Jouarre LVI
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LETTRE LVI.  A MADAME  DU  MANS. A Meaux, ce 26 avril 1694.

 

Ne cherchez point de repos qu'en la pure bonté de Dieu : jusqu'à ce que vous en soyez là, vous ne serez jamais sans trouble. C'est à tort que vous vous êtes inquiétée sur cette pénitence ; avant ou après, tout est bon. Ne me parlez jamais de recommencer vos confessions.

Je ne souhaite point, ma Fille, que vous fassiez rien pour vous décharger des novices. Ce que vous me mandez sur la première

 

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maîtresse est digne de réflexion. Consolez ces âmes affligées, et faites-les marcher dans la latitude. Ma Sœur Cornuau me paraît fort contente. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LVII.  A  MADAME DU MANS. A Meaux, ce 27 avril 1694.

 

Puisque l'affaire du noviciat est consommée, et que l'obéissance l'a décidée, Dieu le veut ainsi. Il est vrai que j'avais consenti aux désirs de Madame de Rodon; mais à condition que l'obéissance en décidât.

"Vous êtes bien simple, ma Fille, quand vous vous troublez, faute de croire que vous ayez mérité la rémission de vos péchés. Ne songez-vous pas qu'elle est gratuite, et que si vous y cherchez d'autres mérites que ceux de Jésus-Christ, vous ne sentez pas assez le fruit de votre rachat?

J'ai reçu la lettre dont vous me faites mention dans celle du 26. Quand ma lettre (a) ne produirait d'autre effet que celui d'avoir fait précéder l'instruction et l'exhortation à la conclusion, c'est tout pour moi. Au reste s'il vient un ordre de Rome en forme, j'obéirai certainement avec joie, et je serai ravi d'avoir à donner un exemple d'obéissance. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LVIII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 13 mai 1694.

 

Je vous offrirai à Dieu de tout mon cœur, ma Fille. Ne vous mettez point tant en peine si votre état de langueur est agréable à Dieu. Sa volonté est d'une étendue infinie et embrasse tout, pourvu qu'on se conforme à elle.

La règle pour vos retraites est, ma Fille, de consulter avant

 

(a) La grande lettre à l'abbesse de Jouarre.

 

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toutes choses ce qui se peut ou ne se peut pas du côté du dehors; et quand vous serez en liberté de ce côté-là, entrer en retraite, sinon trouver la retraite comme tout le reste dans la volonté de Dieu.

Quant à l'autre point (a) dont vous me parlez, on ne doit point penser à cela; j'y penserai moi-même quand il faudra. Il faut auparavant savoir l'état des choses en général, et je n'en puis être informé que par un voyage à la Trappe. Alors quand je verrai ce qui se pourra, je réglerai sous les yeux de Dieu ce qu'il faudra. En attendant, être en repos est le seul parti : autrement le bon désir se tourne en agitation et inquiétude. Notre-Seigneur soit avec vous. Recommandez le secret.  

 

LETTRE LIX.   A MADAME DE LA GUILLAUMIE. A Meaux, ce 8 juin 1694.

 

Je vous plains d'un côté, ma Fille, dans l'état pénible où vous êtes, et de l'autre je me console dans l'espérance que j'ai que Dieu travaillera en vous très-secrètement. Il sait cacher son ouvrage, et il n'y a point d'adresse pareille à la sienne pour agir à couvert. Ce n'est point par goût, et encore moins par raison ou par aucun effort que vous serez soulagée ; c'est par la seule foi obscure et nue, par laquelle vous mettant entre ses bras, et vous abandonnant à sa volonté en espérance contre l'espérance, comme dit saint Paul, vous attendrez son secours. Pesez bien cette parole de saint Paul : In spem contra spem; « En espérance contre l'espérance. » Je vous la donne pour guide dans ce chemin ténébreux, et c'est vous donner le même guide qui conduisit Abraham dans tout son pèlerinage. Communiez sans hésiter, et dans cette foi, tous les jours ordinaires; et non-seulement toutes les fois que l'obéissance le demandera, mais encore lorsque vous y serez portée, si Dieu le permet, par quelque instinct, pour obscur qu'il soit. Faites de même vos autres fonctions, sans aucun

 

(a) La Sœur désirait de se retirer à l'abbaye des Clairets, près de la Trappe.

 

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effort pour sortir d'où vous êtes, persuadée que plus Dieu vous plongera dans l'abîme, plus il vous tiendra secrètement par la main. Il n'y a point de temps à lui donner, ni de bornes à lui prescrire. Quand vous n'en pourrez plus, il sortira des ténèbres un petit rayon de consolation qui vous servira de soutien parmi vos détresses. J'aurai soin de ce que vous me mandez sur le sujet de M. le grand-vicaire : sa conduite est sainte; vous ne devez pas vous en retirer : la mienne et la sienne n'est qu'un. Notre-Seigneur soit avec vous.

P. S. « Soyez fidèle jusqu'à la fin, et je vous donnerai la couronne de vie. »

 

LETTRE LX.  A MADAME DU  MANS. A Meaux, ce 14 juin 1691.

 

On m'a rendu votre lettre ce matin, ma Fille, dans une conjoncture où à peine avais-je le loisir de l'ouvrir, bien loin d'y pouvoir répondre. La lettre est fort bien. Conseillez à votre amie de ne se donner aucun mouvement. Si j'avais suivi le mien, j'au-rois tout rompu d'un seul coup : mais il faut être plus attentif aux désirs que Dieu inspire, quoiqu'il n'en veuille pas toujours l'accomplissement. Je le prie beaucoup pour cette personne, et j'espère qu'il me donnera la décision sur ce qu'il veut d'elle ; mais il faut auparavant tout connaître. Pour vous, ma Fille, marchez en fidélité et en confiance. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXI. A MADAME DE LA GUILLAUMIE.  A Meaux, ces 18 et 21 juin 1691.

 

Je me réjouis, ma Fille, de votre tranquillité. Je n'écris rien, ni n'écrirai rien à personne sur votre désir (a). Je penserai soigneusement 

 

(a) La Sœur désirait d'entrer à l'abbaye des Clairets.

 

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à vous faire faire la volonté de Dieu : ce n'est pas chose où il faille aller vite, ni sans des marques extraordinaires, ou du moins bien particulières de vocation. Dieu ne veut pas toujours l'accomplissement de tous les désirs qu'il inspire. Soyez donc toujours soumise et fort secrète : j'en userai avec le même secret.

Vous tirerez tout le fruit que Dieu veut de vos sécheresses, si vous continuez, ma Fille, à vous acquitter de vos devoirs comme vous pourrez, sans quitter aucun de vos exercices, et moins encore l'oraison et la communion. Mettez à la place des regrets de vos péchés, qui vous manquent, celui que Jésus-Christ en a offert pour vous à son Père, et rendez-le-vous propre par la foi. Je n'ai plus rien à vous dire sur le reste. Notre-Seigneur, que je prie sans cesse de vous aider, soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXII.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 22 juin 1694.

 

Je suis en peine de votre santé, et encore plus de votre peine qui peut même nuire beaucoup à votre santé. Je suis au reste bien assuré que vous n'avez rien à craiudre pour les péchés de votre vie passée, ni rien à suppléer d'obligation dans les confessions générales et dans les revues que vous avez faites, et vous feriez chose agréable à Dieu de vous en tenir là sans rien remuer davantage : que si je vous ai promis de vous ouïr, c'est par pure condescendance. Ainsi vous feriez très-bien de déposer tout doute et tout scrupule, et quand même vous seriez à l'article de la mort; car c'est même principalement à ce moment-là qu'il faut à l'abandon se jeter entre les bras de la miséricorde de Dieu, et quitter tout ce qui empêche le cœur de se dilater en elle. Faites ainsi, et ne craignez rien, et ne songez point à vous confesser de nen du passé, puisque je vous assure que vous y avez satisfait : .le vous connais assez pour vous mettre en repos sur cela et sur toutes choses. Allez donc en paix, si Dieu le veut.

 

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Vous voyez, ma Fille, jusqu'où je pousse les choses. Je ne me dépars point cependant de la promesse que je vous ai faite, quoique je n'y croie point de nécessité. Portez votre mal en humilité et en patience. Jésus-Christ soit avec vous. Appliquez-vous, autant que le peut une foi vive, la grande indulgence de sa mort : la foi en porte l'effet jusqu'à l'infini ; et toutes les autres indulgences, qu'il est bon de chercher et de désirer, sont fondées sur celle-là. Je vous bénis de tout mon cœur, et ne cesserai de vous offrir à Dieu.

 

LETTRE LXIII.  A MADAME DE LA GUILLAUMIE. A Marly, ce 24 juillet 1694.

 

Les plaies que fait le Bien-aimé sont le soutien d'un cœur blessé de son amour : croyez, ma Fille, que c'est de lui qu'est parti ce trait qui vient de vous percer. Ne le priez pas qu'il adoucisse la rigueur du coup, mais qu'il vous soutienne pour le bien porter. Les temps des croix sont les temps précieux de la vie : il faut se donner en proie à celui qui par les plaies qu'il nous fait, veut tirer tout notre sang, c'est-à-dire toute la vie des sens. Songez à tout ce que Dieu ôta à Job en un instant, et comme tout ce qu'il lui laissa lui tourna en supplice, il n'eut pas de honte de confesser et de témoigner sa douleur. Ne déchirez pas votre habit; mais laissez-vous déchirer le cœur par celui qui a voulu vous mettre à cette rigoureuse épreuve. Réunissez en lui seul tout ce que cet objet mortel pouvait attirer, et vivez de la vérité. Je prie pour vous : Notre-Seigneur soit avec vous à jamais.

 

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LETTRE LXIV.  A  MADAME DU MANS. A Paris, ce 26 juillet 1694.

 

Quoique je plaigne les novices que vous avez sous votre charge pour être au nombre des Sœurs, je trouve l'autre affaire, que Madame votre abbesse vous confie, d'une telle conséquence, que vous ne devez pas y refuser votre ministère. Il n'est point question, ma Fille, de conduire des contemplatives ; mais, sans aucun égard à ces hauts états vrais ou prétendus, d'en examiner les qualités par rapport à la vocation au monastère de Jouarre, sans écouter autre que Dieu. Quand je dis écouter Dieu, je n'entends pas que vous attendiez qu'il vous parle d'une façon particulière : ces manières particulières d'écouter Dieu me font plus douter qu'elles ne me rassurent.

Ecouter Dieu, c'est bien examiner les faits qui peuvent faire ou pour ou contre, peser les raisons, et assurer l'esprit de Madame dans les divers rapports qu'on a pu lui faire. Vous parviendrez à cela, ma Fille, si vous vous tenez sans prévention sur tout ce qui se dit de part ou d'autre; si vous priez Dieu avec une sainte indifférence de vous éclairer, et que sans avoir égard à ce qui se dit de part ou d'autre, vous vous rendiez attentive à la vérité. Car Dieu parle quand on la connaît, et on la' connaît quand on la cherche. N'ayez donc ni éloignement ni prévention; penchez plutôt à secourir une âme qui se veut donner à Dieu qu'à la bannir de sa maison; mais regardez les choses simplement; dites-les de même, et Dieu bénira vos intentions qui seront pures, comme celles de Madame votre abbesse le sont.

Tâchez de n'abandonner pas entièrement vos novices : peut-être que la seconde cellérière pourrait en conserver le soin sous votre conduite, et profiter de vos connaissances et du crédit que vous avez sur elles. Voilà, ma Fille, ce que vous avez à faire à cet égard.

Pour ce qui est de vos confessions passées et de l'omission des

 

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péchés ou des circonstances aggravantes, vous ferez bien de n'y plus songer. Vous avez bien fait de ne vous en pas confesser ni pendant votre maladie, ni depuis le rétablissement de votre santé. Tenez-vous-en à cette réponse, et me croyez tout à vous.

 

LETTRE LXV.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 11 et 13 août 1691.

 

Après vous avoir mandé mon sentiment sur vos obédiences, par conseil et non autrement, je vous laisse, ma Fille, à la disposition de Madame votre abbesse et de la divine Providence 11 n'y a plus rien à dire sur les deux novices dont vous m'écrivez : je n'entre pas volontiers dans cet examen sans nécessité. L'année ne se passera pas, s'il plaît à Dieu, que je ne conclue la visite par les règlements qui seront le plus nécessaires. Ne faites point d'austérités que votre santé ne soit plus forte. Je prie Dieu qu'il vous sanctifie en vérité.

Continuez toujours, ma Fille, dans votre conduite ordinaire avec Madame votre abbesse. Je suis obligé de partir lundi pour Paris: j'irai mon train dans le temps convenable; et comme je vous l'ai dit, je prends pour compliment tout ce qui n'est pas une entière obéissance, comme on la doit à un supérieur qui représente Jésus-Christ, et qui ne veut que la règle. Aussitôt qu'il y aura des Discours sur la Comédie, j'en enverrai pour vous, pour Mesdames de Lusanci et de Rodon, et pour nos autres chères Filles et ma Sœur Cornuau.

Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE LXVI.  A MADAME DE LA GUILLAUMIE.  A Germigny, ce 13 septembre 1694.

 

Je suis bien aise, ma Fille, du bon effet qu'ont produit en vous les passages de saint Basile et des autres saints, cités dans le livre de la Comédie: c'est un flambeau allumé devant les yeux des chrétiens, tant dans le siècle que dehors, pour les faire entrer dans l'incompréhensible sérieux de la vertu chrétienne.

Sur le sujet de vos sécheresses, songez seulement que l'ouvrier invisible sait agir sans qu'il y paraisse, et que le tout est de lui abandonner secrètement son cœur pour y faire ce qu'il sait, et de ne perdre jamais la confiance, non plus que la régularité aux exercices prescrits de l'oraison et de la communion, sans avoir égard au goût ou au dégoût qu'on y ressent, mais dans une ferme foi de son efficace cachée. Notre-Seigneur soit avec vous : je ne vous oublie jamais devant lui.

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. Je vous bénis de tout mon cœur avec vos novices, et je loue Dieu des grâces qu'il vous fait pour elles.

 

LETTRE LXVII. A MADAME DU MANS. A Germiguy, ce 13 septembre 1694.

 

Je vois bien que la nouvelle de ma mort subite a été portée jusqu'à Jouarre : je n'en sais point de fondement, puisque en vérité je n'ai pas eu seulement mal au bout du doigt. Le fruit de ces bruits que Dieu permet est, ma Fille, de nous tenir tous en la main de Dieu.

Tant que je vivrai, je n'abandonnerai jamais la sainte Maison. Il faut se soumettre à la volonté de Dieu pour l'affaire des réceptions.

 

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Si en cette affaire ou dans les autres choses, je tardais par des vues ou pour des affaires humaines, je me reprocherais mes retardements et mes absences : mais comme Dieu sait que non, c'est à lui à suppléer par sa présence ce qu'il ferait par la mienne. C'est ce que vous pourrez dire à celles' qui en sont capables. Je vous donne les permissions et les approbations que vous demandez, qui sont très dans l'ordre. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXVIII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 10 octobre  1694.

 

C'est à la paraisse de Coulommiers que j'ai cru faire plaisir, en lui donnant le P. gardien pour prédicateur. J'ai beaucoup d'estime pour lui, et je tâcherai de le conserver en ce pays.

On n'a garde de savoir mes intentions pour la visite; je ne les sais pas moi-même. Je ne porte jamais à ces actions des jugements déterminés : l'occasion, le besoin décide, et la charité toujours douce, toujours patiente, par-dessus tout. Il faut sur cela s'abandonner à la Providence. Vous parlez bien sur ce sujet, et j'en suis content.

Pourvu que le vin soit pur, naturel et non mélangé, quoique faible par sa nature, il peut servir au sacrifice. Il est bien pourtant d'en donner qui soit un peu plus fort, et surtout qui ne soit point dégoûtant, à cause des mauvais effets de ce dégoût. Quand le vin nouveau sera reposé, il n'y a point d'inconvénient d'en donner.

Désirer et s'humilier sans découragement ni inquiétude, voilà, ma Fille, ce que je vous souhaite.

 

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LETTRE LXIX.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 28 octobre 1694.

 

Le tout est, ma Fille, de ne vous pas décourager de votre découragement. Que trouvez-vous de si nouveau dans vos faiblesses, que pour cela vous vous troubliez jusqu'à vouloir tout laisser là? Quand vous seriez cent fois plus faible, votre infidélité anéantit-elle la bonté de Dieu? et votre infirmité détruit-elle sa force? Pauvre créature! vous vous imaginiez être forte, et voilà que vous vous êtes trouvée telle que vous étiez en effet. Repentez-vous, demandez pardon avec douleur, mais sans chagrin; dites avec David : « C'est maintenant que je commence : » Dixi, Nunc cœpi (1). Et que savez-vous si Dieu ne veut pas commencer en vous quelque chose de nouveau, par une expérience si forte de votre néant ? Donnez-vous à lui : remettez-vous tranquillement dans vos exercices. J'espère vous voir le jour des Morts. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LXX.  A MADAME DE LA GUILLAUMIE. A Meaux, ce 5 novembre 1694.

 

La foi, qui est le principe et le fondement de l'oraison, est la même qui est définie par saint Paul, « le soutien des choses qu'il faut espérer, la conviction de ce qui ne paraît pas (2). » C'est, ma Fille, cette foi qui nous attache à la vérité de Dieu sans la connaître. Contente de sa sainte obscurité, elle ne désire aucune lumière en cette vie. Sa consolation est de croire et d'attendre ; ses désirs sont ardents, mais soumis. L'Epoux lui donne un soutien obscur comme la foi : elle l'aime de cette main ; elle baise cette main souveraine, qui la caresse et la châtie, comme il lui plaît :

 

1 Psal. LXXVI, II. — 2 Hebr. XI, 1.

 

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ses châtiments mêmes sont des caresses cachées. Il a pitié de sa faiblesse, toujours prêt à lui pardonner ses infidélités, pourvu qu'elle ne perde point courage : il l'entretient à son gré, lorsqu'elle se retire pour l'amour de lui.

Je ne trouve rien que de bien dans l'écrit que vous a lu ma Sœur Cornuau. Je prendrai le temps de lui insinuer ce que vous souhaitez : tenez-vous-en à ce que vous m'avez dit sur son sujet, et agissez avec cette sainte liberté et cordialité qui est le propre des âmes dévotes. Désirez l'union parfaite; séparez-vous de tout, et le vrai tout vous sera donné. C'est à peu près ce que je vous ai dit sur la foi, autant qu'il m'en souvient. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXI.  A MADAME DU MANS. A Paris, ce 4  décembre  1694.

 

Vous n'avez point, ma Fille, à vous mettre en peine de vos confessions précédentes, et je vous le défends absolument : c'est moi qui en réponds à Dieu. Vivez dans cette confiance, et mettez-vous dans le repos qui est nécessaire pour laisser agir le Saint-Esprit. Recevez ses dons sans craindre que vos infidélités en empêchent la vérité : recevez à chaque moment ce que Dieu vous donne ; tâchez d'en profiter : quand vous ne le ferez pas, ne vous en affligez pas jusqu'au point de vous chagriner et de perdre courage. Quelle merveille que Dieu soit meilleur que vous, et que sa grâce abonde malgré vos péchés !

Les austérités sont très-bonnes; mais saint François de Sales m'a appris que celles qu'on demande par-dessus la règle, régulièrement ne sont pas utiles. Tenez-vous-en là.

 

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LETTRE LXXII. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 21 décembre  1694.

 

Je veux absolument que vous me mandiez qui sont ceux qui se mêlent de me faire parler, afin que je leur fasse savoir doucement dans l'occasion, et sans vous commettre, que je n'ai pas besoin d'interprète. Au reste, ma Fille, ne vous étonnez pas de ces vicissitudes de l’âme ; c'est l'apanage de la créature d'être sujette au changement. Priez le seul Immuable qu'il vous affermisse : ne changez rien dans votre conduite au dehors.

Offrez à l'Enfant Jésus le désir d'imiter en tout son obéissance et sa petitesse. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXIII.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 31 décembre 1694.

 

Il faut, ma Fille, tenir un milieu avec les Sœurs: ne leur laisser rien passer de considérable ; car ce leur serait un titre pour se mettre comme en possession de mal faire. Du reste, c'est un grand sujet de nous humilier, lorsque nous commettons des fautes nous-mêmes en reprenant celles des autres ; mais il n'en faut pas moins faire son devoir : ce n'est pas nous, c'est la charge, c'est l'ordre de Dieu qui doit agir; c'est Dieu même par conséquent, et nous ne faisons que lui prêter ministère.

Si nous étions bien persuadés de notre extrême faiblesse, nous ne serions pas si étonnés lorsque nous tombons dans des fautes, et je vous avertis que dans la description que nous en faisons, il s'y peut souvent mêler beaucoup d'amour-propre, qui attire insensiblement un certain découragement ou une espèce de chagrin. Ne vous arrêtez pas à éplucher tout avec inquiétude : mais quand votre conscience vous avertira d'une faute bien véritable, tournez-

 

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vous à Dieu eu lui disant : Hé bien, Seigneur, quelle merveille qu'une pécheresse pèche ? Soutenez-moi, je vous en prie ; autrement je ferai toujours de même. Cela dit, demeurez humiliée, et non troublée devant lui, et il viendra à votre secours quand vous y penserez le moins. Seulement soyez fidèle à vos exercices, et à la fréquentation des sacrements, surtout de ce grand sacrement de l'Eucharistie où est toute notre force. Notre-Seigneur daigne vous donner une bonne année.

 

LETTRE LXXIV.  QUESTIONS FAITES PAR MADAME DU MANS,  AVEC LES RÉPONSES DE BOSSUET. Ce 30 mars 1695.

 

Première demande. Quand on a reçu pour pénitence en confession d'offrir à Dieu toutes les bonnes actions de sa vie, toutes celles de la règle que l'on a embrassée, peut-on, Monseigneur, recevoir plusieurs fois cette même pénitence de différents confesseurs, et à plusieurs confessions même générales?

Réponse. Quand c'est le même confesseur, il faut croire qu'il n'a dessein que d'inculquer davantage cette obligation, qui d'ailleurs est de droit divin et naturel dans son fond : quand c'est un autre confesseur, il faut l'avertir afin qu'il s'explique.

Seconde demande. Quand on craint d'abuser des grâces de Dieu, peut-on dans cette vue-là le prier de nous en faire moins, afin d'être moins coupable; et ne se la rend-on point de se priver de ces grâces particulières si volontairement?

Réponse. Ce serait un mauvais motif, qu'il ne faut jamais avoir. Quand les saints ont dit : C'est assez, c'était des grâces de douceur et de sensibilité, comme contraires souvent à l'esprit de la croix.

Troisième demande. Ne se trompe-t-on point quand les touches de Dieu font verser des larmes, lorsqu'on se trouve encore sensible

 

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aux créatures, et qu'à leur occasion on en verse ? Il me semble que les premières devraient tarir les secondes.

Réponse. C'est faiblesse d'être si sensible pour les créatures : mais il ne s'ensuit pas que ce soit tromperie de s'abandonner aux mêmes impressions pour les choses de Dieu : ce qui est imparfait n'est pas toujours faux pour cela.

Quatrième demande. Peut-on se distraire et se dissiper volontairement, quand une certaine application à Dieu cause quelque mal de tête ; et dans la crainte de devenir infirme, ne pas aller aussi loin que semblent le demander les vues que nous croyons que Dieu nous donne?

Réponse. Cela se peut et se doit.

Cinquième demande. Quand on se sent dans l'abattement du corps et de l'esprit, et qu'on ne saurait discerner si c'est paresse, dégoût des choses de Dieu, tentation, négligence ou infirmité, fait-on autant de fautes devant Dieu que cet état-là nous le donne à croire, et faut-il le dire au confesseur?

Réponse. Ce ne sont pas là toujours des fautes : il n'est pas besoin de les confesser, ni encore de s'en faire de scrupule. Il y a bien des choses qu'il n'est pas besoin de trop pénétrer. Il faut toujours s'humilier devant Dieu, mais non toujours se livrer à l'anxiété de se confesser.

Sixième demande. Est-il plus parfait dans les peines intérieures et extérieures de s'abandonner à Dieu, sans en demander du soulagement ou la délivrance, quoique avec soumission à sa volonté ; et n'y a-t-il point de la témérité à les vouloir porter sans le soulagement d'un directeur ou d'une amie confidente?

Réponse. Cela dépend des occasions qu'on a de traiter avec un sage directeur, et des circonstances particulières. Il y a beaucoup de choses à traiter entre Dieu et soi, sans y admettre un tiers, qui souvent fait un embarras.

Septième demande. Quand la nature se sent plus contrariée d'une chose que d'une autre, et qu'on a vu que Dieu demande qu'on fasse choix de celle qui nous fait peine, est-ce, Monseigneur, une

 

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faute de ne pas suivre cette vue? L'on nous dit que toutes ces pensées-là ne sont pas des inspirations, comme nous le croyons.

Réponse. Ces vues particulières ne sont pas des règles : il y faut fort peu adhérer, et agir bonnement avec Dieu qui est la bonté même.

Huitième demande. Peut-on faire servir la lecture que nous faisons faire à nos enfants, pour celle que la règle nous prescrit ? Ce ne sont pas de celles à qui l'on apprend; j'entends celles qui le savent parfaitement.

Réponse. Cela se peut ; et encore qu'on n'apprenne rien de nouveau, c'est toujours beaucoup de renouveler et comme rapprendre de nouveau, en se mettant au rang des enfants.

Neuvième demande. Doit-on, sans votre permission, se faire donner par les confesseurs, des pénitences extraordinaires, dans des temps de ferveur qui prennent?

Réponse. On le peut, avec discrétion et circonspection.

Dixième demande. Quand une supérieure a ordonné quelque chose qu'on n'approuve pas, quoiqu'on veuille bien obéir, il se fait un murmure et un caquet intérieur qui se soulève contre elle et contre ce qu'elle ordonne : cela est-il mal, et l'obéissance est-elle désagréable à Dieu?

Réponse. Ce murmure est le plus souvent involontaire, et de ceux qu'il faut laisser écouler comme l'eau, sans s'entêter à le combattre.

Onzième demande. Lorsqu'une personne vous a fâché et vous a fait peine, quoiqu'on réprime ce mouvement en se taisant, l'intérieur étant troublé et ne pouvant empêcher le trouble ni dans l'oraison ou autres prières, est-on coupable devant Dieu? Est-ce une faute dont il faille se confesser et qui doive empêcher la communion?

Réponse. J'en dis autant que du précédent article.

Douzième demande. Puis-je sans scrupule préférer les besoins ou instructions de mes novices à mes lectures spirituelles, que

 

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vous savez que notre sainte règle nous prescrit chaque jour, quand l'on a aussi peu de temps et chargée comme je la suis?

Réponse. Vous le pouvez sans scrupule et vous le devez, Dieu l'aura fort agréable.

Treizième demande. J'aurais bien souhaité que vous eussiez la bonté de me fixer le temps où il vous plaît que je fasse la lecture des évangiles que vous m'avez donnés pour pénitence à lire pendant quinze jours.

Réponse. Il faut tâcher de n'avoir plus rien à me dire sur les pénitences que j'ai données, après la chose faite, parce que pour plusieurs raisons je n'y puis rien ajouter ni diminuer.

Quatorzième demande. Il faut vous avouer que tout ce qui me consolait le plus, et où je trouvais de l'onction et du goût, me fait peur, et je crains de m'y ennuyer : je ne sais ce que je vais devenir, Monseigneur. Oh ! que le salut me paraît difficile aujourd'hui! Ne rien faire pour Dieu, n'être qu'importune à son pasteur, et être insupportable à soi-même : enfin, Monseigneur, que devient-on dans un tel état? Je n'ai presque plus d'espérance d'aucun côté. Vous nous avez dit dans votre exhortation que celui-là aime davantage à qui on a plus remis, et que celui-là aime moins à qui on a moins remis : je crains donc que tous mes péchés ne me soient point remis, puisque je n'aime point, et que je ne gagnerai pas le jubilé, puisque je me sens déjà toute désespérée. Enfin je n'ai point coutume d'être comme je suis : d'où cela peut-il venir? J'ai la cervelle toute renversée; de sorte que j'oublie que j'abuse de votre patience. Je vous en demande mille pardons, et mille fois je me prosterne devant vous, Monseigneur, pour vous conjurer d'avoir pitié de moi. Ce n'est pas manque de vénération et de respect, que je vous dis tout ceci : je vous honore et chéris plus que jamais, et vous promets en tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner une parfaite soumission, etc.

Sœur Du Mans.

Réponse. Quoi, vous pensez à ce que vous allez devenir ! Est-ce là comme vous vous abandonnez à Dieu?

 

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Vous avez peur que le temps des consolations ne soit passé. Qui vous a dit les desseins de Dieu, et comment osez-vous entrer dans ses conseils? Recevez humblement ce qu'il vous donne, et ne pensez point à ce qu'il veut faire que lorsqu'il lui plaît de se déclarer.

Ma Sœur Cornuau est ici : je lui ai dit l'état des choses et vos bonnes volontés : du reste votre bonne et prudente abbesse fera ce qu'il lui plaira. Si c'est par rapport à moi qu'elle change et qu'elle vacille, je crains qu'elle n'en réponde un jour à Dieu : quant à moi j'ai dit ce que j'ai à dire, et n'y ajouterai pas une syllabe. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXV.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 4 et 5 janvier 1695.

 

Reprenez vos communions : demandez pardon à Dieu de les avoir interrompues. Pour vos novices, tenez-les autant que vous pourrez entre le désir et la jouissance : ménagez-leur les consolations comme les peines ; servez-vous de la faim de communier dont quelques-unes vous paraissent pressées, pour les engager à devenir humbles : faites-leur dire Magnificat toutes ensemble dans le noviciat, et dites-le avec elles.

Je vous vois, ma Fille, trop étonnée quand vous tombez en quelque faute : humiliez-vous, encouragez-vous, mettez votre confiance en Dieu seul, et demeurez en repos. Je trouve très-bon que vous parliez à celles des novices qui ont été sous votre charge. Pour les abstinences, après l'âge de sept ans je m'en rapporte aux médecins : avant cela, il ne faut point en être en peine. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE LXXVI. A MADAM E DE LUYNES. A Meaux, ce 4 janvier 1695.

 

Quoi, ma Fille, tant d'éloquence avec un si beau présent 1 C'en est trop, et je ne puis y répondre. Je remettrai en effet la réponse à demain; mais je ne puis tarder davantage les remercîments que je dois à un secrétaire dont le mérite est si rare et brille avec tant d'éclat; qui m'a toujours honoré d'une affection si distinguée, comme j'ai toujours eu pour lui tant d'estime et de confiance.

 

LETTRE LXXVII.  A MADAME DU MANS. A  Meaux,  ce  13 janvier   1695.

 

Je suis bien aise, ma Fille, que tout se soit bien passé, et que Madame soit aussi contente de la communauté que la communauté d'elle : c'est ainsi qu'il faut agir. Plus elle montre de bonté et de confiance, plus il faut avoir de complaisance et de soumission ; et ce sera là ma joie. Je me réjouis en particulier avec nos Filles : apprenez-leur bien qu'elles doivent prendre un autre esprit que celui qui a régné jusqu'ici parmi les Sœurs à Jouarre. Travaillez à le déraciner, et concourez en cela avec tous les bons desseins de Madame votre abbesse. La soumission est le principal ; la fidélité à la maison est le second point ; la paix et la concorde, le troisième. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE LXXVIII. A  MADAME DE  LUYNES. A Meaux, ce 13 janvier 1695.

 

Le récit que vous me faites me ravit : le comble de ma joie, c'est de voir cette parfaite union ; une digne abbesse contente, et une communauté également satisfaite. Vous voyez, ma Fille, que Dieu aime Jouarre. Vous en faites un ornement principal, et je vous y vois honorée et chérie de tout le monde. Je suis ravi quand j'entends Madame l'abbesse parler de vous comme elle fait : mais vous avez encore plus le solide que tout le reste. Je vous rends grâces de votre lettre, et suis à vous, ma Fille, comme vous savez.

 

LETTRE LXXIX.  A  MADAME   DU   MANS. A Paris, ce 19 janvier 1695.

 

Prenez, ma Fille, un soin particulier de vos Filles qui sont à recevoir : faites-leur promettre d'entrer dans un esprit de soumission particulière, et de se gouverner par la règle et l'obéissance, et non point par les exemples.

Vous pouvez dire à Madame d'Albert que j'ai fort approuvé vos vues sur les vœux, et que j'en ai écrit à Madame comme de moi-même. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXX.  A MADAME DU MANS. A Paris, ce 28 février 1695.

 

Je ne suis point d'avis, ma Fille, que vous remettiez voire office à Madame votre abbesse. Considérez ce que c'est que de travailler pour les âmes : on regagne avec usure d'un côté ce qu'on croit perdre de l'autre. Il faut préférer à tout, excepté à l'obéissance,

 

 

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le bonheur de n'avoir à songer qu'à soi. Continuez à bien instruire vos Filles sur les points que je vous ai marqués. Dites sincèrement vos sentiments sur celles qui sont à recevoir : dans le doute, inclinez par charité à la réception. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXXXI.  A MADAME DE LA GUILLAUMIE.  A Paris, ce 25 avril 1695.

 

Etant revenu ici, ma Fille, où j'ai trouvé parmi mes papiers votre lettre du 12 avril, je vous y fais réponse sur-le-champ; et je vous prie de m'excuser sur la peine que vous aura donné un billet de moi à ma Sœur Cornuau, où j'avais confondu cette lettre de vous avec quelques autres.

Ce que vous avez à faire à l'égard de votre novice, c'est premièrement, comme je crois vous l'avoir dit, de lui faire envisager les obligations de son état en lui-même, selon la règle et sans aucun égard à tous les exemples qu'elle verra, en quelque lieu et en quelque personne que ce soit, parce qu'elle ne sera pas jugée selon les exemples, mais selon les règles qui sont dictées par le Saint-Esprit, approuvées de toute l'Eglise et conformes à l'Evangile. Secondement, mettez-lui bien dans l'esprit cette parole du Psalmiste : « Ecoutez, ma Fille, et voyez ; oubliez votre peuple et la maison de votre père (1). » Dites-lui bien qu'un des grands obstacles à la grâce que Dieu veut faire aux personnes de sa naissance qui se consacrent à Dieu, c'est de s'occuper, pour peu que ce soit, de leur extraction : car une chrétienne doit croire qu'il n'y a rien dans sa naissance qui ne soit à déplorer, et qu'elle doit compter pour sa véritable naissance sa seconde nativité par le baptême, où l'image de Dieu, qui fait toute la dignité de la créature raisonnable, a été réformée et renouvelée.

C'est à cette condition, et par le mépris de tous les avantages que la faiblesse humaine veut imaginer clans les naissances que le

 

1 Psal., XLIV, II.

 

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monde appelle grandes, qu'elle acquerra une beauté intérieure très-cachée, qui fait ajouter au Psalmiste : « Et le roi désirera votre beauté. » Ce roi, c'est Jésus-Christ, le vrai Roi de gloire, mais qui a mis sa gloire et sa beauté dans l'humilité et dans la bassesse. Il ne peut être touché que de ce qui lui ressemble ; et le moindre acte d'humilité vaut mieux pour une âme chrétienne que tout l'éclat du monde, qu'il faut oublier entièrement, et dont il faut perdre autant qu'on peut toute l'idée, selon ce que dit le Psalmiste : Obliviscere : « Oubliez. » Il ne dit pas : Faites-en peu d'état ; mais : Oubliez, comptez tout cela comme n'étant pas et n'ayant jamais été, parce qu'en effet ce n'est rien. Et pour effacer cette idole trop inhérente dans les esprits, il est bon de faire des actes d'humiliation, tels que les feraient les servantes : mais le secret est de les faire dans l'esprit d'un véritable dépouillement, ne s'estimant pas plus que si en effet on était né dans la plus basse condition, à cause, encore un coup, que tout ce qui n'est pas Dieu et ne nous approche pas de Dieu, est un rien et moins qu'un rien, puisqu'il ne sert qu'à nous faire pécher et à nous enorgueillir : ce qui est la chose du monde qui déplaît le plus à Dieu ; ce qui aussi lui fait dire par la bouche de son Prophète : « Pourquoi vous glorifiez-vous, terre et cendre?» En voilà assez pour cette fois : une autre fois, quand Dieu le donnera, nous en dirons davantage.

Pour ce qui est de votre oraison, laissez là Malaval et tous les maîtres humains, si vous voulez que le Saint-Esprit vous enseigne au dedans. C'est lui qui vous apprendra ce silence de paroles et de pensées qui consiste à se tenir devant Dieu dans le vrai esprit de la foi, qui est .sans doute une pensée, mais une pensée très-simple, qui en produit d'autres aussi simples qu'elle, qui sont l'espérance et l'amour. Quant à la sécheresse où l'on tombe dans la cessation de l'attrait, il ne faut point s'en étonner ; mais aller son train avec Dieu, se réduisant à la simple obscurité de la foi, et s'enfonçant dans son pur néant où l'on trouve Dieu.

Je suis très-aise de vous voir peinée de l'inutilité des discours : c'est ce qui vous doit attirer à parler beaucoup à Dieu, et à ne parler aux créatures qu'autant que l'obéissance et la charité le

 

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demandent. La bienséance fait une partie de la charité, parce que la charité, autant qu'elle peut, ne veut fâcher personne. Pour celles qu'il faut fâcher en les reprenant, c'est un grand don de Dieu de le bien faire. Il faut bien se garder de mollir, ni de leur faire des excuses : car ce serait détruire l'ouvrage de la correction, mais l'accompagner de toute humilité et douceur. Et loin que la mauvaise disposition de celles qui la reçoivent mal doive éloigner de prier, c'est un nouveau sujet de prier. Car lorsque ceux à qui nous parlons de la part de Dieu ne nous écoutent pas, c'est alors qu'il faut parler à Dieu pour eux, et le prier de nous donner le véritable esprit de charité dans la répréhension. Pour ce qui est de cesser de les reprendre, il ne le faut faire qu'à l'égard des incorrigibles, et encore quand on y voit de l'orgueil ; et en même temps leur faire entendre que si on les reprend moins, ou qu'on cesse de les reprendre tout à fait, c'est un grand sujet de tremblement pour eux, puisque leur état en ce cas ne diffère en rien de celui d'un malade abandonné par les médecins, à qui l'on ne donne plus de remèdes, ou à qui l'on n'en donne guère. Il faut qu'ils sentent qu'on est toujours prêt à les leur rendre avec autant de charité et de patience que jamais, pour peu que le sentiment et la santé leur reviennent : et quand on en est réduit à ne leur plus parler, c'est une raison de se rejeter dans ce silence intérieur, afin que Dieu parlant en nous, nous ne parlions plus que par son esprit.

Je vous dirai encore un mot sur le sujet de Malaval; c'est que son livre a été condamné à Rome, et que peut-être je serai obligé de le condamner moi-même pour plusieurs excès, et entre autres, parce qu'il éloigne de Jésus-Christ et de sa sainte humanité. Il ne laisse pas d'y avoir quelques bonnes choses dans son livre, mais si mêlées que la lecture n'en peut être que dangereuse. Ne vous étonnez pourtant pas du goût que vous y avez trouvé, car Dieu se sert de qui il lui plaît : il suffit de laisser là les livres mêlés de bien et de mal, quand on en est averti.

Ma Sœur Cornuau peut vous laisser ses papiers ; je lui en donne une entière liberté. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

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P.S. Si vous avez la Vie de saint François de Sales par M. de Maupas, évêque du Puy, lisez la page 42 et suivantes, de l'abrégé de l'esprit intérieur ; vous verrez qu'il dit mieux que Malaval.

 

LETTRE LXXXII.  A MADAME DE LA GUILLAUMIE. A Paris, ce 6 mai 1695.

 

Ne soyez point en peine de votre oraison, ma Fille : elle est très-bonne, comme vous me l'avez exposée ; et si Malaval vous instruisait en quelques endroits, Dieu, qui vous instruisait bien, vous en a fait prendre ce qui était bon, et il a béni selon sa coutume vos bonnes intentions. Vous n'avez rien à dire à personne sur ce sujet ; et mon Ordonnance, que j'enverrai lundi de Meaux, vous instruira toutes. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXXIII.  A  MADAME   DE   LUSANCI. A Germigny, ce 17 mai 1695.

 

Il est vrai, ma Fille, que les péchés véniels n'ont pas causé la mort à Jésus-Christ : mais outre qu'ils sont par d'autres endroits haïssables en eux-mêmes, ils ont encore ceci de malin, que faits volontairement ils disposent au péché mortel, et peuvent de ce côté-là avoir rapport à la mort du Sauveur des âmes : du moins on ne peut douter qu'ils n'aient pu ajouter quelque augmentation à ses peines, puisque c'est par le mérite de son sang qu'ils sont remis. La confession de ces péchés, faite avec les dispositions convenables et surtout avec un désir sincère de s'en corriger, produit l'accroissement de la grâce sanctifiante et des secours actuels pour les éviter.

 

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LETTRE LXXXIV.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 27 mai 1695.

 

On a bien parlé de vous à Germigny ; on y a vu de vos lettres : on vous y désirait d'un côté, de l'autre on préférait les solitaires. Il ne faut point s'embarrasser des actes : il y a un article qui doit tirer de peine celles qui les veulent faire trop méthodiques, trop arrangés et trop formels. Ne soyez en peine de rien sur cela : votre oraison doit être simple, du cœur et non de l'esprit, et plus humble que délectable. Abandonnez vos infidélités à la miséricorde de Dieu, et vivez en paix.

Régulièrement parlant, le plus sûr pour les dispenses, comme pour le reste, c'est de s'en tenir à l'obéissance. Je ne trouverais pas mauvais que vous vous en affranchissiez quelquefois sur le sujet des dispenses, quand ces deux choses concourent ensemble : l'une, que vous vous soyez assurée qu'il n'arrivera aucun accident ou inconvénient à la santé ou autrement, pour s'être tenu à la régularité; l'autre, que vous voyiez clairement qu'on relâche de l'obligation du maigre et du jeûne plutôt par une espèce d'inadvertance qu'avec une attention sérieuse. Dans le doute, prenez le parti de l'obéissance. Pour le reste, le temps viendra ; et il vaut mieux avoir patience que de tout pousser à bout en précipitant. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXXV.  A MADAME DE LUSANCI. A Meaux, ce 10 juin 1695.

 

Il est vrai, ma Fille, que M. l'abbé votre frère m'a prié de la part de toute la famille, d'inviter Madame votre abbesse à vous mener à Lusanci : mais je lui ai répondu fort franchement que c’était chose peu convenable que je prévinsse, et que tout ce

 

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qu'on pouvait attendre de moi, c'était de permettre. Je sais vos sentiments là-dessus, aussi bien que ceux de Madame voire nièce. Je ne vous dissimulerai pas, à présent que les choses sont faites, que je n'eusse été bien aise de vous voir avec les autres : mais il ne m'arrivera jamais de prévenir là-dessus, et je ne croirais pas obliger celles pour qui je ferais ces avances. Je ne saurais assez louer l'amour que vous avez, et que vous inspirez à Madame votre nièce pour la clôture. Hélas ! Dieu nous échappe assez par notre faiblesse, sans que nous allions encore nous échapper davantage. Fuyons, fuyons, cachons-nous ; fuyons les saints mêmes que nous ne trouvons pas dans le clos sacré de l'Epoux. Notre-Seigneur soit avec vous.

+  J. Bénigne, év. de Meaux.

P. S. J'ai depuis reçu votre lettre par le P. Bérard : je n'ajoute rien pour la sortie. Les entretiens utiles sur les choses fâcheuses sont bons : ceux de décharge sont meilleurs étant supprimés.

Quand vous aurez des personnes de naissance à proposer pour Jouarre, j'en ferai très-volontiers la proposition sur votre parole, sans vous y mêler qu'autant que vous voudrez. Pour celle-ci, je ne la connais en aucune sorte ; et quelque obligé que je sois à Madame de Jouarre de la bonne réception qu'elle lui a faite, je ne m'y intéresse pas davantage, sans pourtant lui vouloir nuire. J'approuve fort la préférence donnée aux personnes de naissance qui ont de bonnes dispositions, dont l'éducation est meilleure, et souvent les besoins plus grands d'une certaine façon.

 

LETTRE LXXXVI.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 10 juin 1695.

 

Je n'approuve point du tout que vous ayez remis votre obédience. Je vous admire de vouloir qu'on vous règle en tout, et cependant, ma Fille, de faire des choses si importantes sans en dire un mot. Sachez que dans la vie spirituelle il ne faut jamais

 

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rien donner à la peine. Si vous alliez un peu mieux votre droit chemin, vous songeriez plutôt à avancer toujours devant vous qu'à tant réfléchir sur vous-même. Je ne dis pas qu'il ne faille examiner ses dispositions, mais ce n'est pas pour abandonner les emplois où Dieu nous a mis. Puisque cela est fait, attendez l'ordre de Madame votre abbesse, et ne répliquez seulement pas.

J'approuve bien que cette bonne Fille fasse la règle le mieux qu'elle pourra, mais non qu'elle s'y astreigne par vœu. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXXXVII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 17 juin 1695.

 

J'ai vu à Meaux un moment cette sainte et humble servante de Dieu, qui m'a paru fort pressée : ainsi je n'ai pas compris qu'elle eût rien à demander. C'est au retour, en venant ici, qu'on m'a rendu vos lettres. Je m'en vais demain en visite, et je ne sais, ma Fille, quand je reviendrai précisément. Cette bonne fille vous trouve bien précipitée : cependant toute la vertu consiste à attendre les moments de Dieu, et à porter avec patience ce qu'on ne peut empêcher. Vous avez bien fait de demeurer dans votre obéissance. Agissez en conscience dans le rapport que vous faites des filles, et puis abandonnez tout à la Providence. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXXVIII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 1er juillet 1695.

 

Je suis très-touché de la mort de Madame de la Grange : je la recommande à Notre-Seigneur. Je suis arrivé depuis lundi, et je n'ai eu qu'aujourd'hui le temps d'écrire.

Songez, ma Fille, que la sécheresse est un des moyens dont

 

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Dieu se sert pour nous réunir à lui, en nous faisant perdre toute espérance en nous-mêmes.

Ne réitérez jamais vos confessions : quand vous avez fait un examen sérieux durant un petit quart d'heure, abandonnez tout le reste à la miséricorde de Dieu. Quand dans un doute raisonnable vous vous croyez obligée de recommencer, si la matière est grave, marquez la faute comme oubliée dans la confession précédente. J'appelle doute raisonnable celui où l'on a une espèce de certitude de n'avoir pas confessé un certain péché : le reste doit être à l'abandon. Il n'est pas nécessaire d'en faire la confession au même. Laissez croire au confesseur ce qu'il lui plaira, et ne vous inquiétez pas quand vous ne serez pas connue : il est bon pourtant que vous la soyez.

Je crois qu'en l'absence de Madame l'abbesse vous aurez pu exécuter ce qu'a souhaité de vous Madame de Sainte-Dorothée. Je trouve bon que vous payiez les petites dépenses pour les lettres. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LXXXIX. A MADAME  DU MANS. A Paris, ce 16 juillet 1695.

 

Jouissez, ma Fille, en paix et en soumission de la grâce que Dieu vous a faite à la dernière confession ; mais ne vous y arrêtez pas de manière que vous abandonniez vos communions, si cette onction vient à vous manquer : je m'en charge de bon cœur devant Dieu. Quanta cette bonne personne, je lui aurais donné tout le temps qu'elle eût voulu, si elle n'eût paru si pressée. Notre-Seigneur en a disposé autrement. J'aurai soin de faire rendre à Madame d'Albert l’ Ordonnance qu'elle vous a donnée pour elle. Je m'offre à Dieu de tout mon cœur, pour prendre tous les soins nécessaires pour établir à Jouarre le règne de Dieu. Je le prie d'être avec vous à jamais.

 

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LETTRE XC.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ces 13 août et 25 septembre 1695.

 

Je crois, ma Fille, que Dieu vous inspire la prière que vous voulez faire, et je vous l'ordonne de bon cœur. Conformez-vous à l'obéissance, et contentez Madame l'abbesse. Il n'y a guère d'apparence au voyage que je méditais avant la fête. Je ne vous oublierai pas au saint autel au jour du prochain triomphe. Puissiez-vous être une vraie fille de l'Assomption (a), élevée au-dessus du monde et toute abîmée dans la gloire de Jésus-Christ par l'espérance, en attendant la jouissance.

Je suis bien aise, ma Fille, de voir dans votre lettre du 22 août les dispositions de Madame votre abbesse pour contenir les Sœurs, et la consolation que vous a donnée le chapitre qu'elle a tenu sur ce sujet. Sur l'observance dont vous me parlez, je m'en rapporte à votre sentiment et à la décision de Madame l'abbesse. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, et je vous bénis en son saint nom.

 

LETTRE XCI.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 30 septembre 1695.

 

N'hésitez point, ma Fille, faites votre charge; n'engagez point votre conscience, en vous retirant ou vous taisant, quand il faut que vous parliez, ou parlant contre votre pensée. Il ne faut point pour cela demander votre décharge; demeurez dans l'obéissance: vous pouvez dire seulement avec beaucoup de respect qu'on vous ôte de votre place, si on ne vous laisse point parler librement, et qu'on ne se donne pas à Dieu pour lui manquer. Pour le surplus, j’écris à ma Sœur Cornuau comme vous le souhaitez. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

(a) Elle s'appelait Sœur de l’Assomption.

 

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LETTRE XCII. A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 8 octobre 1095.

 

Je plains Jouarre; et il est vrai, mes Filles, que ce que j'y perds (a) m'y faisait trouver beaucoup de consolation : mais vous pouvez vous assurer que ma considération ni mes soins ne diminueront pas par cette retraite. Ma conscience et la volonté de Dieu sont mon unique règle. Je suis à vous, mes Filles, comme vous savez, et je ne vous manquerai jamais, ni à pas une de mes Filles : assurez-les-en comme si je les nommais toutes en particulier.

 

LETTRE XCIII.  A MADAME DE LUYNES. A Germigny, ce 12 octobre 1695.

 

Je ne crois pas, ma Fille, que vous deviez différer d'envoyer votre procuration. J'avoue que c'est un nouveau pas, et que c'en sera un bien plus grand de partir ; car le retour sera presque impossible, et les religieuses de Vilarseaux emploieront tout pour vous retenir. Quelle raison leur pourra-t-on dire qui ne soit très-désobligeante? Je n'en envisage presque point. Cependant je crois qu'il faut partir, et que Dieu le veut. Je n'y sais point autre chose, que de prendre pour marque de sa volonté les conjonctures inévitables selon la prudence et les conseils des gens sages, et surtout de ceux à la conduite de qui Dieu vous a soumise. Allez donc avec le mérite de l'obéissance. Quand il faudrait revenir, Jouarre ne serait pas pour cela votre pis aller, puisqu'on voit que vous n'en partez que pressée et presque violentée par votre famille, à qui le moins que vous puissiez accorder, c'est de reconnaître et

 

(a) Les dames de Luynes qui y étaient religieuses, et qui paraissaient devoir bientôt quitter Jouarre pour aller à Vilarseaux. Ce projet n'eut pas lieu; mais deux ans après l'aînée fut faite prieure de Torci, dans le diocèse de Paris, où sa sœur madame d'Albert la suivit. (Les édit.)

 

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d'éprouver. Quant à vos nouvelles religieuses, la raison de votre santé, qu'on sait être délicate, sera suffisante et n'aura rien de choquant. Madame de Notre-Dame de Soissons, qui a été, quoique en passant, dans ce monastère, dit qu'il est fort beau et la communauté très-réglée, mais que la situation dans un fond n'est pas agréable : l'air pourrait ne vous être pas bon ; mais le dire sans épreuve, ce serait montrer trop de répugnance à une chose qui vous est offerte si obligeamment. Enfin donc, ma Fille, il faut disposer toutes choses pour partir, et sacrifier vos répugnances aux ordres de Dieu, qui sait ce qu'il en veut faire. Vous verrez le reste dans la lettre à Madame d'Albert. Ne vous engagez ni pour la Sœur de l'Assomption ni pour Saint-Placide : je ne vois rien de faisable dans leurs projets.

 

LETTRE XCIV. A MADAME  DE  LUYNES. A Germigny, ce 18 octobre 1695.

 

Je crois, ma Fille, qu'il n'y a plus à délibérer : l'attrait invincible que Dieu vous rend pour demeurer dans l'humilité d'une vie privée et obéissante, est un grand don de sa grâce, et vous devez suivre l'instinct que vous avez d'y persévérer. Dieu n'a permis ce qui est arrivé que pour donner lieu à la réflexion que vous avez faite sur le poids de la supériorité. Vivez donc dans la soumission : prenez unis ferme résolution de n'écouter plus rien qui vous en tire : prenez les moyens les plus efficaces pour être plus que jamais retirée et dans le silence; vous y connaîtrez Dieu mieux que jamais. J'écris à M. le duc de Chevreuse, qui cédera à mes raisons, et fera entrer dans nos sentiments Madame la duchesse de Luynes. Ecrivez-lui vos sentiments en toute simplicité : priez-la de remercier Madame l'abbesse de Saint-Cyr et ces saintes religieuses, qui vous ont tant désirée. Dieu sera avec vous, et vous ferez sa volonté. Je salue Madame votre sœur, et suis à vous dans le saint amour de Notre-Seigneur.

Pardonnez-moi mon brusque départ d'hier : je voyais le temps

 

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s'avancer, et je ne voulais pas me mettre comme la dernière fois dans la nuit, où je courus risque de verser : d'ailleurs je n'avais rien à vous dire encore, et il me fallait le peu de temps que j'ai pris pour me déterminer.

 

LETTRE XCV.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ces 22 octobre et 7 novembre 1695.

 

On ne doit point retirer un confesseur du confessionnal, ni en quelque manière que ce soit interrompre la confession sans une extrême nécessité.

Si la communion accordée extraordinairement à quelques-unes des Sœurs trouble la paix des autres au point que vous me le dites, il vaut mieux, ma Fille, rendre la chose égale.

Pour vous, allez toujours en simplicité : ne vous défiez point de Dieu : abandonnez-vous à lui. Tout le bien vient de lui, et lui seul peut empêcher le mal qui viendrait de nous naturellement. A lui soit honneur et gloire dans tous ses saints.

 

LETTRE XCVI.  A MADAME DE LUYNES. A Meaux, ce 23 octobre 1695.

 

Vous êtes heureuse, ma Fille, si vous persistez dans le dessein que vous avez pris par un véritable amour d'une vie particulière et très-retirée. Si vous sentez dans votre cœur quelque autre motif, quel qu'il soit, de la répudiation de la supériorité qu'on vous offre, purifiez votre cœur ; et cachée en Jésus-Christ le reste de votre vie, songez à ne paraître qu'avec lui. Heureuse, encore une fois, trois et quatre fois heureuse, et plus heureuse que si l'on vous donnait les plus belles crosses, de posséder votre âme en retraite et en solitude, sans être chargée de celle des autres. C'est ce que Dieu demande de vous, et il me le fait sentir plus que jamais.

 

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LETTRE XCVII.  A  MADAME DU   MANS. A Meaux, ce 20 décembre 1695.

 

L'ordre de l'Eglise était anciennement de recevoir la confirmation avant la communion : c'est encore aujourd'hui son esprit, puisqu'elle fait donner la confirmation à sept ans, et qu'elle diffère la communion jusqu'à dix ou douze, ou plus. Il n'y a que la nécessité qui dispense de ces règles : vous pouvez là-dessus prendre votre résolution.

 

LETTRE XCVIII.  AUX RELIGIEUSES DE JOUARRE. A Meaux, ce 5 janvier 1696.

 

Tout ce qui part de vos mains, mes Filles, est agréable et béni de Dieu. Je reçois de bon cœur votre agape, comme sortie de la crèche de Bethléem. Je révère l'illustre abbesse qui a bien voulu paraître à la tête de vos signatures. Je réputé pour très-présente celle qui a signé sans y être. J'honore la sainte assemblée, et j'assure le secrétaire d'une reconnaissance particulière.

 

LETTRE XCIX.  A MADAME DU MANS. A Paris ces 11 et 25 février 1696.

 

Croyez-moi, ma Fille, rendez-vous à l'obéissance pour l'abstinence et le jeûne du carême : n'hésitez pas, et non-seulement pour cela, mais encore pour le double office. Mesurez vos forces ; Dieu ne veut pas que vous vous laissiez accabler. Pour les maladies, il est le maître ; mais de son côté il faut faire ce qu'on ordonne pour les éviter. De croire que quand elles viennent on

 

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ne les ait pas naturellement en horreur, c'est une erreur : cette horreur en fait souvent le mérite. Je prie Dieu pour votre santé ; mais je prie Dieu en même temps qu'il vous fasse dire : Non ma volonté, mais la vôtre.

On me mande, ma Fille, que vous êtes fort peinée des maladies, et que vous voudriez choisir toute autre croix que celle-là. Mais Jésus-Christ n'a pas eu le choix de la sienne. Il est dans les malades, et c'est à lui à nous crucifier à sa mode : car il a vu toutes nos croix dans son agonie, et il les a toutes bénies. Je le prie pourtant qu'il allège votre fardeau, du moins en le portant avec vous.

 

LETTRE C.  A  MADAME DU MANS. A Meaux, ce 23 avril 1696.

 

J'ai cru, ma Fille, que la résolution que j'ai donnée à Madame d'Albert sur les scrupules causés par les sermons du prédicateur, satisferait à toutes les peines de celles qui en avaient été inquiétées : il n'y a sur tout cela qu'à se tenir en repos. Vous en revenez trop souvent aux peines de vos confessions passées : il les faut entièrement éloigner. S'il fallait raisonner avec un chacun sur le temps qu'on donne aux autres, on ne finirait jamais : on donne le temps selon les besoins. Soyez en paix.

 

LETTRE CI.  A  MADAME  DU MANS.  A Germigny, ce 12 mai 1696.

 

Pour vous ôter tout scrupule sur le sujet de la remise de votre volonté à Madame de Saint-Michel, en voici, ma Fille, les conditions.

Je ne prétends pas vous tenir toujours dans cette condition, mais tant que le médecin jugera que vous serez au rang des infirmes.

 

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J'oblige Madame de Saint-Michel à prendre l'avis du médecin, quand on en aura le loisir ; et ce n'est que quand on n'a pas un moyen aisé de le consulter, que je vous ordonne de lui obéir.

Cet ordre n'est pas seulement pour les jeûnes et les abstinences de la règle, mais encore pour celles de l'Eglise. Voici bientôt la semaine des Rogations, qui sera presque toute d'abstinence : les vendredis et les samedis peuvent causer de grandes incommodités, et reculer la parfaite guérison. Il n'y a pas moyen de vous entendre tant raisonner : encore un coup, rompez votre volonté et obéissez.

Vous êtes dans le cas de dire avec David : « Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous y êtes aussi présent, et votre main me guide partout (1).» Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CII.  A  MADAME DU  MANS. A Germigny, ce 12 mai 1696.

 

Il n'est pas besoin, ma Fille, de demander pardon à celui que vous n'avez point offensé. Si je me fâche, c'est pour vous, parce que je vois que par vos raisonnements vous mettez un obstacle à l'œuvre de Dieu. Je ne vous permettrai jamais de recommencer vos confessions, pas même à l'heure de la mort, si je vous voyais inquiète et angoissée. Il faut finir en cherchant et en mettant son repos dans la miséricorde de Dieu et dans le sang de son Fils : c'est par là qu'on en vient à cette dilatation de cœur où Dieu vous appelle par ma voix. Je ne sais où vous avez pris qu'elle n'est que pour les âmes innocentes : vous avez donc oublié toutes les paroles de Jésus-Christ aux pécheurs. Est-ce en vain qu'il a dit de l'enfant prodigue : « Rendez-lui sa première robe (2)? » Est-ce en vain qu'il met en joie le ciel et la terre à la conversion d'un pécheur? Ce céleste médecin ne dit-il pas qu'il est venu pour les malades ? Et de qui est-il Sauveur, si ce n'est des pécheurs (3) ? Entrez donc dans la confiance et dans cette bienheureuse dilatation :

 

1 Psal.  CXXXVIII, 7-10. — 2 Luc  XV, 22 —  3 Ibid., V, 31, 32.

 

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je ne puis plus souffrir autre chose en vous ; et sans cela, il faudrait recommencer toujours, et votre conduite deviendrait non-seulement pénible et angoisseuse, ce qu'assurément Dieu ne veut pas, mais encore impossible et impraticable.

Je vous en dis autant pour l'autre point. Rompez votre volonté, et apprenez la pratique de cette parole: «L'obéissance vaut mieux que le sacrifice. »

 

LETTRE CIII.   A  MADAME DU MANS. A Meaux, ce 7 juin 1696.

 

Il est certain, ma Fille, que les défenses que je vous ai faites ne sont point du tout une marque de votre réprobation ; et loin de cela, elles sont au contraire des moyens de vous unir davantage à Dieu, si vous êtes fidèle et obéissante. Prenez garde que cette impression de réprobation ne soit un effet de vos mauvais raisonnements, que je veux détruire. Quoi qu'il en soit, ne quittez aucun de vos exercices, ni la confession ni la communion à votre ordinaire : faites l'oraison comme vous pouvez.

N'hésitez point à faire communier à la Pentecôte vos enfants qui ont communié à Pâques. Je trouve le terme trop long pour des personnes innocentes, de les différer deux mois : je voudrais les accoutumer à la communion les premiers dimanches du mois, en observant néanmoins leur progrès dans la vertu selon leur âge.

Gardez-vous bien de perdre la confiance : savez-vous que Dieu veut de vous un courage qui égale celui des martyrs? L'enfer déchaîné n'est pas moins à craindre que la fureur des tyrans armés. Je vous mets sous la protection de votre saint ange et de saint Michel. Dieu Père, Fils et Saint-Esprit soit avec vous. Non mea, sed tua voluntas fiat.

 

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LETTRE CIV.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ces 19 et 29 juin 1696.

 

Ne craignez point, ma Fille, de faire la confession que je vous ai permise pour une fois seulement : Dieu vous apprendra dans la suite à ne plus tant raisonner.

Je suis très-fâché de votre fièvre : en cet état le mal prie, pourvu qu'on le prenne, sinon avec patience, du moins avec soumission, lors même que l'impatience se soulève le plus. Si tout vous embarrasse, apprenez à mettre votre confiance en la seule bonté de Dieu, et regardez ma condescendance comme venant de cette source infinie. Notre-Seigneur soit avec vous. Communiez sans vous gêner, quand vous le pourrez dans cette octave.

J'ai, ma Fille, reçu votre lettre par ma Sœur Cornuau. Apaisez-vous l'esprit, je vous en prie. Vous voyez bien que les confessions répétées ne vous peuvent causer que de l'embarras, étant faites à d'autres personnes : pour moi bien résolument, je n'en veux ni n'en dois écouter aucune de cette sorte.

Pour le maigre, ne voyez-vous pas que je ne puis rien décider sur une chose qui change tous les jours, et dont il n'est pas possible que je juge. Je prie Madame de vous décider ce que vous avez à faire. Ne répliquez pas, n'hésitez pas : puisque vous ne voulez pas de votre infirmière, ce que je croyais plus doux, vous serez conduite par les formes. Ne vous faites point de nouvelles peines, soumettez-vous à celles que Dieu vous envoie. Je prie Dieu de bon cœur de vous soutenir par sa grâce.

 

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LETTRE CV.  A MADAME DE SOUBISE, ABBESSE DE JOUARRE. A Meaux, ce 20 juin 1696.

 

Je ne puis, Madame, assez louer votre charité et votre sagesse dans le mal de Madame d'Albert. J'approuve fort qu'elle sorte pour Paris, puisqu'il s'agit d'une opération de la main, et que Madame de Luynes l'accompagne avec ma Sœur Cornuau. J'envoie dès aujourd'hui votre lettre à M. de Chevreuse, et je l'accompagne d'une des miennes, où je conclus sans hésiter au voyage de Paris. C'est, Madame, tout ce que la solennité me laisse le temps d'écrire. Vous savez, Madame, mon sincère attachement à vos intérêts.

 

LETTRE CVI.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ces 12 et 16 août 1696.

 

Croyez, ma Fille, qu'il ne m'est pas si aisé qu'on pense de faire des voyages, quoique petits, et que c'est avec déplaisir que je ne vais point à Jouarre : le temps viendra et bientôt.

Vous ne savez pas tout le tintamarre qu'a fait ici le tonnerre. Il a frappé deux hauts chênes dans la forêt ; il a grillé et séché un poirier chez mon curé : mais ce qui est déplorable, il a tué un homme et en a blessé si cruellement un autre, qu'on n'en peut apaiser les douleurs. Soyons bien entre les bras de Dieu.

Je suis et serai toujours le même, et pour Jouarre en général, et pour chacune de mes Filles en particulier. Tout ce qui de soi est réservé au jour du Seigneur, se dissipera par la confiance et par un saint abandon. Je ne vous oublie jamais, et mercredi j'aurai de vous un souvenir particulier. La part qui ne vous sera point ôtée, est encore plus celle de Marie Mère de Dieu, que celle de Marie sœur de Marthe et de Lazare. Soyez vraie fille de l'Assomption, et habitez aux lieux hauts et seuls.

 

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Les joies que Dieu envoie en certains moments sont, ma Fille, une voie secrète par laquelle l'Epoux nous appelle. C'est donc bien fait de l'écouter ; et la faute qu'on fait à cette occasion, c'est de se rebuter quand elle cesse. Ainsi, ma Fille, réjouissez-vous en Notre-Seigneur, et vivez en paix.

 

LETTRE CVII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 22 septembre 1696.

 

Je vous rends grâces, ma Fille, et à toute la sainte communauté : je suis très-persuadé en particulier de la sincérité de vos prières, dont je vous demande la continuation.

Dieu peut jeter en un moment au fond de la mer cet amas qui fait devant vous une montagne.

Les poses dont vous me parlez, seront très-agréables à Dieu, et vous pouvez après cette interruption reprendre où vous en serez demeurée.

Je veux bien que vous lisiez les lettres de M. l'abbé de Saint-Cyran que vous me proposez, à condition que vous me marquerez quelles elles sont, et l'effet que vous en aurez ressenti.

Il ne vous est point permis du tout de faire chanter des chansons d'amour à vos pensionnaires : dites-le à Madame, et priez-la de vous appuyer dans le dessein de vous décharger de ce joug. Du reste obéissez à tous ses ordres, et en autres choses continuez vos soins à vos enfants.

Quand j'aurai un peu de loisir de faire transcrire ces vers (a), je le ferai de bon cœur. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

(a) Il s'agit évidemment des vers que le prélat avait composés pour l'édification de ses Sœurs.

 

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LETTRE CVIII.   A MADAME DU MANS. A Lusanci, lundi matin 1696.

 

Je prends part, ma Fille, à votre douleur et à la perte de Jouarre : votre consolation doit être que Dieu l'a voulu, et que lui seul fait bien toutes choses. Il n'eût servi de rien de vous dire ce que je savais de cette affaire, ni de vous affliger avant le temps : j'ai laissé aller les choses naturellement. Dites à Madame de Saint-Michel qu'elle est avec celui d'où viennent les consolations. Je vous reçois toutes deux de nouveau dans mon cœur, et je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE CIX.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 27 octobre 1696.

 

Je n'espère pas grand profit pour vous des lettres dont vous souhaitez que je vous permette la lecture : vous la pouvez faire, ma Fille; mais par le peu que j'en ai lu elles m'ont paru fort alambiquées : je m'en rapporte pourtant au succès que je prie Dieu d'y donner.

Continuez vos communions ; ne vous rebutez pas pour ces désagréables pensées ; obéissez à votre confesseur : voilà pour la lettre du 1. Celle du 26 marque seulement la peine où vous êtes, n'ayant point de mes nouvelles : elles sont très-bonnes par vos prières. J'approuve le prosternement après la communion, quand la communauté est retirée : du reste il faut éviter les choses extraordinaires.

Je ne puis plus rien vous dire de Mesdames de Luynes, depuis un grand mal de Madame d'Albert à la jambe. Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous, et qu'il vous inspire l'humilité et le saint amour. Mon voyage de la Trappe s'est passé avec beaucoup

 

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de consolation. Le saint ancien est bien faible; mais j'espère que Dieu le conservera. Notre-Seigneur soit avec vous, encore un coup.

 

LETTRE CX.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ces 3 et 28 décembre 1696.

 

Assurez-vous, ma Fille, que la retraite de Mesdames de Luynes ne change rien dans ma conduite pour Jouarre, et que je n'y abandonnerai pas l'œuvre de Dieu. Tous avez pensé et fait tout ce qu'il fallait sur le sujet de ma Sœur Cornuau. Rien ne vous oblige à pénétrer les motifs de Madame de Luynes : ne doutez point de ses bonnes intentions, ni de ses bonnes raisons ; mais elle n'a pas besoin de s'en expliquer : mettez tout entre les mains de Dieu.

Quant à M. le curé, c'est assez que vous sachiez que la justice sera mêlée avec la douceur, et que le temps le fera voir.

Je suis bien aise, ma Fille, que les affaires se soient terminées à la satisfaction de Madame votre abbesse. Il faut avouer aussi qu'elle a des intentions admirables : il serait seulement à souhaiter que sa famille, d'elle-même pleine de piété, prît de meilleurs conseils. Tout le monde se veut faire de fête auprès des grands, et aux dépens de la vérité on veut leur plaire, et se rendre nécessaire auprès d'eux.

Songez plutôt à contenter Dieu qu'à savoir s'il est content : par ce moyen tout ira en simplicité et en confiance. Je le prie d'être avec vous.

 

LETTRE CXI.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ces 23 mars et 3 avril 1697.

 

Me voilà arrivé, ma Fille, et en état de vous aller voir incontinent après Pâques, s'il plaît à Dieu. Vous aimez bien à vous tourmenter, quand vous croyez que je songe à vous en parlant de ceux qui s'empressent auprès des grands : c'est de quoi je ne vous

 

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ai jamais soupçonnée. Je ne sais non plus pourquoi vous doutez que je n'aie toujours agréable que vous me parliez et des choses et des personnes convenables. Excusez si vous n'avez pas encore de mes livres.

Je ne vois aucune difficulté à dire du Commun, quand le Propre manque. L'affectation de prier entre les deux élévations n'a, que je sache, aucun fondement, et il n'en faut pas beaucoup faire sur de semblables observances.

Je suis, ma Fille, plus fâché que vous de ne pouvoir vous aller voir : il faut céder à la nécessité, qui est le plus certain interprète de la volonté de Dieu.

J'attends de jour en jour de mes livres pour envoyer à Jouarre : celui de M. de Cambray (a) n'est bon qu'à tourmenter les cervelles.

Je salue Madame de Sainte-Gertrude dont j'ai reçu la lettre, à laquelle assurément je ferai réponse. Je n'ai de loisir que pour vous assurer de mon souvenir et de mes prières.

 

LETTRE CXII.   A MADAME DU MANS. A Paris, ce 22 avril 1697.

 

J'ai, ma Fille, reçu votre lettre du 18 avril. Ne souffrez point les dévotions qui éloignent de Jésus-Christ sous le prétexte de la pure essence : c'est un moyen d'éteindre la foi chrétienne. Déclarez-vous hautement contre ces fausses spiritualités.

Je vous plains toutes de manquer de confesseurs. Allez votre train, comme vous me marquez; je l'approuve fort. Marchez avec une sainte liberté et confiance : mettez tout sur moi, et moi aussi sur l'immentse bonté de Dieu. Notre-Seigneur soit avec vous.

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. Il doit en effet y avoir cinq traités dans mon ouvrage (b) ;

(a) L'Explication des Maximes des Saints, qui venait de paraître. — (b) Sur les Etats d'oraison.

 

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mais les trois derniers seront très-courts, parce que les principes seront posés ; et il n'y aura plus qu'un volume comme celui que vous avez : il faut se donner un peu de repos.

 

LETTRE CXIII.  CONSULTATIONS FAITES PAR MADAME DU MANS, avec les réponses de Bossuet. A Meaux, le 2 de l'an 1698.

 

Première demande. Est-il permis, Monseigneur, de se dissiper au dehors pour faire passer certaines touches de Dieu, quand on craint d'être aperçu ? Car on sent en se dissipant que tout s'en va ; mais on est fâché après d'avoir tout perdu.

Réponse. C'est bien fait de cacher le don de Dieu en s'étourdissant, par la crainte d'être aperçu, sans trop de violence.

Seconde demande. J'ai toujours de la peine sur mes communions fréquentes par le peu de profit que j'en fais, et je crains que les grands désirs que je sens d'en approcher ne soient une tromperie du démon. Il y a quelques Pères qui disent qu'il ne faut pas s'arrêter à ces désirs, et que ce sont des abus quand le profit ne s'ensuit pas. Saint Grégoire, saint Bernard, Gennade, et le P. Avila dans le livre de la Tradition de l'Eglise, de M. Arnauld, ont ce sentiment ; et que quand saint Paul dit de nous éprouver nous-mêmes pour ne pas manger ce pain céleste à notre condamnation, cela ne s'entend point des péchés mortels seulement, mais aussi des véniels ; ce qui est confirmé par saint Bonaventure : et que c'est recevoir Jésus-Christ indignement, que de ne s'en pas approcher avec assez d'attention et de révérence ; et que c'est de ceux-là que l'Apôtre dit qu'ils boivent et qu'ils mangent leur jugement.

Réponse. Le profit n'est pas toujours aperçu ; c'en est un de ne pas tomber plus bas : je ne comprends pas dans ces chutes le péché mortel, et je parle pour ceux qui vivent bien dans la religion.

 

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Je conviens que l'épreuve dont saint Paul parle, comprend même le péché véniel qui se fait avec attache et trop délibérément.

Je conviens de toutes les maximes ; mais souvent on les applique mal : l'amour et la confiance sont la meilleure disposition.

Troisième demande. C'est sur cela que je crois être obligée de m'en priver, quand je sens que cette privation m'est sensible, et que je me sens la conscience chargée de fautes auxquelles je retourne toujours, pensant que cette pénitence humiliante me rendra plus vigilante sur moi-même et plus digne d'en approcher.

Réponse. Usez avec discernement de cette pénitence, et par les avis d'un guide éclairé.

Quatrième demande. Je vois de meilleures âmes que moi qui communient bien moins, qui sont plus exactes et qui en profitent plus, et que je crois cependant qui prennent conseil de vous.

Réponse. Les comparaisons sont plus dangereuses qu'utiles : il faut communier sans juger des autres.

Cinquième demande. Est-il vrai que ce sont les trop fréquentes absolutions qui font tort à notre salut, et que cela damne les religieuses ? C'est l'opinion de M. le curé de, etc.

Réponse. Je n'en crois rien, quoique je conseille aisément à des personnes retirées du monde de ne pas toujours se confesser pour la communion.

Sixième demande. Quand je touche l'orgue les grandes fêtes à tout l'office, peut-on y satisfaire ne le recommençant point? Le sentiment de M. D***, confesseur, est qu'on y satisfait.

Réponse. Je n'en doute point du tout.

Septième demande. Quand on vous a demandé quelque permission, Monseigneur, quoique cela regarde la règle ou les vœux, ne doit-on pas être en sûreté de conscience, sans en rien communiquer à l'abbesse même à la mort?

 

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Réponse. Les supérieurs majeurs doivent bien prendre garde aux permissions qu'ils donnent : mais quand ils les ont données avec connaissance, il n'y a plus de compte à rendre aux abbesses et autres supérieures.

Huitième demande. Est-ce une inspiration qu'il faut suivre, quand il vient dans la pensée de faire un acte de foi, d'adoration, d'amour de Dieu, ou enfin quelque autre, dans le moment que cette pensée-là vient et sur-le-champ : doit-on s'en faire de la peine, si on y a manqué ?

Réponse. On ne saurait trop faire ces actes, pourvu qu'ils soient simples, et sans scrupule si on y manque : on les a faits souvent sans le remarquer, et ceux-là ne sont pas les moins bons.

Neuvième demande. Puis-je, Monseigneur, vous demander la permission de voir et lire des livres, écrits, cahiers volants, que l'on me prête, quand ils ne sont point mauvais, mais seulement curieux, comme tout ce qui se fait contre M. de Cambray présentement, ou autrefois contre d'autres ?

Réponse. Les choses seulement curieuses dessèchent l'esprit : les livres de M. de Cambray font cet effet, et ceux contre ne sont nécessaires qu'autant qu'on y traite de grandes et utiles vérités.

Dixième demande. Je crains d'avoir tiré les actes que je vous envoie de quelques livres que vous n'approuvez pas. Je vous supplie de les lire, Monseigneur ; je les ai faits dans la bonne foi, et croyant être choses agréables à Dieu : c'est ce petit papier volant.

Réponse. Je ne vois rien de mauvais dans ces acte-, mais beaucoup de discours, d'efforts inquiets et de réflexions peu naturelles : Dieu veut quelque chose de plus simple.

Onzième demande. Si c'est mal fait de croire qu'on n'a pas la grâce pour avancer plus dans la vertu, et que peut-être Dieu ne nous veut pas plus saintes que nous sommes.

Réponse. C'est très-mal fait d'attribuer notre peu d'avancement au défaut de la grâce, et d'ailleurs c'est trop sonder le secret de Dieu : il n'y a qu'à toujours marcher devant soi sans s'arrêter.

 

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Douzième demande. Quand de bonnes âmes exposent quelques difficultés, qu'elles croient devoir les empêcher de communier, puis-je les rassurer ? Ce sont des doutes contre la foi, des tentations de blasphème, ou bien des dégoûts pour ce sacrement, dont elles se croient bien indignes. Ne rendrai-je point compte à Dieu des communions que je suis cause qu'elles font, n'ayant aucune autorité, mais seulement une liberté comme entre amies? Je l'ai fait quelquefois.

Réponse. Dans le doute, conseillez toujours la communion à celles que vous voyez avoir de bonnes volontés : je prends sur moi, sans hésiter, les conseils que vous donnerez sur cela. La communion est le vrai remède de ces tentations ; et si l'on adhère aux peines, on montre au démon ce qu'il a à faire pour nous retirer de Jésus-Christ.

Treizième demande. Quand les consolations intérieures sont sensibles, et que l'on craint qu'il ne s'y mêle du naturel, est-on obligé d'y renoncer et de faire quelque acte pour cela afin de se rassurer ?

Réponse. Il faut tâcher de prendre le spirituel, et de laisser là le naturel qui voudrait s'y mêler : une pure intention fait ce discernement.

Quatorzième demande. L'on m'a dit que la règle certaine pour connaître si les larmes venaient de Dieu, était de voir l'avancement et le progrès dans la vertu qui s'ensuivait ; et si on se trouvait sujet aux mêmes défauts et aussi plein d'amour-propre après, qu'on pouvait croire qu'elles n'étaient que naturelles. Cependant, Monseigneur, il arrive que c'est en entendant la parole de Dieu dont on se sent pénétré, comme à votre sermon d'hier, ou en lisant quelques-uns de vos écrits : que faut-il faire quand cela arrive, et qu'on craint de n'en pas profiter ? C'est une décision, Monseigneur, qui servira à bien d'autres qu'à moi, qui ont cette difficulté, et qui par confiance m'ont parlé de ces touches qui leur arrivent.

Réponse. La règle pour toutes les grâces, c'est en effet d'en profiter : mais qui sait quel est ce profit ?

 

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Pleurer au sermon et dans la lecture des pieux écrits est une grâce qu'il ne faut pas rejeter quand elle vient, ni aussi l'estimer beaucoup, ou s'affliger quand elle ne vient pas : c'est là que je permets une espèce d'indifférence.

Quinzième demande. C'est vous seul, Monseigneur, qui soutenez l'usage fréquent de la sainte communion dans cette maison. Les confesseurs et directeurs en retirent les meilleures âmes, qui autrefois en approchaient souvent ; et les âmes timides et tremblantes se moulent sur ces modèles : je vous avoue que c'est cela qui contribue beaucoup à me mettre dans la crainte. L'on nous rapporte tous les passages et l'autorité de ces grands saints dont je vous ai parlé dans le second article de cet écrit, qu'il faut bien qu'on n'entende pas comme vous. Que l'esprit de Dieu, Monseigneur, vous fasse mettre ici ce qui sera le plus pour sa gloire et l'avancement des âmes à qui j'en pourrai communiquer quelque chose : je vous en supplie très-humblement, et pour l'amour de lui. Vous jugez bien que les personnes dont je veux parler sont Mesdames de Lusanci, de Saint-Paul, Sainte-Madeleine, Sainte-Gertrude, Théodore : c'est avec celles-là qu'on parle le plus confidemment.

Réponse. Je remédierai à ce désordre, et je ne permettrai pas qu'on établisse là-dessus défausses et excessives rigueurs.

Ceux qui ramassent avec tant de soin les sentences rigoureuses des Pères, seraient bien étonnés en voyant celles où ils disent que la multiplicité des péchés, ce qui s'entend des véniels, loin d'être un obstacle à la communion, est une raison pour s'en approcher; et que qui peut communier une fois l'an, peut communier tous les jours. Si ces passages ont leurs correctifs, les autres plus rigoureux en ont aussi : et moi, sans entrer dans les règles qu'on peut donner aux gens du monde à cause de la multiplicité des occupations et distractions, j'assurerai bien que dans la vie religieuse, c'est presque une règle de faire communier souvent celles qui craignent de le faire trop.

Seizième demande. Le P. Toquet m'a dit autrefois qu'il faudrait demander à Dieu, quand je serais plus avancée, d'être privée des

 

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douceurs et consolations spirituelles, et que celles qui ne le faisaient pas manquaient de courage ; que c'étaient des récompenses données en ce monde, qui me priveraient de plus grandes dans l'autre. Je ne veux et ne ferai rien là-dessus que ce que vous m'ordonnerez.

Réponse. Je ne vois point dans l'Ecriture, ni dans les anciens Pères, ces sortes de prières : quand le P. Toquet les conseille, un si saint homme a ses raisons. Pour moi, je ne veux point que les âmes humbles fassent ainsi les dédaigneuses et les dégoûtées, et rejettent les petits dons : il est bon d'être soumise et sans attache.

Comme je sais que votre charité ne se rebute point, je prends encore la liberté, Monseigneur, de vous supplier d'ajouter à la bonté que vous avez eue hier de m'écouter avec tant de patience, celle de vouloir bien me faire seulement un mot de réponse sur ce qui suit.

Dix-septième demande. Premièrement si je puis également croire les confesseurs à qui j'irai à confesse, comme M. Dajou ou autre, lorsque la maladie ou autre raison m'empêcheront d'aller à M. de la Jaille.

Réponse. Vous pouvez et devez croire et obéir à tous vos confesseurs, conformément à l'exposé d'autre part, selon cette parole du Sauveur : Qui vous écoute, m'écoute.

Dix-huitième demande. Si je puis m'en tenir si expressément à ce qu'ils me diront, que je puisse même ne me pas servir de la permission que vous avez eu la bonté de me donner de vous consulter dans la suite.

Réponse. Vous n'avez à me consulter que dans certains cas extraordinaires, et quand votre conscience le demandera : du reste, vous n'avez qu'à suivre celui qui vous aura confessée.

Dix-neuvième demande. Si étant sacristine et obligée par là de sortir souvent de l'office pour répondre au tour de la sacristie, je

 

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puis dire mon office en y allant et revenant ensuite à l'église, afin de pouvoir rejoindre le chœur sitôt que je serai de retour à ma place, quand même celairait à dire plus d'une heure d'office ainsi en marchant.

Réponse. Vous le pouvez.

Vingtième demande. Si je puis prendre des choses qui ont été bénites, comme des chasubles, nappes, et autres choses qui ont servi à l'église, pour d'autres usages, lorsqu'elles ne sont plus en leur entier.

Réponse. Vous le pouvez ; mais il faut que ce soit pour des usages honnêtes.

Vingt-unième demande. J'ai oublié encore hier à vous dire que M. de la Jaille ne veut point que je retourne à confesse, lorsque j'y ai été une fois pour communier. Je crois que la raison est que n'étant pas des plus raisonnables, je ne finirais point d'y retourner : sur ce principe apparemment il veut absolument que je communie sans y retourner, ni même sans lui dire ce qui m'inquiète. Je vous supplie, Monseigneur, de me marquer si je dois lui obéir aussi aveuglément en cela qu'en tout le reste.

Réponse. M. de la Jaille a raison : obéissez-lui simplement.

Vingt-deuxième demande. S'il arrivait que les confesseurs à qui j'irai me parussent en quelque rencontre dans des sentiments opposés à ce que je saurais de vous sur ce que je leur dirais, si je pourrais, à ces choses-là près, m'en tenir à tout ce qu'ils me diraient d'ailleurs.

Réponse. En ce cas, il me faudrait consulter, et en attendant croire le confesseur qui administrera.

Vingt-troisième demande. Je vous supplie, Monseigneur, de me donner un ordre exprès sur tout ce que je viens de vous marquer, afin que je trouve dans ma soumission le mérite de l'obéissance, surtout si vous voulez que je communie toutes les commuions générales de la communauté, qui sont, comme vous savez, très-fréquentes.

 

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Réponse. Je vous ordonne de vous conformer aux réponses ci-dessus faites à vos demandes ; et continuez vos communions comme votre confesseur et moi l'avons ordonné. Fait à Meaux, le 2 de l'an 1698.

Voilà, ma Fille, la réponse à vos demandes : tenez-vous-en là. Je vous donne sur tous ces points le mérite de l'obéissance, et suis à vous de bien bon cœur.

 

LETTRE CXIV.  A MADAME DE LUYNES. A Paris, ce 23 août 1698.

 

Nous avons pris jour pour votre affaire : M. l'archevêque nous a donné mercredi pour la décider. M. l'abbé Dreux est toujours contraire; M. de Ventabrun n'est pas ici : je suis seul à vous défendre; mais j'espère que M. l'archevêque sera pour vous. Instruisez-moi pourtant, ma Fille, sur la clôture du Fresmoy, et dites-moi toutes les difficultés et tous les remèdes.

J'ai obtenu pour les accommodements de ma Sœur Bénigne treize ou quatorze cents francs, que je pourrai vous faire tenir au retour de Versailles : donnez votre ordre pour les recevoir. Ne parlez point du tout de moi, si ce n'est à Madame d'Albert et à ma Sœur Bénigne, et défendez-lui d'en dire mot : on n'a que faire de dire d'où cela vient. Agissez comme une mère ; donnez-lui ses ajustements comme à une religieuse, c'est-à-dire à une pauvre infirme. C'est assez qu'on sache dans le monastère que c'est en vue de la Sœur Bénigne que cette somme a été donnée. Vous voyez, ma Fille, qu'encore que je sois un peu paresseux à écrire, je n'en suis pas moins attentif à ce qui regarde votre Maison. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

J'attends réponse au plus tôt : j'ai votre lettre pour M. de Ventabrun; mais je ne sais quel usage en faire, faute d'adresse.

Prenez courage en Notre-Seigneur, et croyez qu'il ne vous abandonnera pas, si vous n'abandonnez point son œuvre.

 

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LETTRE CXV.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 24 novembre 1698.

 

Ma santé est parfaite par la grâce de Dieu, ma Fille, et par vos bonnes prières.

La cause que je défends est celle de Dieu, et il faut le prier de la soutenir. Quant à M. le curé de Vareddes, il est toujours bien disposé pour Jouarre ; mais les temps sont fâcheux.

Pour vos confessions, ma Fille, je vous conseille et je vous ordonne de mettre le repos de votre conscience en la seule bonté de Dieu, en vous soumettant à ses ministres sans résistance, comme à ceux qui vous représentent Jésus-Christ. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE CXVI.  A MADAME DE LUYNES.  A Paris, ce 5 février 1699.

 

Dieu, ma Fille, écoute les affligés pour les affligés, et il a fort agréable qu'ils se consolent les uns les autres, pendant que la douleur encore récente de leurs plaies les rend plus sensibles à celle des autres. Sacrifions à Dieu notre perte. J'ai invité le P. Toquet à vous aller consoler; et pour moi je ne puis vous dire autre chose, sinon que je suis et serai toujours également à vous.

 

LETTRE CXVII.   A MADAME DU MANS.  A Versailles, ce 21 février 1699.

 

Je vous sais bon gré, ma Fille, de ce que vous avez fait pour Madame d'Albert, et de tous vos bons sentiments. Il la faut mettre

 

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parmi les saintes de Jouarre : on ne vit jamais une âme si pure, ni où l'estime de sa profession fût si parfaite. Je vous rends grâces aussi de la part que vous avez prise à mon malheur ; je n'attendais rien moins d'une aussi bonne Fille que vous.

 

LETTRE CXVIII.  A MADAME DE LUYNES.  A Paris, dimanche malin, à la fin de 1699.

 

Je fus d'autant plus fâché, ma Fille, de ne vous trouver pas hier, que je ne vois aucune assurance à pouvoir retourner chez vous avant votre départ. Je ne perds pas pour cela l'espérance ni le dessein de vous aller voir à Torci, où je suis très-aise de vous voir retourner. Les tentations de quitter ce lieu étant surmontées par l'obéissance, vous ferez l'œuvre de Dieu avec plus de liberté, et l'Eglise en sera édifiée. Tous songerez plus que jamais à vous rendre la mère et l'exemple en toutes choses de votre communauté : vous vous sanctifierez aussi bien qu'elle par ce moyen.

Je vous recommande la Sœur de Saint-Bénigne, qui s'attachera plus que jamais à vous obéir, et même à vous soulager dans ce que vous voudrez lui confier et lui ordonner. Consolez-la, je vous prie, du peu d'espérance que je lui donne de la voir. Notre-Seigneur soit avec vous à jamais.

 

LETTRE CXIX.  A MADAME DU MANS.  A Meaux, ce 12 janvier 1700.

 

Mon neveu m'a rapporté de vos nouvelles, ma Fille, et votre lettre me fait connaître une partie de vos dispositions et de celles de la Maison. Détachez-vous de vous-mêmes, et remplissez-vous de Jésus-Christ, afin de le faire naître dans ces âmes tendres, en sorte qu'il y établisse sa demeure.

 

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Ayez soin de Madame de Rodou, et écrivez-moi de ses nouvelles : donnez-lui ma bénédiction avec ma lettre; et croyez, ma Fille, que je n'oublie aucune de vous, et vous moins que personne.

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