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ARTICLE PREMIER. Des richesses ou des finances. Du commerce : et des impôts.
Ire PROPOSITION. Il y a des dépenses de nécessité : il y en a de
splendeur et de dignité.
IIe PROPOSITION. Un Etat florissant est riche en or et en argent : et c'est un
des fruits d'une longue paix.
IIIe PROPOSITION. La première source de tant de richesses est le commerce et la
navigation.
IVe PROPOSITION. Seconde source des richesses : le domaine du prince.
Ve PROPOSITION. Troisième source ces richesses : les tributs imposés
aux rois et aux nations vaincues, qu'on appelait des présents.
VIe PROPOSITION. Quatrième source des richesses : les impôts que
payait le peuple.
VIIe PROPOSITION. Le prince doit modérer les impôts, et ne point
accabler le peuple.
VIIIe PROPOSITION. Conduite de Joseph dans le temps de cette horrible
famine, dont toute l'Egypte et le voisinage furent affligés.
IXe PROPOSITION. Remarques sur les paroles de Jésus-Christ et de ses
apôtres, touchant les tributs.
Xe PROPOSITION. Réflexions sur la doctrine précédente : et définition
des véritables richesses.
XIe PROPOSITION. Les vraies richesses d'un royaume sont les hommes.
XIIe PROPOSITION. Moyens certains d'augmenter le peuple.
ARTICLE II. Les conseils.
Ire PROPOSITION. Quels ministres ou officiers sont remarqués auprès
des anciens rois.
IIe PROPOSITION. Les conseils des rois de Perse, par qui dirigés.
IIIe PROPOSITION. Réflexion sur l'utilité des registres publies,
joints aux conseils vivants.
IVe PROPOSITION. Le prince se doit faire soulager.
Ve PROPOSITION. Les plus sages sont les plus dociles à croire
conseil.
VIe PROPOSITION. Le conseil doit être choisi avec discrétion.
VIIe PROPOSITION. Le conseiller du prince doit avoir passé par
beaucoup d'épreuves.
VIIIe PROPOSITION. Quelque soin que le prince ait pris de choisir et
d'éprouver son conseil, il ne s'y doit point livrer.
IXe PROPOSITION. Les conseils des jeunes gens, qui ne sont pas
nourris aux affaires, ont une suite funeste, surtout dans un nouveau règne.
Xe PROPOSITION. Il faut ménager les hommes d'importance, et ne pas
les mécontenter.
XIe PROPOSITION. Le fort du conseil est de s'attacher à déconcerter
l'ennemi, et à détruire ce qu'il a de plus ferme.
XIIe PROPOSITION. Il faut savoir pénétrer et dissiper les cabales,
sans leur donner le temps de se reconnaître.
XIIIe PROPOSITION. Les conseils relèvent le courage du prince.
XIVe PROPOSITION. Les bons succès sont souvent dus à un sage
conseiller.
XVe PROPOSITION. La bonté est naturelle aux rois : et ils n'ont rien
tant à craindre que les mauvais conseils.
XVIe PROPOSITION. La sage politique, même des Gentils et des Romains,
est louée par le Saint-Esprit.
XVIIe PROPOSITION. La grande sagesse consiste à employer chacun selon
ses talents.
XVIIIe PROPOSITION. Il faut prendre garde aux qualités personnelles :
et aux intérêts cachés de ceux dont on prend conseil.
XIXe PROPOSITION. La première qualité d'un sage conseiller, c'est
qu'il soit homme de bien.
ARTICLE III. On propose au prince divers caractères des ministres ou
conseillers: bons, mêlés de bien et de mal, et méchants.
Ire PROPOSITION. On commence par le caractère de Samuel.
IIe PROPOSITION. Le caractère de Néhémias, modèle des bons
gouverneurs.
IIIe PROPOSITION. Le caractère de Joab, mêlé de grandes vertus et de
grands vices, sous David.
IVe PROPOSITION. Holoferne, sous Nabuchodonosor, roi de Ninive et
d'Assyrie.
Ve PROPOSITION. Aman , sous Assuérus, roi de Perse.
ARTICLE IV. Pour aider le prince à bien connaître les hommes, on lui en montre
en général quelques caractères tracés par le Saint-Esprit dans les livres de la
Sagesse.
Ire PROPOSITION. Qui sont ceux qu'il faut éloigner des emplois
publics : et des Cours mêmes, s'il est possible.
IIe PROPOSITION. On propose trois conseils du Sage, contre trois
mauvais caractères.
IIIe PROPOSITION. Le caractère de faux ami.
IVe PROPOSITION. Le vrai usage des amis et des conseils.
Ve PROPOSITION. L'amitié doit supposer la crainte de Dieu.
VIe PROPOSITION. Le caractère d'un homme d'Etat.
VIIe PROPOSITION. La piété donne quelquefois du crédit, même auprès
des méchants rois.
VIIIe PROPOSITION. La faveurs voit guère deux générations.
IXe PROPOSITION. On voit auprès des anciens rois un conseil de
religion?
ARTICLE V. De la conduite du prince dans sa famille : et du soin qu'il doit
avoir de sa santé.
Ire PROPOSITION. La sagesse du prince paraît à gouverner sa famille,
et à la tenir unie pour bien de l'Etat.
IIe PROPOSITION. Quel soin le prince doit avoir de sa santé.
ARTICLE VI ET DERNIER. Les inconvénients et tentations qui accompagnent la
royauté: et les remettes qu'on y doit apporter.
1re PROPOSITION. On découvre les inconvénients de la puissance
souveraine , et la cause des tentations attachées aux grandes fortunes.
IIe PROPOSITION. Quels remèdes on peut apporter aux inconvénients
proposés.
IIIe PROPOSITION. Tout empire doit être regardé sous un autre empire
supérieur et inévitable, qui est l'empire de Dieu.
IVe PROPOSITION. Les princes ne doivent jamais perdre de vue la mort
: où l'on voit l'empreinte de l'empire inévitable de Dieu.
Ve PROPOSITION. Dieu fait des exemples sur la terre : il punit par
miséricorde.
VIe PROPOSITION. Exemples des châtiments rigoureux. Saul : premier
exemple.
VIIe PROPOSITION. Second exemple : Baltasar roi de Babylone.
VIIIe PROPOSITION. Troisième exemple : Antiochus (surnommé
l'Illustre), roi de Syrie.
IXe PROPOSITION. Le prince doit respecter le genre humain, et révérer
le jugement de la postérité.
Xe PROPOSITION. Le prince doit respecter les remords futurs de sa
conscience.
XIe PROPOSITION. Réflexion que doit faire un prince pieux, sur les
exemples que Dieu fait des plus grands rois.
XIIe PROPOSITION. Réflexion particulière à l'état du christianisme.
XIIIe PROPOSITION. On expose le soin d'un roi pieux à supprimer tous
les sentiments qu'inspire la grandeur.
XIVe PROPOSITION. Tous les jours, et dès le matin, le prince doit se
rendre devant Dieu attentif à tous ses devoirs.
XVe ET DERNIÈRE PROPOSITION. Modèle de la vie d'un prince dans son
particulier : et les résolutions qu'il y doit prendre.
CONCLUSION. En quoi consiste le vrai bonheur des rois.
Ire
PROPOSITION. Il y a des dépenses de nécessité : il y en a de splendeur et de
dignité.
« Qui jamais fit la guerre à ses
dépens? Quel soldat ne reçoit pas sa paye (3)? »
On peut ranger parmi ces
dépenses de nécessité, toutes celles qu'il faut pour la guerre, comme la
fortification des places, les arsenaux, les magasins et les munitions, dont il a
été parlé.
Les dépenses de magnificence et
de dignité ne sont pas moins
1 II Paralip., XVII, 14 et seq.; XXVI, 12, 13. — 2 I
Paralip., XXVII, 1, 2 et q. — 3 I Cor., IX, 7.
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nécessaires à leurs manières, pour le soutien de la
majesté, aux yeux des peuples et des étrangers.
Ce serait une chose infinie de
raconter les magnificences de Salomon1.
Premièrement dans le temple, qui
lut l'ornement comme la défense du royaume et de la ville. Rien ne l'égalait
dans toute la terre, non plus que le Dieu qu'on y servait. Ce temple porta
jusqu'au ciel et dans toute la postérité, la gloire de la nation et le nom de
Salomon son fondateur (2).
Treize ans entiers furent
employés à bâtir le palais du roi dans Jérusalem, avec les bois, les pierres,
les marbres et les matériaux les plus précieux, comme avec la plus belle et la
plus riche architecture qu'on eût jamais vue. On l'appelait le Liban, à cause de
la multitude de cèdres qu'on y posa, en hautes colonnes comme une foret, dans de
vastes et longues galeries et avec un ordre merveilleux (3).
On y admirait en particulier le
trône royal, où tout resplendis-soit d'or, avec la superbe galerie où il était
érigé. Le siège en était d'ivoire, revêtu de l'or le plus pur : les six degrés
par où l'on montait au trône et les escabeaux où posaient les pieds, étaient du
même métal : les ornements qui l'environnaient étaient aussi d'or massif (4).
Auprès se voyait l'endroit
particulier de la galerie où se rendait la justice, tout construit d'un pareil
ouvrage.
Salomon bâtit en même temps le
palais de la reine sa femme, fille du roi Pharaon (5), où tout étincelait des
pierreries, et où avec la magnificence on voyait reluire une propreté exquise.
Ce prince appela pour ces beaux
ouvrages, tant de son royaume que des pays étrangers, les ouvriers les plus
renommés pour le dessin, pour la sculpture (6), pour l'architecture, dont les
noms sont consacrés à jamais dans les registres du peuple de Dieu, c'est-à-dire
dans les saints Livres.
1 III reg., VI, VII, VIII, IX ; II
Paralip., I, II, III, IV, V, VI, VII. — 2 I Paralip.,
X, 17 , ib , 19. — 3 III Reg., VII, 1, 2 et seq. — 4
Ibid., X, 18, 19 ; II Par., X, 17, 18, 19. — 5 III Reg., III,
I ; IX, 24 ; II Paralip., VIII, 11. — 6 Ibid., II, 13,14.
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Ajoutons les lieux destinés aux
équipages (1). où les chevaux, les chariots, les attelages étaient innombrables.
Les tables, et les officiers de
la maison du roi pour la chasse, pour les nourritures, pour tout le service,
dans leur nombre comme dans leur ordre, répondaient à cette magnificence (2).
Le roi était servi en vaisselle
d'or. Tous les vases de la maison du Liban étaient de fin or (3). Et le
Saint-Esprit ne dédaigne pas de descendre dans tout ce détail, parce qu'il
servit dans ce temps de paix à faire admirer et craindre, au dedans et au
dehors, la puissance d'un si grand roi.
Une grande reine attirée par la
réputation de tant de merveilles, vint les voir dans le plus superbe appareil et
avec des chameaux chargés de toute sorte de richesses (4). Mais quoique
accoutumée à la grandeur où elle était née, elle demeurait éperdue à l'aspect de
tant de magnificences de la Cour de Salomon. Ce qu'il y eut de plus remarquable
dans son voyage, c'est qu'elle admira la sagesse du roi plus que toutes ses
autres grandeurs : et qu'il arriva ce qui arrive toujours à l'approche des
grands hommes, qu'elle reconnut dans Salomon un mérite qui surpassait sa
réputation.
Les présents qu'elle lui fit en
or, en pierreries, et en parfums les plus exquis, furent immenses : et
demeurèrent cependant beaucoup au-dessous de ceux que Salomon lui rendit (5).
Par où le Saint-Esprit nous fait entendre qu'on doit trouver dans les grands
rois une grandeur d'âme qui surpasse tous leurs trésors : et que c'est là ce qui
fait véritablement une âme royale.
Les grands ouvrages de Josaphat,
d'Ozias, d'Ezéchias et des autres grands rois de Juda; les villes, les aqueducs,
les bains publics et les autres choses qu'ils firent, non-seulement pour la
sûreté et pour la commodité publique, mais encore pour l'ornement du palais et
du royaume, sont marqués avec soin dans l'Ecriture (6). Elle n'oublie pas les
meubles précieux qui paraient leur palais et ceux qu'ils y faisaient garder :
non plus que les
1 III reg., IV, 26 ; X, 26 ; II Paralip., I, 14 ; IX, 25. —
2 III Reg., IV, 22, 23. — 3 Ibid., X, 24 ; II Paralip., IX, 20. — 4 III Reg., X,
1, 2 et seq. ; II Paralip., IX, 1, 2 et seq. — 5 III Reg., X, 1, 2 et seq. ; II
Paralip.,m IX, 1, 2 et seq. — 6 IV Reg., XX, 13, 20 ; II Paralip., XVII, XXVI,
XXXII, 27, 28, 29.
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cabinets des parfums, les vaisseaux d'or et d'argent, tous
les ouvrages exquis et les curiosités qu'on y ramassait.
Dieu défendait l'ostentation que
la vanité inspire, et la folle enflure d'un coeur enivré de ses richesses : mais
il voulait cependant que la Cour des rois fût éclatante et magnifique, pour
imprimer aux peuples un certain respect.
Et encore aujourd'hui, au sacre
des rois, comme on a déjà vu, l'Eglise fait cette prière : « Puisse la dignité
glorieuse et la majesté du palais, faire éclater aux yeux de tous la grande
splendeur de la puissance royale ; en sorte que la lumière, semblable à celle
d'un éclair, en rayonne de tous côtés (1). » Toutes paroles choisies pour
exprimer la magnificence d'une Cour royale, qui est demandée à Dieu comme un
soutien nécessaire de la royauté.
L'or abondait tellement durant
le règne de Salomon, « qu'on y comptait l'argent pour rien : et qu'il était
(pour ainsi parler) aussi commun que les pierres : et les cèdres aussi vulgaires
que les sycomores, qui croissent (fortuitement) dans la campagne (2). »
Comme c'était là le fruit d'une
longue paix, le Saint-Esprit le remarque, pour faire aimer aux princes la paix,
qui produit de si grandes choses.
« Car les navires du roi
allaient en Tharsis et en pleine mer, avec les sujets d'Hiram roi de Tyr ; et
rapportaient tous les trois ans de l'or, de l'argent et de l'ivoire, avec les
animaux les plus rares (3). »
Salomon avait une flotte à
Asiongaber auprès d'Ailath, sur le bord de la mer Rouge : et Hiram roi de Tyr y
joignait la sienne, où étaient les Tyriens, peuples les plus renommés de toute
la
1 Cérém. Franc., pag. 19, 35, 61. — 2 III Reg., X, 21, 27 ;
II Paral., IX, 20, 27. — 3 III Reg., X, 22; II Paralip., IX, 21.
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terre pour la navigation et pour le commerce : qui
rapportaient d'Ophir (quel qu'ait été ce pays) pour le compte de Salomon, quatre
cent vingt talents d'or, souvent même quatre cent cinquante, avec les bois les
plus précieux et des pierreries (1).
La sagesse de Salomon paraît ici
par deux endroits. L'un, qu'après avoir connu la nécessité du commerce pour
enrichir son royaume, il ait pris, pour l'établir, le temps d'une paix profonde,
où l'Etat n'était point accablé des dépenses de la guerre. L'autre, que ses
sujets n'étant point encore exercés dans le négoce et dans l'art de naviguer, il
ait su s'associer les habiles marchands et les guides les plus assurés dans la
navigation qui fussent au monde, c'est-à-dire les Tyriens ; et faire avec eux
des traités si avantageux et si sûrs.
Quand les Israélites furent
instruits par eux-mêmes dans les secrets du commerce, ils se passèrent de ces
alliés : et l'entreprise quoique malheureuse du roi Josaphat, dont la flotte
périt dans le port d'Asiongaber (2), fait voir que les rois continuaient le
commerce et les voyages vers Ophir, sans qu'il soit fait mention du secours des
Tyriens.
Du temps de David, il y avait
des trésors dans Jérusalem: et Azmoth fils d'Adiel en était le garde (3). Pour
les trésors qu'on gardait dans les villes, dans les villages et dans les
châteaux ou dans les tours, Joathan fils d'Ozias en avait la charge. Ezri fils
de Chelub avait soin de ceux qui étaient occupés au labourage et aux travaux de
la campagne. Il y avait un gouverneur particulier pour ceux qui faisaient les
vignes et prenaient soin des celliers : et c'était Semeias et Zabdias. Dalanan
était préposé pour la culture des oliviers et des figuiers: et Joas veillait sur
les réservoirs d’huile. On voit par là que le prince avait des fonds et des
officiers préposés pour les régir.
On marque aussi les villages qui
étaient à lui, et le soin qu'il
1 III Reg., IX, 26, 27, 28 ; X, 11; II
Paralip., VIII, 17, 18. — 2 III Reg., XXII, 49; II Paral., XX, 36, 37. — 3 I
Paral., XXVII, 25-28.
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eut de les entourer de murailles (1). On faisait des
nourritures dans les pâturages de la montagne de Saron, et sur les vallons qui y
étaient destinés. L'Ecriture spécifie les bêtes à corne, les chameaux et les
troupeaux de brebis. Chaque ouvrage avait son préfet : « et tels étaient les
gouverneurs ou les intendants, qui avaient soin des biens et des richesses du
roi David (2).»
La même chose continue sous les
autres rois. Et il est écrit d'Ozias : « qu'il creusa beaucoup de citernes,
parce qu'il nourris-soit beaucoup de troupeaux dans les pâturages et dans les
vastes campagnes : qu'il prenait grand soin de la culture des vignes et de ceux
qui y étaient employés, dans les coteaux et sur le Carmel : et qu'il était fort
affectionné à l'agriculture (3). »
Ces grands rois connaissaient le
prix des richesses naturelles, qui fournissent les nécessités de la vie, et
enrichissent les peuples plus que les mines d'or et d'argent.
Les Israélites avaient appris
dès leur origine ces utiles exercices. Et il est écrit d'Abraham « qu'il était
très-riche en or et en argent (4). » Ce qui sans connaître les lieux où la
nature resserre ces riches métaux, lui provenait seulement des soins de la
nourriture et des troupeaux. D'où est venue aussi la réputation de la vie
pastorale, que ce patriarche et ses descendants ont embrassée.
Ve
PROPOSITION. Troisième source ces richesses : les tributs imposés aux rois et
aux nations vaincues, qu'on appelait des présents.
Ainsi David imposa tribut aux
Moabites et à Damas, et y établit des garnisons pour leur faire payer ces
présents (5).
Salomon avait soumis tous les
royaumes depuis le fleuve de la terre des Philistins, jusqu'aux confins de
l'Egypte. Et tous les rois de ces pays lui offraient des présents, et lui
dévoient certains services (6).
Le poids de l'or, qu'on payait
tous les ans à Salomon, était de six cents talents; outre ce qu'avaient
accoutumé de payer les ambassadeurs de diverses nations, et les riches marchands
étrangers,
1 III Reg., IX, 19. — 2 I Paralip., XXVII,
29-31. — 3 II Paralip., XXVI, 10. — 4 Gen., XIII, 2. — 5 I Paralip., XVIII, 2,
6. — 6 III Reg., 21.
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et tous les rois d'Arabie, et les princes des autres
terres, qui lui apportaient de l'or et de l'argent (1). C'est ainsi qu'on
l'avait chanté par avance sous le roi David (2), que les filles de Tyr
(c'est-à-dire les villes opulentes) et leurs plus riches marchands,
apporteraient leurs présents à la cour de Salomon.
Tous les rois des terres
voisines envoyaient chaque année leurs présents à Salomon, qui consistaient en
vases d'or et d'argent, en riches habits, en armes, en parfums, en chevaux et en
mulets (3) ; c'est-à-dire ce que chaque pays avait de meilleur.
Les Ammonites apportaient des
présents à Ozias : et son nom était célèbre jusqu'aux confins de l'Egypte (4).
On comptait parmi ces présents,
non-seulement l'or et l'argent, mais encore des troupeaux : et c'est ainsi que
les Arabes payaient par an à Josaphat sept mille sept cents béliers et autant de
boucs ou de chevreaux (5).
VIe
PROPOSITION. Quatrième source des richesses : les impôts que payait le peuple.
Dans tous les Etats, le peuple
contribue aux charges publiques, c'est-à-dire à sa propre conservation : et
cette partie qu'il donne de ses biens, lui en assure le reste, avec sa liberté
et son repos.
L'ordre des finances sous les
rois David et Salomon, était qu'il y avait un surintendant préposé à tous les
impôts, pour donner les ordres généraux (6).
Il y avait pour le détail douze
intendants distribués par cantons : et ceux-ci étaient chargés, chacun à son
mois, des contributions nécessaires à la dépense du roi et de sa maison. Leur
département était grand, puisqu'un seul avait à sa charge soixante grandes
villes environnées de murailles, avec des serrures d'airain (7).
On lit aussi de Jéroboam « que
Salomon qui le voyait dans sa jeunesse homme de courage, appliqué et industrieux
( ou agissant,
1 III Reg., X, 14, 15 ; II Paralip., IX, 13, 14. — 2
Psal., XLIV, 13. — 3 II Paralip., IX, 23, 24. — 4 II Paralip., XXVI, 8. — 5
Ibid., XVII, 11. — 6 II Reg., XX, 24 ; III Reg., IV, 6 ; XII, 18 ; II Paralip.,
X, 18. — 7 III Reg., IV, 7, 8 et seq. — 8 Ibid., 13.
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comme parle l'original), le préposa aux tribus de la maison
de Joseph ; » c'est-à-dire aux deux tribus d'Ephraïm et de Manassé. Ce qui
montre, en passant, les qualités qu'un si sage roi demandait pour de telles
fonctions, encore que sa prudence ait été trompée dans le choix de la personne.
VIIe
PROPOSITION. Le prince doit modérer les impôts, et ne point accabler le peuple.
« Qui presse trop la mamelle
pour en tirer du lait, en l'échauffant et en la tourmentant, tire du beurre :
qui se mouche trop fortement, fait venir le sang : qui presse trop les hommes,
excite des révoltes et des séditions (2). » C'est la règle que donne Salomon.
L'exemple de Roboam apprend sur
cela le devoir aux rois.
Comme cette histoire est connue
et qu'elle a déjà été touchée ci-devant (3), nous ferons seulement quelques
réflexions.
En premier lieu, sur les
plaintes que le peuple fit à Roboam contre Salomon, qui avait fait des levées
extraordinaires (4). Tout abondait dans son règne, ainsi que nous avons vu.
Cependant comme l'histoire sainte ne dit rien contre ce reproche, et qu'il y
passe au contraire pour avéré, il est à croire que sur la fin de sa vie,
abandonné à l'amour des femmes, sa faiblesse le portait à des dépenses
excessives, pour contenter leur avarice et leur ambition.
C'est le malheur ou plutôt
l'aveuglement, où sont menés les plus sages rois par ces déplorables excès.
En second lieu, la réponse dure
et menaçante de Roboam poussa le peuple à la révolte, dont l'effet le plus
remarquable fut d'accabler à coups de pierres Aduram chargé du soin des tributs,
quoique envoyé par le roi pour l'exécution de ses rigoureuses réponses. Ce qui
effraya tellement ce prince, qu'il monta précipitamment sur son char, et
s'enfuit vers Jérusalem (5) : tant il se vit en péril.
En troisième lieu, la dureté de
Roboam à refuser tout soulagement
1 III Reg., XI, 28. — 2 Prov., XXX, 33.—
3 Tom. XXII, liv. IV, art. II, 2e propos.; — 4 III Reg., XII,
1-4 ; II Paralip., X, 2-4. — 5 III Reg., XII, 18; II Paral., X, 18.
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à son peuple, et la menace obstinée d'en aggraver le joug
jusqu'à un excès insupportable, a mis ce prince au rang des insensés. « A
Salomon succéda la folie de la nation, dit le Saint-Esprit, et Roboam, destitué
de prudence, qui aliéna le peuple par le conseil qu'il suivit (1). » Jusque-là
que son propre fds et son successeur, Abia, l'appelle ignorant et d'un cœur
lâche (2).
En quatrième lieu, cette réponse
orgueilleuse et inhumaine est attribuée à un aveuglement permis de Dieu, et
regardé comme un effet de cette justice qui met l'esprit de vertige dans les
conseils des rois. « Le roi n'acquiesça pas à la prière de son peuple, parce que
le Seigneur s'était éloigné de lui pour accomplir la parole d'Ahias Silonite,
qui avait prédit du vivant de Salomon la révolte des dix tribus et la division
du royaume (3). » Ainsi quand Dieu veut punir les pères, il livre leurs enfants
aux mauvais conseils, et châtie tout ensemble les uns et les autres.
En cinquième lieu, la suite est
encore plus terrible. Dieu permit que le peuple soulevé oubliât tout respect, en
massacrant comme aux yeux du roi un de ses principaux ministres, et renonçant
tout ouvertement à l'obéissance.
En sixième lieu, ce n'est pas
que ce massacre et cette révolte ne fussent des crimes. On sait assez que Dieu
en permet dans les uns, pour châtier ceux des autres. Le peuple eut tort, Roboam
eut tort : et Dieu punit l'énorme injustice d'un roi, qui se faisait un honneur
d'opprimer son peuple, c'est-à-dire ses enfants.
En septième lieu, cette dureté
de Roboam effaça par un seul trait le souvenir de David et de toutes ses bontés,
aussi bien que celui de ses conquêtes et de ses autres grandes actions. « Quel
intérêt, dit le peuple d'Israël, prenons-nous à David, et que nous importe ce
que deviendra le fils d’Isaï? O David, pourvoyez à votre maison, et à la tribu
de Juda. Pour nous, allons-nous-en chacun chez nous, sans nous soucier de David
ni de sa race (4). » Jérusalem, le temple, la religion, la loi de Moïse furent
aussi oublies : et le peuple ne fut plus sensible qu'à sa vengeance.
Enfin en huitième lieu, quoique
l'attentat du peuple fût
1 Eccli., XLVII 27, 28. — 2 II Paralip.,
XIII, 7. — 3 III Reg., XII, 15; II Paral., I, 15. — 4 III Reg., XII, 16; II
Paralip., X, 16.
198
inexcusable, Dieu sembla vouloir ensuite autoriser le
nouveau royaume qui s'établit par ce soulèvement : et il défendit à Roboam de
faire la guerre aux tribus révoltées, « parce que, dit-il, tout cela s'est fait
par ma volonté (1), » par ma permission expresse et par un juste conseil.
Jéroboam paraît devenir un roi légitime, par le don que Dieu lui fit du nouveau
royaume. Ses successeurs constamment furent de vrais rois, que Dieu fit sacrer
par ses prophètes. Ce n'était pas qu'il aimât ces princes, qui faisaient régner
toutes sortes d'idolâtries et de méchantes actions ; mais il voulut laisser aux
rois un monument éternel qui leur fit sentir combien leur dureté envers leurs
sujets était odieuse à Dieu et aux hommes.
VIIIe
PROPOSITION. Conduite de Joseph dans le temps de cette horrible famine, dont
toute l'Egypte et le voisinage furent affligés.
Joseph en vendant du blé aux
Egyptiens, mit tout l'argent de l'Egypte dans les coffres du roi. Par ce moyen
il acquit aussi pour le prince tous leurs bestiaux, et enfin toutes leurs
terres, et même jusqu'à leurs personnes, qui furent mises dans la servitude ».
Loin de s'offenser de cette
conduite, toute rigoureuse qu'elle paroisse, la gloire de Joseph fut immortelle.
Ce sage ministre tourna tout au bien public. Il fournit au peuple de quoi
ensemencer leurs terres, que Pharaon leur rendit : il régla les impôts qu’ils
dévoient au roi, à la cinquième partie de leurs revenus; et fit honneur à la
religion, en exemptant de ce tribut les terres sacerdotales. C'est ainsi qu'il
accomplit tout le devoir d'un zélé ministre envers le roi et envers le peuple,
et qu'il mérita le titre de Sauveur du monde (3).
IXe
PROPOSITION. Remarques sur les paroles de Jésus-Christ et de ses apôtres,
touchant les tributs.
« Rendez à César ce qui est à
César, et à Dieu ce qui est à Dieu (4), » dit Jésus-Christ. Pour prononcer cette
sentence, sans
1 III Reg., XII, 23, 24 ; II Paralip., XI, 3, 4. — 2 Gen.,
XLVII, 13-15 et seq. — 3 ibid., XLI, 45. — 4 Matth., XXII, 21.
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demander comment et avec quel ordre se levaient les impôts,
il ne regarde que l'inscription du nom de César gravé sur la monnaie publique.
Son Apôtre prononce de même : «
Rendez le tribut à qui vous devez le tribut : et l'impôt à qui vous devez
l'impôt (en argent ou en espèces, selon que la coutume l'établit) : l'honneur à
qui vous devez l'honneur : la crainte à qui vous devez la crainte (1). »
Saint Jean-Baptiste avait dit
aux publicains chargés de lever les droits de l'empire : « N'exigez rien au delà
de ce qui vous est ordonné (2). »
La religion n'entre point dans
les manières d'établir les impôts publics, que chaque nation connaît. La seule
règle divine et inviolable parmi tous les peuples du monde, est de ne point
accabler les peuples, et de mesurer les impôts sur les besoins de l'Etat et sur
les charges publiques.
Xe
PROPOSITION. Réflexions sur la doctrine précédente : et définition des
véritables richesses.
On doit conclure des passages
que nous avons rapportés, que les véritables richesses sont celles que nous
avons appelées naturelle:-., à cause qu'elles fournissent à la nature ses vrais
besoins. La fécondité de la terre et celle des animaux, est une source
inépuisable des vrais biens : l'or et l'argent ne sont venus qu'après pour
faciliter les échanges.
Il faut donc à l'exemple des
grands rois que nous avons nommés, prendre un soin particulier de cultiver la
terre, et d'entretenir les pâturages des animaux, avec l'art vraiment fructueux
d'élever des troupeaux, conformément à cette parole : « Ne négligez point les
ouvrages, quoique laborieux, de la campagne, et le labourage que le Très-Haut a
créé (3). » Et encore : « Prenez garde à vos bestiaux : ayez soin de les bien
connaître. Considérez vos troupeaux (4). »
Le prince qui veille à ces
choses, rendra ses peuples heureux et son état florissant.
1 Rom., XIII, 7. — 2 Luc., III, 13. — 3 Eccli., VII, 16. —
4 Ibid., 24, et Prov., XXVII, 23.
200
XIe
PROPOSITION. Les vraies richesses d'un royaume sont les hommes.
On est ravi quand on voit sous
les bons rois, la multitude incroyable du peuple par la grandeur étonnante des
armées. Au contraire on est honteux pour Achab et pour le royaume d'Israël
épuisé de peuple, quand on voit camper son armée « comme deux petits troupeaux
de chèvres (1) ; » pendant que l'armée syrienne, qu'elle avait en tète, couvrait
toute la face de la terre.
Parmi le dénombrement des
richesses immenses de Salomon, il n'y a rien de plus beau que ces paroles : «
Juda et Israël étaient innombrables comme le sable de la mer (2). »
Mais voici le comble de la
félicité et de la richesse. C'est que tout ce peuple innombrable « mangeait et
buvait du fruit de ses mains, et chacun sous sa vigne et son figuier et était en
joie (3). » Car la joie rend les corps sains et vigoureux : et fait profiler
l'innocent repas que l'on prend avec sa famille, loin de la crainte de l'ennemi,
et bénissant comme l'auteur de tant de biens le prince qui aime la paix, encore
qu'il soit en état de faire la guerre, et ne la craigne que par bonté et par
justice. Un peuple triste et languissant perd courage et n'est propre à rien :
la terre même se ressent de la nonchalance où il tombe ; et les familles sont
faibles et désolées;
XIIe
PROPOSITION. Moyens certains d'augmenter le peuple.
C'est qu'il soit un peu à son
aise, comme on vient de voir.
Sous un prince sage l'oisiveté
doit être odieuse, et on ne la doit point laisser dans la jouissance de son
injuste repos. C'est elle qui corrompt les mœurs et fait naître les brigandages.
Elle produit aussi les mendiants, autre race qu'il faut bannir d'un royaume bien
policé, et se souvenir de cette loi : « Qu'il n'y ait point d'indigent ni de
mendiant parmi vous (4). » On ne doit pas les compter parmi les citoyens, parce
qu'ils sont à charge à l'Etat,
1 III Reg., XI, 27. — 2 Ibid., IV, 20. — 3 Ibid., 20, 25.
— 4 Deut., XV, 4.
201
eux et leurs enfants. Mais pour ôter la mendicité, il faut
trouver des moyens contre l'indigence.
Surtout il faut avoir soin des
mariages, rendre facile et heureuse l'éducation des enfants, et s'opposer aux
unions illicites. La fidélité, la sainteté et le bonheur des mariages est un
intérêt public et une source de félicité pour les Etats.
Cette loi est politique autant
que morale et religieuse : « Qu'il n'y ait point de femmes de mauvaise vie parmi
les filles d'Israël, ni de débauchés parmi ses enfants (1). » Soient maudites de
Dieu et des hommes les unions dont on ne veut point voir de fruit, et dont les
vœux sont d'être stériles. Toutes les femmes de la famille d'Abimélech le
devinrent par un exprès jugement de Dieu, à cause de Sara, femme d'Abraham (2).
Au contraire Dieu favorise et bénit les fruits des mariages légitimes. On voit
croître ses enfants autour de sa table comme de jeunes oliviers (3) : une femme
ravie d'être mère, est regardée avec complaisance de celui qu'elle a rendu père
de si aimables enfants. On leur apprend que la modestie, la frugalité et
l'épargne conduite par la raison, est la principale partie de la richesse : et
nourris dans une bonne maison, mais réglée, ils savent mépriser la vanité qu'ils
n'ont point vue chez leurs parents.
La loi seconde leurs désirs,
quand elle réprime le luxe. Les premiers qu'elle soulevait contre leurs enfants
déréglés, étaient les pères et les mères, qu'elle contraignait à les déférer au
magistrat, en lui disant : « Voilà notre fils désobéissant, qui sans écouter nos
avis et nos corrections, passe sa vie dans la bonne chère, dans le désordre, et
dans la débauche. » La peine de ce débauché incorrigible était « d'être lapidé ;
et tout Israël saisi de crainte, se retirait du désordre (4). » On n'en était
pas quitte en disant : Je ne fais tort à personne ; on se trompe : dans les
dérèglements qui empêchent ou qui troublent les mariages, il faut éviter et
punir, non-seulement le scandale, l'injure qu'on fait aux particuliers, mais
encore celle qu'on fait au public, qui est plus grande et plus sérieuse qu'on ne
pense.
1 Deut., XXIII, 17. — 2 Gen., XX, 17,
18. — 3 Ps. CXXVII, 3. — 4 Deut., XXI, 18-21.
202
Concluons donc avec le plus sage
de tous les rois : « La gloire du roi et sa dignité, est la multitude du peuple
: sa honte est de le voir amoindri et diminué par sa faute (1). »
Nous en avons déjà beaucoup
parlé et posé les principes (2), surtout quand nous avons traité des moyens dont
un prince se doit servir pour acquérir les connaissances qui lui sont
nécessaires pour bien gouverner. Mais Ton approfondit ici encore davantage ce
qui regarde une matière de cette importance; et l'on réunit sous un même point
de vue, les préceptes et les exemples que l'Ecriture nous fournit, même
quelques-uns de ceux qui se trouvent dispersés dans cet ouvrage, afin qu'après
en avoir posé les principes, on en puisse voir dans un même lieu l'application
et le détail dans toute son étendue.
Ire
PROPOSITION. Quels ministres ou officiers sont remarqués auprès des anciens
rois.
Sous David, Joab commandait
l'armée : Banaïas avait la conduite des légions Céréthi et Phéléthi, qui étaient
comme la garde du prince, et semblaient être détachées du commandement général
des armées sous un chef particulier, qui ne répondait qu'au roi ; Aduram était
chargé des tributs ou finances ; Josaphat était secrétaire et garde des
registres ; Siva, qu'on appelle ailleurs Saraïa, est appelé scribe, homme lettré
auprès du prince; Ira était prêtre de David (3) ; Jonathan oncle de David, son
conseiller, homme intelligent et lettré ; il était avec Jahiel, gouverneur des
enfants du roi; Achitophel fut le conseiller du roi, et après lui Joiada et
Abiathar : et Chusaï était l'ami du roi (4).
On marque auprès de Salomon, des
personnes appelées gens de lettres : Banaïas commandant les troupes. Azarias
fils de
1 Prov., XIV, 28.— 2 Ci-devant, liv. V, art. 1; et art.
II. — 3 II Reg., VIII, 16, 17, 18; XX , 23, 24, 25, 26. — 4 I
Paralip., XXVII , 32, 33, 34.
203
Nathan, était à la tête de ceux qui assistaient auprès du
roi. Zabud était prêtre, et l'ami du roi. Ahisar (s'il était permis de traduire
ainsi), était grand maître de sa maison ; et Adoniram était chargé des finances
(1).
On nomme aussi les grands
prêtres, ou les principaux d'entre les prêtres qui étaient alors (2), pour
montrer que leur sacré ministère leur donnait rang parmi les officiers publics,
et que sous les rois ils se mêlaient des plus grandes affaires : témoin Sadoc,
qui eut tant de part à celle où il s'agissait de donner un successeur au
royaume (3).
La dignité de leur sacerdoce
était si éminente, que cet éclat donnait lieu à dire que « les enfants de David
étaient prêtres (4), » quoiqu'ils ne pussent pas l'être, n'étant pas de la race
sacerdotale, ni de la tribu d'où les prêtres étaient tirés. Mais on leur donnait
ce grand nom, pour montrer la part qu'ils avaient dans les grandes affaires. Ce
qui semble être la même chose que ce que l'Ecriture remarque ailleurs : « Des
enfants de David étaient les premiers sous la main du roi » c'est-à-dire (5),
étaient les premiers à porter et à exécuter ses ordres.
Le soin qu'on prenait à les
élever dans les lettres, paraît par la qualité d'homme lettré , qu'on donne à
Jonathan leur gouverneur.
Il est aussi marqué sous Ozias,
que les troupes étaient commandées par Jéhiel et Maasias (6), qui sont appelés
scribes, docteurs, ou gens de lettres : pour montrer que les grands hommes ne
dédaignaient pas de joindre la gloire du savoir à celle des armes.
Ce qu'on appelle lettrés,
étaient ceux qui étaient versés dans les lois, et qui dirigeaient les conseils
du prince à leur observance.
Le soin de la religion se
déclare, non-seulement par la part qu'avaient les grands - prêtres dans le
ministère public, mais encore par l'office de prêtre du roi, qui semble être
celui qui réglait dans la maison du prince les affaires de la religion.
Tel
1 III Reg., IV, 2 , 3 , 4, 5 , 6. — 2
Ibid. — 3 Ibid., I, 8 , 32, 44. — 4 II Reg.. VIII, 18. — 5 II Paralip.,
XXVI, 11. — 6 I Paralip., XVIII, 17.
204
était, comme on a vu, Ira sous David, et Zabud sous
Salomon, dont il est encore appelé l'ami.
Cette qualité d'ami du roi,
qu'on a vue dans le dénombrement des ministres publics, appelés et caractérisés
par un terme particulier, est remarquable, et faisait souvenir le roi qu'il
n'était pas exempt des besoins et des faiblesses communes de la nature humaine;
et qu'ainsi outre ses autres ministres, qu'on appelait ses conseillers, à cause
qu'ils lui donnaient leurs avis sur les affaires, il devait choisir avec soin un
ami, c'est-à-dire un dépositaire de ses peines secrètes et de ses autres
sentiments les plus intimes.
La charge de secrétaire et de
garde des registres publics, semble originairement venir de Moïse, à qui Dieu
parla ainsi : « Ecrivez ceci dans un livre (la défaite des Amalécites), pour
servir de monument éternel : car je détruirai de dessous le ciel le nom d'Amalec
(1). » Comme s'il disait: Je veux que l'on se souvienne des faits mémorables,
afin que le gouvernement des hommes mortels conduit par l'expérience et les
exemples des choses passées, ait des conseils immortels.
C'est par le moyen de ces
registres qu'on se souvenait de ceux qui avaient servi l'Etat, pour en marquer
la reconnaissance envers leur famille.
Une des maximes les plus sages
du peuple de Dieu, était que les services rendus au public ne fussent point
oubliés. Ainsi dans le sac de Jéricho, on publia cet ordre : « Que cette ville
soit ana thème: que la seule Rahab vive, elle et toute sa famille, parce qu'elle
a sauvé nos envoyés (2). »
Lorsqu'on passa au fil de l'épée
tous les habitants de Luza, on eut soin de sauver avec toute sa parenté, celui
qui avait montré le passage par où l'on y aborda (3).
Le public ordinairement passe
pour ingrat : et il était de l'intérêt de l'Etat de le purger de cette tache,
afin qu'on fût invité à bien servir.
Personne n'ignore comme Assuérus
roi de Perse, dans une insomnie qui le travaillait, se fit lire les archives, où
il trouva le
1 Exod., XVII, 14. — 2 Jos., VI, 17. — 3
Judic, I, 24, 25.
205
service de Mardochée, qui lui avait sauvé la vie,
enregistré suivant la coutume (1) : et comme il fut excité par cette lecture à
le reconnaître par une récompense éclatante, mais plus glorieuse au roi qu'à
Mardochée même.
Lorsqu'on informa Darius roi de
Perse de la conduite des Juifs retournés dans leur pays, ses officiers les
interrogèrent pour en rendre compte au roi : et lui racontèrent ce que leurs
vieillards avaient répondu, touchant les ordonnances de Cyrus dans la première
année de son règne. Après quoi ils ajoutaient ces paroles : « Maintenant, s'il
plaît au roi, il fera rechercher dans la bibliothèque royale, et dans les
registres publics qui se trouveront à Babylone, ce qui a été ordonné par Cyrus
sur la réédification du temple: et il nous expliquera ses volontés (2). » Les
registres se trouvèrent, non point à Babylone, comme on avait cru, mais dans
Ecbatanes (3) : tout y était conforme à la prétention des Juifs, qui aussi fut
autorisée par le roi.
Tel était l'usage des registres
publics, et de la charge établie pour les garder. Elle conservait la mémoire des
services rendus ; elle immortalisait les conseils: et ces archives des rois en
leur proposant les exemples des siècles passés, étaient des conseils toujours
prêts à leur dire la vérité, et qui ne pouvaient être flatteurs.
Au reste on ne prétend pas
proposer pour règles invariables ces pratiques des anciens royaumes, et ce
dénombrement des officiers de David et de Salomon : c'est assez qu'ils puissent
donner des vues aux grands rois, dont la prudence se gouvernera selon les lieux
et les temps.
IIe
PROPOSITION. Les conseils des rois de Perse, par qui dirigés.
« Le roi consulta les sages qui
étaient toujours auprès de sa personne, qui savaient les lois et le droit, et
les coutumes des ancêtres : et il faisait tout par leur conseil (4). » Les
premiers et les
1 Esther, VI, 1, 2 et seq. — 2 I Esdr., V,
7, 17. — 3 ibid., VI, 1, 2 et seq. — 4 Esther I, 13, 14.
206
plus intimes étaient les sept chefs ; ou, si l'on veut
traduire ainsi, les sept ducs ou les princes des Perses et des Mèdes, qui
voyaient le roi. Car le reste, même des seigneurs, ne le voyaient guère.
IIIe
PROPOSITION. Réflexion sur l'utilité des registres publies, joints aux conseils
vivants.
L'utilité des registres publics
était appuyée sur cette sentence du Sage : « Qu'est-ce qui a été? ce qui sera.
Qu'est-ce qui a été fait? ce qui se fera encore. Il n'y arien de nouveau sous le
soleil ; et personne ne peut dire : Cela est nouveau; car il a déjà précédé dans
les siècles qui ont été avant nous (1). » Et les grands événements des choses
humaines ne font, pour ainsi parler, que se renouveler tous les jours sur le
grand théâtre du monde. Il semble qu'il n'y a qu'à consulter le passé, comme un
fidèle miroir de ce qui se passe à nos yeux.
D'autre côté le Sage ajoute que,
quelques registres qu'on tienne, il échappe des circonstances qui changent les
choses. Ce qui lui fait dire : « La mémoire des choses passées se perd ; la
postérité oubliera ce qui est arrivé auparavant (2). » Et il est rare de trouver
des exemples qui cadrent juste avec les événements sur lesquels il se faut
déterminer.
Il faut donc joindre les
histoires des temps passés avec le conseil des sages, qui bien instruits des
coutumes et du droit ancien, comme on vient de dire des ministres des rois de
Perse, en sachent faire l'application à ce qu'il faut régler de leurs jours.
De tels ministres sont des
registres vivants, qui toujours portés à conserver les antiquités, ne les
changent qu'étant forcés par des nécessités imprévues et particulières, avec un
esprit de profiter à la fois, et de l'expérience du passé, et des conjonctures
du présent. C'est pourquoi leurs conseils sages et stables produisent des lois
qui ont toute la fermeté et, pour ainsi dire, l'immobilité dont les choses
humaines sont capables. « Si vous l'avez agréable, disent ces ministres à
Assuérus, qu'il parte un édit de devant le roi selon la loi des Perses et des
Mèdes, qu'il ne soit point
1 Eccles., I, 9, 10. — 2 Ibid., I, 11.
207
permis de changer, et qui soit publié pour être inviolable
dans toute retendue de votre empire (1). »
C'était l'esprit de la nation :
et tant les rois que les peuples tenaient pour maxime cette immutabilité des
décrets publics.
Les grands, qui voulaient perdre
Daniel, vinrent dire au roi : « N'avez-vous pas défendu de faire durant trente
jours aucune prière aux dieux et aux hommes, sous peine d'être jeté dans la
fosse aux lions? Il est ainsi, répondit le roi ; et il a été prononcé par un
édit qui doit être inviolable à jamais (2). »
Quand après il voulut chercher
une excuse en faveur de Daniel, qui avait prié trois fois le jour tourné vers
Jérusalem, on osa lui dire : « Sachez, prince, que c'est la loi des Mèdes et des
Perses, qu'il n'est pas permis de changer les ordonnances du roi (3). »
C'était en effet la loi du pays
: mais on abuse des meilleures choses. La première condition de ces lois, qu'on
doit regarder comme sacrées et inviolables, c'est qu'elles soient justes : et on
apercevait du premier regard une impiété manifeste à vouloir faire la loi à Dieu
même, et à lui défendre de recevoir les vœux de ses serviteurs. Le roi de Perse
devait donc connaître qu'il avait été surpris dans cette loi, comme il est
expressément marqué (4) ; et que c'était là une cabale des grands contre son
service, afin de perdre Daniel, le plus fidèle et le plus utile de tous ses
ministres, dont le crédit leur donna de la jalousie.
IVe
PROPOSITION. Le prince se doit faire soulager.
C'est le conseil que donna
Jethro à Moïse, qui par un zèle de la justice et une immense charité, voulait
tout faire par lui-même. « Que faites-vous, lui dit-il, en tenant le peuple du
matin au soir à attendre votre audience ? Vous vous consumez par un travail
inutile, vous et le peuple qui vous environne : vous entreprenez un ouvrage qui
passe vos forces. Réservez-vous les grandes affaires : et choisissez les plus
sages et les plus craignants
1 Esther, I, 19, 20. — 2 Dan., VI, 12. — 3
Ibid., 7, 15.— 4 Ibid., 6.
208
Dieu qui jugent le peuple à chaque moment (qui expédient
les affaires à mesure qu'elles viennent), et qui vous fassent rapport de ce
qu'il y aura de plus important (1). »
Remarquez trois sortes
d'affaires. Celles que le prince se réserve expressément, et dont il doit
prendre connaissance par lui-même. Celles de moindre importance, dont la
multitude l'accablerait, et aussi qu'il laisse expédier à ses officiers. Enfin
celles dont il ordonne qu'on lui fera le rapport, ou pour les décider lui-même,
ou pour les faire examiner avec plus de soin. Par ce moyen, tout s'expédie avec
ordre et distinction.
Ve
PROPOSITION. Les plus sages sont les plus dociles à croire conseil.
Moïse nourri dès son enfance
dans toute la sagesse des Egyptiens, et de plus inspiré de Dieu dans le degré le
plus éminent de la prophétie, non-seulement consulte Jethro, et lui donne la
liberté de lui reprocher dans l'immensité de son travail une espèce de folie ;
mais encore il reçoit son avis en bonne part, et il exécute de point en point
tout ce qu'il lui conseillait. C'est ce qui vient d'être dit.
N'avons-nous pas aussi déjà vu avec quelle docilité David
trop accablé de douleur de la mort de son fils Absalon, écouta les reproches
amers de Joab, se rendit à son conseil, et changea entièrement de conduite? Et
Salomon, le plus sage des rois, ne demandait-il pas à Dieu un cœur docile, en
lui demandant la sagesse ?
VIe
PROPOSITION. Le conseil doit être choisi avec discrétion.
« Ayez plusieurs hommes avec qui
vous viviez en paix (à qui vous donniez accès auprès de vous) : mais pour
conseiller, choisissez-en un entre mille (2). »
1 Exod., XVIII, 14 et seq. — 2 Eccli., VI, 6.
209
VIIe
PROPOSITION. Le conseiller du prince doit avoir passé par beaucoup d'épreuves.
« Celui qui n'a point été
éprouvé que sait-il (1) ?» Il ne sait rien : il ne se connaît pas lui-même : et
comment démêlera-t-il les pensées des autres, qui est le sujet des plus
importantes délibérations? Au contraire «celui qui est exercé, pensera beaucoup,
» continue le Sage. Il ne fera rien légèrement, et ne marchera point à
l'étourdie.
C'est ce qui faisait dire au
saint homme Job : « Où se trouvera la sagesse? On ne la trouvera pas dans la
terre de ceux qui vivent doucement (2) » et nonchalamment parmi les plaisirs.
Et encore : « Elle est cachée
aux yeux des hommes : les oiseaux (les esprits sublimes qui semblent percer les
nues) ne la connaissent pas. La mort (l'extrême vieillesse) a dit : Nous en
avons ouï la renommée (3). » C'est à force d'expérience, en pâtissant beaucoup,
qu'à la fin vous en acquerrez quelque petite lumière.
VIIIe
PROPOSITION. Quelque soin que le prince ait pris de choisir et d'éprouver son
conseil, il ne s'y doit point livrer.
« Si vous avez un ami
acquérez-le avec épreuve, et ne vous livrez point à lui par trop de facilité
(4).»
Le caractère d'un prince livré
le fait connaître et mépriser.
« Hérode (Agrippa, roi de Judée)
était irrité contre ceux de Tyr et de Sidon. Ils le vinrent trouver d'un commun
accord : et ayant gagné Blaste, qui était chambellan du roi, ils demandèrent la
paix, parce que leur pays tirait sa subsistance des terres du roi. Hérode donc
ayant pris jour pour leur parler, parut vêtu d'une robe royale, et étant sur son
trône il les haranguait (dans une audience publique, selon la coutume du temps)
; et le peuple disait : C'est un Dieu qui parle, et non pas un homme (5). »
On voit ici une ambassade solennelle, une audience publique
1 Eccli., XXXIV, 9. — 2 Job., XXVIII, 12,
13. — 3 Ibid., 21 , 22. — 4 Eccli., VI, 7. — 5 Act., XII, 21, 22.
210
avec tout l'appareil de la royauté, les acclamations de
tout le peuple pour le prince qui croit avait tout fait : mais on savait le fond
: c'est enfin que les Tyriens avaient mis Blaste dans leur intérêt, qui était
grand dans cette affaire ; et peut-être l'avaient-ils corrompu par leurs
présents. Quoi qu'il en soit, tout était lait avant le traité solennel : et si
l'on en fit l'honneur au roi, tout le monde savait, et on se nommait à
l'oreille, le vrai auteur du succès.
Le Saint-Esprit n'a pas dédaigné
de marquer en un mot ce caractère d'IIérode Agrippa, pour apprendre aux princes
qui ne sont que vains l'estime qu'on fait d'eux, et comme on les repaît d'une
fausse gloire.
IXe
PROPOSITION. Les conseils des jeunes gens, qui ne sont pas nourris aux affaires,
ont une suite funeste, surtout dans un nouveau règne.
Sur la plainte de Jéroboam faite
à Roboam fils et successeur de Salomon, à la tête des dix tribus, pour lui
demander quelque diminution des impôts du roi son père, ce prince leur répondit
: « Venez dans trois jours. Et le peuple s'étant retiré, il tint conseil avec
les vieux conseillers du roi son père, et leur dit : Quel conseil me donnez-vous
: et quelle réponse ferai-je à ce peuple? Il lui dirent : Si (aujourd'hui et
dans le commencement de votre règne) vous déférez à leur prière, et que vous
leur disiez des paroles douces, ils vous serviront le reste de vos jours. Roboam
méprisa le conseil de ces sages vieillards : et appela les jeunes gens, qui
avaient été élevés auprès de lui, et qui le suivaient toujours. Ils lui
parlèrent comme de jeunes gens nourris avec lui dans les plaisirs, et ils lui
dirent : Répondez ainsi à ce peuple : Mon petit doigt est plus gros que tout le
corps de mon père : mon père vous a imposé un joug pesant, et moi je
l'augmenterai : mon père vous a frappés avec des fouets, et moi je vous
frapperai avec des verges de fer. Roboam selon ce conseil, lorsque Jéroboam avec
tout le peuple revint à lui au troisième jour, leur répondit durement : leur
répéta les mêmes paroles que les jeunes gens lui avaient inspirées : et rejeta
le conseil des
211
vieillards. Il ne déféra donc point aux prières de son
peuple, parce que le Seigneur s'était retiré de lui, pour accomplir la prophétie
d'Ahias le Silonite, sur la division du royaume. Quand les dix tribus eurent ouï
cette réponse, ils se retirèrent, en se disant les uns aux autres : Quel intérêt
avons-nous à la maison de David? Et que nous importe de conserver l'héritage au
fils d’Isaï? Retirons-nous chacun dans nos pavillons : et que David gouverne sa
maison (1). »
Ce fut d'abord à Roboam une sage
précaution, de prendre un temps pour demander conseil, et de se tourner vers les
ministres expérimentés qui avaient servi sous Salomon. Mais ce prince ne trouva
pas sa puissance et sa grandeur assez flattée par des conseils modérés. La
jeunesse impétueuse et vive lui plut davantage : mais son erreur fut extrême. Ce
que les sages vieillards conseillaient le plus, c'étaient des paroles douces :
mais au contraire la fière et imprudente jeunesse, au lieu qu'en conseillant des
choses dures elle devait du moins en tempérer la rigueur par la douceur des
expressions, joignit l'insulte au refus ; et affecta de rendre les discours plus
superbes et plus fâcheux que la chose même. C'est aussi ce qui perdit tout. Le
peuple, qui avait fait sa requête avec quelque modestie, en demandant seulement
une légère diminution du fardeau (2), fut poussé à bout par la dureté des
menaces dont la réponse fut accompagnée.
Ces téméraires conseillers ne
manquaient pas de prétextes. Il faut, disaient-ils, abattre d'abord un peuple
qui commence à lever la tête, sinon c'est le rendre plus insolent. Mais ils se
trompèrent faute d'avoir su connaître la secrète pente des dix tribus à faire un
royaume à part, et à se désunir de celle de Juda, dont ils étaient jaloux. Les
vieux conseillers, qui avaient vu si souvent du temps de David les tristes
effets de cette jalousie, les voulaient remettre devant les yeux de Roboam, et
les lui auraient pu faire entendre : et bien instruits de ces dangereuses
dispositions, ils conseillaient une douce réponse. La jeunesse flatteuse et
bouillante méprisa ces tempéraments : et porta la jalousie des dix
1 III Reg., XII, 5, 6 et seq.; II Paralip., X , 3, 4 et
seq. — 3 III Reg., XII, 4; II Paralip., X, 4.
212
tribus jusqu'à leur faire dire avec amertume et raillerie :
Quel intérêt avons-nous à la grandeur de Juda ? David, contentez-vous de votre
tribu. Nous voulons un roi tiré des nôtres.
La puissance veut être flattée,
et regarde les ménagements comme une faiblesse. Mais outre cette raison, les
jeunes gens nourris dans les plaisirs (comme remarque le texte sacré),
espéraient trouver dans les richesses du roi de quoi entretenir leur cupidité :
et craignaient d'en voir la source tarie par la diminution des impôts. Ainsi en
flattant le nouveau roi, ils songeaient à ce secret intérêt.
Le caractère de Roboam aidait à
l'erreur. « C'était un homme ignorant, et d'un courage timide incapable de
résister aux rebelles (1), » comme son fils Abia est contraint de l'avouer.
Ignorant : qui ne savait pas les maximes du gouvernement, ni l'art de manier les
esprits. Timide : et du naturel de ceux qui fiers et menaçants d'abord, lâchent
le pied dans le péril ; comme on a vu que fit Roboam, lorsqu'il prit la fuite au
premier bruit. Un homme vraiment courageux est capable de conseils modérés ;
mais quand il est engagé, il se soutient mieux.
Xe
PROPOSITION. Il faut ménager les hommes d'importance, et ne pas les mécontenter.
Après la mort de Saül, lorsque
tout le monde allait à David, « Abner fils de Ner (qui commandait les armées
sous Saül) prit Isboseth fils de ce roi, et le montra à l'armée de rang en rang,
et le fit reconnaître roi par les dix tribus (2). » Un seul homme par son grand
crédit, fit un si grand ouvrage.
Le même Abner maltraité par
Isboseth sur un sujet un peu important, dit à ce prince : « Suis-je à mépriser,
moi, qui seul fidèle à votre père Saül, vous ai fait régner ? Et vous me traitez
comme un malheureux pour une femme ! Vive le Seigneur ; j'établirai le trône de
David (3). » Il le fit, et Isboseth fut abandonné.
Ce n'est pas seulement dans les règnes faibles, et sous
Isboseth
1 II Paralip., XIII, 7. — 2 II Reg., II,
8, 9. — 3 ibid., III, 7-10.
213
« qui craignait Abner et qui n'osait lui répondre (1), »
qu'on a besoin de tels ménagements. Nous avons vu que David ménagea Joab, et la
famille de Sarvia, quoiqu'elle lui fût à charge.
Quelquefois aussi il faut
prendre de vigoureuses résolutions, comme fit Salomon. Tout dépend de savoir
connaître les conjonctures, et de ne pas pousser toujours les braves gens sans
mesure et à toute outrance.
XIe
PROPOSITION. Le fort du conseil est de s'attacher à déconcerter l'ennemi, et à
détruire ce qu'il a de plus ferme.
Les conseils ne font pas moins
que le courage dans les grands périls.
Ainsi dans la révolte d'Absalon,
où il s'agissait du salut de tout le royaume, David ne se soutint pas seulement
par courage, mais il employa toute sa prudence (2), comme on a déjà remarqué
ailleurs (3). Et pour aller à la source, il tourna tout son esprit à détruire le
conseil d'Achitophel, où était toute la force du parti contraire. Pour s'y
opposer utilement, il envoya Chusaï, qu'il munit des instructions et des secours
nécessaires : lui donnant Sadoc et Abiathar comme des hommes de confiance, pour
agir sous lui. Par ce moyen Chusaï l'emporta sur Achitophel, qui se voyant
déconcerté, désespéra du succès, et se donna la mort (4).
L'adresse de Chusaï contre
Achitophel paraît en ce que, sans attaquer la réputation de sa prévoyance, trop
reconnue pour être affaiblie, il se contente de dire : « Pour cette fois
Achitophel n'a pas donné un bon conseil (5) : » ce qui ne l'accuse que d'un
défaut passager et comme par accident.
XIIe
PROPOSITION. Il faut savoir pénétrer et dissiper les cabales, sans leur donner
le temps de se reconnaître.
Par cela on doit observer tout
ce qui se passa dans la révolte d'Adonias fils de David, qui contre sa volonté
voulait monter sur
1 II reg., III, 11. — 2 Ibid., XV, 31, 33 et seq. — 3
Ci-devant, liv. V. art I, XIIe propos ; et liv. IX, art. III, Ve propos. — 4 II
Reg, XVII, 14, 23. — 5 Ibid., 7.
214
le trône destiné à Salomon. Cette histoire est déjà
rapportée ailleurs (1) dans toute son étendue. Voici ce qu'on remarque seulement
ici.
A la fin de la vie du roi son
père, Adonias fit un festin solennel à la famille royale et à tous les grands de
sa cabale (2). Ce festin fut à Joab et à ceux de son intelligence, comme un
signal de la rébellion : mais il ouvrit les yeux au roi. Il prévint Adonias ; et
dans ce festin où ce jeune prince avait espéré de s'autoriser, on lui vint
annoncer sa perte, et que Salomon était couronné. A ce moment l'effroi se répand
dans le parti : la cabale est dissipée ; « chacun s'en retourna dans sa maison.
» Le coup est frappé : et la trahison s'en va avec l'espérance.
La vigilance et la pénétration
des fidèles ministres de David, qui avertirent ce prince à propos ; la fermeté
de ce roi, et ses ordres exécutés avec promptitude, sauvèrent l'Etat, et
achevèrent ce grand ouvrage sans effusion de sang.
XIIIe
PROPOSITION. Les conseils relèvent le courage du prince.
Ezéchias menacé par le roi
d'Assyrie, « tint conseil avec les grands du royaume et avec les gens de courage
(3). » Et ce concert produisit les grands ouvrages et les généreuses résolutions
qui relevèrent les cœurs abattus, et qui firent dire à Isaïe : « Ce prince aura
des pensées dignes d'un prince (4). »
Le peuple doit ressentir cet
effet. Et Judith avait raison de dire à Ozias et aux chefs qui défendaient
Béthulie : « Puisque vous êtes les sénateurs, et que l'âme de vos citoyens est
en vos mains, élevez-leur le courage par vos discours (5). »
XIVe
PROPOSITION. Les bons succès sont souvent dus à un sage conseiller.
« Joas roi de Juda régna
quarante ans. Il fit bien devant le Seigneur, tout le temps que Joiada vécut, et
lui donna ses
1 Ci-devant, liv. IX, art. VI, XIe propos. — 2 III Reg., I,
1, 5, 9, 19 et seq.— 3 II Paralip., XXXII, 3 et seq. — 4 Is., XXXII, 8.— 5
Judith., VIII, 21.
215
conseils (1). Après la mort de Joïada, les grands du
royaume vinrent à ses pieds : et gagné par leurs flatteries, il suivit leurs
mauvais conseils (2), » qui à la fin le perdirent.
XVe PROPOSITION. La bonté est
naturelle aux rois : et ils n'ont rien tant à craindre que les mauvais conseils.
« Les mauvais ministres, disait
le grand roi Artaxercès (dans la lettre qu'il adressa aux peuples de cent
vingt-sept provinces soumises à son empire), en imposant par leurs mensonges
artificieux aux oreilles des princes, qui sont simples, et qui naturellement
bienfaisants, jugent des autres hommes par eux-mêmes (3). »
XVIe
PROPOSITION. La sage politique, même des Gentils et des Romains, est louée par
le Saint-Esprit.
Nous en trouvons ces beaux
traits dans le livre des Macchabées.
« Premièrement, qu'ils ont
assujetti l'Espagne, avec les mines d'or et d'argent dont elle abondait, par
leur conseil et leur patience (4). » Où l'on fait cette réflexion importante :
que sans jamais rien précipiter, ces sages Romains, tout belliqueux qu'ils
étaient, croyaient avancer et affermir leurs conquêtes plus encore par conseil
et par patience, que par la force des armes.
Le second trait de la sagesse
romaine loué par le Saint-Esprit dans ce divin Livre : c'est que leur amitié
était sûre (5) ; et que non contents d'assurer le repos de leurs alliés par leur
protection, qui ne leur manquait jamais, ils savaient les enrichir et les
agrandir : comme ils firent le roi Eumènes (a), en augmentant son royaume des
provinces qu'ils avaient conquises. Ce qui faisait désirer leur amitié à tout le
monde.
Le troisième trait, c'est qu'ils
gagnaient de proche en proche, soumettant premièrement les royaumes voisins : et
se contentant pour les pays éloignés de les remplir de leur gloire, et d'y
1 IV Reg., XII, 1, 2 ; II Paralip.,
XXIV, 1, 2. — 2 Ibid., 17, 18 et seq. — 3 Esth., XVI, 6. — 4 I Mach., VIII, 3 .
— 5 Ibid., VIII, 12.
1 (a) II Edit. Le roi d'Eumènes.
216
envoyer de loin leur réputation, comme l'avant-courrière de
leurs victoires (1).
On remarque aussi que, pour
régler toutes leurs démarches, « et faire des choses dignes d'eux, ils tenaient
conseil tous les jours, sans division et sans jalousie (2), » et uniquement
attentifs à la patrie et au bien commun.
Au reste dans ces beaux temps de
la république romaine, au milieu de tant de grandeurs, on gardait l'égalité et
la modestie convenable à un état populaire, « sans que personne voulût dominer
sur ses concitoyens ; sans pourpre, sans diadème et sans aucun titre fastueux.
On obéissait au magistrat annuel (3) » (c'était-à-dire aux consuls, dont chacun
avait son année), avec autant de soumission et de ponctualité, qu'on eût fait
dans les monarchies les plus absolues.
Il ne reste plus qu'à remarquer
que quand ce bel ordre changea, le peuple romain vit tomber sa majesté et sa
puissance.
Tels sont les conseils qu'on
peut prendre de la politique romaine, pourvu qu'on sache d'ailleurs mesurer tous
ses pas par la règle de la justice.
XVIIe
PROPOSITION. La grande sagesse consiste à employer chacun selon ses talents.
« Je sais que votre frère Simon
est un homme de conseil : écoutez-le en tout, et il sera comme votre père. Judas
Machabée est brave et courageux dès sa jeunesse : qu'il marche à la tête des
armées, et qu'il fasse la guerre pour le peuple (4). »
C'est ainsi que parla Mathathias
prêt à rendre les derniers soupirs : et il posa dans sa famille les fondements
de la royauté, à laquelle elle était destinée bientôt après, sur tout le peuple
d'Israël.
Au reste Simon était guerrier
comme Judas, et la suite le fit bien paraître. Mais ce n'était pas au même degré
: et le Saint-Esprit nous enseigne à prendre les hommes par ce qu'ils ont de
plus éminent.
1 I Mach., VIII, 13.— 2 Ibid., 15, 16 .
— 3 Ibid., 14, 16.— 4 Ibid., II, 65, 66.
217
XVIIIe
PROPOSITION. Il faut prendre garde aux qualités personnelles : et aux intérêts
cachés de ceux dont on prend conseil.
« Ne traitez point de la
religion avec l'impie : ni de la justice avec l'injuste : ni avec la femme
jalouse des affaires de sa rivale. Ne consultez point les cœurs timides sur la
guerre : ni celui qui trafique, sur le prix du transport des marchandises (qu'il
fera toujours excessif) : ni sur la valeur des choses à vendre celui qui a
dessein de les acheter : ni les envieux de quelqu'un sur la récompense que vous
devez à ses services. N'écoutez pas le cœur dur et impitoyable sur la largesse
et sur les bienfaits (qu'il voudra toujours restreindre) : ni sur les règles de
l'honnêteté et de la vertu celui dont les mœurs sont corrompues : ni les
ouvriers de la campagne sur le prix de leur travail journalier : ni celui que
vous louez pour un an sur la fin de son ouvrage (qu'il voudra toujours tirer en
longueur et n'y mettre jamais de fin) : ni un serviteur paresseux sur les
ouvrages qu'il faut entreprendre (1).» N'appelez jamais de telles gens à aucun
conseil.
L'abrégé de tout ce sage
discours est de découvrir l'aveuglement de ceux qui prennent des conseils
intéressés et corrompus, ou même douteux et suspects, pour se déterminer dans
les affaires importantes.
XIXe
PROPOSITION. La première qualité d'un sage conseiller, c'est qu'il soit homme de
bien.
« Ayez toujours auprès de vous
un homme saint : celui que vous connaîtrez craignant Dieu et observateur de la
loi, dont l'aine sera conforme à la vôtre (2), » sensible à vos intérêts et dans
les mêmes dispositions pour la vertu.
« L'âme d'un homme de bien (sans
fard, qui ne saura point vous flatter), vous instruira de la vérité plus que ne
feront sept sentinelles que vous aurez mises en garde sur une tour ou sur
1 Eccli., XXXVII, 12 et seq. Il faut ici conférer
l'original crée avec la Vulgate. — 2 Eccli., XXXVII, 15.
218
quelque lieu éminent, pour tout découvrir et vous rapporter
des nouvelles (1). »
Ire
PROPOSITION. On commence par le caractère de Samuel.
Je ne veux pas tant remarquer ce
qu'un si grand caractère a de surnaturel et de prophétique, que ce qui le
rapproche de nous et des voies ordinaires.
Samuel a cela de grand et de
singulier, qu'ayant durant vingt ans et jusqu'à sa vieillesse jugé le peuple en
souverain, il se vit comme dégradé sans se plaindre. Le peuple lui vient
demander un roi. On ne lui cache pas le sujet de cette demande. « Vous êtes
vieux, lui dit-on, et vos enfants ne marchent pas dans vos voies. Donnez-nous un
roi qui nous juge (2). » Ainsi on lui reproche son grand âge, et le
mécontentement qu'on avait de ses enfants. Quoi de plus dur à un père, qui bien
loin de l'espérance qu'il pouvait avoir en récompense d'un si long et si sage
gouvernement, de voir ses enfants succéder à sa dignité, s'en voit dépouillé
lui-même de son vivant?
Il sentit l'affront : « Ce
discours déplut aux yeux de Samuel (3). » Mais sans se plaindre ni murmurer, son
recours fut « de venir prier le Seigneur, qui lui ordonne d'aquiescer au désir
du peuple (4). » Ce qui était le réduire à la vie privée.
Il ne lui reste qu'à se
soumettre au roi qu'il avait établi, c'était Saül ; et de lui rendre compte de
sa conduite devant tout le peuple, ce peuple qu'il avait vu durant tant d'années
recevoir ses ordres souverains. « J'ai toujours été sous vos yeux depuis ma
jeunesse. Dites devant le Seigneur et devant son Christ, si j'ai pris le bœuf ou
l'âne de quelqu'un; si j'ai opprimé quelqu'un, ou si j'ai pris des présents de
la main de qui que ce soit : et je le
1 Eccli., XXXVII, 18. — 2 I Reg., VIII, 4,
5. — 3 Ibid., 6. — 4 Ibid., 7.
219
rendrai. » On n'eut rien à lui reprocher. « Et il ajouta :
Le Seigneur et son Oint seront témoins contre vous de mon innocence (1), » et
que ce n'est point pour mes crimes que vous m'avez déposé.
Ce fut là toute sa plainte : et
tant qu'il fut écouté, il n'abandonna pas tout à fait le soin des affaires. On
voit le peuple s'adresser à lui dans les conjonctures importantes (2), avec la
même confiance que s'il ne l'avait point offensé.
Loin de dégoûter ce peuple du
nouveau roi qu'on avait établi à son préjudice, il profita de toutes les
conjonctures favorables pour affermir son trône. Et le jour d'une glorieuse
victoire de Saül sur les Philistins, il donna ce sage conseil : « Venez : allons
tous en Galgala : renouvelons le royaume. Et on reconnut Saül devant le Seigneur
: et on immola des victimes ; et la joie fut grande dans tout Israël (3). »
Depuis ce temps il vécut en
particulier : se contentant d'avertir le nouveau roi de ses devoirs, de lui
porteries ordres de Dieu, et de lui dénoncer ses jugements (4).
Comme il vit ses conseils
méprisés, il n'eut plus qu'à se retirer dans sa maison à Ramatha, où nuit et
jour il pleurait Saül devant Dieu, et ne cessait, d'intercéder pour ce prince
ingrat. « Pourquoi pleures-tu Saül, que j'ai rejeté de devant ma face (5)? » lui
dit le Seigneur. Va sacrer un autre roi. Ce fut David. Il semblait que pour
récompense du souverain empire qu'il avait perdu sur le peuple, Dieu le voulût
faire l'arbitre des rois, et lui donner la puissance de les établir.
La maison de ce souverain
dépossédé fut un asile à David, pendant que Saül le persécutait. Saül ne
respecta pas cet asile, qui devait être sacré. Il envoya courrier sur courrier
et messager sur messager, pour y prendre David (6), qui fut contraint de prendre
la fuite, de quitter ce sacré refuge, et bientôt après le royaume. Et le secours
de Samuel lui fut inutile.
Ainsi vécut Samuel retiré dans
sa maison, comme un conseiller fidèle dont on méprisait les avis, et qui n'a
plus qu'à prier Dieu pour son roi. Une si belle retraite laissa au peuple de
Dieu un
1 I Reg., XII, 3-5. — 2 Ibid., XI, 12. —
3 Ibid., 14, 15. — 4 Ibid., XV. — 5 Ibid., XVI, 1. — 6 Ibid., XIX, 18, 19 et
seq.
220
souvenir éternel d'une magnanimité qui jusqu'alors n'avait
point d'exemple. Il y mourut plein de jours, et mérita que « tout Israël
s'assemblât à Ramatha pour l'ensevelir, et faire le deuil de sa mort en grande
consternation (1). »
IIe
PROPOSITION. Le caractère de Néhémias, modèle des bons gouverneurs.
Les Juifs rétablissaient leurs
temples, et commençaient à relever Jérusalem sous les favorables édits des rois
de Perse, dont ils étaient devenus sujets par la conquête de Babylone : mais ils
étaient traversés parles continuelles hostilités des Samaritains, et de leurs
autres voisins anciens ennemis de leur nation, et même par les ministres des
rois, avec une opiniâtreté invincible (2).
Ce fut dans ces conjonctures que
Néhémias fut envoyé par Artaxercès roi de Perse, pour en être le gouverneur.
L'ambition ne l'éleva pas à cette haute charge, mais l'amour de ses concitoyens
: et il ne se prévalut des bonnes grâces du roi son maître, que pour avoir le
moyen de les soulager.
Parti de Perse dans cette
pensée, il trouva que Jérusalem désolée et de tous côtés en ruine, n'était plus
que le cadavre d'une grande ville, où l'on ne connaissait ni forts, ni remparts,
ni portes, ni rues, ni maisons.
Après avoir commencé de réparer
ces ruines plus par ses exemples que par ses ordres, la première chose qu'il fit
fut de tenir une grande assemblée contre ceux qui opprimaient leurs frères. «
Quoi ! leur disait-il, vous exigez d'eux des usures : pendant qu'ils ne songent
qu'à engager leurs prés et leurs vignes, et même à vendre jusqu'à leurs enfants
pour avoir du pain, et payer les tributs au roi? Vous savez, poursuivait-il, que
nous avons racheté nos frères qu'on avait vendus aux Gentils : et vous vendrez
les vôtres, pour nous obliger encore à les racheter (3)? » Il confondit par ce
discours tous les oppresseurs de leurs frères. Et surtout quand il ajouta, en
secouant son sein, comme s'il eût voulu s'épuiser lui-même : « Moi, et mes
frères, et mes domestiques,
I I Reg., XXV, I; XXVIIi, 3. — 2 II Esdr.,
I-IV. — 3 Ibid., V, 1, 2, 3, 7, 8.
221
avons prêté du blé et de l'argent aux pauvres : et nous
leur quittons cet emprunt (1). »
« Les gouverneurs qui m'ont
précédé, et encore plus leurs ministres (car c'est l'ordinaire) avaient accablé
le peuple qui n'en pouvait plus. Mais moi au contraire j'ai remis les droits
attribués au gouvernement (2). » Il savait qu'en certains états d'indigence
extrême de ceux qui nous doivent, exiger ce qui nous est dû légitimement, c'est
une espèce de vol.
« Sa table était ouverte aux
magistrats et aux voisins survenus. On y trouvait des viandes choisies et en
abondance, et des vins de toutes les sortes (3). » Il avait besoin dans la
conjoncture de soutenir sa dignité : et conciliait les esprits par cet éclat.
« J'ai, dit-il, vécu ainsi
durant douze ans. J'ai rebâti la muraille à mes dépens : personne n'était
inutile dans ma maison; et tous mes domestiques travaillaient aux ouvrages
publics (4). »
Voici encore qui est remarquable
et d'une exacte justice : « Je n'ai acheté aucune terre (5). » C'est un vol de
se prévaloir de son autorité et de l'indigence publique, pour acheter ce qu'on
veut et à tel prix qu'on y veut donner.
Ce qu'il y a de plus beau, c'est
qu'il faisait tout cela dans la seule vue de Dieu et de son devoir ; et lui
disait avec confiance : « Seigneur, souvenez-vous de moi selon tout le bien que
j'ai fait à ce peuple (6). »
Il ne faut pas s'étonner s'il
employait son autorité à faire observer exactement le sabbat, les ordonnances de
la loi et tout le droit lévitique et sacerdotal (7). » Venons aux vertus
militaires, si nécessaires à ce grand emploi. Pendant qu'on rebâtissait la ville
avec diligence, pour la mettre hors de péril, « il fit partager les citoyens,
dont la moitié bâtissait, pendant que l'autre gardait ceux qui travaillaient et
repoussait l'ennemi à main armée (8). » Mais dans l'ouvrage même, les
travailleurs étaient prêta à prendre les armes. Tout le monde était armé; et
comme s'exprime l’Ecriture, « d'une main on tenait l'épée et on travaillait de
l'autre (9). » Et comme ils étaient
1 II Esdr., V, 10,13. — 2 Ibid., 14,15.
— 3 Ibid., 17, 18. — 4 Ibid., 14, 16. — 5 Ibid., 14, 16. — 6 Ibid., 19. — 7
Ibid., XIII. — 8 Ibid., IV, 16. — 9 Ibid., 17.
222
dispersés en divers endroits, l'ordre était si bon, qu'on
savait où se rassembler au premier signal.
Comme on ne pouvait abattre
Néhémias par les armes, on tâchait de l'engager dans des traités captieux avec
l'ennemi (1). Sanaballat et les autres chefs avaient gagné plusieurs magistrats,
et l'environnaient de leurs émissaires, qui les vantaient auprès de lui. On
tâchait de l'épouvanter par des lettres qu'on faisait courir, et par de faux
bruits. On lui faisait craindre de secrètes machinations contre sa vie, pour
l'obliger à prendre la fuite ; et on ne cessait de lui proposer des conseils
timides, qui auraient mis la terreur parmi le peuple. « Renfermons-nous,
disaient-ils, et tenons des conseils secrets au dedans du temple, à huis clos
(2). » Mais il répondait avec une noble fierté qui rassurait tout le monde : «
Mes pareils ne craignent rien, et ne savent ni se cacher ni prendre la fuite
(3). » Par tant de trames diverses, on ne tendait qu'à le ralentir ou à
l'amuser, si on ne pouvait le vaincre; mais il se trouva également au-dessus de
la surprise et de la violence.
La source de tant de biens était
une solide piété, un désintéressement parfait, une attention toujours vive à ses
devoirs et un courage intrépide.
IIIe
PROPOSITION. Le caractère de Joab, mêlé de grandes vertus et de grands vices,
sous David.
David trouva dans sa famille et
en la personne de Joab, fils de sa sœur Sarvia (4), un appui de son trône.
Dès le commencement de son
règne, il le jugea le plus digne de la charge de général des armées. Mais il
voulait qu'il la méritât par quelque service signalé rendu à l'Etat : car il
était indigne d'un si grand roi et peu glorieux à Joab, que David parût n'avoir
eu égard qu'au sang et à l'intérêt particulier. Lorsque ce prince attaqua Jébus,
qui fut depuis appelée Jérusalem, et que David destinait à être le siège de la
religion et de l'empire, il fit cette solennelle déclaration : « Celui qui aura
le premier poussé le Jébuséen et forcé la muraille, sera le chef de la milice
(ce fut le
1 II Esdr., VI, 1, 2 et seq. — 2 Ibid., 10.
— 3 Ibid., 11. — 4 I Paralip., II, 16.
223
prix qu'il proposa à la valeur). Joab monta le premier; et
il fut fait chef des armées. Ainsi fut prise la citadelle de Sion, qui fut
appelée la cité de David, à cause qu'il y établit sa demeure (1). »
Après cette belle conquête, «
David bâtit la ville aux environs, depuis le lieu appelé Mello : et Joab (qui
avait eu tant de part à la victoire) acheva le reste (2). » Ainsi il se signala
dans la construction des ouvrages publics, comme dans les combats : et tint
auprès de David, la place que l'histoire donne auprès d'Auguste au grand Agrippa
son gendre.
Quand David pour son malheur eut
entrepris dans Juda et dans Israël le dénombrement des hommes capables de porter
les armes, qui lui attira le fléau de Dieu, Joab, à qui il en donna le
commandement, fit en fidèle ministre ce qu'il put pour l'en détourner, en lui
disant : « Que le Seigneur augmente le peuple du roi mon seigneur, jusqu'au
centuple de ce qu'il est ! Mais que prétend le roi mon seigneur par un tel
dénombrement? N'est-ce pas assez que vous sachiez qu'ils sont tous vos
serviteurs ? Que cherchez-vous davantage, et pourquoi faire une chose qui
tournera en péché à Israël (3)? » Dieu ne voulait pas qu'Israël, ni son roi, mît
sa confiance dans la multitude de ses combattants, qu'il fallait laisser
multiplier à celui « qui avait promis d'en égaler le nombre aux étoiles du ciel
et au sable de la mer (4). »
Le roi persista : et Joab obéit,
quoiqu'à regret. Ainsi au bout de neuf mois, il porta au roi le dénombrement,
qui tout imparfait qu'il était, fit voir à David à diverses reprises qu'il avait
quinze cent mille combattants sous sa puissance (5).
« Le cœur de David fut frappé,
quand il vit le dénombrement (6). » Il sentit sa faute; et sa vanité ne fut pas
plutôt satisfaite, qu'elle se tourna en remords et en componction. En sorte
qu'il n'osa faire insérer le dénombrement dans les registres royaux (7).
Que lui servit d'avoir vu sur du
papier tant de milliers de jeunesse prête à combattre, pendant que la peste que
Dieu envoya
1 II Reg., V, 7,8 ; I Paralip., XI, 4,
5, 6, 7. — 2 Ibid., 8. — 3 II Reg XXIV 2 3 ; I Paralip., XXI, 2, 3. — 4 Ibid.,
XXVII, 23. — 5 Ibid., XXI, 4 , 5, 6: II Reg., XXIV, 8, 9. — 6 Ibid., XXIV, 10. —
7 I Paralip., XXVII, 24.
224
ravageait le peuple, et en faisait des tas de morts ? Joab
avait prévu ce malheur : et on a pu remarquer dans son discours, avec toute la
force que la chose méritait, tous les ménagements possibles et les plus douces
insinuations.
Nous avons déjà vu en un autre
endroit, et lorsque David après la mort d'Absalon s'abandonna à la douleur,
comme Joab lui fit connaître qu'il mettait au désespoir tous ses serviteurs;
qu'ils voyaient tous que David les aurait sacrifiés volontiers pour Absalon; que
l'armée était déjà découragée; et qu'il allait s'attirer des maux plus grands
que tous ceux qu'il avait jamais éprouvés (1), C'était parler à son maître avec
toute la liberté que l'importance de la chose, son zèle et ses services lui
inspiraient. Il alla jusqu'à une espèce de dureté : sachant bien que la douleur
poussée à l'extrémité, veut être comme gourmandée et abattue par une espèce de
violence ; autrement elle trouve toujours de quoi s'entretenir elle-même, et
consume l'esprit comme le corps par le plus mortel de tous les poisons.
Au reste il aimait la gloire de
son roi. Dans le siège important de la ville et des forteresses de Rabbath, il
fit dire à David : « J'ai combattu heureusement, la ville est pressée ;
assemblez le reste des troupes, et venez achever le siège, afin que la victoire
ne soit point attribuée à mon nom (2). » Ce n'était pas unirait d'habile
courtisan : David n'avait pas besoin d'honneurs mendiés : et Joab savait quand
il fallait finir les conquêtes. Mais c'était ici une action d'éclat, où il
s'agissait de venger sur les Ammonites un insigne outrage fait aux ambassadeurs
de David : et la conjoncture des temps demandait qu'on en donnât la gloire au
prince.
Quand il fallut lui parler pour
le retour d'Absalon, et entrer dans les affaires de la famille royale, Joab,
bien instruit qu'il y a des choses où il vaut mieux agir par d'autres que par
soi-même, ménagea la délicatesse du roi : et il employa auprès de David cette
femme sage de Thécué. Mais un prince si intelligent reconnut bientôt « la main
de Joab, et lui dit : J'ai accordé votre demande : faites revenir Absalon. Joab
prosterné à terre, répondit : Votre
1 II Reg., XIX , 1, 2 et seq. Ci-devant, liv. V, art. II,
IIIe propos. Et encore , liv. IX, art. III, Ve propos.— 2 II Reg.,
XII, 27, 28.
225
serviteur connaît aujourd'hui qu'il a trouvé grâce devant
son Seigneur, puisqu'il fait ce qu'il lui propose (1). » Il sentit la bonté du
roi dans cette occasion, où il s'agissait de l'intérêt d'autrui, plus vivement
que dans les grâces quoique infinies qu'il avait reçues en sa personne.
Je passe les autres traits qui
feraient connaître l'habileté de Joab et ses sages ménagements. Les vengeances
particulières et ses ambitieuses jalousies lui firent perdre tant d'avantage, et
au roi l'utilité de tant de services.
Nous avons raconté ailleurs le
honteux assassinat d'Abner, que David ne put punir sur un homme aussi nécessaire
à l'Etat qu'était Joab, et dont il fut contraint de se disculper en public (2).
Il se vit même forcé de destiner
sa place à un autre : et il choisit Amasa (3), qui en était digne. Mais Joab le
tua en traitre. « Et ses amis disaient : Voilà celui qui voulait avoir la charge
de Joab (4). » Il mettait sa gloire à se faire redouter, comme un homme que l'on
n'attaquait pas impunément.
En un mot, il était de ceux qui
veulent le bien : mais qui veulent le faire seuls sous le roi. Dangereux
caractère s'il en fut jamais, puisque la jalousie des ministres, toujours prête
à se traverser (a) les uns les autres, et à tout immoler à leur ambition, est
une source inépuisable de mauvais conseils, et n'est guère moins préjudiciable
au service que la rébellion.
C'est le désir de se maintenir
qui le fit entrer dans les intérêts d'Adonias, contre Salomon et contre David.
On sait les ordres secrets que
ce roi mourant fut obligé de laisser à son successeur (5) contre un ministre qui
s'était rendu si nécessaire, que les conjonctures ne lui permettaient pas de le
punir. Il fallut enfin verser son sang, comme il avait versé celui des autres.
Trop complaisant pour David, il fut complice de la mort d'Urie, que ce prince
rendit porteur des ordres donnés pour sa perte à Joab même (6). Dieu le punit
par David, dont il flatta la
1 II Reg., XIV, 19, 21 22. — 2 Ibid., III, 27, 28 et seq.;
Ci-devant, liv. IX, art. III, IVe propos. — 3 II
Reg., XIX, 13. — 4 Ibid., XX., XX, 9 ,10, 11. — 5 III Reg., II, 5, 6. —6 II
Reg., XI, 14, 15, 17.
(a) IIe édit. : A traverser. TOME XXIV.
220
passion. C’est alors plus que jamais qu'il devait le
contredire, et faire sentir aux rois que c'est les servir que d'empêcher qu'ils
ne trouvent des exécuteurs de leurs sanguinaires desseins.
IVe
PROPOSITION. Holoferne, sous Nabuchodonosor, roi de Ninive et d'Assyrie.
Judith lui parle en ces termes :
« Vive Nabuchodonosor roi de la terre, et vive sa puissance qu'il a mise en vous
pour la correction de toute âme errante ! Non-seulement les hommes lui seront
soumis par votre vertu, mais encore les bêtes lui obéiront. Car le bruit de
votre sagesse s'est répandu par toutes les nations de l'univers. On sait par
toute la terre, que vous êtes le seul bon et le seul puissant dans tout son
royaume : et le bon ordre que vous y établissez se publie dans toutes les
provinces (1). »
Il paraît par ces paroles, qu'il
n'était pas seulement chef des armes ; mais encore qu'il avait la direction de
toutes les affaires : et qu'il avait la réputation de faire régner la justice,
et de réprimer les injures et les violences.
Son zèle pour le roi son maître
éclate dans ses premières paroles à Judith : « Soyez en repos et ne craignez
rien : je n'ai jamais nui à ceux qui sont disposés à servir le roi
Nabuchodonosor (2). »
Partout il parle avec raison,
avec dignité. Les ordres qu'il donne dans la guerre, seront approuvés de tous
les gens du métier : et on ne trouve rien à désirer à ses précautions dans les
marches, ni à sa prévoyance pour les recrues et la subsistance des troupes.
Il ne faut point attendre de
religion des hommes ambitieux. « Si votre Dieu accomplit la promesse que vous me
faites, de me livrer votre peuple, il sera mon Dieu comme le vôtre (3). » Le
Dieu des âmes superbes est toujours celui qui contente leur ambition.
« C'était un opprobre parmi les
Assyriens, si une femme se moquait d'un homme (4) » (en conservant sa pudeur).
Les gens de
1 Judith, XI, 5, 6. — 2 Ibid., I. — 3
Ibid., XI, 21. — 4 Ibid., XII, 11.
227
guerre par-dessus les autres se piquent de ces malheureuses
victoires et regardent un sexe infirme comme la proie assurée dune profession si
brillante.
Holoferne possédé de cette
passion insensée, parut hors de lui-même à la vue de l'étonnante beauté de
Judith; et la grâce de ses discours acheva sa perte. La raillerie s'en mêla : «
Quelle agréable conquête que celle d'un pays qui nourrit un si beau sang! et
quel plus digne sujet de nos combats (1) ! » L'aveugle Assyrien se mit en joie :
enivré d'amour plus que de vin, il ne songeait qu'à contenter ses désirs.
On croit ces passions (qui,
dit-on, ne font tort à personne) innocentes ou indifférentes dans les hommes de
commandement. C'est par là que périt Holoferne, un si habile homme d'ailleurs.
C'est par là que se ruinèrent les affaires de l'Assyrie et d'un si grand roi.
Chacun en sait l'événement, à la honte éternelle des grandes armées. Une femme
les met en déroute par un seul coup de sa faible main, plus aisément que
n'auraient fait cent mille combattants.
Si on voulait raconter tous les
malheurs, tous les désordres, tous les contre-temps que les histoires rapportent
à ces passions qu'on ne juge pas indignes des héros, le récit en serait trop
long : et il vaut mieux marquer ici d'autres caractères.
Ve
PROPOSITION. Aman , sous Assuérus, roi de Perse.
L'aventure est si célèbre, et le
caractère si connu, qu'il en faudra toucher les principaux traits.
« Le roi Assuérus éleva Aman
au-dessus de tous les grands du royaume. Et tous les serviteurs du roi
fléchissaient le genou, et adoraient le favori, comme le roi l'avait commandé,
excepté le seul Mardochée ». » Il était Juif, et sa religion ne lui permettait
pas une adoration qui tenait de l'honneur divin.
Aman enflé de sa faveur, «
appela sa femme et ses amis ; et commença à leur vanter ses richesses, le grand
nombre de ses
1 Judith, X, 18. — 2 Est., III, 1, 2.
228
enfants et la gloire où le roi l'avait élevé (1). » Tout
concourait à sa grandeur; et la nature même semblait seconder les volontés du
roi. Et il ajouta comme le comble de sa faveur : « La reine même n'a invité que
moi seul au festin qu'elle donne au roi : et demain j'aurai cet honneur. Mais
quoique j'aie tous ces avantages, je crois n'avoir rien, quand je vois le Juif
Mardochée qui, à la porte du roi, ne branle pas de sa place à mon abord (2). »
Ce qui flatte les ambitieux,
c'est une image de toute-puissance, qui semble en faire des dieux sur la terre.
On ne peut voir sans chagrin l'endroit par où elle manque, et tout paraît
manquer par ce seul endroit : plus l'obstacle qu'on trouve à ses grandeurs
paraît faible, plus l'ambition s'irrite de ne pas le vaincre ; et tout le repos
de la vie en est troublé.
Par malheur pour le favori, il
avait une femme aussi hautaine et aussi ambitieuse que lui. « Faites élever, lui
dit-elle, une potence de cinquante coudées ; et faites-y pendre Mardochée. Ainsi
vous irez en joie au festin du roi (3). » Une vengeance éclatante et prompte,
est aux aines ambitieuses le plus délicat de tous les mets. « Ce conseil plut au
favori : et il fit dresser le funèbre appareil. »
« Mais il jugea peu digne de lui
de mettre les mains sur Mardochée seul ; et il résolut de perdre à la fois toute
la nation (4) : » soit qu'il voulût couvrir une vengeance particulière sous un
ordre plus général : soit qu'il s'en prît à la religion, qui inspirait ce refus
à Mardochée : soit qu'il se plût à donner à l'univers une marque plus éclatante
de son pouvoir, et que le supplice d'un seul particulier fût une trop légère
pâture à sa vanité.
Le prétexte ne pouvait pas être
plus spécieux. « Il y a un peuple, dit-il au roi, dispersé par tout votre
empire, qui trouble la paix publique par ses singularités (5).» (Personne ne
s'intéresse à la conservation d'une nation si étrange). Ils sont en divers
endroits, remarque-t-il (sans pouvoir s'entre-secourir, et il est facile de les
opprimer). C'est une race désobéissante à vos ordres, ajoute cet artificieux
ministre (dont il faut réprimer l'insolence).
1 Esth., V, 10, 11. — 2 Ibid., 12, 13. —
3 Ibid., 14. — 4 Ibid., III, 16. — 5 Ibid., 8.
229
On ne pouvait pas proposer à un
roi une vue politique mieux colorée : la nécessité et la facilité concouraient
ensemble. Aman d'ailleurs, qui savait que souvent les plus grands rois, pour le
malheur du genre humain, au milieu de leur abondance, ne sont pas insensibles à
l'augmentation de leurs trésors, ajouta pour conclusion : « Ordonnez qu'ils
périssent : et (par la confiscation de leurs biens) je ferai entrer dix mille
talents dans vos coffres »
Le roi était au-dessus de la
tentation d'avoir de l'argent ; mais non au-dessus de celle de le donner, pour
enrichir un ministre si agréable, et qui lui parut si affectionné aux intérêts
de l'Etat et de sa personne. « L'argent est à vous, dit-il, faites ce que vous
voudrez de ce peuple : et il lui donna son anneau pour sceller les ordres (2). »
Un favori heureux n'est plein
que de lui-même. Aman n'imagine pas que le roi puisse compter d'autres services
que les siens. Ainsi consulté sur les honneurs que le roi avait destinés à
Mardochée qui lui avait sauvé la vie, il procure les plus grands honneurs à son
ennemi, et à lui-même la plus honteuse humiliation. Les rois se plaisent souvent
à donner les plus grands dégoûts à leurs favoris, ravis de se montrer maîtres.
Il fallut qu'Aman marchât à pied devant Mardochée, et qu'il fût le héraut de sa
gloire dans toutes les places publiques (3). On vit dès lors, et on lui prédit
l'ascendant que Mardochée allait prendre sur lui : et sa perte s'approchait.
Vint enfin le moment du festin
fatal de la reine (4), dont le favori s'était tant enorgueilli. Les hommes ne
commissent point leur destinée. Les ambitieux sont aisés à tromper, puisqu'ils
aident eux-mêmes à la séduction, et qu'ils ne croient que trop aisément qu'on
les favorise. Ce fut à ce festin tant désiré par Aman, qu'il reçut le dernier
coup par la juste plainte de cette princesse. Le roi ouvrit les yeux sur le
conseil sanguinaire que lui avait donné son ministre : et il en eut horreur.
Pour comble de disgrâce le roi, qui vit Aman aux pieds de la reine pour implorer
sa clémence, s'alla encore mettre dans l'esprit qu'il entreprenait sur
1 Esth., III, 9. — 2 Ibid., 10, 11. — 3 Ibid., VI, 1, 2 et
seq. — 4 Ibid., VII , 1, 2 et seq.
230
son honneur : chose qui n'avait pas la moindre apparence en
l'état où était Aman. Mais la confiance une fois blessée se porte aux sentiments
les plus extrêmes. Aman périt ; et déçu par sa propre gloire, il fut lui-même
l'artisan de sa perte, jusqu'à avoir fabriqué la potence où il fut attaché,
puisque ce fut celle qu'il avait préparée à son ennemi.
Ire
PROPOSITION. Qui sont ceux qu'il faut éloigner des emplois publics : et des
Cours mêmes, s'il est possible.
Nous avons remarqué ailleurs,
qu'une des plus nécessaires connaissances du prince était de connaître les
hommes. Nous lui avons facilité cette connaissance, en réalisant dans plusieurs
particuliers des caractères marqués en bien et en mal. Nous allons encore tirer
des livres de la Sagesse des caractères généraux, qui feront connaître qui sont
ceux qu'il faut éloigner des emplois publics et des Cours mêmes, s'il se peut.
Il y en a qui ne trouvent rien
de bon que ce qu'ils pensent, rien de juste que ce qu'ils veulent : ils croient
avoir renfermé dans leur esprit tout ce qu'il y a d'utile et de bon sens, sans
vouloir rien écouter. C'est à ceux-là que Salomon dit : « Ne soyez point sage en
vous-même (1). » Et ailleurs : « Le fol n'entend rien que ce qu'il a dans sa
tête : et les paroles prudentes n'y ont point d'entrée (2). » Et enfin : «
L'insensé croit toujours avoir raisons : le sage écoute conseil. »
Il y a aussi « l'innocent, qui
croit à toute parole : mais le sage (tient le milieu et) considère ses pas (3).
» C'est le parti que le prince prudent doit toujours suivre.
« Le brouillon cause des procès : et le discoureur sépare
les
1 Prov., III, 7. — 2 Ibid., XVIII, 2. —
3 Ibid., XII, 15. — 4 Ibid., XIV, 15.
231
princes (1), » en disant indiscrètement ce qui nuit, comme
ce qui sert.
« L'homme a deux langues (a deux
paroles) : le menteur et le brouillon affecte un langage simple : mais il
pénètre dans le sein (2). » Il y laisse des impressions, et fait des blessures
profondes par ses rapports déguisés.
« Chassez le railleur et le
moqueur, et la contention s'en ira avec lui : les disputes et les injures
cesseront (3). »
Surtout craignez le flatteur,
qui est le vice des Cours et la peste de la vie humaine. « Les morsures de l'ami
(qui ne vous offense qu'en disant la vérité), valent mieux que les baisers
trompeurs d'un ennemi (4),» qui se cache sous une belle apparence.
Le fanfaron, «celui qui se vante
et s'exalte, fait des querelles (5). » A chaque mot, on se sent poussé à le
contredire.
« L'homme qui se hâte de
s'enrichir ne sera point innocent (6). » Et ailleurs : « La pauvreté pousse au
crime : et le désir des richesses aveugle (7). » Les fortunes précipitées sont
suspectes. Le bien médiocre qu'on a de ses pères, fait présumer une bonne
éducation.
« L'impatient ne se sauvera pas
de la perte (8). » Les affaires se gâtent entre ses mains par la précipitation
et les contre-temps.
Au contraire, «l'esprit
paresseux et irrésolu veut et ne veut pas (9). » Il ne sait jamais se déterminer
: tout lui échappe des mains, parce que, ou il ne donne point aux affaires le
temps de mûrir, ou qu'il ne connaît point les moments. Et parce qu'il a ou dire
qu'il ne faut rien précipiter : et que « celui dont le pied va vite tombera
(10), il se croit plus sage (dans sa lenteur) que sept sages qui prononcent des
sentences ; dont les paroles sont autant d'oracles (11). »
Pour éviter ces inconvénients,
la décision du Sage est que « toute affaire a son moment et son occasion (12). »
Il ne faut ni la laisser échapper, ni trop aller au-devant, mais l'attendre et
veiller toujours.
1 Prov., XVI, 18. — 2 Ibid., XVIII, 8 ;
XXVI, 22. — 3 Ibid XXII 10. — 4 Ibid., XXVII, 6. — 5 Ibid., XXVIII, 25. — 6
Ibid., 20. — 7 Eccli., XXVII, 1 — 8 Prov., XIX, 19. — 9 Ibid., XIII, 4. — 10
Ibid., XIX, 2. — 11 Ibid., XXVI; 16. — 12 Eccle., VIII, 6.
232
Vous êtes toujours en joie,
toujours content de vous-même? Vous ne voyez rien : les choses humaines ne
portent pas ce perpétuel transport. C'est ce qui fait dire à l’Ecclésiaste : «
Le cœur du sage est celui où il y a de la tristesse : et le cœur de l'insensé
est celui qui est toujours dans la joie (1). »
« Ne soyez point trop juste, ni
plus sage qu'il ne faut, de peur que vous ne deveniez comme un stupide (2) »
sans vie et sans mouvement. Etre trop scrupuleux, c'est une faiblesse. Vouloir
assurer les choses humaines plus que leur nature ne le permet, c'en est une
autre qui fait tomber, non-seulement dans la léthargie et dans
l'engourdissement, mais encore dans le désespoir.
Il y a un vice contraire, de
tout oser sans mesure, de ne faire scrupule de rien. Et le Sage le reprend
aussitôt après : « N'agissez pas comme un impie (3). » Ne vous affermissez pas
dans le crime, comme s'il n'y avait point de loi ni de religion pour vous.
Ceux qui songent à contenter
tout le monde et nagent comme incertains entre deux partis, ou qui se tournent
tantôt vers l'un ou tantôt vers l'autre, sont ceux dont il est écrit : « Le cœur
qui entre en deux voies (et qui veut tromper tout le monde), aura un mauvais
succès (4). » Il n'aura ni ami fidèle, ni alliance assurée : et il mettra à la
fin tout le monde contre lui.
C'est à de tels esprits que le
Sage dit : « Ne tournez point à tout vent : n'entrez point en toute voie, et
n'ayez point une langue double (5). » Que vos démarches soient fermes : que
votre conduite soit régulière : et que la sûreté soit dans vos paroles.
« N'ayez point la réputation
d'un brouillon, et qu'on ne vous confonde point par vos paroles (6). » Tels sont
ceux à qui on ne cesse de reprocher la légèreté de leurs paroles, qui se
détruisent les unes les autres.
Ceux qui s'ingèrent auprès des
rois, qui se veulent rendre nécessaires dans les Cours, sont notés par cette
sentence : « Ne vous empressez pas à paraître sage auprès des rois (7). » La
sagesse ne se déclare qu'à propos. Ces gens qui veulent toujours donner tous les
bons conseils, sont ceux dont il est écrit : « Tout conseiller
1 Eccle., VII, 5. — 2 Ibid., 17. — 3 Prov.,
VI, 16-19. — 4 Eccli., IV, 30. — 5 Ibid., V, 11. — 6 Ibid., 16. — 7
Ibid., VII, 5.
233
vante son conseil (1), » et par là le rend inutile et
méprisable.
L'homme avare doit être en
exécration. « Celui qui est mauvais à lui-même, et qui se plaint tout ce qu'il
goûte de ses biens, à qui sera-t-il bon? Il n'y a rien de plus mauvais que celui
qui s'envie à lui-même son soulagement : et c'est la juste punition de sa malice
(2). »
Enfin les caractères les plus
odieux sont réunis, et marqués dans ces paroles. « Il y a six choses que le
Seigneur hait, dit le Sage ; et son âme déteste la septième : les yeux altiers :
la langue amie du mensonge : les mains qui répandent le sang innocent : le cœur
qui forme de noirs desseins : les pieds légers pour courir au mal : le faux
témoin : enfin celui qui sème la discorde parmi ses frères (3). »
IIe
PROPOSITION. On propose trois conseils du Sage, contre trois mauvais caractères.
« Ne vous opposez point à la
vérité : et si vous vous êtes trompé, humiliez-vous (4). » Qui est le mortel qui
ne se trompe jamais? Faites un bon usage de vos fautes, et qu'elles vous
éclairent pour une autre occasion.
« Ne rougissez pas d'avouer vos
fautes : mais ne vous laissez pas redresser par tout le monde (5), » comme font
les hommes faibles, qui se désespèrent et perdent courage.
« Ne résistez pas à celui dont
la puissance est supérieure : et n'allez pas contre le torrent ou contre le
courant du fleuve, qui entraîne tout (6). » Le téméraire croit tout possible, et
rien ne l'arrête.
Voici encore trois caractères
maudits par le Sage.
« Malheur au cœur double, qui
marche en deux voies (7), » et fait son fort du déguisement et de l'inconstance.
« Malheur au cœur lâche (qui se
laisse abattre au premier coup), faute de mettre sa confiance en Dieu (8). »
« Malheur à celui qui perd la
patience (9) » qui se lasse de poursuivre un bon dessein.
1 Eccli., XXXVII, 8. — 2 Ibid., XIV, 5, 6.—
3 Prov., VI, 16-19.— 4 Eccli., IV, 30. — 5 Ibid., 31. — 6 Ibid., 32. — 7
Ibid., II, 14. — 8 Ibid., 15.— 9 Ibid., 16.
234
IIIe
PROPOSITION. Le caractère de faux ami.
C'est celui qu'il faut le plus
observer. Nous l'avons déjà marqué ; mais on ne peut trop le faire observer au
prince pour l'en éloigner, puisque c'est la marque la plus assurée d'une aine
mal élevée et d'un cœur corrompu.
« Tout ami dit : J'ai fait un
ami, » et ce lui est une grande joie. « Mais il y a un ami qui n'est ami que de
nom : n'est-ce pas de quoi s'affliger jusqu'à la mort (1), » quand on voit
l'abus d'un nom si saint ?
Cet ami de nom seulement « est
l'ami selon le temps, et qui vous abandonne dans l'affliction (2), lorsque vous
avez le plus de besoin d'un tel secours.
« Il y a l'ami compagnon de
table (3). » Il ne cherche que son plaisir, et vous quitte dans l'adversité.
« L'ami qui trahit le secret de
son ami, est le désespoir d'une âme malheureuse (4), » qui ne sait plus à qui se
fier, et ne voit nulle ressource à son malheur.
« Mais il y a encore un ami plus
pernicieux. C'est celui qui va découvrir les haines cachées, et ce qu'on a dit
dans la colère et dans la dispute (5). » Il y a l'ami léger et volage, « qui ne
cherche qu'une occasion, un prétexte pour rompre avec son ami : c'est un homme
digne d'un éternel opprobre (6). » Un homme qui fait paraître une fois en sa vie
un tel défaut est caractérisé à jamais, et fait l'horreur éternelle de la
société humaine.
IVe
PROPOSITION. Le vrai usage des amis et des conseils.
« Le fer s'aiguise par le fer :
et l'ami aiguise les vues de son ami (7). »
Le bon conseil ne donne pas de
l'esprit à qui n'en a pas : mais il excite, il éveille celui qui en a. « Il faut
avoir un conseil en
1 Eccli., XXXVII, 1. — 2 Ibid., VI, 8. — 3
Ibid., 10. — 4 Ibid., XXVII, 24. — 5 Ibid., VI, 9. — 6 Prov., XVIII, 1. — 7
Ibid., XXVII, 17.
235
soi-même (1), » si l'on veut que le conseil serve. Il y a
même des cas où il se faut conseiller soi-même. Il faut se sentir, et prendre
sur soi certaines choses décisives, où l'on ne peut vous conseiller que
faiblement.
La règle que le Sage donne pour
les amitiés est admirable : « Séparez-vous de votre ennemi (ne lui donnez point
votre confiance) : mais prenez garde à l'ami (2), » n'en épousez point les
passions.
Ve
PROPOSITION. L'amitié doit supposer la crainte de Dieu.
« Un bon ami est un remède
d'immortalité et de vie : celui qui craint Dieu, le trouvera (3). » La crainte
de Dieu donne des principes : et la bonne foi se maintient sous ses yeux qui
percent tout.
VIe
PROPOSITION. Le caractère d'un homme d'Etat.
« Le conseil est dans le cœur de
l'homme comme une eau profonde: l'homme sage l'épuisera (4). » On ne le découvre
point, tant ses conduites sont profondes : mais il sonde le cœur des autres, et
on dirait qu'il devine, tant ses conjectures sont sûres.
Il ne parle qu'à propos : car «
il sait le temps et la réponse (5). » Isaïe l'appelle architecte (6). Il fait
des plans pour longtemps; il les suit : il ne bâtit pas au hasard.
L'égalité de sa conduite est une
marque de sa sagesse, et le fait regarder comme un homme assuré dans toutes ses
démarches. « L'homme de bien dans sa sagesse, demeure comme le soleil : le fou
change comme la lune (7). » Le vrai sage ne change point : on ne le trouve
jamais en défaut. Ni humeur ni prévention ne l'altère.
VIIe
PROPOSITION. La piété donne quelquefois du crédit, même auprès des méchants
rois.
Elisée disait à la Sunamite : «
Avez-vous quelque affaire? Et
1 Eccli., XXXVII, 8. — 2 Ibid., VI, 13. — 3
Ibid., 16. — 4 Prov., XX, 5. — 5 Eccle., VIII, 5. — 6 Isa., III, 3. — 7 Eccli.,
XXVII, 12.
236
voulez-vous que je parle au roi, ou au chef de la justice
(1) ? » L'impie Achab même, qui était ce roi, l'appelait : Mon père (2)».
« Hérode craignait saint Jean
Baptiste, sachant que c'était un homme saint et juste : et quoiqu'il le tint en
prison, il l'écoutait volontiers, et faisait beaucoup de choses à sa
considération (3). » A la fin pourtant on sait le traitement qu'il lui fit. Et
Achab en pré-paraît un semblable à Elisée : « Que je sois maudit de Dieu, dit ce
prince, si aujourd'hui la tête d'Elisée est sur ses épaules (4). »
La religion se fait craindre à
ceux-là même qui ne la suivent pas : mais la terreur superstitieuse qui est sans
amour, rend l'homme faible, timide, défiant, cruel, sanguinaire, et tout ce que
veut la passion.
VIIIe
PROPOSITION. La faveurs voit guère deux générations.
Quels plus grands services que
ceux de Joseph ? Il avait gouverné l'Egypte quatre-vingts ans avec une puissance
absolue : et avait eu tout le temps de s'affermir lui et les siens. « Cependant
il vint un nouveau roi qui ne connaissait pas Joseph (5).» Le prince oublia que
l'Etat lui devait, non-seulement sa grandeur, mais encore son salut : et il ne
songea plus qu'à perdre ceux que son prédécesseur avait favorisés.
IXe
PROPOSITION. On voit auprès des anciens rois un conseil de religion?
S'il fallait parler ici du
ministère prophétique, nous avons vu Samuel auprès de Saül, l'interprète des
volontés de Dieu (6). Nathan, qui reprit David de son péché, entrait dans les
plus grandes affaires de l'Etat (7).
Mais outre cela nous connaissons
un ministère plus ordinaire, puisque Ira est nommé « le prêtre de David (8). »
Zabud était celui de Salomon : et il est appelé « l'ami du roi (9) : » marque
certaine
1 IV Reg., IV, 13. — 2 Ibid., VI, 21. — 3
Marc., VI, 20. — 4 IV Reg., VI, 31. — 5 Exod., I, 8-10. — 6 I Reg., X, XII,
XIII, XV, XVI. — 7 III Reg., I, 10, 12, 23, 24. — 8 II Reg., 20, 26. — 9 III
Reg., IV, 5.
237
que le prince l'appelait à son conseil le plus intime, et
sans doute principalement en ce qui regardait la religion et la conscience.
On peut rapporter en cet endroit
le conseil du Sage : « Ayez toujours avec vous un homme saint, dont l'âme
revienne à la vôtre, et qui voyant vos chutes (secrètes) dans les ténèbres, les
pleure avec vous (1), » et vous aide à vous redresser.
Ire
PROPOSITION. La sagesse du prince paraît à gouverner sa famille, et à la tenir
unie pour bien de l'Etat.
Nous avons déjà remarqué que «
les fils de David étaient les premiers sous la main du roi (2), » pour exécuter
ses ordres. Ils sont nommés dans les Septante Aularques, c'est-à-dire princes d
la Cour, pour la tenir toute unie aux intérêts de la royauté.
Pour mettre la paix dans sa
famille, il régla la succession en faveur de Salomon, ainsi que Dieu l'avait
ordonné par la bouche du prophète Nathan (3). La règle était de la donner à
l'ainé (4), si le roi n'en ordonnait autrement. Et c'est encore la coutume des
rois d'Orient.
L'indulgence de David, « qui ne
voulut point contraster Amnon son fils aîné (5), » celui qui viola Thamar sa
sœur, est reprise dans l'Ecriture. Il souffrit aussi trop tranquillement les
entreprises d'Absalon, qui était devenu l'aîné et qui voulut envahir le trône.
Mais Dieu le voulait punir : et sa facilité, suivie d'une rébellion si affreuse,
laissa un terrible exemple à lui et à tous les rois, qui ne savent pas se rendre
les maîtres de leur famille.
Ainsi quoiqu'il eût encore une
excessive indulgence pour Adonias, qui était l'aîné après Absalon, dès qu'il sut
qu'il en abusait jusqu'à prétendre au royaume contre sa disposition expresse et
déclarée ; et qu'il avait dans ses intérêts contre Salomon les princes
1 Eccli., XXXVII, 15, 16. — 2 I Paral., XVIII, 17. — 3 II
Reg., VII, 12, 13 et seq. — 4 III Reg., I, 5, 6 ; et II, 15, 22. — 5 II Reg.,
XIII, 21.
238
ses frères, avec la plupart des grands du royaume : il
détruisit la cabale dans sa naissance, en faisant au lit de la mort sacrer son
fils Salomon, et donna la paix: à l'Etat (1).
On sait les derniers ordres
qu'il donna au roi son fils, pour le bien de la religion et des peuples. A ce
moment Dieu lui inspira ce divin psaume dont le titre est pour Salomon, qui
commence par ces beaux mots : « O Dieu, donnez votre jugement au roi et votre
justice au fils du roi (2). » Tout n'y respire que paix, abondance, bonheur des
pauvres soulagés sous la protection et la justice du nouveau roi, qui en devait
abattre les oppresseurs. C'est l'héritage qu'il laisse à son fils et à tout son
peuple, en leur promettant un règne heureux.
Il y avait déjà longtemps qu'on
lui avait dédié le psaume intitulé : « Pour le bien-aimé (3), » où les enfants
de Coré virent en esprit le règne de Salomon, où fleurirait la paix. Salomon y
est exhorté « à la vérité, à la douceur et à la justice (4). » C'étaient les
souhaits de David, et c'est par là que son règne devait figurer celui du Messie,
qui était le vrai fils de David.
Pour ne rien omettre, la reine
fille du roi Pharaon, destinée à Salomon pour épouse, y est marquée ; et sous le
nom de David, on lui adressait ces paroles : « Ecoutez, ma fille, et voyez : et
oubliez votre peuple, et la maison de votre père (5), » toute royale et toute
éclatante qu'elle est, et épousez les intérêts de la famille où vous entrez.
Vous en serez récompensée « par l'amour du roi, qui sera épris de vos beautés
(6) ; » et vous trouvera encore plus belle et plus ornée au dedans qu'au dehors.
C'est ainsi qu'Israël instruisait ses reines, comme ses rois, par la bouche de
David.
C'est cette reine si parfaite et
si aimable, sous la figure de qui Salomon a chanté l'Epoux et l'Epouse, et les
délices de l'amour divin. Ce roi magnifique la traita selon son mérite et selon
sa naissance. Il lui bâtit un palais superbe. Quoiqu'elle sût que selon la
coutume de ces temps il y eut pour la magnificence de la cour, « soixante reines
et un nombre infini de femmes et de jeunes filles : elle sentit que seule elle
avait le cœur. Elle était la
1 III Reg., I, 6, 9 et seq. — 2 Ps. LXXI, 1 et seq. — 3 Ps.
XLIV. — 4 Ibid., 5. — 5 Ibid., 11. — 6 Ibid., 12. — 7 Cant.
Cant., VI, 7.
239
Sulamite (a), « l'unique parfaite, que les reines et toutes
les autres louaient (1). » Cette reine sans s'enorgueillir de ces avantages, se
laissait conduire au sage roi son époux, et entrait en son esprit en lui disant
: « Je vous mènerai dans le cabinet de ma mère : là vous m'enseignerez (2) » par
de douces insinuations. Et encore : « Ceux qui sont droits vous aiment (3). » On
n'est digne de vous aimer que lorsqu'on a le cœur droit : et vous aimer, c'est
la droiture.
De semblables instructions
avaient fait imiter à Bethsabée mère de Salomon la pénitence de David. Et c'est
dans cet esprit qu'elle parlait en ces termes à son fds : « Que vous dirai-je,
mon bien-aimé de mes entrailles et le cher objet de mes vœux? O mon fils, ne
donnez point aux femmes vos richesses : les rois se perdent eux-mêmes en les
voulant enrichir. Ne donnez point, ô Lamuel ! (c'est ainsi qu'elle appelle
Salomon), ne donnez point de vin aux rois, parce qu'il n'y a point de secret où
règne l'ivresse, de peur aussi qu'ils n'oublient les jugements droits, et ne
changent la cause du pauvre (4). » C'est après ces belles paroles qu'elle fait
l'image immortelle « de la femme forte, digne épouse des sénateurs de la terre
(5). »
Salomon lui-même a rapporté ces
paroles de sa mère : et les a voulu consacrer dans un livre inspiré de Dieu,
avec ce titre à la tête : « Paroles du roi Lamuel. C'est la vision dont sa mère
l'a instruit (6). » Il ne faut donc pas s'étonner s’il a si souvent répété dans
tout ce livre : « Ecoutez les enseignements de votre père (7). » Et ailleurs : «
J'ai été son fils tendre et bien-aimé, et l'unique de ma mère. Elle
m'enseignait, et me disait: Mon fds, aimez la sagesse (8). » Et ailleurs : «
Conservez, mon fils, les préceptes de votre père: et n'abandonnez pas les
conseils de votre mère (9). » Pour inspirer l'amour de la sagesse, Salomon
faisait concourir dans ce divin Livre les préceptes de son père et de sa mère;
les uns plus forts, les autres plus affectueux et plus tendres, et tous les deux
faisant dans le cœur des impressions profondes.
1 Cant. VI, 8. — 2 Cant., VIII, 2. — 3
Ibid., I, 3. — 4 Prov., XXXI, 2-5. — 5 Ibid., 10-23. — 6 Ibid., 1. — 7 Ibid., I,
8. — 8 Ibid., IV, 3, 4. — 9 Ibid., VI, 20.
(a) IIe Edit. : Qu'elle seule avait le cœur, elle la
Sulamite.....
240
S'il faut remonter plus haut,
Job, qui était prince en son pays, tenait sa famille unie. « Il avait sept fils
et trois filles. Chacun de ses fils avait son jour pour traiter toute la famille
dans sa maison. Les frères y conviaient leurs sœurs. » Le soin de Job était « de
les bénir tous quand le tour était passé, et d'offrir des holocaustes pour
chacun d'eux : de peur, disait-il, que mes enfants (dans leur joie) n'aient
peut-être offensé le Seigneur. Ainsi faisait Job tous les jours de sa vie (1).»
Les princes, comme les autres,
tenaient leurs enfants, et jusqu'à leurs filles, toujours prêts à immoler leur
vie pour le salut du pays.
La fille unique de Jephté, juge
souverain d'Israël, voyant arriver son père « qui déchirait ses habits à sa vue,
lui parla en cette sorte : Mon père, si vous avez ouvert votre bouche au
Seigneur (par quelque vœu qui me soit fatal), faites de moi tout ce que vous
avez promis. C'est assez pour nous, que vous ayez remporté la victoire sur vos
ennemis (2). » Elle se trouva si bien préparée, qu'elle perdit la vie sans qu'il
lui en coûtât un soupir, et laissa un deuil immortel à toutes les filles
d'Israël.
Jonathas eût éprouvé le même sort. Et encore qu'il eût
regret à la vie, il allait être sacrifié, si le peuple ne l'eût arraché des
mains de son père Saul (3).
IIe
PROPOSITION. Quel soin le prince doit avoir de sa santé.
« Asa fut malade, à la
trente-neuvième année de son règne, d'une violente douleur des pieds. Et dans
son infirmité, il ne mit pas tant sa confiance au Seigneur son Dieu, que dans
l'art des médecins. Et il mourut deux ans après, à la quarante-unième année de
son règne (1).»
Dieu n'a pas condamné la
médecine, dont il est l'auteur. « Honorez, dit-il, le médecin à cause de la
nécessité : car c'est le Très-Haut qui l'a créé. La médecine vient de Dieu, et
elle aura les
1 Job., I, 2, 4, 5.— 2 Judic, XI, 35, 36 et seq. — 3 I Reg
, XIV, 43-45.— 4 II Paral. XVI, 12, 13.
241
présents des rois. La science du médecin le relèvera (a) :
et les grands la loueront à l'envi. Le Seigneur a créé les médicaments : et
l'homme sage ne s'en éloignera pas. Dieu les a faits pour être connus : et le
Très-Haut en a donné la connaissance aux hommes, pour découvrir ses merveilles.
» Si vous trouvez que ces connaissances vont lentement, et qu'on n'invente pas
assez de remèdes pour vaincre tous les maux, il s'en faut prendre au fonds
inépuisable d'infirmité qui est en nous. Cependant le peu qu'on découvre doit
aiguiser l'industrie.
Dieu veut donc que l'on se serve
de la médecine et de l'étude des plantes, qui adoucissent les maux par des
onctions salutaires : et ces heureuses inventions croissent tous les jours (1) »
par les nouvelles découvertes que l'expérience nous fait faire.
Ce que le Seigneur défend, c'est
d'y mettre sa confiance, et non pas en Dieu, qui seul bénit les remèdes, comme
il les a faits, et en dirige l'usage. « Mon fils, ne négligez pas votre santé,
et ne vous méprisez pas vous-même. Priez le Seigneur, qui vous guérira.
Eloignez-vous du péché (dont votre mal est le vengeur). Multipliez vos
offrandes, et donnez lieu au médecin : car c'est le Seigneur qui l'a créé (et
qui vous le donne). Qu'il ne vous quitte pas, parce que son secours vous est
nécessaire (3). »
Gardez-vous bien de le mépriser
à la manière de ceux qui, parce qu'il n'est pas un dieu qui ait la vie et la
santé dans la main, en dédaignent le travail. « Le temps viendra que vous aurez
besoin de son secours (4), » et vous serez étonné de l'effet d'une main hardie
et industrieuse.
1 Eccli., XXXVIII, 1, 2 et seq. — 2 Ibid., 7. — 3 Ibid.,
9-12. — 4 Ibid., 13.
(a) Ire Edit. : Le relèveront.
242
Il n'y a point de vérité que le
Saint-Esprit ait plus inculquée dans l'histoire du peuple de Dieu, que celle des
tentations attachées aux prospérités et à la puissance.
Il est écrit du saint roi Josaphat, « que son royaume
s'étant affermi en Juda et sa gloire et ses richesses étant au comble, son cœur
prit une noble audace dans les voies du Seigneur, et il entreprit de détruire
les hauts lieux et les bois sacrés (1), » où le peuple sacrifiait : ce qui avait
été vainement tenté par les pieux rois qui l'avaient précédé.
C'est là en effet le sentiment
véritable que la puissance devrait inspirer. Mais tous les rois ne ressemblent
pas à Josaphat.
« Le royaume de Roboam, fils de
Salomon, s'étant affermi (par le retour de plusieurs des dix tribus séparées et
par d'autres heureux succès), il abandonna la loi du Seigneur, et tout Israël
avec lui (2). »
Amasias, victorieux d'Idumée, en
adora les dieux (3) : tant les grands succès, qui augmentent la puissance,
dérèglent le cœur.
Ozias, un si grand roi et si
religieux, « enflé pour sa perte (par ses grands succès et par sa puissance),
négligea son Dieu, et voulut offrir l'encens, menaçant les prêtres (4)» dont il
usurpait l'honneur.
Le saint roi Ezéchias se
défendit-il du plaisir d'étaler sa gloire et ses richesses aux ambassadeurs de
Babylone, avec une ostentation que Dieu condamna par ces dures paroles d'Isaïe :
« Le jour viendra que tous ces trésors seront transportés à Babylone (à qui tu
les as montrés avec tant de complaisance), sans qu'il en
1 II Paralip., XVII, 5, 6. — 2 Ibid.,
XI, 17; XII, 1. — 3 Ibid., XXV, 14. — 4 Ibid., XXVI, 1, 16 et seq.
243
demeure ici la moindre parcelle (1). » Tout allait bien
pour ce prince, à la réserve « de la tentation arrivée à l'occasion de cette
ambassade : et Dieu la permit pour découvrir tous les sentiments de son cœur et
l'orgueil qui s'y tenait caché (2). »
Cette sentence fait trembler.
Dieu ordonne la magnificence dans les Cours, comme nous l'avons démontré : Dieu
a horreur de l'ostentation et la foudroie, sans la pardonner à ses serviteurs.
Quelle attention ne doit pas avoir un roi pieux ? Quelle réflexion profonde ne
doit-il pas faire, sur la périlleuse délicatesse des tentations dont nous
parlons?
Saint Augustin se fondait sur
ces exemples, lorsqu'il a dit qu'il n'y a point de plus grande tentation, même
pour les bons rois, que celle de la puissance : Quanta altior, tanto
periculosior (3).
Saül fut choisi de Dieu pour
être roi, sans qu'il y pensât; et nous avons vu ailleurs, dans le temps qu'on
l'élisait, qu'il se tenait caché dans sa maison (4). Et néanmoins il succomba à
la tentation de la puissance, en désobéissant aux ordres de Dieu et épargnant
Amalec; en offrant le sacrifice sans attendre Samuel, peut-être dans la jalousie
de régner en maître absolu, pour secouer un joug importun ; et enfin en
persécutant à toute outrance dans tous les confins du royaume, David le plus
fidèle de ses serviteurs (5).
Qu'arriva-t-il à David lui-même,
et jusques à quel excès succomba-t-il à la tentation de la puissance? Encore
fit-il pénitence, et couvrit-il son ignominie par ce bon exemple. Mais Dieu n'a
pas voulu que nous eussions une connaissance certaine d'une conversion semblable
dans Salomon sont-ils, qui a été premièrement le plus sage de tous les rois, et
ensuite dans sa mollesse le plus corrompu et le plus aveugle. La tentation de la
puissance le plongea dans ces faiblesses. Il adora jusques aux dieux des femmes
qui lui avaient dépravé le cœur : et les énormes dépenses qu’il lui fallut faire
en contentant leur ambition et en leur érigeant
1 IV Reg., XX, 16, 17. — 2 II paral.,
XXXII, 31. — 3 August., Enarr., in Ps. CXXXVII, n. 9. — 4
I Reg., X, 2, 3, 9, 22, 23. — 5 I Reg., XV, 8, 9, 13, 14 ; XIII, 8, 9 ; XVIII,
XIX, XX et seq.
244
tant de temples, jetèrent un si bon roi dans les
oppressions qui donnèrent lieu sous son fils à la division de la moitié du
royaume.
Aveuglé par la tentation de la
puissance, Nabuchodonosor se fit Dieu : et ne prépara que des fournaises
ardentes à ceux qui refusaient leurs adorations à sa statue (1). C'est lui qui
séduit par sa propre grandeur, n'adora plus que lui-même. « N'est-ce pas là,
disait-il, cette grande Babylone que j'ai faite par ma puissance, et pour la
manifestation de ma gloire (2) ? » Babylone, qui voyait le monde entier sous sa
puissance, disait dans l'égarement de son orgueil : « Je suis, et il n'y a que
moi sur la terre. » Et encore : « Je suis reine, la maîtresse éternelle de
l'univers; je ne serai jamais veuve ni seule ; mon empire ne périra jamais (3).
»
Un autre roi disait en lui-même,
plutôt par ses sentiments et par ses œuvres que par ses paroles (4) : « Le
fleuve est à moi, et je me suis fait moi-même; j'ai fait ce grand fleuve, qui
m'apporte tant de richesses. » C'est ce que disent les rois superbes, lorsqu'à
l'exemple d'un Pharaon roi d'Egypte, ils se croient arbitres de leur sort, et
agissent comme indépendants des ordres du Ciel, qu'ils ont oubliés.
Un Antiochus ébloui de sa
puissance, qu'il croyait sans bornes, « éleva sa bouche contre le ciel ; et
attaquant le Très-Haut par ses blasphèmes, il en voulut écraser les saints et
éteindre le sacrifice (5). » On le voit paraître en son temps, comme un homme
qui ne croit rien impossible à sa puissance. Car « il croyait pouvoir voguer sur
la terre, et marcher sur les flots de la mer (6). » Ainsi son audace
entreprenait tout, et il voulait que le monde n'eût point d'autre loi que ses
ordres. Cependant il était l'esclave d'une femme, qu'il appela Antiochide de son
nom, et vit des peuples entiers se révolter contre lui parce qu'ils étaient la
proie d'une impudique, à qui le roi donnait ses provinces (7).
Hérode sur un trône auguste et
revêtu des habits royaux, pendant qu'il parlait se laissa flatter « des
acclamations du peuple qui lui criait : Ce sont les paroles d'un Dieu et non pas
d'un
1 Dan., III, 6 — 2 Ibid., IV, 2, 26, 27.—
3 Isa., LVII, 7,9. — 4 Ezech., XXIX, 3, 9. — 5 Dan., VII,
25 ; VIII, 11, 12. — 6 II Mach., V, 21. — 7 Ibid., IV, 30.
245
homme : et mérita d être frappé en ce moment par un ange,
en sorte qu'il mourut mangé des vers (1). » Comme si Dieu, qu'il oubliait, lui
eût voulu dire, ainsi qu'à cet autre roi : « Diras-tu encore : Je suis un Dieu,
toi qui es un homme et non pas un Dieu, sous la main qui te donne la mort (2), »
en t'en voyant une si étrange maladie?
Voilà les effets funestes de la tentation de la puissance :
l'oubli de Dieu, l'aveuglement du cœur et l'attachement à sa volonté : d'où
suivent des raffinements d'orgueil et de jalousie, et un empire des plaisirs qui
n'a point de bornes.
Cela fut ainsi dès l'origine. Et
aussitôt qu'il y eut des puissances absolues, on craignit tout de leurs
passions. « Abraham dit à Saraï sa femme : Vous êtes belle : quand les Egyptiens
vous verront, ils diront : C'est sa femme : et ils me tueront pour vous avoir.
Dites que vous êtes ma sœur (comme elle l'était aussi en un certain sens).
Pharaon fut bientôt instruit de la beauté de Saraï : et Abraham reçut un bon
traitement pour l'amour d'elle : et on lui donna des troupeaux et des esclaves
en abondance : et on enleva sa femme dans la maison de Pharaon (3). » Il en
arriva autant à Abraham chez un autre roi, c'est-à-dire chez Abimélech, roi de
Gérare dans la Palestine (4). Et on voit que depuis l'établissement de la
puissance absolue, il n'y a plus de barrière contre elle, ni d'hospitalité qui
ne soit trompeuse, ni de rempart assuré pour la pudeur, ni enfin de sûreté pour
la vie des hommes.
Avouons donc de bonne foi qu'il
n'y a point de tentation égale à celle de la puissance : ni rien de plus
difficile que de se refuser quelque chose , quand les hommes vous accordent
tout, et qu'ils ne songent qu'à prévenir ou même à exciter vos désirs.
IIe
PROPOSITION. Quels remèdes on peut apporter aux inconvénients proposés.
Il y en a qui touchés de ces
inconvénients, cherchent des barrières à la puissance royale. Ce qu'ils
proposent comme utile,
1 Act., XII, 22, 23. — 2 Ezech., 9, 23.
— 3 Gen., XII, 11, 12. — 4 ibid., XX, 11, 12.
246
non-seulement aux peuples, mais encore aux rois, dont
l'empire est plus durable quand il est réglé.
Je ne dois point entrer ici, ni
dans ces restrictions, ni dans les diverses constitutions des empires et des
monarchies. Ce serait m'éloigner de mon dessein. Je remarquerai seulement ici,
premièrement : que Dieu, qui savait ces abus de la souveraine puissance, n'a pas
laissé de l'établir en la personne de Saül, quoiqu'il sût qu'il en devait abuser
autant qu'aucun roi. Secondement : que si ces inconvénients dévoient contraindre
le gouvernement jusqu'au point que l'on veut imaginer, il fau-droit ôter
jusqu'aux juges choisis tous les ans par le peuple, puisque la seule histoire de
Suzanne suffit pour montrer l'abus qu'ils ont fait de leur autorité.
Sans donc se donner un vain
tourment à chercher dans la vie humaine des secours qui n'aient pas
d'inconvénient, et sans examiner ceux que les hommes ont inventés dans les
établissements des gouvernements divers : il faut aller à des remèdes plus
généraux, et à ceux que Dieu lui-même a ordonnés aux rois contre la tentation de
la puissance : dont la source est dans ce principe.
IIIe
PROPOSITION. Tout empire doit être regardé sous un autre empire supérieur et
inévitable, qui est l'empire de Dieu.
« Ecoutez-moi, rois, et entendez
: juges de la terre , apprenez votre devoir : prêtez l'oreille, vous qui
contenez la multitude, et qui vous plaisez à vous voir environnés des troupes
des peuples. C'est le Seigneur qui vous a donné la puissance, et toute votre
force vient du Très-Haut, qui examinera vos œuvres, et sondera vos pensées,
parce qu'étant les ministres de son royaume, vous n'avez pas jugé droitement, et
vous n'avez pas gardé la loi de la justice, et vous n'avez pas marché selon la
volonté de Dieu. Il vous apparaîtra tout d'un coup, d'une manière terrible : et
ceux qui commandent seront jugés par un jugement très-rigoureux et très-dur. Car
les petits seront traités avec douceur : mais les puissants seront puissamment
tourmentés. Dieu ne fait
247
point d'acception de personne, ni il ne craint la grandeur
de qui que ce soit, parce qu'il a fait le petit comme le grand, et il a un soin
égal des uns et des autres : les plus forts auront à porter un tourment plus
fort (1). »
Il ne faut ni réflexion ni
commentaire. Les rois comme ministres de Dieu, qui en exercent l'empire, sont
avec raison menacés pour une infidélité particulière, d'une justice plus
rigoureuse et de supplices plus exquis. Et celui-là est bien endormi, qui ne se
réveille pas à ce tonnerre.
IVe
PROPOSITION. Les princes ne doivent jamais perdre de vue la mort : où l'on voit
l'empreinte de l'empire inévitable de Dieu.
«Je suis un homme mortel comme
les autres (c'est ainsi que la Sagesse éternelle fait parler Salomon). Je suis
fils de ce premier homme qui a été formé de terre, et j'ai été fait chair
(c'est-à-dire l'infirmité même) dans le ventre de ma mère, qui m'a porté dix
mois. J'ai été composé de sang : sorti d'une race humaine parmi le trouble des
sens, dans une espèce de sommeil (ma conception n'a rien que de faible). Ma
naissance m'a jeté, et comme exposé sur la terre : j'ai respiré le même air que
tous les autres mortels, et comme eux j'ai commencé ma vie en pleurant : on m'a
nourri dans des langes avec de grands soins. Les rois n'ont point un autre
commencement : tous les hommes ont entrés dans la vie de la même manière, et ils
la finissent aussi par un même sort (2). »
C'est la loi établie de Dieu
pour tous les mortels : il sait égaler par là toutes les conditions. La
mortalité, qui se fait sentir dans le commencement et dans la fin, confond le
prince et le sujet : et la fragile distinction qui est entre deux, est trop
superficielle et trop passagère, pour mériter d'être comptée.
1 Sap., VI, 2, 3, 4 et seq. — 2 Ibid., VII, 1-6.
248
Ve
PROPOSITION. Dieu fait des exemples sur la terre : il punit par miséricorde.
« Le prophète Nathan dit à David
: Vous êtes cet homme coupable dont vous venez de prononcer la condamnation (
dans la parabole de la brebis). Et voici ce que dit le Seigneur : Je vous ai
fait roi sur mon peuple d'Israël : je vous ai donné la maison de votre seigneur
avec tous ses biens : pourquoi donc avez-vous méprisé la parole du Seigneur,
pour faire mal à ses yeux, en répandant le sang d'Urie, en lui ôtant sa femme et
le tuant par l'épée des enfants d'Ammon ? Pour cela l'épée ne se retirera point
à jamais de votre maison, parce que vous m'avez méprisé. Et voici ce que dit le
Seigneur : Je susciterai le mal dans votre maison : vos femmes vous seront
enlevées à vos yeux : vous les verrez entre les mains de celui qui vous touchera
de plus près ( de votre propre fils ), aux yeux du soleil. Car vous l'avez fait
en secret : mais moi j'accomplirai cette parole à la vue de tout Israël et à la
vue du soleil (1) .. Et parce que vous avez fait blasphémer le nom du Seigneur
par ses ennemis, l'enfant (qui vous est si cher) mourra de mort (2). »
Tout s'accomplit de point en
point. Absalon fit éprouver à David tous les maux, et tous les affronts que le
prophète avait prédits. David jusque-là toujours triomphant et les délices de
son peuple, fut contraint de prendre la fuite à pied avec tous les siens, devant
son fils rebelle ; et poursuivi dans sa fuite à coups de pierres, il se vit
réduit à souffrir les outrages de ses ennemis ; et ce qu'il y a de plus
déplorable, à avoir besoin de la pitié de ses serviteurs. Le glaive vengeur le
poursuivit. Jeté de guerre civile en guerre civile, il ne se put rétablir que
par des victoires sanglantes, qui lui coûtèrent le sang le plus cher (3).
Voilà l'exemple que Dieu fit
d'un roi qui était selon son cœur, et dont il voulait rétablir la gloire par la
pénitence.
1 II Reg., XII, 7, 8 et seq. — 2 Ibid., 14. — 3 Ibid., XV,
XVI, XVIII, XX.
249
VIe
PROPOSITION. Exemples des châtiments rigoureux. Saul : premier exemple.
« Qui voulez-vous crue j'évoque
d'entre les morts ? » disait l'enchanteresse, que Saül consul toit à la veille
d'une bataille. « Evoquez-moi Samuel, répondit ce prince. Qui voyez-vous? Je
vois comme des dieux (quelque chose d'auguste et de divin) qui s'élève de la
terre ( et qui sort du creux d'un tombeau ). Quelle en est la forme ? Un
vieillard s'élève enveloppé d'un manteau. Saül reconnut Samuel à cet habit, et
se prosterna en terre (1). » Soit que ce fût Samuel lui-même, Dieu le permettant
ainsi pour confondre Saül par ses propres désirs, ou seulement sa figure. « Et
Samuel lui dit : Pourquoi me troublez-vous dans le repos de la sépulture? Et que
sert de m'interroger, puisque le Seigneur vous a rejeté de devant sa face, par
votre désobéissance? Dieu livrera Israël aux Philistins. Demain vous et vos
enfants serez avec moi (parmi les morts) : et les Philistins tailleront en
pièces l'armée d'Israël (2). »
A cette courte et terrible
sentence, le cœur de Saül fut épouvanté. Le lendemain les Philistins firent un
horrible carnage de toute l'armée, comme il avait été dit : Jonathas et les
enfants de Saül qui y combattaient à ses côtés, y périrent. Ce roi aussi
malheureux qu'impie, arracha l'épée des mains de son écuyer, se perça lui-même à
son refus pour ne point tomber entre les mains de ses ennemis : et passa ainsi
de la mort temporelle à l'éternelle (3).
« Baltasar fit un grand festin.
Et déjà échauffé par le vin, il fit apporter les vases d'or et d'argent, que son
père Nabuchodonosor avait enlevés du temple de Jérusalem (comme si le vin y eût
été meilleur et que la profanation y ajoutât un nouveau goût). Le roi donc, ses
femmes, ses maîtresses et les grands de sa Cour bu voient de ce vin, et louaient
leurs dieux d'or et d'argent, d'airain
1 Reg., XXVIII, 11 et seq. — 2 Ibid., 15, 16 et seq. — 3
Ibid., XXXI, 1-4.
250
et de fer, de bois et de pierre. Quand tout d'un coup il
parut vis-à-vis d'un chandelier deux doigts (en l'air) comme d'une main humaine,
qui écrivaient sur la muraille de la salle du banquet. À ce spectacle de la main
qui écrivait, le visage du roi changea, et ses pensées se troublaient : ses
reins furent séparés : ses genoux branlèrent, et se brisaient l'un contre
l'autre. Il fit un grand cri : toute la Cour fut effrayée ; on appela les devins
(1) » ( selon la coutume ).
Mais tous ces devins ne purent
lire cette écriture. On fit venir Daniel, comme un homme qui avait l'esprit des
dieux. Et ce fidèle interprète fit cette réponse : « O roi, le Très-Haut avait
élevé Nabuchodonosor votre père : il fit en son temps tout ce qu'il voulut sur
la terre. Quand son cœur s'enfla, et que son esprit s'enorgueillit, il fut
frappé, et sa gloire fut éteinte. La raison lui fut ôtée; et déposé de son
trône, il se vit rangé parmi les bêtes, broutant l'herbe comme un bœuf et battu
par les eaux du ciel, jusqu'à ce qu'il eût connu que le Très-Haut donnait les
royaumes à qui il voulait. Vois donc, ô roi Baltasar son fils, qui savez toutes
ces choses, vous n'en avez point profité : et ne vous êtes point humilié devant
le Seigneur ; mais vous avez profané les vaisseaux sacrés de son temple, et avez
loué vos dieux de bois et de métal. C'est pour cela que le doigt de la main (qui
a paru en l'air) vous est envoyé. Et en voici l'écriture : MANÈ. Le Seigneur a
compté les années de votre règne, et en a marqué la fin. THÉCEL. Vous avez été
mis dans la balance, et on ne vous a pas trouvé du poids qu'il fallait. PHARÈS.
Votre royaume a été divisé, et a été donné aux Mèdes et aux Perses (2). »
« En cette nuit Baltasar fut
tué, et Darius le Mède fut mis sur son trône (3). »
VIIIe
PROPOSITION. Troisième exemple : Antiochus (surnommé l'Illustre), roi de Syrie.
« Antiochus marchait dans les
provinces supérieures de la grande Asie : et il apprit les richesses d'Elymaïde
ville de Perse, et de son temple, où Alexandre fils de Philippe roi de
Macédoine,
1 Dan., V, 1, 2 et seq. — 2 Ibid., 18—28. — 3 Ibid., 30,
31.
251
qui avait commencé l'empire des Grecs, avait déposé les
riches dépouilles de tant de royaumes vaincus. Et il s'approcha de la ville,
qu'il voulait surprendre; mais l'entreprise fut découverte; et battu par ses
ennemis, il revenait en fuite avec honte (1).»
« Plongé dans une profonde
tristesse, il apprit auprès d'Ecbatanes l'une des capitales de son royaume, la
défaite de ses généraux (Nicanor et Lysias), qu'il avait laissés en Judée pour
la subjuguer. Et emporté de colère, il crut pouvoir réparer sur les Juifs
l'opprobre où l'avaient jeté ceux qui l'avaient contraint à prendre la fui te,
menaçant Jérusalem dans son orgueil de n'en faire plus qu'un sépulcre de ses
citoyens (2). »
Pendant qu'il ne respirait que
feu et sang contre les Juifs, poursuivi par la vengeance divine, il précipitait
le cours de ses chariots, et reçut en versant de rudes coups. Les nouvelles qui
lui venaient coup sur coup du mauvais succès de ses desseins en Judée, l'effraya
et le mit en trouble. Dans l'excès de la mélancolie où l'avaient jeté ses
espérances trompées, il tomba malade : la (a) tristesse se renouvelait dans une
longue langueur, et il se sentait défaillir. Au milieu de ses discours
menaçants, Dieu le frappa d'une plaie cachée qui lui causa d'insupportables
tourments. « Ce qui était le juste supplice de ceux qu'il avait inventés contre
les autres : celui qui croyait pouvoir commander aux flots de la mer, et se
croyait au-dessus des astres, porté sur un brancard, rendait témoignage de la
puissance de Dieu, dont le bras l'atterrait. Il sortit des vers de son corps.
L'armée n'en pouvait souffrir la puanteur, qui lui devint insupportable à
lui-même (3). »
« Alors il appela ses serviteurs
les plus affidés, et leur dit : Je ne connais plus le sommeil : je suis abîmé
dans la tristesse, moi dont les joies étaient si emportées. Le souvenir des maux
que j'ai faits sans raison dans Jérusalem, et le pillage injuste de tant de
richesses, ne me laissent pas de repos. Et je meurs sans consolation dans une
terre éloignée (4) » Alors il commença à se réveiller comme d'un profond
1 I Mach., VI, 1, 2 et seq. — 2 II Mac., IX, 1, 2 et seq. —
3 Ibid. VI, 6,8. — 4 I Mach., VI, 10, 11, 12, 13. 1
(a) IIe édit. : Sa.
252
assoupissement : et dans le continuel accroissement de ses
maux, rentrant enfin en lui-même : « Il est juste, s'écria-t-il, d'être soumis à
Dieu, et qu'un mortel ne s'égale pas à sa puissance. Il implorait la
miséricorde, qui lui était refusée. Il protestait d'affranchir Jérusalem qui
avait été l'objet de sa haine. Il promettait d'égaler aux Athéniens les Juifs,
qu'auparavant il voulait donner en proie, grands et petits, aux oiseaux et aux
bêtes ravissantes. Il ne parlait que des beaux présents qu'il destinait au
temple saint : et promettait de se faire Juif, et d'aller de ville en ville
publier la gloire et la puissance de Dieu (1).» Mais il ne reçut point la
miséricorde qu'il voulait acheter et non fléchir, ni aucun fruit d'une
conversion que Dieu, qui lit dans les cœurs, connais-soit trompeuse et forcée.
« Ainsi mourut d'une mort
misérable, sur des montagnes éloignées, cet homicide et ce blasphémateur : ainsi
reçut-il le traitement qu'il avait fait à tant d'autres (2). »
C'est assez d'avoir rapporté ces
tristes exemples : et nous nous tairons du nombre infini qui reste.
IXe
PROPOSITION. Le prince doit respecter le genre humain, et révérer le jugement de
la postérité.
Pendant que le prince se voit le
plus grand objet sur la terre des regards du genre humain , il en doit révérer
l'attention, et considérer dans chacun des hommes qui le regardent un témoin
inévitable de ses actions et de sa conduite.
Surtout il doit respecter le
jugement de la postérité, qui rend des arrêts suprêmes sur la conduite des rois.
Le nom de Jéroboam marchera éternellement avec cette note infamante : « Jéroboam
qui pécha, et fit pécher Israël (3).»
Les louanges de David iront
toujours avec cette restriction : « Excepté l'affaire d'Urie Héthéen (4). »
Encore pour David, sa gloire est réparée par sa pénitence : mais celle de
Salomon n'étant point connue, il demeurera après tant d'éloges que lui donne
1 II Mach., IX, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17. — 2 Ibid., IX, 28. — 3 IV Reg., XIV, 24; XV, 9. — 4 III Reg., XV, 5.
253
l’Ecclésiastique, avec cette tache inhérente à son
nom : « O sage, tu t'es abaissé devant les femmes, tu as mis une tache dans ta
gloire ! Tu as profané ton sang : et ta folie a donné lieu au partage de ton
royaume (1). » Rien n'a effacé cette tache.
Et si l'on veut prendre l’Ecclésiaste
comme un ouvrage de la pénitence de Salomon, profitons-y du moins de cet aveu :
« J'ai parcouru dans mon esprit toutes les occupations de la vie humaine :
l'impiété de l'insensé et l'erreur des imprudents ; et le fruit de mes
expériences a été de reconnaître que la femme était plus amère que la mort (2).
»
Xe
PROPOSITION. Le prince doit respecter les remords futurs de sa conscience.
Combien de fois le cœur percé de
componction, David a-t-il dit en lui-même: Urie était connu comme un des forts
d'Israël et des plus fidèles à son roi : cependant je lui ai ôté l'honneur et la
vie : « O Seigneur, délivrez-moi de son sang (3) » ( qui me persécute) ! La
plaie que je lui ai faite par les traits des Ammonites, pendant qu'il combattait
dans les premiers rangs pour mon service , est toujours ouverte devant mes yeux
: « et mon péché est toujours contre moi (4). » Que n'eût-il pas fait pour se
délivrer de ce reproche sanglant ?
Que la crainte d'un semblable
sentiment arrête les mains sanguinaires, et prévienne la profonde plaie que fait
dans les cœurs la victoire que remportent les basses et honteuses passions.
XIe
PROPOSITION. Réflexion que doit faire un prince pieux, sur les exemples que Dieu
fait des plus grands rois.
Qui m'a dit, si j'étais rebelle
à la voix de Dieu, que sa justice ne me mettrait pas au nombre de, ces
malheureux qu'il fait servir d'exemples aux autres ? Dieu craint-il ma puissance
? et quel mortel en est à couvert ?
Mais peut-être que c'est
seulement sur des scélérats qu'il exerce
1 Eccli., XLVII, 21, 22, 21. — 2 Eccle.,
VII, 26,27. — 3 Ps., L, 16. — 4 Ibid., 5.
254
ses vengeances? Non: il imputa à David le dénombrement du
peuple, par où ce prince paraissait seulement prendre trop de confiance en ses
forces : et sans autre miséricorde que de lui donner l'option de son supplice,
il lui ordonna de choisir entre la famine, la guerre et la peste. Nous venons de
voir Ezéchias étaler ses richesses aux Babyloniens, ce qui n'était après tout
qu'une ostentation ; et cependant le Seigneur lui dit en punition, par la bouche
de son prophète Isaïe : « Je transporterai ces richesses de tant de rois à
Babylone : et les enfants qui sortiront de toi, seront esclaves dans le palais
de ses rois (1). »
C'est des rois les plus pieux
que Dieu exige un détachement plus entier de leur grandeur. C'est sur eux qu'il
venge le plus durement la confiance qu'ils mettent dans leur pouvoir, et
l'attachement qu'ils ont à leurs richesses. Que ne fera-t-il donc pas dans la
nouvelle alliance, après l'exemple et la doctrine du Fils de Dieu descendu du
ciel, pour anéantir toutes les grandeurs humaines ?
XIIe
PROPOSITION. Réflexion particulière à l'état du christianisme.
Il faut ici se souvenir que le
fondement de toute la doctrine chrétienne, et la première béatitude que
Jésus-Christ propose à l'homme, est établie dans ces paroles : « Bienheureux les
pauvres d'esprit, parce qu'à eux appartient le royaume des cieux (2). »
Expressément il ne dit pas : Bienheureux les pauvres : en effet, comme si l'on
ne pouvait être sauvé dans les grandes fortunes. Mais il dit : Bienheureux les
pauvres d'esprit, c'est-à-dire bienheureux ceux qui savent se détacher de leurs
richesses : s'en dépouiller devant Dieu par une véritable humilité. Le royaume
du ciel est à ce prix : et sans ce dépouillement intérieur, les rois de la terre
n'auront pas de part au véritable royaume, qui sans doute est celui des deux.
Rien ne convenait davantage à
Jésus-Christ, que de commencer par cette sentence le premier sermon où il
voulait, pour ainsi
1 IV Reg., XX, 17, 18. — 2 Matth., V, 3.
255
parler, donner le plan de sa doctrine. Jésus-Christ, c'est
un Dieu abaissé : un roi descendu de son trône : qui a voulu naître pauvre,
d'une mère pauvre, à qui il inspire l'amour de la pauvreté et de la bassesse,
dès qu'il l'a choisie pour sa mère. « Dieu, dit-elle (1), a regardé la
petitesse, la bassesse de sa servante (1). » Ce n'est pas seulement la vertu de
cette mère admirable qu'il a choisie pour son fils, mais encore la petitesse de
son état. C'est pourquoi elle ajoute aussitôt après : « Il a dissipé ceux qui
s'enorgueillissent dans leur cœur : il a déposé les puissants de leur trône, et
il a élevé les petits et les humbles : il a rempli de biens ceux qui ont faim
(ceux qui sont dans le besoin, dans l'indigence), et il a renvoyé les riches les
mains vides (2). »
La divine Mère exprime par ce
peu de mots, tout le dessein de l'Evangile. Un roi comme Jésus-Christ, qui n'a
rien voulu garder de la grandeur extérieure de tant de rois ses ancêtres, n'a pu
se proposer autre chose en venant au monde, que de rabaisser les puissances à
ses yeux, et d'élever les humbles de cœur aux plus hautes places de son royaume.
XIIIe
PROPOSITION. On expose le soin d'un roi pieux à supprimer tous les sentiments
qu'inspire la grandeur.
« Seigneur, disait David, je
n'ai point enflé mon cœur, je n'ai point élevé mes yeux : je n'ai point marché
dans les hauteurs, ni dans des choses admirables au-dessus de moi (3). (J'ai
combattu les pensées ambitieuses : et je ne me suis point laissé posséder à
l'esprit de grandeur et de puissance). « Si je n'ai pas eu des sentiments
humbles, et que j'aie élevé mon âme (Seigneur, ne me regardez pas). Semblable à
un enfant qu'on a sevré de la mamelle de sa mère : ainsi mon âme a été sevrée
(des douceurs de la gloire humaine, pour être capable d'un aliment plus solide
et plus substantiel). Qu'Israël (le vrai Israël de Dieu, c'est-à-dire le
chrétien) espère au Seigneur maintenant, et au siècle des siècles (3). » Qu'il
n'ait point d'autre sentiment, ni pour le passé ni pour l'avenir.
1 Luc. I, 48. — 2 Ibid., 51, 52, 53. — 3 Ps. CXXX , 1 et
seq.
256
C'est la vie de tout chrétien,
et des rois ainsi que des autres : car ils doivent comme les autres être
vraiment pauvres d'esprit et de cœur; et comme disait saint Augustin, « préférer
au royaume où ils sont seuls, celui où ils ne craignent point d'avoir des égaux
(1).»
David rempli de l'esprit du
Nouveau Testament, sous lequel il était déjà par la foi, a ramassé ces grands
sentiments dans un des plus petits de ses psaumes : et il le donne pour
entretien et pour exercice aux rois pieux.
XIVe
PROPOSITION. Tous les jours, et dès le matin, le prince doit se rendre devant
Dieu attentif à tous ses devoirs.
« Ecoutez, Seigneur, mes paroles
d'une oreille favorable : entendez le cri de mon cœur : soyez attentif à ma
prière, mon Roi et mon Dieu. Je vous ferai ma prière, et vous m'écouterez dès le
matin. Je me présenterai à vous dès le matin, et je considérerai que vous êtes
un Dieu qui haïssez l'iniquité. L'homme malin n'approchera point de vous : les
médians ne subsisteront point sous vos yeux. Vous haïssez tout homme qui fait
mal : vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge. Le Seigneur a en abomination
l'homme sanguinaire et le trompeur. Pour moi, j'espère en la multitude de vos
miséricordes. J'entrerai dans votre maison : j'adorerai dans votre saint temple
en votre crainte. Amenez-moi dans votre justice : aplanissez vos voies devant
moi, pour me délivrer de ceux qui me tendent des pièges. La vérité n'est point
en leur bouche : leur cœur est plein de fraude pour me surprendre : leur bouche
est un sépulcre ouvert (pour engloutir l'innocent). Ils adoucissent leurs
langues (par des paroles flatteuses). Jugez-les, Seigneur : rendez leurs
desseins inutiles : repoussez-les selon le nombre de leurs impiétés, parce
qu'ils ont irrité votre colère. Mais que ceux qui espèrent en vous, se
réjouissent : ils vous loueront à jamais. Vous protégerez ceux qui aiment votre
nom : vous habiterez en eux, ils se réjouiront en
1 Aug., de Civit. Dei, lib. V, cap. XXIV.
257
vous : bénissez le juste. Vous environnerez leur tête comme
d'un bouclier, selon votre bonne volonté ». »
On voit David, un si grand roi,
dès le matin et dans le moment où l'esprit est le plus net et les pensées les
plus dégagées et les plus pures, se mettre en la présence-de Dieu, entrer dans
son temple faire son adoration et sa prière en considérant ses devoirs, sur ce
fondement immuable, que Dieu est un Dieu qui hait l'iniquité : ce qui oblige ce
prince à la réprimer en lui-même et dans les autres. C'est ainsi qu'on se
renouvelle tous les jours, et qu'on évite l'oubli de Dieu, qui est le plus grand
de tous les maux.
XVe
ET DERNIÈRE PROPOSITION. Modèle de la vie d'un prince dans son particulier : et
les résolutions qu'il y doit prendre.
« O Seigneur, je célébrerai par
mes chants votre miséricorde et vos jugements : je vous chanterai des psaumes,
et je m'instruirai dans la voie parfaite et sans tache, quand vous approcherez
de moi. Je marchais dans mon innocence, et dans la simplicité de mon cœur, au
milieu de ma maison. Je ne mettais dans mon esprit aucune pensée injuste : je
haïssais celui qui se détournait de vos voies. Un mauvais cœur ne m'approchait
pas ; je no connaissais point le mal : je ne laissais aucun repos à celui qui
médisait en secret de son prochain. Les yeux superbes, et les cœurs avares et
insatiables n'avaient point de place à ma table (et dans ma familiarité). Mes
yeux se tournaient vers les fidèles de la terre, pour vivre en leur compagnie :
je me servais de celui dont les voies étaient innocentes et irréprochables. Le
superbe n'habitait point dans ma maison : le menteur ne plaisait pas à mes yeux
; (mon zèle s'allumait dès le matin contre les méchants et les impies) : je les
faisais mourir dès le matin, (je méditais leur perte), afin de les exterminer
tous de la cité du Seigneur (2). »
C'est ainsi que parlait David en
roi zélé pour la religion et pour la justice : et il apprenait aux rois par son
exemple quels
1 Ps., V, 1 et seq. — 2 Ps. C, 1 et seq.
258
conseillers, quels ministres, quels amis et quels ennemis
ils doivent avoir. Quel spectacle de voir le plus doux et le plus clément de
tous les princes, dès le matin au milieu du carnage spirituel des ennemis de
Dieu, quand il les voyait scandaleux et incorrigibles ! Mais quel plaisir de
considérer dans ce psaume admirable son innocence, sa modération, son intégrité
et sa justice ; ceux qu'il approche de lui, ceux qu'il en éloigne; son attention
sur lui-même , et son zèle contre les médians !
Avec toutes ces précautions, il
est tombé, et d'une chute terrible : tant est grande la faiblesse humaine : tant
est dangereuse la tentation de la puissance. Combien plus sont exposés ceux qui
sont toujours hors d'eux-mêmes, et ne rentrent jamais dans leur conscience !
C'est donc le grand remède à la tentation dont nous parlons : et je ne puis
mieux finir cet ouvrage, qu'en mettant entre les mains des rois pieux ces beaux
psaumes de David.
Apprenons-le de saint Augustin,
parlant aux empereurs chrétiens , et en leurs personnes à tous les princes et à
tous les rois de la terre. C'est le fruit et l'abrégé de ce discours.
« Les empereurs chrétiens ne
nous paraissent pas heureux, pour avoir régné longtemps ; ni pour avoir laissé
l'empire à leurs enfants après une mort paisible ; ni pour avoir dompté, ou les
ennemis de l'Etat, ou les rebelles. Ces choses, que Dieu donne aux hommes dans
cette vie malheureuse (ou pour leur faire sentir sa libéralité, ou pour leur
servir de consolation dans leurs misères), ont été accordées même aux idolâtres
qui n'ont aucune part au royaume céleste, où les empereurs chrétiens sont
appelés. Ainsi nous ne les estimons pas heureux pour avoir ces choses, qui leur
sont communes avec les ennemis de Dieu : et il leur a fait beaucoup de grâces,
lorsque leur inspirant de croire en lui, il les a empêchés de mettre leur
félicité dans des biens de cette nature. Ils sont donc véritablement heureux,
s'ils gouvernent avec justice les peuples qui leur sont soumis ; s'ils ne
s'enorgueillissent
259
point parmi les discours de leurs flatteurs, et au milieu
des bassesses de leurs courtisans ; si leur élévation ne les empêche pas de se
souvenir qu'ils sont des hommes mortels ; s'ils font servir leur puissance à
étendre le culte de Dieu, et à faire révérer cette majesté infinie ; s'ils
craignent Dieu, s'ils l'aiment, s'ils l'adorent ; s'ils préfèrent au royaume où
ils sont les seuls maîtres, celui où ils ne craignent point d'avoir des égaux ;
s'ils sont lents à punir, et au contraire prompts à pardonner ; s'ils exercent
la vengeance publique, non pour se satisfaire eux-mêmes, mais pour le bien de
l'Etat qui a besoin nécessairement de cette sévérité ; si le pardon qu'ils
accordent tend à l'amendement de ceux qui font mal, et non à l'impunité des
mauvaises actions ; si lorsqu'ils sont obligés d'user de quelque rigueur, ils
prennent soin de l'adoucir autant qu'ils peuvent par des bienfaits et par des
marques de bonté ; si leurs passions sont d'autant plus réprimées quelles
peuvent être plus libres ; s'ils aiment mieux se commander à eux-mêmes et à
leurs mauvais désirs, qu'aux nations les plus indomptables et les plus fières;
et s'ils sont portés à faire ces choses, non par le sentiment d'une vaine
gloire, mais par l'amour de la félicité éternelle, offrant tous les jours à Dieu
pour leurs péchés un sacrifice agréable de saintes prières, de compassion
sincère des maux que souffrent les hommes et d'humilité profonde devant la
majesté du Roi des rois. Les empereurs qui vivent ainsi sont heureux en cette
vie par espérance ; et ils le seront un jour en effet, quand la gloire que nous
attendons sera arrivée (1). »
1 S. August., de Civitate Dei, lib. V, cap. XXIV.
FIN DE LA POLITIQUE TIRÉE
DE L’ÉCRITURE. |