Lettres CCCXV-DIJON
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LETTRE CCCXXXV. BOSSUET A M. DE LA BROUE (a). A Paris, le 30 août 1698.

 

M. le cardinal de Bonzy s'excuse, Monseigneur, pour cette année, par les engagements déjà pris; mais il promet pour l'année prochaine, de tourner les choses de manière que vous soyez député des Etats. Je suis fâché de ce retardement de ma joie, et de la privation du secours dont j'aurais besoin dans les occurrences présentes. Le cardinal m'a parlé avec toute sorte d'estime pour vous, et témoigne qu'il aurait beaucoup de plaisir à vous obliger.

La Réponse à ma Relation est si pleine de déguisement et d'artifice, qu'on croit que je dois répliquer. Je pars pour Meaux et de là pour Compiègne, où je tâcherai de ne pas perdre de temps. Vous savez mon respect, mon cher Seigneur.

Le livre dont vous m'avez envoyé le titre n'est rien.

 

LETTRE CCCXXXVI. L'ABBÉ BOSSUET AU PRINCE DE MONACO, NOMMÉ AMBASSADEUR  A  ROME. Ce 30 août 1698.

 

Comme je ne doute pas que vous ne soyez informé de l'intérêt que Sa Majesté a toujours pris et prend encore à la décision de l'affaire de M. de Cambray, qu'elle regarde comme une des plus importantes que la France ait en cette Cour, et par rapport à la religion, et par rapport à l'Etat, j'espère que vous ne trouverez pas mauvais que je prenne la liberté de vous écrire sur ce sujet, et de vous informer de l'état véritable de cette affaire qui tire à

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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sa fin, et dont la conclusion, bonne ou mauvaise, ne peut être que d'une conséquence infinie. Je le fais avec d'autant plus de confiance, que je n'ai pas perdu un moment de vue cette affaire, et que je suis bien assuré de ne vous dire rien que de très-vrai. Je commencerai donc, sans perdre de temps, à vous rendre compte en peu de mots de ce qui s'est passé à ce sujet, dès l'instant où cette affaire a été portée ici.

Après la lettre que Sa Majesté jugea à propos d'écrire à Sa Sainteté au mois de juillet de l'année passée et que je joins à cette lettre, Sa Sainteté, dès le commencement de septembre, nomma sept théologiens, qualificateurs du saint Office, pour examiner le livre de M. l'archevêque de Cambray. Ces qualificateurs devaient examiner le livre, en tirer les propositions censurables, et puis dire leur avis en présence de la Congrégation des cardinaux et du Pape, selon la coutume du saint Office.

Les agents de cet archevêque parurent en même temps à Rome; et avant qu'on eût pu vaincre les chicanes qu'ils faisaient pour allonger, quelques mois se passèrent. Enfin au mois de décembre, on reprit les assemblées des qualificateurs, qu'on avait interrompues. Ils commencèrent à se découvrir les uns aux autres leurs sentiments sur ce livre. La puissante cabale qui soutient M. de Cambray en fut avertie, et sut à la fin de décembre qu'il y avait déjà plusieurs propositions de ce livre qualifiées d'erronées, d'hérétiques, etc., par le plus grand nombre de ces qualificateurs ; et que de sept qualificateurs, il n'y en avait que deux favorables à M. de Cambray, dont l'un était un jésuite espagnol, qui n'entend pas un mot de français, et l'autre feuillant attaché aux Jésuites, et qui venant d'approuver le livre du cardinal Sfondrate, improuvé depuis ouvertement par M. de Paris et M. de Meaux, était manifestement déclaré contre ces prélats.

Dans cette conjoncture, les amis de M. de Cambray ne virent de salut pour lui qu'en embrouillant l'affaire, qu'en mettant le feu et la division parmi ces théologiens. Mais n'ayant pu gagner aucun des cinq contraires au livre, tous théologiens sans passion et d'un mérite distingué, ils trouvèrent le moyen de persuader à Sa Sainteté sur des prétextes spécieux de joindre aux premiers

 

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nommés trois nouveaux théologiens, dont ils s'étaient assurés. Cette adjonction faite, ils se virent dès là partagés, car ils furent désormais cinq contre cinq ; et le parti de M. de Cambray, par ce changement, devint à Rome comme en France plus insolent que jamais. Il est clair que c'est de là que sont nées les difficultés et les embarras qu'on a vus depuis dans cette affaire, qui sans cette adjonction malheureuse et injuste, aurait été terminée à l'honneur du saint Siège, à l'avantage de l'Eglise de France et à la satisfaction de Sa Majesté, avant le mois d'avril de cette année : il n'y aurait pas eu le moindre obstacle, pas le moindre scandale.

Sa Sainteté connut, mais un peu trop tard, le piège qu'on lui avait tendu : elle fut obligée, pour contenir ces théologiens, dont les assemblées ne se passaient plus qu'en disputes, de nommer deux cardinaux du saint Office, le cardinal Ferrari et le cardinal Noris, pour régler les conférences des qualificateurs, leur prescrire les matières sur lesquelles ils auraient à parler, et être témoins de tout ce qui se passerait.

Les conférences furent terminées à la fin d'avril : la division dura jusqu'au bout. Le Pape et la Congrégation ordonnèrent à ceux qui condamnaient le livre de M. de Cambray, d'en extraire les propositions qu'ils jugeaient répréhensibles. Ils en tirèrent trente-huit, sur lesquelles on les a entendus et on les entend encore parler les uns après les autres devant les cardinaux, dans la congrégation du lundi et du mercredi, et en présence de Sa Sainteté le jeudi. On a cru pendant quelque temps, que cela durerait une éternité par les chicanes et les longueurs affectées de ceux qui favorisent M. de Cambray. Mais Sa Sainteté et MM. les cardinaux ont eu la bonté, pour abréger, d'approuver un projet que je leur ai présenté : en sorte que je ne doute pas que ce rapport des qualificateurs ne finisse bientôt, c'est-à-dire à la fin du mois de septembre où nous allons entrer. Les vœux resteront toujours partagés. Les rapports terminés, c'est à la Congrégation à voir comment elle veut procéder et ce qu'elle veut faire.

Ce que je puis vous dire en général de la disposition des cardinaux, c'est qu'il n'y en a pas un seul qui n'improuve le livre de M. de Cambray, et qui ne soit prêt à le condamner ; le Pape,

 

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plus qu'un autre. Mais il est question d'une censure plus ou moins forte : c'est là à présent le point de la difficulté. Les protecteurs de M. de Cambray font sous main tous leurs efforts pour obtenir qu'on se contente d'une prohibition générale du livre, sans condamner la doctrine en particulier. Mais ceux qui aiment la vérité, l'honneur du saint Siège, celui de la religion, et qui savent les intentions de Sa Majesté, qui souhaite que l'on décide sur le fond de la doctrine pour mettre dans son royaume une véritable paix; ceux-là, dis-je, pensent bien d'une autre façon, et croient une décision sur la doctrine absolument nécessaire, principalement après un examen aussi solennel dans une matière aussi agitée, aussi éclaircie que celle en question l'est à présent, tant sur le fait que sur le droit. Ils se confirment dans cette opinion, quand ils considèrent que M. de Cambray lui-même a demandé expressément une pareille décision, que les évêques de France et le roi se réunissent pour la procurer. Et rien ne les touche davantage que la vue des suites que peut avoir le jugement qui sera rendu, parce qu'ils sont persuadés que si l'Eglise romaine prononce une censure vigoureuse, le quiétisme est renversé jusque dans ses fondements; et qu'au contraire, si elle mollit, l'erreur n'attendra qu'un temps favorable pour se relever.

On ne peut imaginer les efforts qu'on fait pour embarrasser l'esprit du Pape et arrêter les cardinaux ; rien n'est oublié. J'ose néanmoins vous assurer qu'on a lieu d'espérer un heureux succès ; mais pour y parvenir, il est essentiel de ne point précipiter la conclusion. Il est vrai qu'il ne faut point perdre de temps; et c'est ce que je prends la liberté de représenter continuellement à Sa Sainteté et à MM. les cardinaux, en leur observant toutefois qu'il convient, en travaillant à avancer, de traiter les différents points avec toute la maturité nécessaire, pour former une décision telle qu'on peut la désirer et qu'on a droit de l'attendre.

Les amis de M. de Cambray, qui agissent dans un tout autre esprit que celui qui devrait les animer et qui dirige les démarches de Sa Majesté dans cette affaire, bien éloignés de vouloir procurer tous les éclaircissements nécessaires à un bon jugement,

 

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comme ils voient à présent qu'ils ne peuvent sauver le livre de ce prélat, ils cherchent à précipiter la conclusion de cette affaire, afin d'empêcher qu'on ne discute les objets et qu'on ne prononce clairement sur les contestations. C'est, je l'avoue, le seul parti qu'il me semble qu'on ait aujourd'hui à craindre : aussi fais-je tous mes efforts pour l'empêcher. Je puis vous dire que Sa Sainteté, dans la dernière audience qu'elle m'a donnée, me promit tout ce que je désirais. Mais je ne laisse pas de beaucoup appréhender des intrigues de la puissante cabale qui protège M. de Cambray.

Permettez-moi donc, Monsieur, de vous dire que je ne doute pas que votre présence n'assurât ici une prompte victoire à la vérité. Je puis vous certifier que votre nomination seule a déjà produit son effet; et vous connaissez trop bien ce pays-ci et MM. les cardinaux, pour ne pas comprendre qu'ils seront ravis de se faire un mérite auprès de vous d'une détermination qui satisfera en même temps leur honneur et leur conscience.

Cette considération, jointe aux autres raisons qui font désirer à tout le monde de vous voir ici bientôt, me porte à souhaiter plus que personne votre arrivée. Je serais ravi que vous eussiez la gloire de contribuer à faire terminer honorablement pour le royaume une affaire de cette importance ; et la France vous en aurait, avec la religion, une obligation éternelle.

Pardonnez-moi encore une fois, Monsieur, la liberté que je prends. Je me suis cru obligé de vous instruire promptement de l'état de cette affaire, d'autant plus qu'on nous assure ici que vous allez incessamment prendre vos instructions, et que je suis persuadé que vous ne serez pas fâché d'entrer dans l'examen des faits avec une idée juste et exacte de tout ce qui les concerne.

Si vous souhaitez que je me donne l'honneur de vous écrire régulièrement sur ce qui se passera ici à ce sujet, j'aurai un plaisir sensible à vous obéir, et à vous marquer en cette occasion, comme en toute autre, avec quel respect je suis, etc.

 

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LETTRE CCCXXXVII. BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Germigny, ce 31 août 1698.

 

Voilà, mon cher Seigneur, la lettre de mon neveu, apportée par le valet de chambre de M. le marquis de Torci. Il me semble qu'elle est importante, et fait bien voir l'état des choses. Il faut engager M. le cardinal d'Estrées à écrire fortement au cardinal Carpegna. Faites, je vous prie, réflexion sur les circonstances de la lettre de mon neveu, et prenez la peine de m'en dire votre sentiment. Il est vrai qu'une simple prohibition, après un si grand fracas, serait honteuse au saint Siège et d'ailleurs un remède peu proportionné à la grandeur du mal : le respective les tirera d'embarras, et cependant il aura l'effet de proscrire les propositions.

Je vois qu'on attend que je fasse quelque réponse; j'y travaille. Il me semble, mon cher Seigneur, que vous ne pouvez en refuser une à la réponse latine que M. de Cambray vous a faite. Quelque mine qu'on fasse de vous vouloir ménager, il n'y a rien de sincère. Ils ne veulent que nous désunir, parce que notre union les confond. Vous connaissez mon respect.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE CCCXXXVIII. BOSSUET A SON NEVEU. A Germigny, ce 31 août 1698.

 

Je reçus hier, avant que de partir pour Meaux, votre lettre du 19, par les mains du valet de chambre de M. le marquis de Torci, qui avait ordre d'aller rendre quelques paquets à M. de Paris. J'envoie à ce prélat un ample extrait de votre lettre. J'ai reçu aussi la lettre qui est venue par le courrier. Votre lettre est

 

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très importante : j'en ferai usage le plus tôt qu'il sera possible.

Je ne m'étonne pas des ménagements qu'on a pour M. de Paris. Tout l'effort de la cabale va maintenant contre moi, parce que l'on sait que je suis inexorable quand il s'agit de la religion, et qu'on ne m'en imposera pas sur la doctrine.

J'attends avec impatience quel effet la nomination de M. le prince de Monaco pour ambassadeur à Rome y produira. Ici elle marque beaucoup, et l'on ne croit pas que M. le cardinal de Bouillon soit bien à la Cour.

J'ai vu Madame de Lanti une seule fois. Elle me témoigna être tout à fait de vos amies. Je ne pus lui parler en particulier ; mais je sais qu'elle a bien parlé sur votre compte aux personnes les plus intimes. Elle est fort mal, et tout le monde la plaint : elle croit être mieux.

Vous avez bien répondu au secrétaire d'ambassade de M. le cardinal de Bouillon. Le zèle du roi s'anime plutôt qu'il ne se ralentit.

On ne songe nullement à accommoder l'affaire de M. de Cambray ; mais ses amis étourdis de l'effet de la Relation, font semblant de le vouloir abandonner.

Le jésuite italien dont vous me parlez, est tel que vous le peignez.

Selon toutes les apparences, M. le cardinal de Bouillon aura peu de crédit dans le conclave ; et le cardinal Carpegna se rassurera, quand il verra M. l'ambassadeur.

Je vois dans toutes les lettres du P. Estiennot, qu'il en revient toujours à une condamnation ut jacet, qui est très-mauvaise : on donnerait lieu à mille détours sur l'explication, ce qui serait pire que le premier mal.

On croit ici qu'il faut répondre quelque chose à M. de Cambray. J'y ai travaillé, quoique tous les gens sensés voient bien qu'il ne fait qu'éluder, et se rendre plus odieux par ses artifices et ses déguisements.

On garde votre courrier pour porter la traduction italienne de ma Relation, faite par l'abbé Régnier. J'enverrai ma réponse au nouvel écrit de M. de Cambray contre cette Relation, par un

 

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extraordinaire : j'y joindrai un petit écrit sur les actes imperati a charitate (a).

Votre conversation avec le cardinal Noris me fait grand plaisir. Puisqu'il a bien voulu que vous m'en écrivissiez, dites-lui que l'espérance de la bonne cause est toute en son savoir et en son courage, qui a paru avec tant d'éclat dans ses livres précédens ; que cette affaire mettra le comble à sa gloire. Sans doute qu'il ne croira pas tout ce qu'on dit contre moi. Nul autre motif ne me fait agir, que celui d'empêcher que les vaines dévotions ne prévalent contre l'ancienne piété enseignée par saint Augustin et par saint Thomas.

Le détour des actes commandés par la charité est un pur plâtrage, qui ne s'accommode nullement avec le dénouement d'amour naturel. M. de Cambray n'a non plus parlé de l'un que de l'autre dans son livre des Maximes. Le quatrième amour cet avantage, aussi bien que le cinquième : Omnia in charitate fiant; omnia propter gloriam Domini nostri Jesu Christi. Soit qu'on regarde l'amour comme précepte avec l'école de saint Thomas, ou comme conseil avec l'école relâchée, il s'étend à tous les états, et ne se borne pas au seul état passif, où l'on avoue que tout Je monde n'est pas appelé. Enfin on n'explique pas pourquoi la charité commanderait l'espérance, qui, selon le nouveau système, ne lui sert de rien et ne la peut augmenter.

Je suis très-aise d'avoir la traduction latine du livre de M. de Cambray : j'en ai dit dans la Relation ce que j'en ai su par les mémoires de M. Phelippeaux, et M. de Cambray y répond très-mal.

Le P. Alexandre n'a point fait de réponse sur la proposition de la pure concupiscence qui sert de préparation à la justice, quoiqu'elle soit sacrilège. Je n'ai rien non plus à dire là-dessus que ce que j'en ai dit dans ma Préface sur l'Instruction pastorale de M. de Cambray, n° 47 (b). M. Phelippeaux a très-bien marqué dans un de ses écrits et dans la qualification de cette proposition, qu'elle égale un acte sacrilège à la crainte ex impulsu Spiritus sancti, qui ne fait que removere prohibens. On ne peut résister à

 

(a) Se trouve vol. XIX, p. 772. — (b) Vol. XIX, p. 214.

 

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ses raisons, ni s'empêcher de mettre cette proposition avec les autres censurables.

 

LETTRE CCCXXXIX. M. LE TELLIER, ARCHEVÊQUE DE REIMS, A L'ABBÉ BOSSUET. Reims, le lundi matin 1er septembre 1698.

 

J'ai lu et relu la Réponse de M. de Cambray à la Relation de M. de Meaux sur le quiétisme : il s'y défend pitoyablement sur les faits allégués contre lui par M. votre oncle. Il n'en nie qu'un, qui est celui d'un religieux de distinction. Ce religieux dont M. de Meaux a voulu parler est le P. de la Chaise, qui m'a conté à moi-même ce fait, et qui l'a dit depuis la publication de la Relation, à qui l'a voulu entendre (a). M. de Cambray débite dans cette pièce sa mauvaise marchandise avec esprit. Il serait à souhaiter qu'il employât mieux celui que Dieu lui a donné ; qu'il ne s'en servît pas, comme il fait, contre l'Eglise et la vérité ; et qu'il fût plus humble et plus détaché de Madame Guyon qu'il ne le paraît par ce dernier écrit. Je n'ai pas encore vu la réponse latine de M. de Cambray à l'archevêque de Paris. Je vous conjure de m'en envoyer par la poste un exemplaire. Je suis toujours entièrement à vous.

 

(a) Voici de quelle manière Bossuet rapporte ce fait : «Tout le monde était étonné de l'inflexible refus de M. de Cambray pendant six semaines : nous en avons des témoins qu'on ne dément pas, et on s'empressait à l'envi de nous faire conférer ensemble. Je ne refusais aucune condition. Un religieux de distinction, touché, comme tout le monde, de ce désir charitable de rallier des évêques, tira parole de moi pour lier une conférence où il serait. S'il n'avait dit qu'à moi seul la réponse qu'il me rapporta, il faudrait peut-être la lui laisser raconter à lui-même : ce fut en un mot, que M. de Cambray ne voulait pas qu'on pût dire qu'il changeât rien par l'avis de M. de Meaux. » (Relat., sect. VIII, n° 5 ; vol. XX, p. 159.)

Dans sa Réponse à la Relation, M. de Cambray se contenta de dire, p. 135 : « Pour l'histoire d'un religieux de distinction, qui a déclaré que je ne voulais pas qu'on pût dire que je changeasse par l'avis de M. de Meaux, elle m'est absolument inconnue : je ne sais ni qui est ce religieux, ni à quel propos il peut avoir parlé ainsi. »

M. de Cambray ne s'arrêta pas en si beau chemin; dans sa Réponse aux Remarques de Bossuet, p. 93, il nia formellement le propos rapporté par un religieux de distinction, c'est-à-dire par le Père de la Chaise, son protecteur et son ami.

 

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LETTRE CCCXL. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 2 septembre 1698.

 

J'ai reçu en même temps, quoique par différentes voies, vos lettres de Germigny du 10 août, et de Jouarre du 13. On n'a pu m'envoyer que quatre autres feuilles du Quietismus redivivus, dans une petite boîte où il y en avait dix exemplaires : apparemment la dernière feuille n'était pas achevée.

Selon mon compte on doit recevoir demain, par l'ordinaire, nouvelle du courrier que j'ai dépêché, dont je n'ai rien appris d'aucun endroit, mais j'espère qu'il ne lui sera arrivé aucun accident. Il se pourrait faire que vous jugeriez à propos de le renvoyer avec des exemplaires du Quietismus et des autres livres, notamment de la Relation italienne. On a su ici depuis quinze jours, et je ne m'en suis pas caché, que je vous avais envoyé copie de la réponse de M. de Cambray ; mais on ne sait pas le départ du courrier extraordinaire.

M. de Chanterac reçut le 27 du mois passé, par un courrier extraordinaire venu en droiture de Cambray, une nouvelle édition de sa Réponse à votre Relation du quiétisme. Une heure après, il en porta un exemplaire à M. le cardinal de Bouillon, et le lendemain il la distribua dans Rome. Je vous en envoie un exemplaire à tout hasard; c'est celui de M. de la Trémouille. Il a assuré que M. de Cambray en avait envoyé mille à Paris. Cela a fait que je ne vous l'ai pas envoyée par un courrier exprès; d'autant plus que, hors le démenti sur les circonstances de son sacre (a), vous avez deviné toutes ses défenses ou plutôt toutes ses impostures sur tous les autres points, en voyant l'écrit contre M. de Paris. Vous avez bien deviné ou plutôt vous étiez bien instruit, quand vous m'avez écrit qu'il faisait une autre édition de

 

(a) Voyez Relation sur le quiétisme, sect. III, n. 14 ; dans cette édition, vol. XX, P. 110 ; et Remarques sur la Réponse de la Relation, art. VII, §10; vol. XX, P. 242.

 

 

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sa Réponse à votre Relation, dans laquelle il insérait une partie de ce qu'il avait dit contre M. de Paris dans son écrit latin.

Nous n'avons besoin d'être éclaircis ici que sur les soumissions de Madame Guyon, qu'il dit avoir été dictées par vous et par M. de Paris : et vous l'avez fait, ne voulant en aucune façon juger de ses intentions ni de ses mœurs, mais seulement mettre en sûreté la saine doctrine contre les erreurs des médians livres de cette femme. Les protestations que M. de Cambray fait, de n'avoir jamais lu ses manuscrits des Torrents et sa Vie par elle-même, retombent sur lui, de son propre aveu. Car outre qu'il est contre toute vraisemblance qu'il vous les ait fait mettre entre les mains sans les avoir examinés, il demeure d'accord que vous lui avez rapporté les folles visions qu'ils contenaient. Après cela, ou il vous a cru, et alors c'est comme s'il avait lu lui-même ces visions; ou s'il ne vous a pas cru, il n'est pas possible qu'il n'ait voulu voir les écrits pour vous montrer que vous vous trompiez par un effet de votre prévention. Ce raisonnement me paraît une démonstration. Il serait bon aussi d'éclaircir un peu ce qui concerne les lettres de M. de Genève et de M. de Grenoble. Notre homme a retranché ce qui regarde le dernier, parce qu'il est vivant.

M. le cardinal de Bouillon a publié ici que vous aviez dit que vous écraseriez M. de Cambray, s'il osoit nier les faits que vous avancez. Dans le cas où vous jugeriez à propos de répondre, vous le devez faire avec plus de modération que jamais, mais avec autorité. Si vous répondiez sous le nom d'un ami, il vous serait plus libre de rapporter ce que vous jugerez à propos de découvrir. Au reste l'article de la confession qu'il prétend vous avoir faite (a), est de conséquence. Car que ne donne-t-il pas à entendre parce qu'il en dit? J'ai fait remarquer ici l'adresse de Madame Guyon et de M. de Cambray, qui avaient eu dessein de vous fermer la bouche sur leur chapitre en voulant vous faire recevoir leur confession.

Il serait bon de faire parler M. Tronson, sur lequel seul M. de Cambray s'appuie à présent.

 

(a) Voir Rem. sur la Rep à la Relut., concl., § 1, n. 4 et suiv.; vol. XX, p. 297.

 

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Il me semble que vous n'avez pas assez insisté sur le déni que M. de Cambray fait d'avoir lu votre livre ; ce qui est impossible, puisqu'il en a extrait ce qu'il en rapporte dans son Mémoire à Madame de Maintenon. Mais il était absolument nécessaire qu'il tînt ce langage pour ne pas se contredire, quand il dit à présent que vous ruinez la charité, et qu'alors il assurait qu'il n'y avait pas à craindre qu'il vous contredît sur rien, et que sa doctrine était conforme à la vôtre. On peut bien faire valoir cette contradiction manifeste. Car quand il n'aurait pas lu votre livre, ce qu'il ne pouvoil manquer de faire, il savait à fond vos sentiments sur la charité, et il savait qu'il vous contredirait sûrement là-dessus, aussi bien que sur la définition de la passiveté, qui sont les deux points essentiels de son système.

On peut remarquer que quand M. de Cambray a écrit son Mémoire à Madame de Maintenon, pour s'excuser de ne pas approuver votre livre sous prétexte qu'il ne pou voit condamner Madame Guyon, dont il connaissait la droiture des intentions, cette femme s'était enfuie de Meaux, avait été mise à la Bastille, et avait assez montré ses malheureuses dispositions.

Je vais voir Messieurs les cardinaux les uns après les autres, et leur montrer les faussetés manifestes de M. de Cambray : il ne faut pas moins pour empêcher l'effet des artifices et des insinuations de nos adversaires, qui ne s'oublient pas et qui sont les mêmes.

Je fus averti, il y a quelques jours, que M. le cardinal de Bouillon avait extrêmement pressé le Pape, dans son audience du 28 du passé, pour conclure et donner une décision prompte, aussitôt que le rapport des qualificateurs serait fini ; et que Sa Sainteté lui avait répondu : Mais, M. le cardinal, afin que la décision soit bonne et telle qui convient, il ne faut rien précipiter : l'abbé Bossuet est venu ces jours passés, me parler dans ce sens. Je sais de plus que M. le cardinal de Bouillon avait avancé que j'avais dit au Pape qu'il ne fallait pas finir sitôt, par où il voulait faire entrevoir que c'était moi qui retardais. Je l'ai donc vu ce matin, et j'ai eu une longue conférence avec lui. Je lui ai rendu compte de tout ce que j'avais fait, et des raisons que j'avais eues pour

 

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agir ainsi. Il n'a pu me désapprouver, et m'a avoué que pour avoir une décision sur la doctrine et faire qualifier les propositions, il fallait plus de temps qu'on ne se l'imaginait en France ; que MM. les cardinaux ne pourraient avoir entre leurs mains les vœux des qualificateurs qu'à la fin de septembre, ce que je savais fort bien ; que les cardinaux auraient ensuite besoin de quelque temps pour former leur vœu. Je lui ai rendu compte de toute l'audience que j'avais eue de Sa Sainteté. Il m'a rapporté ce que le Pape lui avait dit de moi, et que le cardinal Spada le lui avait expliqué comme je le faisais moi-même ; c'est-à-dire que je de-maiidois qu'on ne précipitât point, mais cependant qu'on ne perdit pas un instant pour accélérer la décision.

M. le cardinal de Bouillon m'a dit que sur les pressantes lettres de Sa Majesté, il avait été obligé de parler comme il avait fait au Pape et de le presser extrêmement, parce qu'on le pres-soit lui-même. Je lui ai répondu que tout cela s'accordait parfaitement bien, et qu'il ne pouvait jamais manquer, en demandant toujours qu'on ne perdit point de temps, et une prompte décision, pourvu qu'elle fût bonne, précise, honorable au saint Siège et utile à la France. Je lui ai répété là-dessus toutes les raisons que je vous ai déjà écrites. Il m'a prié, je ne sais pourquoi, de mettre par écrit le précis de ce que j'avais dit au Pape, afin qu'il le pût envoyer dans son paquet à Sa Majesté, pour ne rien ajouter ni diminuer au compte qu'il voulait lui en rendre (a), ce que j'ai

 

(a) Effectivement le cardinal de Bouillon s'empressa d'envoyer à la Cour de France le rapport de l'abbé Bossuet, mais dans le dessein de faire retomber sur cet abbé la cause des lenteurs qu'il avait suscitées lui-même ; voir la Relation de l'abbé Phelippeaux, part. II, p. 134. Au reste, ce rapport le voici.

Mémoire que M. le cardinal de Bouillon a souhaité que M. l'abbé Bossuet lui donnât signé de lui, sur les représentations et les demandes qu'il avait faites au Pape.

Je fus instruit qu'on voulait profiter des instances que fait Sa Majesté auprès du Pape, pour terminer promptement l'affaire du livre de M. de Cambray; et qu'on se servait des menaces qu'on supposoit que les évêques faisaient, en cas que Rome ne finît pas promptement, afin d'arracher du saint Siège ou une simple prohibition du livre de M. de Cambray, ou quelque décision ambiguë, qui n'entrât point dans le fond de la doctrine du livre, et qui la laissât sans censure et sans flétrissure. Frappé de ce danger, j'ai cru être obligé d'aller aux pieds de Sa Sainteté , comme je l'ai fait il y a quelques jours, pour lui représenter toutes les raisons qui doivent l'engager à donner une décision la

 

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fait de manière que vous verrez dans la copie que je vous envoie de ce Mémoire, qui contient la pure vérité. Il a ajouté que si je l'assurois que les vues que je proposois fussent celles des évêques, il croirait aisément qu'elles seraient aussi celles de Sa Majesté. Je lui ai dit là-dessus que jamais je ne parlais au nom du roi, ni au Pape, ni aux cardinaux, mais bien au nom des évêques ; que cela faisait à présent, Dieu merci, le même effet, parce qu'on ne pouvait ignorer que les évêques n'agissaient dans cette affaire que conformément aux intentions de Sa Majesté ; qu'au reste je pouvais l'assurer que je ne parlais jamais de moi-même. Il m'a paru approuver fort ma conduite sur tout cela. Comme je ne sais point user de finesse, je lui expose très-franchement ce que je pense, et il est obligé d'approuver ce que je lui dis.

Il m'a observé là-dessus que c'était la coutume des cardinaux de prendre leurs vacances pendant le mois d'octobre, et que par cette raison il n'y avait jamais dans ce mois d'assemblées du saint

 

plus prompte qu'il soit possible, mais en même temps la plus précise et la plus honorable pour le saint Siège ; qui puisse donner la paix, non-seulement à la France, mais à toute la chrétienté, en portant le dernier coup à une secte toujours renaissante, en sorte qu'il n'y ait plus rien à désirer, ni à faire en France pour l'exterminer tout à fait. Je déclarai à Sa Sainteté que l'intention des évêques n'était point de lui prescrire à cet égard aucun terme, ni de la menacer, comme je sais que leurs ennemis le lui avaient voulu faire entendre, que ce terme passé on déciderait en France sur les points contestés. Mais je l'assurai qu'ils ne pensaient qu'à la supplier très-humblement de faire finir le plus promptement qu'il serait possible le rapport des qualificateurs, dont la division, que la cabale qui protège M. de Cambray, y avait mise, était devenue un scandale pour la chrétienté. J'ajoutai que ces évêques ne pouvaient s'empêcher de faire des vœux pour une prompte décision, mais toutefois qui n'eût rien de précipité, parce qu'elle ne pourrait être bonne et digne du saint Siège dans les circonstances présentes, si elle n'était faite avec maturité et ne touchait la doctrine du livre. Après cela je conclus que c'était à Sa Sainteté et à MM. les cardinaux à voir les moyens qu'il convenait de prendre, pour parvenir à un effet si désiré le plus tôt qu'il serait possible, et sans perdre de temps. Je finis en déclarant au Pape que les évêques de France étaient bien éloignés de vouloir lui prescrire la manière dont il devait exécuter un dessein si important; mais que ne doutant pas de son zèle pour subvenir aux nécessités pressantes do l'Eglise, et de son désir de répondre aux instances réitérées de Sa Majesté, ils étaient persuadés qu'il prendrait les mesures les plus sages et en même temps les plus efficaces pour finir promptement cette affaire, et d'une façon qui fût aussi avantageuse à la France qu'honorable pour le saint Siège.

Le Pape me parut content de ces assurances, et me dit qu'il était bien aise que les évêques restassent capaci, voilà son terme; et que son intention était d'entrer dans le fond de la doctrine. La plupart de MM. les cardinaux me paraissent à présent dans les mêmes dispositions.

 

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Office le jeudi devant le Pape, quoique le mercredi il n'y eût point d'interruption pour les cardinaux qui restaient à Rome. Il a ajouté qu'on pouvait laisser les cardinaux passer ce temps en villégiature, qu'ils en profiteraient pour étudier la matière et rédiger leur vœu.

Je lui ai répondu que le bien pressant de la chrétienté devait être préféré aux plaisirs de MM. les cardinaux; qu'ainsi ce prétexte de villégiature ne devait points ce me semble, retarder les opérations nécessaires pour terminer promptement une affaire de cette importance, qui traînoit depuis si longtemps ; qu'à la vérité si ce sursis n'apportait aucun retard à la décision, et que MM. les cardinaux effectivement en eussent besoin pour former leur vœu, il importait peu qu'ils le fissent à la campagne ou à Rome, et qu'il n'y avait rien à dire ; mais qu'au moins en ce cas il fallait, le rapport des examinateurs étant fini, que les cardinaux missent tout en ordre, de manière que le mois d'octobre ne fût pas perdu, et qu'incontinent après la Toussaint ils n'eussent qu'à voter devant Sa Sainteté et conclure cette affaire. Il m'a répliqué qu'il était bien aise de savoir là-dessus mon sentiment.

Sur ce que j'ai appris à n'en point douter, que le cardinal de Bouillon faisait tous ses efforts pour retarder l'arrivée à Rome de M. de Monaco, ou afin de terminer l'affaire de M. de Cambray un peu plus à sa mode, ou parce que jugeant la mort du Pape prochaine, il voudrait être maître de lui donner un successeur selon ses vues, j'ai cru dans ces circonstances qu'il était à propos d'informer M. de Monaco de l'état véritable de l'affaire de M. de Cambray, en lui en donnant une idée juste, sans rien dire sur le cardinal de Bouillon, comme vous le verrez par la copie que je vous envoie. Vous la montrerez à Madame de Maintenon, si vous le jugez à propos. M. de Monaco ne peut, ce me semble, que me savoir bon gré de m'être expliqué franchement avec lui.

J'avoue que la seule chose que je craigne qui puisse empêcher le succès de nos démarches pour obtenir une bonne décision, c'est que la mort du Pape n'arrive avant qu'elle soit faite. Mais la prudence chrétienne ne veut pas, je pense, que par l'appréhension de la mort d'un homme qui ne se porte point mal, on précipite

 

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une décision de cette importance et qui doit abattre pour toujours l'erreur, au hasard d'en avoir une mauvaise ou insuffisante, qui dans l'état des choses aurait le même effet selon moi.

Encore un coup, le pis qui puisse arriver est qu'on essuie les délais d'un conclave, c'est-à-dire de deux ou trois mois ; après quoi il est certain que la décision sera telle que la France le voudra, tous MM. les cardinaux français se trouvant alors à Rome : ainsi d'un mal on en tirerait un bien. Je parle du pis qui puisse arriver, et qui n'arrivera pas s'il plaît à Dieu.

J'ai vu le cardinal Nerli, qui m'a paru un peu revenu : il m'a parlé assez bien, et il a compris mes raisons pour entrer dans le fond de la doctrine. Le cardinal Noris a évité de me faire connaître ce qu'il pouvait penser ; mais il n'éludera pas ainsi une autre fois.

On finit hier de voter sur la vingt-huitième proposition; et les examinateurs décidés pour nous, doivent voter à la première congrégation sur les dix dernières à la fois. Par là il sera vrai à la lettre, comme je vous l'ai marqué, que les qualificateurs auront terminé leur rapport à la mi-septembre.

Les Jésuites sont aussi insolens que jamais. Le cardinal de Bouillon est un peu plus doux et modeste, parce qu'il est humilié. Il faut toujours continuer à demander une bonne décision, et presser sans cesse pour que l'on ne se ralentisse pas.

Le cardinal Casanate fut un peu incommodé hier, mais il se porte bien aujourd'hui. C'est en vérité un digne homme, le seul sur qui on puisse compter. Sûrement ce serait un excellent Pape en toutes manières ; malheureusement on ne le connaît pas. Ne cessez, je vous prie, d'en dire du bien, cela peut faire beaucoup dans l'occasion. Il a un amour extrême pour l'Eglise et la bonne doctrine et une estime infinie pour le roi et pour la France.

On fait courir ici bien des bruits contre M. de Monaco : la plupart viennent du cardinal de Bouillon, qui enrage dans le fond.

Ayez la bonté de me mander comment il convient que je traite M. de Monaco, soit par lettre, soit en lui parlant. Je ne sais s'il voudra qu'on le qualifie d'Altesse : cela ne laisserait pas d'être embarrassant. Je lui ai écrit Monseigneur avec un vous, dans

 

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l'incertitude où j'étais. Il ferait bien de se contenter de la qualité d’Excellence.

 

LETTRE CCCXLI. BOSSUET A SON NEVEU. A Compiègne, 7 septembre 1698.

 

Le dernier ordinaire ne m'apporte point de vos nouvelles : j'en conclus qu'il n'y a rien de nouveau. Toutes les lettres que je vois de Rome marquent qu'on s'y attend à une qualification. Il est à propos qu'on évite dans la bulle le terme de motu proprio, dont nous ne nous accommodons point en France.

Je ne suis ici que d'avant-hier, et je n'ai pu encore parler de rien. M. le nonce n'est pas ici à cause du pour (a), qui a prétendu avec tous les autres ambassadeurs, qui se sont aussi absentés pour la même raison. La vérité est qu'on ne l'a jamais donné qu'aux princes tant du sang qu'étrangers, et aux cardinaux. Il est arrivé une fois que M. le nonce logeant avec M. le cardinal d'Estrées, on a mis : Pour M. le cardinal d'Estrées et M. le nonce ; ce qui a donné occasion à M. le nonce de croire que le pour lui était dû, mais sans fondement, parce que si dans cette occasion on avait voulu donner le pour au nonce, il eût fallu le mettre double de cette manière : Pour M. le cardinal d'Estrées, en ajoutant pour M. le nonce. Cela n'est rien, et on cherche des expédients pour faire que M. le nonce puisse venir. C'est l'ambassadeur de Savoie qui a élevé le premier la difficulté.

J'espère que vous aurez par cet ordinaire la version italienne de ma Relation.

 

(a) Voici le sujet de celte querelle. Lorsque le roi va dans quelques-unes de ses maisons, l'usage est de marquer les appartements de ceux qui sont du voyage, de cette manière : Pour M. le Dauphin, pour M. le duc d'Orléans; mais le mot pour ne se met qu'aux appartements des princes et des cardinaux. Ceux des autres sont seulement marqués de leurs noms, comme M. le duc de Noailles, M. l'ambassadeur d'Espagne, etc. Le mécontentement du nonce et des ambassadeurs sur le refus du pour, montre à quelles bagatelles les hommes s'attachent, et de combien de minuties des personnages graves s'occupent sérieusement. (Les premiers édit.)

 

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La Réponse de M. de Cambray à cette Relation tombe pour le fond ; et il s'acquiert seulement la réputation de bien et éloquemment pallier une cause visiblement mauvaise. On y voit autant de déguisement que de négligence; car ses répétitions sont insupportables. Du reste le langage coule. Ma Réponse, qui est jugée ici très-nécessaire pour mettre au jour une bonne fois le mauvais et dangereux caractère de l'esprit de M. de Cambray, suivra de près, s'il plaît à Dieu.

Le roi est étonné de la hardiesse à mentir de ce prélat sur des choses dont, pour la plupart, Sa Majesté elle-même est témoin. Il s'étonne surtout que M. de Cambray ose dire qu'il a écrit par ordre. Le roi le lui avait seulement permis de la plus simple permission : il avait vu la lettre de ce prélat, mais sans y prendre aucune part, ni y donner aucune approbation quelle qu'elle fût. Vous pouvez le dire positivement, et le roi même le dit. Il n'est pas moins étonné que M. de Cambray ait pu révoquer en doute ce que j'ai dit sur la première nouvelle portée à Sa Majesté du soulèvement contre son livre. Elle sait bien que je ne lui dis pas un seul mot sur tout cela que trois semaines après la publication et le soulèvement général. Le roi a dit hautement que je n'avais rien avancé que de vrai et de sa connaissance particulière.

Vous recevrez bientôt une réponse très-courte et très-décisive De actibus a charitate imperatis (a). On imprime actuellement cet écrit. Vous vous souvenez de celui qui vous dit, qu'il ne savait point de réponse à l'explication que M. de Cambray et ses partisans donnaient à l'amour du cinquième état (b) : c'est n'avoir guère compris la matière. Il y a bien d'autres faussetés que je ferai voir aussi clair que le jour. Il n'est plus ici question de rien éclaircir par rapport à Rome, mais de faire connaître M. de Cambray, afin qu'il ne puisse plus en imposer aux simples par des discours où il n'y a que déguisement et qu'artifice.

J'ai vu plusieurs fois le P. de la Rue, qui ne m'a pas dit un mot sur l'affaire de M. de Cambray (c).

 

(a) Vol. XIX, p. 772. — (b) Celui qui dit cela, c'est le cardinal Ferrari; voir la lettre datée du 19 août 1698, de l'abbé Bossuet, plus haut, p. 542. — (c) Après la condamnation, ce jésuite prêcha souvent contre la nouvelle spiritualité.

 

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EPISTOLA CCCXLII. D. CAMPIONUS AD EPISCOPUM MELDENSEM. Romœ, septembris 1698.

 

Jàm non propter aliorum loquelam credo benignitatis uberrimum fontem in Benigno; sed quia ego audivi, ego vidi in benignissimà, quam mihi illustrissima vestra Dominatio direxit, epistolà. Totum sanè illustrissimae vestrae Dominationis aninium occupavit Spiritus ille puri castique amoris, cujus causam agunt vestrae elucubrationes ; quandoquidem ipsae familiares litterae spirant quàm maxime nobilissimum ejusdem Spiritûs fructum, benignitatem. Illud vestrae illustrissimae Dominationis erit, prae-dictum Spiritum non concludere sub angustis terminis ejus quem tanto honore dignamini. Equidem naturis rerum se accommodât Spiritus, qui Deus est, ubi eas operi praemovet. Sed et est aliquandô ut earum tarditatem socordiamque praeveniat juxta gratiam suam, quae nescit tarda molimina; fitque, cujus cor éructât verbum bonum, calamus velociter scribentis.

Quotidiè major in Italià nécessitas urget evulgaudi contra falsas orationes antidotum, quod unicè hucusque reperio propinatum in libris vestrae illustrissimae Dominationis de Statibus orationis. Ut malo serpenti possit mederi verbum bonum, quod à vobis acceptum eructare disposui de licentià vestrae illustrissimae Dominationis; vestrum sit meam tarditatem praevertere abundantià vestri spiritus, ut velociter scribam quae purioribus animabus communicatae à Specioso prae fidelis hominum diffusae sunt gratiae è labiis vestris. Et verô non me reliquit adeô segnem, ut profiteri non debeam, totis jam decem libris translatis, versari nunc in vertendis additionibus, quas ad calcem tractatùs in secundà editione duxit inserendas illustrissima vestra Dominatio.

Quoniam verô de additionibus sermo contigit, erunt forte qui satiùs habeant ut suis locis reponantur; mihique ab initio sententia haec arridebat, petità priùs vestrae Dominationi illustrissimae venià. Caeterùm agnovi quod ut iisdem necterentur, necessarius

 

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esset aliquis circuitus novarum periodorum, quas de meo addere scelus mihi ducerem ; ne scilicet nobilis adamas vinctus prodeat circulo ferreo. Proptereà etiam in versione, quantum potui, adhaesi litterae ; mihique liberum id unicè volui, ut aptarem stylo italico venustatem gallicam, ne scilicet asperior currens oratio, si ad verbum redderetur, lectorem retardaret. Vertam hàcce methodo Prœfationem, et Acta quietistarum quantociùs, ut permutent occupationes complures ab aliquot Romanis Congregationibus mihi commissae in dies, quarum expediendarum causa fateor me hucusque pluries abrupisse filum versionis.

Illud in sinum vestrae Renignitatis refundere debeo, quôd non nemo conscius meae translationis significavit utilissimum fore, si tractatui illustrissimae vestrae Dominationis conjungerem Litteram pastoralem illustrissimi ac reverendissimi archiepiscopi Parisiensis de eodem argumente Sed qui ego audeam, sine ejusdem archipraesulis venià, mittere meam falcem in messem illius, et sine vestra in unum manipulum colligare?

Quod ad meam dissertationem de necessitate amoris initialis ad sacramenta mortuorum, compléta jàm fuit impressio : solùm restât conferre, juxta stylum Romanum, exemplaria typis édita cum originali scripto, ut permittantur evulgari. Celebris est illa quaestio, et à compluribus tractata, ut mihi verendum fuisset ne actum agerem. Nihilominùs notaveram scholasticos modernos multùm obstare necessitati, adeô ut in Decreto Alexandri VII fuerit insertum, communiorem in scholis esse opinionem, quae negat prœdictam necessitatem ; et praeoccupati scholastici ra-tiunculis, quas ad scholae amussim non vident dissolutas, etiam hic in Urbe, ubi aliàs frigescere incipiunt opiniones laxiores, non sibi satisfaciant juxta suam methodum. Operœ proptereà pretium existimavi illis abripere scholae principes, sanctos Thomam, Ronaventuram, Albertum Magnum, Alexandrum Alensem virosque persimiles, quorum rationibus et principiis, ad evidentiam, meo videri, confirmavi necessitatem amoris initialis ; quas verô è contra modérai ratiunculas urgent, scholasticâ methodo facillimè dissolvi.

Utinàm in eà elucubrandâ potuissem sedere ad pedes vestrae

 

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Dominationis illustrissimes : profectò sperassem voce Pauli in illos tonare : Qui non amat Dominum Jesum Christian, anathema sit. Diebus hisce licebit facile public! juris eam facere, et mittam eam vestrae illustrissimae Dominationi per tabellarium sequentis hebdomadœ, ut vestra cura educetur quae vestro spiritu non potuit nasci. Quam sanè si exceperitis, dissolvetur vetus problema : Nùm plus educatione quàm nativitate conceptus proficiat ? habebit enim, quod per me non habuit, per illustrissimam vestram Dominationem.

Quoniam autem semel cœpi, loquar ad Dominum meum pulvis et cinis : Quid est quod Dominus meus in Epistolà scribit se sanctum Thomam habere ducem, quasi unus vos prœeat Doctor angelicus ; cùm Patrum omnium velut encyclopedia sint vestri libri, etiam mysticorum, quorum sensa perquiritis, et sanam doctrinam proponitis ? Sanè salebrosam orationis passivae segetem nemo utiliùs, nemo salubriùs tractavit, adscità saeculorum omnium traditione, non unius tantùm Angelici doctrinà, licèt angelicâ methodo.

Sed si gloriamini habere ducem Angelicum, gloria vestra sit Angelicum imitari. Vix fuisse crediderim, qui me operosiùs dissentiret à doctrinà sancti Thomae, praesertim in materiis de gratià et amore Dei, in quibus explicandis prenait ille vestigia sancti Augustini, magistri gratiae et prodigii amoris. At ille solis, quem gestat in pectore, radio evibrato, suae cœlestis doctrinae fecit discipulum et admiratorem. Radio vestrae Benignitatis percellar, illustrissime Domine, ut qui admiror vestram doctrinam et pietatem, utriusque possim calcare vestigia; et vivam exindè discipulus, qui vivo, illustrissimae et reverendissimae vestrae Dominationis humillimus , obsequentissimus et addictissimus famulus.

 

Franciscus-Maria Campionus,

Apostolicus in Urbe cleri examinator.

 

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LETTRE CCCXLIII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 9 septembre 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 17 août, de Meaux, par laquelle vous me marquez l'arrivée du courrier et la réception de tous nos paquets. J'espère apprendre bientôt les mesures que vous aurez prises, M. de Paris et vous, pour faire connaître, le plus tôt qu'il sera possible, les faussetés des derniers écrits de M. de Cambray contre vous deux. J'en relève ici les impostures fort aisément; car je trouve qu'il n'y a qu'à relire vos deux écrits pour répondre clairement à tout : mais il me semble qu'il donne encore par ces derniers écrits de grands avantages sur lui. Il faut absolument que vous fassiez quelque chose; mais il sera nécessaire de le traduire en même temps en italien, et imprimer l'un et l'autre en même temps : si cela pouvait venir à la fin du mois prochain, ou au commencement de novembre, ce serait à merveille. En ce cas il faudrait envoyer les exemplaires par un courrier extraordinaire. L'écrit doit être court et fort : il est en bonne main.

Les Jésuites triomphent de la Réponse de M. de Cambray  à votre Relation. Ils répandent là-dessus, comme une vérité constante, que le roi est entièrement revenu pour M. de Cambray, qu'il a reconnu les emportements des évêques, qu'il a rétabli les pensions de ce prélat ; que c'est moi qui fais courir tous les faux bruits qui se débitent sur la disposition peu favorable du roi pour lui; enfin il n'y a rien de si faux qu'ils ne publient. Ils prétendent que tout ce que le roi a fait dans cette affaire, il l'a fait par force. Ils ont leurs fins dans tous ces mensonges qu'ils avancent; parla ils conservent plusieurs de leurs partisans. Ils soutiennent jusqu'au bout les qualificateurs favorables, peu inquiets de ce qu'ils pourront penser dans la suite de tant d'impostures dont on les a entretenus.

 

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Des cinq qualificateurs qui sont contre le livre de M. de Cambray, trois ont achevé de voter devant les cardinaux sur les dix dernières propositions. Le P. Massoulié votera demain, et peut-être aussi le maître du sacré Palais. Pour les quatre favorables à M. de Cambray, ils ont jugé à propos de ne voter que sur cinq propositions ; et par ce délai, ce qui aurait été fini devant le Pape le 18 de ce mois, ne finira que le 25. Le Pape a témoigné assez fortement son chagrin de cette affectation à prolonger. Voilà à peu près le temps où j'ai toujours cru, depuis qu'on a suivi mon projet, que le rapport finirait.

La nouvelle que M. Phelippeaux vous avait mandée il y a quinze jours, touchant les consulteurs qu'on pourrait entendre après les examinateurs, n'est pas vraie. Je n'ai jamais vu MM. les cardinaux disposés à prendre cet expédient : ils se croient suffisans pour lever ce partage; je les laisse faire. S'ils choisissent ce moyen, ce sera pour l'honneur de la cause, et afin qu'on ne dise pas dans la chrétienté que les théologiens de Rome ont été partagés ; ce qu'on dira éternellement.

Le cardinal de Bouillon fut fort embarrassé il y a huit jours, voyant la tournure de l'écrit que je lui donnai (a). Son conseil fut d'avis de ne le pas envoyer, étant fait de manière à ne pouvoir être qu'approuvé ; mais il le voulut, parce qu'il s'imagina que je l'envoyais de mon côté. Je sais qu'il a mis dans la dépêche à Sa Majesté, que le Pape lui avait dit que je lui avais représenté qu'il ne fallait rien précipiter : ce seul mot me justifie entièrement sur tout ce qu'on voudrait insinuer. Je sais aussi qu'on a dit ici que je cherchais à différer, et on ne manquera pas de le répandre à Paris. Le Mémoire que je vous ai envoyé montre bien le contraire. Je vais le faire passer à M. le cardinal de Janson et à M. l'archevêque de Reims, pour qu'ils puissent s'instruire du fait, et éclaircir les autres de la vérité. Ici tout le monde a fort loué ce que j'ai fait, et l'a trouvé très-à propos. Mais cette démarche met au désespoir les partisans du livre, qui auraient souhaité une décision ambiguë, pour pouvoir excuser la doctrine et la personne de M. de Cambray.

 

(a) C'est le Mémoire qu'on a lu comme note à la lettre précédente.

 

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De la manière dont M. le cardinal de Bouillon me parla, il semblait qu'il doutoit des intentions du roi sur le fond de la décision : il me témoigna même être disposé à dépêcher un courrier extraordinaire, pour savoir plus tôt et plus précisément ses volontés à cet égard; mais à la fin je le fis convenir que quand Sa Majesté pressait, elle avait toujours en vue une fin bonne et honorable pour le saint Siège et pour la France ; qu'il fallait procurer un jugement de cette nature le plus promptement qu'il serait possible, mais toujours avec ces conditions, sans lesquelles une conclusion de l'affaire pourrait être plus préjudiciable qu'utile. Tout cela me paraît démontrer que quand le cardinal de Bouillon presse si fort Sa Sainteté pour une décision prompte, il ne se soucie guère qu'elle soit telle qu'on doit la désirer. J'espère plus que jamais une heureuse issue, si le roi et le nonce continuent à agir comme ils ont commencé, et à déclarer qu'il ne faut avoir en vue que l'intérêt de la vérité, le maintien de la bonne doctrine et point du tout la personne de M. de Cambray, qu'il est bon d'humilier, parce que son salut consiste uniquement dans le renoncement à ses erreurs et une soumission entière. Si l'on persévère à solliciter, je crois qu'on tirera de Rome sur la doctrine tout ce qu'on en peut obtenir dans les circonstances présentes, même sur la matière de l'amour pur; du moins je n'oublie rien pour leur faire sentir la nécessité d'étendre jusque-là leur censure.

J'ai depuis quelques jours, grande raison de croire que le cardinal de Bouillon a écrit au roi sur le vœu qu'il se propose de donner, afin que s'il ne l'approuve pas, il s'abstienne peut-être de voter. Je suis persuadé que le roi ne manquera pas de communiquer son projet à vous et à M. de Paris, et que l'on pourra lui insinuer qu'il ferait mieux de ne pas assister au jugement, s'il croyait ne pouvoir changer d'avis. Le cardinal de Bouillon prétend encore par là surprendre le roi, et en extorquer quelque chose. Je crois qu'il est du bien de l'affaire que le roi, dans l'occasion que présente l'envoi que le cardinal de Bouillon lui fait de mon Mémoire, témoigne approuver ma conduite en la déclarant conforme à ses intentions.

M. Giori travaille toujours pour nous, et entretient le Pape dans

 

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ses bonnes dispositions. Je ne puis m'empêcher de vous dire que ceux qu'on appelle à Rome jansénistes font à merveille contre M. de Cambray, sans qu'il paroisse que j'agisse.

Je crois savoir presque certainement que le cardinal de Bouillon a voulu donner ici un projet de censure sur le livre de M. de Cambray, qui a été rejeté : j'en saurai peut-être bientôt davantage. Cette Eminence a eu ces jours passés de grosses paroles avec le Pape : il avait demandé à Sa Sainteté un bénéfice pour une personne. Dans ces entrefaites le roi lui écrivit de demander le même bénéfice pour une autre personne. Le cardinal le fit de la part du roi ; mais en même temps il continua à solliciter fortement pour son homme. Le Pape a jugé à propos de le donner à un tiers pour vider le différend. Le cardinal a fulminé là-dessus, et a très-mortiflé le Pape qui ne le méritoit pas, en lui disant qu'il fallait, pour obtenir quelque chose de lui, être ambassadeur de l'empereur.

Il ne sera pas mauvais de préparer le nonce à insinuer ici qu'en finissant celte affaire, il sera bon que le saint Siège loue le zèle et le procédé des évêques.

J'ai reçu le Quietismus redivivus : vous avez cru me l'envoyer tout entier, mais la dernière feuille manque : je n'ai que jusqu'à la page 432. Je n'ai pas laissé de le donner tel qu'il est aux cardinaux et à nos cinq examinateurs, en attendant la dernière feuille qu'on ajoutera, et sans laquelle l'ouvrage quant aux propositions est entier. J'espère recevoir cette dernière feuille l'ordinaire prochain, peut-être avec la traduction italienne de la Relation, qui viendra bien à propos. Quand les Romains auront la facilité de lire cet écrit, ils y trouveront d'eux-mêmes la réponse aux impostures de M. de Cambray.

Vous avez su, il y a déjà longtemps, qu'il n'y a rien à craindre sur l'affaire du duc de Cesarini (a). Il a connu la malice de mes ennemis, et les mauvais desseins du cardinal de Bouillon ont tourné à sa confusion. Je vous ai mandé à cet égard, comme dans tout le reste, la pure vérité. Je n'ai rien à appréhender que les suppositions calomnieuses.

(a) Sur la tentative d'assassinat qui aurait menacé l'abbé Bossuet.

 

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La nouvelle du curé de Seurre (a) ne laisse pas de faire ici son effet. S'il y avait quelque chose de nouveau sur Madame Guyon par rapport à M. de Cambray, il serait bon de nous en instruire,

(a) Les pièces suivantes vont éclaircir ce passage.

 

LETTRE DU SIEUR ROBERT, Curé de la ville de Seurre, à une religieuse converse de Sainte-Claire dudit Seurre , sa pénitente. Dieu seul.

 

Pourquoi vous adressez-vous à moi, pauvre chétif que je suis? Si vous saviez ma misère, vous auriez plus envie de me donner que de me demander. En un mot, je me souviens d'avoir su autrelois quelque chose , mais à présent j'ai tout oublié, et je n'ai point le désir d'apprendre. Je me contente de la simple foi que j'ai reçue de mon Dieu, et je me tiens plus assuré d'elle que de toute la science, de tous les conseils des plus savants. Elle seule me suffit dans tous mes besoins : avec elle l'on peut tout, l'on résout les plus grandes difficultés et généralement tous les doutes en toute sorte de matières; l'on vit sans crainte, et l'on marche sans broncher avec un tel guide. Jamais elle ne nous quitte que nous ne la voulions laisser. Et comment la voudrait abandonner celui qui en connaît les avantages? Si vous voulez, ma très-chère Sœur, vous en servir comme moi, vous n'aurez plus besoin de moi, ni de tant de sortes de choses dont tous les dévots et tous les spirituels de ce temps font tant de cas. Quand vous aurez donné une bonne fois votre âme à Dieu, et que vous lui en aurez abandonné le soin, croyez assurément qu'il la conduit comme il faut : n'en soyez plus en peine , et ne pensez plus qu'à vous laisser conduire comme un enfant, sans vous amuser à regarder ce qui se passe au dedans de vous ni au dehors. Allez toujours ; car c'est s'arrêter que de penser à soi, pour quelque chose que ce soit. Ne vous êtes-vous pas donnée à Dieu pour le temps et pour l'éternité? Il n'y a donc plus rien à espérer ni à prétendre pour vous. Vivez, ma très-chère Sœur, dans cette étroite dépendance d'être, à tous les moments de votre vie, telle que Dieu veut que vous soyez; et contentez-vous de ce que vous êtes. Jouissez du présent tel que Dieu vous le donne, et laissez le passé et l'avenir à celui à qui il appartient. Ne communiquez point de votre intérieur avec personne, ni ne montrez mes lettres à qui que ce soit. Ne soyez nullement en peine de ne pouvoir dire vos péchés en confession. Communiez quand vous aurez faim. Parlez peu, et ne vous plaignez jamais, ni pour l'intérieur ni pour l'extérieur. Présentez-vous quelquefois à Dieu, quand la pensée vous en viendra. Je suis en notre Seigneur Jésus-Christ, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

 

Signé  Robert.

 

Nous, soussigné , certifions et attestons que la présente copie de la lettre ci-dessus est tout à fait et mot à mot conforme à son original que nous avons vu, lu, et tenu en nos mains. Fait à Seurre, ce vingt-troisième jour du mois de novembre 1695.

 

F. E. DELACHASSIGNOLE.

 

PRÔNE

 

Fait et prononcé le troisième dimanche du mois d'août, en l'église paroissiale de Saint-Martin de la ville de Seurre dit Belleganie, au duché de Bourgogne et du diocèse de Besançon,

 

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parce que ces faits sont très-utiles à nos gens, qui sont fort touchés du matériel. J'apprends dans le moment que M. le cardinal de Bouillon dit

par le sieur Philibert-Robert, prêtre, cure rte ladite ville, à l'occasion d'une rétractation publique et par écrit qu'il fit en chaire le même dimanche, à l'honneur du sieur Dupuys, docteur de Sorbonne, prêtre, cure du village de l'Abergement-le-Duc , auprès de Seurre, du diocèse de Châlons-sur-Saône ; pour avoir ledit sieur Robert traité avec injures ledit sieur Dupuys, dans son prône , le dernier dimanche de juillet dernier ; entre autres l'avoir nommé faux prophète, docteur prétendu, prédicateur sans mission, et lui avoir imposé d'avoir condamné l'exercice de l'oraison mentale dans le panégyrique de sainte Marthe , que ledit sieur Dupuys fit à l'hôpital de Seurre, où le sieur Robert fut présent, quoique néanmoins tous les auditeurs dudit sieur Dupuys, à la réserve peut être de quelques dévotes dudit sieur Robert, certifieront partout qu'il ne lit autre chose que condamner l'oraison de quiétude, que l'Eglise a condamnée, notamment eu ce point qu'elle exclut toutes demandes à Dieu, et que pour la véritable contemplation reçue et approuvée, c'était un don de Dieu où personne ne devait s'élever de soi-même, mais qu'il fallait attendre, comme sainte Thérèse, que Dieu élevât les âmes ; comme encore que l'usage rte la prière vocale était bon , et qu'il ne fallait pas s'en dispenser sous prétexte d'oraison de quiétude. Mais ledit sieur Robert, curé de Seurre, eu faisant satisfaction en apparence audit sieur Dupuys, prêcha plus hardiment ses erreurs du quiétisme, et supposa faussement qu'il avait été trop facile à croire ce qu'on lui avait dit du panégyrique de sainte Marthe, comme s'il voulait persuader qu'il n'y fût point présent, ce qui est faux. Voici donc ce que plusieurs prêtres et religieux se souviennent d'avoir ouï dans ce prône, à peu près de la même manière et dans les mêmes termes dont il s'est servi.

 

Je vous fis remarquer, dans mon dernier prône du mois de juillet, que saint Paul prêchant aux peuples, il survint une certaine rumeur et il se fit un bruit confus entre les fidèles, de ce que cet Apôtre leur prêchait des vérités hautes et difficiles à concevoir, alta et difficilia, que les faibles ne comprenaient pas, que les ignorants ne voulaient pas savoir et que les libertins corrompaient à leur perte et leur damnation : Alta et difficilia intellectu, quœ indocti et instabiles depravant ad suam ipsorum perditionem; ce qui les obligea d'avoir recours à saint Pierre comme au Chef de l'Eglise, lequel pénétré des bonnes intentions de cet Apôtre et certain de la vérité de sa doctrine, jugea en sa faveur, disant : Charissimus frater noster Paulus secundùm datant sibi sapientiam scripsit vobis.

Je me trouve aujourd'hui, Messieurs, dans le même cas ; et il faut avouer que vous et moi nous nous sommes trompés par notre trop grande facilité à croire les faux bruits qui se sont répandus et les rapports qu'on nous a faits, disant que M. le curé de l'Abergement avait prêché contre l'oraison, qu'il en condamnait les pratiques et préférait l'action à la contemplation, puisque je suis certain du contraire, et que je sais qu'il la pratique lui-même, qu'il l'enseigne à ses peuples, et l'ordonne aux pécheurs comme un souverain remède à leurs péchés : la doctrine duquel est pure et saine, la mission véritable et de l'ordinaire, et lui véritablement docteur de Sorbonne, qui n'a jamais voulu prêcher contre l'oraison, qu'il approuve : ainsi nous voilà d'accord, nous sommes contents, on ne nous ôte pas l'oraison, on nous la laisse, et nous avons ce que nous demandons. Semblables à un pauvre marchand qui passe par un bois où il trouve des voleurs qui l'attaquent, lui courent dessus pour lui ôter la bourse et la vie : dans ce moment et tandis qu'ils le volent, il en sort un troisième qui vient à lui le poignard à la main. Ce pauvre malheureux, qui voit venir à lui celui-ci, tremble de peur; et hors de lui-même, il se croit déjà perdu, volé et mort : mais quand il voit et quand il sait que c'est pour le défendre et le tirer d'entre les voleurs, ah! quel bonheur, quel plaisir, et quelle joie pour lui de se voir délivré du péril où il était!

De même on nous voulait ôter l'oraison qui est notre bien, notre trésor et

 

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que les évêques ne s'accordent pas avec le roi, quand ils veulent une décision sur la doctrine ; et que la Cour sera contente, pourvu qu'on finisse promptement en prohibant simplement le livre.

 

nos richesses. M. le curé de l'Abergement est venu à notre secours pour nous défendre, pour nous affermir dans cette pratique , et nous secourir contre ceux qui la décrient et la condamnent, qui se contentent de donner dans la pénitence quelques chapelets à la volée, sans se mettre en peine de l'oraison que les théologiens mystiques et moraux, que les contemplatifs et les spirituels appellent l'oraison de pure foi, de simple présence, de quiétude, de paix , de repos, d'union intime, d'affection, de méditation et de contemplation.

Disons ici quelque chose de l'oraison de pure foi, de simple présence et de quiétude , qui est la même chose. Examinons-en les avantages ; et sans sortir de cette chaire, décidons cette grande question qui a fait, et qui fait encore aujourd'hui tant de bruit, savoir si elle est bonne et la plus parfaite , et si on la doit pratiquer; ce qui n'a point encore été décidé. Il faut pour cela des personnes d'une grande sainteté, et d'une science extraordinaire et connue. N'allons pas chercher plus loin ce que nous avons dans le royaume. La Sorbonne nous fournira deux docteurs dont la voix est comme un tonnerre, vox tonitrui tui in rotâ ; l'un par sa sainteté extraordinaire, l'autre par la sublimité de sa doctrine. Le premier est Monseigneur l'évêque de Châlons-sur-Marne, dont la piété est si connue; et le second Monseigneur l'évêque de Meaux, dont la science éclate partout ; lesquels, dans le livre qu'ils ont composé de l'Oraison de quiétude , la louent, l'approuvent, et déclarent si hautement son utilité et sa nécessité, qu'il n'est plus permis d'en douter après leur témoignage : d'où je conclus qu'elle est nécessaire aux pécheurs dans le crime, pour en sortir; qu'elle est utile aux pénitents, pour les fortifier dans les austérités de la pénitence; et très-avantageuse aux parfaits, pour augmenter en vertus : ainsi toute sorte de personnes peuvent et doivent la pratiquer.

Elle renferme, ou plutôt elle a trois parties , la leçon, la méditation et l'affection. La leçon est dans la bouche, la méditation dans l'esprit, l'affection dans le cœur. Ah ! pauvres pécheurs, vous qui êtes dans le crime, qui vivez dans l'habitude du péché depuis des cinq. des dix et des vingt ans , je veux vous apprendre à faire oraison, et vous donner une leçon qui ne consiste qu'en un mot. Retenez-la bien : vous la devez dire et redire pendant un quart d'heure : Enfer! et je suis sûr que vous vous convertirez. Je sais même par expérience, et j'ai vu des personnes, lesquelles après avoir croupi des quinze et des seize ans dans l'horreur des vices, se sont enfin converties et ont abandonné l'impureté et les crimes les plus honteux, après cette réflexion sérieuse : Enfer, enfer; mort, mort; jugement, jugement! Ainsi ceux que l'amour n'avait pu gagner, la crainte, l'oraison, la méditation de ces mots les a touchés, et leur a fait changer de vie. Saint Augustin la définit : Oratio est vera dilectio; et qui diligit, orat : « L'oraison est la dilection; et celui qui aime, prie. » Sainte Thérèse et le bienheureux Jean de Dieu l'ont ainsi pratiquée, et c'est elle qui les a élevés à l'union avec Dieu. L'Epouse des cantiques la pratiquait de même, lorsqu'elle nous dit : Ego dormio, et cor meum vigilat : « Je dors , et mon cœur veille; » c'est-à-dire, tous mes sens sont dans un assoupissement, et mon esprit dans l'oisiveté et l'inaction qui ne pense à rien. Oui, oui je dors, je suis dans un doux sommeil, tandis que mon cœur veille en Dieu : Ego dormio, et cor meum vigilat.

Disons encore un mot de sainte Marthe et de Madeleine, dans cette amoureuse conteste qu'elles eurent entre elles, sur ce que sainte Marthe était toute occupée à servir Jésus-Christ, et Madeleine était toujours attentive à ses pieds.

 

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Jésus-Christ quittant la qualité de juge, prend celle d'avocat; il conclut en faveur de Madeleine, et profère ces paroles à sa gloire : Maria optimam partent elegit. Il dit optimam partem, pour nous montrer que l'oraison de quiétude et de repos est la plus pure, la plus parfaite et la plus agréable à Jésus-Christ; et c'est pourquoi il dit optimam. Maria , Marie, vous avez choisi la meilleure part. Que dis-je? Quoi! Marie, vous qui êtes la cadette, et Marthe l'aînée; Marie, vous qu'il n'y a pas longtemps qui servez Jésus-Christ, et Marthe l'a toujours servi et ne l'a jamais abandonné; enfin Marie , vous qui avez perdu votre virginité, et Marthe qui a toujours conservé la sienne, ayant toujours été pure et chaste : n'importe, votre oraison vous rend plus agréable à Jésus-Christ, et vous relève par-dessus elle; c'est la meilleure part que vous avez choisie; elegit, elle a choisi la meilleure part de son propre mouvement.

Je sais bien, et l'Ecriture nous en assure, que c'est Dieu qui nous appelle par une première grâce que nous appelons de vocation : Quos vocavit. Il est encore vrai que c'est lui qui nous choisit par une seconde grâce d'élection. Mais ici c'est Marie qui choisit elle-même cet état si haut, si sublime de contemplation, qui fait son partage et son élévation : Maria optimam partem elegit. Et si vous en voulez savoir la raison , pourquoi elle est si agréable, le même Evangile nous l'a dit : c'est parce qu'elle aime beaucoup : Dilexit multum ; c'est ce qui l'élève, et l'unit jusqu'à Dieu : Dilexit multum. ( Il répéta encore que Jésus-Christ a choisi ses apôtres; mais que pour l'oraison d'élévation, c'est Madeleine qui se l'est choisie. )

Finissons, et si je suis un peu trop long, vous me le pardonnerez bien pour cette fois; je n'ai point de montre pour nie régler : finissons, en disant que l'oraison est comme le lait et la nourriture de notre âme; et comme les enfants ne peuvent vivre sans cette nourriture, aussi nous ne saurions vivre sans l'oraison et la contemplation. Femmes nourrices, Mesdames qui avez des enfants, vous le savez, lorsque vous leur laissez sucer le lait de vos mamelles, ils ne disent, mot, ils sont en repos, ils ne pleurent point; mais lorsque vous leur refusez ce lait, et que vous leur cachez vos mamelles, ils soupirent, ils pleurent et ils crient. De même, si vous nous ôtez l'oraison, qui est la nourriture de nos âmes, nous nous plaindrons, nous crierons et nous réclamerons : il n'y aura ni accord, ni paix, ni repos jusqu'à ce que nous l'ayons.

Mais à présent qu'on nous la laisse, qu'on nous la donne et qu'on nous la rend, nous sommes contents, et nous n'avons plus rien à dire ni à désirer : la paix est faite; nous avons bonheur, paix et victoire; de sorte que je puis bien maintenant, mes Sœurs, vous adresser les paroles de l'Evangile de ce jour, et vous dire : Bienheureux sont les yeux qui voient ce que vous voyez ; fortunées sont les oreilles qui entendent ce que vous entendez : Beati oculi qui vident quœ vos videlts, et aures quœ audient quœ vos auditis. O Seigneur, dit le Roi-Prophète, soyez à jamais loué, et béni, et remercié de ce que vous ne nous avez pas ôté l'oraison, la prière et la contemplation : Benedictus Deus, qui non amovit orationem suam a me : louange, bénédiction, actions de grâces vous soient à jamais rendues dans tous les siècles des siècles. Amen.

Ce prône accompagné d'action, emporta d'abord l'approbation des peuples, qui en sont un peu revenus par les réflexions et les entretiens des autres prêtres de Seurre, qui ont signé les propositions de ce prône et les articles, pour assurance de ce qu'ils les ont entendu prononcer en chaire par ledit sieur Robert.

S'ensuit la rétractation par écrit, signée desdits sieurs Robert, Trullard, Noirot et Galleton.

Pour l'accommodement dont M. Trullard a bien voulu se charger en faveur de

 

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M. Robert, prêtre et curé de la ville de Seurre, et entre le sieur Dupuys, prêtre, curé de l'Abergement-le-Duc, docteur de Sorbonne.

 

1° Le sieur curé de l'Abergement-le-Duc avant toujours fait profession d'une foi pure et d'une morale reçue des docteurs les plus catholiques, il souhaite que mondit sieur Robert, curé de Seurre, déclare de lui-même, au prône de la même église paroissiale et dans sa conférence, qu'il reconnaît s'être trompé dans tout ce qu'il a dit dans l'avertissement qu'il donna à ses paroissiens le dimanche trente-unième du mois de juillet dernier; que pour cet effet il dise à haute et intelligible voix que ledit sieur curé de l'Abergement-le-Duc avait sa mission pour prêcher dans ladite ville de Seurre ; que sa doctrine est conforme aux Ecritures saintes, aux conciles, aux décrets des Papes, et aux sentiments delà sacrée Faculté de Paris; qu'il a eu raison de condamner le quiétisme dans les termes qu'il l'a fait, n'ayant rien dit que de général ; que sa morale est conforme à toutes ces sources de vérités ; qu'il prie son peuple d'oublier tout ce qu'il a dit contre ledit sieur curé de l'Abergement-le-Duc, vrai docteur de ladite Faculté de Paris; et qu'il le reconnaît homme de bien, et très-orthodoxe dans sa doctrine.

2° Comme ledit sieur curé de l'Abergement-le-Duc a eu avis par plusieurs personnes dignes de foi que ledit sieur Robert, curé de Seurre, avait écrit à Besançon à ses supérieurs contre la doctrine et les mœurs dudit curé de l'Abergement, lequel a très-grand intérêt de conserver sa réputation et l'honneur de son corps dans l'esprit de toutes les personnes de piété, et particulièrement dans celui de Nosseigneurs les évêques : à cet effet, et pour réparer tout le dommage que ledit sieur Robert a prétendu faire audit sieur curé de l'Abergement-le-Duc, qu'il écrive à Monseigneur l'archevêque de Besançon ou à Monsieur son vicaire-général, qu'il s'est trompé dans tout ce qu'il a écrit contre la personne dudit sieur curé de l'Abergement-le-Duc, et qu'il les prie de se désabuser et de ne point ajouter foi à tout ce qu'il aurait pu écrire. Mais comme ledit sieur curé de l'Abergement-le-Duc a grand intérêt que ladite lettre soit rendue fidèlement, il souhaite et désire qu'elle lui soit remise ouverte ou avec un cachet volant.

3° Le sieur curé de l'Abergement-le-Duc souhaite que ledit sieur Robert, curé de Seurre, se donne la peine de signer tout ce que dessus, et de l'approuver et ratifier ; et ce en présence de quatre ecclésiastiques, qui ne lui soient point parents, qu'il priera aussi de signer.

Le soussigné promet de satisfaire au contenu du premier chef. A l'égard du second, il déclare qu'il n'a point écrit ni donné avis à Monseigneur l'archevêque, ni à M. le vicaire-général de la difficulté présente; et pour la satisfaction du troisième et dernier chef, il supplie MM. Jean Trullard, Charles Noirot et Louis Galleton, prêtres de cette ville, de vouloir signer avec lui le présent acte. Fait à Seurre le neuvième août 1695. Signé sur l'original, P. Robert, Trullard, Noirot, L. Galleton.

Suite de l'addition que ledit sieur Robert, curé de Seurre. fit de son mouvement à la rétractation donnée audit sieur curé de l’Abergement, après l'avoir signée comme dessus.

Ledit Robert, curé de Seurre, désirant cependant faire connaître à M. le curé de l'Abergement le véritable et principal motif qu'il a eu de faire l'avertissement prétendu, et n'ayant jamais eu dessein ni intention de le blâmer dans ses mœurs, ni dans sa doctrine, ni dans sa qualité de docteur, dit seulement que sur rumeur publique et sur le bruit commun que les ennemis font courir dans cette ville, que l'oraison était condamnée, qu'il ne fallait dire que son chapelet et quelques

 

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prières vocales et autres choses de cette nature ; qu'ayant en mains des preuves par écrit et par des laits avérés qu'il a bien voulu taire, de plusieurs prêtres religieux qui l'avaient condamné, dans la personne de plusieurs filles qui pratiquent la dévotion, d'hérétique, de quiétiste et de faux directeur, et autres termes injurieux, et tous ces faits étant arrivés depuis peu, ce qu'il est prêt de faire connaître audit sieur curé de l'Abergement, il a été obligé dans celte rencontre d'avertir son peuple de ne point troubler leur paix, ni point se laisser surprendre à ces ennemis de l'oraison, et à demeurer fermes dans cette pratique qu'ils ont reçue de la mission dernière. Voilà le motif principal de l'avertissement, sur lequel il aurait encore beaucoup de choses à dire si sa santé lui permettait ; mais il a été obligé de se forcer à faire cette remarque, pour faire connaître à M. le curé de l'Abergement qu'il n'a point dit pour lui tout ce qu'il a dit dans son avertissement, mais qu'il l'a dit en général et qu'il l'a répété plusieurs fois. Enfin puisque les peuples à l'occasion dudit avertissement ont pu prendre quelques mauvais sentiments contre ledit sieur curé de l'Abergement, il veut bien les en désabuser et leur faire connaître qu'ils n'ont pas eu raison. Fait à Seurre, le jour et an que dessus.

 

Signé P. Robert.

 

Je soussigné, prêtre, curé du village de Chivre, certifie et atteste que j'ai tiré et écrit mot à mot les deux copies ci-dessus, des rétractation et satisfaction faites par ledit sieur Robert, curé de la ville de Seurre, sur l'original qui m'avait été confié par ledit sieur Dupuys, docteur de Sorbonne, curé de l'Abergement, et qui a été retiré d'icelui : en foi de quoi j'ai prié ledit sieur curé de l'Abergement de signer avec moi le présent certificat. Fait à Chivre, ce vingtième novembre de l'année mil six cent quatre-vingt-quinze. DUPUYS, MALECHARD , curé de Chivre.

 

REMARQUE.

 

C'est un mensonge à correction du sieur Robert, de dire qu'il n'a point prétendu parler du sieur Dupuys dans l'avertissement qu'il fit, puisqu'il parla d'un docteur de Sorbonne, et qu'il n'y a que ledit sieur Dupuys au pays de Seurre et d'alentour qui ait ce caractère.

On ne sait pas ce qu'il veut dire par ces preuves par écrit qu'il a en mains, que des prêtres religieux condamnent l'oraison pour ne vouloir que des chapelets et des prières vocales : on connaîtra mieux son mensonge, si on lui fait représenter ces preuves par écrit, qu'il veut taire, et que personne ne peut lui faire produire.

 

SENTENCE CONTRE MAITRE PHILIBERT ROBERT.

 

Entre maître Claude Rabiet, prêtre, docteur en théologie, promoteur en l'offi cialité de Besançon au vicomte d'Auxonne, duché de Bourgogne, à lui joint et instiguant maître Michel Dupuys, docteur de Sorbonne, curé de l'Abergement-le-Duc, demandeur en correction de crimes d'hérésie et inceste spirituel, aux fins de son interdit du 4 mai 1697, d'une part.

Maître Philibert Robert, prêtre, ci-devant curé de la ville de Seurre, accusé et contumace, d'autre.

Vu par nous Hugues David, docteur de Sorbonne , conseiller clerc au parlement de Dijon, ayant les lettres de vicariat de Monsieur l'archevêque de Besançon, etc., et tout ce qui fait à voir considéré : le saint nom de Dieu prémis, et après avoir invoqué l'assistance du Saint-Esprit, avons déclaré et déclarons la contumace bien et dûment acquise contre ledit Philibert Robert, et pour le profit l'avons déclaré atteint et convaincu d'avoir enseigné de vive voix et par

 

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écrit, prêché audit Seurre et fait pratiquer à ses pénitentes les erreurs des quiétistes; d'avoir mal parlé de notre saint Père le pape Innocent XI, et de quelques évêques de France qui ont censuré les livres qui les contiennent; d'avoir conseillé et distribué à ses dites pénitentes quelques-uns desdits livres, et d'avoir entretenu commerce et relation avec des personnes suspectes et prévenues des mêmes sentiments; comme aussi d'avoir commis inceste spirituel avec aucunes desdites pénitentes et paroissiennes , et en avoir fréquenté plusieurs avec une familiarité criminelle et un attachement scandaleux.

Pour réparation de quoi et autres charges résultantes de la procédure, l'avons condamné et condamnons à faire dans notre auditoire, en présence de tous ceux qui voudront y assister, amende honorable à genoux et tête nue à Dieu et à l'Eglise, suivant le formulaire qui lui sera prescrit : ordonnons qu'il condamnera Molinos, ladite hérésie des quiétistes et les livres qui la contiennent; qu'il déclarera que c'est témérairement et méchamment qu'il a mal parlé de notre saint Père le pape Innocent XI , et des évêques de France; qu'il s'en repent et leur demande très-humblement pardon. Disons qu'il a encouru l'anathème, et qu'il demeurera pour toujours déposé des saints ordres, et incapable de posséder aucun bénéfice séculier ou régulier; et en cas qu'il en possède aucuns, les déclarons vacants et impétrables : qu'il sera conduit dans une maison régulière qui lui sera indiquée, pour y être enfermé dans les lieux de force le reste de ses jours, pendant lesquels il jeûnera tous les mercredis, vendredis et samedis in pane doloris et aquâ angustiœ, et récitera tous les jours à genoux et tête nue les Psaumes de la Pénitence; le condamnons à une amende de cent livres applicable à l'hôpital dudit Seurre, et en tous les dépens dudit Dupuys. Et sera notre présent jugement publié au prône de la messe paroissiale dudit Seurre; et pour le cas privilégié et la discussion de ses biens, l'avons renvoyé et renvoyons par devant le juge compétent.

Enjoignons à notre greffier d'envoyer dans un mois, moyennant salaire, une grosse de la procédure, cette part faite, au greffe ordinaire de l'officialité dudit Besançon, au vicomte d'Auxonne, pour être par ladite officialité ou autre procédé, s'il y échet, ainsi qu'il appartiendra, contre autres que ledit Robert. Fait en notre hôtel à Dijon, le onzième août 1698.

 

Signé David.

 

ARRÊT DE LA COUR DE PARLEMENT DE DIJON.   Rendu contre maître Philibert Robert, prêtre, curé de la ville de Seurre, accusé de quiétisme et d'inceste spirituel. Extrait des registres de Parlement.

 

Vu le procès criminel fait par commissaire de la Cour, à la requête du procureur général du roi, instigation et poursuite de maître Michel Dupuys, prêtre, curé de l'Abergement-le-Duc, docteur en théologie de la faculté de Paris; à maître Philibert Robert, prêtre, ci-devant curé de Seurre, fugitif, accusé d'impiété, d'irréligion, de séduction et mauvaises pratiques envers plusieurs de ses paroissiennes et pénitentes, en leur inspirant la fausse doctrine du quiétisme, et d'inceste spirituel avec aucunes d'icelles; informations sur ce faites par ledit commissaire, conjointement avec l'official commis par le sieur archevêque de Besançon, le deuxième avril dernier et autres jours ensuivants ; décret de prise de corps donné sur les lieux par ledit commissaire contre ledit Robert, le seizième dudit mois d'avril dernier; exploit du même jour contrôlé à Seurre, contenant la perquisition dudit Robert, et à faute d'avoir pu être appréhendé, l'assignation à lui donnée à la quinzaine, et la saisie et annotation de ses biens ; le défaut donné par ledit commissaire le vingt-septième juin dernier contre

 

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ledit Robert, qui ne s'était représenté ; les assignations à lui données par cri public, en la place du marché public dudit Seurre; et encore au devant de son dernier domicile en ladite ville, par exploit du premier juillet ensuivant, contrôlé le même jour audit Seurre, et en celte ville de Dijon au devant de la principale porte du palais, par exploit du quatrième dudit mois de juillet, contrôlé le même jour à Dijon ; arrêt donné le cinquième dudit mois de juillet, sur les conclusions du procureur général du roi, par lequel il avait été ordonné audit Dupuys de faire procéder par addition à l'audition de tous témoins et au recollement de ceux déjà ouïs; arrêt du quinze dudit mois de juillet, par lequel ayant égard au désistement dudit Dupuys de faire entendre aucuns témoins comme révélants, il avait été ordonné que ceux qui avaient été ouïs seraient récollés en leurs dépositions, et que le recollement vaudrait confrontation, et permis audit Dupuys de faire ouïr par ampliation les témoins qu'il verrait bon être, conjointement avec le procureur général du roi, lesquels seraient pareillement récollés et vaudrait le recollement confrontation; procès-verbaux d'ampliation des témoins ouïs par ledit commissaire, conjointement avec ledit officiai commis, les neuvième dudit mois de juillet et autres jours suivants; procès-verbaux de recollement de témoins par ledit commissaire, aussi conjointement avec ledit officiai, des quinzième dudit mois de juillet dernier et autres jours ; conclusions dudit procureur général du roi. La Cour a déclaré la contumace bien acquise contre ledit Robert, et en adjugeant le profit, l'a déclaré et déclare dûment atteint et convaincu d'abus et profanation des sacrements de pénitence et d'eucharistie; d'avoir tenu des discours impies et scandaleux, enseigné une doctrine détestable et condamnée, contraire à la foi et à la pureté de la religion; de séduction de plusieurs de ses paroissiennes et pénitentes, en leur inspirant ladite doctrine ; d'inceste avec aucunes d'icelles : Et pour réparation a condamné et condamne ledit Robert à être, par l'exécuteur de la haute-justice, conduit en chemise, la corde au col, tête et pieds nuds au-devant de la principale porte de l'église Notre-Dame de cette ville, et là, à genoux, tenant une torche ardente du poids de deux livres, faire amende honorable, déclarer à haute et intelligible voix que méchamment, scandaleusement et avec impiété, il a enseigné ladite doctrine, fait et commis lesdits crimes et en demande pardon à Dieu, au roi et à la justice; à être ensuite conduit par ledit exécuteur au-devant de la principale porte de l'église paroissiale de Seurre, et y faire une pareille amende honorable, et à l'instant mené en la place publique de ladite ville, attaché à un poteau et brûlé vif, son corps réduit en cendres et icelles jetées au vent ; et pour son absence, l'exécution en sera faite en figure : le condamne en outre en mille livres d'amende envers le roi, en cinq cents livres d'aumône à l'hôpital dudit Seurre et aux dépens des procédures, le surplus de ses biens acquis et confisqués à qui il appartiendra.

À fait et fait très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de donner aide et retraite audit Robert et le receler; à peine d'être punis comme ses complices et sectateurs, suivant la rigueur des ordonnances, et ordonne à cet effet que le présent arrêt, en ce qui concerne ledit Robert, sera lu et publié partout où il appartiendra.

Ordonne ladite Cour qu'à la diligence du procureur général du roi, il sera informé par commissaire qui sera député, contre les complices, sectateurs et adhérens dudit Robert dans la mauvaise doctrine par lui répandue; auquel effet elle a permis audit procureur général d'obtenir monitoire à la forme des édits et arrêts.

Que Marie Malechard, Anne Guillaume et Estiennette Martin, filles de ladite ville de Seurre, seront prises au corps et amenées sous bonne et sûre garde en la conciergerie du palais, pour être procédé contre elles ainsi qu'il appartiendra, sur le commerce criminel et incestueux et autres mauvaises pratiques avec ledit

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Robert ; et où elles ne pourraient être appréhendées, elles seront assignées dans les délais portés par l'ordonnance, leurs biens saisis et annotés.

Et que pareillement Catherine Jaquin, femme de Jean Barbey, demeurant au village de la Bruyère, sera prise au corps et amenée en la conciergerie du palais et Jeanne Lucquet, femme de Jacques Prost, dudit la Bruyère, ajournée à comparoir en personne par-devant ledit commissaire, pour répondre sur la remise faite entre les mains de deux hommes inconnus, d'un enfant que ladite Jaquin avait pris dans la maison dudit Robert. Fait en parlement à Dijon, le treizième août 1698.

 

Signé  Joly.

 

FIN DU VINGT-NEUVIÈME VOLUME.

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