ni dans les autres exercices de la vie ultérieure , que celte paix du Saint-Esprit avec laquelle les âmes les plus pures font leurs actes d'une manière si uniforme, que ces actes paraissent aux personnes sans science, non des actes distincts, mais un simple et permanente unité avec Dieu.

Sixièmement, de peur que la doctrine du pur amour, si autorisée par tant de

 

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Pères de l'Eglise et par tant d'autres Saints, ne parût servir de refuge aux erreurs des quiétistes, je me suis principalement appliqué à montrer qu'en quelque degré de perfection qu'un soit, et de quelque pureté d'amour qu'on soit rempli, il faut toujours conserver dans son cœur l'espérance par laquelle nous sommes sauvés, suivant ce que l'Apôtre dit : Manifestant ces trois choses, la foi, l'espérance, la charité, demeurent ; mais la charité est la plus grande. il faut donc toujours espérer, désirer, demander notre salut, puisque Dieu le veut, et qu'il veut que nous le voulions pour sa gloire. Ainsi l'espérance se conserve dans son propre exercice, non-seulement par l'habitude infuse, mais encore par ses actes propres, qui étant condamnés et ennoblis par la charité, comme parle l'Ecole, sont rapportés très simplement à la sublime fin de la charité même, qui est la pure gloire de Dieu.

Septièmement, j'ai dit que cet état de charité ne se trouve que dans un petit nombre d'âmes très-parfaites, et qu'il est eu elles seulement habituel. Quand je dis habituel, à Dieu ne plaise qu'on entende inamissible ou exempt de toute variation. Si cet état est encore sujet aux péchés quotidiens, à combien plus forte raison est-il compatible avec des actes faits de temps en temps, qui ne laissent pas d'être bons et méritoires, quoiqu'ils soient un peu moins purs et désintéressés. Il suffi! pour cet état que les actes des vertus y soient faits le plus souvent avec cette perfection que la charité y répand, et dont elle les anime. Toutes ces choses sont conformes aux trente-quatre Articles.

Je joindrai, très-saint Père, au livre que j'ai publié, un recueil manuscrit des sentiments des Pères et des Saints des derniers siècles, sur le pur amour des contemplatifs , afin que ce qui n'est que simplement exposé dans le premier ouvrage, soit prouvé dans le second par les témoignages et par les sentiments des Saints de tous les siècles. Je soumets du fond de mon coeur, très-saint Père, l'un et l'autre ouvrage au jugement de la sainte Eglise romaine, qui est lanière de toutes les antres, et qui les a enseignées. Je dévoue, et ce qui dépend de moi et moi-même à Votre Sainteté, comme le doit faire un fils plein de zèle et de respect. Que si mon livre français a déjà été porté à Votre Sainteté , je vous Supplie très-humblement, très-saint Père, de ne rien décider sans avoir vu auparavant ma traduction latine, qui partira tout au plus lot. Que me reste-t-il à faire, si ce n'est de souhaiter un long pontificat à un Chef des pasteurs qui gouverne avec un cœur désintéressé le royaume de Jésus-Christ, et qui dit avec l'applaudissement de toutes les nations catholiques à son illustre famille : Je ne vous comtois point ? En faisant tous les jours de tels vœux, je crois demander la gloire et la consolation de l'Eglise, le rétablissement de la discipline, la propagation de la foi, l'extirpation des schismes cl des hérésies, enfin l'abondante moisson dans le champ du souverain Père de famille. je serai à jamais,

 

Très-Saint Père ,

 

De Votre Sainteté,

Le très-humble, très-obéissant et très-dévoué fils et serviteur.

 

François, Archevêque duc de Cambray.

 

Le latin n’est pas transcrit.

 

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Ce qu'il y a de considérable dans le fait, est premièrement que cette lettre de Monseigneur l'Archevêque de Cambray saisissait le Pape, et lui demandait un jugement. Secondement, que l'auteur promettait à Sa Sainteté une traduction latine de son livre, selon laquelle il demandait d'être jugé, pour remédier, disait-il, aux équivoques qui peuvent naître de la diversité des langues. Troisièmement, qu'il entrait en diverses explications de son livre et de ses intentions : et enfin qu'il répétait une et deux fois, qu'il ne prétendait dans ce livre que de suivre les trentre-quatre Articles d’Issy, ainsi qu'il l'avait déclaré dans la préface de son livre.

Monseigneur l'Archevêque de Paris, et Monseigneur l'Evêque de Meaux, qui savaient l'affaire engagée et le Pape saisi par cette lettre, voyant aussi que d'ailleurs on les appelait toujours en témoignage, se sentirent enfin obligés à se déclarer : ce ne fut pas sans continuer autant qu'ils purent les voies amiables, comme leur commun caractère et leur ancienne amitié les y obligeaient. Monseigneur l'Evêque de Chartres, en qui Monseigneur de Cambray témoignait une confiance particulière, s'était joint à eux pour l'examen, tant de l'affaire dans le fond que des expédions pour la terminer d'une manière paisible. Mais après une longue attente pendant l'espace d'environ six mois, sans prétendre rien prononcer dans la cause dont cet Archevêque avait déjà saisi le Pape, et sans même dénoncer le livre, mais seulement pour la décharge de leur conscience, ils publièrent leur Déclaration du 6 d'août 1097 ; et Monseigneur l'Evêque de Chartres s'unit avec eux, pour les raisons qui sont exposées dans la même Déclaration,

Quelque temps après, Monseigneur l'Archevêque de Paris publia son Instruction pastorale, du 7 d'octobre 1097, sur la perfection chrétienne, et sur la vie inférieure , entre les illusions des faux mystiques; où après avoir instruit son troupeau du fond de la matière, il ne manqua pas d'expliquer que s'il ne prononçait pas, comme il le pouvait sur le livre qui faisait alors tant de bruit, c'était par respect pour le Pape qui l'examinait.

Monseigneur l'Evêque de Chartres publia aussi sa Lettre pastorale, du 10 de juin 1698, sur le livre intitulé : Explication des

 

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Maximes des Saints, et sur les explications différentes que Monseigneur l'Archevêque de Cambray en a données; et il y déclara qu'on devait attendre avec soumission le jugement du saint Siège où la cause avait été portée.

On n'entrera pas plus avant dans le particulier des ouvrages qu'on a publiés sur ce livre, et on se contentera de louer le zèle et la doctrine des Prélats qui ont travaillé si utilement à la défense de la bonne cause. Il ne faut pas oublier pour l'éclaircissement du fait, que pendant un temps si considérable où Monseigneur l'Archevêque de Cambray défendait son livre, il ne s'est trouvé dans toute la chrétienté aucun auteur connu qui ait entrepris de le soutenir.

Tout l'univers est témoin de l'application infatigable de notre saint Père le Pape, dans un examen que les nouvelles explications du livre rendaient tous les jours plus difficile : mais tous les incidents qu'on faisait naître, pour ainsi dire, à chaque pas. loin de décourager le saint Pontife, n'ont fait qu'enflammer son zèle ; non content des Congrégations qu'il faisait tenir sans relâche, et du compte qu'on lui en rendait tous les jours, ce saint Pape pressé du désir de donner la paix à l'Eglise par une décision exacte et digne de la chaire de saint Pierre, les tenait lui-même longues et fréquentes ; et secondé par les cardinaux qui continuaient sous ses ordres leurs utiles et édifiants travaux, après une discussion si publique et si solennelle de chaque proposition, et après avoir imploré et fait implorer durant plusieurs jours l'assistance du Saint-Esprit, il publia la constitution en forme de bref que nous allons rapporter.

 

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La partie latine n’est pas reprise

 

Damnatio et Prohibitio

 

500

 

A la lecture d'une si sage Constitution, on sentit d'abord que le saint Siège avait compris à fond tout le mal, et en avait voulu couper la racine. Par une première atteinte le livre est noté, par le bruit qui s'éleva en France, que la doctrine n'en était pas saine. Ce qui fut poussé si loin que le Pape se crut obligé à l'examiner. Voilà donc la première chose qui se fait sentir dans le fait. En avançant, on trouve le livre plus précisément attaqué ; quoiqu'encore en général, lorsqu'avant que d'en venir aux propositions particulières, on déclare que par la lecture et l'usage qu'on en ferait, les fidèles pourraient être induits à des erreurs déjà condamnées par l'Eglise catholique : ce qui a sa relation naturelle aux condamnations nouvellement prononcées par Innocent XI, dont la conformité avec les décrets du concile œcuménique de Vienne est assez connue.

Pour ne laisser aucun lieu à tant d'explications, où les défenseurs du livre semblaient mettre leur confiance ; Sa Sainteté a expliqué qu'elle en condamnait les propositions, soit dans leur sens qui se présente d'abord, OBVIO SENSU, soit à raison de la connexion des opinions, SIVE EX CONNEXIONE SENTENTIARUM : par où le saint Pontife fait sentir que, non content de condamner le sens naturel qui paraît d'abord dans le livre, il en a voulu pénétrer à fond toute l'intention, dans la liaison de ses principes.

 

(a) On peut voir la traduction de ce bref dans le mandement de Bossuet, ci-dessus, p. 472 et suiv.

 

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L'auteur du livre, selon la promesse qu'on a pu voir dans sa Lettre à sa Sainteté, en avait envoyé à Rome la traduction latine tournée en explications adoucies. Mais le Pape sans s'y arrêter, non plus qu'à celles qu'il insinuait dès sa Lettre, condamne ce livre au sens naturel que l'original français présentait, et en quelque langue qu'il sait imprimé, QUOCUMQUE IDIOMATE ; ce qui comprend même le texte latin, sur lequel l'auteur avait demandé d'être jugé.

Le Roi, dont le zèle et la piété égalent la pénétration et les lumières, et qui n'avait demandé au Pape qu'une décision prompte et précise, reçut avec une joie digne du fils aîné de l'Eglise, l'exemplaire du décret du Pape que Monseigneur Delphini Nonce de Sa Sainteté, aujourd'hui Cardinal, remit entre les mains de Sa Majesté, et le même ministre lui présenta peu de temps après lo bref qui s'ensuit, du 31 de mars 1099.

 

INNOCENTIUS PAPA XII.

 

Charissime in Christo fili noster, salutem et apostolicam benedictionem. Novum ac prœclarum specimen illius pietatis quam semper Majestas Tua prœfert, potissimùm verò ubi de catholicœ veritatis integritate agitur, perccpimus ex regiis tuis ad nos Litteris, sextà décima labentis martii datis, quibus profiteris te summo studio prœstolari hujus sanctœ Sedis judicium super doctrinâ contenta in libro antistitis Cameracensis : atque à nobis enixè postulas, ut moram omnem atque obicem, si quem forte ab aliquibus interponi contigisset, quominùs definitiva prodiret sententia, removere auctoritate nostrà velimus. Sanè ex ipso decreto quod nuper evulgari statimque ad te deferri jussimus, te jam cognovisse arbitramur, quœ fuerit eâ in re obeundi muneris nostri justisque petitionibus tuis annuendi, pontificia nostra sollicitudo, cui profectù respondisse zelum eorum, quibus aut discutiendi aut promovendi hujusmodi negotii provincia demandata erat, persuasum te omninô esse volumus : Majestati intérim Tuœ uberem bonorum copiam ab eorumdem largitore Deo precamur, et apostolicam benedictionem amantissimè impertimur. Datum Romœ apud sanctam Mariam Majorem, sub annulo Piscatoris, die 31 martii 1099, pontificatùs nostri anno octavo. Sign. Ulysses-Joseph Gossadinus. Et au dos, Charissimo in Christo tilio nostro LUDOVICO Francorum Regi Christianissimo.

 

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INNOCENT PAPE XII.

 

Notre très-cher fils en Jésus-Christ, salut et bénédiction apostolique. Nous avons reçu une nouvelle et signalée preuve de la piété dont Votre Majesté fait toujours profession, principalement quand il s'agit de l'intégrité de la foi catholique, par sa lettre du 16 du présent mois de mars, dans laquelle vous nous assurez que vous attendez avec une extrême impatience le jugement du Saint-Siège , sur la doctrine contenue dans le livre de l'Archevêque de Cambray, et vous nous priez instamment d'empêcher par notre autorité tous les délais, et de lever tous les obstacles que certaines personnes auraient pu faire naître, pour retarder la publication de notre sentence définitive. Mais nous croyons que vous savez à présent, par le décret que nous venons de publier, et que nous avons donné ordre de vous remettre aussitôt entre les mains, quelle a été en cette occasion notre sollicitude pastorale à remplir nos devoirs et à satisfaire à vos justes instances. Vous devez aussi être persuadé que ceux qui ont été chargés de l'examen de cette affaire et d'en avancer le jugement, y ont correspondu avec zèle. Cependant nous prions Dieu auteur de tout bien, de combler de ses grâces Votre Majesté, et nous vous donnons de bon cœur notre bénédiction apostolique. Donné à Rome, à Sainte-Marie Majeure sous l'anneau du pêcheur, le trente et unième jour de mars 1699, et le huitième de notre pontificat. Signé Ulysse-Joseph Gossadino. Et au dos : A notre très-cher fils en Notre-Seigneur Jésus-Christ, LOUIS, Roi de France très-Chrétien.

 

Ce bref fait voir le grand zèle de Sa Majesté à procurer de la part du Saint-Siège une prompte décision de cette importante affaire, sans entrer dans le fond de la matière dont elle attendait le jugement de Sa Sainteté, et en même temps le soin particulier que le Pape a eu de faire porter au Roi la décision aussitôt qu'elle fut prononcée, ainsi que Monseigneur le Nonce l'avait exécuté.

Avant que ce bref du Pape eût pu arriver en France, Sa Majesté avertie, comme on vient de voir, du jugement du Saint-Siège, en témoigna sa joie au saint Père par cette lettre en date du 6 d'avril 1699.

 

LETTRE de la main du Roi au Pape.

 

Très-saint Père,

 

Après avoir reçu par le Nonce de Votre Sainteté la part qu'Elle m'a fait donner de son jugement sur le livre de l'Archevêque de Cambray, je n'ai pas voulu différer à la remercier des peines et de l'application que le zèle infatigable de Votre Béatitude lui a fait apporter à la discussion de cette affaire. Les instances que j'ai faites à Votre Sainteté pour terminer au plus tôt cette dispute, étaient fondées sur la parfaite

 

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connaissance que j'avais du préjudice qu'elle causait au bien de l'Eglise. L'intérêt que je prends à sa tranquillité m'oblige également à rendre des actions de grâces à Votre Béatitude de l'avoir enfin procurée. Il me reste à souhaiter que Votre Sainteté puisse voir longtemps l'heureux fruit des soins qu'Elle donne au gouvernement de l'Eglise, et qu'il plaise à Dieu d'accorder aux prières des fidèles, la conservation d'un aussi grand Pape. Votre Sainteté doit être persuadée que j'y prends un intérêt particulier et personnel, et que je suis avec vénération, très-saint Père, votre très-dévot fils.

 

Signé, LOUIS.

 

Cette lettre sera un monument éternel à la postérité de la piété d'un grand Roi, et de la part qu'elle lui a fait prendre à la tranquillité rendue à l'Eglise, qui avait été altérée et le pouvait être beaucoup plus par cette dispute, si elle n'avait été si heureusement terminée.

La même lettre justifie encore la grande estime et l'affection filiale de Louis le Grand envers Innocent XII. Ce qui console et réjouit les vrais chrétiens, et sera d'un grand exemple aux siècles futurs.

Dieu donnait une visible bénédiction à cet ouvrage ; la Constitution du saint Père fit tout son elfet sur l'esprit de Monseigneur l'Archevêque de Cambray, qui sans hésiter déclara sa soumission absolue et sans réserve en ces termes :

 

MANDEMENT de Monseigneur l'Archevêque duc de Cambray.

 

François par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège apostolique Archevêque duc de Cambray, Prince du saint empire, comte du Cambrésis, etc., au clergé séculier et régulier de notre diocèse, salut et bénédiction en Notre-Seigneur.

Nous nous devons à vous sans réserve, mes très-chers Frères, puisque nous ne sommes plus à nous, mais au troupeau qui nous est confié : Nos autem servos vestros per Jesum. C'est dans cet esprit que nous nous sentons obligé de vous ouvrir ici notre coeur, et de continuer a vous faire part de ce qui nous touche sur le livre intitulé : Explication des Maximes des Saints.

Enfin notre saint Père le Pape a condamné ce livre avec les vingt-trois propositions qui en ont été extraites par un bref daté du douze mais, qui est maintenant répandu partout, et que vous avez déjà vu.

 

 

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Nous adhérons à ce bref, mes très-chers Frères, tant pour le texte du livre que pour les vingt-trois propositions, simplement, absolument et sans ombre de restriction. Ainsi nous condamnons tant le livre que les vingt-trois propositions, précisément dans la même forme, et avec les mêmes qualifications, simplement, absolument et sans aucune restriction. De plus, nous défendons sous la même peine à tous les fidèles de ce diocèse, de lire et de garder ce livre.

Nous nous consolerons, mes très-chers Frères, de ce qui nous humilie, pourvu que le ministère de la parole que nous avons reçu du Seigneur pour votre sanctification n'en soit pas affaibli ; et que nonobstant l'humiliation du pasteur, le troupeau croisse en grâce devant Dieu.

C'est donc de tout notre cœur que nous vous exhortons à une soumission sincère et à une docilité sans réserve, de peur qu'on n'altère insensiblement la simplicité de l'obéissance pour le Saint-Siège, dont nous voulons moyennant la grâce de Dieu, vous donner l'exemple jusqu'au dernier soupir de notre vie.

A Dieu ne plaise qu'il soit jamais parlé de nous, si ce n'est pour se souvenir qu'un pasteur a cru devoir être plus docile que la dernière brebis du troupeau, et qu'il n'a mis aucune borne à sa soumission.

Je souhaite, mes très-chers frères que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communication du Saint-Esprit demeure avec vous tous. Amen. Donné à Cambray, le 9 avril 1699.

 

Signé François Archevêque duc de Cambray.
Par Monseigneur, Des Anges, secrétaire.

 

MANDATUM illustrissimi domini Archiepiscopi ducis Cameracensis.

 

Franciscus miseratione divine, et sanctœ Sedis apostolicœ gratia Archiepiscopus dux Cameracensis, sancti Romani imperii Princeps, comes Cameracesii, etc., Clero sœculari et regulari nostrœ diœcesis, salutem et benedictionem in Domino.

Vobis, Fratres charïssimi, nos totos debemus, quippe non jam nostri, sed gregi credito devoti siimus : Servos autem vestros per Jesum. Sic affecti, quœ nos attinent super libello cui titulus : Placita Sanctorum explicita, apertis praecordiis hic exponendum esse arbitramur.

Tandem opusculum cum XXIII propositionibus excerptis damnatum est brevi Pontificio Martii, die 12 dato, quod jam vulgatum legistes.

Cui quidem brevi apostolico bim de libelli contextu, quàm de XXIII propositionibus simpliciter, absolutè et absque ullà vel restrictionis umbrà adhaerentes, libellum cum XXIII propositionibus eàdem praecisè forma iisdemque qualificationibus simpliciter, absolutè et absque ullà restrictione condemnamus. Insuper et eâdem pœnà prohibemus ne quis hujus diœcesis libellum aut legat aut domi servet.

Cœterùm, Fratres charissimi, quanquàm humiliatur minister, haud deerit solatium,

 

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modo verbi ministerium, quod accepit à Domino, non sordescat in illius ore, neque eo minus grex apud deiun gratià crescat.

Porrò vos omnes ex animo adbortamur ad sinceram subinissioneni et intimam docilitatem, ne sensiin marceseat illa erga Sedcm apostolicam ohedicutiœ simplicitas, in quà prœstandà, Deo misericorditer adjuvante, ad extrenuun usque spiritum vobis exemplo erimus.

Absit ut unquàm nostri mentio fiat, nisi fortè ut meminerint aliquandò fideles, pastorem infime gregis ove se dociliorem prœbendum duxisse, nullumque obedientiœ limitem fuisse positum.

Oro, Fratres ebarissimi, ut gratia Domini nostri Jesu Christi, charitas Dei et communicatio Spiritus sancti maneat cum omnibus vobis. Amen. Datum Cameraci die 9 aprilis 1699.

 

 

Signatum, Franciscus Archiepiscopus dux Cameracensis.

Et infra : de Mandato Des Anges, Secret.

 

Les ennemis de l'Eglise parurent surpris d'un changement si soudain et si exemplaire, et ils eussent bien voulu ne le pas croire. Mais l'Eglise qui sait la grâce attachée à l'obéissance, reconnut dans la soumission de cet archevêque, l'effet naturel de l'humilité chrétienne et de la subordination ecclésiastique. Il y a un premier Evêque, il y a un Pierre préposé par Jésus-Christ, même à conduire tout le troupeau : il y a une Mère Eglise qui est établie pour enseigner toutes les autres; et l'Eglise de Jésus-Christ fondée sur cette unité comme sur un roc immobile, est inébranlable.

On travaillait cependant à tirer l'utilité qu'on devait attendre d'une Constitution si solennelle, et à assurer par ce moyen la paix de l'Eglise. Le Roi par sa piété et par sa droiture se détermina d'abord aux voies les plus canoniques, et les plus conformes à l'ancienne tradition et aux maximes reçues de tout temps dans l'Eglise de son royaume, qui sont aussi celles de l'Eglise universelle. Mais on connaîtra mieux ses intentions par la lettre de Sa Majesté, qu'on va transcrire, que par nos paroles.

 

LETTRE circulaire du Roi aux Métropolitains.

 

Monsieur l'Archevêque de... ou Mon Cousin, à ceux qui sont cardinaux ou pairs.

Le sieur Archevêque de Cambray ayant porté devant notre saint Père le Pape le jugement des plaintes qu'avait excitées en différents endroits de mon royaume, et particulièrement en ma bonne ville de Paris, le livre qu'il y avait fait imprimer en l'année 1697, sous le titre

 

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d'Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, Sa Sainteté l'aurait fait examiner avec tout le temps, l'exactitude, et l'attention que pouvaient désirer l'importance de sa matière et le caractère de son auteur, et l'aurait enfin condamné par sa Constitution en forme de bref du 12 de mars dernier, dont le sieur Delphini, son Nonce, me serait venu informer par ses ordres, et m'aurait présenté en même temps un exemplaire de ladite Constitution : et j'ai appris dans la suite que ledit sieur Archevêque de Cambray en ayant été informé, avait voulu être le premier à reconnaître la justice de cette condamnation, et réparer par la promptitude de sa soumission le malheur qu'il avait eu de l'attirer par les propositions qui étaient contenues dans son livre. Et comme il est également de mon devoir et de mon inclination d'employer la puissance qu'il a plu à Dieu de me donner, pour maintenir la pureté de la foi, et d'appuyer d'une protection singulière tout ce qui peut y contribuer, je vous adresse une copie de ladite Constitution de notre saint Père le Pape, vous admonestant, et néanmoins enjoignant d'assembler le plus tôt qu'il vous sera possible les sieurs Evêques suffragants de votre métropole, afin que vous puissiez recevoir et accepter ladite Constitution avec le respect qui est dû à notre saint Père le Pape, et convenir ensemble des moyens que vous estimerez les plus propres pour la faire exécuter ponctuellement et d'une manière uniforme dans tous les diocèses; et qu'après que j'aurai été informé de l'acceptation qui en aura été faite, et des résolutions qui auront été prises dans toutes les assemblées qui seront tenues h cette fin , je fasse expédier mes lettres-patentes pour la publication et exécution de ladite Constitution dans toute l'étendue de mon royaume, terres et pays de mon obéissance. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur l'Archevêque, ou Mon Cousin, en sa sainte et digne garde. Ecrit à Versailles, le vingt-deuxième jour d'avril mil six cent quatre-vingt-dix-neuf. Signé, LOUIS : Et plus bas : Colbert.

 

Et au dos est écrit : A mon Cousin, etc., ou A Monsieur l'Archevêque de... etc.

 

Une pareille lettre fut adressée à M. l'Archevêque de Cambray, et elle commençait ainsi : « Monsieur l'Archevêque de Cambray , ayant vu par le mandement que vous avez fait publier dans votre diocèse, et dont vous m'avez envoyé un exemplaire, votre soumission pour la condamnation prononcée par N. S. P. le Pape, contre le livre que vous avez fait imprimer en l'an 1697, sous le titre d'Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, etc. »

 

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Toutes les paroles de cette lettre du Roi aux Métropolitains sont dictées par la religion et par la sagesse : mais ce qu'elle a de plus remarquable, c'est que Sa Majesté voulut exprimer que ce serait seulement après qu'Elle aurait été informée de l'acceptation de la Constitution, et des résolutions qui auraient été prises dans toutes les provinces ecclésiastiques, qu'Elle ferait expédier ses lettres-patentes pour la publication et exécution de la même Constitution par tout son royaume. Par ce moyen, dans une matière où il s'agissait de la foi, ce Prince aussi habile et intelligent que pieux, sut sagement prendre le parti que lui inspirait la religion, et voulut que le sentiment des évêques précédât ses lettres-patentes.

La vérité qui parle aux cœurs et tourne ceux des rois comme il lui plaît, lui fit reconnaître que si dans les affaires temporelles la puissance royale doit marcher devant, comme celle qui est préposée de Dieu pour les gouverner ; dans les affaires de Dieu même et qui dépendent de sa révélation, elle ne fait que venir au secours de ses ministres sacrés, qui sont par leur caractère les dépositaires de la doctrine inspirée de Dieu. Ainsi en cette occasion, ce grand Roi ne s'attribue d'autre autorité que celle d'assembler les évêques, selon la pratique perpétuelle des empereurs et des rois chrétiens, et en même temps il les assemble par la voie la plus canonique, c'est-à-dire par l'autorité sacrée de leurs Métropolitains, qui, reconnue de tout temps dans toute l'Eglise, ne pouvait venir que de la tradition des apôtres.

Toute l'Eglise de France s'épancha en actions de grâces, et reconnut plus que jamais qu'elle avait un Roi à qui la sagesse était envoyée d'en haut pour présider à ses conseils. Le succès répondit à son attente. On vit toutes les provinces dans un pieux mouvement, par des assemblées où la force de la vérité se rendit sensible dans la parfaite unanimité de tant d'églises, sans autre concert que celui que leur inspirait la même lumière de la foi, la même suite de la tradition et le même esprit de la grâce. C'est ce qu'on va reconnaître dans le recueil des procès-verbaux des assemblées provinciales ; et on avouera qu'il ne fallait pas laisser perdre, faute de les avoir ramassés ensemble, tant de témoignages

 

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de la foi, et tant de précieux monuments de la discipline ecclésiastique renouvelés en nos jours, sous la protection d'un prince si religieux. 

(Suit l'analyse des procès-verbaux des assemblées provinciales, pour l'acceptation du Bref de N. S. P. le Pape, après quoi Bossuet continue. ) 

L'uniformité des provinces, et pour parler encore plus précisément, le consentement unanime de tous les évêques de l'Eglise gallicane, paraît principalement en trois choses : dans la manière de recevoir la Constitution apostolique, dans le fond de la doctrine, et dans l'examen des formalités.

Pour ce qui regarde l'acceptation solennelle de la Constitution, les évêques toujours attachés à la tradition, après avoir recherché les exemples des siècles passés, et en particulier ce qui s'était fait en la dernière occasion, qui était l'acceptation solennelle des Constitutions d'Innocent X et Alexandre VII, sur les cinq propositions, résolurent d'un commun accord, qu'à ce grand exemple et pour maintenir les droits sacrés des évêques, on y devait procéder non par une simple exécution, mais toujours avec connaissance, et par forme de jugement ecclésiastique. Ainsi l'avaient entendu ces grands papes saint Innocent, saint Léon I, saint Simplice, saint Grégoire, saint Martin, saint Léon III, Jean VIII, Victor II, Eugène III et les autres, dont les provinces alléguaient les autorités. Les églises tenaient à honneur de citer les lettres des Papes qui leur étaient adressées, et celles que nos ancêtres leur avaient autrefois écrites dans le même esprit.

Le Pape, comme le Chef et la Bouche de toute l'Eglise, du haut de la Chaire de saint Pierre, dans laquelle toutes les églises gardent l'unité, annonçait à tous les fidèles la commune tradition avec toute l'autorité du Prince des apôtres : les évêques reconnaissaient dans le décret du premier Siège la tradition de leurs saints prédécesseurs toute vivante dans leurs églises ; et ce consentement parfait était la dernière marque de l'assistance du Saint-Esprit qui animait tout le corps de l'Eglise catholique ; c'était là cet examen que le grand pape saint Léon avait tant loué.

 

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Ainsi en reconnaissant la divine supériorité du premier Siège, les évêques se conservaient le dépôt de la tradition que Jésus-Christ leur avait mis entre les mains, et même selon l'ordre naturel le premier jugement dans les questions de la foi. Mais en même temps ils avouaient que le premier Siège, lorsque le besoin de l'Eglise le demandait, pouvait commencer, pour être suivi avec connaissance par les Sièges subordonnés, en sorte que tout aboutît à l'unité catholique. On trouva même dans l'antiquité, et avec le consentement du grand pape saint L éon, un concours des provinces de l'Empire, semblable à celui qui venait de se pratiquer. Enfin les actes de ces assemblées sont un trésor d'érudition ecclésiastique, qui ne laisse rien à désirer sur l'ancien ordre de l'Eglise, sur l'autorité des canons et sur les libertés aussi saintes que modestes et respectueuses que Jésus-Christ nous a acquises par son sang, et dont aussi les églises chrétiennes ont toujours été si jalouses.

La chose était facile par le fond : les évêques étaient instruits de la matière par les disputes précédentes. Aussi les assemblées n'ont rien oublié de ce qui servait à illustrer cette doctrine. On est entré dans l'esprit de la censure apostolique en comparant les vingt-trois propositions condamnées, pour en bien connaître le sens par la liaison des principes (1). Tous ont remarqué dans le livre avec une nouvelle doctrine une source d'illusions et de pratiques pernicieuses (2) ; des prétextes à la négligence, de vaines précisions, des subtilités inconnues à toute la tradition, qui ôtaient le goût des vérités et des vertus évangéliques ; un dessèchement de l'oraison au lieu de la perfection qu'on en promettait ; une flatteuse nourriture de la vanité ; la ruine de l'espérance, et un affaiblissement de l'attention qu'on doit avoir à Jésus-Christ et à ses mystères (3). On a pénétré à fond la nature du faux amour pur, qui effaçait toutes les anciennes et les véritables idées de l'amour de Dieu, que nous trouvons répandues dans l’Ecriture et dans la tradition : celui qu'on veut introduire et établir à sa place est contraire à l'essence de l'amour, qui veut toujours posséder son objet, et à la nature de l'homme, qui désire

 

1 Procès-verb. de Rouen, d'Albi. — 2 De Narbonne, de Bourges. — 3 De Rouen.

 

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nécessairement d'être heureux (1) : On condamne distinctement sur ce principe la prétendue sainte indifférence, et ce prétendu abandon total, où sous prétexte de soumission à la volonté de Dieu, qu'on appelle de bon plaisir, on fait consister le plus saint exercice de la religion à sacrifier les âmes à la damnation éternelle (2); d'où suit une altération des véritables maximes et du langage des saints.

Le fond si bien pénétré fit passer unanimement toutes les provinces par-dessus certaines formalités, qui néanmoins furent remarquées avec autant de solidité que de respect, pour en éviter les conséquences. Il fut même sagement observé que M. l'archevêque de Cambray, qui avait le plus d'intérêt à rechercher les moyens d'affaiblir, s'il se pouvait, la sentence qui le condamnait, s'y était le premier soumis par acte exprès (3). On remarqua avec joie les noms illustres des grands évêques qu'il avait suivis dans cette action : et à l'exemple du Roi, toutes les provinces s'unirent à louer cette soumission, montrant à l'envi que tout ce qu'on avait dit par nécessité contre le livre, était prononce sans aucune altération de la charité.

        Après que les provinces eurent accepté unanimement avec respect et soumission la Constitution apostolique, il restait encore, que, selon la coutume immémoriale de tous les royaumes chrétiens, il plût à Sa Majesté d'appuyer de sa main royale, et d'ordonner l'exécution d'une décision si authentique. Ce qui fut fait en cette forme :

 

DÉCLARATION DU ROI,

 

Qui ordonne l'exécution de la Constitution de N. S. P. le Pape, en forme de bref, du 12 de mars 1699, portant condamnation d'un livre intitulé : Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, composé par M. l'Archevêque de Cambray.

 

Louis par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre : A tous ceux qui ces présentes Lettres verront, salut. Les plaintes qui s'élevèrent en l'année 1697, en différents endroits de notre royaume, et particulièrement

 

1 Procès-verb. d'Aix. — 2 De Tours, d'Aix. —  3 De Paris.

 

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ment en notre bonne ville de Paris, au sujet du livre intitulé : Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, composé par le sieur de Salignac Fénelon Archevêque de Cambray, l'ayant engagé de porter d'abord au Saint-Siège cette affaire qui était née dans le royaume, et de soumettre au jugement de notre Saint Père le Pape la doctrine qu'il y avait expliquée, Sa Sainteté aurait fait examiner ce livre avec toute l'exactitude que méritent les choses qui regardent la foi ; et après y avoir travaillé elle-même durant un très-longtemps avec beaucoup de zèle et d'application, Elle l'aurait condamné par sa Constitution donnée en forme de bref le 12 de mars dernier, et aurait ordonné en même temps au sieur Delphini son Nonce, de Nous en présenter de sa part un exemplaire, et de Nous demander notre protection pour la faire exécuter. Nous l'avons reçue avec le respect que Nous avons pour le Saint-Siège et pour la personne de notre saint Père le Pape ; et nous avons estimé à propos d'en envoyer des copies à tous les Archevêques de notre royaume, avec ordre d'assembler les Evêques leurs suffragants, afin qu'ils pussent accepter cette Constitution dans les formes ordinaires, et que joignant ainsi leurs suffrages à l'autorité du jugement de notre saint Père le Pape, le concours de ces puissances put étouffer entièrement des nouveautés qui blessaient la pureté de la foi, et dont on pouvait abuser pour la corruption de la morale chrétienne. Ces assemblées ont eu le succès que Nous en avions espéré, et Nous avons vu avec beaucoup de plaisir par les procès-verbaux qui nous ont été présentés, que les Prélats de notre royaume, et même ledit sieur Archevêque de Cambray, reconnaissant dans la Constitution de notre saint Père le Pape la doctrine apostolique, l'ont reçue avec le respect et la soumission qui est duc au Chef qu'il a plu à Dieu de donner sur la terre à son Eglise ; et Nous ont supplié en même temps de faire expédier nos Lettres-Patentes pour la faire publier et exécuter dans notre royaume. Et comme Nous ne nous servons jamais avec une plus grande satisfaction de la puissance qu'il a plu à Dieu de Nous donner, que lorsque Nous l'employons pour maintenir la pureté de la foi comme un Roi très-chrétien, redevable a la bonté divine d'une si longue suite de grâces et de prospérités, est obligé de le faire : A ces CAUSES : Nous avons dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, par ces présentes signées de notre main, voulons et Nous plait, que ladite Constitution de notre saint Père le Pape en forme de bref, attachée sous le contre-scel de notre Chancellerie, acceptée par les Archevêques et Evêques de notre royaume, y soit reçue et publiée pour y être exécutée, gardée et observée selon sa forme et teneur. Exhortons à cette fin, et néanmoins enjoignons à tous les Archevêques et Evêques, conformément aux résolutions qu'ils ont prises eux-mêmes, de la faire lire et publier incessamment dans toutes les églises de leurs

 

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diocèses, enregistrer dans les greffes de leurs officialités, et de donner tous les ordres qu'ils estimeront les plus efficaces pour la faire exécuter ponctuellement. Ordonnons en outre que ledit livre, ensemble que tous les écrits qui ont été faits, imprimés et publiés pour la défense des propositions qui y sont contenues et qui ont été condamnées, seront supprimés. Défendons à toutes sortes de personnes à peine de punition exemplaire, de les débiter, imprimer, et même de les retenir. Enjoignons à ceux qui en ont de les rapporter aux greffes des justices dans le ressort desquelles ils demeurent, ou en ceux des officialités pour y être supprimés : et à tous nos officiers et autres, auxquels la police appartient, de faire toutes les diligences et perquisitions nécessaires pour l'exécution de cette présente disposition. Défendons pareillement à toutes sortes de personnes de composer, imprimer et débiter à l'avenir aucuns écrits, lettres ou autres ouvrages, sous quelque titre et en quelque forme que ce puisse être, pour soutenir, favoriser et renouveler lesdites propositions condamnées, à peine d'être procédé contre eux comme perturbateurs du repos public.

 

SI DONNONS EN MANDEMENT à nos aînés et féaux les gens tenant notre Cour de parlement, que s'il leur appert que dans ladite Constitution en forme de bref il n'y ait rien de contraire aux saints décrets, Constitutions canoniques, aux droits et prééminences de notre Couronne et aux libertés de l'Eglise gallicane, ils aient à faire lire, publier et enregistrer nos présentes Lettres, ensemble ladite Constitution ; et le contenu en icelles garder et faire garder, et observer par tous nos sujets dans l'étendue du ressort de notre dite Cour, en ce qui dépend de l'autorité .pie nous lui donnons. Enjoignons en outre à notre dite Cour, et à tous nus autres officiers chacun en droit soi, de donner auxdits Archevêques et Evêques, et à leurs officiaux le secours et aide du bras séculier, lorsqu'ils en seront requis dans les cas de droit, pour l'exécution de ladite Constitution : Car tel est notre plaisir : en témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à ces présentes. Donné à Versailles le quatrième jour du mois d'août, l'an de grâce mil six cent quatre-vingt-dix-neuf, et de notre règne le cinquante-septième. Signé, LOUIS. Et plus bas, par le Roi, PHÊLIPPEAUX. Et scellé du grand sceau de cire jaune.

 

Registrées, ouï et ce requérant le procureur général du Roi, pour être exécutées selon leur forme et teneur, et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lues, publiées et registrées. Enjoint aux substituts du procureur général du Roi d'y tenir la main, et d'en certifier la Cour dans un mois, suivant et aux charges portées par l'arrêt de ce jour. A Paris, en parlement, le quatorzième jour d'août mil six cent quatre-vingt-dix-neuf. Signé, DONGOIS.

 

Cette Déclaration a été aussi enregistrée dans tous les autres parlements du royaume.

Pour ne rien omettre d'une procédure qui servira de modèle ; ux siècles futurs, on doit ici remarquer qu'après avoir supprimé le livre dont il s'agissait, le Roi à la très-humble supplication et

 

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selon les vœux exprès de la plupart des provinces, a pareillement supprimé tous les autres livres imprimés et publiés pour la défense des propositions condamnées, et défendu par avance à toute de personnes d'écrire pour les soutenir, favoriser et renouveler, à peine d'être procédé contre eux comme perturbateurs du repos public.

Cette précaution était nécessaire contre les diverses explications qu'on donnait au livre avant la Constitution et depuis : elle l'est encore contre quelques inconnus qui ont continué d'écrire en sa faveur, de quelque manière que ce soit, pendant que la soumission de l'auteur lui fait garder le silence.

Ainsi fut consommé le grand ouvrage que le plus sage de tous les rois s'était proposé. Il avait voulu recevoir les avis des évêques de son royaume, assemblés canoniquement dans leurs provinces sous leurs métropolitains, avant que de donner ses lettres-patentes pour l'exécution de la Constitution apostolique : Sa Majesté en ordonne l'expédition après les avoir reçus ; et sa Déclaration publiée dans tout le royaume, s'explique en des termes qui se font si bien remarquer par leur propre force, qu'il n'est pas besoin de les répéter.

L'arrêt d'enregistrement de la Déclaration au parlement de Paris, donné le quatorze d'août mil six cent quatre-vingt-dix-neuf, se conserve dans des registres révérés par tout le royaume, et sera un monument immortel de la parfaite concorde et du concours unanime du sacerdoce et de l'empire sous LOUIS le Grand.

 

FIN DE L’AFFAIRE DU QUIÉTISME

 

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