Lettres CLXI-CLXXIX
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Historique
Lettres LV - LXX
Lettres LXXI - CXXIII
Lettres CXXIV-CXLIV
Lettres CXLV-CLX
Lettres CLXI-CLXXIX
Lettres CLXXX-CXCIV
Lettres CXCV-CCXII
Lettres CCXIII-CCXXVI
Lettres CCXVII-CCXXXVII
Lettres CCXXXVIII-CCLIV
Lettres CCLV-CCLXXII
Lettres CCLXXIII-CCXCI
Lettres CCXCII-CCCIV
Lettres CCCV-CCCXXI
Lettres CCCXXII-CCCXXXIV
Lettres CCCXV-DIJON

 

177

 

LETTRE CLXI. LE CARDINAL DE BOUILLON A BOSSUET. A Frescati, ce 12 octobre 1697.

 

Je vous suis, Monsieur, sensiblement obligé de la part que vous me témoignez prendre à la grâce que le Pape m'a faite de la coadjutorerie de Cluni pour mon neveu l'abbé d'Auvergne. Je me suis toute ma vie fait, Monsieur, un si grand honneur et un si grand plaisir dans la persuasion où j'étais d'avoir beaucoup de part en votre amitié et en votre confiance, que je souffrirais avec beaucoup de peine la moindre diminution que je soupçonnerais y être arrivée.

Je souhaite que M. l'abbé Bossuet, étant aussi content de moi que je crois qu'il a sujet de l'être de toute la conduite que j'ai tenue à son égard, depuis le premier moment que je suis arrivé dans ce pays jusqu'à présent, et qui sera toujours la même, me rende par ses lettres sur cela la justice qui m'est due. Car cela étant, je suis sûr, Monsieur, que loin de diminuer d'amitié et de confiance pour moi, vous ajouterez encore quelque nouveau degré de vivacité à l'une et l'autre; et serez persuadé que les sentiments d'estime et d'amitié que je puis avoir pour M. l'archevêque de Cambray, n'ont jamais causé la moindre diminution aux sentiments de vénération, d'estime et d'amitié si anciennement gravés dans mon cœur, et qui ne finiront qu'avec ma vie.

J'ai lieu de croire que par le bon air que je suis venu respirer ici depuis plus d'un mois, je la prolongerai plus loin qu'elle n'aurait été, si je m'étais opiniâtre plus longtemps à ne vouloir pas changer d'air durant quelque temps; car j'étais en très-mauvais état, lorsque je partis de Rome pour m'en venir ici. Mes insomnies continuelles depuis que j'y étais arrivé, jointes à une fièvre sans être continue, que j'avais tous les jours avec des accès qui outre cela marquaient la fièvre quarte, me conduisaient à grands pas à une fièvre lente, dont la fin apparemment eût été très-funeste pour moi. Mais, grâce à Dieu, je suis présentement dans

 

178

 

une aussi parfaite santé, pour le moins, que lorsque je partis de Paris. Croyez, Monsieur, et vous me rendrez justice, que personne ne vous est si véritablement et si absolument acquis que

Le card. de Bouillon.

 

P. S. Je me flatte, Monsieur, que vous ne serez pas fâché de voir les actes ci-joints, sur lesquels le Pape a jugé devoir accorder à mon neveu une grâce aussi avantageuse et si honorable qu'est la coadjutorerie de Cluni. On ne peut pas me traiter avec plus de bonté, et j'ose dire, de distinction qu'il le fait. Je ne le connais-sois point du tout, lorsque je suis venu ici, et l'idée que ses manières simples et naïves avaient données de lui avant son pontificat atout le monde, aussi bien qu'à moi, est une idée très-fausse.

 

LETTRE CLXII. BOSSUET  A SON  NEVEU (a). A Fontainebleau, ce 14 octobre 1697.

 

Je ne sais pourquoi votre paquet ne m'a point encore été rendu. M. le cardinal d'Estrées a eu le sien : je ne vois pas à quoi attribuer ce retardement (b). Je vous prie d'être soigneux d'envoyer à temps à la poste : je suis bien persuadé que vous n'y manquez pas.

Nous avons vu des lettres où il paraît que M. l'abbé de Chanterac commence à débiter ses denrées, et que tout Rome est attentive à cette matière.

Le P. Estiennot (c) écrit au cardinal d'Estrées qu'on vise du côté du cardinal de Bouillon à un donec corrigatur. Ce ne serait qu'augmenter le mal, au lieu de l'apaiser. Si l'on ne fait quelque chose de tranchant, on perdra tout, et la dignité du saint Siège sera rabaissée. Cette qualification ne convient point à un livre dont le tout, dès le fondement, est mauvais ; et elle ne ferait

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) On sait que le cardinal de Bouillon avait retenu le paquet jusqu'après le départ du courrier. — (c) Bénédictin, procureur-général de la Congrégation de Saint-Maur.

 

179

 

qu'un mauvais effet. Le cardinal d'Estrées croit qu'il se faut contenter d'une censure in globo : il dit que le détail causerait un imbroglio, qui ferait tout abandonner au Pape.

Le cardinal de Bouillon enrage de vous voir à Rome. Il faut que vous et M. Phelippeaux couvriez votre jeu , pour ne point faire dire que les François se battent. Faites bien considérer ceci à M. Phelippeaux, et considérez-le bien vous-même : vous avez affaire de tous côtés à des gens bien fins.

Vous recevrez un paquet de l'ouvrage latin (a) : prenez bien garde à la manière de le donner. On ne vise qu'à faire paraître que c'est ici une querelle particulière.

M. de Cambray a fait une assemblée de docteurs , pour examiner une Ordonnance imprimée et non publiée.

Nous nous portons tous parfaitement bien. M. Chasot a eu un tantin de goutte.

Souvenez-vous bien de frère Laurent (b), qu'on objecte à M. de Paris. Vous recevrez peut-être par cet ordinaire, une lettre sur cela, qui est fort bien faite sous le nom de M. de Beaufort, et qu'on pourra faire courir, pour peu qu'on parle de ce livret.

L'Ordonnance de M. de Reims sur Molina et la grâce (c), est ici et à Paris admirée de tout le monde : il vous en envoie ; il est à Reims.

 

(a) De la Summa doctrinœ. — (b) Le frère Laurent, carme déchaussé, était un de ces mystiques qui ne gardent aucune mesure dans l'expression : « L'excès et l'exagération, dit Bossuet, sortent partout dam les paroles de ce bon religieux.» (Passages éclaircis, chap. XII.) — (c) Cette Ordonnance, datée du 15 juillet 1697, condamnait deux thèses soutenues chez les Jésuites de Reims, au mois de décembre précédent. Pour la rédiger, M. le Tellier avait emprunté la plume du célèbre Vuitasse, professeur de Sorbonne; c'est du moins ce que dit le Journal des Savants, du 17 janvier 1698. La querelle entre M. de Reims et les Jésuites fît alors beaucoup de bruit, et il en sera plusieurs fois question dans la suite de cette correspondance. On peut en voir les détails dans les Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. par le P. d'Avrigny, tom. IV, pag. 91 et suiv.

 

180

 

LETTRE CLXIII. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. A Rome, ce 15 octobre 1697.

 

Je viens d'achever des animadversions latines sur les dix premiers articles du livre de M. de Cambray, qui sont les principaux. Je l'examine article par article, et en montre les erreurs ou les contradictions. J'ai fait ce travail dans la vue de m'en instruire, et de pouvoir aider ceux qui en auront besoin. Il ne reste plus qu'à le polir et le mettre au net : j'espère pouvoir vous l'envoyer à la fin du mois ; et si vous le jugez bon, on pourra le faire imprimer sans nom pour en faciliter la communication.

Les examinateurs ont enfin reçu des livres dont ils manquaient, et vendredi ils s'assembleront pour la seconde fois. Dans la première assemblée, il fut résolu que chacun ferait l'extrait des propositions qu'il trouverait censurâmes, et que tous se les communiqueraient en commun. La traduction latine est arrivée ; mais elle sera peu utile, la plus grande partie entendant le français ; et je sais qu'un d'eux a traduit le livre tout entier en italien. M. Je cardinal d'Estrées a mandé ici que le P. Granelli vous avait envoyé son vœu sur le livre de M. de Cambray. Il a confondu ce que je vous ai envoyé contre Malaval : cela n'a pas laissé de faire de l'embarras. Ainsi vous voyez la nécessité de ne rien dire sur ce chapitre : cette fausse nouvelle pouvait nous priver d'un homme nécessaire.

Vous savez que l'affaire des Missions a été remise, et qu'on a accordé aux Jésuites un délai de quatre mois : la Congrégation paraissait disposée à condamner Fabroni. J'ai donné un Mémoire italien, qui vous a été envoyé : vous voyez les bonnes intentions qu'on a. Fabroni avait porté dans l'assemblée de ses confrères, une lettre française, pour l'envoyer au roi, contre le fait de M. l'archevêque de Reims. Mais un d'eux, dont je vous ai quelquefois parlé, s'y opposa ; et dit que quand il faudrait écrire au roi, ce n'était pas dans ces termes.

 

181

 

J'ai une seconde lettre de M. de Cambray, qui revient toujours à son principe et à sa docilité. Son agent ne dit encore que des choses générales : on se donne un air de persécution, quoiqu'elle n'ait pas accoutumé de tomber sur les gens de ce rang. Ce n'est que jalousie d'auteur : M. de Meaux n'a pu supporter un mérite si éclatant dans une personne moins avancée en âge. Le livre a été imprimé sans sa permission ; mais on ne l'a pas désavoué, et on le soutient encore ; il avait été approuvé par M. de Paris et son grand-vicaire, qui l'ont loué comme un chef-d'œuvre : mais tant pis; car en ayant reconnu le poison, ils se sont déclarés contre. Mais ce qui est pour moi un fait nouveau, M. de Cambray s'est brouillé avec Madame de Maintenon, pour n'avoir pas voulu consentir à l'exécution du traité qu'on prétend être entre Madame de Maintenon et le roi, auquel M. de Paris et M. de Meaux ont donné les mains. On ne vient point au fond de l'affaire, où consiste toute la difficulté ; et je crois qu'on est peu propre pour donner de bonnes raisons.

Le livre du P. Dez doit être déféré au premier jour : on prétend qu'il ne passera pas. On l'a fait procureur des Missions; cela servira à le retenir à Rome : peut-être s'en servira-t-on à plus d'une affaire.

Le couronnement du duc de Saxe, fait au 15 septembre, nous fait attendre avec impatience la nouvelle de l'arrivée de Monseigneur de Conti. La nouvelle de la paix tant désirée, a fait ici plaisir à quelques-uns. M. l'abbé vous mandera d'autres nouvelles. Je suis avec respect, etc.

 

LETTRE CLXIV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 15 octobre 1697.

 

Je vous écrivis le 11 de ce mois par un courrier extraordinaire, qui ne partit pourtant d'ici que le 13, M. le cardinal de Bouillon ne pouvant jamais finir ses dépêches. J'avais reçu le matin votre

 

182

 

lettre du 23 de septembre. Il ne s'est passé depuis ce jour presque rien de considérable sur aucune matière. Voici pourtant toujours quelque fait; et j'aime mieux être trop long que d'oublier quelque chose qui peut être de conséquence, et aider à connaître les dispositions des gens de ce pays-ci à qui nous avons affaire : les petites choses servent souvent à juger des grandes.

Le Pape, en apparence, se porte mieux. Il n'a plus de douleur de goutte, et donne audience à son ordinaire ; mais il est resté fort faible et de fort mauvaise humeur : cela fait tout appréhender pour un homme de son âge. Les pasquinades que le peuple ingrat, dit-il, a fait contre lui et les Zélans, lui ont causé une vive douleur ; et il ne s'est pas bien porté depuis. La destruction du théâtre en a été l'occasion, et on n'a jamais vu un déchaînement si universel. Il n'y a eu que deux ou trois Zélans, et Fabroni qui voudrait bien par là être cardinal, qui aient porté le Pape à cette résolution.

J'ai donné au cardinal Casanate et au cardinal Noris votre Déclaration imprimée : cela fait un bon effet. En faisant voir à tout le monde qu'on expose à la censure publique ce qu'on trouve à redire au livre de M. de Cambray, et qu'on agit ouvertement et sans mystère, on lui porte un coup dont il est difficile qu'il se puisse jamais relever.

Le cardinal Noris m'a dit très-nettement qu'il lui paraissait que le livre en question était une justification de Molinos, mais cachée et artificieuse : le cardinal Casanate n'en pense pas moins. Ils n'ont encore vu aucun écrit de la part de M. de Cambray, et ils n'ont pas une grande idée de M. de Chanterac, à ce qu'ils m'ont dit : ils sont remplis d'estime pour les trois évêques.

J'ai reçu, comme vous voyez, les six exemplaires de vos livres et les Déclarations : vous ne sauriez trop envoyer ici de Déclarations et de Summa doctrinœ.

Il court une réplique en français de M. de Cambray à votre réponse : je ne l'ai pas lue, et on la dit fort artificieuse.

Je vous envoie une lettre du P. Augustin, à qui j'ai rendu votre lettre. Entre nous, il est un peu bavard; mais il nous est bon pour découvrir certaines choses. Il ne sait ce qu'il vous

 

183

 

mande sur le cardinal Denhoff, saint François de Sales, etc. : répondez-lui en général sans entrer en aucun détail.

L'affaire du P. Serri (a) qu'il vous mande, fera tort partout au cardinal de Bouillon, si on la sait faire valoir : c'est la pure vérité, et le P. Serri me l'a confiée à moi-même.

L'aveuglement de M. le cardinal de Bouillon sur M. de Cambray et les Jésuites, est extrême : il croit qu'il y va de son honneur de sacrifier tout pour ses amis.

J'ai vu depuis vendredi le P. Dez, qui fait l'ignorant sur tout, et qui sait tout : il est très-bien instruit des faux-fuyans de M. de Cambray. Je l'ai mis insensiblement sur la matière, et il s'est enferré sans y penser. Toute leur défense sur le pur amour porte sur la définition de la charité. C'est aussi là où M. de Cambray veut réduire toute la question : mais on ne- prendra pas Je change assurément; et quand il n'y aurait que ce qui regarde leur pur amour, ils ne pourraient jamais sauver la définition qu'ils donnent de la charité dans le cinquième état, qui est celui des parfaits. Car il demeurera toujours pour constant que la charité, dans cet état, n'est différente de celle du quatrième que par l'exclusion de la béatitude et l'indifférence sur la damnation.

Jamais le P. Dez n'a pu se tirer de là : il m'a dit seulement qu'apparemment M. de Cambray n'en conviendrait pas, et dirait peut-être simplement qu'il y a des momens où on en peut faire abstraction; ce que personne ne nie, mais ce qui ne peut constituer un état permanent, et ce qui ne le rend pas plus parfait. Cet état permanent néanmoins, où l'on met la perfection, est tout le but du livre de M. de Cambray. Il ne veut rien dire du tout, ou bien il veut établir cet état de perfection, qui n'est, encore une fois, différent de son quatrième état que par l'exclusion formelle de notre bonheur même, comme rapporté à Dieu considéré en lui-même. Je lui parlai très-doucement; mais je lui fis voir que la difficulté serait très-clairement et très-évidemment expliquée.

Il me dit que le P. Alfaro, l'un des examinateurs, n'entendait pas un mot de français ; que le latin de M. de Cambray l'aiderait

 

(a) La lettre qui suit celle-ci fait connaître cette affaire.

 

184

 

fort; qu'il l'avait prié de l'aider sur le français : je l'en ai prié aussi, et en même temps de trouver bon que nous examinassions en quelques conférences les matières ensemble; que j'espérais que nous conviendrions aisément des principes qui dévoient être incontestables, surtout après les XXXIV Articles ; que nous irions d'abord de bonne foi au point de la difficulté, et que nous verrions pour notre instruction commune en quoi elle consistait. Je le ferai très-volontiers, et par là je saurai leurs faux-fuyants.

Le P. Dez fait le mystérieux sur sa nouvelle commission de procureur général des Missions, qui n'est qu'un titre en l'air pour lui servir de prétexte de passer ici l'hiver pour M. de Cambray : cela est sûr et comme public. Je crois savoir que le livre du P. Dez ne passera pas au saint Office.

Ayez la bonté de presser pour moi, pour le conclave qui est plus près peut-être qu'on ne pense, M. le cardinal de Janson, M. le cardinal d'Estrées et M. le cardinal de Coislin. Je souhaite bien n'en voir point ;  mais si ce malheur arrivait, je serais au désespoir de rester à Rome très-inutile, et de ne pas avoir quelque petite part à ce qui se fera.

J'ai vu ce matin Monseigneur Lenci maître de chambre du Pape, qui m'a dit que le Pape se portait bien. J'ai pris occasion de lui porter la Déclaration des trois évêques, pour lui faire mes compliments sur le rétablissement de la santé de Sa Sainteté. Il a bien de la bonté pour moi, et il m'a dit qu'il dirait à Sa Sainteté la joie que je lui témoignais de si bon cœur de sa santé. Je me sers de tous les moyens que je puis imaginer pour le faire penser à vous, et lui faire connaître l'attente ou le roi et toute l'Eglise est d'une décision prompte et authentique sur l'affaire en question.

La lettre que je vous écrivis le il a été envoyée par l'abbé de la Trémouille, dans le paquet de M. le cardinal d'Estrées.

Je crois vous avoir mandé il y a longtemps, que les tableaux sont arrivés à bon port entre les mains de M. Dupré ; que la princesse les a reçus avec des témoignages très-grands de joie et de bonté particulière pour vous et pour moi, et qu'elle lui en parle toutes les fois qu'il a occasion de la voir.

 

185

 

Je n'écris pas à M. de Reims par cet ordinaire, n'y ayant rien ici de nouveau : je vous prie de l'assurer de mes respects, aussi bien que M. l'archevêque de Paris.

J'ai rendu votre lettre à M. le cardinal d'Aguirre, qui était dans son lit. Il a eu ces jours passés une attaque d'apoplexie, dont il est revenu. L'état où il est fait de la peine : c'est un homme excellent, qui ne respire que le bien.

 

LETTRE CLXV. DU P. AUGUSTIN, DOMINICAIN, A BOSSUET. Rome, Sainte-Sabine, octobre 1697.

 

Je ne mérite point toutes les grâces dont il plaît à votre Grandeur de me combler dans votre lettre obligeante. Je confesse ma propre misère : je trouve cependant mon bonheur à vous faire connaître la confiance parfaite, le zèle ardent, le respect ancien et plein de religion que je dois au vrai maître des églises, au vrai père des fidèles, au vrai défenseur de la religion dans notre temps.

La première fois que M. le cardinal Denhoff, qui fut toujours rempli de vénération pour vous, Monseigneur, me parla du livre de M. de Cambray, qu'il avait eu occasion de voir avec M. le sacristain du Pape, mon bon ami, il me dit qu'ils étaient convenus que M. de Cambray avait pour lui les cinq derniers siècles dans lesquels les mystiques avaient écrit. Je lui répondis que M. de Cambray était malheureux, s'il n'a voit d'autres garants de la doctrine épiscopale que ceux-là, parce que le concile de Trente après leur naissance ne les avait point proposés pour la règle que nous devons suivre : que s'ils avaient la tradition, ils étaient plus anciens ; que s'ils en manquaient en certains points, ils n'étaient pas en ceux-là auteurs catholiques dans la doctrine : que si sainte Thérèse et saint François de Sales étaient comptés parmi ces mystiques brouillés avec la tradition, on condamnait leur savoir, mais non la tradition : que j'estimais que la règle proposée par M. de Meaux à Mademoiselle de Duras embrassant la

 

186

 

religion catholique, était celle de cette sainte et de ce saint, comme celle encore de tous les saints Pères et saints docteurs en particulier, qui consistait en ce que chacun d'eux crût ce que nous sommes obligés de croire de chacun d'eux en particulier, que l'Eglise catholique entend mieux l'Ecriture que nul en particulier.

Mais, me dit-il, pourra-t-on arriver là dans ce pays? Je lui répliquai : On y arrive si bien, qu'un cardinal du saint Office adore le livre de M. de Meaux, excepté dans l'endroit où il s'est arrêté à ôter avec quelque violence, disait-il, des auteurs à M. de Cambray, qui ont dû suivre la loi de l'Eglise, qui n'ont pu faire un évangile nouveau, et qui ont écrit avant la condamnation du quiétisme.

J'ai cru que votre Grandeur ne désagréerait point cette petite histoire, d'autant plus nécessaire à savoir que dans ce pays, à l'occasion du passage de saint François de Sales rapporté dans le Nodus dissolutus et à la tête du livre, on y a très-bien reçu parmi les autres réponses qu'on fait à l'autorité de ce bon saint en matière de théologie, qu'Alexandre VII, qui l'a canonisé et qui écrivit à Messieurs de Louvain au sujet de saint Augustin et de saint Thomas, est convenu que Dieu avait accordé au premier salutaria monita, et aux autres inconcussa dogmata.

J'envoie par cette poste le Jugement du P. Serri, que votre Grandeur souhaite de voir. Pour l'avoir fait, il en coûtera à l'Eglise de Rome la perte de ce sujet si propre à la servir dans cette rencontre, et dans l'affaire du Nodus prœdestinationis dissolutus. M. le cardinal de Bouillon l'engagea à faire cet écrit en partant de Provence : il le lui remit à Rome. Après l'avoir lu, cette Eminence lui en témoigna son chagrin, lui disant qu'il le croyait plus favorable à ses amis. Le Père lui répondit qu'il avait pensé que Son Eminence voulait qu'il la servît en servant la vérité. Cette entrée dans l'emploi de théologien a été suivie de peu de confiance dans les autres affaires, et en particulier dans celle de la Chine. Toute la dépense que ce cardinal a faite pour ce Père, a été de pourvoir à sa nourriture. Enfin la république de Venise a fait instance au Père général pour avoir le

 

187

 

P. Serri en qualité de théologien de l'Université de Padoue, un an après que ce religieux s'en était excusé. Le P. Serri s'est adressé à Son Eminence pour lui dire qu'il préférait l'honneur de la servir à tout autre avantage. M. le cardinal lui a dit de suivre son inclination : le Père lui a répondu qu'elle était pour le servir. C'est après cela que M. le cardinal a donné la liberté au général d'en disposer comme il lui plairait : celui-ci a cru que c'était un ordre interprétatif pour l'envoyer à Padoue, et il a pris des engagements.

Le système de Rome est sûrement bien connu de Votre Grandeur : on n'y a confiance pour la théologie qu'à des religieux; et il n'y en a que très-peu qui méritent d'être choisis, pour suggérer à l'autorité catholique et apostolique la science catholique et apostolique. L'ordre auquel on se confie davantage à Rome, est celui de saint Dominique. Le P. Serri a de la liberté, de l'élévation et de l'attention à la doctrine de la Maîtresse des Églises. L'Eglise fait une perte inestimable dans les circonstances présentes, s'il va à Padoue : il reste ici jusqu'à la fin de novembre. Si la Cour voulait conserver un sujet actuellement appliqué à son service et qu'elle s'en expliquât, la demande d'un aussi grand prince dans cette occasion lui assurerait ici un sujet très-utile, et tirerait avec honneur d'engagement avec une république de conséquence, un ordre qui a quelque considération en Italie.

M. Steyaert (a), choqué d'un refus d'ordination fait par M. de Cambray sur des fondements raisonnables aux ecclésiastiques du grand collège de Louvain qu'il gouverne, va écrire contre le livre de ce prélat. Ceux que le docteur Hennebel représente ici, lui écrivent qu'ils sont très-mécontents du livre, quoique très-édifiés du refus. Ce docteur a eu le moyen de lire le livre : il me dit hier qu'il était insoutenable, surtout après que l'auteur avait souscrit les trente-quatre Articles, et vu l'excellent ouvrage de M. de Meaux. Il me fit espérer que l'Université de Louvain recevrait au plus tôt les trente-quatre Articles : nous devons aujourd'hui en conférer encore avec lui et Monseigneur le sacristain,

 

(a) Fameux docteur de Louvain.

 

188

 

qui est Liégeois; et se nomme Monseigneur le Drou.

Le P. Massoulié est de l'avis du P. Serri. Il m'a promis de faire un écrit (a) tiré tout entier de saint Thomas, qui est ici presque l'unique maître : son dessein particulièrement est d'attirer au parti de la vérité le bon M. Charlas, qui est à présent chez M. le cardinal de Montefiasconi. Je n'oublierai rien pour le porter à soutenir la cause de l'ame de la religion, de la foi vive, de l'espérance agissante, de la vraie charité chrétienne, qui ne détruit pas la nature humaine, mais qui la perfectionne, la rendant bonne et enfin heureuse, réglant les affections dans l'ordre de Dieu, enseignée dans les Ecritures expliquées par tous les saints Pères et les saints docteurs.

Il semble, Monseigneur, que la Dissolution sacrilège du nœud, que les Ecritures et les saints avaient appelé hauteur, abîme, sacrement, profondeur, volonté de l'Architecte, du nœud, dis-je, de la prédestination, ne peut être condamnée qu'après la décision de l'affaire de M. de Cambray, dans laquelle Sa Majesté est entrée avec autant de gloire que de religion. J'ai d'autant plus lieu de le croire, que ses protecteurs ont fait entendre au saint Père que la protection qu'il doit à un cardinal, qui est sa créature, l'engage à donner le temps de pouvoir le défendre après sa mort. J'apprends néanmoins qu'à force d'étudier pour le défendre, on reste convaincu qu'il ne peut être défendu.

J'ai fait un long travail où je l'ai suivi nombre par nombre; et j'ai démontré qu'il a violé la lettre et le sens de presque tous les passages qu'il rapporte : on en a tiré un sommaire, que M. le prieur de Tourreil, de Toulouse, porte en France. J'ai soutenu de plus qu'il a violé presque toutes les définitions que l'Eglise a faites sur la corruption du péché et la réparation de la grâce médicinale et libératrice. Cet ouvrage est entre les mains de nos religieux : notre procureur général, frère du défunt cardinal Ricci, l'a approuvé avec des témoignages obligeants. Il est à présent entre les mains d'un autre qui en paraît satisfait : je

 

(a) Le père Massoulié rit en effet imprimer, en 1699, une réfutation des erreurs des quiétistes sous le titre : Traité de la véritable Oraison, qu'il dédia à M. de Noailles archevêque de Paris.

 

189

 

le remettrai ensuite à M. le cardinal Casanate. J'espère toujours de plus en plus que cet ouvrage posthume ne sera pas le triomphe des ennemis de saint Augustin, mais leur tombeau.

Je sais l'estime qu'a votre Grandeur pour l'Instruction pastorale de feu M. le cardinal Denhoff sur le sacrement de pénitence. Il chargea M. le sacristain, M. Charlas et moi de la revoir : nous lui représentâmes certains points qui méritaient quelques éclaircissements. Il approuva nos sentiments, nous ordonna de les mettre par écrit, et de les faire ajouter aux éditions suivantes. Je les présente à votre Grandeur, et la supplie de m'en apprendre au plus tôt son jugement : car M. le cardinal des Ursins a fait imprimer cette addition à Bénévent, M. le cardinal d'Aguirre à Salamanque, traduite en espagnol, et M. le vicaire apostolique en Hollande. J'en ai envoyé une traduction française à M. l'archevêque d'Embrun, qui l'a reçue : l'auteur l'avait approuvée avant sa mort. Je supplie Votre Grandeur de m'accorder sa sainte bénédiction, et de me permettre de me dire, avec un très-parfait et très-profond respect, de Votre Grandeur, le très-humble, très-obéissant, très-fidèle serviteur et disciple.

Fr. Augustin.

 

J'ajoute ici après ma lettre écrite, que j'ai vu M. Daurat (a), directeur de M. Charlas : il m'a fait connaître que M. de Cambray leur avait fait avoir son livre, et qu'il souhaitoit que je le visse. J'ai promis de faire toutes mes diligences pour le pouvoir lire, après quoi nous en discourrons. Il m'a été impossible jusqu'à présent de l'avoir : demain le cardinal Ferrari, notre procureur général et le P. Massoulié se retirent ici jusqu'à la Toussaint ; l'occasion est belle.

Votre Grandeur doit être avertie que les Romains ont été au désespoir au sujet du théâtre abattu par les ordres du Pape, et que c'est bien lui faire sa cour que de lui en donner des louanges : il en est toujours de plus en plus satisfait.

 

(a) C'était un ancien archiprêtre de Pamiera, réfugié comme M. Charlas, à Rome, depuis l'affaire de la Régale.

 

190

 

LETTRE CLXVI. BOSSUET A  SON  NEVEU (a). A Fontainebleau, ce 21 octobre 1697.

 

Votre lettre du premier octobre, qui était dans le paquet de M. Blondel, me fut hier rendue. Le courrier extraordinaire nommé Raisin, qui devait apporter le paquet de la veille, m'a dit qu'il avait reçu défense de M. le cardinal de Bouillon de se charger d'aucun paquet ; et que tout ce qu'il avait pu faire était de prier le secrétaire de Son Eminence de vous renvoyer le vôtre, sans qu'il en sache rien davantage. Les ministres du roi ont leurs raisons, et c'est à vous à prendre d'autres mesures par les voies ordinaires.

On est bien aise ici de savoir que M. le cardinal de Bouillon ait été si heureusement rétabli par le bon air de Frescati. J'apprends qu'il a mandé au roi, à ce qu'il paraît, de très-bonne foi, comme j'apprends, qu'il ne se mêlerait de rien en l'affaire de M. de Cambray. J'ai envoyé à M. le nonce sept exemplaires qu'il m'a demandés, du livre français de ce prélat. Nous vous avons envoyé deux douzaines d'additions, qui serviront à suppléer les premières éditions qui pourront venir par Livourne. Vous direz toujours que vous partez.

On trouve ici que tout est à craindre des artifices de la cabale : que tout traînera en longueur ; qu'il arrivera quelque changement; et on ne peut prendre confiance aux examinateurs. Je suis presque le seul qui croit que Dieu fera un coup de sa main, et ne permettra pas que la chaire de saint Pierre se déshonore par conniver à une si mauvaise doctrine, et si contraire à l'Evangile et à ses propres décisions.

M. de Cambray a cent bouches pour débiter ses faux avantages. On mande de Rome qu'on consultera le cardinal Pétrucci, qui voudrait tenir un milieu entre M. de Cambray et nous. Il serait bien étrange qu'on nous mît entre ses mains. Nous l'avons épargné,

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

191

 

jusqu'à ne faire nulle mention des censures de ses livres (a).

Faites bien réflexion à ce que je vous ai mandé par l'ordinaire dernier. Allez au mieux plutôt qu'au plus court, si ce n'est que vous prévissiez de grandes longueurs. Le roi attend ce qu'on aura fait sur ce qu'il a fait dire par M. le nonce (b) ; et Sa Majesté pressera quand il sera temps. Je ferai la relation que vous désirez.

J'ai vu une lettre de Monsignor Giori à M. le cardinal d'Estrées, qui dit que tout va bien, mais qu'on prépare des longueurs. Il faut faire entendre que le livre est court, la matière bien examinée, déjà jugée en la personne de Molinos, de La Combe, de Madame Guyon, de Bernières; et qu'ainsi l'on doit être prêt.

M. le cardinal d'Estrées m'a parlé du P. Péra, jacobin, comme pouvant donner des avis sûrs.

La lettre de M. de Cambray est imprimée. Il se fait applaudir dans tous les lardons et les journaux de Hollande. Je vous en envoie l'extrait : c'est constamment M. de Harlay qui a fait dresser l'article.

Par les lettres du 7, les affaires de Pologne prennent un bon tour. Les ratifications de la paix sont venues. On la publie aujourd'hui à Paris. On dit que l'empereur fait le difficile, mais on ne doute pas de l'acceptation. On n'a rien déclaré pour les charges. Je pars demain à Fontenay coucher. Le lendemain dîner à la Fortelle. Jeudi à Meaux, où se rendra ce jour-là même M. l'intendant que nous trouverons le soir à Fontenay.

Prenez garde, en donnant l'imprimé de la Déclaration, de corriger les endroits qu'on a marqués à la main, qui sont importants.

Nous nous portons fort bien, Dieu merci.

Faites bien, dans l'occasion, mes compliments respectueux à M. le cardinal de Bouillon. M. le cardinal de Janson est à Beauvais, fort occupé de son diocèse.

Faites bien sur l'Ordonnance de M. de Reims, qui est ici fort

 

(a) Le cardinal Pétrucci avait été disciple de Molinos. L'Inquisition condamna ses œuvres, et défendit ses ouvrages sur la théologie mystique. Il s'était soumis. — (b) Le roi avait témoigné ie désir que le P. Damascène fût retranché du nombre des examinateurs.

 

192

 

estimée, et en effet fort sage, fort savante, fort curieuse et nécessaire après les thèses.

Le roi est prévenu qu'on machinera pour vous obliger à revenir. On croit votre séjour nécessaire.

 

LETTRE CLXVII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 22 octobre 1697.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 29 septembre. Je fais relier les six exemplaires que j'ai reçus par le pénultième ordinaire, et attends les quatre autres. Les vingt exemplaires de la première édition arriveront apparemment bientôt : ils sont partis de Livourne.

Depuis que les examinateurs ont reçu chacun le livre français de M. de Cambray, il semble qu'ils veuillent aller plus vite. Ils firent vendredi dernier, chez le maître du sacré palais, la seconde session, toujours sur les préliminaires. Avant que la poste parte et que je ferme ma lettre, je dois être informé précisément de ce qui se sera passé ; je finirai ma lettre par là.

Les amis et protecteurs de M. de Cambray se sont tant remués auprès du Pape, qu'il a permis aux examinateurs de voir M. de Chanterac, et d'écouter tout ce qu'il leur voudrait dire et donner pour leur instruction : ce qu'il leur avait défendu d'abord, et ce qu'ils avaient aussi exécuté. Il n'y a pas grand mal : il est bon même qu'il ne se puisse pas plaindre de n'avoir pas été entendu, quoique le livre parle de lui-même. Mais il faut remarquer que c'est une règle religieusement observée dans les affaires du saint Office, que les examinateurs ne s'ouvrent en rien aux parties, même qu'ils ne les écoutent pas. L'assesseur leur a écrit à chacun un billet de la part de Sa Sainteté pour le leur permettre.

Le dessein des amis de M. de Cambray est de pousser la chose plus loin, et de faire en sorte qu'on communique à M. de Cambray les propositions qu'on croira devoir extraire de son livre, pour y donner l'explication qu'il jugera à propos et par là éluder

 

193

 

la condamnation. Je sais que c'est là tout leur artifice. Jusqu'ici il n'y a pas de vraisemblance qu'ils y réussissent, mais c'est leur grande vue. Ce qu'il y a à craindre, c'est que Sa Sainteté, qui dit toujours oui au dernier venu, tout d'un coup, croyant ne faire aucun mal, s'engage à quelque chose de semblable, et par là n'éternise cette affaire. Je ferai bien tout de mon mieux pour que le saint Père se tienne sur ses gardes ; et si, je l'ose dire, M. le cardinal de Bouillon voulait se déclarer sur cette affaire et la faire finir, il n'en serait pas seulement question. Mais jusqu'à cette heure, il dit lui-même qu'il ne s'en Veut mêler ni pour ni contre : or ne se mêler pas contre, c'est vouloir ne pas finir ; ce qui, ce me semble, n'est ni l'intention du roi ni celle du Pape.

Il est difficile d'empêcher les coups fourrés : tout ce que je puis faire, c'est de bien avertir et instruire le cardinal Casanate, le cardinal Noris, le cardinal Spada et le Pape par des gens affidés. Tout ce qui viendra du côté de M. le nonce et du roi, sera d'un grand poids; et pour cela il faut que M. le nonce écrive fortement là-dessus. Il n'y aura pas de mal aussi peut-être, qu'il parle au sujet de l'assesseur, qui paraît partial : cela pourra le faire un peu songer à lui; il est entièrement dévoué au cardinal de Bouillon. Jugez par là de cette Eminence. Avec tout cela les gens les plus sensés sont persuadés que le livre n'évitera pas la censure : mais ce ne sera pas sans peine, si M. le cardinal de Bouillon continue sa mauvaise volonté cachée; car pour les Jésuites, ils ne peuvent faire aucun mal considérable.

L'assesseur a parlé au Pape d'une manière très-artificieuse sur le livre en question : il lui a parlé de M. de Cambray comme d'un homme d'une grande considération, pour qui il fallait avoir des égards très-grands, et ne pas précipiter une affaire qui regarde de si près un grand archevêque ; qu'il fallait l'écouter et voir ses raisons; que c'était une affaire de la dernière conséquence, et mille choses générales de cette façon, qui ne font qu'embrouiller l'esprit du Pape. Leur but est d'allonger et de gagner du temps, d'attendre s'il se peut la mort du Pape, et mille autres accidents qui peuvent retarder cette affaire.

On ne saurait mieux faire que d'imprimer ce qu'on veut

 

194

 

envoyer ici. Cela est beaucoup plus commode pour les examinateurs et les cardinaux, et cela est plus authentique.

Ce que le P. Augustin vous a mandé dans la lettre que je vous envoyai par l'autre courrier, de la Faculté de Louvain, n'est pas vrai. Hennebel, qui est ici, a reçu ordre de ne se pas mêler dans cette affaire. Ce docteur improuve fort le livre; et il est vrai que Steyaert dit qu'il écrit contre M. de Cambray.

Enfin M. de Chanterac a donné une copie du livre en latin au saint Office, qui en fait faire des copies pour chaque examinateur. J'emploierai tous méls efforts pour en avoir une, afin de vous l'envoyer incessamment, c'est-à-dire le plus tôt que je pourrai.

Je viens d'apprendre ce qui s'est passé vendredi dernier à l'assemblée des examinateurs : on n'a parlé que des préliminaires. Tous ont parlé déjà assez désavantageusement du livre : on a résolu d'en extraire des propositions qu'on examinera l'une après l'autre ; et on a voulu déterminer de s'assembler tous les vendredis de chaque semaine, pour que chacun rendît compte de son travail et pour convenir. C'est ce que j'ai fait proposer comme le meilleur moyen d'avancer : au moins on n'aura plus besoin de nouvelles convocations. Massoulié et Granelli servent et serviront fort bien et très-utilement. Le P. Alfaro, jésuite, s'est trouvé à cette assemblée : il est Espagnol et honnête homme, à ce qu'on dit ; et il se peut faire, s'il est bien instruit, qu'il ne fasse pas mal. Nous aurons l'œil à tout, et n'oublierons rien pour instruire tout le monde.

Le Pape paraît se porter considérablement mieux. Il donne audience à tout le monde, et s'est aujourd'hui promené fort longtemps dans son jardin. On prétend avec tout cela qu'il n'est pas hors d'affaire, que l'humeur de la goutte n'est pas dissipée, et que l'estomac ne fait pas bien ses fonctions. M. le cardinal de Bouillon n'est pas fâché qu'on croie que le Pape ne se porte pas bien, pour avoir plus de crédit ; et il est certain qu'on ménage plus les cardinaux dans le temps qu'on croit pouvoir avoir besoin d'eux, comme dans ces circonstances.

J'oubliai dans le dernier ordinaire, de vous écrire que le P. Dias et les autres cordeliers espagnols ont joué des ressorts très-grands

 

195

 

depuis peu, pour faire faire quelque chose en faveur du livre de la Mère d'Agréda. J'ai été bien averti qu'ils voulaient employer pour cela M. l'ambassadeur d'Espagne ; et dans les entretiens que j'ai eus avec le cardinal Casanate et le cardinal Noris, j'ai eu soin de les en avertir. Il s'est trouvé effectivement que peu de temps après, c'est-à-dire depuis quinze jours, M. l'ambassadeur d'Espagne leur en a parlé; mais ils lui ont ôté toute espérance de pouvoir renouveler cette affaire, et de rien faire en faveur de ce livre : le cardinal Casanate me le dit la dernière fois que j'eus l'honneur de le voir.

 

LETTRE CLXVIII. BOSSUET A  SON NEVEU  (a). A Germigny, ce 27 octobre 1697.

 

Il faut commencer par vous annoncer la réception de vos lettres du 8 et 11. Le dernier paquet par M. le cardinal d'Estrées, celui de M. de Reims, qui est chez lui, n'est pas encore arrivé jusqu'à moi.

M. le cardinal de Bouillon m'a honoré d'une grande lettre pleine de bonté. Vous jugerez par ma réponse, que je vous envoie, de ce qu'elle contenait.

Je retournerai à Paris incontinent après la Toussaint.

On n'a encore rien déterminé sur la maison de la princesse.

Je conçois votre raison pour que le roi parle au nonce.

J'ai bien entendu l'Allemagne et l'Espagne.

Vous aurez par l'ordinaire prochain, sans tarder, la Relation (b) que vous voulez. J'ai reçu la copie que M. Phelippeaux m'a envoyée (c).

M. de Paris prépare, et imprime actuellement une Ordonnance contre M. de Cambray.

Le mouvement que se donnent ici les amis de M. de Cambray est incroyable ; ce qui nous oblige à instruire le peuple, et à préparer les voies au jugement qu'on attend. Les politiques répandent

(a) Revue sur l'original. — (b) Sur le quiétisme. — (c) Les remarques latines de cet abbé sur les dix premiers articles du livre des Maximes.

 

196

 

qu'on aura de grands ménagements, pour ne point flétrir un archevêque. Je ne le puis croire : ce serait tout perdre. Plus une erreur si pernicieuse vient de haut, plus il en faut détruire l'autorité. Il sera temps de le ménager pour sa personne, quand on aura foudroyé une doctrine qui tend au renversement de toutes les prières et de toutes les conduites de l'Eglise.

Gardez toujours avec M. le cardinal de Bouillon, les mesures de respect et de confiance, que je vous ai marquées par ma précédente.

C'est M. le maréchal de Noailles qui m'a prié de vous envoyer la lettre sur le frère Laurent (a): vous ne vous presserez pas.

M. l'archevêque de Cambray a imprimé et publié une Ordonnance explicative de son livre, et pareillement explicative de sa prétendue tradition : il la tient cachée, et à Cambray même on n'en a point d'exemplaire (b). Il l'a fait imprimer en trois ou quatre lieux différents, afin de rendre plus difficile le ramas des feuilles. On est étonné du soin de cacher une ordonnance publique. Il la veut envoyer à Rome furtivement et nous la cacher, pour surprendre et nous ôter le moyen d'en découvrir les erreurs. Un évêque savant, à qui il l'a communiquée, m'a fait savoir qu'elle était pire que le livre : l'évêque de Toul (c).

J'embrasse M. Phelippeaux.

 

(a) Cette lettre, adressée au maréchal de Noailles par l'abbé de Beaufort, grand-vicaire de Paris, avait pour but de justifier ou d'expliquer le livre du frère Laurent. — (b) Il s'agit ici de l'Instruction pastorale datée du 15 septembre, mais qui ne fut en effet publiée qu'à la lin d'octobre. Deux lettres de Fénelon à l'abbé de Chanterac (des 15 septembre et 23 octobre 1097), nous donnent les raisons du retard de la publication de cette pièce. On y voit que Fénelon avait composé deux Instructions, l'une pour expliquer sa doctrine, l'autre pour exposer la suite de la tradition; mais qu'après il jugea à propos de les fondre en une seule. On y apprend encore que plusieurs théologiens zélés pour la cause de l'archevêque de Cambray, lui firent des observations, qui donnèrent lieu à ce prélat d'ajouter à son Instruction beaucoup de carions, comme on le voit dans l'édition originale, où plusieurs pages sont intercalées, d'autres imprimées en caractères plus menus; et par là on explique d'une manière plausible ce que dit ici Bossuet, apparemment mal informé , que Fénelon avait fait imprimer son Instruction en trois ou quatre lieux différents ( Edit. de Vers.) — (c) Henri-Pons de Thiard de Bissy, né le 25 mai 1657, nommé évêque de Toul en 1687. Il refusa l'archevêché de Bordeaux en 1697, et fut choisi par Louis XIV, le 10 mai 1704 pour successeur de Bossuet dans le siège de Meaux, qu'il occupa jusqu'à sa mort. Clément XI le fit cardinal en 1715. Il mourut à Paris, à Saint-Germain-des-Prés, dont il était abbé, le 26 juillet 1737.

 

197

 

LETTRE CLXIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 29 octobre 1697.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Fontainebleau, du 7 de ce mois. J'ai reçu par le même courrier le paquet de vingt Déclarations, et quatre de vos livres et additions. Les vingt exemplaires de la première édition ne sont pas encore arrivés.

M. de Chanterac fait fort retentir ici la grâce qu'il prétend avoir obtenue de Sa Sainteté, sur la communication de toutes les difficultés qu'on fera sur l'ouvrage de M. de Cambray. Il est vrai que le billet de l'assesseur aux députés contient, que c'est l'intention du Pape que les examinateurs puissent communiquer de vive voix réciproquement avec le grand-vicaire de M. de Cambray sur leurs difficultés; et c'était là un beau prétexte pour ne jamais finir, et entasser difficulté sur difficulté, et rendre suspects tous ceux qu'il aurait voulu : et c'est pourquoi les examinateurs, dans leur dernière assemblée de vendredi, ont résolu de ne rien communiquer de ce qui se passerait dans leurs assemblées, ni de ce qui s'y résoudrait, et ont paru trouver très-extraordinaire l'ordre qu'ils ont reçu.

Cela m'a donné occasion d'en parler fortement ici, et d'en faire parler au Pape pour l'engager à révoquer cet ordre, qui ne sert à rien, et qui ne sert que de prétexte aux malintentionnés, qui est contre toutes les règles du saint Office et du secret nécessaire pour finir et pour bien finir.

Je ne puis pas encore répondre de ce qui se fera positivement ; mais j'espère par le premier ordinaire, pouvoir vous mander une résolution fixe de Sa Sainteté, de renvoyer tout à la congrégation des cardinaux ce qu'on lui demandera sur cette affaire, et en particulier un ordre aux examinateurs de ne point changer leur manière ordinaire de procéder avec les parties. C'est une chose

 

(a) Revue sur l'original.

 

198

 

juste, qui n'empêche pas qu'on n'écoute les raisons de M. de Cambray, et qu'on n'examine ce qu'il voudra donner pour sa défense; mais qui prévient mille inconvénients et mille chicaneries. J'espère de faire prendre cette bonne résolution avant que le cardinal de Bouillon ait vent qu'on ait ce dessein, et qu'on rompt ses mesures. Je suis assuré que cela ne lui plaira pas : quand cela sera assuré je lui en parlerai, supposant toujours qu'il approuve tout ce qu'on fait pour empêcher les longueurs. Si ce que je fais faire ne réussit pas, je prendrai peut-être la résolution de demander une audience à Sa Sainteté pour lui représenter mes raisons ; mais je ne ferai rien que de l'avis du cardinal Casanate et du cardinal Spada.

On tint donc vendredi 25 la troisième conférence, où l'on continua les préliminaires et à parler fortement contre le livre en général. Jusqu'ici tout va bien; on étudie la matière, on a les livres. Le P. Massoulié, le P. Granelli, le P. le Mire, le P. procureur général des Augustins, le maître du sacré palais sont les plus savants, sans difficulté, et font bien. Le P. Damascène était à la campagne: le P. Gabrieli et le P. Alfaro parlèrent peu. La première conférence se tiendra lundi A de novembre, parce que c'est le premier jour libre à cause des fêtes : on commencera à entrer dans le détail des propositions.

J'ai reçu les remarques, qui sont excellentes : je crois qu'il les faut traduire en latin et retrancher les qualifications. Si ceux que je consulterai là-dessus, qui seront le cardinal Casanate et le cardinal Noris, le jugent à propos, j'en ferai faire des copies, et les donnerai pour instruction. Jusqu'ici c'est mon dessein, à moins que je n'y voie quelque nouvelle difficulté. Cela est court et clair, et démonstratif : c'est tout ce qu'il faut.

Il y a longtemps que j'ai présenté un de vos livres à M. le cardinal Nerli, qui est assurément un personnage. Le cardinal de Bouillon est assez de ses amis ; le P. Damascène aussi, et je l'ai trouvé un peu prévenu. J'ai été une heure et demie avec lui ce matin. Comme il est homme capable d'entendre, bien intentionné, qui aime qu'on l'instruise, et qui sait bien le français, j'espère lui faire entendre la vérité. Je lui ai déjà levé bien des nuages qu'il

 

 

199

 

avait sur le procédé, et sur ce qu'on avait tâché de lui insinuer. Je continuerai à le voir souvent : c'est un des plus appliqués du saint Office. C'est le seul cardinal, avec le cardinal Spada, que M de Chanterac ait vu jusqu'à cette heure. Il est fort ami, ce me semble du cardinal d'Estrées. Si ce cardinal pouvait lui faire savoir, non-seulement l'état des choses, mais le procédé de M. de Cambray et des évêques, et le scandale du livre, et l'improbation générale, cela ferait un bon effet. Car vous ne sauriez vous imaginer avec quelle application et quelle adresse on insinue ici le contraire, et que c'est une cabale où l'on a fait entrer le roi. Cela insinué par M. le cardinal de Bouillon et par gens qui semblent n'y avoir aucun intérêt, fait d'abord effet.

Ce matin je ne suis point entré chez le cardinal Marescotti, parce que M. de Chanterac y était : celui-là est ami particulier de M. le cardinal de Bouillon ; mais je l'ai bien instruit il y a longtemps. Ces deux cardinaux sont cardinaux papables.

Je reconnais tous les jours de plus en plus l'intérêt que M. le cardinal de Bouillon prend pour M. de Cambray. Le cardinal Albani (a) est fort ami de ce cardinal, et il est certain qu'en cette affaire-ci M. le cardinal de Bouillon croit s'en servir.

Je ferai tout de mon mieux, pour ne rien oublier, pour instruire ; Dieu fera le reste et le temps.

Il serait fort à souhaiter que Damascène, Gabrieli et Alfaro n'y fussent pas (b) : mais c'aurait été un trop grand fracas, si le roi avait pressé là-dessus le Pape ; et je crois que cela fera un bon effet, si M. le nonce a rendu compte comme cela s'est passé. Je l'ai dit au cardinal Casanate, qui est le seul jusqu'à cette heure sur qui je puisse compter.

Je n'ai pas encore entendu parler des livres que vous dites qu'on objecte à Paris : je ne sais ce que c'est que ce livre de frère Laurent.

M. le cardinal de Bouillon est toujours à Frescati, qui se porte bien, et qui régale tout le monde. Je ne puis lui aller faire ma cour aussi souvent que je le voudrais, ni jouir de la petite maison

 

(a) C'est le cardinal qui succéda à Innocent XII, sous le nom de Clément XI. — (b) Parmi les examinateurs.

 

 

200

 

que j'y ai. Présentement qu'on peut retourner à Rome sans danger dormir, j'irai plus souvent et y coucher de temps en temps une nuit ou deux.

L'arrivée de M. le prince de Conti est sûre en Pologne. Le ministre de l'empereur, et de Saxe, ces jours passés ont fait leurs efforts pour faire faire ici des pas en faveur de Saxe, mais ils n'y ont pas réussi, cette Cour étant résolue d'attendre l'événement. Le cardinal de Bouillon ne s'est donné aucun mouvement sur tout cela, au grand étonnement de tout le monde.

Le Pape est sorti déjà plusieurs fois malgré le grand froid : il se porte mieux ; mais les cardinaux ne veulent pas croire qu'il soit hors d'affaire, et moins que personne M. le cardinal de Bouillon.

J'oublie de vous dire que le cardinal Pétrucci a dit que le livre de M. de Cambray était très-mauvais et insoutenable.

Il est bon qu'à M. le cardinal d'Estrées vous parliez quelquefois du P. Estiennot et de M. Georgi comme de gens que j'estime et de mes amis.

J'ai reçu l’Ordonnance de M. de Reims, qui est foudroyante : on y reconnaît la main.

J'ai entretenu et instruit M. Charlas, qu'on avait commencé à prévenir ; mais il est à cette heure dans le bon chemin, si je ne me trompe.

 

LETTRE CLXX. BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Marly, ce 3 novembre 1697.

 

Je ne trouve rien qu'à admirer dans votre Instruction. Elle est solide, elle est profonde, elle est correcte, elle est docte ; et si j'avais à reprendre quelque chose, c'est seulement qu'elle pourrait paraître un peu trop chargée de doctrine et de passages. Ce défaut est trop beau pour le corriger. J'ajoute que tout le monde n'en verra pas également l'ordre, quoique si l'on suit avec attention les titres de la marge, ils serviront de reposoirs et de guides.

 

201

 

Il me semble qu'à la page 51 il ne faudrait pas dire (a) si généralement , qu'on ne trouve aucune trace dans les martyrs de ces précisions subtiles. Il y en a un exemple dans Victor de Vite : on en pourrait trouver quelque autre. Cela ne fait rien dans le fond, et on en est quitte pour adoucir un tant soit peu l'expression.

Je vous supplie, mon cher Seigneur, de bien observer ces mots de la page 75, que si l'on continue à vous accuser, comme on a fait, etc. Il me paraît que ces excuses ne sont pas de la sublimité et, pour ainsi dire, de la magnanimité d'une Instruction pastorale. Vous paraîtrez trop ému du bon méchant mot d'un prélat que vous connaissez, et que tout le monde connaît, et des caractères qu'il nous a donnés à vous et à moi. Plusieurs croiront même que vous aurez voulu repousser à mes dépens le caractère de rigueur qu'il m'attribue. Ce n'est pas votre intention, je le sais ; mais je dis aussi qu'il ne faut pas qu'on le puisse ni dire, ni penser. Votre indulgence, qu'il faudrait plutôt appeler patience sainte et charitable, a servi à la vérité, puisqu'elle a servi à la conviction. Il n'y a point eu de rigueur en celte affaire, puisqu'on ne s'est déclaré qu'à l'extrémité. Notre Déclaration n'est pas un acte de rigueur; elle porte sa justification en elle-même. Ce n'est pas une rigueur dans votre Instruction, d'avoir marqué en trente endroits les paroles du livre de M. de Cambray : il est désigné trop clairement pour donner lieu à aucun doute. J'ôterais pour cette raison ces mots : Le ménagement qui est dû au mérite et au caractère de l'auteur. Ces excuses me semblent peu nécessaires après notre Déclaration ; et il me paraît plus noble, par conséquent plus épiscopal, de se justifier par le fond. C'est une assez bonne raison que celle d'attendre le jugement du Pape, et je crois que le reste fera parler sans nécessité. Je suis à vous, comme vous savez, mon cher Seigneur.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

J'ajoute que cette Instruction, avec ces petits correctifs, ne

 

(a) On voit, dans l'Instruction de M. de Noailles, qu'il a eu égard aux observations de Bossuet, en corrigeant ou adoucissant les différentes expressions que le prélat reprenait. ( Les édit. )

 

202

 

saurait trop tôt paraître : je la garde pour la mieux goûter moi seul.

 

LETTRE CLXXI. BOSSUET A   SON  NEVEU (a). A Marly, ce 4 novembre 1697.

 

J'ai reçu vos lettres du 15 octobre. Vous apprendrez par cet ordinaire, que le roi m'a donné la charge de premier aumônier de Madame la duchesse de Bourgogne. J'en reçus la nouvelle mercredi dernier à Germigny, par un courrier de M. de Pont-chartrain, de la part du roi. J'ai laissé passer la Toussaint, pour faire l'office; et hier je partis pour venir ici coucher; et faire mes remerciements. Le roi me dit tout ce qui se peut d'obligeant, de confiance, et Monseigneur de même ; et je vous puis dire que ce fut une joie publique dans toute la Cour. Je verrai demain la princesse. On croit que le roi, qui n'a point nommé la chapelle, me veut faire l'honneur de m'en parler : il ne m'a encore rien dit. Nous avons résolu, mon frère et moi, de ne vous proposer pour rien. Il faut espérer que par votre bonne conduite on aura mieux. Ne doutez pas que je ne m'applique à vos avantages plus qu'aux miens, puisque dans les choses temporelles, vous pouvez, en continuant, faire mon principal objet.

Vous recevrez par cet ordinaire la nouvelle Instruction pastorale de M. de Cambray, dont je vous ai tant parlé dans mes précédentes : rappelez-en la mémoire. Je vous ai mandé combien artificieusement elle a été faite, et quel en est le dessein. Vous verrez par la date qu'il y a six semaines qu'elle est publiée : on a voulu avoir tout ce temps-là pour prévenir Rome si l'on pouvait, et embrouiller les affaires. Elle doit faire un effet tout contraire. On voit un homme qui recule sur tout, qui ne sait comment couvrir ses erreurs, et qui n'a pas l'humilité de les avouer. C'est justement pour convaincre que le livre est visiblement condamnable, puisque l'auteur ne le peut sauver qu'en le tournant à contre-sens. C'est l'effet que vous attendiez de l'explication : vous

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

203

 

avez très-bien raisonné ; et en général, je vous puis dire que tous les raisonnements que vous faites dans la matière sont très-justes. Je vous enverrai bientôt de courtes remarques (a) sur cette Ordonnance. En attendant, voilà le récit que je vous ai promis (b) : il ne le faut communiquer qu'à peu de personnes qui soient sûres.

M. le cardinal de Janson est à Beauvais, très-heureusement appliqué à son diocèse. Ne doutez pas de mon attention à ce que vous me marquez par rapport à lui (c), et à M. le cardinal d'Estrées. Le dernier n'est point ici.

M. de Celi apporta avant-hier la nouvelle de la signature de l'empereur.

Tant ce qu'il y a ici de bons évêques, et moi plus que personne, nous faisons des vœux continuels pour la conservation de Sa Sainteté ; et jamais Pape ne fut ni plus révéré ni plus chéri.

Assurez-vous que je ne partirai point d'ici, s'il plaît à Dieu, sans avoir fait résoudre ce que vous croyez nécessaire. Le roi est toujours porté par le même zèle, et il ne faut que lui montrer le bien. C'en est un grand qu'il a fait d'avoir dès le lendemain de la paix, et avant la signature de l'empereur, déchargé tout le royaume de l'ustensile, de la capitation et de la milice : c'est relâcher tout d'un coup quarante millions.

Les nouvelles de la Pologne vont toujours de mieux en mieux pour M. le prince de Conti, dont la prudence, la modération et la capacité font la merveille de toute la nation, dont les seigneurs le trouvent instruit de leurs affaires mieux qu'eux-mêmes.

M. le cardinal de Bouillon sera bien aise par sa bonté de la nouvelle grâce que j'ai reçue; et je vous prie de lui en donner l'avis de ma part, en l'assurant de mes respects.

Le P. Augustin voudrait qu'on fit agir le roi dans l'affaire du

 

(a) Bossuet ne se borna pas à de courtes remarques, mais il fit un écrit assez étendu, sous ce titre : Préface sur l'Instruction pastorale donnée à Cambray le 15 de septembre 1697. Voyez cet ouvrage, vol. XIX, p. 178.— (b) C'est l'écrit intitulé : De quietismo in Galliis refutato, que nous avons placé à la tête de cette correspondance. — (c) Il s'agissait d'engager l'un ou l'autre de ces deux cardinaux à prendre pour conclaviste l'abbé Bossuet, si le Pape venait à mourir.

 

204

 

P. Serri : je le voudrais, mais il faut du temps et des occasions pour cela.

 

LETTRE CLXXII. L'ABBÉ BOSSUET  A  SON ONCLE   (a). A Rome, ce 5 novembre 1697.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Fontainebleau, du 14. Vous aurez vu par mes précédentes, le sujet du retardement de mes lettres. J'attends par les réponses que je recevrai, savoir le sort de mes lettres.

Le donec corrigatur jusqu'ici paraît une chimère et une chose impossible dans l'état des choses, comme vous aurez vu par mes précédentes.

Le P. Estiennot n'est pas des mieux informé sur tout; il est un peu bavard, et cherche à se faire valoir. Il ne doit pas être trop bien avec le cardinal de Bouillon. Avec cela il ne s'y faut fier que comme de raison.

Le saint Office est engagé à examiner les propositions : M. de Cambray le souhaite, et il y a apparence qu'on lui donnera contentement en partie; car d'éviter le respective, s'il est condamné, il n'y a point d'apparence.

Il n'y eut point d'assemblée des commissaires hier, comme elle avait été indiquée : on l'a remise de l'ordre du Pape jusqu'à nouvel ordre. Le prétexte est la traduction nouvelle avec les notes, qui commence à paraître, et qu'on veut que les examinateurs voient, avant que de continuer les assemblées. C'est toujours pour allonger; et il n'y a aucune bonne raison à cela. On dit encore pour raison de cette remise, mais ce n'est qu'un bruit qui ne laisse pas d'avoir son fondement, que le nonce a écrit qu'il croyait qu'on ferait plaisir au roi de nommer d'autres examinateurs à la place de Damascène et de Gabrieli, et que cela doit se résoudre demain à la Congrégation du saint Office. J'ai vu ce soir M. le cardinal Noris, qui m'en a touché quelque chose. Je lui ai dit à peu près ce que vous m'avez écrit sur ce sujet-là, lui

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

205

 

faisant remarquer que le parti que les évêques prenaient naturellement était celui de la douceur, et de respect pour ce qu'ils pouvaient croire l'intention du Pape et de la Congrégation : nous verrons ce qui en sera. J'ai parlé au cardinal Casanate en conformité sur cet article.

Je leur ai parlé plus fortement sur l'article de la communication des pièces et propositions prétendues par M. de Chanterac, et sur le billet de l'assesseur. Ils sont convenus que c'était entièrement contre l'ordre et la règle du saint Office; que le Pape s'était comme engagé là-dedans sans le savoir. Je ne vois encore rien de précis, de déterminé là-dessus. Ces cardinaux et le cardinal Spada me rassurent là-dessus ; mais je ne vois point de contre-ordre précis. Je saurai si demain on fait quelque chose à ce sujet; cela est de conséquence. Ce que je crains plus que tout, c'est la communication des propositions avant la condamnation, particulièrement contre toute règle du saint Office, cela ne s'étant jamais pratiqué. Je ferai ici de mon mieux pour représenter toutes les raisons contraires ; je ferai toutes sortes d'instances. Une seule parole de. M. le cardinal de Bouillon ferait tout ; mais il ne faut pas l'espérer, et vous voyez en quel embarras je suis.

Ajoutez de plus qu'il n'y a pas de jour où deux ou trois personnes ne parlent au Pape en faveur de M. de Cambray, et qu'il ne sait plus où il en est. Dans le commencement, rien n'était pareil à son ardeur : à présent il dit qu'il faut aller adagio. M. le cardinal Noris m'a dit aujourd'hui très-franchement, mais en secret, que M. le cardinal de Bouillon disait qu'il était sur cela indifférent; mais qu'il croyait, lui, qu'il favorisait M. de Cambray, et qu'il sollicitait pour lui. L'assesseur le favorise par toutes ses démarches ; les Jésuites se déclarent hautement : il n'y a que moi qui fais toujours semblant d'en douter. Je sais pourtant qu'ils n'oublient rien: ils vont sollicitant partout Italiens et François; et le P. Dez a dit il y a quatre jours, que la Société était engagée à faire autant d'efforts pour empêcher la condamnation de ce livre, comme elle en avait fait pour faire condamner Jansénius.

Je ne sais ce qu'on pourrait faire pour faire taire ces Messieurs, qui publient partout sans honte que le roi ne prend plus aucun

 

206

 

intérêt à cette affaire, et que M. le cardinal de Bouillon n'était chargé de rien là-dessus de sa part; qu'aussi il témoignait une parfaite indifférence. Que puis-je dire à tout cela? Néanmoins je puis vous assurer que je ne me décourage pas.

M. le cardinal de Bouillon ne me parle non plus de cette affaire que si elle n'existoit pas. Aussi je ne lui en parle pas, et je fais tout ce que je juge à propos sans le lui communiquer. Il m'est revenu qu'on disait que le roi avait récrit fortement là-dessus à M. le cardinal de Bouillon : il le mériterait bien. Si le roi jugeoit à propos de récrire au Pape pour faire de nouvelles instances, de parler fortement au nonce sur la communication des propositions comme un allongement inutile et injurieux, et contraire, selon l'aveu des cardinaux, des examinateurs, aux saintes règles du saint Office; du moins qu'il ordonnât au cardinal de Bouillon de l'empêcher de quelque manière que ce puisse être, et qu'il témoignât toujours la même vigueur, ce serait une chose très-utile, pour ne pas dire très-nécessaire. Si on pouvait même témoigner au cardinal de Bouillon que, moi étant à Rome pour cette affaire-là, il ferait une chose agréable de me communiquer sur cela ses vues. Je sais bien que cela l'embarrasserait, mais cela me donnerait lieu de lui représenter bien des choses et de lui parler librement, ce que je ne puis faire.

Il ne faut pas oublier, s'il vous plaît, de faire parler à M. le nonce, au sujet de l'assesseur, comme d'un homme entièrement partial, et s'en plaindre. Il est bon que cela lui revienne, et qu'il sache le mécontentement tant du roi que de la part des évêques. Si le roi jugeait encore à propos, quand il fera réponse aux bonnes fêtes aux cardinaux du saint Office, de leur en toucher une parole, cela ferait un effet merveilleux; mais je ne sais si cela est praticable. Enfin le mal en tout ceci est du cardinal de Bouillon: cela fait un très-mauvais effet pour la bonne cause.

Je n'ai point reçu encore le Summa doctrinae: je le recevrai apparemment par le prochain courrier ; j'en ferai un bon usage. Ou ne saurait trop m'en envoyer, non plus que des Déclarations des évêques.

Nous avons résolu de traduire les remarques que vous m'avez

 

207

 

envoyées : rien n'est plus net, plus précis, ni plus démonstratif. La traduction latine faite, on retranchera peut-être les qualifications en forme. J'ai déjà écrit à Naples au sieur Balizon, pour voir si on ne pourrait pas faire imprimer cette traduction : cela serait bien commode et plus utile, parce qu'il en faudrait trop de copies. Il me paraît que la matière sera bien éclaircie, après la Déclaration, le Summa doctrinae, et les Remarques. M. Phelippeaux travaille actuellement à la traduction : nous la corrigerons ensemble.

Je n'ai pas encore entendu souffler de frère Laurent : j'ai reçu la lettre de M. de Beaufort.

On ne saurait trop, en France, éclater contre le livre de M. de Cambray : ils se mènent ici beaucoup par réputation et par crainte.

M. de Chanterac a fait voir ici à quelqu'un le commencement d'un écrit en latin traduit du français, sous le nom d'un docteur de Sorbonne (a) qui fait voir à ce qu'on dit, proposition par proposition, la condamnation de Molinos par M. de Cambray. Il est dit dans cet écrit, que M. de Cambray a pour lui la plus grande partie de la Sorbonne.

L'importance à présent est d'empêcher, à quelque prix que ce soit, la communication des propositions que les examinateurs extrairont de M. de Cambray. Il ne faut point perdre de temps; et si on envoyait quelque courrier extraordinaire, en être averti pour faire faire les instances nécessaires et convenues, et m'avertir

 

(a) L'abbé de Chanterac répandit successivement jusqu'à trois écrits sous le nom d'un Docteur de Sorbonne. Le premier était intitulé : Considerationes Doctoris Sorbonici super doctrinâ et libro D. archiepiscopi Cameracensis. Non-seulement on y prétendait que la plupart des docteurs étaient pour M. de Cambray; mais on représentait encore ce prélat comme un saint persécuté par les jansénistes, dont M. de Meaux était le protecteur déclaré.

Le second écrit avait pour titre : Observationes et notœ in declamationem archiepiscopi Parisiensis et episcoporum Meldensis et Carnutensis adversùs archiepiscopi Cameracensis librum. L'auleur entreprend de faire passer ces trois évêques pour des jansénistes, des brouillons et des ennemis déclarés du saint Siège. Le troisième écrit fut composé par le P. Dez, jésuite, d'abord en français puis traduit en italien, sous ce titre : Reflezione d'un Dottore de Sorbona. Il réunissait les vices des deux autres; et l'auteur croyant sans doute mieux entendre la doctrine du livre de M. de Cambray que ce prélat même, s'efforçait de défendre ses sentiments par des principes et des raisonnements tout tirés de son fond. (Les premiers édit.)

 

208

 

en même temps. Il faut être assuré qu'à moins qu'on ne voie du côté du roi une persévérance constante et publique, on ne verra point de fin.

Je vous envoie dans deux feuilles séparées ce que je sais de la traduction latine.

Je ne reçois aucune réponse de vous au sujet du pauvre chevalier de la Grotte, qui sans moi mourrait de faim.

J'ai perdu mon cachet à tête, ainsi je suis oblige de cacheter avec une devise de M. Phelippeaux, dont je vous envoie l'empreinte.

 

LETTRE CLXXIII.  BOSSUET A  SON NEVEU. A Versailles, ce 11 novembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 22 octobre. Quoique après ma nomination on attendît celle du reste de la chapelle, il ne s'est rien dit du tout sur cela. On revint samedi de Marly, d'où je suis venu ici. Je vais faire un tour à Paris, pour retourner au plus tôt à la Cour.

M. le cardinal de Bouillon a écrit sur mon sujet à M. l'abbé de Fleury (a), une lettre à peu près de même sens que celle que vous pouvez avoir comprise par ma réponse. Il se défend fort de se mêler de l'affaire de M. de Cambray, et dit qu'il ne croit pas que vous ayez aucun sujet de vous plaindre de lui. C'est ainsi qu'il a la bonté de parler, ajoutant même qu'il vous avait offert de tenir chez lui la place d'ami, qu'y tenait M. l'abbé de Polignac. J'ai prié M. l'abbé de Fleury de faire de ma part toutes les honnêtetés que je dois à des bontés si obligeantes. J'ai fort assuré que vous étiez dans les mêmes sentiments : je suis bien persuadé que vous parlerez et agirez sur ce même pied, et je vous en prie.

Je pensais vous envoyer quelques remarques sur l’Instruction pastorale de M. de Cambray : je ne sais si j'en aurai le loisir.

 

(a) André-Hercule de Fleury, né à Lodève le 22 juin 1633, d'abord aumônier du roi, fut nommé en 1698 à l'évêché de Fréjus, dont il se démit en 1715. Il devint précepteur de Louis XV, cardinal en 1726, puis ministre d'Etat, et mourut à Issy, le 29 janvier 1743.

 

209

 

J'envoie à M. le grand duc, pour contenter sa dévotion, l'office de saint Fiacre, qu'il a demandé.

Le roi a parlé à M. le nonce, et fera ce qu'il faut. M. le nonce dit qu'on ne lui mande rien de Rome, ni pour ni contre. Le roi continuera d'agir.

Conduisez-vous toujours avec votre prudence ordinaire. Vous pouvez adresser à M. Torci et à M. Blondel ce que vous aurez de conséquence à m'envoyer.

M. de Metz (a) et l'abbé de Castries, qui sont venus me surprendre ici à dîné, vous font bien des compliments.

 

LETTRE CLXXIV. L'ABBÉ BOSSUET A   SON ONCLE  (b). A Rome, ce 12 novembre 1697.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Fontainebleau, 21 octobre. Je n'ai rien changé à ma manière d'adresser mes lettres à M. Roulier, à Lyon, parce que je la crois sûre et que jusqu'ici rien ne s'est perdu. Je prends du reste les précautions que vous avez vues et qui sont praticables, de peur de surprise. Vous avez, il y a longtemps, l'éclaircissement sur le retardement de mes lettres du 1er  octobre.

Tout est dans la même disposition que je vous ai marquée dans ma précédente, de la part des Jésuites et du cardinal de Bouillon. J'en reçois tous les jours de nouvelles confirmations : on n'en peut douter ; mais, encore un coup, cela ne peut que faire un peu retarder.

Pour ce qui regarde M. de Cambray, il est bien difficile que son livre se sauve ici. On aura beau faire, cette Cour non pressée ira peut-être un peu lentement; mais il faudra mettre à profit cette lenteur, qui, avec cela, ne sera pas excessive ; et pour la mettre à profit, il faut nécessairement traduire en latin les premières vingt remarques dont je vous parlais dans ma dernière lettre, et les faire imprimer. J'ai pris le conseil de M. le cardinal

 

(a) Du Cambout de Coislin, neveu du cardinal de ce nom. — (b) Revue et complétée sur l'original.

 

210

 

Casanate, de M. le cardinal Noris et de plusieurs autres. On a trouvé fort bon l'impression de la Déclaration et du Summa doctrinœ. Je fais valoir par là que les évêques ne font rien en secret sur cette matière ; qu'ils sont bien aises d'exposer aux yeux et à la censure publique des remarques sur un livre public, et dont le scandale est public. Cela m'a fort servi dans les instances que j'ai été obligé de faire, pour qu'on ne se départît pas des règles saintes du saint Office pour la communication des sentiments des examinateurs et des propositions, qu'on voulait extorquer, et que la Congrégation a résolu de ne leur pas donner.

M. le cardinal Casanate m'a assuré encore aujourd'hui, et M. le cardinal Spada, que toute la permission qu'on avait accordée aux examinateurs, était seulement d'écouter M. de Chanterac sans s'expliquer avec lui; et c'est à présent l'intention de Sa Sainteté qu'on avait surpris. A moins que le Pape et la Congrégation ne changent de sentiment, ils sont à présent dans le bon chemin.

On m'a assuré hier que le Pape avait donné ordre au maître du sacré Palais, de ne plus appeler le P. Damascène aux assemblées : cela voudrait dire qu'il est exclus. J'en ai dit un mot aujourd'hui au cardinal Casanate, qui n'a voulu me rien dire; mais il m'a parlé de manière que j'ai sujet de croire qu'il y a de cela quelque chose de vrai. Il n'y a pas grand mal, quoique le P. Péra m'ait voulu persuader qu'il était engagé à condamner le livre. Ce P. Damascène s'en prend au nonce, qui a écrit fortement contre lui, et sait les bons offices que vous lui avez rendus : ainsi il ne nous en sait pas mauvais gré.

Pour revenir à nos vingt Remarques, je vous dirai donc que M. Phelippeaux en a traduit une partie. J'avais écrit à Naples dans l'intention de faire imprimer cet ouvrage; mais on me mande qu'il faut la permission du cardinal-évêque et du vice-roi. Cela serait long à examiner, peut-être la permission ne serait pas sûre : ainsi nous avons pris le parti de vous envoyer par cet ordinaire ce qu'il y en a de traduit et par le prochain je vous enverrai le reste. Il est absolument nécessaire de le faire imprimer bien et correctement. Ces vingt Remarques sont démonstratives et décisives : vous pouvez compter qu'avec cela bien entendu, le

 

211

 

livre ne peut pas tenir. Vous y corrigerez ce que vous jugerez vous-même à propos. On n'a pas jugé à propos de mettre les qualifications : comme elles sont séparées, on en a inséré ce qu'il faut dans le corps du discours; cela ne sera pas improuvé ici, et est nécessaire. On croit à propos de mettre les principaux passages à la marge en français, pour qu'on voie tout d'un coup d'œil et qu'on puisse confronter aisément.

Les dernières Remarques que j'ai reçues parle dernier courrier avec les Summa doctrinœ, sont aussi excellentes : mais l'ouvrage serait trop long ; et puis ces Remarques sont sur des matières plus délicates, plus épineuses, plus subtiles la plupart, et qui ne sont pas pour la plupart nécessaires pour la condamnation du livre en ce pays-ci, où on ne sera touché que des erreurs marquées et démontrées. On peut néanmoins, et il n'y a que vous qui le puissiez faire, en prendre le substantiel, et ce qui aide à fortifier les vingt premières Remarques, et l'insérer dans les vingt Remarques ou à la fin : mais il ne faut, s'il vous plaît, prendre que ce qui ne souffre aucune réplique, où il n'y a aucune échappatoire, vraisemblable, court le plus qu'il sera possible : car c'est ce qui fera l'utilité de cet ouvrage, surtout aussi que rien ne sente la querelle particulière et l'injure.

Il sera bon d'expliquer les suppositions impossibles, de faire voir en quoi est l'excès de M. de Cambray et combien est différent ce que vous en avez écrit, bien établir l'exercice de l'oraison de quiétude, qui ne rend pas plus parfaits chrétiens. Cela sape par les fondements tout son système, et les passages de l'Ecriture dont il abuse manifestement. La Remarque sur les articles faux est excellente : il la faut mettre en substance et raccourcir. Enfin il faut faire de ces Remarques un ouvrage complet : mais pour les vingt-quatre dernières Remarques, ne mettre que ce qui est essentiel, substantiel et sans réplique, et qui puisse frapper ces gens-ci par les inconvénients. Il faut, s'il vous plaît, que pendant qu'on imprimera les vingt Remarques, vous ne perdiez pas do temps à achever en latin cet ouvrage, et le conclure en laissant entendre qu'il y a une infinité d'autres remarques à faire mais qu'on s'en tient aux substantielles.

 

212

 

Il est bon aussi que vous sachiez qu'une des choses qui fera ici le plus de tort à M. de Cambray, c'est qu'on s'imagine qu'il est cartésien, et qu'il préfère cette philosophie à la commune : cela gendarme ici quelques-uns des principaux examinateurs contre lui.

Au reste il n'est pas nécessaire que vous mettiez votre nom à cet ouvrage. Il ne faut même l'imprimer que pour ce pays-ci, vous réservant à faire imprimer le français quand il vous plaira, et dans la forme que vous jugerez à propos. Encore une fois, n'hésitez pas à faire imprimer ce que nous vous demandons pour ce pays-ci, cela est absolument nécessaire; mais, s'il vous plaît, il ne faut pas perdre un moment de temps. Aussitôt mon paquet reçu, il faut faire imprimer en toute diligence ce que nous vous envoyons, quand vous aurez corrigé dans le latin ce que vous jugerez à propos. Vous conclurez l'ouvrage après celà, et cela dans le temps qu'on l'imprimera : dans huit jours vous recevrez le reste de la traduction des vingt Remarques. Aussitôt imprimées, aussitôt vous m'en enverrez, s'il vous plaît, pendant trois ou quatre ordinaires, le plus qu'il sera possible, aussi bien que des Déclarations et des Summa doctrinœ : il est nécessaire de répandre cela partout. On juge ici fort sur la réputation : ces trois pièces se soutiennent l'une l'autre, et suffisent. Au reste les dernières Remarques nous serviront ici pour approfondir la matière, et pour répondre, s'il est nécessaire, à quelques difficultés par quelques feuilles volantes, et pour instruire dans la nécessité. Mais l'imprimé, s'il vous plaît, bien correct, et promptement. Encore une fois, n'hésitez pas un moment, car cela est absolument nécessaire.

La Lettre pastorale de M. l'archevêque de Cambray a été envoyée ici imprimée. L'assesseur l'a prêtée à M. le cardinal Casanate, qui l'a lue : elle est très-longue. M. le cardinal m'a dit qu'il lui paraissait qu'il commençait à rétracter beaucoup de choses : il ne l'avait plus et l'avait rendue; il la croit conforme aux notes.

Au reste comme on allait me donner copie des notes en latin, le maître du sacré Palais a repris le manuscrit, et je ne l'ai pu

 

213

 

avoir; mais on m'a assuré que je l'aurais pour l'ordinaire prochain. M. le cardinal Casanate me l'a comme promis, et une autre personne.

Je vous envoie un écrit en français contre vous (a), très-mauvais, sur le cas impossible. Il est de la main, à ce qu'on dit, de M. de Cambray. Celui du docteur de Sorbonne ne se publie pas, et apparemment ce n'est pas grand'chose.

Les personnes qui écrivent en France qu'on consultera sur cette affaire le cardinal Pétrucci, ignorent absolument cette Cour-ci et l'état présent des choses, outre que je sais de science certaine que ce cardinal condamne le livre de M. de Cambray. Mais il suffirait qu'on crût qu'il y prît part, pour faire condamner plus vite M. de Cambray : il n'y a rien à craindre de ce côté-là.

Plus la Hollande se déclarera favorable à M. de Cambray, plus son affaire sera mauvaise ici.

Je ferai bon usage de la relation que vous me promettez. Il est certain que M. le cardinal de Bouillon est enragé contre moi. Je vais mon chemin, avec toute l'application qui m'est possible, et je rends tout le respect que je dois à tout le monde.

L'union entre vous, M. de Paris et M. de Chartres est nécessaire, et que même cela paroisse encore par quelque chose de public, aussi bien que l'attention et la protection du roi.

Si M. le cardinal de Janson et M. le cardinal d'Estrées écrivaient ici à quelque cardinal, ou personne de considération, la disposition de la France et du roi, le scandale du livre et votre procédé et celui de M. de Cambray, cela ferait un bon effet. Il serait bon même qu'on commençât dans la Faculté et dans le clergé à se remuer là-dessus, s'il est possible : vous êtes prudent et sage.

Je finis par la nouvelle de la promotion inopinée de M. le cardinal Cenci, que le Pape déclara hier être un des deux réservés in petto, dès la première promotion : ainsi il va immédiatement

(a) Cet écrit, de près de deux cents pages in-12, est intitulé : Lettre d'un Ecclésiastique de Flandre à un de ses amis de Paris, où l'on démontre l'injustice des accusations que fait M. l'évêque de Meaux contre M. l'archevêque de Cambray. On fit d'abord courir cette pièce manuscrite à Rome , et enfin on la fit imprimer l'année suivante, 1698. (Les édit.)

 

214

 

après le cardinal Tanara. J'en ai une joie très-particulière; car c'est, je l'ose dire, le seul ami sur qui je puisse compter ici sûrement; et c'est un homme d'une douceur et d'un mérite infini, aimé de tout le monde et très-affectionné à la France. J'ai été cette après-dînée, une heure avec lui : il est bien aise, et il a raison; personne ne s'y attendait, et lui moins qu'un autre. M. le cardinal de Janson en sera ravi.

On reçut la nouvelle samedi de la mort du cardinal Corsi.

Il n'est plus question de la santé du Pape, qui ne laisse pas d'être un peu plus faible que devant sa maladie. . M. le cardinal de Bouillon le divertit à merveille à Frescati, et y fait les honneurs de la France.

L’ Ordonnance de M. de Reims est ici admirée de tout ce qui n'est pas jésuite. J'en écris à M. de Reims amplement, et choses qui ne lui déplaisent pas assurément : il vous en informera.

Faites un peu, je vous prie, ma cour à M. le cardinal d'Estrées, de Janson, M. de Paris, etc.

A ces remarques imprimées, il n'est pas nécessaire d'y mettre où elles sont imprimées : il suffit qu'elles le soient.

 

LETTRE CLXXV. L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A   BOSSUET. Ce 18 novembre 1697.

 

Voilà le reste de la traduction faite à la hâte, et d'un style simple pour être mieux entendu, avec les notes de M. de Cambray. Vous pouvez insérer la réfutation de ces notes, et de l'écrit que j'ai envoyé par le dernier courrier. Comme ce ne sont que des observations, on y peut insérer les qualifications; et il faut nécessairement rendre la vérité éclatante, car il y a bien des sollicitations publiques et secrètes.

Vous me mandez de ne me donner que le moins de mouvement que je pourrai ; rien n'est si facile : mais si je ne m'en donne, je ne sais qui s'en donnera. Au reste je puis assurer que ceux que je me suis donnés ont été nécessaires, et qu'ils n'ont été aperçus

 

213

 

de personne , puisque je vais sans valet, et le soir, et que je ne vois que des  personnes sûres et fidèles, qui sont de mes amis. Il serait peut-être bon que je m'en donnasse davantage ; mais ma première maxime, c'est d'obéir et de suivre vos volontés.

Les congrégations des examinateurs ont été suspendues en attendant la traduction latine, les notes et quelques autres écrits. Cette traduction a déjà été donnée à quelques examinateurs: je l'ai vue; le latin en est pur. Vous jugerez des notes : le peu que j'en ai vu ne servira qu'à faire condamner l'auteur.

On m'a assuré que le maître du sacré Palais avait ordre de n'appeler plus Damascène : on en saura la vérité à la première assemblée. Ainsi il resterait sept examinateurs, dont cinq paraissent vouloir faire leur devoir. On ne sait encore quel parti prendront Gabrieli et Alfaro, jésuite : on m'a assuré que le premier irait bien; pour ce jésuite qui est Espagnol et assez honnête homme, je ne sais s'il pourra s'éloigner de l'engagement où paraît être la Société. On cherche déjà à différer; et nous serons longtemps ici, si de votre côté on ne presse. Vous n'ignorez pas ceux qui peuvent traverser : il n'y a que l'évidence de la vérité qui pourra toucher cette Cour, et la porter à agir malgré les sollicitations et les intrigues qu'on pourra faire.

Le livre du P. Dez (a) devait être référé ce soir : mais comme M. le cardinal de Bouillon voulait être présent, peut-être que les dépêches qu'il devait faire auront engagé à différer. Le maître du sacré Palais donna ce livre à lire au P. Massoulié, qui y fit des notes. Le P. Dez les ayant vues, a fait un livre contre le dominicain sous le titre de Réponse au Janséniste anonyme : le dominicain s'en est plaint à la congrégation, et je ne sais comment cela se terminera.

L'Ordonnance de M. de Reims contre les thèses des Jésuites sera ici fort estimée : on a beaucoup de curiosité de la voir. C'est un coup bien violent pour des gens qui n'y sont pas accoutumés.

Si vous prenez le parti de faire imprimer les observations, il

 

(a) Ce livre était dirigé contre Baius, dont le P. Gerberon venait de publier en Flandre les ouvrages.

 

216

 

faut y mettre tout ce que vous aurez à dire contre le livre, afin de ne point multiplier les écrits, et de ne point attirer de réponses frivoles. Tous les gens instruits et non prévenus sont pour nous. Je vous prie même d'insérer dans ces observations une réfutation courte de la Lettre pastorale que vous pouvez avoir : il n'en est venu ici qu'un exemplaire, apparemment pour pressentir ce qu'on en dirait en cette Cour. On 'parle encore d'un écrit d'un docteur de Sorbonne, probablement supposé : je n'ai pu encore le voir. Il faut que ce ne soit pas grand'chose, car on n'ose encore le communiquer. Après ces observations, s'il se fait quelque réponse, je serai en état d'y répliquer, faisant tout ce que je puis pour m'instruire à fond de la matière.

M. de Chanterac et M.**** courent partout, débitant beaucoup de choses qui ne servent à rien : ni l'un ni l'autre n'est capable d'entrer en discussion de la matière. Si M. le cardinal de Janson était encore à Rome, l'affaire serait bientôt jugée ; mais il faudra prendre patience. On attend quelque événement qui puisse retarder, et qui n'arrivera peut-être pas.

Les Jésuites ont répandu ces jours-ci que Madame de Maintenon avait écrit au cardinal de Bouillon en faveur de M. de Cambray : on veut même que le roi soit indifférent ; mais cela ne fera pas grand effet, s'il continue à presser l'affaire. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE CLXXVI. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Versailles, ce 18 novembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 29 d'octobre, et je suis bien aise de vous voir toujours au fait et fort attentif. J'attends par l'ordinaire prochain l'événement de votre projet (b). Il ne faut point sans nécessité demander d'audience au Pape, à cause du grand éclat que

(a) Revue et complétée sur l'original. — (6) Ce projet consistait, comme on l'a vu par les lettres précédentes, à demander qu'on se conformât dans l'affaire de M. de Cambray, aux règles du saint Office, et qu'on ne communiquât point à l'abbé de Chanterac les délibérations. ( Les édit.)

 

217

 

cela ferait ; mais agissant par le conseil que vous me marquez, vous ne sauriez que bien faire. Prenez garde de parler toujours en mon nom, sans mettre enjeu celui dont on ne doit point parler sans ordre (a).

Vous avez vu présentement  l’Instruction pastorale de M. de Cambray : vous remarquerez aisément que tout y est déguisement et artifice. Je travaille à la réfuter sommairement. Ce n'est pas une explication, mais un autre livre, mauvais et censurable comme le premier.

M. de Paris doit envoyer aujourd'hui à Rome son Instruction pastorale (b). Il n'y nomme point M. de Cambray, ni son livre ; mais en trente endroits il en rapporte des quatre et cinq lignes, qu'il foudroie d'une étrange force.

Je vous envoie une petite lettre de M. l'abbé de Beaufort à M. le maréchal de Noailles, sur le sujet du frère Laurent, carme déchaussé. Vous verrez avec combien peu de ménagement un homme de l'archevêché et bien avoué de son patron, parle de M. de Cambray.

Outre l'Instruction pastorale de M. de Cambray, il remplit le monde de petits ouvrages, qu'il répand par le nombre infini de ses émissaires. En un mot, quoi qu'il dise et quelque beau semblant qu'il fasse, il n'a guère envie de se soumettre; mais il le fera malgré lui, parce que si Rome prononce, il ne trouvera pas un seul homme pour le suivre.

M. l'abbé de Fleury l'aumônier a reçu une lettre de M. le cardinal de Bouillon par rapport à moi, où il veut toujours que je croie qu'il ne se mêle de rien. Cet abbé doit répondre que je crois tout ce qu'il dit, et que je n'entre en nulle connaissance de sa conduite, qui ne peut être que bonne et conforme aux ordres qu il a. Je me réduis toujours sans plainte et sans chagrin, à dire que cette Eminence ne me fait pas assez de justice, sur ce qu'il me paraît trop regarder celte affaire comme une querelle particulière entre M. de Cambray et moi.

 

(a) Le nom du roi. — (b) Elle est intitulée : Instruction pastorale... sur la perfection chrétienne, et sur la vie intérieure, contre les illusions des faux mystiques. 6 octobre 1697.

 

218

 

Comme il parle de vous, je prie cet abbé d'assurer que vous recevez de ce cardinal toute sorte de bous traitements, et que vous n'avez qu'à vous en louer. En lui demandant toujours sa bienveillance et sa protection, vous ne sauriez lui rendre trop de devoirs.

Pour les écrits que j'envoie, que votre prévention pour moi ne vous empêche pas d'examiner ce qui convient au lieu où vous êtes ; pour moi je ne puis voir assurément que ce qui convient ici.

Les amis de M. de Cambray n'ont à dire autre chose, sinon que je lui suis trop rigoureux. Mais si je mollissais dans une querelle où il y va de toute la religion, ou si j'affectais des délicatesses, on ne m'entendrait pas et je trahirais la cause que je dois défendre.

La traduction en latin de mes Remarques françaises serait bien longue. M. Phelippeaux prendra bien la peine d'en traduire ce qui sera plus utile. Mon intention est qu'elles puissent servir de mémoire à quelqu'un de confiance.

Vous devez avoir reçu deux pièces latines, qui sont pour vous et pour des personnes affidées : l'une est Narratio ; l'autre est Errores et qualificationes.

Vous ne manquerez pas de nous écrire sur l'Ordonnance de M. de Reims. On dit qu'il court une lettre contre fort impertinente.

M. Chasot, qui est ici, vous mandera les nouvelles.

Tout est encore en son entier pour la chapelle : on n'en vendra point les charges.

Le roi a pris médecine par précaution et se porte mieux que jamais.

J'attends avec impatience l'écrit latin de M. Phelippeaux : je l'embrasse de tout mon cœur.

Nous nous portons tous à merveille.

M. le cardinal de Janson est encore à Beauvais ; on l'attend ici dans peu.

 

219

 

LETTRE CLXXVII.  L'ABBÉ BOSSUET  A  SON  ONCLE (a). A Frescati, ce 19 novembre 1697.

 

J'ai reçu ici, il y a trois jours, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Germigny le 27 du mois passé. Je suis venu ici prendre l'air quatre ou cinq jours, et m'en retourne demain. Je rendrai moi-même votre lettre à M. le cardinal de Bouillon , et aurai par là occasion de lui parler de cette affaire, dont, pour vous dire la vérité, nous ne nous parlons point, comme s'il n'en était pas question. La raison pour laquelle de mon côté j'en agis de cette sorte, c'est que je vois fort bien qu'il évite toutes les occasions d'entrer là-dessus en matière avec moi ; et comme je veux aller mon chemin, et faire ce qu'il convient pour le bien de la cause, je n'en veux pas être empêché ; et je suppose toujours qu'on en est bien aise, parce que cela doit être ainsi. Du reste je ne fais rien que je ne veuille bien qui soit su de tout le monde , et je garde toutes les mesures imaginables.

Enfin nous avons eu copie des notes latines, et j'ai chargé M. Phelippeaux de vous en envoyer un exemplaire par cet ordinaire : il vous instruira aussi de ce qu'il a pu savoir de nouveau depuis mon départ. Il vous doit envoyer les dernières feuilles de la traduction latine, dont nous attendrons ici les exemplaires avec grande impatience, comme chose très-nécessaire. Comme vous avez à présent l'Ordonnance et les notes, vous pourriez ajouter ce qu'il faut aux endroits. Ce que je prends la liberté de vous recommander, c'est la brièveté, et de n'aller qu'à l'essentiel, et aux grossières erreurs qui sont capables de frapper ces gens-ci.

Au reste vous ne sauriez, les uns et les autres, trop publier en France d'instructions contre M. de Cambray. M. le cardinal de Bouillon et les Jésuites sont bien aises de faire croire ici que le cierge de France est entièrement divisé sur cette matière, et que beaucoup de prélats et de docteurs ne condamnent pas le livre de

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

220

 

M. de Cambray. Il serait bon de faire connaître le contraire à tout le monde par toute sorte de voies.

Au reste j'ai appris depuis ma dernière lettre, qu'on murmurait de faire une congrégation de cardinaux exprès pour cette affaire. Cela peut avoir son bon et son mauvais. Si cette nouveauté était demandée de la part du roi par M. le cardinal de Bouillon et de concert avec M. de Chartres, M. de Paris et vous, je la tiendrais pour bonne. Si c'est le contraire, je tiens ce dessein pour fort suspect : ce sera uniquement pour tâcher de changer le théâtre, qu'on croit n'être pas favorable.

J'ai mis en campagne deux ou trois personnes pour découvrir ce qui en est : et je le saurai dans peu, et j'agirai suivant l'occurrence. Ce que vous me mandez par votre précédente lettre, qu'on verra l'effet qu'aura ce que le roi a dit à M. le nonce, me fait être en suspens si ce ne serait point de cela que vous me voudriez parler : d'un autre côté, je crois que cela vaudrait bien la peine de m'être mandé exprès.

Je suis venu ici en partie pour attendre que je fusse mieux instruit, et n'être pas obligé de parler là-dessus sans savoir ce que j'ai à dire. Tout ce que je puis vous dire, c'est que cela sera bien hardi au cardinal de Bouillon, s'il le fait sans ordre du roi. Car assurément une chose pareille ne se peut faire sans que le cardinal de Bouillon y ait part.

Les Jésuites publient hautement que la lettre du roi a été dictée par M. l'évêque de Meaux : cela est assez insolent, et pour aliéner l'esprit des examinateurs des trois évêques. Des moines intrigants, à la tête desquels est le P. Dias, Espagnol, publient que M. de Cambray est le seul défenseur des religieux, et qu'ils doivent le soutenir.

Il est sûr que le P. Damascène est exclus du nombre des examinateurs, dont il est très-fâché et les examinateurs sont fort aises. M. Phelippeaux vous écrira amplement : cette lettre sera dans son paquet.

Vous ferez, je vous prie, mes excuses à mon père et à M. Chasot, si je ne leur écris pas. J'ai reçu leur dernière lettre, celle de mon père du 28, et celle de M. Chasot du 27.

 

221

 

Le Pape se porte bien, et a fait son maître de chambre Monseigneur Aquaviva, Napolitain, qui est fort mon ami, et qui pourra parler au Pape plus fortement que M. Lenci, qui par modestie n'osait parler de rien.

 

LETTRE CLXXVIII. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Versailles, ce 25 novembre 1697.

 

Je vois, par votre lettre du 5, que vos travaux augmentent; Dieu vous bénira. Nous sommes au temps de l'embrouillement : celui du dénouement viendra, qui nous sera favorable.

Nous avons avis qu'on a ôté Damascène. J'en suis bien aise pour faire voir le zèle du rai, et pour la réputation de l'affaire, quoique ce religieux se fût expliqué pour la censure du livre. J'ai conseillé de ne rien pousser sur Gabrieli.

M. de Cambray et ses amis crient ici victoire, mais ne nous étonnons pas de ce style. Quand ce prélat fut chassé, tout résonnait ici de sa victoire : le roi ne se souciait plus de l'affaire et tout allait bien. Il est vrai qu'en cette occasion ce n'est pas de même, et qu'on ne voyait pas une cabale si puissante et si concertée; mais la vérité sera la plus forte.

Je vous prie de chercher les moyens de voir M. le cardinal de Bouillon, et de lui dire qu'encore que je croie tout ce qu'il lui plaît sur la neutralité qu'il promet, je ne cesserai jamais de me plaindre à lui avec respect du peu de justice que Son Eminence me rend, sur la plainte que j'ai eu l'honneur de lui faire des discours qu'on avait tenus, et tendant à réduire cette affaire à une querelle particulière entre M. de Cambray et moi. Toute la France sait que je n'ai aucune affaire avec ce prélat, ni aucun démêlé avec lui qui ne me soit commun avec les autres prélats. Je ne  cesserai de renouveler cette plainte à M. le cardinal de Bouillon, jusqu'à ce qu'il m'ait fait justice, et qu'il ait daigné me répondre sur ce point. Du reste toutes les lettres de Rome

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

222

 

disent qu'il fait son affaire secrètement de celle de M. de Cambray : n'en croyons rien ni vous ni moi. Agissez toujours avec lui dans les mêmes sentiments de respect et de confiance, quand il vous jugera digne de vous écouter.

Vous avez pris l'esprit des explications de M. de Cambray : comme si vous aviez eu le livre des jours entiers entre vos mains (a).

Les harangues des compagnies que je viens d'entendre, m'empêchent de vous écrire sur vos réflexions qui sont très-justes.

Vous avez reçu à présent l’ Instruction pastorale de M. de Cambray. C'est un moyen incontestable pour condamner le livre : et si l'Eglise romaine se laissait éblouir d'une explication si grossière, ce serait à ce coup qu'on pourrait dire: Tunc qui in Judœa sunt, fugiant ad montes. Mais ce que dit saint Augustin sur les Pélagiens arrivera plutôt : Sed Ecclesiam Romanam fallere usquequaque non potuit.

Il est vrai qu'il y a dans le livre beaucoup de choses outrées contre Molinos; mais ce n'est que pour le favoriser plus finement, et mettre toute sa doctrine dans des excès.

Je vous envoie un Mémoire (b), qui vous marquera dans l’

 

(a) L'abbé Bossuet avait envoyé de Rome à son oncle, des remarques sur la traduction latine du livre de M. de Cambray, après l'avoir seulement parcourue rapidement. ( Les édit. )

(b) Le titre de ce mémoire en fait connaître le but : Extrait de l’Instruction pastorale de M. l'archevêque de Paris contre les faux mystiques, du 27 octobre 1697, fait par l'évêque de Meaux pour montrer que l'unique but de cet ouvrage est de combattre les erreurs de M. de Cambray. Voici maintenant le mémoire même :

Instruction pastorale, p. 7, 8, sur la tradition, réfute la doctrine de l'Explication des Maximes des Saints, p. 261; et en particulier là même, pag. 7 : Un secret, etc. repris de l'Explic., Avertiss. p. 1, 2; livre, p. 261. Encore, p. 7 : A un très-petit nombre d'âmes parfaites, contre l'Explic., p. 34. Encore, p. 8 : La perfection nécessaire, etc. Explic, p. 34, 35, 261. La même encore : Doctrine cachée aux Saints ; Explic., ibid. Encore Instruct. past., p. 8, 9 : Si la perfection était celle dont parle l'Evangile; Explic, p. 261.

Instruct. past., p. 9 : On ose dire qu'on a caché la doctrine de la perfection presque à tous les chrétiens, même à la plupart des Saints, et cela de peur de les scandaliser; Explic. des Maximes, p. 34, 35. Là même, Instr., ibid. : Tombe dans le désespoir; Explic, p. 90. Inst., ibid. : Acquiesce à sa réprobation : Explic, p. 91. Instr., ibid. : Faire un mystère de la perfection chrétienne : Explic, p. 34, 35, 261 ; et dans l'Avertiss., p. 1, 2, 4, 5. lnstruc, ibid. : Le lait des enfant... la nourriture des forts, repris de l'Explic, p. 261.

Instruct. pas., p. 12, contre les précisions du pur amour enseignées dans

 

223

 

Instruction pastorale de M. de Paris, les endroits extraits du livre de M. de Cambray. Je diffère de parler, parce que je veux donner une courte,

 

l'Explication des Maximes, p. 28, 29, 44, 226, 227, et en général sous ces termes de précision, petites subtilités, abstractions, idées abstraites, petites distinctions de métaphysique, raffinement de spiritualité, et antres semblables répandus à toutes les pages de l'Instruc. past., surtout, p. 12, 13, 16, 17, 25, 34, 39, 40, il, 49 51 52, 55, 62, 63, etc. C'est un caractère continuel du livre de l'Explic. et de son auteur, comme il est évident par l'esprit même de l'ouvrage et par sa propre expression, p. 28, 29, 44, 45, 226, 227.

Instruct. past., p. 12 : On considère Dieu en lui-même, sans aucun rapport à soi; Explic, p. 28, 42, 43. Instruct., ibid. : Désirer Dieu comme son bien, même en rapportant tout cela à sa gloire, ce n'est qu'une charité mélangée; Explic, p. 6, 8, 9, 14, 15, etc.

Instruction past., p. 15 et 17, à la marge : Tous les chrétiens appelés à la perfection; Explic., pag, 34, 35, 261. Instruct., p. 16 : La plupart des Saints n'ont pas été capables de la perfection, quoique ce soit la simple perfection de l'Evangile ; Explic, pag. 34, 35, 261. Instruct., ibid. : Par la subtilité de leurs précisions, contre la précision du pur amour; Explic., p. 28, 29, 44. Instruct., ibid. : Avoir renoncé à tout intérêt, même éternel; Explic., p, 73.

Instruct. past., p. 17. : La chair entièrement soumise à l'esprit ; Explic., pag. 76. Instruct., p. 17, : Raffînements de spiritualités, subtilités, précisions chimériques, contre l'Explic., pag. 28, 29, 44.

Instruct. past., p. 18. : Sans rapport à nous; Explic., p. 28, 42, 43.

Instruct. past., p. 19, : Une âme ne doit plus avoir.....pour tout ce qui la regarde, non pas même pour son intérêt éternel ; Explic., p. 72, 73. Instruct., Ibid: Ni perfection, ni salut, ni paradis, etc. ; Explic., p. 52, 54, 57, 226. lnstruc, Ibid. : Aussi un auteur célèbre, etc.... un raffinement insensé ; Explic, p. 63. Plus, trois lignes de suite prises mot à mot de M. de Cambray ; Explic., art. v, pag. 59. Instruct. past., ibid. : Sacrifice de notre salut dans les dernières épreuves ; Explic, p. 90.

Instruct. past., pag. 20 : Ne vouloir plus pour soi, ni mérite, ni perfection, ni, etc. ; Explic, p. 52, 54, 57, 226. Instruct., ibid. : Invinciblement persuadée ; Explic, p. 87. Instruct., ibid. : Acquiescer à la juste condamnation où elle croit être de la part de Dieu ; Explic, p. 91. Instruct., ibid. : Il n'est plus question de lui dire; Explic, p. 88, 89. Rien ne la rassure; Explic, p. 89. Instruct., ibid., à la marge : Sacrifice absolu de son salut, et le directeur la laissera faire; Explic, p. 90, 91. Instruct. ibid. : Désespoir apparent.... Trouble involontaire; Explic., pag.

89, 90. Instruct., ibid. : L'espérance désintéressée des promesses ; Explic, p. 91. Instruct. past. p. 21 : Le désir désintéressé consiste à ne vouloir le salut qu'en tant que Dieu le veut ; Explic, p. 26, 27, qu'à cause que Dieu le veut. Instruct., ibid. : L’âme persuadée invinciblement ; Explic, p. 87. Instruct., ibid. : Le trouble est involontaire, dit-on, mais le sacrifice n'est-il pas volontaire ? Explic, p. 89,

90. Instruct., ibid. : Sacrifice conditionnel.... absolu; Explic, p. 87. Instruct, ibid. : Ne pas coopérer à toute sa grâce; Explic, p. 50. Instruct, p. 21 : L'âme acquiesce à sa réprobation par un acte réfléchi,... et conserve l'espérance par un acte direct; Explic., p. 87, 90, 91.

Instruct., past., p. 22. Désespoir apparent.... péché apparent.... trouble involontaire ; tout cela refuté ; Explic, p. 87, 88, 89, 90, 91.

Instruct. past., p. 23 : Ame indifférente pour fout ce qui la regarde; Explic, p. 72. Instruct., ibid. : Le directeur n'a d'autre ressource que de laisser faire un acquiescement simple ; Explic, p. 91. Instruct., ibid. : L'ignorance orgueilleuse de

 

224

 

mais forte réfutation de l’Instruction pastorale de M. de Cambray.

J'admire le peu de sincérité de M. l'abbé de Chanterac, de dire

 

 

 

ceux qui font les maîtres en Israël, sans avoir ni science ni vocation; l'auteur de l'Explication des Maximes désigné ; et il l'était encore mieux dans la première édition qui a été retirée, on y lisait : Sans avoir les premières notions de la théologie.

Instruct. past., p. 29 : Le Dictionnaire des nouveaux mystiques ; Explic., Avertis., p, 26.

Instruct. past., p. 30 : Ne reproche que d'avoir manqué de zèle, pour réprimer la témérité d'une femme qui enseignait la doctrine des Nicolaïtes. C'est un caractère de M. de Cambray et de Madame Guyon.

Instruct. past., p. 31, à la marge : Dans le cas du précepte; Explic, p. 66, 99.

Instruct. past, p. 34 : L'amour pur consiste à aimer Dieu pour lui-même, sans rapport à nous ; Explic, p. 28, 42, 43. Instruct., ibidem, : Pour son intérêt éternel ; Explic., p. 73. Instruct, ibid. : Nous ne serions pas dans la sainte indifférence, nous ne serions pas dans le degré de la résignation ; et p. 35 : Le Fils de Dieu n'aura donc été que dans le degré de la résignation où l'on a des désirs soumis, et non pas dans la parfaite indifférence où l'on n'a plus de désirs à soumettre ; Explic., p. 49, 80.

Instruct. past., p. 35 : Trouble involontaire de Jésus-Christ, anathème dans le concile général; Explic., pag. 122. Instruct., ibid. La résignation et l'indifférence expliquées sur d'autres principes.

Instruct. past., p. 38 : Saint Paul et saint Martin, etc. L’Explication des Maximes réfutée sur ce sujet, p. 49, 52, 56, 57.

Instruct. pastorale, p. 39, 40 : Vouloir son salut comme chose que Dieu veut; ne le vouloir précisément, exclusivement que parce que Dieu le veut; doctrine de l'Explication, p. 26, 27, 52, 53, réfutée. Instruct., ibid. Petites subtilités... précisions métaphysiques ; c'est encore le caractère de M. de Cambray, qui revient souvent dans l’Instruction pastorale. Et p. 40 : Précisions subtiles; le même caractère.

Instruct. past. p. 41 : Acquiescer aux volontés connues et inconnues ; Explic. p. 61. Instruct. ibid. : Excitations empressées ; Explic, p. 99, 100 : Intérêt propre... amour mélangé; Explic., pages ci-dessus cotées et dans tout le livre.

Instruct. past. p. 44 : Sans l'amour d'espérance notre intérêt domine sur la gloire de Dieu; Explic, p. 4, 5, 8, 14, 22. Réfutation de ce sentiment attribué à saint François de Sales par l'auteur de l'Explic.

Instruct. past., p. 47 : Jamais les justes ne regardent comme un cas possible, qu'ils puissent souffrir les peines éternelles, ni être privés de Dieu après l'avoir aimé toute leur vie;.... il n'y a que les nouveaux spirituels qui croient ce ma! non-seulement possible, mais réel; Explic., p. 90.

Instruct. past. p. 51. C'est une réfutation des précisions qui règnent dans tout le livre, et qui en sont le véritable caractère, comme on a dit ci-dessus.

Instruct. past., pag. 53 : Mélange de charité... propre intérêt, etc. Explic, p. 4, 5, 8, 9, 14, 15, 22, 23. Instruct., ibid.: Pur amour... vue mélangée... cet amour étrange qui nous fait acquiescer... purification de l'amour... épreuves funestes : toutes propositions tirées du livre de l'Explic., pag. 10, 15, 22, 23, 87, 91, 121, 143, 144.

Instruct. past., p. 55 : Quand on s'est échauffé... il n'est rien de si aisé que de dire à Dieu qu'on l'aime sans rapport; Explic, p. 28, 43. Instruct., ibid. : Motif précis; Explic, pag. 44, 45.

Instruct. past, p. 58 : L'idée abstraite de l'être en général; Explic, p. 187.

Instruct. past., p. 59 : Perdez non-seulement toute image sensible, mais toute

 

225

 

qu'on se ralentit ici. M. de Cambray, qui se vante d'avoir pour lui la moitié de la Sorbonne, ne saurait trouver un seul approbateur de sa doctrine, ni d'aucune des propositions qu'on reprend dans son livre. Il n'a même osé dire, comme ont fait M. de Reims et M. de Paris, qu'ils avaient consulté des évêques et des docteurs.

Jamais il n'y eut une pareille illusion à celle de son amour naturel permis, qu'il étale dans son Instruction pastorale, pages 9 et 16. On ne pouvait rien inventer de moins convenable au livre, de moins fondé en soi-même et de plus outré. Il n'y a point de plus claire démonstration de la fausseté du livre en soi, ni de l'illusion que l'auteur fait à ses lecteurs. Son impudence est extrême d'avoir assuré, page 103, qu'il a toujours pensé de même, quand il n'y a pas trois lignes de suite qui demeurent en leur entier.

J'avoue que mes Remarques sont précises ; mais il n'y a pas eu

 

idée distincte et nominable, etc. La contemplation pure bannit tout cela : aucun n'a cru que la considération des personnes divines et de l'humanité de Jésus-Christ fût incompatible avec la pure contemplation : qu'il n'y peut avoir d'autres idées que l'idée abstraite de l'être en général ; contre l'Explic. des Maximes, p. 186, 187 et suiv.

Instruct. past., p. 60 : La pure contemplation exclut les idées, etc. Explic., p. 189.

Instruct. past., p. 62 : Idées particulières et nominables; contre l'Explic., p. 186.

Instruct. past., p. 65 : Dès lors la vie intérieure et l'oraison est en péril; c'est la lettre de M. de Cambray du 3 août, écrite à un ami, que l'on reprend.

Instruct. past., p. 66 : Ne voulant rien d'extraordinaire... la grâce commune des justes suffit selon eux; contre l'Explic, p .64, 65, etc., 150, etc.

Instruct. past., p. 68: C'est mal combattre le quiétisme, de dire simplement que l'âme contemplative n'est pas privée pour toujours de la connaissance du Sauveur; Explic, p. 194, 195. Instruct., ibid. : C'est mal parler, de dire qu'on en perd la vue distincte au commencement ; contre l'Explic, p. 194, 195 et suiv.

Instruct. past., p. 69. Il réfute ceux qui croient qu'on perd Jésus-Christ de vue dans les épreuves; contre les endroits marqués en dernier lieu du livre de l'Explic. des Maximes.

Instruct. past., p. 71 ; Ne pas répondre à toute l'étendue de sa grâce; Explic, p. 50. Etre indifférent à son intérêt même éternel ; Explic, p. 8, 73. Instruct. ibid. Cet amour de nous-mêmes... que la jalousie de Dieu attaque précisément en nous; Explic, p. 8. Instruct., ibid. : L'amour qui provoque la jalousie de Dieu... ces idées bizarres de la jalousie de Dieu, qu'on nous a débitées ; Explic, p. 8, et ailleurs très-souvent, comme pag. 7, 28, 29, 73, 74, 89.

Instruct. past., p. 75 : On sera surpris que nous n'ayons pas prononcé sur ce livre de spiritualité : c'est celui de M. de Cambray, de l'Explication des Maximes des Saints, qui pourtant est réfuté dans toute l'Instruction pastorale, comme on vient de voir, même avec des qualifications très-fortes et très-dures.

 

226

 

moyen de les faire paraître comme elles sont, et je me remets à votre prudence.

Nous avons perdu notre cher ami l'archevêque d'Arles.

M. de Reims arrive demain à Paris.

Je viens de voir dans une lettre de Rome que M. Bernini, assesseur du saint Office, se déclare fort partisan de M. de Cambray. A Dieu ne plaise pour l'honneur du Pape et de l'Eglise romaine, qu'elle se laisse surprendre à la plus grossière des illusions.

M. de Cambray a écrit une nouvelle lettre au. Pape au sujet de sa nouvelle explication. J'aurai la foi jusqu'au bout. Tout à vous.

M. le prince de Conti revient. On a pillé la vaisselle d'argent et tout l'équipage de l'ambassadeur qui revient avec ce prince. J'embrasse M. Phelippeaux.

 

LETTRE CLXXIX. L'ABBÉ PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. A Rome, ce 26 novembre 1697.

 

J'ai reçu une joie très-sensible en apprenant les nouvelles marques d'estime que le roi vient de vous donner (a) : la conjoncture est favorable, et servira à la cause qu'on ne cherche plus qu'à différer. Je viens d'apprendre de bon endroit, qu'on copiait un ouvrage de plus de soixante pages en faveur de M. de Cambray, composé par un P. jésuite : je tâcherai de l'avoir au plus tôt. Les assemblées des examinateurs sont toujours suspendues, en attendant les écrits qu'on promet. On doit donner la traduction latine de la Lettre pastorale de M. de Cambray : tout cela ne tend qu'à différer. On se persuade qu'il arrivera quelque conjoncture qui fera différer cette affaire, et encore plus celle de Sfondrate, à laquelle peut-être est-on plus intéressé qu'à l'autre. On m'a dit que M. l'archevêque de Reims était dans le dessein de faire de

 

(a) Par la nomination à la charge de premier aumônier de la duchesse de Bourgogne.

 

227

 

nouvelles instances, pour accélérer l'examen du livre de Sfondrale. Je ne sais s'il ne vaudrait pas mieux laisser finir l'affaire qui est commencée, qui est plus pressante ; d'autant qu'elle influe dans les mœurs et est d'une extrême conséquence. Quant à Sfondrate, un écrit d'un particulier suffirait peut-être pour réveiller les esprits, s'il était d'une bonne main et convaincant : vous y ferez vos réflexions.

J'ai lu la Relation (a), qui est admirable, et qui ne manquera pas de faire une forte impression : par là on verra la fausseté qu'on s'est efforcé d'insinuer. Il n'y a rien à faire après les observations données qu'à presser le jugement : on les lit déjà en français et en latin ; et je suis persuadé qu'elles feront tout l'effet qu'on en doit espérer. Je suis avec un profond respect, etc.

Précédente Accueil Suivante