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LETTRE CXCV. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Versailles, ce 30 décembre 1697.

 

J'ai vu la lettre à mon frère, du 10. Il ne faut point vous embarrasser des ports ni des frais pour les copistes, et autres de cette nature : n'y épargnez rien, et en m'envoyant le mémoire, j'y satisferai sur-le-champ. J'entrerai aussi très-volontiers dans les moyens de vous faire subsister, vous et M. Phelippeaux : il convient en toutes manières que ce soit honorablement, et même il ne faut point se dégrader; mais il me semble aussi que vous l'avez pris d'un ton un peu haut, et que vous devez le baisser un peu sans qu'il y paroisse. Du reste, il faut prendre courage et essuyer toutes les longueurs, même celles qui sont affectées.

C'est un bon effet de vos sollicitations, d'avoir obtenu qu'on reprît les conférences.

Il est vrai qu'il n'y a rien de plus indigne que le procédé de M. de Cambray à notre égard, et au mien en particulier. Il y a sur cela deux choses à faire, à quoi nous ne manquerons pas : l'une de le faire connaître, et l'autre de nous montrer les plus sages.

Mon frère vous aura marqué ce qu'il a fait dire à M. de Paris de votre part. Je suis bien aise que son Instruction pastorale plaise : sa gloire est la mienne. Noua sommes très-unis ; et vous me ferez plaisir de lui rendre bon compte, surtout de ce qui aura rapport à lui. Je n'ajoute rien de mes sentiments sur son Instruction; je vous les ai déjà dits, et il est vrai qu'elle est excellente et très-théologique.

Les bons Pères minimes, qui lui rendent compte de ce qui se passe, lui inspirent quelquefois, à bonne intention, des choses qui ne sont pas convenables, comme est de n'écrire plus après son Ordonnance, parce que ce n'est qu'un prétexte d'allonger. Mais comme il n'a rien dit, ni sur les explications, ni sur l’Instruction pastorale,

 

(a) Revue sur l'original.

 

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ni même sur beaucoup de points de la question principale, il faut bien donner les instructions nécessaires, en sorte, autant qu'il sera possible, que cela n'allonge pas. Voyez ces bons Pères, et entendez-vous avec eux autant qu'il se pourra. J'irai mon train, allez le vôtre : concilions tout ; vous verrez ce que j'écris à M. Phelippeaux.

Le Remontrance des Jésuites à M. de Reims fait grand bruit: ils l'avouent publiquement. Ils la faisaient imprimer à Rouen, où le roi en a fait saisir tous les exemplaires. Le libraire a reconnu qu'il imprimait par ordre des Jésuites ; on l'a mis en prison, d'où M. de Reims a supplié le roi de le délivrer. Je vous manderai la suite de cette affaire.

Nous attendrons les moyens que vous nous donnerez de ménager sur les ports : on prend ici les mesures qu'on peut pour ne vous point charger. On ne pouvait se dispenser de vous envoyer l’Instruction pastorale de M. de Cambray, qui devient une pièce essentielle du sac.

Les bons Pères minimes ont mandé ici, qu'on avait trouvé mauvais à Rome la Déclaration, comme une chose qui ressemblait trop à un jugement anticipé : mais il n'y a rien qui y revienne moins. Elle ressemble davantage à une espèce de dénonciation raisonnée, quoique ce ne soit point cela. C'est un témoignage de gens qu'on a voulu engager dans une mauvaise cause, et qui disent très-modestement les raisons qu'ils ont de désavouer ce qu'on voulait leur imputer. Aussi n'avons-nous pas vu qu'on y eût rien trouvé de mal : ce sont des tours qu'on voudrait donner aux choses.

 

LETTRE CXCVI.  L'ABBÉ BOSSUET A L'ABBÉ DE GONDI. A Rome, ce 30 décembre 1697.

 

Les bontés dont vous m'avez comblé quand j'ai passé à Florence, me font espérer que vous ne trouverez pas mauvais la liberté que je prends de vous assurer de mes respects à ce renouvellement d'année ; et que je me serve de cette occasion, pour

 

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vous parler d'une affaire sur laquelle vous voulez bien que je vous demande votre conseil et votre protection.

Vous aurez sans doute entendu parler du livre de M. l'archevêque de Cambray, qui fait tant de bruit en France, qui s'examine à présent dans la Congrégation du saint Office. C'est un livre contre lequel on peut dire que toute la France s'est soulevée, dont le roi a écrit à Sa Sainteté, et contre lequel M. l'archevêque de Paris, M. l'évêque de Meaux et M. l'évêque de Chartres ont été obligés de donner leur Déclaration en particulier, ayant été appelés en témoignage par M. l'archevêque de Cambray lui-même, dont ils ne peuvent approuver la doctrine. Il est donc question à présent à Rome d'examiner et de prononcer sur ce livre, sur lequel le roi et les évêques de France demandent au saint Siège avec instance un prompt jugement, comme vous le verrez encore mieux que je ne puis vous le dire, par la copie de la lettre du roi au Pape que je joins à cette lettre. Or je ne puis m'empêcher de vous dire, Monsieur, que j'apprends de plusieurs côtés que M. Fédé, agent de Monseigneur le grand-duc, se mêle dans cette affaire. Si c'est pour ou contre, c'est ce que je ne puis vous dire sûrement : mais comme je sais que ce n'est pas de concert avec moi qu'il travaille, j'appréhende un peu que l'on ne s'imagine que Son Altesse Sérénissime prend quelque part dans cette affaire, peut-être en faveur du livre de M. de Cambray. Or comme je suis assuré que l'intention de Son Altesse Sérénissime n'est pas de favoriser ce qui a la moindre apparence de n'être pas bon, connaissant autant que je fais, outre toutes ses excellentes qualités qui le font respecter de toute la terre, un zèle pour la religion et pour la bonne doctrine que rien n'égale, je prends la liberté, Monsieur, de vous ouvrir mon cœur sur cette affaire, pour vous supplier de vouloir bien en instruire Son Altesse Sérénissime suivant ce que vous jugerez à propos. Je vous en aurai, Monsieur, une sensible obligation en mon particulier ; et je puis même vous assurer que M. de Meaux joindra cette nouvelle obligation à tant d'autres qu'il vous a. Je m'en rapporte sur le tout à votre prudence ; et si vous le jugez à propos, ne parlez de rien : je suis assuré que vous ferez le tout pour

 

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le mieux. Pardonnez-moi seulement la liberté que je prends, et faites-moi la justice d'être persuadé que personne ne vous honore plus véritablement que je fais, et n'est avec plus de respect, etc.

 

LETTRE CXCVII. L'ABBÉ DE GONDI A L'ABBÉ BOSSUET. Pise, ce 7 janvier 1698.

 

Comme je vous honore toujours infiniment, et que je fais gloire de n'avoir pour vous que des sentiments d'une parfaite estime, ainsi j'espère que vous me ferez la justice d'être fortement persuadé que l'on ne peut vous être plus obligé que je le suis à votre bonté, pour l'honnêteté de vos expressions à l'occasion du renouvellement de l'année. Je vous supplie de croire que j'y donne tout le retour que je dois, accompagné des vœux les plus ardens pour toutes vos prospérités.

Je suis pleinement informé de l'affaire qui concerne le livre de M. l'archevêque de Cambray, et qui fait tant de bruit en France. Je n'ignore point qu'on l'examine à présent fort soigneusement à Rome dans la Congrégation du saint Office : je sais aussi que M. l'évêque de Meaux, tout de même que MM. l'archevêque de Paris et l'évêque de Chartres, ont donné leur Déclaration, par laquelle ils n'approuvent point sa doctrine ; et je suppose que la même congrégation ne pourra pas longtemps tarder à prononcer sur ce livre.

Tout le détail qu'il vous a plu m'en faire dans votre lettre du 31 décembre, avec la copie de la lettre du roi au Pape, j'ai cru ne pouvoir me dispenser de le communiquer au grand-duc, pour lui donner la facilité de mieux comprendre les démarches de M. Fédé dans cette affaire. Son Altesse m'a dit que Monsieur Fédé ne pouvant pas ignorer qu'elle a écrit à des cardinaux et à des consulteurs du saint Office en conformité des sentiments de M. de Meaux, elle croit que son agent s'en étant aussi mêlé, il ne peut jamais avoir tenu d'autre langage que conforme au sien,

 

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c'est-à-dire en faveur de ce que M. votre oncle peut souhaiter. Mais pour s'en bien assurer, Son Altesse lui ordonne par ce même ordinaire de se donner bien de garde de jamais franchir aucun pas qui ne soit avantageux à la cause soutenue par ce digne prélat, que la solidité de sa doctrine et ses éminentes qualités rendent à juste titre l'un des plus beaux ornemens de l'Eglise, et pour la personne duquel Son Altesse a toute la plus haute estime, entièrement due à son grand mérite.

Je suis cependant aussi respectueusement que je dois l'être, Monsieur, votre très-humble, etc.

 

LETTRE CXCVIII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 31 décembre 1697.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles, du 9 décembre.

Mon père me mande de Paris qu'il vous envoyait mon paquet dans le temps qu'il recevait le vôtre pour moi. Ma santé, Dieu merci, est bonne. J'ai été huit jours sans sortir à me ménager. Je sortis hier un moment pour aller chez M. le cardinal de Bouillon. Le sang qu'on m'a tiré et la diète m'auront un peu affaibli. Je me porte à présent fort bien. Je viens d'écrire à M. le cardinal de Janson, à MM. de Paris, de Reims et Pirot.

Il y eut hier une conférence des examinateurs, et la première est indiquée au 9 janvier. Les Jésuites se déclarent toujours de plus en plus. Alfaro et Gabrieli se déclarent de plus en plus pour M. de Cambray. Il ne faut pas dire que vous le savez de moi ; mais que l'abbé de Chanterac se vante d'être assuré de ces deux-là. Massoulié, Granelli, Miro, Bemardini sont assurés ; Serrani l'est presque aussi. C'est le manège ordinaire des Jésuites, de caresser dans le temps qu'ils font le plus de mal. Enfin le P. Dez m'est venu voir; je n'ai fait semblant de rien. Le nouvel examinateur, général des Carmes, est si sourd qu'il faut qu'il prenne

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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son parti sur les écrits ; car dans les conférences il n'entend pas un mot, et cela est fâcheux : du reste il sera bien instruit, est honnête homme et droit.

Vos remarques imprimées feront un bon effet pour les cardinaux : je ne doute pas que vous n'y joigniez une observation sur l’Instruction pastorale de M. de Cambray, pour qu'on en voie les erreurs et les contradictions; le plus court qu'il se pourra. Il n'est pas question ici de l'année 1682, et je n'en souffle pas, et je ne vois pas qu'on parle de votre manuscrit. Sa Sainteté se porte à merveille. Je finis, car il est tard.

J'oubliois de vous souhaiter une heureuse aimée : je n'ai que faire de vous exprimer mes sentiments sur ce qui vous regarde, qui m'est plus cher et plus précieux que moi-même.

On est et on sera attentif à tout.

M. le cardinal de Bouillon commence à tenir un langage un peu différent, et dit que l'affaire de M. de Cambray n'ira pas bien. Il ne m'endormira pas, et je n'en suis que plus sur mes gardes sur les coups fourrés.

 

LETTRE CXCIX. BOSSUET A M.  DE LA  BROUE. A Versailles, ce 3 janvier 1698.

 

On a imprimé avec diligence, Monseigneur, la Préface aux écrits déjà imprimés; mais j'en ai suspendu la publication, pour faire paraître à la tête dans cette préface la réfutation de l’Instruction pastorale, qui achèvera, s'il plaît à Dieu, la démonstration de l'erreur et de l'ignorance de M. de Cambray. Après je me donnerai tout entier à la seconde partie, que vous souhaitez tant de voir paraître : en attendant je travaille à beaucoup de Mémoires nécessaires. Du côté de Borne, les affaires y languissaient par les efforts de la cabale puissante, qui ne tâchait qu'à les faire oublier : mais j'ai envoyé des instructions, par le secours desquelles mon neveu (a) a trouvé le moyen de ranimer tout; en

 

(a) Admirable neveu, Deus ex machina!

 

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sorte qu'on ira bon train, s'il plaît à Dieu. Le roi continue de presser avec zèle et vivacité. Vous seriez étonné de voir les écrits qu'on distribue à Rome de la part de M. de Cambray : on y lit que c'est une cabale de jansénistes qui le persécute, parce qu'il n'a pas voulu entrer dans leur faction; qu'au reste c'est un homme à ménager pour défendre l'autorité du saint Siège, attaquée par des hommes turbulents. Il se donne aussi pour protecteur des ordres religieux : enfin il est tombé dans l'aveuglement.

Je m'assure que M. de Saint-Pons ne sera guère content de ses excès; et s'il est ébranlé par le Summa doctrinœ, j'ose assurer qu'il sera convaincu par les écrits que j'aurai l'honneur de lui envoyer.

Je suis, Monseigneur, comme vous savez, avec tout le respect possible, votre très-humble et obéissant serviteur.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE CC. BOSSUET   A   SON  NEVEU. A Paris, ce 6 janvier 1698.

 

On était ici fort étonné de la lenteur qu'on semblait vouloir apporter à l'affaire de M. de Cambray, et l'on avait peine à comprendre après la part que le roi y prend d'une manière si déclarée pour la paix de son royaume et pour le bien de la religion, qu'on y dût procéder si mollement. Il y allait même beaucoup de l'honneur et de l'autorité du saint Siège, que ceux qui avaient donné ces conseils n'ont guère eus en vue. Maintenant que la chose reprend son train, on est bien aise de l'heureux succès de vos sollicitations.

Il est bon de vous dire sans façon que M. le cardinal de Bouillon avait ici insinué par ses lettres, que notre Déclaration avait fait un mauvais effet pour nous ; que le Pape l'avait regardée comme un jugement par lequel nous prévenions celui du saint Siège, et qu'enfin nous avions perdu toute croyance. Je vous

 

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puis assurer qu'on ne l'a pas cru, et je n'en dirai pas davantage. Rendez en toute occasion tout respect à ce cardinal : mais comme il y va de la cause de Dieu, qui ne souffre nul faible ménagement , allez votre train, et assurez-vous que vous ne serez pas abandonné. Je veux bien vous dire que le roi par sa bonté a la complaisance de n'exiger rien de M. le cardinal de Bouillon contre M. de Cambray, qu'il sait que ce cardinal favorise; mais c'est que Sa Majesté est persuadée qu'une affaire de cette nature n'a pas besoin des offices vulgaires de ses ministres. C'est une affaire proprement entre le Pape et le roi, une affaire de confiance entre les deux puissances; et le roi croit que c'est assez pour lui de s'expliquer à M. le nonce. Voilà ce qui est de ma connaissance, sans vouloir entrer plus avant dans les mystères d'Etat, dont je ne me mêle point. Vous pouvez vous ouvrir de ce que je vous dis à des personnes sages et bien confidentes.

On a beaucoup d'obligation à Monseigneur Giori, et on la ressent (a). Je vois qu'il a quelque peine de ce que je n'ai pas empêché la promotion de M. de Cambray; et il est vrai que j'aurais pu lui donner de fortes atteintes : mais les conjonctures me déterminoient alors à prendre un autre parti, et M. de Cambray était si soumis, il savait si bien dissimuler, qu'encore que je ne fusse pas sans quelque crainte, j'avais beaucoup plus d'espérance. Quoi qu'il en soit, je me laisserai sur cela blâmer tant qu'on voudra, parce que le blâme qu'on me donne est l'effet d'un zèle que je révère.

J'ai vu ici une lettre de M. Pequini à M. le cardinal de Janson , qui parle de moi d'une manière qui me donne du courage : il me fait l'honneur de comparer mes écrits à ceux des Pères. Je vous instruis de tout cela, afin que dans l'occasion et à propos, sans affectation, vous me ménagiez les bonnes grâces de ces prélats dans l'affaire dont il s'agit.

Je verrai demain M. de Paris, et lui ferai vos compliments. Il sera bien aise de la manière dont vous faites valoir son

 

(a) Ce prélat avait parlé au Pape contre la nouvelle spiritualité de M de Cambray. C'est ce que Bossuet avait appris par la lettre de M. Phelippeaux et plus particulièrement encore par une lettre de M. Giori même au cardinal de Janson, dont il est fait mention dans la lettre CCIII, ci-après (Les édit. )

 

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Instruction pastorale, qui est venue dans une conjoncture où elle était fort nécessaire : cette Instruction est très-excellente.

Vous avez su la Remontrance à M. de Reims, que les Jésuites ont fait imprimer sans aucune permission. Cette affaire va faire grand bruit : vous en saurez davantage par le prochain ordinaire. Les Jésuites la veulent soutenir, et vous voyez ce qui en peut arriver. M. de Reims m'a fait voir sur son Ordonnance une lettre de M. le cardinal d'Aguirre, qui remplit de joie tous les gens de bien, et qui est digne des premiers siècles de l'Eglise.

 

LETTRE CCI. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. A Rome, ce 7 janvier 1698.

 

Je crois que vous serez bien aise de voir plusieurs endroits de la traduction latine du livre de M. de Cambray, où il paraît qu'il a traduit dans la vue d'insinuer sa nouvelle solution, et où il corrompt le texte français : vous y ferez les réflexions que vous jugerez à propos. Je ne vous dis rien des deux examinateurs qu'on a ajoutés, ni des raisons dont on s'est servi pour les obtenir: je suppose que M. l'abbé vous en aura mandé le détail. Je ne fais qu'achever ces notes, et il est si tard que je ne puis plus rien écrire. J'attends vos réflexions ; ce qui m'empêche de rien écrire sur la lettre, pour ne pas multiplier les écrits et donner occasion aux délais qu'on cherche. Je suis avec respect, etc.

 

LETTRE CCII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 7 janvier 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Paris, le 17 de décembre. Je me porte bien, Dieu merci : il me reste un peu de difficulté de dormir, à quoi n'a pas peu contribué

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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un peu de fatigue qu'il faut me donner. Enfin la cabale nous a porté un de ces coups fourrés que je craignais tant; et cela était nécessaire pour allonger un peu, car tout avançait, et bien. Il faut tâcher de réparer le mal, au moins dans l'intention : voici le fait. Comme la cabale a été apparemment bien avertie par ses émissaires dans le saint Office et dans les conférences, comme qui pourrait dire le P. Alfaro, que l'affaire n'allait pas bien pour eux, et qu'apparemment on voulait examiner à la rigueur le sens naturel du livre, ils ont voulu embrouiller les conférences, et pour cela M. le cardinal de Bouillon très-sûrement a fait insinuer au Pape par l'entremise de M. le cardinal Albane que l'examen qu'on faisait de ce livre serait d'un bien plus grand poids en France, si on ne se contentait pas de faire examiner ce livre par des moines dont on méprisait l'autorité en France et qu'on y joignît quelques évêques aux premiers examinateurs, cela serait d'une plus grande réputation.

Cela dit par une personne de poids, instruite de nos manières, indifférente en apparence et très-adroite et insinuante, a fait l'effet que la cabale désirait. Sa Sainteté a cru faire des merveilles, et grand plaisir aux évêques de France, de joindre des évêques ; et en effet il y a six jours qu'elle joignit aux huit examinateurs deux prélats. L'un, Mgr l'archevêque de Chieti, dont je ne me souviens pas du nom propre (a) ; mais c'est un prélat napolitain, que le Pape a fait venir depuis peu à Rome pour être secrétaire d'une congrégation, et qu'on croit qu'il veut faire cardinal : c'est un homme qui a du mérite et du savoir. L'autre prélat est Monseigneur le sacriste du Pape (b), qu'on tire toujours des Pères augustins, et qu'on fait toujours évêque in partibus : il est Flamand, docteur de Louvain, homme d'esprit et de mérite. Il y a longtemps que je suis averti de sa liaison avec M. de Chanterac : il est aussi très-dépendant de M. le cardinal de Bouillon ; et il s'est déclaré il y a longtemps, assez ouvertement, qu'il ne trouvait pas dans M. de Cambray des choses si mauvaises, et qu'il y aurait peut-être quelque accommodement sur cette affaire. On ne peut douter que la cabale, bien

 

(a) Il s'appelait Rodolovic , et était secrétaire de la Congrégation des Réguliers. — (b) M. le Drou, évêque de Porphyre, né à Hui, au diocèse de Liège.

 

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instruite de tout cela, n'ait proposé et insinué ce prélat au Pape. D'ailleurs, comme Flamand, il entend parfaitement le français.

Je ne doute pas que le Pape n'ait eu la meilleure intention du monde : mais par là vous voyez quels ressorts on fait jouer pour allonger et pour embrouiller. On met deux prélats à la tête, dont l'un est comme déclaré, au moins très-prévenu : pour l'autre, on l'a dit d'abord tout à fait dévoué aux Jésuites ; mais je crois savoir que cela n'est pas. Je vous avoue que je ne m'attendais pas à cette nouveauté : aussi a-t-elle surpris tout le monde, et fait dire ici hautement qu'on voulait sauver M. de Cambray. Je suis persuadé qu'on ne le sauvera pas ; mais au moins on donnera de l'embarras et on allongera ; car il faut recommencer, et d'ailleurs ces prélats se trouvent à la tête des conférences ; et s'ils sont mal intentionnés, ils peuvent mettre bien des obstacles.

J'ai cru être obligé, et cela par le conseil de M. le cardinal Casanate, de parler au cardinal Spada à fond sur tout cela. Je lui ai parlé pendant deux heures avant-hier avec tout le respect que je lui dois et à Sa Sainteté, mais avec toute la force dont je suis capable et que m'inspiraient l'importance de la matière et les circonstances. Il m'a paru bien recevoir ce que je lui ai dit, et je lui ai découvert toutes les cabales. Il m'a trouvé bien informé, et de choses même qu'il ne savait pas. En un mot, hors la personne de M. le cardinal de Bouillon, je lui ai parlé de tout à cœur ouvert, afin qu'il en pût instruire, s'il peut, Sa Sainteté et empêcher de nouveaux changements. Je lui en ai représenté l'importance, les grands inconvénients, le mauvais effet que tous ces changements feraient en France ; ce que pourraient dire et penser les évêques de France et le roi, de voir à quel point on semblait favoriser M. de Cambray contre toutes les règles. Je lui ai rappelé tout ce qui s'était passé depuis le commencement de; cette affaire, et la conduite qu'on avait tenue, inouïe dans le saint Office jusqu'à cette heure. Il m'a assuré de la bonne intention de Sa Sainteté, qui croyait tout faire pour le mieux ; que pour lui ses affaires l'empêchaient de vaquer à celles du saint Office, et qu'il n'y allait presque jamais, et cela est vrai, Pour lui rendre ma plainte plus juste sur le fait de M. le sacriste, je lui ai dit qu'il

 

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y avait déjà très-longtemps que je vous avais instruit de la prévention de ce prélat, et qu'il s'était déclaré trop favorable à M. de Cambray. Il faut, s'il vous plaît, que vous teniez le même langage à M. le nonce et au roi. Avec cela il ne faut pas demander sa révocation, mais se plaindre de la trop grande partialité qu'on fait paraître à chaque pas pour favoriser M. de Cambray, en embrouillant l'affaire de nouveau.

Je vous avoue que je suis obligé de faire ici un personnage qui ne doit pas plaire à cette cour. Car ce n'est que pour me plaindre de tout ce qu'on y fait, et en représenter l'injustice et la nouveauté. Il est vrai que je le fais avec toute la modération et dextérité dont je suis capable : mais enfin je le fais, et suis contraint de le faire ; et si je ne le faisais pas, il est certain que l'affaire ne finirait jamais ; cela ne laisse pas, comme vous croyez bien, d'être très-désagréable et très-fâcheux. Je l'ai dit tout franchement au cardinal Spada, qui me l'a avoué. Je ne lui ai pas parlé dans la vue de faire révoquer M. le sacriste, mais seulement pour lui faire voir manifestement la part qu'il a à la cabale, l'effet que cela fait dans Rome, et immanquablement en France. Il m'a dit les plus belles paroles du monde ; mais j'ai pris la liberté de lui demander des effets. Je suis persuadé que ce que je lui ai dit sur M. le sacriste sera rapporté au Pape. De plus dimanche au soir on parla fortement au Pape de toutes ces cabales de MM. les cardinaux de Bouillon et Albane : mais encore une fois vous savez le caractère du Pape. Tout cela n'a pas empêché que je n'aie été voir ce matin M. le sacriste, avec qui j'ai eu une conférence de deux heures. C'est un homme froid et qu'on dit assez franc : il s'instruira assurément. D'ailleurs personnellement il n'est pas ami des Jésuites, et lié avec le parti contraire sur les affaires de Louvain. J'ai des personnes de poids pour lui parler; du reste on ne peut répondre de rien. Pour Monseigneur de Chieti, j'ai bonne opinion de lui. Heureusement il s'est adressé à un de mes intimes amis pour étudier les matières avec lui, et chaque jour je sais ses sentiments les plus intimes.

Ce que je vous ai mandé des discours qu'on a tenus au Pape pour lui faire mettre les deux nouveaux examinateurs, est sûr;

 

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car c'est le Pape lui-même qui l'a dit, et les deux cardinaux aussi qui ont agi. J'espère que Dieu présidera à tout ; mais la rage des Jésuites contre moi est au-delà de ce qu'on peut penser. Je m'imagine aussi de M. le cardinal de Bouillon; mais on me témoigne de la part de cette Eminence tout le contraire. Je m'attends à quelque plat de leur métier. Les conférences recommencées leur ont mis la rage dans le cœur. Il ne tiendra pas à moi de les fâcher encore davantage en faisant mon devoir. Au reste je vous prie d'écrire une lettre d'honnêtetés, aussi bien que M. de Paris, à Monseigneur Giori, prélat de cette Cour, ami de MM. les cardinaux d'Estrées et Janson, qui fait tout ce qu'on peut faire auprès du Pape. Je sais qu'il sera bien aise d'une pareille marque d'estime et d'amitié, et cela l'excitera encore. Il est bon de lui écrire en latin : il n'entend pas un mot de français : vous me ferez un sensible plaisir. Si M. le cardinal de Janson voulait écrire à Monseigneur de Chieti dont il est très-ami, et au sacriste, sur l'attente où on est en France de voir finir le scandale qu'a causé le livre, cela ferait un très-bon effet.

Je ferai un autre jour mes compliments aux nouveaux aumôniers de ma connaissance. Je fais réponse à M. de Reims.

Il faut se plaindre à M. le nonce, mais modestement, et m'excuser de tout ce que je suis obligé de faire ici. Les plaintes que je fais ne passent pas le cardinal Spada.

Dites, je vous prie, à M. de Paris que je vous dis beaucoup de bien du Père minime, que je fais agir où il convient.

Je n'ai plus retrouvé dans la traduction de M. de Cambray l’interessatus dont je vous avais parlé, je m'étais brouillé : il traduit ainsi presque partout le motif de l'intérêt propre : Appetitio proprii commodi, et ajoute quelquefois quœstûs proprii. C'est une affectation manifeste de traduire par appetitio, le motif. Appetitio, c'est désir, cela se tient de la part de la puissance ; ce qui est toute autre chose que le motif, qui se tient du côté de l'objet : cela me paraît très-considérable, et je le fais ici remarquer. J'espère que vos remarques n'oublieront rien, et surtout sur l'Instruction pastorale, qui est pleine assurément de contradictions et d'erreurs; et qui, bien entendue, doit le faire condamner par lui-même.

 

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Il faut ici de la patience plus qu'on ne peut croire; j'espère l'avoir.

Un de mes amis, de chez M. le cardinal de Bouillon, a fait un extrait de plusieurs passages de la traduction de M. de Cambray, sur la traduction du motif intéressé qu'il traduit mercenarii, et de l’appetitio proprii commodi, qui marque une extrême affectation.

J'ai découvert, il y a déjà longtemps, le commerce qu'a l'abbé de Chanterac avec le P. Dias, Espagnol, qui est un fripon parfait, ennemi et de la personne du roi et du clergé de France, et qui ne cherche qu'à engager cette Cour contre la France : j'en ai parlé au cardinal Spada. Je crois que cela ne doit pas plaire au roi.

J'oublie de vous dire que M. le sacriste est consulteur du saint Office et que l'archevêque de Chieti n'en est pas, que pour cet effet il est encore nommé pour Sfondrate. Il y a dans le saint Office quatre consulteurs du saint Office ; deux archevêques, qui sont Messeigneurs Bottini et Darti, un évêque qui est le sacriste, et Monseigneur Nucci, secrétaire de la Congrégation du concile.

 

LETTRE CCIII. BOSSUET A SON NEVEU. A Paris, ce 13 janvier 1698.

 

Votre lettre du 10 m'apprend des choses que je serais fâché d'ignorer. Je crois vous avoir mandé que j'ai vu entre les mains du cardinal de Janson une lettre de Monseigneur Giori, où il écrit conformément à ce que vous me marquez : M. le cardinal de Janson m'a promis de la faire voir où il faut. On est fort aise ici de la continuation des conférences des examinateurs.

J'ai reçu de Flandre un petit livre contre le Summa doctrinœ, qui a beaucoup de venin et de dissimulation. Il y est fait mention d'une réponse à la Déclaration, qui n'est pas encore venue à ma connaissance : je l'attends pour prendre ma résolution. Je ne ferai rien que de court. On ne croira pas aisément que M. le cardinal de Bouillon ait hâté la suite des conférences.

 

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Il se passe ici une chose qui fait grand bruit au sujet de la Remontrance à M. de Reims sur son Ordonnance, que les Jésuites ont fait imprimer. Ils la croient fort respectueuse, et ce prélat la trouve pleine de dérision et de brocards. Après avoir attendu longtemps et avoir pris les mesures qu'il fallait, on lui a permis d'avoir recours à la justice du parlement, sans entamer le fond. Il s'agira seulement de la réparation sur le manquement de respect et sur une impression sans aveu. M. de Reims a donné une requête forte, mais modérée. Le provincial et les supérieurs des trois maisons des Jésuites ont été mandés à demain, pour venir avouer ou désavouer la Remontrance, et faire leur déclaration telle qu'ils jugeront à propos. Ils avoueront sans doute, et sur la forme leur condamnation est indubitable. Savoir comment cela tournera, et quelle satisfaction donneront les Jésuites pour prévenir ce coup, c'est ce qu'on ne peut encore prévoir. Le R. P. de la Chaise prit la peine de venir hier ici avec le P. Gaillard : ils me parlèrent amplement de cette affaire. Je leur fis quelque ouverture comme de moi-même; je les reverrai demain : il sera encore temps, parce qu'on croit que les Jésuites ont obtenu un délai de quelques jours.

Vous êtes bien obligé à M. le cardinal de Bouillon de toutes ses bontés, que je publierai ici pour vous en faire honneur. On enverra au premier jour l'Exposition de la foi, et le recueil d'Oraisons funèbres que vous m'avez demandés. Vous aurez aussi les remarques des Anglois (a) sur M. l'abbé de Fénelon. Nous y joindrons la Remontrance à M. de Reims, sa Requête et l'Arrêt intervenu dessus pour mander les Jésuites. Cela s'est fait très-civilement par un greffier, qui est Dongois leur ami. Cet arrêt préjuge assez contre eux. Continuez à servir l'Eglise, Dieu vous aidera de plus en plus. Je ferai voir à M. le prince de Conti ce que vous m'écrivez sur son sujet, qui est très-juste.

(a) Bossuet veut parler ici d'un livre qu'on attribuait au docteur Burnet, anglais, imprimé en 1688 à Amsterdam, sous ce titre : Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme.

 

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LETTRE CCIV. L'ARCHEVÊQUE DE REIMS A L'ABBÉ BOSSUET. De Versailles, lundi 13 janvier 1698.

 

Je vous ai adressé la copie d'une Remontrance imprimée que les Jésuites m'ont faite, et qu'ils ont distribuée partout. Après avoir fait réflexion sur les inconvénients et sur les conséquences de leur laisser passer ce trait de leur superbe, j'ai pris le parti de la réprimer par les voies de la justice. J'ai pour cet effet demandé au roi la permission de présenter au Parlement une requête, qui fut rapportée vendredi dernier à la grand'chambre par M. Portail. Vous trouverez dans ce paquet la copie de cette requête, et celle de l'arrêt qui fut rendu sur-le-champ. Les quatre jésuites y dénommés doivent être entendus en personne à la barre de la Cour, qui ordonnera que la déclaration qu'ils feront me sera communiquée; et sur cette déclaration je suivrai ma procédure, dont il n'y a pas d'apparence qu'ils se tirent avec honneur. Je vous prie de montrer à Rome ma Requête et l'Arrêt, de me mander ce qu'on en dira, et ce que vous en pensez.

Je ne puis finir sans vous dire que je suis extrêmement étonné de ce que M. le cardinal Noris n'a point fait réponse à la lettre très-honnête que je lui ai écrite, en lui adressant mon Ordonnance. La traduction latine sera bientôt en état d'être imprimée.

 

LETTRE CCV. LE CARDINAL DE BOUILLON A BOSSUET. Rome, 14 janvier 1698.

 

C’est au sortir, Monsieur, d'une longue conversation que je viens d'avoir avec M. votre neveu, que je me donne l'honneur de vous écrire. Dans cette conversation je lui ai parlé sur bien des choses avec toute l'ouverture de cœur, tendresse et considération possibles. Il m'a fait connaître que mon silence sur la

 

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persuasion où je devais être de la pureté de vos intentions en combattant la doctrine du livre de M. de Cambray, vous avait fait de la peine. En quoi, permettez-moi, Monsieur, de vous dire que vous avez tort : car me pourriez-vous croire capable de soupçonner la pureté et la droiture des intentions d'une personne que j'estime, honore et aime au point que vous savez que je vous estime, honore et aime depuis si longtemps? Croyez donc, s'il vous plaît, Monsieur, que je ne suis pas capable de soupçonner jamais la droiture de vos intentions, et qu'on ne peut être plus absolument et plus véritablement à vous que j'y suis, aussi bien qu'à M. de Cambray. Ce qui m'a affligé et continue à m'affliger, c'est de voir que les deux prélats de France que j'estime et aime le plus, se trouvent dans des sentiments si opposés. Faites-moi la justice, Monsieur, de compter en tout temps et en toutes occasions plus véritablement sur moi que sur personne.

Le card. de Bouillon.

 

LETTRE CCVI. DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a), Rome, ce 14 janvier 1698.

 

Par la lettre que j'ai reçue de mon père du 23 décembre, j'ai appris que vous étiez à Meaux, et que mon paquet n'était arrivé de Rome que ce matin-là : ainsi vous ne l'aurez pu avoir assez à temps pour y faire réponse.

Il n'y a rien de nouveau sur l'affaire de Cambray. Jeudi passé 9, il y eut une conférence où les nouveaux examinateurs assistèrent : ils ne firent presque qu'écouter. On recommença de nouveau l'examen, et on mit sur le tapis six propositions, tirées du livre, sur le cinquième état et sur l'espérance, fondement de la doctrine de M. de Cambray. On doit le 23 de ce mois faire une nouvelle conférence, dans laquelle après qu'on se sera assuré que les propositions sont véritablement dans le livre, ou en paroles-expresses, ou équivalentes, chaque examinateur votera, c'est-à-dire

 

(a) Revue sur l'original.

 

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dira son sentiment sur les qualifications. On m'a assuré que les propositions sont; très-bien extraites et d'une manière très-forte; et si elles demeurent dans cet état, il n'y a jésuite qui les pourrait sauver. L'archevêque de Chieti s'appelle Monseigneur Rodolovic. Monseigneur le sacriste, à ce que l'on m'a assuré, a une grande liaison avec M. le cardinal de Bouillon : il est homme de doctrine, et je ne puis croire qu'il se veuille déshonorer. Tous les examinateurs seront instruits à fond hors le jésuite, à qui il est inutile de parler : il ne se trouva pas à la dernière conférence.

J'ai eu l'occasion ce matin de parler à M. le cardinal de Bouillon, et de lui renouveler vos justes plaintes, et cela à propos de ce qu'il m'a dit qu'on lui avait rapporté que je disais qu'il était favorable à M. de Cambray. Je lui ai parlé là-dessus comme je devais, en l'assurant qu'il devait être assuré que dans mes discours jamais cela n'échapperait de ma bouche, comme effectivement j'ai là-dessus une réserve extrême. Je lui ai ajouté que je ne pouvais m'empêcher de lui avouer que c'était le sentiment de tout Rome et de toute la France ; qu'il y avait donné lui-même un très-grand fondement, en parlant sur cette affaire de la manière qu'il m'en parlait à moi-même dans toutes les occasions ; que je voulais bien être persuadé que c'était un effet de la prudence dont il croyait devoir user en cette circonstance ; qu'il y avait longtemps que vous m'aviez encore chargé de lui renouveler vos justes plaintes sur son silence à l'égard de l'affaire personnelle qu'il prétendait que vous aviez avec M. de Cambray. Enfin en lui parlant franchement sur l'inclination qu'il témoignait à sauver M. de Cambray, je lui ait dit tout ce qu'il faut, sans qu'il ait eu le moindre sujet de trouver mauvais ce que je lui disais, et uniquement pour qu'il connût le sentiment du public. Je ne puis et ne veux pas vous dire ce qu'il m'a fait l'honneur de me répondre là-dessus : contentez-vous, s'il vous plaît, d’être assuré qu'il ne vous donnera là-dessus jamais aucune satisfaction ; que son parti est pris sur la conduite qu'il veut tenir, tant à votre égard qu'à l'égard de M. de Cambray, qu'il désire que je croie qu'il traite comme vous, et que peut-être il se plaint plus de lui que vous. Voilà fidèlement en beau l'état de l'esprit

 

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de M. le cardinal de Bouillon, qui sait fort bien ce qu'il a à faire, et qui m'assure ne me vouloir aucun mal des sentiments qu'il s'imagine que j'ai de lui. Il lui serait bien aisé, s'il le voulait, de me les ôter, si je les avais; mais je ne crois pas qu'il en veuille prendre la peine.

Il est, s'il vous plaît, de la dernière importance que vous ne disiez jamais ce que j'écris sur M. le cardinal de Bouillon, si ce n'est à M. de Paris, au roi et à Madame de Maintenon.

Il est bon et même nécessaire que vous écriviez, comme je vous l'ai marqué par ma dernière, à Monseigneur Giori en latin, comme aussi M. de Paris et M. de Chartres : il faut l'engager à continuer. A Rome tout le monde tremble de parler; vous en voyez bien la raison.

J'ai appris que l'abbé de Chanterac et les Jésuites étaient furieux contre moi à cause de votre Relation, qui fait connaître notre nouveau saint. Je ne puis attribuer qu'à eux un bruit qu'ils ont voulu répandre parmi les François, que j'avais ici des ennemis, qu'on cherchait à m'assassiner, et même que j'étais tombé malade de peur. Toutes choses fausses, sans le moindre fondement : les gens qu'ils disent mes ennemis sont mes meilleurs amis. On ferait mieux de débiter des choses vraisemblables, s'ils voulaient qu'on y ajoutât foi, et que cela me fît quelque tort. M. le cardinal de Bouillon a bien ri ce matin avec moi de cette imagination : il n'en a fait aucun cas, et n'a assurément aucune part à ces manières basses de se venger, mais que je méprise comme je le dois. Je vous mande seulement cela, afin que vous voyiez la fureur et la rage de ceux à qui nous avons affaire. Ils voudraient être ici maîtres du tripot ; mais je vais toujours mon chemin, et continuerai (a), s'il plaît à Dieu, à agir de même, sans crainte de qui que ce soit que de lui.

On attend ici la fin de vos écrits, et la répons à l’Instruction de M. de Cambray. Je crois que vous songerez aussi à m'envoyer des Déclarations des évêques. Il faut seulement convenir du port à Paris, et envoyer tout cela comme imprimés, comme marchandises et non comme lettres. Les observations telles que vous me

 

(a) Vaillant abbé, vous êtes un héros !

 

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les promettez, feront bien pour les cardinaux : les examinateurs les ont tous vues, hors Alfaro et Gabrieli.

Des personnes bien affectionnées pour la bonne cause, sont persuadées qu'on cabale plus que jamais, et qu'on cherche quelque invention pour faire échouer cette affaire et justifier M. de Cambray. J'écoute tout ; mais je ne suis pas encore arrivé à deviner ce qu'il est possible de faire pour réussir dans ce dessein, à moins que le roi n'abandonne l'affaire, et que Rome ne se veuille déshonorer.

On fera ce qu'on pourra à Paris pour gagner M. le nonce : les Jésuites n'oublient rien à cet effet. 'Il est bon, sans menacer, qu'ils soient convaincus que si Rome ne parle pas, la France est toute prête, aussi bien que le roi, à agir, et que rien ne l'en peut empêcher.

Ne dites, s'il vous plaît, qu'avec grande précaution ce que je vous mande sur ce qui se passe dans les conférences ; c'est le secret du saint Office. Il est bon que vous sachiez que tout le monde ici me veut tant de mal, que plusieurs Eminences m'ont fait, et fait faire des compliments, sur ce qu'elles souhaitent que, si M. l'abbé de la Trémouille est placé, je sois auditeur de Rote. Je sais ce que je dois répondre là-dessus. Les Jésuites et M. le cardinal de Bouillon ne laissent pas de l'appréhender. Je ne puis m'empêcher de vous dire que M. le cardinal de Bouillon m'a parlé ce matin en petit fou. Cela seul suffit pour savoir à quoi s'en tenir. Le roi, Madame de Maintenon et la France sont à plaindre. Il est difficile qu'il n'arrive pas quelque chose qui le découvre bientôt.

 

LETTRE CCVII.  BOSSUET A SON NEVEU. Paris, 20 janvier 1698.

 

Je vois avec plaisir par votre lettre du 31, que vous êtes, Dieu merci, hors d'affaire. M. de Paris est content de votre lettre. Je n’ai point vu M. de Reims, qui apparemment est occupé de son affaire les Jésuites. Elle a été remise entre les mains de

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M. le premier président (a), en conséquence des paroles données au roi par les deux parties, sur les offres de M. de Reims.

J'ai appris aujourd'hui de M. le cardinal d'Estrées qu'il y a deux nouveaux consulteurs, dont l'un est M. l'archevêque de Chieti, et l'autre le sacriste de Sa Sainteté. On dit que ce dernier est habile homme et fort porté au jansénisme ; pour le premier, qu'il est un peu parent du pape, qu'il veut être cardinal, et que le Pape s'y fie beaucoup. On ajoute que Sa Sainteté lui fait quitter son archevêché et lui donne une abbaye.

Le bruit de l'effet de ma Relation retentit ici par toutes les lettres de Rome. C'est bien fait de n'en point donner de copies : mais il sera difficile de ne la pas rendre publique, si l'on se détermine à la présenter au Pape. Dans ce cas, il faudra faire du mieux qu'on pourra. Il est bon que le Pape en soit instruit. Le roi continue à presser M. le nonce. Vous faites fort bien de vous défier des coups fourrés et de la bonne mine. On est ici bien persuadé que le P. la Chaise est pour M. de Cambray. Nous nous portons bien.

 

LETTRE CCVIII. L'ABBÉ LEDIEU A L'ABBÉ BOSSUET. A Paris, ce 20 janvier 1698.

 

Dès vendredi dernier 17, il est parti d'ici, Monsieur, par la diligence de Lyon, un paquet contenant douze recueils d'Oraisons

 

(a) C'était Achille de Harlay. Ce magistrat ayant représenté au roi que l'affaire n'était pas de nature à être plaidée en plein parlement, le prince entra dans les vues du premier président, et le chargea de terminer le différend, dont il voulut qu'il lût seul arbitre. M. de Harlay arrêta que les supérieurs des Jésuites iraient chez l'archevêque de Reims lui demander l'honneur de son amitié, et lui témoigner qu'ils étaient sensiblement fâchés d'avoir encouru sa disgrâce; qu'ayant cru être obligés de faire connaître les plaintes qu'ils prétendaient avoir lieu de faire au sujet de son Ordonnance, ils avaient laissé paraître une Remontrance sans nom d'auteur et sans permission, contre la forme des procédures qui sont seules légitimes dans le royaume, pour se pourvoir contre les Ordonnances de Nosseigneurs les prélats, et auxquelles ils ne manqueraient point dans la suite, s'ils se trouvaient en de pareilles occasions. Cet arrêté fut signé; et dès le lendemain on alla faire visite au prélat, qui parut avoir oublié tout le passé, tant il fit de caresses aux Jésuites. Voyez d'Avrigny, tom. IV, p. 100. (Les édit.)

 

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funèbres de notre prélat, et autant de son Exposition, avec un autre paquet à votre adresse, où j'ai mis un recueil des pièces concernant Molinos et les quiétistes, et où se trouvent aussi les lettres des Anglais, dans lesquelles il est parlé de l'abbé de Fénelon. Sous la même enveloppe, j'ai mis encore quatre exemplaires de la Remontrance des Jésuites à M. de Reims sur son Ordonnance du 15 juillet dernier. La requête que ce prélat a présentée au parlement sur ce sujet, ne fait que sortir de dessous la presse pour passer entre les mains de l'auteur, qui a défendu expressément d'en donner aucune à personne : c'est ce qui m'empêche de vous l'envoyer à présent, ne doutant pas que vous ne la receviez par ce prélat même.

Depuis le départ de M. de Meaux pour Versailles, j'ai appris chez M. de Reims que les Jésuites dévoient se trouver à trois heures après midi chez M. le premier président, pour conclure leur accommodement au sujet de leur Remontrance. Le prélat demande qu'ils viennent lui faire satisfaction chez lui, et qu'ils rétractent leur pièce par écrit entre les mains du magistrat leur arbitre. A cinq heures du soir on n'en avait encore aucune nouvelle chez M, de Reims : on ne les y attendait que demain.

L'impression de la réfutation de M. de Cambray tire à sa fin, et j'espère qu'on pourra vous l'envoyer incessamment. Le triomphe de la vérité qu'elle contient fait certainement un grand plaisir. Je suis, etc.

 

LETTRE CCIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 21 janvier 1698.

 

J'ai reçu par le dernier courrier vos lettres du 22 et du 23 décembre de Meaux, et celle du 30 de Versailles.

Je croyais qu'il n'y aurait de conférence des examinateurs, suivant ce qui avait été résolu, que jeudi prochain 23 du mois ; mais mardi passé, c'est-à-dire il y a aujourd'hui huit jours, le Pape envoya ordre de tenir la conférence le jeudi suivant, 16 de ce mois, et dorénavant deux fois la semaine. Il y en a déjà eu deux

 

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depuis ma dernière lettre ; car hier il s'en tint une. Mais en même temps le Pape dit qu'il fallait disputer ; et c'était de la part de la cabale qu'était venue cette nouvelle imagination, qui ne s'est jamais pratiquée dans le saint Office. Effectivement jeudi passé on disputa avec aigreur de la part d'Alfaro et de Gabrieli : cela fut scandaleux. Je l'ai su, et j'en ai fait avertir le Pape et le cardinal Spada. Il y a lieu d'espérer qu'on mettra fin à cette manière d'examiner, qui n'est imaginée par la cabale que pour tout brouiller et tirer en longueur : car hier on commença à voter. Alfaro parla trois heures en faveur de M. de Cambray, et dit des choses pitoyables. Apparemment tout le monde ne sera pas de son avis. Alfaro et Gabrieli sont les seuls déclarés : j'espère que les autres préféreront la vérité à la cabale. On ne peut pas savoir de quel côté M. le sacriste et Monseigneur Rodolovic penchent : ils ne se sont pas expliqués, et nous avons toujours sujet d'appréhender par la manière dont ils ont été mis : du reste j'espère que la vérité triomphera.

M. le cardinal de Bouillon veut faire croire que c'est lui qui a fait doubler les conférences. Cela est très-faux ; car il dit qu'il en avait parlé au Pape samedi dernier seulement, et c'est cinq jours avant que le Pape a donné l'ordre pour cela ; rien de plus constant.

M. le cardinal de Bouillon, en lui rendant votre réponse à son compliment, me dit qu'il vous avait écrit dès l'ordinaire dernier sur ce que je lui avais témoigné de votre part. Je ne croyais en vérité pas qu'il le fît ; mais j'avoue que sans manquer au respect qui lui est dù, je lui ai parlé assez fortement, et il a jugé à propos de se raviser. Si vous ne lui avez pas encore fait réponse quand vous recevrez cette lettre, je vous prie de lui insinuer que les bruits qui courent sur sa partialité pour M. de Cambray viennent de toutes parts, mais que vous n'en voulez rien croire non plus que moi. J'ai jugé à propos après la conférence que j'ai eue avec lui, de donner à M. de la Trémouille, qui est à présent fort bien avec lui, la lettre que vous m'écriviez du 25 novembre, dans laquelle était l'ordre que vous me donniez de lui faire vos justes plaintes. J'ai trouvé depuis le commencement jusqu'à latin, qu'il

 

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n'y avait rien qui ne pût lui être lu, et qui ne pût faire un bon effet. Vous y parlez avec force et vérité sur tout : vous y marquez que toutes les lettres de Rome portent qu'il favorise secrètement M. de Cambray, mais que nous n'en croyons rien ni vous, ni moi. C'est après avoir lu cette lettre qu'il jugea à propos de parler au Pape pour presser, dit-il, le jugement de cette affaire. Néanmoins on publie partout que le dessein de cette Cour est de la traîner en longueur; cela ne laissera pas d'être difficile, si les conférences continuent deux fois la semaine. Il est bien certain que si M. le cardinal de Bouillon voulait, cela serait déjà fini, et finirait à présent à Pâques : je le veux encore espérer.

Le P. Dez est malade pour avoir trop travaillé. Le Père minime m'a dit qu'il avait écrit à M. de Paris, qu'on ne pouvait trop éclater et trop instruire en France ; et il est vrai qu'il n'y a que cela, et l'évidence de la matière qui puisse donner le branle ici, où ils tremblent sur tout.

Sur la résolution que vous prenez de composer un écrit nouveau, qui sera un précis, je me suis déterminé à faire faire plusieurs copies bien écrites de vos Démarques traduites, qui ont ici fait sur l'esprit de tous ceux à qui nous les avons communiquées un effet merveilleux, et qui emporteront l'affaire assurément : ce que vous ferez ensuite sera admirable pour les cardinaux. Je ne laisserai pas de donner vos Remarques écrites à MM. les cardinaux Casanate, Noris, d'Aguirre, Nerli, Albane et Ferrari, qui en sont capables, et peut-être Marescotti. Je suis persuadé qu'avec cela et le nouvel imprimé latin sur les nouveautés de M. de Cambray, l'affaire sera éclaircie et emportée.

M. de Chanterac dit qu'il a déjà reçu le premier cahier de la réponse de M. de Cambray, article par article, à la Déclaration et au Summa doctrinœ, d'une manière courte, précise, théologique et démonstrative : ce sera un composé de ses notes et de sa nouvelle Ordonnance.

Je crois savoir que M. le cardinal Noris a été consulté par un grand Seigneur de France, sur ce qu'on pouvait faire pour sauver M. de Cambray ; et il a répondu qu’il  fallait qu’il se rétractât, qu'il désavouât son livre comme mauvais, et que par là il

 

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préviendrait la sentence et se ferait plus d'honneur. Mais ici M. de Chanterac et M. le cardinal de Bouillon croient que les affaires sont trop avancées : effectivement il ne le peut plus faire après sa dernière Ordonnance.

J'ai déjà fait remarquer à tous les cardinaux et examinateurs, que ce nouveau sens qu'il veut donner à son livre, est contraire à toutes les explications qu'il en a données lui-même aux évêques; à toutes celles que ses défenseurs et protecteurs ont données ici dans quatre écrits qu'ils ont répandus; à sa traduction, à ses notes où il n'en dit pas un mot, à son livre lui-même, où il n'est rien dit d'approchant d'un sens qui est la clef de son livre, et sans lequel selon lui-même tout ce qu'il a dit est erroné et blasphématoire; sans compter que ce sens ne vaut rien en soi. Selon moi, c'est une démonstration contre lui, et je n'ai encore vu personne qui n'en soit convenu.

Je vous envoie un mémoire pour un Père carme qui est ici. C'est un parfaitement honnête homme, qui m'est très-utile sur le livre de M. de Cambray et sur Sfondrate, bon théologien et dans les vrais principes, très-estimé du Pape et des cardinaux : il est aussi théologien du cardinal Altiéri. Je vous supplie de faire en sorte qu'il reste à Borne : c'est une personne très-instruite et de confiance, que les évêques, et en particulier vous et moi, y auront toujours. Ce qu'il demande est très-juste : il n'y a que les Jésuites et M. le cardinal de Bouillon qui peut-être s'y opposeront sous main. M. le cardinal de Bouillon lui fait mille amitiés, et connaît son mérite.

Je me porte bien, Dieu merci, et j'ai fait depuis huit jours toutes mes visites à presque tous Messieurs les cardinaux et autres principaux de cette Cour, qui envoient tous les jours savoir de mes nouvelles avec une bonté infinie.

Je ne puis assez vous témoigner la nouvelle obligation que je vous ai, de vouloir bien entrer dans la dépense qu'il me reste à faire ici, sur laquelle je n'aurais pu prendre aucune mesure. J'avais ajusté toutes mes affaires pour le mois de septembre, et je ne voulais vous être à charge en rien, sachant les dépenses que vous êtes obligé de faire : mais j'avoue que je ne puis y suffire

 

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avec le revenu de mon abbaye, qui est le seul que j'aie, et qui est bien diminué par les taxes et par le change horrible. Vous pouvez être assuré que la figure que j'ai été obligé de faire ici dès le commencement a été nécessaire, et par rapport à vous, et par rapport à moi; que je n'ai rien fait d'excessif, et ne fais rien encore. On juge ici beaucoup, même les plus honnêtes gens, par l'extérieur, et il faut m'y soutenir à présent plus que jamais par moi-même ; car on ne cherche qu'à vous avilir et moi aussi. Je suis très-exact et très-réservé pour ma dépense : mais j'ai eu à en renouveler plusieurs, depuis trois mois, pour chevaux, carrosses et livrées, dont je ne puis me dispenser, et où j'ai ménagé de mon mieux. Si vous avez donc la bonté de m'aider, je vous prie de me faire savoir ce que vous pouvez me donner : je me réglerai là-dessus; et je vous serai toujours très-obligé, quoi que ce puisse être. Je prendrai la liberté après votre réponse, de tirer une lettre de change sur qui vous voudrez, de la somme que vous êtes en état de me donner. J'espère en vérité, plus que jamais, que tout finira pour ce printemps.

Le Père carme, dont je vous parle, est très-connu de M. Pirot et de M. de Paris, que vous pouvez fane entrer dans ce qui le regarde.

J'envoie à M. de Reims le commencement d'un écrit pour Sfondrate par un jésuite, où il traite assez mal les évêques de l'assemblée. Il serait de conséquence qu'on ne laissât pas ici une pareille liberté, qui est très-injurieuse au roi et au clergé, et qui renouvelle une querelle assoupie. Un mot de la part du roi là-dessus à M. le cardinal de Bouillon remédierait à tout : il ne pense à rien.

N'oubliez pas, je vous prie, Monseigneur Giori. J'ai des compliments à vous faire de la part de MM. les cardinaux Altiéri, Barberini, Cibo, Casanate, Noris, d'Aguirre, Sacripanti, Cenci, Colloredo, Albane, à qui j'ai fait les vôtres en les visitant.

 

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LETTRE CCX. BOSSUET A M. DE LA BROUE (a). Paris, le 25 janvier 1698.

 

Je vous supplie, Monseigneur, de me pardonner si je ne vous écris pas aussi ponctuellement que je le désirerais, lorsqu'il n'y a rien de particulier. Nous apprenons par ce dernier ordinaire, que le Pape a ajouté deux nouveaux consulteurs, dont l'un est Monseigneur Rodolovic archevêque de Chieti, que Sa Sainteté a appelé à Rome ; l'autre est le sacriste du Pape, qu'on dit être savant homme et bien intentionné pour la bonne cause.

L'archevêque passe pour le plus savant homme d'Italie dans la lecture des Pères, après le cardinal Noris. C'est un homme de soixante-dix ans, qu'on dit être un de ceux que le Pape a réservés in petto pour le chapeau, et qu'il voudrait bien montrer comme son successeur.

Il paraît qu'on veut faire une bulle en forme, et qualifier les propositions : si ce sera précisé ou par un respective, comme dans l'affaire de Molinos, nous n'en savons rien; et il ne leur faut point faire de nouvelles peines.

Le Pape a fait dire au roi par M. le nonce, que pour faire quelque chose de solide, et ôter tout prétexte à M. de Cambray de dire qu'il n'a pas été entendu, on attendrait ses réponses à notre Déclaration et à mon Summa doctrinœ; mais en même temps qu'on ne lui permettrait point d'abuser de cette juste complaisance, ni de pousser trop avant cette longueur nécessaire.

On ne laisse pas cependant de continuer les congrégations des consulteurs, parmi lesquels on en voit deux déclarés pour M. de Cambray, dont l'un est le jésuite Alfaro, Espagnol, qui suit le mouvement de la société toute déclarée contre nous ; et l'autre se nomme Gabrieli, feuillant, si je ne me trompe, qui nous a été suspect dès le commencement. On n'a pas voulu le faire ôter, quand on fit Damascène, récollet, éditeur de Sfondrate, pour ne

 

(a) Revue sur l'original.

 

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pas paraître incidenter. Tout le monde tient à Rome pour constant que le livre ne se peut sauver. Pour moi, par la confiance en la bonté et l'importance de la cause, je ne doute point que Dieu ne veuille à ce coup révéler cette iniquité, qui va s'insinuant dans l'Eglise d'une manière d'autant plus dangereuse qu'elle est plus secrète.

On a achevé d'imprimer ma réfutation de l'Instruction pastorale et quelques autres écrits que vous aurez au premier jour, et que je vous prierai de distribuer. J'espère que la conviction de l'erreur y sera complète. Je ne ménage plus guère M. de Cambray, qui se déclare trop ouvertement, et veut faire une illusion trop manifeste à l'Eglise.

Les écrits qu'on donne à Rome de sa part et dont j'ai des copies, portent expressément que si nous nous sommes déclarés contre lui, c'est à cause qu'il n'a pas voulu entrer dans notre cabale, qui était celle des jansénistes; et qu'on a besoin en France d'évêques comme lui, pour défendre l'autorité du saint Siège. Ces bassesses sont bien indignes d'un archevêque : mais j'ai vu l'accusation du jansénisme écrite de sa main. Il dit aussi qu'on empêche par violence les docteurs de Sorbonne de se déclarer pour lui.

Le saint Office se remue beaucoup contre Sfondrate ; et il n'y a que le Pape qui a peine à consentir à la censure : nous ne disons mot pour ne pas mêler tant d'affaires.

Vous aurez su le bruit qu'a fait la Remontrance des Jésuites, et la requête de M. de Reims au Parlement pour s'en plaindre. M. le premier président a accommodé cette affaire par ordre du roi. M. de Reims s'est déclaré qu'il remettrait volontiers ce qui regardait sa personne, pourvu qu'on satisfit à l'injure de l'épiscopat. On y a pourvu par l'écrit donné à M. de Reims : et avant-hier leur provincial et les supérieurs de leurs trois maisons d'ici, qui l'ont signé, le portèrent assez humblement à M. de Reims, qui les reçut assez bien.

Je ne vous dirai rien de la Déclaration, où l'on a suivi les Instructions de M. de Basville de point en point. On lui est bien obligé du soin qu'il prend des affaires de la religion : je vous supplie, dans l'occasion, de lui en faire mes compliments.

 

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LETTRE CCXI. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, ce 26 janvier 1698.

 

J'ai appris avec bien de la joie, Monsieur, par la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire, votre entière guérison : j'y prends autant de part que j'en avais pris à votre maladie, et je vous souhaite une parfaite et longue santé.

Je suis fort aise du bon succès que vous m'assurez que mon Instruction a dans votre Cour; et je vous rends grâces de tout mon cœur des soins que vous avez pris de la faire valoir. J'en ai envoyé plusieurs exemplaires, et j'en enverrai encore d'une seconde édition en petit, qui sera achevée dans peu de jours. Je sais tout ce que vous faites, et tout ce que vous avez à combattre pour la défense de notre cause. Il paraît bien qu'on la croit bonne pour nous, puisqu'on fait tant d'efforts pour en éloigner le jugement. Les deux nouveaux consulteurs n'ont apparemment été nommés que pour cela : j'espère néanmoins que la vérité ne laissera pas de triompher ; mais il vous en coûtera encore bien de la peine et de la vigilance. Je suis persuadé que vous continuerez volontiers l'une et l'autre. Soyez-le, je vous prie, que je vous honore toujours, Monsieur, parfaitement, et que j'ai pour vous tous les sentiments que vous méritez.

Louis Ant., archevêque de Paris.

 

LETTRE CCXII. BOSSUET A SON NEVEU. A Versailles, 27 janvier 1698.

 

Votre lettre du 7 nous fait voir les nouveaux efforts de la cabale, pour traîner l'affaire en longueur, et la réduire, s'il se pouvait, à rien. Dieu ne le permettra pas, et au contraire tout tournera à la confusion de la mauvaise doctrine. On prendra les

 

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mesures qu'il faudra, pour rompre celles des partisans de M. de Cambray : je dois aujourd'hui parler au roi sur cela. S'il y a du temps, on vous mandera le détail. Tout aboutira à faire connaître avec quelle affectation on cherche à prolonger.

Le Mémoire que je joindrai à ma lettre, si l'on a le temps, vous instruira de la conduite que vous aurez à tenir. Assurez-vous qu'on n'oubliera rien ni sur la chose, ni sur votre personne, pour prévenir les inconvénients. Le prétexte de nommer les deux nouveaux examinateurs est si évidemment mauvais, qu'il ne faut que le montrer sans le combattre. Je parlerai sobrement à M. le nonce de ce que vous m'avez mandé sur Monseigneur le sacriste. Il faut, le moins qu'on pourra, rendre suspect et odieux votre ministère.

J'ai vu, entre les mains de M. le nonce deux lettres du cardinal Spada, dans lesquelles il tâche d'appuyer les raisons du délai de l'examen, et de la communication des objections à M. l'abbé de Chanterac. Il n'y a rien de mieux tourné : nous aurons soin d'y répondre ce qu'il faut, pour empêcher qu'on n'en abuse ; car le fond en est bon. On fera écrire M. le cardinal de Janson, comme vous le souhaitez : on ne manquera pas aussi d'écrire à M. Giori.

Il faut tout remarquer, et ne se point montrer difficile ni pointilleux. Votre conduite est dans cet esprit : je le vois bien, et je le fais remarquer à ceux qui doivent en être instruits.

Je viens de chez le roi, tout va bien pour l'affaire générale. J'ai fait un Mémoire, dont on me doit rendre réponse dans deux jours : il est capable d'acheminer les affaires.

Mais comme je parlais au roi sur votre sujet, pour le prévenir contre les mauvais offices, il m'a fait une histoire sur votre compte. On lui a dit que vous aviez été attaqué la nuit, pistolet appuyé, et qu'on vous avait fait promettre que vous n'iriez jamais dans une certaine maison, sinon la vie : j'ai dit ce qu'il fallait (a). Ne vous lassez pas d'agir pour l'affaire dont vous êtes chargé : Dieu surtout.

 

(a) Louis XIV refusa constamment d’accorder toute charge ecclésiastique à l’abbé Bossuet.

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