Lettres CLXXXIII-CXCIII
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LETTRE CLXXXIII.
BOSSUET A DOM MABILLON. A Paris, ce 29 janvier 1688.

 

Je vous remercie de votre Mémoire sur Maxence (1) : J'en avais assez pour mon dessein de ce qui en était dans Eusèbe, mais j'étais bien aise de savoir s'il n'y avait rien davantage. Je puis aussi me contenter de ce que dit Lactance de Constantius Chlorus, de

 

1 « Nous croyons faire plaisir au lecteur de mettre ici le Mémoire dont il s'agit dans cette lettre. Le voici :

Je ne me souviens point d'avoir vu aucun acte de martyrs qui soit bon, sous la persécution de Maxence. Il n'y en a aucun dans le petit recueil sur lequel je travaille. Eusèbe dit que Maxence donna d'abord un édit en laveur des chrétiens ( Hist. Eccles., lib. VIII, cap. XIV), pour faire paraître qu'il avait de la douceur; mais qu'ensuite il se laissa aller à toute sorte de cruauté, d'impiété et d'injustice : il ne parle pas néanmoins qu'il les ait exercées en particulier sur les chrétiens, quoiqu'il le compare avec Maximin, qu'il dit les avoir beaucoup persécutés. Ce même historien rapporte plus au long, dans la Vie du grand Constantin , les dérèglements de Maxence (Ubi suprà, lib. I, cap. XXXVIII et seq. ) : mais il ne marque point non plus en cet endroit, que ce tyran ait fait de la distinction entre les chrétiens et les païens, sinon que les femmes chrétiennes témoignaient bien plus de courage que les païennes pour conserver leur honneur ; ce qui était à quoi ce tyran eu voulait le plus. Il marque même qu'une femme de qualité aima mieux se faire mourir que de souffrir la violence de Maxence.

Pour ce qui est des Actes de saint Marcel, pape et martyr, ou ne doit point du tout les tenir pour sincères. Le cardinal Baroinus avoue même qu'il y a des laits qui sont tout à fait insoutenables. Je crois que tout ce qu'on peut croire de sûr de ce saint, est renfermé dans les vers que saint Damase, pape, a faits de lui, où il dit qu'il fut envoyé en exil. Baronius rapporte ces vers au troisième tome de ses Annales, et après lui Bollandus au 16 de janvier.

 

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Mortibus persecutorum; mais je souhaiterais savoir si en Espagne ou ailleurs, dans sa portion de l'empire, il n'y a point eu quelque martyre ou quelque exécution contre les chrétiens durant la persécution. Pour les Gaules où il était, je ne crois pas qu'il y en ait eu : mais il est bon de savoir ce que les magistrats pourraient avoir fait, en exécution des édits qu'il n'avait point révoqués (1).

La même chose du césar Sévère; quoique pour celui-ci je ne voie pas qu'il puisse rien y avoir, ni tant qu'il a été césar, ni dans le peu de temps qu'il a été empereur.

Je m'avise que quelques canons du concile d'Elvire marquent en Espagne quelques souffrances de l'Eglise : la question est de la date; il me semble que ce doit être sous Constantius Chlorus. Je sais l'endroit d'Eusèbe sur la durée de la persécution en Occident; mais ces choses générales ne sont pas toujours sans quelque exception. Je vous demande pardon, mon révérend Père, de la peine que je vous donne.

 

LETTRE CLXXXIV.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Germigny, ce 2 septembre 1688.

 

Il est vrai, Monsieur, que nous entendîmes durant quelques heures beaucoup de difficultés assez légères, parmi lesquelles il y en avait deux ou trois que je jugeai de conséquence, et dont M. du Peirier a dû vous rendre compte. Je n'ai pu rejoindre M. de Reims, quelque soin que j'en aie pris, et quoique j'aie attendu à partir jusqu'à la veille de mon synode, qui ne me permettait plus de retarder. Ce n'est pas qu'il y ait aucun changement dans ce prélat qui comme moi a beaucoup estimé l'ouvrage. Mais ou il a été malade comme il l'est encore, ou il est arrivé d'autres incidents autant imprévus qu'inutiles à raconter. Je lui avais proposé de convenir par lettres ; il n'y a pas eu moyen : il a trouvé cette

 

1 Sur ces questions, voyez la Préface que dom Thierri Ruinart a mise à la tête des Actes des Martyrs, § III, n. 60 et seq., pag. LXVI et seq., edit. 1713. Il y prouve que la persécution fut générale dans tout l'Empire, quoique moins violente dans la portion soumise à Constance Chlore. ( Les édit.).

 

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voie trop longue; et comme j'eusse pu prendre le parti de faire un tour à Paris pour achever, il a été attaqué très-violemment des hémorrhoïdes, mal qui lui est assez ordinaire : si bien que la chose est remise. Cependant cela fait beaucoup discourir. On a dit que je ne voulais pas approuver, et puis qu'on faisait beaucoup de cartons. J'ai répondu ce que je devais; mais cependant ces contre-temps me fâchent beaucoup.

On mande de tous côtés que ce grand armement du prince d'Orange tombe enfin sur la France, où les huguenots remuent de toutes parts; c'est-à-dire qu'il faut beaucoup prier et s'abandonner à la volonté de Dieu. Il n'y avait point d'apparence de s'éloigner dans l'état où l'on était. A vous, Monsieur, de tout mon cœur.

 

LETTRE CLXXXV.
BOSSUET A  DOM MABILLON.
A Coulommiers, ce 9 octobre 1688.

 

La lettre de M. le cardinal de Colloredo est assurément, mon cher et révérend Père, la plus obligeante qu'on put jamais recevoir : c'est ce que j'ai impatience de vous témoigner. Il faut prier Dieu qu'on écoute à Rome de tels cardinaux.

Je suis venu célébrer ici la fête de saint Denis dans une paroisse qui lui est dédiée, afin d'exciter les peuples à la prière, dans ces menaces terribles qu'on fait autant contre l'Eglise catholique nue contre l'Etatl. C'est le cas plus que jamais d'invoquer Dieu, et de demander les prières de l'ancien protecteur de nos rois et de la France. Je suis à vous, mou révérend Père, de tout mon cœur et avec, toute la sincérité que vous savez.

 

1 Dès 1680 les ennemis de la France avoient formé une ligue redoutable connue sous le nom de la ligue d'Ausbourg, et menaçaient ce royaume de la guerre la plus terrible qu'il eût encore eue à soutenir. Louis XIV, pour prévenir leurs mauvais desseins, envoya cette année 1688 , au delà du Rhin, une armée qui eut de très-grands succès. ( Les édit. )

 

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LETTRE CLXXXVI.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT. A Meaux, ce 22 décembre 1688.

 

Si nous faisions bien à l'académie, ce serait, Monsieur, des gens comme vous qu'il y faudrait appeler (a), mais cela se mène d'une manière qu'il n'est pas possible de vous en rien dire de si loin. Tout ce que je puis vous assurer, c'est que si la chose est en son entier à mon arrivée, qui sera avant la fin de l'année, je serai de tout mon cœur pour vous, et j'attirerai à ce parti ce que je pourrai de mes amis. Je ne fais que gémir sur l'Angleterre. Je suis, Monsieur, à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE CLXXXVII.
M. L'ABBÉ RENAUDOT A BOSSUET.

 

Je vous envoie, Monseigneur, une lettre de milord chancelier d'Ecosse, que je reçus il y a quatre jours, et que j'ai mise en français. Il est de la dernière conséquence que ni l'original ni la copie ne sortent pas de vos mains : car une semblable lettre suffirait, dans des temps difficiles, pour lui faire son procès. Je ne vous l'ai pas envoyée à Meaux, sachant que vous deviez arriver bientôt. Je remets le reste de ma commission à la première visite que j’aurai l'honneur de vous rendre. Je vous supplie, Monseigneur, d’être toujours persuadé de mon très-profond respect.

 

(a) L’abbé Renaudot fut reçu à l'académie française l'année suivante, à la place de M. Doujat.

 

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LETTRE CLXXXVIII.
MILORD PERTH A BOSSUET.
Du château de Sterling, ce 21 janvier 1689.

 

J'ai mandé à M. l'abbé Renaudot que quoique peut-être ce point d'honneur et cette fidélité inviolable et non interrompue de ma maison m'ont mis ici   à cause que je demeure fidèle au roi mon maître si cruellement outragé, je vous ai cependant cette obligation, que par la grâce, la miséricorde et la bonté de Dieu envers moi, vous avez été l'instrument par lequel ce que je souffre est en quelque manière sanctifié ; et non-seulement m'est devenu supportable, mais doux et agréable. Ce n'est pas seulement pour le roi mon maître, mais pour mon Dieu, que je suis présentement dans la souffrance : et comme il y a de la noblesse et de la grandeur à souhaiter de souffrir seulement pour l'amour de son souverain, que ne doit-on pas être prêt à souffrir, lorsque avec cela on souffre pour la religion catholique et par principe de conscience? Pour moi je suis un des plus faibles hommes qu'il y ait, et je n'ai rien de bon, capable de me soutenir. Cependant je rends grâces à Dieu pour la miséricorde qu'il me fait ; car elle est plus qu'abondante: de sorte que j'ai eu même quelques scrupules d'avoir été

 

1 Lors de la grande révolution arrivée en Angleterre au mois de novembre 1688, causée par l'invasion du prince d'Orange, qui souleva les trois royaumes contre Jacques II son beau-père, le roi, la reine, avec le jeune prince de Galles leur fils, furent obligés de se réfugier en Fiance. Milord Perth, chancelier d'Ecosse, se vit aussi contraint de sortir d'Edimbourg. Ses ennemis pillèrent indignement sa maison ; et l'ayant arrêté, ils l'enfermèrent dans le château de Sterling, où il fut gardé très-étroitement pendant deux ans et sept mois. Après ce terme on lui accorda quelque adoucissement à cause de ses infirmités; mais on le remit ensuite en prison, d'où il ne fut élargi qu'au bout de neuf mois : enfin on lui permit de soi tir du royaume. Il se retira d'abord à Rome, où sa vertu et son zèle pour la religion catholique le firent beaucoup estimer. Etant passé en France, il fut premier gentilhomme du roi Jacques II, gouverneur du prince de Galles Jacques III, connu sous le nom du chevalier de Saint-Georges, et grand chambellan de la reine sa mère. Il mourut à Saint-Germain-en-Laye le 10 mai 1716, en sa soixante-huitième année : son corps fut apporté à Paris, et enterré dans le collège des Ecossais. Ses plus grands ennemis n'ont jamais pu lui objecter d'autre crime que sa catholicité. (Les édit.)

 

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si peu sensible à ce qui m'est arrivé. Vous en saurez le détail, s'il vaut la peine de fatiguer votre patience, par mon frère et par le principal du collège Écossais.

On ne peut que fort incertainement juger quel tour prendront les affaires de ce royaume déchiré. Mais je suis bien fâché que vous ayez un nouvel argument, si important pour confirmer votre doctrine dans la seconde édition de votre Histoire des Variations des protestants, tel qu'est celui que ces royaumes vous fournissent. Mais si cela peut gagner une seule âme à Dieu, toutes les pertes temporelles qui peuvent arriver à qui que ce soit seront bien employées.

Je ne doute pas que vous ne voyiez souvent le roi mon très-cher maître. Il n'y a point d'homme dont l'éloquence et la piété puissent plus efficacement donner quelque consolation à Sa Majesté, qui néanmoins, comme je crois, par son tempérament naturel en a aussi peu de besoin que personne qui serait en pareil état. Mais ce qu'il souffre est fort grand. Je vous supplie pour l'amour de Jésus, d'employer vos sages exhortations à le soutenir dans son affliction, et de lui accorder surtout vos saintes prières, afin que Notre-Seigneur le rétablisse dans ses royaumes, et ses sujets dans leur bon sens; car il règne de toutes parts une espèce de folie générale.

Je suis fort étroitement gardé, de sorte que cette lettre est écrite et sera envoyée à la dérobée. Mais comme apparemment je n'aurai jamais l'occasion ni le moyen de vous écrire encore, je vous ai écrit celle-ci pour vous demander votre bénédiction et vos prières. J'espère que Notre-Seigneur, qui vous a fait servir d’un si bon instrument pour me rendre de la véritable religion, et qui m a mis quoique très-indigne en état de souffrir pour elle, vous exaucera, en m'accordant la bénédiction d'une heureuse mort et dune éternité de bénédiction et de joie.

Je vous écrivis au commencement de ces troubles, pour vous remercier de votre excellent livre (a). Il est heureusement échappé des mains de la canaille, lorsqu'on pilla ma maison : mais ils brûlèrent un crucifix, le portrait du roi, le vôtre et le mien, dans

 

(a) L'histoire des Variations

 

 

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un même feu, à la croix du marché d'Edimbourg. Vous voyez qu'ils m'ont mis en trop bonne compagnie.

J'ai une très-humble prière à vous faire, qui est que si c'est la volonté de Dieu que je meure en ce temps-ci, comme il paraît fort probable, et que ma femme continue dans la résolution qu'elle a de passer en France, vous vouliez bien par votre autorité et par vos avis avancer ses pieux desseins, et que vous vouliez bien tenir lieu de père à mon fils et être ami de mon frère. C'est une trop grande présomption de vous faire des demandes si hardies : mais les circonstances de l'état où je suis feront que vous me pardonnerez volontiers. Ayez aussi la bonté de me donner votre bénédiction, que je vous demande en me prosternant.

Tous les ecclésiastiques sont maintenant si maltraités, qu'ils n'osent paraître; et ainsi j'ai encore moins d'espérance d'en pouvoir voir aucun : de sorte que me trouvant privé de tout le secours que je pourrais espérer en ce monde, les prières des personnes comme vous, Monseigneur, me sont encore plus nécessaires. J'espère que Notre-Seigneur, qui sait avec quelle sincérité j'estime les Ordres qu'il a établis dans sa sainte Eglise et les bénédictions qu'elle répand, suppléera à ce qui me manque, puisque ce n'est pas par ma faute, mais par la nécessité, et qu'il me fera une plus grande part de ses consolations immédiates. Je suis, etc.

LETTRE CLXXXIX.
BOSSUET A MILORD PERTH.
A Meaux, ce 14 mars 1089.

 

Si je me suis toujours senti très-honoré, et si mon cœur s'est attendri toutes les fois que j'ai reçu les aimables et pieuses lettres d'un comte de Perth et d'un grand chancelier d'Ecosse converti à la foi, jugez combien j'ai été touché en recevant celle d'un prisonnier de Jésus-Christ. C'est le plus glorieux caractère que puisse porter un chrétien : c'est un caractère qui le met au rang des apôtres, puisqu'un saint Paul a pris si souvent cette qualité .

 

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et qu'il n'y a rien au-dessus que la gloire si désirable de mourir pour son Sauveur. Je loue Dieu, Milord, de tout mon cœur, de vous voir dans cet esprit : j'en ressens l'épanchement et la plénitude dans toutes les paroles de votre lettre. Tout y respire l'amour de Jésus-Christ, mais de Jésus-Christ dans son Eglise et dans le lien de l'unité. Qu'on est heureux de souffrir pour cette cause! Car pour ceux qui souffrent dans le schisme, ils n'auront jamais qu'un zèle amer; et toutes vos lettres, principalement la dernière, ne sont que charité, douceur et poix.

Je ne suis guère moins touché de votre inviolable attachement pour le roi votre cher maître. L'hérésie se montre, pour ce qu'elle est, en soufflant de tous côtés la rébellion et la perfidie. Pour vous, mon cher frère ; car je veux, en oubliant toutes ces qualités qui vous rendent illustre dans le siècle, ne vous plus parler que comme à un chrétien ; conservez ce tendre amour et cette inaltérable fidélité pour votre prince : ne cessez d'en donner l'exemple au milieu d'une nation infidèle ; et qu'enfin, à la vie et à la mort, le nom du roi votre maître soit dans votre bouche avec celui de Jésus-Christ et de l'Eglise catholique, comme choses inséparables. Dieu est en ces trois noms; et je sais que votre roi vous serait cher, quand vous ne regarderiez autre chose en sa personne sacrée que l'ordre de Dieu qui l'a établi, et l'image de sa puissance sur la terre ; et quand il ne serait pas , comme il l'est, un vrai défenseur de la foi (a) à meilleur titre que ses derniers prédécesseurs.

Qui suis-je pour consoler un si grand roi, comme vous le souhaitez? J'ai eu l'honneur de lui rendre souvent mes très-humbles respects pendant qu'il a été ici, et d'être très-bien reçu de Sa Majesté. Mais j'ai bientôt reconnu que ce prince n'avait pas besoin de mes faibles consolations. Il a au dedans un consolateur invisible

 

(a) Henri VIII, roi d'Angleterre, ayant composé un livre portant pour titre : Des sept Sacrements, contre l’insolent ouvrage de Luther intitulé : De la captivité de Babylone, Léon X, après en avoir délibéré avec les cardinaux, adressa une Bulle à ce prince, par laquelle il lui conférait et à tous les rois d'Angleterre qui viendraient après lui, le titre de Défenseur de la foi. Les successeurs de Henri VIII, quoique séparés de l'Eglise romaine, n'ont pas laissé que de conserver ce glorieux titre, dont cependant le schisme et l'hérésie les avaient dépouilles. (Les édit.)

 

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qui l'élève au-dessus du monde. Trois royaumes qu'il a perdus ne sont estimés de lui que comme l'illustre matière du sacrifice qu'il offre à Dieu; et s'il songe, comme il le doit, à se rétablir dans le trône de ses ancêtres, c'est moins pour sa propre gloire que pour retirer ses malheureux peuples de l'oppression où ils se jettent à l'aveugle. Au reste s'il a été si honteusement abandonné et trahi par ses infidèles sujets, il a trouvé tous les François prêts à répandre leur sang pour ses intérêts et pour ceux de son héritier, et le roi notre maître, qui lui-même nous inspire à tous ces sentiments. Dieu fera un coup de sa main quand il lui plaira : il sait élever et abaisser, pousser jusqu'au tombeau et en retirer, et dissiper en un moment la gloire et le vain triomphe de l'impie. Mais quoi qu'il ait résolu du roi votre maître, nous respecterons toujours plus en sa personne, la gloire d'un roi confesseur que, la puissance d'un roi triomphant.

Je ne sais comment j'oublie, en vous écrivant, que vous êtes dans la captivité et dans la souffrance. Dieu sait combien j'ai été sensible au récit que l'on m'a fait de vos maux. Mais à présent il semble que je les oublie, tant est vive la joie que je ressens poulie courage que Dieu vous inspire, et pour l'abondance des consolations dont il vous remplit. J'y prends part de tout mon cœur : je. me glorifie avec vous dans vos opprobres ; et je n'ai pu lire sans verser des larmes de joie ce que vous me marquez dans votre lettre, que vos persécuteurs ont brûlé mou portrait que votre seule charité vous faisait garder, avec celui du roi votre maître, et le vôtre, et tous les trois avec le crucifix. Que plut à Dieu qu'au lieu de mon portrait j'eusse pu être en personne auprès de vous pour vous encourager dans vos souffrances, pour prendre part à la gloire de votre confession ; et après avoir prêché à vos compatriotes la vérité de la loi, la confirmer avec vous, si Dieu m'en jugeait digne, par tout mon sang.

Vous avez pu connaître par toutes mes lettres le tendre amour que je ressens pour l'Angleterre et pour l'Ecosse, à cause de tant de Saints qui ont fleuri dans ces royaumes, et de la foi qui y a produit de si beaux fruits. Cent et cent fois j'ai désiré avoir l'occasion de travailler à la réunion de cette grande île, pour

 

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laquelle mes vœux ne cesseront jamais de monter au ciel. Mon désir ne se ralentit pas, et mes espérances ne sont point anéanties. José même me confier en Notre-Seigneur que l'excès de l'égarement deviendra un moyen pour en sortir.

Cependant vivez en paix, serviteur de Dieu et saint confesseur de la foi. Semblables à ceux de saint Paul, vos liens vous rendent célèbre dans toutes les églises et cher à tous les enfants de Dieu. On prie pour vous partout où il y a de vrais fidèles. Dieu vous délivrera quand il lui plaira; et son ange est peut-être déjà parti pour cela. Mais quoi qu'il arrive, vous êtes à Dieu, et vous serez la bonne odeur de Jésus-Christ à la vie el à la mort. Madame votre femme, que vous daignez me recommander, me sera chère comme ma sœur ; M. votre fils sera le mien dans les entrailles de Jésus-Christ; M. votre frère, dont j'ai connu ici le mérite, me tiendra lieu d'un frère et d'un ami cordial : les intérêts de votre famille me seront plus chers que les miens propres. Et. pour vous, avec qui Dieu m'a uni par de si tendres liens, vous vivrez éternellement dans mon cœur : je vous offrirai à Dieu nuit et jour, et surtout lorsque j'offrirai la sainte Victime qui a ôté les péchés du monde. Combattez comme un bon soldat de Jésus-Christ : mortifiez à la faveur de vos souffrances tout ce qui reste de terrestre en vous : que votre conversation soit dans les cieux. Si vous êtes privé, du secours des prêtres, vous avez avec vous le souverain pontife, l'évêque de nos âmes, l'apôtre et le pontife de notre confession, qui est Jésus : vous recevrez par vos vœux tous les sacrements ; et je vous donne, en son nom la bénédiction que vous demandez. Souvenez-vous de moi dans vos prières : j'espère que Dieu vous rendra aux nôtres, et vous tirera de la main des méchants. Je suis en son saint amour, etc.

 

LETTRE CXC.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Meaux, ce 15 mars 1689.

 

Je me rends Monsieur, à vos remarques, quoique je sois encore un peu en doute si l'ancien Office romain n'était pas semblable

 

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à celui de saint Benoît (a), quant au fond, plutôt qu'au romain d'aujourd'hui : mais je m'en rapporte à vous. M. de Reims me mande qu'il trouve la préface très-bien. Je lui ai envoyé aujourd'hui l'approbation qu'il a souhaité que je fisse. Elle est simple ; mais le livre en porte avec soi une bien plus authentique dans les saintes maximes qu'il contient, et dans le nom de son auteur. Au reste ceux qui auront le livre comme il était avant les cartons, verront bien que ce sont des choses de rien, et que la doctrine nous en a paru irréprochable dans son fond. Je loue Dieu que cet ouvrage aille enfin paraître, et suis très-fâché du retardement. Tout le fruit que j'en espère, c'est, s'il plait à Dieu, qu'on profitera davantage de ce qu'on aura attendu et désiré plus longtemps. A vous, Monsieur, sans réserve.

 

LETTRE CXCI.
BOSSUET A M. DE RANCÉ ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Paris, ce 2 janvier 1690.

 

J'espère. Monsieur, que cette année ne, se passera pas connue l'autre, sans que j'aie la consolation de vous voir. Je jouis en attendant de votre présence, en quelque façon par vos lettres; et je profite d'ailleurs de la communication de vos prières, dont vous avez la bonté de m'assurer.

Il est vrai que l'égarement du ministre Jurieu va jusqu'au prodige. J'ai cru que Dieu ne le permettait pas en vain, et qu'il voulait qu'on le relevât. Il fera dans son temps tout ce qu'il voudra de ce qu'il inspire. On vous envoie le troisième, Avertissement : le quatrième est retardé par la poursuite d'un procès que j'ai entrepris, ou plutôt que j'ai à soutenir au parlement pour ôter, si je puis, de la maison de Dieu le scandale de l'exemption de Jouarre, qui m'a toujours paru un monstre.

Je ne vous parlerais point du Commentaire latin de la Règle de saint Benoit (b) des bénédictins, n'était qu'en me disant qu'ils

 

(a) Il ne paraît pas que saint Benoît ait réglé l'Office de sou ordre sur le romain.

(b) Dom Edmond Martène, qui a donné an public un grand nombre d'ouvrages, est auteur de ce savant Commentaire.

 

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vous l'avaient envoyé, ils m'ont dit en même temps qu'on y attaquait le P. Mége, et qu'on y défendait vos saintes maximes et vos saintes pratiques. Je n'en sais encore rien ; car je ne l'ai pas vu, et je crains de n'avoir pas sitôt le temps de le voir. C'est un gros ouvrage, qui sans doute sera fort savant. Je souhaite que la piété l'ait inspiré, et je le veux croire ; car l'auteur paraît fort humble et fort mortifié. Je suis, Monsieur, à vous sans réserve.

 

LETTRE CXCII.
BOSSUET AU R. P. DE MONTFAUCON, BÉNÉDICTIN.
A Versailles, ce 10 avril 1690.

 

J'ai reçu et lu avec plaisir, mon révérend Père, votre Judith (a), et je suis ravi de voir que de si habiles gens travaillent à rendre la lecture de l'Ecriture facile, en prenant soin d'aplanir les difficultés qui s'y rencontrent. Je sais les autres doctes travaux qui vous occupent ; et tout cela m'engage de plus en plus à vous assurer de l'estime très-particulière que j'ai pour vous.

 

LETTRE CXCIII.
BOSSUET A M. SANTEUL, CHANOINE RÉGULIER DE SAINT-VICTOR.
A Versailles, ce 15 avril 1690.

 

Voilà, Monsieur, ce que c'est que de s'humilier (b). L'ombre d’une faute contre la religion vous a fait peur: vous vous êtes

 

(a) C’est un volume in-12, qui a pour titre : La vérité de l'Histoire de Judith, imprimé  à Paris, chez Simon Langronne, en 1690. L'accueil que le public fit à cet ouvrage, obligea l'auteur d'en donner une seconde édition deux ans après. L’objet principal de l’écrit est de prouver que l'histoire de Judith n'est point, comme le soutenaient  les protestants, une parabole et un sujet de tragédie, mais une histoire très réelle qui s’accorde parfaitement avec les autres histoires de la Bible, et dont les faits se trouvent confirmés par tout ce que les meilleurs historiens profanes ont rapporté des Mèdes et des Assyriens. (Les édit.)

 

(b) Plus d’une fois Bossuet avait sollicité Santeul d'abandonner les Muses, pour consacrer entièrement ses talents à la louange de Dieu et de ses Saints. M. Pelisson, maître des requêtes, qui désirait aussi que Santeul fit un meilleur usage de sa veine poétique, lui proposa de travailler à de nouvelles hymnes. Il réussit à l’y déterminer, et Santeul s’y engagea solennellement, dans une pièce qu'il

 

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abaissé; et la religion elle-même vous a inspiré les plus beaux vers, les plus élégants, les plus sublimes que vous ayez jamais faits. Voilà ce que c'est, encore un coup, que de s'humilier.

J'attends l'hymne de saint Bruno; et j'espère qu'elle sera digne d'être approuvée par le Pape et d'être chantée dans ces déserts, dont il est écrit qu'ils se sont réjouis de la gloire de Dieu. Mais comment est-ce que le Pape vous a commandé cette hymne (a) ? Je vous en prie, dites-nous-en la mémorable histoire.

Aussitôt que M. Pelletier sera de retour ici, je parlerai avec plaisir de vos pensions.

J'ai vu, Monsieur, un petit poème sur votre Pomone : il commence ainsi ; c'est la religion qui parle :

 

En iterùm Pomona meas malè verberat aures.

Santolide, cessit quo tibi cura met ?

Ten mea templa canent fallacia sacra canentem ?

 

Je ne me souviens pas du pentamètre; mais il était violent, et finissait en répétant :

 

Ten mea templa canent?

Opprobrium vatum ten mea templa canent ?

 

Le poète reprenait ainsi :

 

Ergòne coelestes haustus duxisse juvabit,

Ut sonet infandos vox mihi nota deos?

 

Recherchant la cause de l'erreur, il remarque que ce poêle évite encore les noms d'apôtres et de martyrs, comme tous les autres

 

adressa à ce magistrat, où il protestait renoncer pour toujours au Parnasse. Cependant oubliant de temps en temps ses promesses, il ne laissait pas de composer encore des pièces remplies des expressions de la fable. C'est ainsi qu'il fit un poème intitulée : l’omona in Agro Versaliensi, qu'il dédia à M. de la Quintinie. Bossuet lui en fit de vifs reproches, dont Santeul fut sensiblement touché; et pour témoigner publiquement son repentir, il fit la pièce dont il est parlé dans cette lettre, intitulée : Poeta Christianus, et qu'il adressa à notre prélat. On voyait à la tête une vignette en taille douce, dans laquelle Bossuet était représenté revêtu de ses habits pontificaux, et Santeul à genoux devant lui, sur les marches de l'église cathédrale de Meaux, la corde un cou, faisant amende honorable, et jetant tous ses vers profanes dans un grand feu. Cette pièce est très-tendre , remplie de grands sentiments de religion , et digne des éloges que lui donne le prélat. (Les édit.)

(a) Alexandre VIII, dont il s'agit, avait été élevé au pontificat le jour de saint Bruno.

 

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qu'il ne trouve pas dans Virgile et dans Horace ; et il conclut que celui qui craint d'employer les mots consacrés dans la piété chrétienne, mérite d'avoir dans la bouche les fables et les faux dieux.

 

Martyrii pudet infantum, vox barbara Petrus,

Aut Lucas, refugit nomen apostolicum,

Sanctorumque choris pulsus, coufessor, abibit,

Non Maro, non Flaccus talia quippe ferant ;

Credo equidem et Jesum plus horreat atque Mariam,

Et quod Cœlitibus Christiadisque pium est.

....... Cui sacra vocabula sordent,

Huic placeant veteres, numina falsa, Joci.

Ille Jovem Veneremque et divûm crimina narret,

Jam repetant vatem sacra nefunda suum.

 

J'ai empêché la publication du poème; il est vigoureux : l'auteur l'aurait pu rendre parfait, en prenant la peine de le châtier; mais il n'y travaillera plus.

Adieu, mon cher Santeul, je m'en vais préparer les voies à notre illustre Boileau.

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