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Tables

 

LIVRE IV.

 

HUGUES CAPET (AN 987.)

ROBERT (AN 997).

HENRI Ier (AN 1031).

PHILIPPE Ier (AN 1060).

LOUIS VI, dit LE GROS (AN 1108).

LOUIS VII, dit LE JEUNE (AN 1138).

PHILIPPE II (AN 1181).

LOUIS VIII (AN 1225).

 

HUGUES CAPET (AN 987.)

 

Comme je tire, mon origine des Capévingiens, j'ai dessein d'écrire

 

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leur histoire plus au long que je n'ai fait celle des deux races précédentes.

Hugues Capet, chef de cette-dernière race, fut couronné à Noyon, par l'archevêque de Reims, l'an 987. Six mois après, il associa son fils Robert è la royauté; mais les premières années de ce règne ne furent point paisibles, soit parce que plusieurs seigneurs d'au delà de la Loire refusèrent de reconnaître la royauté de Hugues, soit parce que Charles duc de Lorraine, outre de douleur de se voir privé du royaume, leva des troupes, et se rendit maître de Laon et de Reims. Hugues marcha d'abord contre les seigneurs de l'Aquitaine, qu'il obligea de reconnaitre sa souveraineté; Borel, comte de Barcelone, lui rendit aussi ses hommages. Hugues tourna ensuite ses armes contre Charles, qui d'abord le délit et l'obligea de s'enfuir; mais ce prince, n'ayant point su profiter de ses avantages, se renferma dans la ville de Laon, dont le roi Hugues gagna l'évêque ; ce traître, nommé Ascelin Adalberon, lui livra Charles, qui fut conduit à Orléans, où il mourut quelque temps après : il laissa trois enfants, qui se réfugièrent en Allemagne. Quoique Hugues fût puissant par lui-même, son autorité était cependant affaiblie par celle que les seigneurs s'étaient arrogée dans leurs provinces, et ce prince soutenait le nom de roi et la majesté du trône plutôt par adresse et par prudence, que par force et par empire. Il mourut après un règne de dix ans, et fut enterré à Saint-Denis. Il laissa le royaume à son fils unique Robert, qui commença à abaisser l'orgueil de quelques seigneurs.

 

ROBERT (AN 997).

 

Ce prince avait épousé Berthe, veuve d'Eudes, comte de Blois, et sœur de Rodolphe Ml, roi de Bourgogne; mais comme elle était sa parente, et qu'il ne lui était pas permis de l'épouser, le pape Grégoire V, dans un concile de Rome, tenu en 998, déclara qu'il serait excommunié, s'il ne la quittait; le roi se soumit, quoique avec peine. Henri, frère de son père, ayant laissé par testament le duché de Bourgogne à Othe-Guillaume comte de Bourgogne, Robert prétendit que ce testament avait été suggère, et quoique ce comte eût mis dans ses intérêts plusieurs seigneurs français, le roi, aidé de Richard duc de Normandie, se rendit maître de la Bourgogne, comme d'un héritage qui lui appartenait, et obligea Othe-Guillaume à se contenter de son comté, situé au delà de la Saône.

Robert, après avoir répudié Berthe, qui ne laissa pas de continuer

 

 

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à prendre le titre de reine, songea à contracter une nouvelle alliance, et épousa Constance, fille de Guillaume I comte de Provence, femme altière et impérieuse, jusque-là qu'elle se servit des assassins que lui avait envoyés Foulques comte d'Anjou, pour tuer Hugues de Beauvais, comte palatin, premier ministre du roi, parce qu'elle ne pouvait pas en disposer. Robert dissimula cette injure pour éviter de plus grands inconvénients. Il mit à la raison, en partie par son autorité, et en partie par la force de ses armes, quelques seigneurs qui faisaient du bruit dans les provinces, et violaient les droits de l'Eglise.

Comme il avait eu quelques démêlés avec l'empereur Henri II, après que les choses furent accommodées, on résolut, pour affermir l'amitié entre ces deux princes si illustres par leurs vertus, de les faire trouver l'un et l'autre à une entrevue : ils s'avancèrent sur les bords de la Meuse qui séparait leurs Etats. Il y avait des bateaux prêts, pour les porter au milieu de la rivière, où ils devaient parler ensemble : car c'est ainsi que les choses avaient été réglées. L'empereur ayant passé le premier à l'autre bord de la rivière, fut reçu par le roi avec toute sorte de magnificence et d'honneur. Le lendemain le roi alla aussi voir l'empereur, qui lui fit un traitement semblable à celui qu'il avait reçu.

On remarque dans le roi Robert plusieurs vertus admirables, entre autres sa piété et sa clémence. Il fit communier quelques personnes qu'on accusait d'avoir conspiré contre lui : et après il ne voulut pas qu'on les recherchât de ce crime, disant qu'il ne pouvait se résoudre à se venger de ceux que son maître avait reçus à sa table. Il était fort charitable envers les pauvres, il en avait même deux cents à sa suite, qu'il servait en personne; et nos historiens remarquent qu'il en avait guéri quelques-uns par son attouchement. Son soin principal était de faire que les seigneurs rendissent la justice à leurs peuples, et il employait à cela toute son autorité.

Il avait eu un fils aîné nommé Hugues, qu'il avait fait couronner de son vivant, et que la mort lui enleva à l'âge de vingt-huit ans, en 1026. Enfin, après un règne de trente-quatre ans il mourut à Melun en 1031, et laissa trois fils, Henri, Robert et Eudes : le premier fut son successeur, et le second forma la tige des anciens ducs de Bourgogne.

 

HENRI Ier (AN 1031).

 

Constance, déjà indignée de ce que Henri avait été fait roi du vivant de son mari en 1027, au lieu de Robert son cadet, qu'elle favorisait, recommença ses brigues lorsqu'il fut monté sur le trône : elle attira dans son parti quelques seigneurs, et obligea le roi de se retirer en Normandie, lui douzième : il en revint à la tête d'une puissante armée, avec laquelle il réduisit Robert; il traita de même son autre frère

 

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Eudes, qui lui avait aussi déclaré la guerre. Ces troubles apaisés, il gouverna ensuite paisiblement le royaume : néanmoins les dernières années de son règne, il eut du désavantage dans la guerre qu'il fit à Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, qui avait succédé à Robert II, son père, mort en Asie, dans la ville de Nicée, à son retour d'un pèlerinage qu'il avait fait dans la Palestine.

Ces pèlerinages commencèrent 'd'être à la mode, surtout parmi les seigneurs normands, qui donnèrent l'exemple aux autres. Foulques, comte d'Anjou, qui avait fait assassiner Hugues de Beauvais, fit à Jérusalem une pénitence publique de ses fautes : il voulut qu'un de ses domestiques le traînât par les rues la corde au cou jusqu'au saint sépulcre, pendant qu'un autre le frappait avec des verges; il demanda hautement pardon à Dieu, avec beaucoup de larmes.

Le roi Henri, après avoir fait sacrer en 1059 son fils Philippe, âgé de sept ans, mourut l'année suivante à Vitry (1060), château situé dans la forêt de Bièvre ou de Fontainebleau.

 

PHILIPPE Ier (AN 1060).

 

Philippe eut pour tuteur, pendant son enfance, Baudouin comte de Flandres, son oncle maternel. Les Gascons s'étant révoltés au commencement de son règne, ce prince leva une grande armée pour les réduire; mais, ayant dessein de les surprendre, il fit semblant de vouloir porter la guerre en Espagne, contre les Sarrasins, et s'étant avancé dans le pays sous ce prétexte, il vint fondre sur eux dans le temps qu'ils ne s'y attendaient pas, et les obligea de se soumettre.

Guillaume, duc de Normandie, appelé le Conquérant, ayant subjugué l'Angleterre, s'en fit couronner roi : comme il avait promis le duché de Normandie à son fils Robert, sans le lui avoir donné, Robert lui déclara la guerre. Il se donna une grande bataille, dans laquelle le père et le fils se rencontrèrent. Le fils, sans connaitre son père, le jeta par terre d'un coup de lance; on cria aussitôt que c'était le roi. Le jeune prince étonné descendit de cheval, et se jeta aux pieds de son père. Guillaume touché de ses larmes, lui pardonna, et lui donna le duché qu'il demandait.

Guillaume était gras et replet : Philippe demanda un jour, en se moquant, quand il accoucherait : le prince ayant été informé de cette raillerie, lui fit dire que cela ne tarderait pas, et qu'aussitôt qu'il serait relevé il irait lui rendre visite avec dix mille lances au lieu de cierges; en effet, il fit peu après bien du ravage dans le royaume : voilà ce qu'opèrent ordinairement les railleries des princes; elles excitent des haines cruelles, et souvent des guerres sanglantes.

Ce fut sous le règne de Philippe (1096), que Pierre l'Hermite prêcha

 

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la croisade, c'est-à-dire, une ligue contre les mahométans, qui tenaient on servitude les chrétiens de la Terre-Sainte, et ceux de presque tout l'Orient. Le pape Urbain II vint en France, d'où l'on attendent le plus de secours, et ayant tenu un concile de trois cent dix évêques à Clermont, en Auvergne, il anima les princes et les peuples à celle entreprise. Trois cent mille hommes se croisèrent, qui composèrent trois grandes armées, dont lune qui était conduite par Pierre l'Hermite, mais qui n'était composée que de gens ramassés, fit des ravages affreux dans la Hongrie par où elle passa : ces troupes indisciplinables commirent les plus grands désordres, pillant les biens de leurs hôtes, ravissant leurs femmes et leurs filles, et mettant le feu partout; ils disaient que c'était ainsi qu'ils se préparaient à traiter les Turcs. Les Hongrois en tuèrent un grand nombre, et le reste ayant passé le détroit de Constantinople, fut entièrement défait auprès de Nicée, dans l'Asie Mineure, par Soliman, soudan de Nicée.

Les deux autres armées, composées de l'élite de la noblesse, se joignirent dans le même pays, où Hugues le Grand frère de Philippe, et Robert duc de Normandie, quoiqu'ils fussent de naissance royale, cédèrent le commandement à Godefroi de Bouillon, duc de la basse Lorraine, à cause de sa valeur et de son habileté à faire la guerre.

Comme ils continuaient leur marche, Soliman s'y opposa, et fut défait. Les croisés prirent Nicée, capitale de son royaume, et taillèrent en pièces une armée de cent mille hommes, que les alliés des Turcs envoyoient à leur secours. L'armée victorieuse parcourut la Lycie, la Pamphylie, el la Cilicie, et s'attacha à Antioche, qui soutint le siège sept mois. Les chrétiens, après l'avoir prise, assiégèrent Jérusalem, dont ils se rendirent maîtres. Godefroi en fut élu roi; mais comme on lui voulut mettre la couronne royale sur la tête, il dit qu'il ne voulait pas être couronné en roi, où son maître, traité en esclave, et couronné d'épines, avait souffert tant d'opprobres et d'indignités.

Quelque temps après le sultan d'Egypte envoya une armée de quatre cent mille hommes de pied, el de cent mille chevaux, pour assiéger Jérusalem. Godefroi ne craignit point de marcher contre cette multitude innombrable, avec une armée de quinze mille hommes de pied, et de cinq mille chevaux. Il retourna victorieux de ce combat, et prit toute la Palestine, à la réserve d'un petit nombre de villes. Dieu, irrité contre les chrétiens, ne permit pas qu'un si grand roi leur demeurât longtemps. Il mourut dans la même année qu'il avait été couronné (1), et laissa un regret extrême à tout le monde. Il fut encore plus recommandable par sa piété et par sa justice, que par sa valeur; et il était seul capable de soutenir les affaires des chrétiens en ce pays-là.

Baudoin son frère lui succéda, mais il n'eut ni la même autorité ni le même bonheur ; trois cent mille hommes se croisèrent pour aller à son secours. Alexis, empereur d'Orient, en fit périr par tromperie cinquante mille qui passaient dans ses Etats ; ceux qui étaient à leur tête,

 

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comme Hugues le Grand, qui faisait un second voyage en Palestine avec le comte de Blois, eurent peine à. se sauver en Cilicie. Ainsi cette grande armée fut ruinée, et malheureusement dissipée. Hugues, frère du roi, mourut des blessures qu'il avait reçues, et fut enterré à Tarse.

Pendant que toute l'Europe s'occupait à de si grandes actions, Philippe passait sa vie parmi les plaisirs. Il était devenu éperdument amoureux de Bertrade sa parente, et femme de Foulques Rechin, comte d'Anjou ; il l'a voit même épousée, après l'avoir enlevée à son mari. Le Pape ayant déclaré que ce mariage était nul, il excommunia le roi. Ce prince se moqua de l'excommunication, et longtemps après, il réussit à faire approuver son mariage, qui fut confirmé par un légat apostolique dans un concile.

Philippe continuant à mener une vie molle et paresseuse, ne méditait rien qui fût digne d'un roi. Sa fainéantise fit espérer à Guillaume le Roux, roi d'Angleterre, fils du Conquérant, qu'il pourrait se rendre maître de la France. Il commença par la Normandie, dont il voulut s'emparer en l'absence de son frère Robert, qui était àla Terre-Sainte. La chose arriva comme il l'avait pensé : mais Robert étant revenu, le chassa de Normandie, et le repoussa en Angleterre.

Les guerres continuèrent longtemps entre ces deux frères, et se terminèrent enfin par la prise de Robert, à qui, selon quelques auteurs, son frère fit perdre la vue, en lui faisant mettre devant les yeux un bassin de cuivre enflammé ; mais d'autres auteurs ne parlent point de cette cruauté. Pendant ce temps-là le jeune prince Louis, fils de Berthe, que Philippe avait répudiée, étant devenu grand, paraissait capable de gouverner les affaires. Aussi le roi son père lui confia-t-il toute son autorité, dont il se servit avec autant de prudence que de justice.

Il empêchait, ou par adresse, ou même par la force des armes, que les seigneurs n'opprimassent leurs sujets, et particulièrement les gens d'Eglise. Sa fermeté le fit craindre et respecter par tout le royaume; mais comme il employa quelquefois sa puissance à protéger des actions indignes, les seigneurs lui déclarèrent qu'ils ne le reconnaîtraient plus, s'il ne changeait de conduite : tant il est vrai que la justice est le véritable appui de l'autorité des princes.

Henri V empereur, qui avait eu l'audace de mettre Henri IV son père en prison, contraignit aussi le pape Pascal II de se réfugier en France. Le roi et Louis son fils se prosternèrent devant lui, et la paix fut faite par leur entremise entre le Pape et l'empereur. Ce pape ayant tenu un concile à Troyes, déclara nul le mariage accordé entre Louis et la princesse Luciane, fille de Guy, comte de Rochefort; ce qui causa, entre Louis et le comte, une guerre dont Louis sortit victorieux.

Ce prince avait été longtemps malade du poison que sa belle-mère Bertrade lui avait fait prendre, pour faire tomber le royaume entre les

 

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mains des enfants qu'elle avait eus de Philippe; mais il recouvra la santé, et succéda à son père, qui mourut quelque temps après en 1108, au château de Melun, après un règne de quarante-neuf ans. Il fut enterré à l'abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire.

 

LOUIS VI, dit LE GROS (AN 1108).

 

Aussitôt que Louis eut été couronné à Sens, il fît avancer ses troupes contre Guy, comte de Rochefort, qui lui faisait la guerre avec quelques autres de ses alliés. Il prit leurs plus fortes places ; mais ils trouvèrent moyen de continuer la guerre à l'occasion du démêlé qui survint entre la France et l'Angleterre.

Louis prétendait que Henri I, roi d'Angleterre, en lui rendant hommage de la Normandie, lui avait promis de démolir Gisors. Henri disait le contraire : Louis soutenait fortement ce qu'il avait avancé, et envoya défier le roi d'Angleterre à un combat seul à seul, voulant prouver par là, selon la coutume du temps, que ce qu'il avait dit était véritable. Henri refusa ce combat; de sorte qu'il fallut venir à un combat général, dans lequel les Anglais furent vaincus. Les seigneurs ligués ne laissèrent pas de se joindre au roi d'Angleterre; et même Philippe, frère de Louis, se confiant au crédit de sa mère Bertrade, se mit du même parti. Le roi s'en étant douté, se saisit d'abord des deux places qu'il avait, qui étaient Mantes et Montlhéry.

Dans ce temps Louis protégea Thibauld comte de Chartres, contre Hugues seigneur du Puiset, qui ravageait son pays ; mais le comte ingrat osa bien défier Louis à cause d'un château qu'il continuait de fortifier sur la frontière de son pays, quoique le roi lui eût-défendu d'achever cet ouvrage. Louis accepta le combat, et donna son sénéchal pour se battre contre le chambellan du comte ; les seigneurs, par respect pour le roi, ne voulurent pas indiquer de lieu pour ce combat; de sorte que Thibauld lui déclara la guerre. Il se joignit au roi d'Angleterre et aux autres ligués; mais le roi ne laissa pus de l'emporter sur les rebelles, dont il prit les châteaux qu'il fit raser.

Pour abattre le roi d'Angleterre, et faire diversion de ses forces, Louis engagea Guillaume, neveu de ce roi, à revendiquer la Normandie qui avait appartenu au duc Robert son père, que le roi d'Angleterre tenait encore en prison ; mais la guerre que Louis entreprit à cette occasion, n'eut pas un succès favorable pour Guillaume, qui demeura simple particulier jusqu'en 1128, que le roi Louis le fit reconnaître comte de Flandres.

Le dessein du roi en cela, était d'opposer un adversaire puissant au roi d'Angleterre; ce prince chercha à s'appuyer du comte d'Anjou, pour faire diversion, et conclut avec lui le mariage de sa fille Mathilde,

 

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avec Geofroy, surnommé Plantagenet, fils du comte. La princesse Mathide était  veuve de l'empereur Henri, mort en 1124.

C'est ce même empereur, qui cette année-là était venu fondre sur la France, avec une armée formidable, à l'instigation du roi d'Angleterre. Louis leva une armée de deux cent mille hommes, des seules provinces de Champagne, Picardie, Bourgogne, des territoires d'Orléans, d'Etampes, de Nevers et de l'Ile de France; ce qui ayant épouvanté ses ennemis, ils n'osèrent pas même attaquer son royaume, qu'ils espéraient auparavant de détruire.

Ce prince agit toujours vigoureusement dans la paix et dans la guerre : il signala sa valeur dans tous les combats où. il se trouva, et même il y reçut des blessures honorables. Fatigué de tant de guerres et de tant d'affaires, il crut qu'il était temps de se reposer sur Philippe son fils, d'une partie de ses soins, et il le fit couronner à Reims, en 1129 ; mais comme le prince passait dans un des faubourgs de Paris, un pourceau, qui s'embarrassa entre les jambes de son cheval, le fit tomber, et Philippe fut accablé par sa chute; tant il est vrai que la mort ne pardonne ni à la dignité ni à l'âge. Le roi ne survécut guère à Philippe, il mourut en 1137, après avoir fait couronner son second fils Louis, qu'on a appelé dans la suite Louis le Jeune, et l'avoir marié à Aliénor, fille et héritière de Guillaume duc de Guyenne.

En ce temps, Philippe, fils du roi, archidiacre de Paris, donna un exemple mémorable de modestie, lorsqu'ayant été élu évêque de Paris, il céda son évêché en faveur de Pierre Lombard, qui est celui qu'on a appelé le Maître des Sentences, comme plus capable que lui par ses talons de remplir cette dignité.

 

LOUIS VII, dit LE JEUNE (AN 1138).

 

Entre plusieurs choses qui ont rendu le règne de Louis le Jeune célèbre, on peut compter la multiplication des communes ou sociétés bourgeoises, dans un très-grand nombre de villes des différentes provinces du royaume. On avait déjà vu quelques exemples de ces établissements sous les deux règnes précédents. Louis comprit combien il en pouvait tirer de secours pour abattre la trop grande puissance des seigneurs qui maltraitaient leurs sujets. Ceux-ci, pour se mettre à l'abri de la vexation, songèrent à former des corps de communauté, qui avaient leurs lois particulières , selon lesquelles ils se gouvernaient : ils se retirèrent par là en quelque façon de la domination de leurs seigneurs naturels; aussi prétendaient-ils ne devoir être soumis qu'an roi directement, à qui ils accordaient des troupes pour le servir dans ses guerres. C'est pour cela que Louis et ses successeurs accordèrent si facilement leur consentement à l'établissement des communes, que

 

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leurs vassaux faisaient eux-mêmes dans les terres de leur dépendance.

Louis, par son mariage avec Aliénor, était devenu maître de la Guyenne et du Poitou, et était par là en état de faire respecter davantage son autorité, comme il fit en plusieurs occasions.

Le siège archiépiscopal de Bourges étant vacant, le pape Innocent II, sans avoir égard à celui que le clergé avait élu, donna cette prélature à Pierre de La Chastre. Louis voulut l'empêcher de faire ses fonctions, et fut excommunié par le Pape ; mais comme il crut que Thibauld, comte de Champagne, l'avait excité contre lui, il entra dans le pays de ce comte, où il ravagea tout, sans épargner les églises, et il en brûla une entre autres dans laquelle treize cents hommes s'étaient réfugiés. Il fut extrêmement troublé de cette inhumanité; et quoi que pût faire le célèbre saint Bernard, il ne put jamais le rassurer, dans la crainte qu'il eut que Dieu ne lui fit jamais de miséricorde.

Pour expier son péché, il résolut de se croiser, et d'aller au secours du royaume de Jérusalem, qui était entre les mains d'un jeune enfant, nommé Baudouin, sous la conduite de sa mère. L'empereur Conrad prit en même temps une pareille résolution, et sortit de ses terres avec soixante mille hommes (1147). Le voyage du roi fut retardé, parce qu'Eugène III, chassé par les Romains , fut contraint de se retirer en France. Le roi le reçut, selon la coutume de ses ancêtres, avec toute sorte de respect. Ensuite étant près de partir, il alla recevoir en cérémonie à Saint-Denis, l'étendard royal qu'on appelait l'Oriflamme, dont les rois avaient accoutumé de se servir dans leurs guerres. Il laissa son royaume entre les mains de Raoul comte de Vermandais, et de Suger abbé de Saint-Denis. Il trouva à Nicée l'empereur Conrad, à qui Emmanuel, empereur d'Orient, avait fait périr cinquante mille hommes.

Pendant que Louis se pressait d'arriver à Jérusalem, Raymond, prince d'Antioche, oncle de sa femme, le pria d'arrêter en ce pays, pour l'aider à agrandit ses Etals : ce que le roi ayant refusé, parce qu'il ne voulait pas retarder son principal dessein, Raymond persuada à Aliénor qui avait accompagné son mari en Asie, de l'abandonner, sous prétexte qu'il était son parent. Louis cependant contraignit sa femme de le suivre dans la Palestine ; il alla à Jérusalem; ensuite il assiégea Damas, que la trahison des chrétiens du pays l'empêcha de prendre. Déchu de cette espérance, il ne songea plus qu'au retour. Comme il revenait par mer il rencontra l'armée navale des Grecs, qui faisaient la guerre à Roger, roi de Sicile ; il fut fait prisonnier; mais Roger étant survenu, battit l'armée grecque, et délivra Louis.

A son retour en France, il quitta sa femme (1150), soit par scrupule, soit par jalousie, soit par quelque autre raison : il assembla à ce sujet un concile à Baugency. Elle épousa Henri, duc de Normandie, comte d'Anjou, et héritier du royaume d'Angleterre : elle lui apporta en dot

 

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le duché d'Aquitaine, et le comté de Poitiers. Ge rat un grand sujet de douleur pour Louis de voir si fort agrandir en France la puissance et le domaine des rois d'Angleterre; c'est de là aussi que vinrent les guerres sanglantes qui ont duré près de deux cents ans, et par lesquelles la monarchie a pensé être renversée de fond en comble. Cependant Louis maria sa fille au fils aîné du roi d'Angleterre; et comme si cas rois n'eussent pas été assez redoutables en France, il donna pour dot à la princesse la ville de Gisors, qui était très-considérable en ce temps-là.

Il y eut pendant ce règne beaucoup de guerres entre la France et l'Angleterre, sans qu'il y eût de part et d'autre aucun avantage considérable. Louis protégea contre Henri II roi d'Angleterre, Thomas, archevêque de Cantorbéry, son chancelier, homme très-saint et très-courageux, que ce roi avait chassé de ses Etats, parce qu'il refusait de consentir à des lois contraires aux libertés ecclésiastiques. Louis le reçut honorablement en France, et fit sa paix avec le roi d'Angleterre; mais les premiers démêlés ayant bientôt recommencé, des scélérats, croyant faire plaisir à Henri, qui avait témoigné qu'il souhaitait d'être défait de ce prélat, le tuèrent dans son église, au milieu de son clergé, dans le temps qu'il assistait à l'office.

Ce n'est pas ici le lieu de rapporter comment Henri fut excommunié pour ce meurtre sacrilège, ni la satisfaction publique qu'il fit devant le tombeau du saint archevêque; mais il ne faut pas omettre qu'après cet acte de piété et de pénitence, les enfants du roi, qui s'étaient révoltés contre leur père, de l'aveu de la reine Aliénor leur mère, et sous la protection de Louis, furent bientôt rangés à leur devoir, moitié de gré, moitié de force. Thomas fut mis au nombre des martyrs, et fut extraordinairement honoré par les Anglais; le roi Louis passa en Angleterre pour honorer ses reliques.

Ce prince fut fort pieux; et la protection qu'il donna aux papes en est une grande preuve. Il reçut avec toute sorte de témoignages de respect et d'amitié Eugène III dont nous avons déjà parlé, et ensuite Alexandre III, chassé de Rome parla faction de l'empereur Frédéric II, et de Victor antipape. Louis mourut à Paris le 18 septembre 1180. Il fut enterré dans l'église de l'abbaye de Barbeau qu'il avait fondée.

 

PHILIPPE II (AN 1181).

 

Philippe, appelé Auguste, le Conquérant, ou Dieu-Donné, âgé d'environ quinze ans, et couronné à Reims en 1170, du vivant de son père, fut sous la tutelle du comte de Flandres, et commença son règne par des actions de justice et de piété : il ordonna des peines contre les blasphémateurs, ce qui depuis a été suivi par ses successeurs à leur

 

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avènement à la couronne. Il chassa les comédiens, qui corrompaient les mœurs par des représentations déshonnêtes; et ce qui se donnait auparavant aux comédiens, commença à se distribuer aux pauvres.

En ce temps il se fit une sainte ligue, qu'on appela la Trêve ou Paix de Dieu, où les seigneurs jurèrent que ceux qui se feraient la guerre les uns aux autres, ou qui se battraient en duel, seraient punis très-rigoureusement. Pour cela on établit des commissaires dans les provinces, afin de terminer toutes les querelles, et ceux qui ne voulaient point se soumettre, étaient poursuivis jusque dans les églises qui servaient d'asile aux autres. Il s'est fait quelque chose de semblable durant le règne de Louis XIV, qui non-seulement imite, mais même surpasse les belles actions des rois ses prédécesseurs.

Philippe entreprit ses premières guerres, à l'exemple des rois ses ancêtres, en protégeant les ecclésiastiques et les autres sujets opprimés contre leurs seigneurs qui les accablaient ; mais il eut outre cela deux grandes guerres dont il est bon de rendre compte en particulier, l'une dans la Terre-Sainte, et l'autre contre l'Angleterre. Il reçut solennellement une ambassade envoyée de Jérusalem, pour lui apporter les clefs de cette ville, et lui demander sa protection. Il résolut d'aller en personne pour la défendre avec une nombreuse armée; mais différentes affaires l'ayant empêché d'exécuter ce dessein, cette ville fut prise par Saladin, roi de Syrie et d'Egypte. Ainsi périt le royaume de Jérusalem, après avoir duré quatre-vingt-huit ans. Le roi fut fort affligé de cette perte, et dans une entrevue qu'il eut avec le roi de Castille, ils résolurent l'un et l'autre de se joindre ensemble pour sauver les restes de ce royaume abattu, et reconquérir Jérusalem.

Philippe fit aussi la paix avec Richard I, roi d'Angleterre, pour l'engager à cette guerre (1190). Ces deux rois arrivèrent en Sicile, où les dissensions qui s'élevèrent entre eux furent cause que Philippe relâcha beaucoup de ses droits, afin de n'apporter aucun retardement à leur pieuse entreprise. Richard néanmoins ne songeait pas à partir, et Philippe étant monté en mer, aborda auprès d'Acre, deux mois avant lui. Ace ou Acre, nommé Acon par ceux de Palestine, et par les Grecs Ptolémaïde, ville située sur la mer, entre la Phénicie et la Terre-Sainte, était assiégée, il y avait près de deux ans, par les chrétiens. Frédéric, fils de l'empereur Frédéric Barberousse I, était venu au camp avec sa flotte; mais l'espérance qu'il donna aux chrétiens fut de peu de durée ; ce jeune prince mourut peu de temps après son arrivée.

Les Allemands qui étaient venus avec lui se voyant sans chef, s'en retournèrent. On désespérait de prendre la place, à cause de la vigoureuse résistance des assiégés, quand on vit paraitre Philippe. Les belles troupes qu'il amenait, et les nouvelles machines de guerre qu'il avait pour renverser les murailles, rendirent l'espérance aux assiégeants. On commença aussitôt à faire de nouveaux travaux, et à les pousser

 

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jusqu'aux murailles : on fit des forts dans le camp, pour en défendre l'entrée; on éleva des tours; on les avança, on dressa des batteries, pour y poser des machines qui jetaient une si grande quantité de pierres, que ni dessus les murailles, ni dans les rues on n'était pas en sûreté ; enfin, par le moyen des béliers on ébranla si violemment les murailles, qu'on fit une grande brèche par où l'on pouvait prendre la ville d'assaut; mais Philippe ayant su que Richard abordait avec son armée, voulut lui faire le plaisir de l'attendre, pour partager avec lui la gloire de l'entreprise.

Ce prince étant parti de Sicile, fut jeté par la tempête dans l'Ile de Chypre, où commandait un Grec, nommé Isaac, qui, au lieu de le soulager, et de lui envoyer des provisions, fit tout ce qu'il put pour le faire périr. Richard irrité s'empara de l'Ile, emmena avec lui le Grec et sa femme, enchaînés de chaînes d'or. Aussitôt qu'il eut mis son armée à terre, il s'éleva de nouvelles dissensions entre les deux rois, parce que Richard répondit mal aux honnêtetés de Philippe, et qu'il refusa même de partager le butin comme on en était convenu : cela retarda longtemps la prise de la ville; mais les habitants qui ne savaient pas ce qui se passait dans le camp, demandèrent à capituler. Les conditions furent qu'ils rendraient avec leur ville la vraie croix, et tous les prisonniers chrétiens.

Pendant qu'on capitulait, les Allemands qui étaient venus avec le duc d'Autriche, entrèrent par la brèche, et plantèrent leur étendard sur la muraille; mais les François et les Anglais étant accourus, l'ôtèrent bientôt, ne voulant pas que les Allemands s'attribuassent la gloire d'avoir emporté la ville. Les assiégés mirent aussitôt les armes bas, et se rendirent à discrétion (1191) : les prisonniers et le butin furent partagés entre les deux rois. Philippe distribua ce qui lui appartenait du butin avec une magnificence royale. Richard fit mourir sans exception celle partie des habitants qui lui était échue en partage : il se conduisit ainsi, parce qu'il était irrité de n'avoir pas pu trouver la vraie croix.

La ville étant prise, Philippe songea à s'en retourner, et quoiqu'il prit pour prétexte sa maladie et celle de l'armée, il fut blâmé de tout le monde, d'avoir abandonné l'entreprise sans avoir profité de la glorieuse conquête qu'il venait de faire; Richard s'opposa autant qu'il put à ce départ, craignant que Philippe ne se prévalût de son absence, pour conquérir les terres qu'il avait en France ; mais il le rassura, en lui promettant de ne rien entreprendre contre lui que quarante jours après que Richard serait retourné en son royaume. Il laissa à ce prince dix mille hommes de pied avec six cents chevaliers sous la conduite de Hugues duc de Bourgogne.

Philippe passa par l'Italie, et ayant salué le Pape à Rome, il prit la route de France. Cependant Richard ayant fait l'échange du royaume de Chypre avec celui de Jérusalem que Gui de Lusignan lui céda,

 

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poussa si loin ses conquêtes, qu'il réduisit presque toute la Palestine sous sa puissance.

La terreur de son nom avait saisi tous les esprits : et on remarque que les mères qui voulaient faire peur à, leurs enfants, les menaçoient du roi Richard ; mais au milieu de ces bons succès, la crainte continuelle où il éloilque Philippe ne lui manquât de parole, et ne s'emparât de ses terres, l'obligea a. tout quitter. Comme il repassait par l'Autriche, le duc, qu'il avait offensé au siège d'Acre, le fit arrêter, et le remit entre les mains de l'empereur Henri VI. Tel fut le succès de cette croisade.

Pour entendre la suite des guerres que Philippe déclara à l'Angleterre, il faut reprendre les choses de plus haut. Philippe, avant la croisade, avait fait la guerre à Henri et a. Richard, rois d'Angleterre, sur lesquels il avait eu des avantages considérables ; mais par les traités de paix qui furent faits, il rendit la plupart des villes qu'il avait prises, et surtout il se relâcha beaucoup dans le dernier traité, parce qu'il souhaitait avec ardeur de voir bientôt commencer la guerre de la Terre-Sainte.

Richard ayant été arrêté en Allemagne, ainsi qu'il a été dit, Philippe fit durer sa prison autant qu'il put, et entra cependant à main armée dans ses terres, comme si, par la détention de ce prince, il avait été délivré de la parole qu'il lui avait donnée en se séparant d'avec lui à. Acre. Richard avait un frète qu'on appelait Jean-sans-Terre, parce que son père ne lui avait point fait de partage. Philippe l'excita a, faire la guerre à Richard', et à s'emparer de l'Angleterre. Pendant que Jean travaillait à se rendre maître de ce royaume, Philippe entra dans la Normandie, prit Evreux, qu'il donna à Jean , et assiégea Rouen, qu'il ne put prendre. Cependant Richard sortit de prison fort en colère contre Philippe, et résolut de se venger à la première occasion; mais comme ses finances étaient épuisées par la rançon qu'il avait été contraint de payer, il se vit dans l'impossibilité de fournir aux frais de la guerre. Ainsi on fit bientôt la paix, par laquelle on rendit ce qui avait été pris, ô, la réserve du Vexin, qui demeura à Philippe.

Il s'éleva encore entre ces deux rois une guerre cruelle ; mais sans avantage considérable de part ni d'autre. Ils firent une trêve de cinq ans, par l'entremise du Pape, pendant laquelle Richard attaqua un château du Limousin, qu'on appelait Chalus, où il y avait des trésors que le seigneur du lieu avait trouvés et qu'il y avait renfermés. En reconnaissant la place, il fut tué d'un coup d'arbalète, qui était un instrument qu'il avait inventé lui-même. Comme il mourut sans enfants, la succession appartenait à Artus, fils de Geofroy, son second frère, qui était comte de Bretagne ; mais Jean s'étant saisi de l'argent, gagna les soldats, et se rendit maître du royaume d'Angleterre.

Cependant Artus s'empara du Maine, de la Touraine et de l'Anjou,

 

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dont il rendit hommage à Philippe. Jean étant accouru en diligence avec une armée nombreuse, reconquit bientôt ces provinces. Philippe protégeait Artus, et la guerre allait se rallumer fort violemment, lorsqu'elle fut heureusement terminée par l'entrevue des rois, qui se fit sur les confins des deux Etats. Par l'accord qui fut fait alors, Blanche, fille d'Alphonse roi de Castille, et d'Aliénor sœur de Jean, fut donnée en mariage à Louis fils de Philippe.

Les guerres dont nous avons parlé jusqu'ici n'ôtaient encore que peu de chose : il va s'en élever de plus importantes, qui sembleront devoir décider de la fortune des deux royaumes. Voici en peu de paroles quelle en fut l'origine. Jean roi d'Angleterre, ayant répudié sa femme, enleva Isabeau, fille d'Aimar comte d'Angoulême, qui avait été promise à Hugues comte de la Marche. Les deux comtes lui firent la guerre, et il saisit aussitôt les terres qu'ils avaient de sa mouvance. Ils s'en plaignirent à Philippe, comme à leur souverain seigneur. Philippe fit ajourner le roi d'Angleterre à la cour des pairs, et comme il ne comparut pas, il fut condamné par contumace, et Philippe entra alors à main armée dans ses terres.

Pendant le cours de cette guerre, Jean apprit que sa mère avait été assiégée dans un château, par Artus, son neveu, comte d'Anjou et de Bretagne, qui était du parti de Philippe. Il vint à son secours avec tant de diligence, qu'il surprit Artus dans son lit, et le mit dans une prison d'où il ne sortit jamais. Son oncle le fit mourir en cachette, et fit jeter le corps dans la rivière. Aussitôt Constance sa mère remplit de ses plaintes toute la cour de Philippe, et lui vint demander justice. Philippe ordonna que Jean fût appelé de nouveau à la cour des pairs, où il ne comparut non plus que la première fois; de sorte qu'il fut condamné à mort par contumace, et les biens qu'il avait en France furent confisqués au profit du roi.

Philippe, en exécution de cet arrêt, entra dans la haute Normandie, et l'envahit presque toute. L'année suivante, il prit Rouen, et toute la basse Normandie; ainsi le duché de Normandie, qui avait eu douze ducs depuis Rollon, et qui avait demeuré environ trois cents ans sous des princes particuliers, fut réuni à la couronne de France (1203). En même temps un nommé Guillaume des Roches, qui avait quitté le parti de Jean, pour se donner à Philippe, prit l'Anjou, le Maine et la Touraine. Henri Clément, maréchal de France, se rendit maître du Poitou, à la réserve de Thouars et de La Rochelle; et le roi lui-même prit Loches, avec d'autres places de la Touraine; les deux ou trois années suivantes n'eurent rien de mémorable. Il se fit ensuite une trêve de deux ans par l'entremise du pape Innocent III, qui menaça d'excommunier celui qui refuserait de s'y soumettre.

Cependant une guerre plus considérable s'éleva du côté d'Allemagne : l'empereur Othon IV, duc de Saxe, qui avait été longtemps soutenu par le Pape, s'étant enfin brouillé avec lui, se joignit au roi

 

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d'Angleterre, et espérait venir ravager la France, après avoir subjugué l'Italie. Le Pape l'ayant excommunié et privé de l'empire, Philippe, de concert avec lui, fit élire un autre empereur, qui fut Frédéric II, âgé de dix-sept ans. Ensuite il envoya son fils Louis au-devant de Frédéric, et les deux princes se virent dans le village de Vaucouleurs, sur la frontière de Champagne. Cependant Jean était fort embarrassé dans son royaume, parce que le Pape, irrité de ce qu'il avait pris le parti d'Othon, l'avait excommunié, et que d'ailleurs ses sujets, qu'il avait fort tourmentés pour soutenir cette guerre, s'étaient révoltés contre lui; mais ce qui le pressait davantage c'est que Philippe avait équipé une grande flotte, qui était à l'embouchure de la Seine, toute prête à passer en Angleterre.

Dans ces circonstances, Jean promit de satisfaire le Pape, et offrit de rendre son royaume tributaire du saint Siège. Le Pape apaisé, voulut par son légat empêcher Philippe de continuer son entreprise ; mais il persista dans sa résolution : toutefois avant que de passer la mer, il voulait terminer tout ce qui pouvait exciter du trouble dans son royaume. Il fallait pour cela mettre à la raison Ferdinand, comte de Flandre, fils du roi de Portugal, qui ne voulait point suivre Philippe en Angleterre, jusqu'à ce qu'il lui eût rendu Aire et Saint-Omer, qu'il soutenait être à lui, quoiqu'il les eût cédés auparavant par un traité à Louis, fils aîné de Philippe.

Le roi avait déjà pris quelques villes sur ce comte, et il était au siège de Gand, lorsqu'on lui vint rapporter que la flotte du roi d'Angleterre avait surpris la sienne. Il partit en diligence pour aller au secours ; il rencontra sur sa route une partie des soldais de la flotte d'Angleterre, qui, ayant fait une descente, ravageaient la côte. Il les attaqua et les défit; mais voyant qu'il aurait peine à sauver sa flotte, il y mille feu, après en avoir retiré tous les équipages. Ensuite il retourna en Flandre, où il prit quelques places qu'il démantela, et entre autres Lille.

Pendant ce temps-là, Jean s'étant réconcilié avec les seigneurs de Poitou, entra dans celle province par intelligence, et s'avança même jusqu'en Anjou, avec une grande armée. Philippe envoya le prince Louis pour s'y opposer : ce prince poussa si vigoureusement le roi d'Angleterre, qu'ayant pris l'épouvante, il lui. abandonna toutes ses machines de guerre, avec une partie de ses troupes. Philippe était demeuré en Flandre, pour faire tête à Othon, qui marchait contre lui avec une armée de cent cinquante mille hommes, accompagné de Ferdinand comte de Flandre, et de Renauld comte de Boulogne. Les deux armées se rencontrèrent à Bovines, village situé entre Lille et Tournay.

Il y avait déjà quelque temps que le roi tâchait en vain d'attirer Othon à une bataille (1214); mais lui, se tenant toujours dans des lieux de difficile accès, ne se mit jamais en état de pouvoir être combattu.

 

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Ainsi Philippe ne pensait plus au combat, et songeait seulement à se rendre maître de Tournay, qu'il prit en effet comme eu passant, sans que personne lui résistât. Alors l'empereur faisant semblant de marcher du côté de Lille, fit passer à gué à ses troupes une rivière qui coule au milieu de la plaine. Philippe croyant qu'il avait dessein de lui couper le chemin de Lille, ordonna aux siens de passer le pont pour le prévenir. Othon, qui avait fait cette fausse marche pour séparer l'armée de Philippe, voyant qu'une grande partie des troupes françaises étaient en deçà, et l'autre au delà de la rivière, voulut prendre son avantage, et donna le signal pour faire promptement avancer les siens au combat.

Cependant Philippe dormait tranquillement au pied d'un arbre où il s'était mis au frais, environ vers le midi : on l'éveilla aussitôt, et dès qu'on l'eut informé de la situation des affaires, il se leva et entra dans une chapelle de Saint-Pierre, où ayant fait sa prière, il sortit plein de confiance : « Courage, dit-il, la victoire est à nous; que ceux qui ont passé la rivière la repassent promptement, et qu'ils prennent les ennemis par derrière, pendant que nous les attaquerons de front. » Othon, qui se vit enveloppé et pris par ses propres finesses, se relira sur une hauteur qui était proche, où Philippe l'ayant suivi, fit tourner son armée de sorte qu'il mit le soleil aux yeux de son ennemi.

Ce fut là que commença la bataille : on voyait d'un côté une multitude innombrable de soldats, et de l'autre moins de troupes à la vérité, mais la fleur de la noblesse de France, conduite par son roi, et par un roi autant habile que vaillant. Othon avait donné l'aile droite à Ferdinand comte de Flandre; Renauld comte de Boulogne conduisait la gauche, et l'empereur en personne menait le corps de bataille. L'aile droite de Philippe était commandée par Eudes duc de Bourgogne ; la gauche par Gauthier comte de Saint-Paul, et Philippe avec la bataille marchait contre Othon. L'ordre était dans l'armée d'Othon de laisser à part tous les autres pour s'attacher à Philippe, parce qu'en l'abattant lui seul, toute l'armée serait défaite; ainsi tout l'effort de l'ennemi tourna contre lui. On enfonça son escadron, qui était remarquable par la bannière royale, semée de fleurs de lis. On dissipa ses gardes, enfin on le porta par terre; pendant qu'un de ses chefs soutenait l'effort du combat, un autre nommé Tristan le remit sur son cheval.

Les François à leur tour donnèrent contre Othon, et l'environnèrent de toutes parts : il aurait été percé de coups sans sa cuirasse; enfin son cheval, quoique blessé, le débarrassa, et l'emporta si loin, qu'on ne le vit plus durant tout le reste du combat. Les Allemands prirent la fuite, et furent vivement poursuivis par les François; celte déroute fut très-meurtrière, et l'on ne voyait partout que des monceaux de morts. Ferdinand cependant faisait le devoir de soldat et de capitaine, partout

 

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tout où il voyait les siens pressés il y accourait, il rallia plusieurs fois les fuyards, et même son cheval ayant été tué sous lui, il combattit longtemps à pied avec toute la bravoure possible; mais accablé par la multitude, il fut contraint de se rendre. Il eût été aisé à Renauld de se sauver en fuyant; mais il aima mieux être pris que de recevoir un pareil déshonneur. Ainsi les principaux chefs furent pris, et Philippe remporta une pleine victoire. C'est ainsi que se passa celle célèbre bataille de Bovines, qui se donna dans la plus grande chaleur de l'été, le 27 juillet 1214, depuis midi jusqu'à la nuit.

Le roi entra ensuite triomphant dans Paris, traînant après lui le comte de Flandre lié, et faisant porter devant lui les étendards, et principalement celui d'Othon, où il y avait un aigle qui tenait un dragon avec ses serres. Celle bataille assura les affaires de la France ; Othon comptait tellement sur la victoire, qu'il avait déjà partagé ce royaume entre lui et ses alliés. Mais Dieu en disposa autrement; et en reconnaissance d'un si grand bienfait, Louis, fils de Philippe, fit bâtir près de Senlis un monastère qu'on appela Notre-Dame de la Victoire, pour être un monument éternel de la victoire de Bovines.

Philippe, après la victoire, entra dans le Poitou, où tout se soumit à lui; et même il y eût pris Jean, s'il n'eût été obligé par le légat du Pape de consentir à une trêve. Quelque temps après, il arriva de nouveaux troubles en Angleterre ; tout le monde s'y souleva contre le roi; ce prince s'était rendu odieux non-seulement aux ecclésiastiques été, la noblesse, mais même à tout le reste du peuple, par le mauvais traitement qu'il leur faisait. Pour comble de maux, il fut excommunié et privé de son royaume par le Pape, parce qu'il avait dépossédé par force l'archevêque de Cantorbéry (1216). Alors les seigneurs d'Angleterre offrirent la couronne à Louis, fils de Philippe, qui se rendit aussitôt à Londres, où il fut couronné.

Jean, accablé de tant de maux, fut contraint de se soumettre au Pape, et de rendre effectivement son royaume tributaire du saint Siège, comme il l'avait offert auparavant. Le Pape apaisé leva l'excommunication prononcée contre Jean, et excommunia Louis. Cependant Jean étant mort, les Anglais, qui n'avaient pas contre les enfants la même haine qu'ils avaient eue contre le père, reconnurent Henri son aîné, pour leur roi, et quittèrent le parti de Louis. Ce prince repassa en France, pour prendre conseil et demander du secours au roi son père, qui, par respect pour le Pape, ne voulut pas le voir, parce qu'il était excommunié.

Etant donc retourné en Angleterre, il perdit une grande bataille auprès de Lincoln, et fut ensuite assiégé à Londres, d'où il ne sortit qu'à condition qu'il ferait rendre aux Anglais par le roi son père, ce qu'il avait pris en France, ou qu'il le rendrait lui-même à son avènement à la couronne; mais Philippe ne se mettant point en peine des promesses de son fils, refusa de rendre ces pays conquis, qui lui avaient

 

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été adjugés par un jugement de la cour des pairs ; et les Anglais, fatigués de tant de guerres, ne se mirent point en devoir de les redemander par les armes. Ainsi la trêve étant continuée, les deux royaumes furent en repos tout le reste du règne de Philippe.

Pendant ces divisions entre la France et l'Angleterre, la guerre s'alluma dans le pays de Toulouse, au sujet de l'hérésie des albigeois (1210), que Raymond, comte de Toulouse, protégeait. Le Pape l'excommunia, et ayant exempté ses sujets du serment de fidélité, il fit prêcher une croisade contre lui. Un grand nombre de seigneurs François se croisèrent, et l'on mit à leur tête Simon comte de Montfort. Il prit d'abord quantité de villes importantes, et s'étant rendu maître de l'Albigeois, il alla assiéger Toulouse.

Raymond, assisté de ses alliés, vint au secours de cette ville avec .cinquante mille hommes. La longueur du siège, et la disette des vivres, fit que presque toute l'armée de Montfort se débanda, et qu'il fut contraint lui-même de se retirer dans un château avec trois cents hommes : il s'y défendit si vigoureusement, qu'il ne put être forcé, et contraignit Raymond à lever le siège; ensuite ayant rallié ses troupes, il se rendit maître de Toulouse, où il fut bientôt assiège par Raymond, à qui Pierre roi d'Aragon avait amené cent mille hommes.

Simon ne perdit pas courage, quoiqu'il n'y eût que douze cents hommes dans la place Pendant que Pierre dînait, on le vint avertir que Simon faisait une sortie : il ne daigna pas se lever de table, méprisant un ennemi qu'il croyait si faible; mais Simon ayant exhorté les siens à combattre vigoureusement contre ces hérétiques, excommuniés par le saint Siège, entra à l'improviste dans le camp, où l'épouvante se mit de telle sorte, que les soldats se renversèrent les uns sur les autres, et prirent la fuite. Pierre vint trop tard au secours des siens, et ayant été renversé par terre, il fut égorgé par un soldat. Ainsi celle grande armée fut dissipée sans que Simon perdit plus de huit des siens.

Les évêques s'étant ensuite assemblés rn concile, lui donnèrent premièrement la garde, et après la souveraineté du comté de Toulouse, dont il fut investi par Philippe, à qui il en fit hommage en 1219 : mais Simon ayant ordonné aux habitons des villes d'abattre leurs murailles, et ayant fait de grandes levées sur ses sujets, le pays se révolta, et Raymond rentra dans Toulouse, où Simon l'assiégea; mais il fut tué à ce siège d'un coup de pierre jetée du haut des murailles.

Amaulri son fils lui succéda (1219), et ne s'étant pas trouvé en état de soutenir les conquêtes de son père, il les voulut remettre au roi, qui les refusa; il prévoyait sagement qu'elles l'engageraient dans une guerre dont il ne verrait point la fin, et dont Louis son fils ne pourrait soutenir le poids à cause de la délicatesse de sa complexion. C’est ce qui fit que, dans une assemblée tenue à Melun en 1219, on rejeta la proposition du comte Amaulri. Quatre ans après, en ayant convoqué

 

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une autre à Mantes, où il se rendit, il y mourut en 1223 , après un règne de quarante-deux ans.

C'était un prince religieux, mais non jusqu'à avoir envie de se faire moine, comme l'on dit quelques auteurs; grand en paix et en guerre ; sévère vengeur des crimes; juste et bienfaisant, et qui était toujours prêt à écouter les plaintes de ses sujets ; ce qui fit que Paris commença de son temps à se peupler extraordinairement, et qu'il fut obligé d'agrandir cette ville, comme il avait eu soin de l'embellir. Au lieu que ses prédécesseurs ne faisaient la guerre qu'en appelant leurs vassaux, et des milices qu'on licenciait à la fin de la campagne, il fut le premier à avoir des troupes réglées et entretenues. Cela fut cause qu'il fit des levées extraordinaires sur son peuple et même sur les ecclésiastiques ; mais on avait du moins la consolation qu'on savait que les finances étaient bien employées, et ménagées avec une sage économie. De son temps le connétable et les maréchaux de France commencèrent à avoir le principal commandement sur les gens de guerre.

La première charge du royaume était celle de sénéchal, dont l'autorité était si grande, que Philippe songea à la supprimer après la mort de Thibauld comte de Blois, mort au siège d'Acre en 1101. C'est ainsi qu'il fortifiait l'autorité royale; mais en même temps il la faisait servir d'asile et de protection aux faibles contre la violence des grands. Voilà ce que nous avions à dire de l'histoire de Philippe-Auguste.

Quoique ce prince n'ait point eu de part à la translation de l'empire de Constantinople entre les mains des Français, il ne faut pas oublier une action de cette importance, qui se passa de son temps, et qui fut exécutée par les siens. Il y avait un bon prêtre nommé Foulques, curé de Neully-sur-Marne, homme recommandable par sa piété, à qui le pape Innocent III adressa ses ordres pour prêcher la croisade; il le fit avec tant de zèle et si utilement, qu'il persuada à plusieurs seigneurs français de se croiser, entre autres à Baudoin comte de Flandre, et à Louis comte de Blois.

Tous ces seigneurs s'étant assemblés, envoyèrent des ambassadeurs aux Vénitiens, pour obtenir du secours, et s'assurer de vaisseaux pour un certain prix. Le chef de cette ambassade, fut Geoffroy de Villehardouin, homme de grande prudence et de grand courage, fort éloquent pour ce siècle-là, et qui a même très-bien écrit celle histoire.

Les François ayant obtenu des Vénitiens ce qu'ils désiraient, ils se rendirent à Venise, où le bon duc Henri Dandole, quoique fort âgé et aveugle, promit de se croiser avec eux. Les François n'ayant pas pu donner au jour convenu l'argent qu'ils avaient promis, les Vénitiens prolongèrent le terme du paiement, à condition qu'on les aiderait à reprendre Zara, place forte que le roi de Hongrie leur avait enlevée

 

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dans la Dalmatie. Ils le promirent volontiers, et donnèrent aux Vénitiens la satisfaction qu'ils avaient espérée.

A leur retour, ils apprirent un étrange événement, qui avait troublé l'empire de Constantinople. C'est qu'Alexis, frère de l'empereur Isaac, voulant envahir l'empire, fit crever les yeux à ce vieillard, et fit mettre Alexis, fils de ce prince, en prison, d'où s'étant sauvé, il se vint réfugier chez Philippe son beau-frère, roi d'Allemagne. Philippe envoya des ambassadeurs aux seigneurs qui s'étaient croisés, pour les engager à prendre les intérêts d'Isaac et de son fils Alexis. Ils y consentirent, à condition que ces princes, étant remis sur le trône, soumettraient l'Eglise grecque au saint Siège, et les aideraient à la conquête delà Terre-Sainte.

Ce traité ayant été conclu, ils partirent du port de Venise sous la conduite de Boniface , marquis de Montferrat, qu'ils avaient choisi pour général de toute l'armée. Les Vénitiens étaient conduits par leur duc Henri Dandole, que la perte de sa vue ni son grand âge ne purent empêcher de marcher en personne. Ils arrivèrent tous ensemble par une heureuse navigation à Constantinople, dont ils admirèrent la grandeur extraordinaire, aussi bien que la situation avantageuse : elle commande à deux mers; et à voir sa position entre l'Asie et l'Europe, elle semble être faite pour les tenir toutes deux dans sa dépendance.

Aussitôt qu'ils eurent abordé, l'empereur Alexis leur envoya une ambassade, pour leur dire que l'empereur était fort étonné qu'ils voulussent entrer dans ses terres sans son ordre : il leur fit demander pourquoi ils faisaient la guerre à des chrétiens, puisqu'ils ne s'étaient croisés que contre les infidèles ; et il ajouta que s'ils voulaient continuer leur voyage en Syrie, il leur promettait du secours ; mais que s'ils avaient un autre dessein, ils dévoient craindre sa puissance et la force de ses armes.

Conon de Béthune répondit aux ambassadeurs au nom de tous les seigneurs, qu'ils ne reconnaissaient point pour empereur celui qui les avait envoyés; qu'ils avaient leur véritable empereur dans leur armée ; qu'ils dévoient le reconnaitre d'eux-mêmes, sinon qu'ils étaient résolus de les y contraindre par la force. Les confédérés, après cette réponse, se préparèrent à agir et à faire leur descente. Aussitôt Alexis envoya de la cavalerie, pour les empêcher de prendre terre; cependant la descente se fit toujours, et avec une telle impétuosité, que les Grecs effrayés léchèrent pied d'abord ; les François attaquèrent aussitôt la tour de Galata, qu'ils emportèrent, et s'étant parce moyen rendus maîtres du port, ils commencèrent à battre les murai lies de la ville avec leurs béliers ; mais comme ils avançaient peu, ils prirent le parti d'en venir à l'escalade : cela fut exécuté, comme on l'avait résolu dans le conseil de guerre, où l'on avait réglé que les Vénitiens attaqueraient par mer, pendant que les François feraient leur attaque du côté de la plaine.

 

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Les premiers ayant appuyé leurs échelles dessus leurs vaisseaux, montèrent sur les murailles, et prirent vingt-cinq tours, où s'étant enfin logés, ils se jetèrent dans la ville. Alexis épouvanté, au lieu de songer à repousser ses ennemis avec la multitude innombrable de peuple et de soldats qu'il avait, se sauva la nuit, et abandonna la ville. Isaac, ravi de recouvrer tout ensemble la liberté, l'empire et son fils, par un secours si inespéré, confirma le traité qui avait été fait avec les François.

Le jeune Alexis, associé à l'empire par son père, voyant que ses affaires n'étaient pas encore rétablies, les pria de remettre leur voyage a, l'année suivante. Enfin, quand il eut tout à fait reconquis l'empire, et qu'il crut pouvoir se passer de leur secours, il ne s'appliqua plus qu'à chercher des prétextes pour s'en délivrer. Les François, mécontents de son procédé, lui envoyèrent reprocher son ingratitude, et lui firent déclarer la guerre jusque dans le palais des Blaquernes, qui était la demeure ordinaire des empereurs.

Cependant ceux des Grecs qui étaient mécontents du jeune Alexis, voyant qu'il avait rompu avec les François, et qu'il avait perdu un si grand secours, songèrent à se révolter contre lui. Alexis Murtzufle, parent du prince, et son principal favori, se mit à leur tête. Ce perfide, ayant trompé les sentinelles et les gardes pendant la nuit, surprit Alexis dans son lit, et se saisit de sa personne. Quand Isaac eut appris celte malheureuse nouvelle, il tomba malade et mourut de regret. Murtzufle se revêtit de la pourpre royale, et se fit proclamer empereur. En même temps il fit empoisonner le jeune Alexis, mais le poison n'ayant rien fait, il donna ordre qu'il fût étranglé.

Les Français, indignés d'une si noire perfidie, entreprirent avec tant d'ardeur la prise de Constantinople, qu'ils l'emportèrent d'assaut. Ils croyaient que Murtzufle, se retrancherait dans quelque partie de la ville; mais ils apprirent qu'il s'était sauvé à la faveur de la nuit. Ainsi étant maîtres de Constantinople et de tout le pays, ils résolurent de faire un empereur, et élurent Baudouin comte de Flandre. Il ne vécut pas longtemps après; car ayant assiégé Andrinople, que les Bulgares avaient prise, il fut attaqué dans son camp : il repoussa d'abord vigoureusement l'ennemi; mais comme il le poursuivait avec trop d^ar-deur, il s'engagea dans des lieux étroits, où les fuyards s'étant ralliés, vinrent fondre sur lui de toutes paris. Là, voyant le ' comte de Blois blessé à mort, et ne voulant pas l'abandonner, il fut pris lui-même ; celle prison lui fut funeste, et il n'en fut délivré que par la mort.

Je n'ai pas besoin de parler des empereurs qui lui succédèrent, pendant que l'empire de Constantinople demeura entre les mains des François; mais il ne faut pas oublier la mort du perfide Murtzutle, qui, après s'être enfui de Constantinople, poussé de tous côtés par les François, fut contraint de se réfugier à Messinople, ville de Thrace, où

 

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le vieux Alexis s'était retiré il y avait déjà longtemps. Arrivé près de cette ville, il fit dire à l'empereur Alexis qu'il lui donnerait ses troupes, et qu'il lui serait éternellement soumis, s'il voulait le recevoir en ses bonnes grâces. Alexis fit semblant de se fier à ses promesses ; mais l'ayant attiré dans la ville, où il entra sur la parole de ce prince, il lui fit crever les yeux.

Murtzufle trouva moyen quelque temps après de se sauver des moins d'Alexis; mais la justice divine le poursuivant toujours, il tomba entre les mains des François, qui, l'ayant mené à Constantinople, le condamnèrent à mort, et le jetèrent du haut d'une colonne , où même on dit qu'on voyait gravé un homme babillé en empereur, à qui on faisait souffrir un pareil supplice. Mais il est temps de reprendre le fil de notre histoire.

 

LOUIS VIII (AN 1225).

 

Henri, roi d'Angleterre, ne voulut pas se trouver au couronnement de Louis VIII, qui se fit à Reims le 6 août 1523 (il y était cependant obligé en qualité de duc de Guyenne); au contraire, il l'envoya sommer de lui rendre la Normandie. Le roi, au lieu de lui rendre des provinces justement confisquées par le jugement des pairs, lui ordonna de quitter les autres pays qu'il avait en France ; mais les affaires de cette nature ne s'achèvent point par des paroles, et il en fallut venir aux armes.

Louis entra dans le Poitou, où d'abord il défit l'armée anglaise, et se saisit de plusieurs places. La Rochelle se défendit longtemps; mais enfin elle ;v rendit, ayant attendu en vain le secours d'Angleterre. La Guyenne épouvantée, fut prête à suivre cet exemple, et les Anglais curent peine à la conserver. Ils ne purent empêcher que le vicomte de Thouars, qui était le plus grand seigneur de Poitou, ne se soumit au toi. Ce prince vaillant et guerrier, qu'on appela Lion, à cause de la grandeur de son courage, étendit ses conquêtes jusqu'à la Garonne. Il s'était déjà mis en possession du comté de Toulouse, qui lui avait été cédé par Amaulri, et augmentait tous les jours le royaume par de nouvelles conquêtes.

Il arriva aux environs de ce temps-là de grands troubles dans la Flandre : un imposteur, qui ressemblait à Baudouin empereur de Constantinople, disait qu'il était le vrai Baudouin, et qu'il s'était sauvé des prisons des Bulgares. Il avait déjà attiré à lui beaucoup des sujets de la comtesse Jeanne, fille de Baudouin. Louis ayant appris une nouvelle si surprenante, le fit venir sur sa parole, et voyant qu'il soutenait opiniâtrement qu'il était Baudouin, lui fit nos interrogations : « Parlez, lui dit-il, quand est-ce que le roi mon père d'heureuse mémoire, vous

 

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a donné l'investiture de la Flandre ? dans quelle chambre vous a-t-il fait chevalier? devant qui ? de quelle couleur était le baudrier qu'il vous donna? quelles pierreries étaient dessus? car le vrai Baudouin ne doit point ignorer ces choses. » L'imposteur, qui ne s'était préparé qu'à des choses plus générales, se coupa, et fut obligé d'avouer sa fraude. Le roi le renvoya, parce qu'il lui avait donné sa parole ; mais il tomba entre les mains de Jeanne, qui le fit pendre.

Louis, ayant assuré ses conquêtes contre les Anglais, tourna, dans le comté de Toulouse, ses armes victorieuses contre les Albigeois. Comme il voulut passer en Provence, Avignon lui ferma les portes : il résolut de prendre celte place, quoique la peste se fût mise dans son camp, Avignon se rendit le 12 septembre 1226.

Louis mourut en revenant du siège (1226); prince digne d'une plus longue vie, et recommandable par sa piété autant que par sa valeur ; au reste, quand il n'aurait point été illustre par ses grandes actions, il aurait une gloire éternelle parmi les hommes, pour avoir été père de saint Louis. Sa mort arriva le 8 novembre 1226, au château de Montpensier en Auvergne, d'où son corps fut transporté à Saint-Denis, où il fut enterré auprès de son père. Son règne ne dura que trois ans et quatre mois.

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