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EPISTOLA XLV. 
AD CLEMENTEM XI. De ejus exaltatione ad summum Pontificatum.

 

Beatissime Pater ,

Te nostris potissimùm temporibus, manifestâ supremi Numinis voluntate, ad fastigium apostolicœ potestatis evectum, vimque factam modestiae tuœ, et multùm reluctanti, ac tantùm non in-

 

(a) Cette date, donnée par tous les éditeurs, paraît inexacte; pourquoi Bossuet aurait-il écrit deux lettres le même jour, à la même personne, sur une affaire qui n'exigeait aucune diligence ?

 

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vito, onus impositum consensione mirabili ; id quidem, non Sanctitati Tuae, sed Ecclesiae Dei ac rébus humanis gratulari nos decet. Quis enim non videat omnino futurum, ut quo magis reformidaveris non modo oblatam, verùm etiam infartam ac velut inculcatam supremam dignitatem, eô confidentiùs ac promptiùs tam praesentis Numinis auctoritate susceptam exerceas et géras ; atque Ecclesiae catholicae Pontiflcem exhibeas eum, qui cùm innatà solertià, tùm labore, industriâ et rerum experientià clams, magnifiée sapientiam tractet, arcana legis pandat, solvat dubia, exscindat errores, bonitatem, et disciplinam, et scientiam doceat, pacem orbi christiano, melioribus quàm unquàm auspiciis affulgentem, firmet ac foveat; omnia deniquè apostolatùs munera, Deo adjuvante, naviter exequatur?

Ac de pace quidem, beatissime Pater, quis non eam perpetuam speret? quippe quam jam non fœdera, sed ipsa etiam natura conciliet, et Magni Ludovici augustique Delphini paternus œquè jam in Hispanias atque in Gallias animus ; sublatis inter inclytas gentes, quas tota maxime Europa suspiciat, inimicitiarum causis, ac velut mediâ solutà macerià, quô firmiùs coalescant? Mihi verô assidue cogitanti in hanc temporum necessitudinem incidisse auspicatissimum Pontificatum tuum, et cum hàc magnanimi Regis gloriâ, et Gallicani nominis majestate esse conjunctum, exclamare libet : A Domino factum est istud, et est mirabile in oculis nostris (1); magnaque spes subit per sapientiam tuam eventurum ut, quod olim Simoni Judaicae gentis summo Pontifici contigisse sacrae Litterae commemorant : Det nobis Dominus jucunditatem cordis, et firmari pacem in diebus nostris in Israël per dies sempiternos (2).

Te verô, clementissime atque optime Pontifex, in tantà celsitudine, tantàque exultatione applaudentis Ecclesiae, ne pigeat paternos conjicere oculos, et in me, quem non semel singulari tuae benevolentiae testificatione beaveris; et in nepotem meum, cui, peculiari divinae Providentiae gratià, sapientiam illam tuam et coràm intueri, et exindè inflxam animo suspicere, venerari, et quâ potuit voce, pro suà tenuitate, celebrare licuit. Nos ergô

 

1 Psal. CXVII, 23. —  2 Eccli., L, 25.

 

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simul affusi sacratissimis pedibus, Sanctitati Tuae diuturnum Pontificatum auguramur, quem ipsa natura polliceri videatur ; et benedictionem apostolicam humiles ac supplices expectamus,

 

BEATISSIME PATER,

SANCTITATIS VESTRAE,

Addictissimus ac devotissimus famulus ac filius,

+ J. BENIGNUS, Ep. Meldensis.

Datum in palatio Versaliano, pridie idus decernb. 1700.

 

LETTRE XLV. 
A CLÉMENT XI.  Sur son exaltation au Pontificat (a).

 

Très-saint Père, Ce n'est pas seulement Votre Sainteté que nous devons féliciter de son exaltation ; mais l'Eglise de Dieu et toute la terre doivent encore se réjouir de ce qu'il a été donné principalement à nos jours, de vous voir élevé au comble de la puissance apostolique par la volonté de Dieu, clairement manifestée dans ce consentement unanime qui a fait violence à votre modestie, et qui vous a chargé comme malgré vous de la sollicitude pastorale. Car qui ne voit ce qui doit arriver, que plus vous avez craint cette suprême dignité, qui non-seulement vous a été offerte, mais encore imposée avec une espèce de force, plus aussi vous l'exercerez et la remplirez avec confiance et avec facilité, après l'avoir reçue d'en haut d'une manière où la présence du Saint-Esprit s'est si visiblement déclarée? Ainsi on doit espérer que l'Eglise catholique verra en votre personne un pontife qui, déjà connu par ses talents naturels et acquis, par sa capacité et par son expérience dans les affaires, donnera de mémorables exemples de sagesse, expliquera les secrets de la loi divine, résoudra les doutes, exterminera l'erreur, enseignera la bonté, la discipline et la science ;

 

(a) Bossuet revit cette traduction faite par son ordre, et la mit sous les yeux du roi.

 

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affermira et entretiendra dans le monde chrétien la paix, qui se présente avec de meilleures espérances que jamais d'une éternelle durée ; un Pontife enfin qui, avec le secours du Ciel, accomplira dignement tous les devoirs de l'apostolat.

En effet pour ce qui regarde la paix, qui ne doit espérer, très-saint Père, qu'elle sera éternelle, puisqu'on la voit établie non-seulement sur la foi des traités, mais encore par les liaisons les plus étroites du sang, et par la bonté paternelle de Louis le Grand et de Monseigneur le Dauphin, laquelle se fait aujourd'hui sentir à l'Espagne autant qu'à la France même ? C'est ainsi que seront ôtées les causes des inimitiés entre ces deux grandes nations (a), qui semblaient décider du sort de toute l'Europe; et la muraille, pour ainsi parler, qui les tenait séparées étant abattue, on voit que leur union sera immortelle et inébranlable. Pour moi, quand je considère avec attention que votre pontificat, dont nous espérons toutes sortes de biens, se rencontre dans ces heureuses conjonctures, où la gloire d'un Roi magnanime et la majesté du nom français éclatent davantage, je ne puis m'empêcher de m'écrier : « Ceci est l'ouvrage du Seigneur, et nos yeux en sont frappés d'étonnement. » Ce qui aussi me fait concevoir cette ferme espérance, que comme la sainte Ecriture raconte qu'il arriva autrefois à Simon, souverain pontife des Juifs, ainsi par votre sagesse, « le Seigneur nous accordera la joie de notre cœur, et dans nos jours il affermira à jamais la paix en Israël. »

Cependant, très-saint Père, dans cette suprême élévation et au milieu des applaudissements de l'Eglise qui est toute en joie, qu'il me soit permis de supplier Votre Sainteté, après toutes les marques de bienveillance dont elle a daigné m'honorer, qu'elle veuille bien encore jeter ses regards paternels sur moi et sur mon neveu, qui par une grâce particulière a eu le bonheur de voir de ses yeux cette sagesse, et qui s'en étant rempli l'esprit, n'a cessé de l'admirer, de la respecter, et de la célébrer autant

(a) Charles II, roi d'Espagne, était mort sans enfants au mois de novembre de cette année, et par son testament avait appelé à la couronne d'Espagne Philippe de France, duc d'Anjou, second fils du Dauphin, qui fut proclamé roi à Madrid, le 24 novembre de la même année, sous ie nom de Philippe V. ( Les éditeurs. )

 

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qu'il en a été capable. Nous donc, prosternés ensemble à vos pieds, nous souhaitons à Votre Sainteté un long pontificat, tel que la nature même semble le lui promettre ; et nous vous demandons, en toute humilité et respect, votre bénédiction apostolique.

A Versailles, ce 12 décembre 1700.

 

LETTRE XLVI. 
CLEMENTIS PAPA XI. Responsa ad epistolam praecedentem.

 

Clements Papa XL Venerabilis Frater, salutem et apostolicam benedictionem. Etsi injuncti nobis muneris amplitudini, et prœclarae fraternitatis tuœ de nostrà humilitate opinioni, longe impares sint vires nostrae, quarum infirmitatem dùm expendimus, anticipaverunt vigilias oculi nostri ; alacritatem tamen quamdam ex tuarum litterarum officio , et ex disertà gaudii à te ob commissum nobis Ecclesiae regimen percepti significatione desumimus ; quia validant à tuâ pietate nobis pollicemur opem, quà exoratus misericordiarum Pater, virtute multà confirmet quod inscrutabili suo judicio est operatusin nobis. Gratum prœtereà pontificiœ nostri charitati supra modum accidit auspicium publicœ tranquillitatis, eisdem tuis litteris ad nos delatum : quod ut Deus in bonum christianœ reipublicœ ratum habere velit, enixis precibus ab eodem, qui verus pacis est auctor, indesinenter exposcimus.

Caeterùm propensionem nostrae voluntatis, quam nedùm veteri tuo in nos studio, sed eximiis virtutibus quibus te prœditum esse novimus, tibi omninô conciliasti; singularibus documentis, ubi emerget occasio, tibi explicabimus. Fraternitati intérim tuœ necnon dilecto filio abbati nepoti tuo, prœstantibus suis dotibus admodùm nobis probato, apostolicam benedictionem peramanter impertimur.

Datum Romae apud sanctum Petrum, sub annulo Piscatoris, die II januari 1701, Pontificatùs nostri anno primo.

Ulysses Jos. Archiepiseopus Theodosiensis.

 

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LETTRE XLVII. 
BOSSUET A M. DE SAINT-ANDRÉ, CURE DE VAREDDES. Paris, ce 21 janvier 1701.

 

La dévote (a) qui est allée à la Trappe pour guérir le Père abbé, y a fait son miracle sur M. du Mayne. On dit qu'après l'Extrême-Onction, ayant pris par son ordre de l'huile qu'elle avait bénite, il a si bien guéri et si promptement, qu'il a été dès le jour même chez cette dévote qui le demandait. On fait grand bruit de ce miracle ; et cette dévote en fait beaucoup dans Paris. Je vous prie de me mander ce que vous savez de ce fait, et d'apprendre ce qui s'en peut savoir : tout demeurera entre vous et moi. Je suis à vous de bien bon cœur et à jamais.

 

LETTRE XLVIII. 
BOSSUET A M. DE SAINT-ANDRÉ, CURÉ DE VAREDDES. A Paris, ce 28 janvier 1701.

 

Je dirai mon sentiment sur la Trappe avec beaucoup de franchise, comme un homme qui n'ai d'autre vue que celle que Dieu soit glorifié dans la plus sainte maison qui soit dans l'Eglise, et dans la vie du plus parfait directeur des âmes dans la vie monastique qu'on ait connu depuis saint Bernard. Si l'histoire du saint personnage n'est écrite de main habile, et par une tête qui soit au-dessus de toutes vues humaines autant que le ciel est au-dessus de la terre, tout ira mal. En des endroits on voudra faire un peu de cour aux Bénédictins, en d'autres aux Jésuites, en d'autres aux religieux en général. Si celui qui entreprendra un si grand ouvrage ne se sent pas assez fort pour ne point avoir besoin de conseil, le mélange sera à craindre, et par ce mélange une espèce de dégradation dans l'ouvrage.

 

(a) Mademoiselle d'Almayrac, connue sous le nom de soeur Rose, née à Rhodez, morte à Tessi près d'Anneci, en 1728.

 

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La simplicité en doit être le seul ornement. J'aimerais mieux un simple narré, tel que le pouvait faire dom le Nain, que l'éloquence affectée. M. de Séez m'a parlé avec la meilleure intention du monde. Elle a commencé à paraître dans la relation : mais je ne sais pourquoi elle n'a pas réussi autant qu'il serait à souhaiter, et cela est bien remarqué dans votre lettre. Pour moi, qui suis simple, j'en avais été fort content. Mais il est vrai que le monde y a trouvé bien des petitesses et dans le style et dans les choses.

Ce qu'il y a principalement à considérer, c'est qu'assurément on ne s'en tiendra pas à ce qu'un seul homme écrira. Tous les partis voudront tirer à soi le saint abbé : c'est pourquoi il est capital de garder de quoi prouver l'éloignement de tout parti, et de ne se dessaisir jamais des originaux, pour ne les montrer que dans une absolue nécessité.

Voilà pour ce qui regarde la vie. L'affaire paraît embarquée bien avant : je dis pourtant, à toute fin, ce qui me vient ; on en fera l'usage que Dieu inspirera au Père abbé.

On dit qu'on imprime les lettres : c'est par là que devait commencer le discernement. M. de Séez m'a dit qu'il y en avait d'admirables aux supérieurs de l'ordre, et qui étaient vraiment prophétiques et apostoliques pour l'expression et les sentiments; mais qu'il faudrait les ôter, pour ne point soulever tout l'ordre. Cela peut être ; mais il se faut bien garder de les perdre, puisqu'elles pourront avoir leur temps.

Faites bien mes amitiés à votre parent. Puisqu'il veut savoir mon sentiment, le voilà sans façon, quoiqu'il soit bien tard pour le demander : mais, ni tôt ni tard, je ne puis donner dans les affaires de Dieu en aucuns faibles ménagements.

 

LETTRE XLIX. 
BOSSUET A M. DE SAINT-ANDRÉ, CURÉ DE VAREDDES. A Paris, ce 29 janvier 1701.

 

On m'a dit que la dévote a été deux fois à la Trappe, coup sur coup : on ne parle en manière quelconque du dessein et de l'offre

 

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de guérir le père abbé, ni de rien par rapport à lui. Elle allait, dit-on, pour affermir dans sa vocation un abbé qu'elle avait converti : autre matière d'informer. Sachez tout, je vous en prie; c'est chose très-importante. Je ne veux être mêlé ni de près ni de loin dans cette affaire ; mais il faut être informé de tout.

Je parlerai pour les séminaires d'épargne. Il est assez à propos, Monsieur, que vous fassiez un tour ici dans la semaine prochaine.

 

LETTRE L. 
A M. L'ÉVÊQUE DE BAYEUX (a). Paris, ce 9 février 1701.

 

J'ai reçu lundi, Monseigneur, la dernière lettre dont vous m'avez honoré, et en même temps, par ordre de M. le curé de Saint-Sulpice, le livre en question. Je commençai en même temps de le lire, et je viens enfin de l'achever. J'ai déploré l'égarement de M. Cailly, qui étant d'ailleurs si habile et si homme de bien, a proposé un système si plein d'ignorance, de témérité et d'erreur. Puisque vous m'ordonnez de vous en dire mon sentiment, vous le trouverez dans une feuille à part jointe à cette lettre.

J'ai parlé de cette affaire à M. le cardinal de Noailles, et c'est de concert avec lui que j'ai l'honneur de vous en écrire.

Je ne vous dis rien, Monseigneur, sur l'indulgence que peut mériter ce bon curé, qui se soumet absolument à votre censure, et me fait assurer par quelques-uns de ses amis, qu'il fera sur cette nouvelle doctrine telle déclaration et rétractation que vous ordonnerez.

Il y a certaines choses dans ce livre, sur les espèces ou apparences sacramentales, lesquelles, quoique ce livre ne les explique pas comme il faut, M. le cardinal de Noailles ne croit pas, non plus que moi, qu'il faille y donner atteinte, à cause du soulèvement qu'elles causeraient parmi les savants, et à cause aussi du bon sens qui y est renfermé. Je veux dire, Monseigneur, qu'il ne

 

(a) François de Nesmond, né le 1er septembre 1629, nommé évêque de Bayeux en 1661, mort le 16 mai 1715.

 

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faut pas prendre pour loi ni pour article de foi en cette matière, non plus que dans les autres, toutes les explications des scholastiques : autrement il en arrive des inconvénients, dont je pour-rois alléguer beaucoup d'exemples.

Il ne me reste qu'à vous supplier de traiter avec bénignité la personne de M. Cailly, qui est d'ailleurs un digne curé, à ce que j'apprends, supposé qu'il se range à la doctrine que vous lui enseignerez, et qu'il contente l'Eglise par sa soumission. Voici donc le jugement que j'en porterais; après quoi il ne me restera qu'à vous assurer de mes très-humbles respects.

 

JUGEMENT sur le livre intitulé : Durand commenté, ou l'accord de la philosophie avec la théologie, touchant la transsubstantiation de l'Eucharistie; à Cologne, chez Pierre Marteau, aux trois Colombes, 1700.

 

Il y a lieu de déclarer que le livre intitulé : Durand commenté, etc., contient sur la transsubstantiation une doctrine fausse, téméraire, erronée et induisante à hérésie. Sous prétexte de commenter Durand, il renouvelle témérairement et scandaleusement sur la transsubstantiation une doctrine de ce théologien trop hardi, qui est erronée, et qui a été réprouvée depuis par le concile de Trente et le commun consentement de toute l'Eglise.

Il ajoute aussi à cet auteur, sous prétexte de le commenter, des choses qu'il n'a jamais dites, et auxquelles il ne paraît pas qu'il ait pensé, lesquelles sont erronées, destructives de la présence réelle du précieux corps et sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, induisantes à hérésie sur la transsubstantiation, sur la concomitance, et autres points de doctrine décidés dans le même concile de Trente, et autres conciles généraux et décisions de l'Eglise, et tendantes à affaiblir par de vaines et dangereuses subtilités l'ancienne tradition de l'Eglise catholique, dès l’origine du christianisme, sur ce sacré mystère : au moyen de quoi le livre mérite d'être mis ès mains de la justice séculière, pour être supprimé comme il conviendra; et Sa Majesté sera très-humblement suppliée de le faire pareillement supprimer dans tout son royaume, comme pernicieux et perturbatif de la tranquillité

 

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de l'Eglise et du royaume, sous toutes les peines qu'elle avisera bon être.

Et pour l'auteur, attendu sa soumission à la présente censure et jugement, il lui sera ordonné, et le reste, que Monseigneur modérera selon sa prudence.

 

LETTRE LI. 
L'ÉVÊQUE DE LUÇON (a) A BOSSUET. 20 février 1701.

 

Je vous ai toujours regardé comme l'oracle des évêques : je vous supplie très-humblement de ne pas désapprouver la liberté que je prends de vous consulter, dans une affaire qui me paraît assez délicate. C'est un de mes chanoines qui a avancé en chaire ces propositions :

« Les grâces suffisantes ne font rien. »

« La coopération même de la volonté vient de la seule grâce. » « La grâce efficace par elle-même peut seule enfanter les bonnes œuvres. »

« Ce n'est pas le libre arbitre qui agit avec la grâce ; c'est la grâce qui agit dans le libre arbitre. »

Comme on ne peut pas douter que ces propositions ne tendent à renouveler des erreurs déjà condamnées, je l'ai averti de ne point continuer à prêcher une semblable doctrine. Mais il y en a qui prétendent que je dois obliger ce chanoine à condamner ces propositions comme fausses, téméraires, scandaleuses, et renouvelant une doctrine condamnée par l'Eglise. Je vous supplie très-instamment de m'honorer de votre avis, que je suivrai avec autant de soumission que je suis avec respect, etc.

+ J. FRANÇOIS, Ev. deLuçon.

 

1 Jean-François de Valderie de l'Escure, nommé en 1699, mort vers 1723.

 

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LETTRE LII.  
RÉPONSE DE BOSSUET A L'ÉVÊQUE DE LUÇON. A Paris, ce 27 février 1701.

 

Pour obéir en simplicité au désir de votre lettre du 20, j'aurai l'honneur de vous dire, sans hésiter, que votre qualification sur les quatre propositions contenues dans la même lettre, est très-juste. On ne peut dire sans erreur que les grâces suffisantes ne font rien, puisqu'elles opèrent toujours des illustrations et des délectations, qui en rabattant jusqu'à un certain point la concupiscence, pourraient s'étendre plus loin, si nous voulions agir adhibitis totis viribus voluntatis, comme parle souvent saint Augustin.

C'est une autre erreur de dire que la seule grâce efficace par elle-même peut enfanter les bonnes œuvres, puisque cette proposition, comme elle est conçue, ôte aux justes qui tombent le pouvoir absolu qu'ils ont par la grâce, d'accomplir les commandements, si fideliter laborare voluerint, aux termes du concile d'Orange, auxquels il faut joindre le Facere quod possis, et petere quod non possis, etc., du concile de Trente.

Dire aussi que le libre arbitre n'agit point avec la grâce, et que c'est la grâce qui agit dans le libre arbitre, en prenant le dans exclusivement de l’avec, c'est directement combattre saint Paul, selon qu'il est traduit dans la Vulgate et conformément à la tradition, qui est universelle sur ce point.

La condamnation de cette quatrième proposition induit celle de la seconde, où il est porté que la coopération de la volonté vient de la seule grâce, puisqu'elle exclut la grâce qui est avec nous, et avec laquelle personne n'a jamais nié que le libre arbitre ne coopérât.

Tous ceux qui avancent de telles propositions errent contre la doctrine de la grâce, en ce qu'ils ne veulent pas expliquer que tous les justes qui tombent lui résistent, pèchent contre elle, lui manquent, lui sont infidèles et se perdent par leur faute.

 

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Ils abusent de cette expression : Efficace par elle-même ; d'où l'on veut induire l'exclusion de la coopération du libre arbitre, sans laquelle la grâce n'opérerait point. Saint Augustin dit bien, et dit partout, que la grâce est efficace, invincible, peut ce qu'elle veut, fléchit les cœurs les plus endurcis, opère le vouloir et le faire, selon l'expression de saint Paul : mais je n'ai point encore trouvé qu'il se soit servi de ce mot : Efficace par elle-même, dont on peut très-aisément abuser, encore qu'il ait un bon sens, qui ne permet pas de le condamner indistinctement.

Voilà, Monseigneur, ce qui me fait dire que votre qualification est juste : je la crois aussi suffisante ; et en votre place, je n'hésiterais pas à la faire telle qu'elle est. Au surplus, puisque vous voulez que je vous parle en évêque, on doit prendre garde que dans une matière si délicate, souvent la censure d'une erreur induit à une autre, si on ne sait tenir la balance droite ; et il se faut bien garder de laisser passer la doctrine qui, contre la décision du concile de Trente, ne mettrait du côté de Dieu dans ceux qui font bien et qui persévèrent à bien faire, aucun secours spécial, ni par conséquent aucune préférence gratuite. Vous êtes maître en Israël, et il suffit de marquer les choses pour se faire entendre. Je suis, Monseigneur, etc.

 

LETTRE LIII. 
M. DU PUY, ARCHIDIACRE ET THÉOLOGAL DE LUÇON. Du Puy, ce 16 mars 1701.

 

Depuis la lettre que j'ai pris la liberté de vous écrire, je n'ai pu attendre tranquillement la réponse que j'espère de Votre Grandeur. Deux jours après, je reçus non-seulement la censure faite uniquement contre moi, quoique en termes vagues : mais j'appris encore qu'on m'attaquait nommément à l'officialité, où l'on me faisait citer comme ayant avancé les propositions censurées, pour m'y déclarer suspens ipso facto ; que de plus on me dénonçait que l'on pourvoirait à mes dépens à la théologale. Toutes ces choses, Monseigneur, me déconcertèrent dans les mesures de

 

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tranquillité que je m'étais prescrites, jusqu'à ce que je reçusse les ordres que vous auriez la bonté de me donner. La veille de la réception de la censure, j'eus l'honneur de faire la révérence à Monseigneur de Poitiers, et de souper avec lui. Il me porta avec sa charité et sa prudence ordinaire, à donner satisfaction à Monseigneur de Luçon, en condamnant les quatre propositions en question, et me dit qu'il était sûr que mondit Seigneur de Luçon ne demandait que cela. Je protestai à Monseigneur de Poitiers que je ne me ferais nulle peine de les condamner, mais que je ne pouvais les rétracter, qui était ce qu'on me demandait ; parce que la vérité et la conscience s'y opposaient. Ce digne prélat partit dès le lendemain matin pour ses visites : ainsi je ne pus plus avoir l'honneur de le voir, et de le consulter après avoir reçu la censure. Je consultai en son absence d'habiles gens ; et par leur conseil je fis au greffe de la métropole, établi à Poitiers, l'Acte ci-joint (1), que j'ai fait imprimer depuis pour rendre partout

1 L'an mil sept cent un et le cinquième jour d'avril, s'est présenté en personne, au greffe de la Cour métropolitaine à Poitiers, messire Germain Du Puy prêtre, archidiacre d'Aizenay, et théologal de Luçon ; lequel a dit et déclarée tous ceux qu'il appartiendra, ce qui s'ensuit : Premièrement qu'il n'a jamais avancé, ni soutenu les quatre propositions censurées par son Seigneur l'Evêque de Luçon, le dix-huitième de mars dernier, ainsi qu'il lui a déclaré dans sa chambre de vive voix, avec serment, le cinquième jour du mois de février dernier ; après laquelle conversation, le prélat l'engagea à prêcher trois jours après, aux prières des quarante heures, un sermon à sa nomination; ce qui fait voir qu'il devait être satisfait de sa doctrine : dans lequel sermon qu'il fit du jeûne, personne ne l'accuse d'aucune erreur : secondement, qu'il a même protesté conjointement avec quatre de ses confrères, dignitaires et chanoines qui l'ont entendu parler le deuxième février, qu'il a prêché huit propositions sur la grâce toutes contraires à ces quatre propositions censurées : troisièmement, qu'il a encore protesté dans une lettre de vingt, pages, toutes écrites de sa main, audit Seigneur prélat, le vingt-unième février, qu'il n'a nullement avancé ces quatre propositions : quatrièmement, comme étant théologal et par conséquent dépositaire de la doctrine après l'évêque, il condamne derechef lesdites quatre propositions.

Cinquièmement, qu'étant à Poitiers pour ses affaires particulières, et surtout pour une qui regarde le temporel de son archidiaconé, touchant une rente de froment, que doit une terre que l’on va vendre ; il y a reçu ledit jour cinquième avril, ladite censure, qu’un ami lui a envoyée de Luçon; à laquelle il ne se fait nulle peine de souscrire, puisque ce sont des propositions auxquelles il n'a point de part, et qui ont été forgées à plaisir par des personnes qui veulent décrier la doctrine du diocèse, et celle de feu Monseigneur de Barillon évêque de Luçon Ce qui ne l'empêche pas de soutenir la grâce efficace par elle-même et la prédestination gratuite, selon les très-illustres docteurs saint Augustin et saint Thomas, comme parle le saint Siège. Ainsi il proteste de nullité de toutes

 

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témoignage de la pureté de ma foi. Homme toutes ces protestations verbales et par écrit que j'avais faites avaient été inutiles, et qu'on m'attaquait en justice, je me vis forcé avec douleur, et par une dure nécessité, de faire signifier ledit Acte à mon prélat, afin d'arrêter par là ceux qui causent et entretiennent la division dans le diocèse. De plus, comme j'ai de fortes raisons de tenir pour suspecte l'officialité d'ici, j'appelai de tout à la Cour métropolitaine.

Après cet Acte signifié, je m'en vins à Luçon hier, pour monter aujourd'hui en chaire ; ce que je croyais indubitable. J'arrivai à huit heures du soir; et j'appris qu'une heure auparavant, on m'avait fait une seconde déclaration de la part du prélat avec défenses expresses de prêcher. Cela me parut fort extraordinaire ; premièrement, parce que aussitôt la censure reçue, j'avais condamné purement et simplement les quatre propositions, qui est tout ce qu'on demande des plus hérétiques, reconnus tels et même convaincus; les anciens conciles et les derniers n'ayant jamais exigé des hérétiques les plus obstinés, que de dire anathème à la mauvaise doctrine : mais on en veut ici à la personne, et à tous ceux qui ont eu liaison avec feu Monseigneur de Barillon : secondement, les procédures qu'on pourrait faire contre lui en son absence, directement ou indirectement, comme ayant déjà suffisamment déclaré qu'il condamnait lesdites quatre propositions, qu'il n'a point avancées ; et ayant un certificat écrit de la main de M. Gaitte, docteur de Sorbonne, supérieur du séminaire et vicaire-général de son Seigneur l'évêque de Luçon, qui témoigne même après son sermon du deuxième février, que sa doctrine est très-saine.

Sixièmement, comme dans la lettre circulaire dudit Seigneur prélat à tous ses curés, il dit « qu'il y a eu des gens assez téméraires pour oser dire, qu'il y avait deux cents curés dans le diocèse, qui soutiendraient ces propositions, » il déclare qu'il n'a jamais rien entendu dire de semblable ; et il répond pour le diocèse, comme le connaissant bien, qu'il ne se trouvera pas un seul curé qui soutienne ces propositions, puisque la doclriue du diocèse, qu'ils ont apprise de feu Monseigneur de Barillon leur saint évêque, est celle de saint Thomas. Mais il se souvient bien que dans une députation que le chapitre fit à sondil Seigneur de l'Escure, plusieurs chanoines lui dirent « que plus de deux cents curés soutiendraient et signeraient que la doctrine du feu Seigneur de Barillon avait toujours été très-saine; qu'ainsi on avait tort de l'accuser d'avoir une doctrine suspecte : » qu'il certifie que ces paroles ; « plus de deux cents curés le témoigneront », furent dites à cette occasion.

De tout ce que dessus, il a requis et demandé acte à moi, greffier de ladite Cour, soussigné ; et que ladite déclaration, protestation et condamnation de quatre propositions reste en minute, dont copies lui soient délivrées, pour lui servir comme de raison, attendu que toutes ses autres protestations verbales et par écrit n'ont pas été reçues : ce que je lui ai octroyé pour valoir et servir en temps et lieu, le jour et an que dessus ; et s'est soussigné.

 

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parce qu'il n'y avait point de sentence contre moi, ni ne pouvait y en avoir, n'ayant été cité qu'une fois dans une absence de trois semaines ; absence permise à tout chanoine pour ses affaires, et qui n'a été ni affectée, ni de libertinage : troisièmement, que quand il y aurait eu sentence, l'appel interjeté aurait tout suspendu, d'autant que la sentence aurait été conditionnelle : Si vous ne condamnez telles propositions ; encore aurait-on dû, suivant le droit, limiter un temps : et c'est ce qui est formellement exprimé dans les Décrétales, livre II, titre XXVIII, de Appellationibus, canon XL, Prœtereà, où le pape Célestin III écrit à un doyen de Rouen : Videtur autem nobis, quod in hujusmodi sententiam appellationis obstaculum debeat impedire.

Nonobstant ces raisons, mes amis m'ont conseillé de ne point me présenter pour prêcher, sans avoir fait la révérence à mon prélat; et l'amour de la paix m'y a porté. J'ai été le prendre avec d'autres chanoines, après Tierce, pour aller à la grand'messe ; c'est une marque de respect assez ordinaire. J'ai commencé par la plus respectueuse de toutes les révérences, en entrant dans sa chambre, et je lui ai dit : « Je viens ici, Monseigneur, vous assurer de mes profonds respects, et de la douleur que j'ai qu'on me mette mal dans l'esprit de Votre Grandeur. Vous m'avez ordonné de condamner les propositions : je l'ai fait. Vous me sommez de venir remplir ma théologale : j'y viens suivant vos ordres. — N'avez-vous pas reçu, interrompit le prélat, la défense que je vous en fis signifier hier? — Oui, Monseigneur, répondis-je, et c'est ce qui m'amène ici, pour éviter un éclat et un scandale public dans l'Eglise, si je m'y étais présenté d'abord pour prêcher, sans avoir eu l'honneur de vous faire la révérence. Je ménage la faiblesse des catholiques, les caquets des hérétiques, et par-dessus tout le respect qui vous est dû, Monseigneur. — Je vous défends absolument de prêcher, repartit le prélat ; sinon j'userai de toute mon autorité contre vous. Je me serais contenté d'une condamnation des propositions; je veux à présent une rétractation en forme, et que vous les reconnaissiez comme de vous. — J'ai fait serment, repris-je, et je le proteste encore devant Dieu, que je ne les ai point avancées, et je le déclare prêt à aller offrir le saint sacrifice.

 

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— Quoi ! vous allez dire la messe étant suspens ! me dit le prélat. — Comment cela, Monseigneur, répondis-je, fort sûr du contraire et fort étonné? » Le prélat continua, et m'assura que la censure renfermait la suspension ipso facto; qu'il ne voudrait pas entendre ma messe, que j'étais dans le crime; et que la sentence du supérieur, soit juste, soit injuste, est toujours à craindre, comme dit saint Grégoire. Sur quoi je lui répliquai qu'il n'y avait nulle sentence contre moi, et que de plus il savait ce que M. Talon avait cité d'Ives de Chartres, dans sa protestation au pape Innocent II : Si venerit excommunicaturus injuste, ipse excommunicatus recedet (1) : « S'il vient pour excommunier injustement, il s'en retournera lui-même excommunié. » A ces paroles, un des assistants peu éclairé s'écria : « Quelle effronterie ! vous excommuniez Monseigneur !» — « Entendez-vous le latin, lui dis-je? » Le prélat finit par une grande colère et par des paroles outrageantes, et on s'en alla à l'église.

Je n'ai pas voulu prêcher; et j'ai mieux aimé souffrir en patience un si sanglant affront, que de faire de l'église le théâtre de la division et de la chicane. J'attends incessamment vos ordres là-dessus, Monseigneur. Vous voyez bien que toutes les juridictions me sont ouvertes, et la Cour métropolitaine et le Parlement, contre des procédures si pleines de nullités. Par amour de la paix, je différerai volontiers, à moins que je ne sois forcé de me défendre. Plaignez mon malheur, Monseigneur; plaignez un pauvre diocèse où tout est en combustion, et où les hérétiques se prévalent de ces éclats ; et honorez d'une réponse favorable celui qui est avec le plus profond respect, etc.

 

Du Puy, archidiacre et théologal de Luçon.

 

1 Ce furent les évoques attachés à Louis le Débonnaire qui sur le bruit qui s'était répandu, que le pape Grégoire IV emmené en France par Lothaire, pour rendre sa cause plus favorable, menaçait de les excommunier, firent la réponse qui est ici rapporter. (Les éditeurs. )

 

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LETTRE LIV. 
BOSSUET A M. DU PUY, ARCHIDIACRE ET THÉOLOGAL DE LUÇON. A Paris, ce 19 avril 1701.

 

J'ai reçu les deux paquets que vous m'avez envoyés, et en particulier celui où était la censure de Monseigneur votre évêque avec votre protestation. Vous voulez que je vous en dise mon sentiment, et je le fais volontiers par l'estime que j'ai eue de tout temps pour vous.

I. La censure est très-juste, très-précise, très-modérée ; et dans votre protestation vous promettez d'y souscrire.

II. Dans cet esprit vous condamnez les quatre propositions censurées, en désavouant seulement de les avoir avancées.

III. Sur ce pied et en révoquant tout le reste, qui pourrait tendre à faire penser qu'où en veut à la mémoire et à la doctrine de feu Monseigneur de Luçon, vous rendrez une pleine soumission au jugement de votre évêque.

IV. Je vois que vous avez déféré à l'interdit de votre prélat ; en quoi je vous loue : et je dois seulement vous dire que personne n'approuve ici la réponse que vous lui faites sur l'excommunication injuste, dont vous lui devez demander pardon.

V. A ces conditions, je suis prêt à supplier Monseigneur de vous rétablir dans vos fonctions, et de vous recevoir dans l'honneur de ses bonnes grâces, et je commence à le faire dès aujourd'hui par une lettre que j'ai l'honneur de lui écrire.

VI. Par ce moyen il demeurera inutile d'examiner vos sermons; et Monseigneur de Luçon sera supplié de ne plus entrer dans cet examen, content de ce qu'il avait exigé d'abord, qui est que vous souscrivissiez à la censure, et condamnassiez les propositions purement et simplement comme vous faites.

VII. Si vous avez appelé, ce que je ne vois point dans les Actes que vous m'avez envoyés, mais seulement dans votre lettre du 10 mars, il faudra vous désister de tout appel, et vous soumettre à votre prélat, qui semblable à celui qui l'a envoyé, ne veut point

 

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la mort du pécheur ni sa condamnation, mais sa soumission.

VIII. Vous devez aussi renoncer à défendre le diocèse qu'on n'attaque pas, et la mémoire de feu Monseigneur de Luçon à laquelle vous faites tort en supposant qu'on l'attaque, et vous offensez sa parenté.

J'envoie copie de cette lettre à Monseigneur de Luçon, et j'espère que vous recevrez des marques de ses bontés. Je suis avec estime et de bien bon cœur, etc.

 

LETTRE LV. 
BOSSUET A M. L'ÉVÊQUE DE LUÇON. A Paris, ce 19 avril 1701.

 

La confiance qu'il vous a plu de me témoigner, me donne celle de vous dire que j'ai reçu une lettre de M. Du Puy, que je connais et que j'estime il y a longtemps, à laquelle j'ai répondu ce que vous trouverez dans ce paquet.

J'espère, Monseigneur, que vous trouverez qu'en suivant mes conseils, comme il me le promet, il suivra en même temps vos ordres, et satisfera à son devoir envers vous.

Je n'y vois qu'une seule difficulté, et c'est la rétractation expresse que vous semblez à présent vouloir exiger, avec l'aveu d'avoir enseigné les propositions. Mais j'ose vous représenter avec respect, premièrement, que cela ne paraît pas nécessaire, la vérité ayant sans cela victoire entière et votre censure son plein effet : secondement, il paraît que vous ne devez rien ajouter à une si juste censure; et ainsi que vous y contentant de la condamnation de l'erreur, le reste serait d'une rigueur inutile : troisièmement, c'est là le moyen d'éviter toute dispute qui pourrait s'élever sur ce sujet, tant dans votre diocèse que partout ailleurs, et vous ôterez tout prétexte aux plaintes que l'on pourrait faire : quatrièmement, c'est aussi le moyen de fermer la bouche à ceux qui répandent votre opposition aux habiles gens que votre saint et savant prédécesseur avait appelés, et dont il est mort content : cinquièmement, je ne puis vous dissimuler qu'on a publié que

 

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vous aviez même souffert que l'on attaquât sa mémoire en votre présence, encore que nous eussions tous ce prélat en vénération.

J'espère donc, encore un coup, Monseigneur, que vous voudrez bien continuer à vous contenter du désaveu de M. Du Puy, qui demeurera assez puni de ce qu'il a fait contre un prélat tel que vous, d'une manière inconsidérée et irrespectueuse, avec une bonne et soumise disposition dans le fond, en le révoquant publiquement.

Je n'entre point dans la discussion de ce que vous jugerez nécessaire pour les bienséances et le respect de l'épiscopat, vous suppliant seulement, Monseigneur, de vouloir bien par bonté ne pas exiger un aveu qui ne ferait que causer de la peine et du scrupule à celui qui ne cherche qu'à regagner l'honneur de vos bonnes grâces, et à vous être soumis et obéissant.

Pardonnez la liberté que je prends : j'ai cru devoir cet office à un prêtre qne j'estime, et qui me choisit pour intercesseur auprès de vous. Je suis, au reste, avec un sincère et véritable respect et attachement, etc.

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