Accueil Remonter MIROIR SACRÉ ACCORD ÉVANGÉL. SERMON MONTAGNE QUEST. ÉVANGILES SAINT MATTHIEU PROP. ROMAINS EXPL. ROMAINS GALATES 83 QUESTIONS SIMPLICIEN I SIMPLICIEN II DULCITIUS FOI I FOI II FOI III
| |
COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE AUX GALATES.
Traduction de M. l'abbé RAULX.
Oeuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en
français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture,
Bar-Le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 394-427
AVANT-PROPOS.
1. — But de l'Epître. —
Le motif qui porte l'Apôtre à écrire aux
Galates, est de leur faire comprendre que la grâce de Dieu demande d'eux qu'ils
ne soient plus assujettis à la Loi. Quand en effet la grâce de l'Évangile leur
eut été annoncée, ils eurent affaire à des hommes, issus de la circoncision, qui
portaient le nom de chrétiens, mais qui ne s'attachant pas encore au bienfait
même de la grâce voulaient rester courbés sous ces fardeaux de la Loi. Or, Dieu
leur Maître en avait chargé, non pas des serviteurs de la justice mais des
esclaves du péché, lorsqu'à ces hommes d'iniquité il avait donné une Loi juste,
non pour les purifier de leurs crimes, mais pour les leur faire connaître; car
il n'y a pour effacer le péché que la grâce de la foi qui agit par amour. Et
quoique les Galates fussent déjà établis sous l'empire de cette grâce, ces faux
docteurs voulaient les ramener sous le joug de la Loi, ils leur assuraient même
qu'ils ne pouvaient profiter de l'Évangile s'ils n'adoptaient la circoncision et
les autres observances charnelles de la religion judaïque. Aussi s'étaient-ils
mis à suspecter l'Apôtre saint Paul, qui leur avait prêché l'Évangile, et à
l'accuser de ne suivre pas la même règle que les autres Apôtres, puisque ceux-ci
forçaient les Gentils à pratiquer le Judaïsme. L'Apôtre
Pierre en effet avait cédé devant les clameurs de cette espèce de chrétiens ; il
avait été amené à user de dissimulation et à laisser croire que selon lui
l'Évangile ne serait salutaire aux Gentils que s'ils portaient les fardeaux de
la Loi : c'est de cette dissimulation que le fit revenir l'Apôtre saint Paul,
comme lui-même nous l'apprend dans cette Épître (1).
Une question semblable est
traitée dans l'Épître aux Romains. Il semble pourtant y avoir une différence.
Dans l'Épître aux Romains l'Apôtre met fin aux contestations ardentes qui
s'étaient élevées entre les chrétiens sortis du Judaïsme et les chrétiens issus
de la Gentilité, les premiers prétendant due l'Évangile leur avait
été donné comme une récompense
due aux bonnes oeuvres qu'ils avaient accomplies sous la loi et que les
incirconcis ne l'ayant pas mérité, on ne devait pas les y admettre : tandis que
ces derniers cherchaient à se préférer aux Juifs, meurtriers du Sauveur. Mais
dans l'Épître aux Galates il s'adresse à des hommes déjà ébranlés par l'autorité
des judaïsants qui les poussaient à la pratique des observances légales, et
commençant. déjà à croire sur leur parole que
l'Apôtre saint Paul ne leur avait pas enseigné la vérité en les empêchant de se
faire circoncire. Voilà pourquoi il débute de cette manière : « Je m'étonne que
vous quittiez si vite celui qui vous a appelés à la gloire du Christ pour passer
à un autre Évangile: » Cette espèce d'exorde indique en peu de mots de quoi il
est question. Déjà dans la salutation il a dit, ce qu'il n'a fait dans aucune
Épître, qu'il est « Apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire
d'aucun homme (1) : » ce qui était indiquer suffisamment que les faux docteurs
des Galates venaient, eux, non de la part de Dieu, mais de la part des hommes,
est qu'on ne devait pas regarder comme inférieure à celle des autres Apôtres
l'autorité du témoignage qu'il rendait à l'Évangile; puisqu'il savait bien que
son apostolat n'avait rien d'humain, mais qu'il venait immédiatement de
Jésus-Christ et de Dieu son Père. Tel est le sens dans lequel nous avons
entrepris, avec la permission et la grâce du Seigneur, d'étudier et d'expliquer
en détail cette Épître, à partir des premiers mots.
2. Autorité apostolique de
saint Paul. — Paul, « Apôtre, non de
la part des hommes ni par l'intermédiaire d'aucun homme, mais par Jésus-Christ
et par Dieu son Père, qui l'a ressuscité d'entre les morts; et tous les frères
qui sont avec moi, aux Églises de Galatie (2). »
Être envoyé de la part des hommes, c'est être menteur; l'être par
l'intermédiaire d'un homme, c'est pouvoir enseigner la vérité, attendu que Dieu,
vérité même, peut donner mission par
395
l’intermédiaire d'un homme.
Conséquemment, n'être envoyé ni de la part des hommes, ni par l'intermédiaire
d'aucun homme, mais par Dieu même, c'est recevoir de lui le don de véracité,
puisqu'il l'accorde à ceux mêmes qu'il a envoyés par l'intermédiaire d'un homme.
Si donc les premiers Apôtres sont véridiques pour avoir reçu leur mission, non
des hommes mais de Dieu par l'intermédiaire d'un homme, de Jésus-Christ même
durant sa vie mortelle ; confiance n'est-elle pas due également au dernier des
Apôtres, puisqu'il a été envoyé par Jésus-Christ, alors qu'après sa résurrection
tout en lui était divin (1) ? Les premiers Apôtres sont tous les autres, puisque
le Christ les a établis quand sous un rapport il était homme encore,
c'est-à-dire mortel; le dernier est l'Apôtre Paul, établi par lui aussi, mais
quand tout en lui était divin, quand sous tout rapport il était immortel.
Pourquoi donc son témoignage n'aurait-il pas la même autorité que le leur ? La
gloire dont brillait le Seigneur quand il l'a honoré de l'apostolat ne
compense-t-elle pas le désavantage, si c'en est un, d'avoir été appelé après les
autres? Aussi après avoir,dit : « Et par Dieu le
Père, » il ajoute : « Qui l'a ressuscité d'entre les morts, » pour rappeler
ainsi et en peu de mots, la gloire où était parvenu le Sauveur en lui donnant sa
mission.
3. Salutation. —
« Grâce à vous et paix de la part de Dieu
le Père et de Jésus-Christ, le Seigneur (2). » La grâce de Dieu nous remet nos
péchés pour nous réconcilier avec Dieu; la paix est cette réconciliation même. «
Qui s'est livré lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher à ce siècle
mauvais. » Comprenez que ce siècle est mauvais, à cause des hommes pervers qui y
sont; comme on dit mauvaise une maison où demeurent les méchants.
a Selon la volonté de notre Dieu et Père, à qui est
la gloire pour les siècles des siècles. Amen. » Si les hommes font quelque bien,
doivent-ils donc se l'attribuer, puisque le Fils de Dieu lui-même assure dans l’Évangile
qu'il ne cherche pas sa gloire (3), et qu'il n'est pas venu faire sa volonté,
mais la volonté de Celui qui l'a envoyé (4)? Si l'Apôtre rappelle dès maintenant
cette gloire et cette volonté du Père, c'est pour faire entendre qu'à l'exemple
du Seigneur de qui il tient sa mission, il ne recherche pas sa gloire et ne fait
pas sa
volonté propre en prêchant
l'Évangile. C'est du reste ce qu'il dira bientôt en ces termes : « Si je
plaisais aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ (1). »
4. Entreprise impie des
Judaïsants. — « Je m'étonne que vous
quittiez si vite celui qui vous a appelés à la gloire du Christ, pour passer à
un autre Evangile; et il n'en est pas d'autre (2). » Car s'il en est un autre en
dehors de celui qu'a donné le Seigneur, soit par lui-même, soit par quelque
envoyé, il ne mérite plus le nom d'Évangile. Après avoir dit : « Que vous
quittiez celui qui vous a appelés, » il ajoute à dessein : « A la gloire du
Christ; » car c'est elle qu'on voulait éteindre, puisqu'il serait venu en
quelque sorte inutilement sur la terre, si la circoncision charnelle et les
autres observances légales étaient capables de sauver l'humanité. « Seulement il
est des hommes qui sèment le trouble parmi vous et veulent renverser l'Évangile
du Christ. » S'ils parviennent à troubler les Galates, ils ne parviennent pas
également à renverser l'Évangile, car il est inébranlable ; mais ils en ont le
dessein en détachant les croyants des choses spirituelles pour les attacher à ce
qui est charnel. S'y attachassent-ils, l'Évangile reste debout. Aussi bien,
après ces mots : « Qui sèment le trouble parmi vous, » il ne dit pas, et
renversent, mais : « Et veulent renverser l'Évangile du Christ. — Mais si
nous-mêmes ou un ange du ciel vous annonçait un Evangile différent de celui que
nous vous avons prêché, qu'il soit anathème. » C'est pour elle-même qu'il faut
aimer la vérité, ce n'est ni pour l'homme ni pour l'ange qui la publient.
L'aimer pour ceux qui l'annoncent, c'est s'exposer à aimer le mensonge sils en
disent d'eux-mêmes. « Nous l'avons dit, et je le
répète : Si quelqu'un vous prêche un Evangile différent de celui que vous avez
reçu, qu'il soit anathème. » Il leur avait dit cela de vive voix, ou bien il
répétait ce qu'il venait de leur écrire; c'est pourquoi il s'exprimait ainsi: «
Nous l'avons dit. » Cette répétition néanmoins fait une impression fort
salutaire et prépare l'âme à conserver avec fermeté la foi recommandée avec tant
d'instance.
5. Pureté d'intention. —
Maintenant donc est-ce des hommes ou
est-ce Dieu que je veux persuader? Est-ce aux hommes que je cherche
396
à plaire? Si je plaisais encore
aux hommes , je ne serais point serviteur du Christ
(1). » On. ne saurait persuader Dieu , puisque devant
lui tout est à découvert; mais on a raison de chercher à persuader les hommes,
quand on désire rendre agréable, non point sa personne, mais la vérité dont on
les persuade. Plaire aux hommes sans chercher près d'eux sa propre gloire, mais
la gloire de Dieu dans l'intention de les sauver, ce n'est point plaire aux
hommes, c'est plaire à Dieu; au moins n'est-ce pas plaire aux hommes que de
plaire à Dieu et aux hommes en même temps; car autre chose est de plaire aux
hommes seulement et autre chose de plaire en même temps à Dieu et à eux. De même
si l'on plaît aux hommes à cause de la vérité qu'on leur dit, ce n'est pas la
personne, c'est la vérité qui leur plaît. « Si je leur plaisais, » dit saint
Paul, si je cherchais à leur plaire, si j'en avais la volonté; tel est bien le
sens, car si sans rien l'aire pour cela il plaisait aux hommes en quelque sorte
à cause de lui-même et non à cause de Dieu et de l'Evangile qu'il prêche, il ne
faudrait pas l'attribuer à son orgueil, mais plutôt à l'erreur de celui qui
prend en lui ce plaisir désordonné. Voici donc quelle est sa pensée. Est-ce les
hommes ou est-ce Dieu que je persuade maintenant ? ou
bien pour persuader les hommes, est-ce aux hommes que je cherche à plaire ? Si
je cherchais à leur plaire encore, je ne serais pas serviteur du Christ. En
effet le Christ ordonne à ses serviteurs d'apprendre de lui à être doux et
humbles de coeur (2). Or, on ne le peut quand c'est pour soi-même, c'est-à-dire
pour sa gloire propre et personnelle qu'on cherche à plaire aux hommes. Quand
donc l'Apôtre dit ailleurs : « Nous persuadons les hommes, mais nous sommes
connus de Dieu (3) ; » c'est pour faire comprendre qu'à cette question :
« Est-ce les hommes que je persuade, ou est-ce Dieu? » il faut répondre que ce
n'est pas Dieu mais les hommes.
Aussi bien ne doit-on pas être
surpris qu'il dise encore : « Comme moi-même je plais à tous en toutes choses; »
car il ajoute : « Ne cherchant pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au
grand nombre, afin qu'ils soient sauvés (4). » Or il n'est ni avantageux ni
salutaire à aucun homme qu'on lui plaise pour soi; on ne plaît utilement qu'en
plaisant en vue de Dieu, c'est-à-dire qu'en faisant aimer et glorifier
Dieu dont on admire les dons dans quelqu'un ou dont on les
reçoit par l'entremise d'un homme; quand un homme plaît à ce point de vue, ce
n'est plus lui, c'est Dieu qui plaît. Par conséquent on peut dire tout à la
fois: Je plais et je ne plais pas, et quiconque sait comprendre comme il faut,
et prier avec piété, saisira les deux propositions sans voir entre elles la
moindre contrariété.
6. Autorité divine de
l'enseignement de saint Paul. — Car
je vous déclare, mes frères, que l'Evangile annoncé par moi n'est pas selon
l'homme; je ne l'ai ni reçu ni appris d'aucun
homme, mais par la révélation de Jésus-Christ (1). » Un
Evangile humain serait un mensonge s; car tout homme est menteur; et tout ce
qu'il y a de vérité dans quelqu'un ne vient pas de l'homme, mais de Dieu par un
homme. Aussi ne doit-on pas donner le nom d'Evangile à un enseignement qui
serait tout humain, tel que l'enseignement de ces docteurs qui attiraient de la
liberté à l'esclavage ceux qui étaient appelés par Dieu de l'esclavage à la
liberté.
7. Opposition entre les
observances de la Synagogue et l'Eglise de Dieu. —
« En effet vous avez ouï dire de quelle
manière je vivais autrefois dans le Judaïsme, persécutant à outrance et
ravageant l'Eglise de Dieu, progressant dans le judaïsme au dessus de plusieurs
de mon époque et de ma nation, et zélateur fanatique des traditions de mes pères
(3). » Sien persécutant et en ravageant l'Eglise de Dieu il faisait des progrès
dans le judaïsme, c'est qu'évidemment il y a opposition entre le Judaïsme et l’Eglise;
opposition provenant, non de cette loi spirituelle qui fut donnée aux Juifs,
mais des pratiques charnelles dont ils s'étaient rendus esclaves. Et si le zèle
ou l'ardeur de Paul à suivre les traditions de ses pères le portait à persécuter
la sainte Eglise, c'est qu'à cette Eglise sont contraires ces traditions. La
faute n'en est pas à la Loi, qui est spirituelle (4), et qui ne demande pas à
être entendue charnellement; elle doit retomber sur les hommes qui donnent un
sens charnel à ce qu'ils ont appris et qui y ajoutent beaucoup d'eux-mêmes,
anéantissant ainsi, comme le leur reproche le Sauveur, les commandements de Dieu
en faveur de leurs traditions (5).
8. Saint Paul n'a appris l'Evangile
de personne. — Mais lorsqu'il plut à
Celui qui m'a séparé du sein de ma mère et qui m'a appelé
397
par sa grâce, de me révéler son
Fils afin «de l'annoncer parmi les Gentils; aussitôt, sans acquiescer à la chair
et au sang. » Etre séparé du sein de sa mère, c'est renoncer aux coutumes
aveugles de ses parents selon la chair; et acquiescer à la chair et au sang,
c'est suivre les impulsions charnelles de sa famille et de ses proches. « Et
sans aller à Jérusalem près de ceux qui étaient apôtres a avant moi, je m'en
allai en Arabie et je revins encore à Damas. Puis, après trois ans, je montai à
Jérusalem pour voir, Pierre et je demeurai avec lui quinze jours. » Si Paul ne
vit Pierre qu'après avoir prêché l'Evangile en Arabie, ce ne fut pas assurément
pour apprendre de lui cet Evangile ; c'était pour mettre le comble à sa charité
fraternelle en faisant de tout près connaissance avec lui. « Mais je ne vis
aucun autre Apôtre, si ce n'est Jacques, le frère du Seigneur (1). » Le
frère du Seigneur, en ce sens que Joseph avait pu
l'avoir d'une autre épouse, ou bien qu'il était de la famille de Marie, mère de
Jésus.
9. Serment. Juifs nombreux
convertis. — En vous parlant ainsi,
je l'atteste devant Dieu, je ne ments pas. » Je
l'atteste devant Dieu, je ne cents pas, c'est un serment. Et qu'y a-t-il de
plus redoutable que ce serment ? Cependant le serment n'est pas interdit quand
il a pour cause, non pas le mal de celui qui le prête, mais le mal
de l'incrédulité qui l'exige. Car si le Seigneur a défendu de jurer, c'est en ce
sens que nul ne doit jurer de soi-même ; comme beaucoup qui ont souvent le
serment à la bouche, soit pour se distinguer, soit pour y prendre plaisir. L'Apôtre
ne connaissait-il pas la défense du Seigneur? Et pourtant il a juré; car il ne
faut pas écouter ceux qui prétendent que plusieurs de ses formules ne sont pas
des serments. Comment expliqueront-ils autrement celle-ci: « Je meurs chaque
jour, mes frères, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ
Notre-Seigneur (2) ? » car les exemplaires grecs prouvent avec la plus complète
évidence que c'est une formule de serment (3). Autant donc qu'il le peut,
l'Apôtre s'abstient de jurer; ce n'est ni la passion ni le plaisir qui l'y
portent; car le serment étant plus que oui, oui, non, non, vient a du mal (4); »
du mal, c'est-à-dire de la faiblesse ou de l'incrédulité de ceux qui sans lui ne
voudraient pas croire.
« Je vins ensuite dans les
contrées de la Syrie
et de la Cilicie; mais j'étais
inconnu de visage aux Eglises de Judée qui sont unies au Christ. » Observez que
ce n'est pas seulement à Jérusalem qu'il y a eu des Juifs pour croire au Christ
et que ceux d'entre eux qui crurent en lui n'étaient pas assez peu nombreux pour
être confondus au sein des Eglises des Gentils, mais assez nombreux pour former
des Eglises. Seulement elles avaient ouï dire: « Celui qui autrefois nous
persécutait annoncé maintenant la foi qu'il travaillait alors à détruire; et
elles glorifiaient Dieu à mon sujet (1). » N'est-ce point ce qu'il avait en vue
quand il disait qu'il plaisait aux hommes, non pour lui-même, mais pour les
porter à glorifier Dieu? Notre-Seigneur dit aussi dans le même sens : « Que vos
oeuvres brillent devant les hommes, afin qu'ils voient le bien que vous faites
et qu'ils glorifient votre Père qui est aux cieux (2). »
10. Second voyage à Jérusalem.
— Quatorze ans après, je montai à
Jérusalem avec Barnabé, « ayant pris aussi Tite avec moi. » S'il les nomme l'un
et l'autre, c'est en quelque sorte pour citer plusieurs témoins. « Or, j'y
montai d'après une révélation; » il parlait ainsi pour qu'ils ne fussent pas
portés à demander pour quel motif il voulut y aller alors, après avoir été si
longtemps sans s'y rendre. Si donc une révélation lui dit d'y aller, c'est qu'il
était bon qu'il y montât en ce moment. « Et j'exposai aux fidèles l'Evangile que
je prêche parmi les Gentils, et en particulier à ceux qui paraissent quelque
chose. » S'il exposa en particulier l'Evangile à ceux qui surpassaient les
autres dans l'Eglise et après l'avoir exposé devant tout le monde, ce n'était
point qu'il eût enseigné publiquement quelques erreurs et qu'il voulût rétablir
la vérité à part, devant un petit nombre; seulement il avait gardé le silence
sur certains points que n'étaient pas capables d'entendre encore les petits,
comme ceux, écrit-il aux Corinthiens, à qui il a donné du lait et non à manger
(3); car il n'est jamais permis d'avancer rien de faux, tandis qu'il est
quelquefois bon de taire une vérité. Il était donc utile que les Apôtres
connussent combien il était parfait; attendu que pour être Apôtre il ne lui
suffisait pas d'être fidèle, de conserver la bonne et vraie foi. En ajoutant : «
Ne courrais-je pas ou n'aurais je pas couru en vain (4) ? » il s'adresse, non
pas à ceux avec qui il a confronté séparément son Evangile, mais à ceux à qui il
écrit. C'est une
398
espèce de question qu'il se fait dans l'intention de
montrer que ce n'est pas en vain qu'il court ou qu'il a couru, puisque d'après
le témoignage des autres Apôtres il ne s'écarte en rien de la vérité de l'Evangile.
11. Tite demeure sans être
circoncis. — « De plus, poursuit-il,
Tite qui m'accompagnait, ne fut pas contraint à se faire circoncire, tout gentil
qu'il était. » Tite était gentil et il n'y avait dans sa famille ni habitude ni
alliance qui dût le faire circoncire comme te fut
Timothée ; cependant l'Apôtre lui aurait permis aisément de se soumettre à la
circoncision; car il n'enseignait pas que la circoncision même fût contraire au
salut, mais il montrait qu'on s'en écartait en plaçant son espoir dans la
circoncision. Il pouvait donc tolérer tranquillement cette observance comme
superflue; puisqu'il a dit ailleurs; « La circoncision n'est rien,
l'incirconcision n'est rien non plus; mais l'observation des commandements de
Dieu (1). »
« Or ce fut en considération de
quelques faux frères qui s'étaient furtivement introduits, » que Tite ne fut pas
contraint de se faire circoncire; en d'autres termes, ce qui empêcha qu'il ne
consentit à le laisser circoncire, c'est que ces faux frères qui s'étaient
introduits furtivement, « dit-il, pour examiner la liberté » des fidèles,
l'observaient avec passion et désiraient vivement que Tite fût circoncis, afin
de publier ensuite que d'après le témoignage et le consentement de Paul
lui-même, la circoncision était nécessaire au salut, et par là « de réduire en
servitude » les chrétiens, en les appelant à porter le fardeau des oeuvres
serviles de la Loi. Mais « il ne consentit pas même un instant à se soumettre à
eux, afin de conserver parmi les Gentils la vérité de l'Evangile (2). »
12. Accord constaté entre la
doctrine de saint Paul et celle des autres Apôtres. —
Les envieux de l'Apôtre saint Paul le
signalaient et voulaient qu'on le suspectât comme ancien persécuteur de l'Eglise
; c'est pour faire allusion à cela qu'il dit ensuite: « Quant à ceux qui
paraissent quelque chose, peu m'importe ce qu'ils étaient jadis. » C'est
seulement aux yeux des hommes charnels qu'ils semblent être quelque chose, car
en eux-mêmes ils ne sont rien. Fussent-ils de bons ministres du Seigneur, c'est
le Christ qui est en eux quelque chose, et non pas eux par eux-mêmes; car si
c'était eux et par eux-mêmes,
toujours ils auraient été ce
qu'on les suppose. Si « peu importe à l'Apôtre ce qu'ils étaient jadis, » car
eux aussi ont été pécheurs, c'est que Dieu ne fait point acception de la
personne d'un homme, » puisque sans acception aucune il appelle tout le monde au
salut, et n'impute a aucun ses péchés. Une preuve, c'est qu'en l'absence des
premiers Apôtres qu'il avait choisis, le Seigneur fit de saint Paul un Apôtre
parfait, afin qu'au lieu de rien ajouter à la perfection de son enseignement
lorsqu'il vint le confronter avec le leur, ils reconnussent que le même Seigneur
Jésus-Christ, qui sauve sans faire acception des personnes, avait accordé à Paul
de distribuer aux Gentils ce qu'il avait accordé à Pierre de donner aux Juifs.
Ainsi donc il fut constaté qu'ils ne différaient pas de lui, qu'ils ne pouvaient
nier que son Evangile fût parfait comme lui le prétendait, ni vouloir y ajouter
comme à un enseignement imparfait: et au lieu d'en blâmer les défauts ils en
louèrent l'excellence. « Puis ils nous donnèrent la main en signe de communion;
» ils consentirent à faire société, ils obéirent à la volonté du Seigneur, en
approuvant que Paul et Barnabé allassent « vers les Gentils, tandis qu'eux se
réserveraient pour la circoncision, » qui parait opposée à l'incirconcision,
c'est-à-dire aux Gentils. Tel est en effet le sens qu'on peut donner à cette
expression, au contraire, e contrario : il faudrait alors lire de la
manière suivante: ceux qui semblent quelque chose ne m'ont rien appris; au
contraire ils sont convenus avec moi et avec Barnabé que nous nous occuperions
des Gentils, qui sont contraires à la circoncision, et eux de la circoncision
même : ainsi «nous ont-ils donné la main en signe de communion (1). »
13. Les Apôtres veulent
n'être rien. — Qu'on se garde bien de
considérer comme un outrage jeté à ses prédécesseurs dans l'apostolat ces
paroles de saint Paul: « Peu m'importe ce qu'étaient autrefois ceux qui
maintenant paraissent quelque chose. » Au contraire, ces hommes spirituels
voulaient qu'on arrêtât les âmes charnelles qui les regardaient comme quelque
chose, au lieu de voir le Christ en eux ; et ils tressaillaient de bonheur quand
on persuadait au monde que, comme Paul lui-même, eux qui le précédaient dans la
carrière avaient été justifiés, de pécheurs qu'ils étaient; car Dieu ne fait
point acception de personne, et d'ailleurs ils cherchaient
399
sa gloire et non la leur. Mais
comme ces hommes charnels et orgueilleux s'irritent et se croient outragés
lorsqu'on rappelle quelque souvenir de leur vie passée, ils jugent des Apôtres
d'après les dispositions de leur propre coeur. Pierre, Jacques et Jean étaient
les plus honorés du collège apostolique, car c'est à eux que se montra le
Seigneur sur la montagne, lorsqu'il voulut donner une idée de son royaume, et
six jours après avoir dit : « Il y en a ici, parmi ceux qui m'environnent, qui
ne goûteront point la mort sans avoir vu le Fils de l'homme dans le royaume de
son Père (1). » Cependant ils n'étaient pas des colonnes, ils le paraissaient
seulement. Ah ! Paul savait que la Sagesse s'était bâti une demeure et qu'elle
avait établi, non pas trois colonnes mais sept (2) ; nombre mystérieux qui
rappelle. soit l'unité qui règne entre les Eglises; car sept est souvent pris
pour le tout, comme dans ce passage de l'Evangile : « Il recevra dans ce siècle
sept fois autant (3), » ce qui revient à ces mots: « N'ayant rien et possédant
tout (4), » et comme lorsque saint Jean écrit aux sept Eglise en qui se
personnifie l'Eglise universelle (5); soit aux sept opérations de l'Esprit-Saint,
car ces opérations de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de
science, de piété et de crainte de Dieu (6), sont comme les sept colonnes qui
soutiennent la demeure du Fils de Dieu, c'est-à-dire l'Eglise.
14. Cotisations des
communautés chrétiennes. — « Seulement
nous devions nous souvenir des pauvres, ce que je me suis aussi appliqué à faire
(7). » Tous les Apôtres s'étaient chargés en commun du soin des pauvres fidèles
qui étaient dans la Judée et qui avaient déposé à leurs pieds le prix de leurs
biens après les avoir vendus (8). Quand donc Paul et Barnabé furent adressés aux
Gentils, ils durent exciter les Eglises de la Gentilité, qui n'avaient pas vendu
leurs biens, à venir en aide à celles qui s'en étaient dépouillées. Ecoutez ce
qu'il dit aux Romains : « Maintenant je vais aller à Jérusalem pour servir les
saints; car la Macédoine et l'Achaïe ont trouvé bon de faire quelques collectes
pour les pauvres des saints qui sont à Jérusalem. Or il leur a plu ainsi, et
elles leur sont redevables ; car si les Gentils sont entrés en partage de leurs
biens spirituels, ils doivent leur faire part aussi de leurs biens temporels
(9). »
15. Réprimande de saint Paul
à saint Pierre. Saint Pierre plus admirable ici que saint Paul. —
Saint Paul n'était donc tombé dans aucune
dissimulation, car il observait partout ce qu'il croyait convenable soit aux
Eglises des Gentils soit aux Eglises des Juifs ; ne détruisant point une
coutume, quand elle n'était pas un obstacle au royaume de Dieu, et recommandant
seulement, dans le cas même où pour ménager les faibles il voulait qu'on gardât
un usage, de ne pas mettre l'espoir du salut dans ce qui n'y contribuait pas.
C'est ainsi qu'il écrit aux Corinthiens : « Un circoncis a-t-il été appelé ?
Qu'il ne se donne point pour incirconcis. Est-ce un incirconcis qui a été appelé
? Qu'il ne se fasse point circoncire. La circoncision n'est rien,
l'incirconcision n'est rien ; mais l'essentiel est d'observer les commandements
de Dieu. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé
(1). » Saint Paul ne voyait ici que des usages ou des états de vie qui ne font
obstacle ni à la foi ni aux bonnes moeurs ; car si un brigand avait été appelé
au Christianisme, il ne s'ensuivrait pas qu'il dût
rester brigand.
Mais saint Pierre étant venu à
Antioche, saint Paul lui reprocha, non pas de se conformer aux usages des Juifs,
puisqu'il était né et avait été élevé parmi eux, et pourtant il ne les observait
point parmi les Gentils; mais de vouloir les imposer à ces derniers lorsqu'il
vit arriver quelques frères envoyés par Jacques, c'est-à-dire venus de la
Judée , puisque Jacques, était le chef de l'Eglise de
Jérusalem. Redoutant en effet ceux qui plaçaient encore le salut dans ces
observances, Pierre se séparait des Gentils et feignait de se conformer aux
Juifs pour assujettir les Gentils à ces servitudes. C'est ce que révèlent
suffisamment les termes mêmes de la réprimande. Après avoir dit: « Si tout Juif
que tu es, tu vis à la manière des Gentils et non en Juif, » il n'ajoute pas en
effet: Comment reviens-tu encore aux usages des Juifs; mais : « Comment
forces-tu les Gentils à judaïser ? » S'il lui adressa cette réprimande en
public, c'est qu'il y fut contraint pour guérir ainsi tout le monde. Quel besoin
de relever en secret une faute propre à nuire au grand nombre ?
Ajoutez à cette considération
que le caractère ferme et la charité de Pierre, à qui le Seigneur avait dit
jusqu'à trois fois: « Pierre, m'aimes-tu?
400
Pais mes brebis (1), » recevaient
très-volontiers d'un pasteur moins élevé en dignité une réprimande qui
pouvait procurer le salut du troupeau. Celui des deux apôtres à qui s'adressait
la correction était plus admirable et plus difficile à imiter que celui qui la
faisait. Il est effectivement plus facile de remarquer ce qu'il y a à corriger
dans autrui et de le censurer, soit par le blâme soit par un reproche direct,
que de voir ce qu'il y a à reprendre en nous et de le reprendre soit
per nous-mêmes soit par un autre, surtout quand
celui-ci nous est inférieur et qu'il fait sa correction en public. Ici donc quel
magnifique exemple d'humilité, une des premières règles de la vie chrétienne,
puisque c'est l'humilité qui conserve la charité ! Rien en effet ne la détruit
plus vite que l'orgueil. Aussi le Seigneur n'a-t-il pas dit: Prenez mon joug et
apprenez de moi que je ressuscite dans leurs tombeaux des cadavres de quatre
jours, que je chasse tous les démons des corps humains, que je dissipe les
maladies et que je fais d'autres choses semblables ; mais r Prenez mon joug et
apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (2). » Ces miracles étaient
les figures des oeuvres spirituelles: mais c'est une chose éminemment
spirituelle de conserver la charité avec douceur et avec humilité ; c'est à cela
que sont conduits par la vue des prodiges ceux qui trop attachés encore aux
choses sensibles demandent la foi au monde invisible, non point aux choses
visibles connues et ordinaires, mais aux choses visibles qui arrivent
extraordinairement et qui éclatent tout à coup.
Si donc les docteurs qui
contraignaient les Gentils avaient appris à être doux et humbles de coeur, comme
saint Pierre l'avait appris du Seigneur ; surtout en voyant un si grand homme
réformer sa conduite, ils eussent été portés à l'imiter et ils n'auraient plus
considéré que si l'Evangile du Christ leur avait été prêché, c'était envers eux
une dette de justice. « Sachant même que l'homme ne trouve point sa
justification dans les oeuvres de la Loi, mais seulement dans la foi en
Jésus-Christ, » afin de pouvoir accomplir la Loi avec l'aide, non pas de ses
propres mérites mais de la grâce de Dieu ; ces docteurs n'astreindraient point
les Gentils aux observances charnelles de la Loi, ils sauraient qu'avec la grâce
de la foi ils peuvent accomplir ce que la Loi contient de préceptes spirituels.
Aussi bien lorsqu'on se croit capable d'observer pas ses
propres forces et non par la grâce et la miséricorde de Dieu les oeuvres de la
Loi; aucune chair, c'est-à-dire aucun homme, aucun de ceux qui ont ces
sentiments charnels, ne peut par là être justifié (1). Voilà pourquoi ceux qui
ont passé du joug de la Loi à la croyance en Jésus-Christ, ont obtenu la grâce
de la foi, lion parce qu'ils étaient justes, mais pour le devenir.
16. Les oeuvres de la Loi ne
sauraient justifier. — Les Juifs
avaient donné aux Gentils le nom de pécheurs, c'était
par suite de leur orgueil invétéré ; mais en se croyant justes, ils voyaient la
paille dans l'oeil d'autrui, et dans le leur ils ne voyaient pas la poutre. Se
conformant donc à leur usage, l'Apôtre dit : « Nous sommes, nous, Juifs de
naissance et non pécheurs d'entre les Gentils ; » et non de ceux qu'ils
appellent pécheurs, quoiqu'eux-mêmes le soient. Eh
bien ! nous qui sommes Juifs de naissance, » puisque
nous n'étions point Gentils, de ceux qu'eux-mêmes appellent pécheurs et.qui,
pourtant sommes pécheurs aussi, « nous croyons au Christ Jésus, pour être
justifiés par la foi au Christ. » Auraient-ils cherché la justification,
s'il n'eussent été pécheurs? Ou le sont-ils devenus
pour avoir cherché leur justification dans le Christ ? De fait ils auraient
péché si étant justes ils avaient cherché ailleurs la justice. Mais s'il en est
ainsi, « le Christ n'est-il donc pas ministre du péché?» Les Judaïsants même ne
sauraient l'admettre, puisque tout en s'opposant à ce qu'on livrât l'Evangile
aux Gentils qui ne se faisaient pas circoncire, eux-mêmes avaient cru en
Jésus-Christ. Aussi c'est en leur nom comme au sien qu'il répond : «
Nullement. »
L'Apôtre
voulait donc anéantir l'orgueil qui se glorifiait des oeuvres de la Loi; cet
orgueil devait et pouvait disparaître, car eût-on compris la nécessité de la
grâce de la foi, si l'on avait regardé les oeuvres légales comme capables de,
justifier sans elle ? On est donc prévaricateur si on les rétablit sous le
prétexte qu'elles justifient sans la grâce et l'on tend à faire de Jésus-Christ
le ministre du péché. A ces mots : « Si je rétablis ce que j'ai détruit, je me
constitue moi-même prévaricateur (2), » on pouvait objecter à l'Apôtre : Comment
! c'est en appuyant aujourd'hui la foi du Christ que
tu attaquais auparavant, que tu te constitues prévaricateur ? Mais jamais il ne
l'a détruite, puisqu'elle est indestructible.
401
Ce qu'il détruisait réellement, ce qu'il s'attachait
constamment à détruire, c'était ce maudit orgueil qui pouvait être anéanti.
Aussi n'était-il pas prévaricateur lorsque après avoir essayé de repousser-ce
qu'il croyait faux, il s'est aperçu ensuite que. cela
était vrai, indestructible et qu'il s'y est attaché pour sa propre
sanctification; mais il eût été prévaricateur si après avoir rejeté une erreur
réelle, ce qu'il est permis de détruire, il l'enseignait de nouveau.
17. Être mort à la Loi et
vivre en Jésus-Christ parla grâce du Sauveur. —
Il dit maintenant qu'il est mort à la
Loi, afin de n'être plus sous la Loi, et cela de par la Loi elle-même. C'est
qu'étant Juif il n'avait dans la Loi qu'urge espèce de pédagogue, comme il le
dit plus bas (1). Or le travail du pédagogue aboutit à ne le rendre plus
'nécessaire, comme une mère allaite son enfant pour qu'il n'ait plus besoin
d'être allaité, comme un navire conduit à la patrie, où il devient inutile. L'Apôtre
veut dire encore que c'est la Loi entendue dans un sens spirituel qui l'a fait
mourir à la Loi, en l'empêchant de vivre sous son joug d'une manière charnelle.
N'est-ce pas ainsi qu'il voulait que de par la Loi on mourût à la Loi, quand il
disait un peu plus bas : « Répondez, vous qui voulez rester sans la Loi
N'avez-vous pas lu la Loi? Il y est écrit en effet qu'Abraham eut deux fils (2),
» etc, citant ce trait pour amener les fidèles
à-6omprendre qu'entendue dans un sens spirituel la Loi même exige qu'ils meurent
aux observances charnelles de la Loi?
Il ajoute : « Afin de vivre pour
Dieu. » On vit pour Dieu quand on lui est soumis, et pour la Loi quand on est
sous la Loi. Or on ne vit sous la Loi qu'autant qu'on est pécheur, c'est-à-dire
qu'autant qu'on n'a point changé encore les dispositions du vieil homme; car
alors on vit de sa propre vie et on a ainsi la Loi au-dessus de soi, attendu
qu'on est sous elle quand on ne l'accomplit pas. Aussi bien la Loi n'est-elle
pas imposée au juste (3), » de manière à le placer au-dessous d'elle, car il ne
vit plus de cette vie propre que la Loi est destinée à réprimer. N'est-ce pas,
si je puis parler ainsi, vivre en quelque sorte de la loi que de vivre dans la
justice et avec amour de la justice,en s'attachant,
non pas au bien particulier et transitoire, mais au bien commun et immuable ? Il
ne fallait
donc pas imposer la Loi à saint
Paul, puisqu'il disait: « Si je vis, ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ
qui vit en moi. » Eh ! qui oserait imposer la Loi, au
Christ, vivant dans la personne de Paul? Oserait-on avancer que le Christ ne vit
pas dans la justice, et qu'il faut la Loi pour le réprimer? Si je vis maintenant
dans la chair, » poursuit l'Apôtre, il ne saurait dire en effet que le Christ
mène encore une vie mortelle, telle qu'est la vie de la chair, « je vis en la
foi du Fils de Dieu. » C'est ainsi encore que le Christ vit dans l'âme qui croit
; car il habite par la foi dans l'homme intérieur (1), afin de pouvoir le
pénétrer de. l'éclat de sa présence, plus tard, quand
ce qui est mortel sera absorbé par la vie (2).
Afin de montrer ensuite que si
le Christ vit en lui, que si lui-même, avec sa vie corporelle, vit dans la foi
du Fils de Dieu, il en est redevable, non pas à ses mérites, mais à la grâce du
Sauveur, il ajoute Car il m'a aimé et s'est lui-même livré pour moi. » Pour moi?
N'estce pas pour un pécheur qu'il voulait justifier?
Ainsi parle ce Juif de naissance et d'éducation qui s'était montré zélateur
exagéré des traditions de ses pères. Mais si pour cette sorte d'hommes aussi le
Christ s'est livré lui-même, n'est-ce pas une preuve qu'ils étaient pécheurs
comme les autres? Qu'ils n'attribuent donc pas à leur justice la grâce que,
justes, ils n'auraient pas eu besoin de recevoir. « Je ne suis pas venu appeler
les justes, a dit le Seigneur, mais les pécheurs (3) ; » et les appeler pécheurs
pour qu'ils ne le soient plus. Dès que le Christ m'a aimé et s'est livré
lui-même pour moi; « je n'annule point la grâce de Dieu, » en prétendant que la
justice vient de la Loi ; « car si la justice vient par la Loi, c'est donc en
vain qu'est mort le Christ. (4) : » en d'autres termes ; il est mort sans
raison, puisqu'au moyen de la Loi, c'est-à-dire des oeuvres légales où les Juifs
plaçaient leur confiance, les hommes pouvaient arriver à la justification. Or
ceux à qui s'adressait saint Paul, pour les réfuter, n'admettaient pas que le
Christ fût mort inutilement, puisqu'ils voulaient passer pour chrétiens.
Conséquemment ils avaient tort de prétendre que ces observances légales
contribuassent à justifier ses disciples.
18. Le Christ proscrit parles
Galates. — Il a donc, raison de s'écrier : « O Galates insensés, qui
402
vous a fascinés? » Il ne leur
parlerait pas de la
sorte, si jamais ils n'avaient fait de progrès dans la vertu, s'il n'y avait en
eux relâchement. « Vous aux yeux de qui le Christ a été proscrit, « après avoir
été crucifié (1) : » c'est-à-dire, vous qui avez vu le Christ Jésus perdre son
héritage et son domaine. Ne lui enlevait-on pas effectivement son héritage, ne
l'en chassait-on pas, lui le Seigneur souverain, quand de la grâce de la foi qui
assure au Christ le domaine des peuples, on détachait les croyants pour les
rattacher aux œuvres de la Loi, puisque la grâce et la foi lui accordaient le
droit de demeurer en eux? Or l'Apôtre veut montrer que cela est arrivé parmi ces
Galates ;c'est pourquoi ces mots : « Vous sous les
yeux de qui. » N'était-ce pas bien sous leurs yeux, puisque c'était en
eux-mêmes? Si après ces paroles : « Jésus-Christ a été proscrit, ». Il ajoute :
« Lui qui a été crucifié, » c'est pour les toucher davantage en leur rappelant
combien lui a coûté ce domaine qu'ils lui faisaient perdre; ce qui était plus
que de leur dire, comme un peu plus haut, qu'il était donc mort en vain, puisque
c'était faire entendre qu'il n'était point parvenu à posséder ce qu'il.
avait payé de son sang. Il est vrai, on enlève à un
proscrit ; cette proscription toutefois ne nuit en,rien
au Christ qui par sa divinité n'en reste pas moins le Seigneur de toutes choses
; mais elle nuit à son domaine qui n'est plus cultivé par sa grâce.
19. La Loi ancienne divisée
est deux parties. — L'Apôtre
commence, à partir d'ici, à montrer comment, sans les œuvres de la Loi, la,
grâce de la foi suffit pour justifier. Il veut que personne ne puisse dire: Ce
n'est pas aux oeuvres légales que je rapporte toute la justification de l'homme
mais je ne l'attribue pas non plus tout entière à la grâce de la foi ; le salut
vient en même temps de la loi et de la foi.
Pour traiter avec soin cette
question et ne rien confondre, on doit savoir d'abord qu'il y a dans la loi deux
sortes d'œuvres : les œuvres mystérieuses et les oeuvres morales. Des oeuvres
mystérieuses font partie la circoncision de la chair, le sabbat matériel, les
néoménies, les sacrifices et toutes les innombrables observances de ce genre.
Aux œuvres morales se rapportent : « Tu ne tueras point, tu ne seras point
adultère, tu ne feras point de faux témoignage (2), » et autres préceptes
semblables. Est-il donc possible que
l'Apôtre se soucie aussi peu qu'un chrétien sois homicide
ou inoffensif, adultère ou chaste, qu'il se soucie peu de le savoir circoncis ou
incirconcis Aussi est-ce surtout des œuvres mystérieuses qu'il s'occupe
maintenant, tout en faisant entendre que parfois il y joint aussi -des œuvres
morales. C'est vers la fin de son Épître qu'il parlera spécialement de ces
dernières, et il le fera en peu de mots, au lieu qu'il traite plus longuement
des autres.
Les fardeaux dont il ne vent pas
qu'on charge les Gentils sont donc les observances mystérieuses, dont l'utilité
est qu'on en ait l'intelligence; car lorsqu'on les explique aux chrétiens, c'est
pour leur en faire comprendre le sens et non pour les obliger à les pratiquer.
Si on n'a pas le sens de ces observances cérémonielles, elles ne sont qu'une
servitude, c'est celle qui pesait et qui pèse encore sur le peuple Juif ; mais
si tout à la fois on les pratique et on les comprend,
non-seulement elles ne sont pas nuisibles, elles sont même tant soit peu
utiles, pourvu qu'elles soient en harmonie avec le temps où l'on vit ; c'est
ainsi que s'y sont soumis Moïse et les Prophètes envoyés à l'époque convenable
vers ce peuple à qui ce genre de servitude était nécessaire pour le maintenir
dans la crainte. Rien en effet n'inspire à l'âme une pieuse terreur, comme une
pratique mystérieuse dont elle ne comprend pas le sens; mais une fois qu'elle le
comprend, elle y trouve une sainte joie et s'en acquitte avec l'esprit de
liberté, si cette observance est en rapport avec l'époque. N'y est-elle plus en
rapport ? On en lit et on en explique toujours le sens avec un plaisir tout
spirituel.
Ajoutons que le sens d'une
observance cérémonielle se rapporte ou à la contemplation de la vérité, ou aux
bonnes mœurs. La contemplation de la vérité n'a trait qu'à l'amour de Dieu; les
bonnes moeurs comprennent l'amour de Dieu et l'amour du prochain, les deux
commandements auxquels se rattachent toute la Loi et les Prophètes (1).
Maintenant donc voyons comment
la circoncision charnelle et les autres observances légales du même genre ne
sont pas nécessaires avec la grâce de la foi.
20. L'Esprit-Saint donné en
dehors des observances légales (2). — Je
voudrais seulement savoir de vous ceci : Est-ce par les œuvres de la loi que
vous avez reçu l'Esprit, ou par l'audition
403
de la foi? » Réponse : C'est
sans aucun doute par l'audition de la foi. Ce fut en effet l'Apôtre qui leur
prêcha la foi et ce fut pendant sa prédication qu'ils s'aperçurent de la
descente en eux et de la présence de l'Esprit-Saint; car dans ces premiers temps
où on appelait à la foi, le Saint-Esprit révélait sa présence par des miracles
même sensibles, ainsi que nous le lisons dans les Actes des Apôtres (1). Les
Galates l'avaient donc reçu avant l'arrivée parmi eux des faux docteurs qui
voulaient les séduire et les circoncire; et voici la pensée de saint Paul : Si
votre salut était attaché à ces pratiques légales, l'Esprit-Saint ne
ne serait pas donné à vous sans que vous fussiez
circoncis.
Il ajoute: « Etes-vous assez
insensés pour finir maintenant par la chair, quand vous avez commencé par
l'Esprit ? » C'est la même pensée déjà exprimée dès le début en ces termes: «
Seulement il en est qui sèment le trouble parmi vous et qui veulent renverser
l'Évangile du Christ (2). » Effectivement le trouble est contraire à l'ordre;
mais l'ordre est de s'élever du charnel au spirituel, et non de tomber du
spirituel au charnel comme avaient fait les Galates. Ceci était aussi un
renversement de l'Évangile, attendu que ce qu'il n'est pas bon d'annoncer ne
saurait être l'Evangile.
S'il dit ensuite: « Vous avez
tant souffert, » c'est que les Galates avaient déjà beaucoup enduré pour la foi.
Or, ce n'était pas avec crainte et comme s'ils eussent été assujettis à la Loi;
bien plutôt ils avaient dans leurs souffrances surmonté
la crainte par la charité, car la charité avait été répandue dans leurs coeurs
par le Saint-Esprit qu'ils avaient reçu (3). « Serait-ce donc en vain que vous
avez tant souffert » vous qui voulez retomber dans la crainte, après avoir tant
enduré avec charité ? Si toutefois c'est en vain, » que vous avez tant souffert.
Ce qui se fait simplement en vain est superflu; ce qui est superflu ne nuit ni
ne profite; mais n'ont-ils pas souffert pour leur malheur? Car il y a de la
différence entre ne pas s'élever et tomber. Toutefois ils n'étaient pas tombés
encore, mais ils penchaient seulement, puisque en eux agissait encore l'Esprit-Saint,
comme le prouve la suite du texte.
« Celui donc qui vous communique
l'Esprit et qui opère parmi vous des miracles le fait-il par les oeuvres de la
Loi ou par l'audition de la foi? » Réponse: C'est assurément par l'audition de
la foi, comme ira été dit plus haut. Vient ensuite l'exemple du patriarche
Abraham, dont
il est parlé plus amplement et
plus clairement encore dans l'Epître aux Romains (1). Or ce qu'il y a de
péremptoire dans cet exemple, c'est que le patriarche n'était pas circoncis
encore lorsque sa foi lui fut imputée à justice et lorsque certainement pour
l'en récompenser il lui fut dit: « C'est en toi que seront bénies toutes les
nations (2) ; » mais si elles imitent la foi qui le justifia avant la
circoncision, emblème de sa foi, et bien avant toutes les servitudes légales,
car la Loi né fut donnée que bien plus tard,
21. Récompense temporelle,
des observances légales (3). — Dans
ces mots : « Car tous ceux qui s'appuient sur les oeuvres de la loi sont sous la
malédiction, » sous la malédiction signifie sous le joug de la crainte et
non en liberté ; attendu qu'une vengeance temporelle et actuelle menaçait tous
ceux qui ne se maintenaient point, pour les pratiquer, dans toutes les
observances que prescrivait le livre de la Loi ; et que de plus on voyait dans
ces châtiments corporels la honte redoutable d'une malédiction. Mais pour être
justifié devant Dieu, il suffit de le servir gratuitement, c'est-à-dire sans le
désir d'obtenir de Lui et sans la crainte de perdre autre chose que Lui. Car en
lui seul est notre vraie et parfaite béatitude; et comme il est invisible aux
yeux du corps, c'est par la foi que nous le servons tant que nous sommes retenus
dans cette chair. « Si je vis maintenant dans la chair, a dit plus haut
l'Apôtre, je vis en la foi du Fils de Dieu (4);» or cette vie fait la justice,
car il dit expressément : « Le juste vit de la foi ; » et cela pour montrer que
nul ne trouve sa justification dans la Loi.
Ainsi donc il faut ici entendre
par la Loi ce qu'ici même il nomme les oeuvres de la Loi, en parlant de
ceux qui sont soumis à la circoncision et aux autres observances de même nature,
et dont aucun ne vit dans la Loi sans vivre sous la Loi. Une preuve que
maintenant il appelle Loi les oeuvres mêmes de la Loi, c'est ce qu'on va voir
dans la suite du texte. « La Loi ne s'appuie pas sur la foi, dit-il en effet ;
au contraire celui qui observera ces préceptes vivra par eux. » Nous ne lisons
pas : Celui qui l'observera vivra par elle ; et c'est ce qui doit te convaincre
que la Loi désigne ici les œuvres de la Loi. Comme ceux qui vivaient par ces
œuvres craignaient de subir, en ne les accomplissant pas, soit le supplice de la
lapidation ou de la croix, soit tout
404
autre châtiment analogue, il
s'ensuit qu'il est dit avec raison : « Celui qui les accomplira vivra par elles;
» en d'autres termes, obtiendra pour récompense de n'être pas puni de cette
espèce de mort. Conséquemment il n'est pas justifié devant Dieu,
puisqu'en mourant après avoir vécu de foi en lui, c'est lui surtout que l'on
parviendra à posséder et à contempler de tout près comme récompense suprême.
Conséquemment encore on ne vit pas de la foi quand le désir ou la crainte se
bornent aux choses présentes qui frappent la vue ; car la foi divine a pour
objet les biens invisibles dont on ne jouira que plus tard.
Aussi bien y a-t-il dans ces
oeuvres légales une espèce de justice, puisqu'elles ne sont pas sans récompense,
puisqu'en les accomplissant on vivra par elles. Voilà pourquoi l'Apôtre écrit
aux Romains : « Si Abraham a été justifié part les oeuvres, il a de quoi se
glorifier, mais non pas devant Dieu (1). » Il y a donc une différence entre
n'être pas justifié et être justifié
devant Dieu. N'être aucunement justifié, c'est ne faire ni ce qui mérite
récompense temporelle, ni ce qui mérite récompense éternelle; mais être justifié
par les oeuvres de la Loi sans être justifié devant Dieu, c'est avoir droit à
une récompense temporelle et sensible; ce qui est, je le répète, comme une
justice terrestre et charnelle; aussi l'Apôtre donne-t-il le nom de justice à la
fidélité à ces observances, quand il dit ailleurs que quant à la «justice de la
Loi, il a vécu sans reproche (2). »
22 Le Christ devenu
malédiction pour nous (3). — Aussi
pour en affranchir les croyants, Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a-t-il pas
accompli à la lettre quelques unes de ces observances; et ses disciples ayant
rompu, le jour même du sabbat, des épis pour apaiser leur faim, il répondit à
ceux qui s'en scandalisaient que le Fils de l'homme était le Maître du sabbat
même (4). Ce fut en n'observant pas à la lettre ces sortes de pratiques qu'il
alluma contre lui la haine des hommes charnels ; et s'il accepta le châtiment
dont étaient menacés ceux qui n'accomplissaient pas ces observances légales, ce
fut pour affranchir les siens de la peur de ce supplice. A cela se rapportent
les paroles suivantes de l'Apôtre : «Le Christ nous a rachetés de la malédiction
de la Loi, en devenant malédiction pour nous, car a il est écrit : Maudit
quiconque est pendu au
bois. » Pour qui comprend cette
pensée dans le sens spirituel, elle est un symbole d'affranchissement. La
prend-on dans le sens littéral c'est le joug et l'esclavage, si on est juif; un
voile d'aveuglement, si on est païen ou hérétique. Il est vrai, quelques-uns des
nôtres, trop peu versés dans la science des Ecritures, ont une frayeur exagérée
à la vue de cette phrase; et tout en -recevant les livres de l'ancien Testament
avec la piété qui leur est due, ils ne croient pas que ces paroles s'appliquent
au Seigneur, mais au traître Judas. Aussi, remarquent-ils, il n'est pas écrit :
« Maudit quiconque » est attaché au bois, mais : « est pendu au bois; » ce qui
ne se rapporte pas au Seigneur, mais à ce misérable qui s'est pendu. C'est se
tromper étrangement et ne pas considérer qu'on s'en prend à l'Apôtre même, car
c'est lui qui dit : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en
devenant malédiction pour nous ; car il est écrit : « Maudit quiconque est pendu
au bois. » Ainsi, c'est bien Celui qui s'est fait malédiction pour nous qui a
été pendu au bois; autrement c'est le Christ, le Christ qui nous a rachetés de
la malédiction de la Loi, afin que nous n'allions plus chercher avec crainte la
justice dans les œuvres de la Loi, mais dans la foi qui nous attache à Dieu et
qui agit, non par crainte mais par amour. Car l'Esprit-Saint, qui a dit cela par
la bouche de Moïse, a également établi que la crainte des châtiments visibles
contiendrait les hommes tant qu'ils ne pourraient vivre encore de la foi aux
choses invisibles, et qu'ils seraient délivrés de cette crainte lorsque se
chargerait du supplice redouté Celui qui en ôtant la crainte pourrait la
remplacer parla charité.
Si l'Ecriture appelle maudit le
Pendu au gibet, il ne faut pas considérer ce terme comme un outrage pour le
Seigneur. En effet c'est sa nature mortelle qui y a été suspendue. Or les
croyants savent d'où vient en nous la mortalité: elle vient de la condamnation
et de la malédiction jetées sur le péché du premier homme; c'est donc un
châtiment dont le Seigneur s'est chargé lorsqu'il a porté sur le gibet nos
propres iniquités (1). Si maintenant on nous disait : La mort est maudite, nul
ne frémirait. Or, n'est-ce pas en quelque sorte la mort du Seigneur qui a été
suspendue à la croix, quand il a voulu par sa mort triompher de la mort? Ainsi
c'est la mort qui est tout à la
405
fois et maudite et vaincue. Si
l'on disait également : Le poché est maudit, nul ne s'en étonnerait. Or,
n'est-ce pas le péché du vieil homme qui a été également attaché à la croix,
quand pour l'amour de nous le Seigneur s'en est chargé dans sa chair mortelle?
Aussi l'Apôtre n'a-t-il pas rougi de dire que pour nous Dieu l'a fait péché, «
afin, ajoute-t-il, de condamner le péché par le péché même (1). » Car notre
vieil homme n'aurait pas été crucifié alors, comme s'exprime ailleurs le même
Apôtre, si cette mort du Sauveur ne nous montrait crucifiée la ressemblance de
notre chair de péché, afin que ce corps de péché soit détruit, et que nous ne
soyons plus désormais esclaves du péché (2). C'était pour figurer ce péché et
cette mort que déjà Moïse éleva au désert le serpent d'airain sur une espèce de
gibet (3). Voici pourquoi : c'est à la persuasion du serpent que l'homme est
tombé et a été condamné à mort. Ne convenait-il donc pas que pour figurer cette
condamnation à mort le serpent même fût attaché et élevé sur l’instrument du
supplice? C'était un symbole expressif de la mort du Seigneur sur la croix. Or
qui frémirait encore si on disait : Maudit le serpent suspendu au gibet? Il est
bien vrai pourtant que ce serpent était l'emblème de la mort corporelle du
Seigneur, et le Seigneur lui-même a expliqué ainsi ce symbole mystérieux. « De
même, a-t-il dit, que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi doit être
élevé le Fils de l'homme sur la terre (4). » Nul, ne dira que c'était dans
l'intention d'outrager le Seigneur que Moïse fit élever ce serpent; il savait
que de la croix devait découler si abondamment le salut des hommes, que pour en
mieux donner l'idée il fit dresser sur le gibet un serpent dont la vue devait
guérir aussitôt quiconque allait mourir après avoir été blessé par des serpents
réels. Si de plus ce serpent mystérieux était d'airain, c'était pour désigner la
foi durable à la passion du Sauveur; attendu que le peuple même dit fait
d'airain ce qui subsiste longtemps. Ah! si les hommes
oubliaient, si la mémoire des siècles ne rappelait plus que le Christ est mort
pour le salut des hommes, ceux-ci mourraient véritablement; mais aujourd’hui la
foi en sa passion est comme une foi d'airain, et quoique sur la terre les uns
meurent pour faire place aux autres, tous peuvent contempler au dessus d'eux
cette grande croix dont la vue rend la santé.
Est-il donc étonnant que le Sauveur ait triomphe de la
malédiction même, comme il a triomphé de la mort par la mort, du péché par le
péché et du serpent par le serpent ? La mort est maudite, le péché est maudit,
maudit est le serpent : tout cela a été vaincu sur la croix. «Maudit » donc
aussi « quiconque est pendu au bois. » Donc également, comme ce n'est point par
les oeuvres de la Loi mais par la foi que le Christ justifie ceux qui croient en
lui, c'en est fait de la crainte de la malédiction jetée sur la croix; et ce qui
reste aux gentils, c'est l'amour des bénédictions répandues sur Abraham pour le
récompenser de ses grands exemples de foi. Afin, continue l'Apôtre, que nous
recevions, « par la foi l'Evangile de l'Esprit; » en d'autres termes, afin qu'on
annonce aux croyants, non ce que redoute la chair, mais ce qu'aime l'esprit.
23. Abraham et les anciens
patriarches justifiés par la foi et non par les oeuvres de la Loi (1). —
Pour le même motif encore il parle des
testaments humains, dont la force obligatoire est bien inférieure a celle du
Testament divin. « Toutefois, dit saint Paul, quand le testament d'un homme est
ratifié, nul ne le rejette ou n'y ajoute. » Si le testateur change son
testament, c'est que ce testament n'est point ratifié, il ne l'est que par la
mort. Or, de même que c'est la mort du testateur qui ratifie son testament,
attendu qu'il ne peut plus alors en changer les dispositions; ainsi c'est
l'immutabilité des promesses divines qui assure l'héritage légué à Abraham, à
Abraham à qui sa foi fut imputée à justice (2). Aussi l'Apôtre enseigne-t-il que
le rejeton d'Abraham « à qui s'adressaient les promesses, » n'est autre que le
Christ, autrement tous les chrétiens qui imitent la foi d'Abraham. Il n'est pas
dit, remarque-t-il : « A ceux qui naîtront, mais à Celui qui naîtra de toi, » et
le singulier est ici employé parce que la foi est une, et que la justification
ne saurait être la même pour ceux qui mènent une vie charnelle avec les oeuvres
de la Loi et pour ceux dont la vie est spirituelle parce que c'est une vie de
foi.
Ce qui est péremptoire pour
l'Apôtre, c'est que la Loi n'était pas donnée 'encore, et que n'étant promulguée
que si longtemps après, elle ne pouvait annuler les antiques promesses faites à
Abraham. Effectivement, si c'est la Loi qui justifie, Abraham n'a pas été
justifié, puisqu'il a vécu
406
bien avant la Loi. Mais les
adversaires de l'Apôtre ne sauraient nier la justification d'Abraham ; ils sont
donc obligés de reconnaître que ce ne sont pas les oeuvres de la Loi qui
justifient l'homme, mais la foi; et nous, nous devons admettre, à notre tour,
que tous les anciens qui ont été justifiés l'ont été par, la foi également.
D'ailleurs si la foi qui nous sauve embrasse aujourd'hui le passé, ou le premier
avènement du Sauveur, et l'avenir, ou son second avènement ; les anciens pour
être sauvés croyaient également tout ce que nous croyons, seulement ils voyaient
dans l'avenir ce double avènement que leur montrait l'Esprit-Saint. Voilà
pourquoi il est dit encore : «Abraham a désiré voir mon jour, il l'a vu et il
s'est réjoui (1). »
24. La Loi destinée à
humilier le peuple Juif (2). — Voici
maintenant une question assez nécessaire : Si c'est la foi qui justifie et si
les anciens justes qui se sont sanctifiés devant Dieu se sont sanctifiées par la
foi, était-il besoin de donner la Loi? L’Apôtre
propose ainsi l'examen de cette question. « Qu'est-elle donc? » demande-t-il; et
après cette question il répond aussitôt : « La Loi a été établie à cause des
transgressions, jusqu'à l'arrivée du rejeton à qui était destinée la promesse et
qui a été remis par les Anges, dans les mains du Médiateur. Or il n'y a pas de
Médiateur pour un seul, et Dieu est seul. » Ce qui prouve plus clairement que ce
Médiateur est Jésus-Christ fait homme, ce sont ces autres paroles du même Apôtre
: « Il n'y a qu'un Dieu et qu'un Médiateur entre Dieu et les hommes,
Jésus-Christ fait homme (3). » Entre Dieu et Dieu il ne peut donc y avoir de
médiateur, puisqu'il n'y a qu'un Dieu; et s' « il n'y a pas de médiateur
pour un seul, » c'est qu'un médiateur doit tenir le milieu entre deux au moins.
Les Anges n'étant point déchus du bonheur de voir Dieu, n'ont pas besoin de
médiateur pour se réconcilier avec Lui. Quant aux Anges qui d'eux-mêmes et sans
y être exilés par personne ont péché et sont déchus, il n'y a pour eux ni
réconciliation, ni médiateur par conséquent. Mais le diable étant intervenu avec
son orgueil pour inspirer l'orgueil à l'homme et pour le faire tomber, il faut
que le Christ intervienne avec son humilité pour nous pénétrer d'humilité et
pour nous relever. Car si le Fils de Dieu avait voulu demeurer exclusivement
dans cette égalité parfaite que sa nature lui donne avec son Père, sans
s'anéantir en prenant une
nature d'esclave (1) il ne serait point devenu médiateur
entre, Dieu et les hommes, attendu que la sainte Trinité ne forme qu'un seul
Dieu en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, avec la même divinité, la
même éternité, une égalité parfaite. Comment donc le Fils unique de Dieu est-il
devenu médiateur entre Dieu et les hommes ? C'est quand, tout Verbe de Dieu et
tout Dieu qu'il est dans le sein de Dieu, ii a
abaissé jusqu'à notre humanité su majesté divine et relevé la bassesse humaine
jusqu'à sa divinité ; pour être médiateur entre Dieu et les hommes, il fallait
qu'il devint l'homme élevé par la divinité au dessus de tous les hommes. Aussi
est-il par sa nature le plus beau des enfants des hommes, sacré d'une onction de
joie qui l'élève au dessus de tous ses frères (2). Et pour guérir de l'orgueil
de l'impiété, pour se réconcilier avec Dieu, il a suffi d'aimer avec foi et
d'imiter avec amour cette humilité du Christ, soit avant qu'elle eût pari et
quand la révélation la faisait connaître, soit depuis qu'elle s'est produite et
que l’Evangile la publie.
Cependant, comme cette justice
de la foi n'était point accordée aux hommes à cause de leur mérite, mais à cause
de la miséricorde et de la grâce de Dieu, elle n'était point populaire avant que
le Dieu fait homme naquît au milieu des hommes. Mais «le Rejeton, la postérité,
semen, à qui s'adresse la promesse » désigne
ici le peuple même, et non pas ces justes si rares qui tout en connaissant cette
justice d'avance et par révélation, y trouvaient leur salut sans pouvoir faire
le salut du peuple. A la vérité, si on considère l'univers, tout l'univers, car
c'est dans tout l'univers que l'Eglise moissonne pour former la céleste
Jérusalem, le nombre des élus est petit, attendu qu'il y a peu de mortels pour
suivre l'étroite voie; cependant en réunissant ensemble tous ceux qui ont pu et
qui pourront exister au sein de toutes les nations depuis le commence de la
prédication de l'Evangile jusqu'à la fin des siècles, en y ajoutant encore les
saints en très-petit nombre qui avant même le
premier avènement du Seigneur ont trouvé par leur foi en lui, par leur foi toute
prophétique, le salut que donne la grâce, on verra rempli de saints l'heureux
empire de l'éternelle cité.
Pourquoi en effet ce peuple
orgueilleux a-t-il été soumis au fardeau de la Loi? C'est qu'incapable de
recevoir la grâce de la charité sans être
407
humble, et d'accomplir sans
cette grâce les préceptes de la Loi, il avait besoin d'être humilié en lace de
ses transgressions pour recourir à la grâce, sans se croire sauvé par ses
propres mérites, ce qui est de l'orgueil, et pour devenir juste, non par son
énergie et ses forces personnelles, mais par le secours du Médiateur qui
justifie l'impie. De plus la Providence divine a toujours agi, dans l'ancien
Testament, par le ministère des Anges, soutenus par l'action du Saint-Esprit et
parle Verbe de vérité, non encore incarné sans doute, mais ne cessant jamais de
présider à l'enseignement de la vérité. La Loi donc a été donnée par les Anges,
parlant tantôt en leur propre nom et tantôt au nom du Seigneur, comme les
prophètes eux-mêmes ; mais en montrant le mal sans le guérir, en dévoilant
les prévarications et les crimes, cette Loi a brisé l'orgueil. « La
postérité d'Abraham, dit saint Paul, a été remise par les Anges dans les mains
du Médiateur, » afin que ce Médiateur les délivrât de leurs péchés; car leurs
transgressions de la Loi les ont contraints d'avouer qu'ils avaient besoin de la
grâce et de la miséricorde du Seigneur pour obtenir le pardon de leurs péchés et
pour être réconciliés avec Dieu par Celui qui a répandu son sang en leur faveur.
25. Les Gentils suffisamment
humiliés par leurs désordres (1). — Oui,
il fallait que l'orgueil de ces Juifs fût brisé par leurs transgressions de la
Loi; car en se glorifiant de leur père Abraham, ils semblaient se vanter de
posséder la justice par droit de naissance, et élever au dessus de tous les
autres peuples le mérite de leur circoncision avec d'autant plus de danger,
qu'ils le faisaient avec plus d'arrogance? Quant aux Gentils, on pouvait les
humilier très-facilement sans recourir aux
transgressions de la Loi ; car ils ne prétendaient aucunement avoir reçu de
leurs parents un héritage de justice ; ils adoraient même de vains simulacres
quand vint à eux la grâce évangélique. On pouvait donc leur dire qu'il n'y avait
pas, comme ils se l'imaginaient, justice de la part de leurs ancêtres à adorer
les idoles; mais on ne pouvait. dire également aux
Juifs que la Justice d'Abraham leur père fût une faussé justice . « Faites donc
de dignes fruits de pénitence, crie-t-on à ceux-ci ; et ne vous dites pas :
« Nous avons Abraham pour père, car de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des
enfants
à Abraham (1). » Mais aux
Gentils on parle ainsi : « C'est pourquoi souvenez-vous qu'autrefois, vous
Gentils par votre origine et appelés incirconcis par ceux qu'on nomme circoncis
à cause de la circoncision faite dans leur chair par la main des hommes, vous
étiez alors sans Christ, séparés de la société d'Israël, étrangers aux
alliances, sans espérance des biens promis et sans Dieu dans ce monde (2). » De
plus on montre aux premiers qu'ils sont devenus infidèles et se sont détachés de
l'olivier où ils avaient poussé ; tandis que devenus fidèles les Gentils ont
quitté le sauvageon pour prendre leur place (3).
Il était donc nécessaire
d'abattre l'orgueil des Juifs en leur rappelant leurs infractions à la Loi.
C'est ainsi qu'après avoir dépeint leur désordres avec les expressions mêmes de
l'Ecriture, l'Apôtre leur dit, dans son Épître aux Romains : « Or vous savez que
tout ce que dit la Loi, elle l’adresse à ceux qui sont sous la Loi, afin de
fermer la bouche à tout le monde et afin que tout le monde se reconnaisse
coupable devant Dieu (4) : » les Juifs, à cause de leurs infractions à la Loi,
et les Gentils, à cause de l'impiété à laquelle ils se sont livrés quand ils
n'avaient pas la Loi. Aussi l'Apôtre dit-il encore: « Dieu a tout compris dans
l'incrédulité, pour faire miséricorde à tous (5). » C'est ce qu'il répète ici en
ranimant la question. « La Loi, demande-t-il, est donc contraire aux promesses
de Dieu ? Nullement; car si la Loi donnée avait pu communiquer la vie, la
justice viendrait sûrement de la Loi.
Mais l'Ecriture atout mis sous le péché, afin que les promesses s'accomplissent
en faveur des croyants par la foi en Jésus-Christ. » Ainsi donc la Loi ne
devait pas effacer le péché, mais comprendre tout sous le péché ; car
elle montrait qu’il y avait péché dans des actes que l'aveuglement de la coutume
pouvait représenter comme des actes de justice, elle voulait par là humilier
Israël et lui faire sentir que son salut ne dépendait pas de lui, mais du
Médiateur. C'est surtout l'humilité qui nous relève quand l'orgueil nous a
renversés; et l'humilité n'est-elle pas toute préparée à recueillir la grâce du
Christ, modèle incomparable d'humilité?
26. Résultat merveilleux de
la Loi (6). — Que personne ne soit
assez peu avisé pour demander ici : Comment donc a-t-il été inutile aux Juifs
que les Anges, en leur donnant la Loi, les aient
408
remis sous la main du Médiateur
? Car on ne saurait exprimer combien ils ont profité de cette faveur. Quelles
sont en effet, parmi les Gentils, les Eglises qui ont vendu leurs biens pour en
déposer le prix aux pieds des Apôtres, comme l'on fait si promptement tant de
milliers de Juifs (1) ? Il ne faut pas avoir égard au grand nombre de ceux qui
se sont montrés infidèles à la grâce; ne voit-on pas toujours sur l'aire
beaucoup plus de paille que de froment? D'ailleurs à quoi s'appliquent, sinon à
la sainteté qui a paru chez les Juifs, ces autres paroles du même Apôtre aux
Romains ? Mais quoi ! s'écrie-t-il, « Dieu a-t-il rejeté son peuple? Non, sans
doute; car je suis moi-même Israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de
Benjamin. Dieu n'a
point rejeté son peuple, ce
peuple qu'il a connu dans sa prescience (2). » L'Apôtre
veut-il élever l'Eglise de Thessalonique au dessus des autres Eglises de la
Gentilité ? Il dit que les Thessaloniciens sont
devenus semblables aux chrétiens de la Judée, attendu que, comme ceux-ci de la
part des Juifs, ils ont eu à souffrir beaucoup pour la foi de la part de leurs
concitoyens (3). A cela se rapporte aussi ce passage, que je viens de rappeler,
dans l'Épître aux Romains : « Si les Gentils ont participé aux richesses
spirituelles des Juifs, ils doivent aussi leur faire part de leurs biens
temporels (4). »
C'est donc des Juifs qu'il dit
ici : « Avant que vînt la foi, nous étions sous la garde de la Loi, qui nous
tenait en réserve pour cette foi qui ne fut révélée que plus tard. » S'ils se
sont trouvés si rapprochés, s'ils ont eu si peu à marcher pour s'unir à Dieu en
vendant tous leurs biens comme le Seigneur l'a ordonné à qui voudrait devenir
parfait, ils le doivent à cette Loi qui les avait sous sa garde, et qui les
tenait en réserve pour cette foi, » jusqu'à la prédication de cette foi qui ne
s'est révélée que plus tard; » car c'était la crainte d'un seul Dieu qui les
tenait ainsi en réserve. Si de plus ils ont enfreint cette Loi, ç'a été non pas
pour le mal mais pour l'avantage de ceux d'entre eux qui ont cru : en voyant
leur plaies plus profondes, ils ont soupiré plus vivement après le Médecin et
l'ont aimé avec plus d'ardeur; car il aime beaucoup, celui à qui on remet
beaucoup (5).
27. Les Chrétiens enfants de
Dieu (6). — Ainsi donc la Loi
nous a conduits vers le Christ. »
C'est la même pensée que dans ces mots: « Nous étions sous
la garde de la Loi, tenus par elle en réserve (1). —
Mais la foi nous étant venue, nous ne
sommes plus sous ce pédagogue. » Voici des reproches, à l'adresse de ceux qui
annulent la grâce du Christ, qui veulent que l'on demeure sous la tutelle du
pédagogue, comme si le Christ n'était pas venu en affranchir.
Il ajoute que tous ceux qui ont
la foi sont enfants de Dieu, parce qup tous ceux qui
ont reçu le baptême du Christ sont revêtus du Christ lui-même; c'est pour
empêcher les Gentils de se décourager pour n'avoir pas été sous la garde du
pédagogue, et de se figurer qu'ils ne sont pas' enfants de Dieu. De plus, en
disant que ceux qui se revêtent de Jésus-Christ deviennent enfants de Dieu, il
rappelle qu'ils ne le sont ni par nature, comme le Fils unique; qui est aussi la
Sagesse de Dieu; ni par le privilège incomparable qui unirait à la Sagesse de
manière à ne former avec elle qu'une seule et même personne, comme lui est uni
le Médiateur sans l'action d'aucun intermédiaire; ils le deviennent seulement en
participant à la Sagesse divine, comme les y prépare et comme le leur accorde la
foi au Médiateur; grâce de la foi que l'Apôtre appelle un vêtement quand il dit
que tous ceux qui croient sont revêtus du Christ. C'est donc ainsi qu'ils
deviennent les enfants de Dieu et les frères du Médiateur.
28. Diversité des conditions
et unité de foi dans l'Eglise (2). —
Cette foi n'établit aucune différence entre Juif et Gentil, esclave et
homme libre, homme et femme; car en tant que fidèles tous sont un en
Jésus-Christ. Or, si telle est l'union établie par la foi qui nous rend justes
durant cette vie; combien ne sera pas plus parfaite et plus intime cette même
union lorsque nous serons en présence de la réalité et que nous verrons face à
face (3) ? Maintenant en effet, quoique nous ayons les prémices de l'Esprit, qui
nous fait vivre de la justice de la foi; comme notre corps est mort à cause du
péché (4), si la différence de nationalité, de condition ou de sexe disparaît
dans l'unité de la foi, elle subsiste dans les rapports de la vie mortelle; et
les Apôtres commandent d'en respecter l'ordre pendant notre pèlerinage. Ils
tracent même des règles salutaires de conduite qui déterminent les rapports de
nationalité, entre Juifs et Gentils; les rapports de
409
condition, entre maîtres et
serviteurs; les rapports de sexe, entre époux et épouses, et autres rapports de
nature semblable. Le Seigneur même n'a-t-il pas dit avant eux : « Rendez à César
ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu (1) ? » Autres en effet sont les
devoirs qui nous sont communs à tous dans l'unité de la foi, et autres les
devoirs qui maintiennent l'ordre dans cette vie, où nous sommes voyageurs, et
que nous observons pour détourner les blasphèmes du nom et de la doctrine de
Dieu. Ce n'est pas seulement par crainte de la colère que nous les observons et
pour ne pas blesser les hommes ; c'est aussi par motif de conscience, en sorte
que notre conduite n'est ni simulée ni destinée à plaire au regard des hommes;
mais nous agissons, avec un amour pur et sincère, en vue de Dieu qui veut sauver
tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité (2).
Tous donc, dit l'Apôtre, vous -êtes
un en Jésus-Christ. » Il ajoute: « Or, si c'est ainsi, » c'est-à-dire : « Si
vous êtes un en Jésus-Christ; » et il conclut : « Donc vous êtes la postérité
d'Abraham. » Voici sans interruption le sens de la phrase entière : Vous êtes un
en Jésus-Christ: or, si vous êtes tous un en Jésus-Christ, il s'ensuit que vous
êtes tous la postérité d'Abraham. Il a remarqué précédemment qu'en parlant de la
postérité du patriarche l'Écriture n'emploie pas le pluriel, mais le singulier,
pour mieux désigner, le Christ (3). Ici encore pour désigner le Christ il
emploie le singulier; main dans le Christ il. ne
comprend pas seulement la personne même du Médiateur, il.voit encore l'Église
dont le Christ est le chef parce qu'elle est son corps. C'est ainsi que tous
sont un dans le Christ et méritent par leur foi l'héritage promis au Christ.
Aussi bien, répétons-le, c'est à cette foi qu'ils étaient réservés, puisque,
jusqu'à ce qu'elle fût prêchée, le peuple Juif était comme sous la garde du
pédagogue, et attendait l'âge convenable où devaient être affranchis de la
tutelle de ce pédagogue tous les membres de ce peuple qui étaient appelés selon
les desseins de Dieu, c'est-à-dire qui étaient comme le froment au milieu de
cette aire immense.
29. Les Gentils asservis à la
nature (4). — Dans le même
dessein il ajoute : « Je dis de plus : Tant que l'héritier est enfant, il ne
diffère point d'un serviteur, quoiqu'il soit maître de tout ; mais il est sous
des tuteurs et des curateurs jusqu'au
temps marqué par son père. C'est
ainsi que nous-mêmes, quand nous étions enfants, nous étions asservis aux
éléments de ce monde. » On peut se demander ici comment cette comparaison peut
s'appliquer aux Juifs, comment ils étaient asservis aux éléments de ce monde,
puisque, d'après la Loi qui leur fut donnée, ils ne devaient adorer qu'un seul
Dieu, le Dieu créateur du ciel et de la terre. Mais on peut expliquer autrement
ce passage, et admettre qu'après avoir représenté un peu plus haut la Loi comme
un pédagogue (1) auquel était soumis le peuple Juif, l'Apôtre donne maintenant
le nom de tuteurs et de curateurs aux éléments du monde dont les Gentils étaient
esclaves. Dans cette hypothèse, le jeune héritier ou le peuple tiré des Juifs et
des Gentils dont une même foi fait l'unique postérité d'Abraham, aurait été,
durant son enfance, du côté des Juifs, asservi au pédagogue ou à la Loi, et du
côté des Gentils, soumis aux éléments de ce monde comme à des tuteurs et à des
curateurs. Bien que l'Apôtre se mette ici en scène, puisqu'au lieu de dire :
Lorsque vous étiez enfants, vous étiez asservis aux éléments de ce monde, il dit
: « Lorsque nous étions enfants, nous étions asservis aux éléments de ce monde,
» ce ne serait pas pour désigner les Juifs, mais plutôt et par exception les
Gentils; il peut d'ailleurs se mêler à eux
très-convenablement, puisqu'il a reçu mission de leur prêcher l'Évangile.
30. Affranchissement et
adoption dus au Fils de Dieu (2). —
L'Apôtre ajoute qu'une fois arrivée la
plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils pour affranchir l'héritier encore
enfant, asservi, d'un côté, à la Loi comme à un pédagogue, et d'autre part, aux
éléments de ce monde comme à des tuteurs. « Dieu, dit-il, a envoyé son Fils,
formé d'une femme. » Femme ici se prend pour une personne du sexe; c'était
l'usage chez les Hébreux. Quand il est dit que de la côte d'Adam « Dieu forma
une femme (3), » on n'ira pas croire qu'Eve avait déjà eu alors des- rapports
charnels avec Adam ; il est écrit d'ailleurs qu'elle n'en eut qu'après qu'ils
furent l'un et l'autre chassés du paradis (4). Si
saint Paul dit que le Fils de Dieu a été formé, c'est en vue de son union
avec la nature humaine : bien que les enfants ne naissent pas de Dieu au moment
où ils naissent de leurs mères, Dieu ne les forme pas moins, comme il forme
toute créature, pour
qu'ils puissent naître de la
sorte. « Soumis à la Loi, » ajoute l'Apôtre : car il reçut la circoncision et on
offrit pour lui l'hostie prescrite par la Loi (1). Pourquoi s'étonner qu'il se
soit soumis aux observances onéreuses de la Loi, puisqu'il venait en affranchir
les esclaves ? N'a-t-il pas enduré la mort elle-même pour en délivrer ceux qui y
étaient condamnés ?
« Afin de nous rendre enfants
adoptifs. — Adoptifs, » et par conséquent distincts du Fils unique de Dieu.
C'est par sa grâce en effet et par la condescendance de sa miséricorde que nous
sommes enfants de Dieu ; pour lui il est Fils de Dieu par nature, puisqu'il est
Dieu comme le Père. Le texte ne porte pas : pour nous faire, mais pour
nous rendre enfants de Dieu; ce qui nous rappelle que nous avons perdu ce
privilège dans la personne d'Adam, à qui nous devons d'être mortels.
Par conséquent, entre ces
paroles : « Pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, » lesquelles
s'appliquent à l'affranchissement du peuple qui vivait dans son enfance sous
l'autorité du pédagogue; et celles-ci: « Soumis à la Loi, » il y a corrélation.
Corrélation aussi entre ces mots : « Pour nous rendre enfants adoptifs, » et ces
autres : « Formé d'une femme. » Si en effet nous redevenons enfants adoptifs de
Dieu, c'est que son Fils unique n'a pas dédaigné de participer à notre nature en
naissant d'une femme, et de devenir l'aîné de beaucoup de frères, lui qui n'en
avait pas comme Fils unique du Père (2). L'Apôtre
avait dit d'abord : « Formé d'une femme, » puis soumis à la loi ; » il
intervertit l'ordre en faisant le rapprochement.
31. Pourquoi ces deux mots
qui ont le même sens: « Abba, Père (3) ? » — Le
peuple qui dans son enfance était asservi à des tuteurs et à des curateurs,
c'est-à-dire aux éléments de ce monde, aurait pa
craindre de n'être pas du nombre des enfants de Dieu, puisqu'il n'avait pas été
soumis à la direction du pédagogue. L'Apôtre
l'associe au peuple Juif dans le passage suivant: « Or, parce que vous êtes ses
enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant :
Abba, Père. » Voici deux expressions dont la
dernière n'est que la traduction de la première; car Abba
veut dire Père. Mais ces deux mots qui appartiennent à des langues différentes
et dont le sens est le même, sont une allusion spirituelle
aux deux peuples, juif et
gentil, qui sont unis dans une même foi pour former tout le peuple chrétien. Le
terme hébreu rappelle les Juifs, l'autre désigne les Gentils; et la
signification identique des deux exprime l'unité de foi et d'esprit qui s'est
établie entre l'un et l'autre peuple. Déjà dans son Épître aux Romains, où il
traitait une question semblable, celle de la pacification à établir par le
Christ entre les Juifs et les Gentils, le même Apôtre avait dit: «Aussi bien
n'avez vous pas reçu de nouveau l'esprit de servitude qui inspire.
la crainte ; mais vous avez reçu l'Esprit des enfants
adoptifs qui nous fait crier Abba, Père (1).»
C'est avec raison que de la
présence en eux et du don que Dieu leur a fait de l'Esprit-Saint, saint Paul
prétend prouver aux Gentils que l'héritage leur est promis comme à Israël. En
effet l'Evangile n'a été annoncé aux Gentils qu'après l'Ascension du Seigneur et
la descente du Saint-Esprit ; au lieu que les Juifs avaient commencé à croire
pendant que le Fils de Dieu menait encore sur la
terre sa vie mortelle. C'est ce que nous lisons dans l'Evangile. Il est vrai, le
Sauveur y loue la foi de la Chananéenne (2), et la
foi de ce centurion à laquelle il assure n'avoir point trouvé de toi semblable
dans Israël (3) ; cependant c'est proprement aux Juifs qu'il prêchait alors son
Evangile et ses paroles l'indiquent assez clairement. Car il répondit, à la
prière de cette même Chananéenne, qu'il n'était
envoyé que vers les brebis perdues de la maison d'Israël (4), et il dit à ses
disciples, en leur donnant leur mission: « N'allez point vers les Gentils et
n'entrez point dans les villes des Samaritains; allez d'abord vers les brebis
perdues de la maison d'Israël (5). » Il disait encore que la Gentilité était
pour lui un autre bercail : « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de ce
bercail, » assurait-il, et il ajoutait qu'il devait les amener encore, afin
qu’il n'y eût plus qu'un seul troupeau sous un seul pasteur (6) : » et quand
devait-il les amener, sinon après qu'il serait glorifié ? Aussi envoya-t-il,
après la résurrection, ses disciples vers les Gentils, en leur recommandant
toutefois de rester à Jérusalem provisoirement et jusqu'à ce qu'il leur envoyât
le Saint-Esprit, conformément à sa promesse (7).
Après donc avoir dit: « Dieu a
envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la Loi, afin
411
d'affranchir ceux qui étaient
sous la Loi et de nous rendre ses enfants adoptifs (1); » l'Apôtre devait
montrer aussi que les Gentils, qui n'étaient pas asservis à cette Loi, n'en
étaient pas moins les enfants adoptifs de Dieu : c'est ce qu'il fait en
rappelant que le Saint-Esprit leur a été donné comme aux Juifs. Aussi, quand
saint Pierre voulut se défendre lui-même, devant les Juifs devenus chrétiens,
pour avoir donné le baptême au centurion Corneille sans qu'il fût circoncis, il
dit qu'il n'avait pu refuser de répandre l'eau sainte sur des hommes qui
manifestement avaient reçu le Saint-Esprit (2). C'est également cette imposante
preuve que saint Paul a déjà fait valoir quand il a dit précédemment : « Je veux
seulement vous adresser cette question : Est-ce par les oeuvres de la Loi que
vous avez reçu l'Esprit ou par l'audition de la foi?» et quand il a ajouté un
peu après : « Celui donc qui vous communique son Esprit et qui opère en vous des
miracles, le fait-il par les oeuvres de la Loi ou par l'audition de la foi (3)?
» C'est ici le même raisonnement : « Parce que vous êtes ses enfants, dit-il,
Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant :
Abba; Père. »
32. Dieu fait tout servir à
ses desseins, les démons mêmes (4). —
Ce qui prouve avec la dernière évidence que l'Apôtre parle ici aux
Gentils convertis, à qui d'ailleurs son Épître est adressée, c'est ce qui suit.
« Ainsi donc, dit-il, nul n'est plus serviteur, mais fils ; » ce qui rappelle
les paroles précédentes : « Tant que l'héritier est enfant, il ne diffère point
d'un serviteur. — Mais si on est
fils, on est aussi héritier par Dieu ; » autrement, par la miséricorde de Dieu
et non par suite des promesses faites aux patriarches, dont on ne descend point
corporellement comme les Juifs, tout enfant que l'on soit d'Abraham par
l'imitation de sa foi, dont on a mérité la grâce parla miséricorde du Seigneur.
« Autrefois, à la vérité,
ignorant Dieu; vous étiez asservis à ceux qui par leur nature ne «sont pas des
dieux. » Evidemment ce n'est pas aux Juifs, c'est aux Gentils qu'il s'adresse
ici ; de plus il ne dit pas : nous étions asservis, mais : « Vous étiez
asservis. » N'est-il donc pas assez probable, au moins maintenant, qu'aux
Gentils encore il rappelait précédemment qu'ils avaient été asservis aux
éléments de ce monde comme à des tuteurs et à des curateurs (5) ? Car ces
éléments
du monde ne sont point des dieux
par leur nature, « ni au ciel, ni sur la terre, comme il y a beaucoup de dieux
et beaucoup de seigneurs ; quoique pour nous il n'y ait qu'un seul Dieu, savoir
le Père, de qui viennent foutes choses, nous surtout qui demeurons en lui; et
qu'un seul Seigneur, savoir Jésus-Christ, par qui toutes choses viennent, et
nous spécialement (1). » En disant: « Vous étiez asservis à ceux qui par leur
nature ne sont pas des dieux, » l'Apôtre rappelle clairement que par nature il
n'y a qu'un seul Dieu véritable, celui en qui tout coeur fidèle et catholique
voit la Trinité. Quant à ceux qui par leur nature ne sont pas dès dieux, si
l'Apôtre les a appelés des tuteurs et des curateurs, c'est que parmi toutes les
créatures, soit parmi celles qui restent dans la vérité pour glorifier Dieu,
soit parmi celles qui n'y sont pas restées et qui ont cherché plutôt leur propre
gloire, il n'en est aucune qui de gré ou de force ne seconde les desseins de la
divine Providence ; avec cette différence que si la créature sert Dieu avec
bonne volonté, elle sera l'instrument de sa bonté, au lieu que si elle s'y
refuse, elle sera l'instrument de sa justice.
D'ailleurs si les anges
prévaricateurs, aussi bien que leur chef, n'étaient point entre les mains de la
divine Providence comme des tuteurs et des curateurs, le Seigneur ne nommerait
pas le diable le magistrat de ce siècle, et la puissance des Apôtres eux-mêmes
ne, l'emploierait pas à corriger les coupables. Saint Paul dit néanmoins : « Je
les ai livrés à Satan, pour leur apprendre à ne plus blasphémer (2) ; » il ne
dirait pas non plus ailleurs, en vue de procurer le salut des pécheurs : « Pour
moi, absent de corps, il est vrai, mais présent en esprit, j'ai déjà décidé,
comme si j'étais là, et après vous avoir réunis avec mon esprit au nom de
Jésus-Christ Notre-Seigneur, et par l'autorité même de Jésus-Christ
Notre-Seigneur, de livrer à Satan, pour la mort de son corps, l'auteur d'un
pareil attentat, afin que son âme soit sauvée au jour du Seigneur Jésus (3). »
Du reste un magistrat ne fait que ce que lui permet l'empereur établi alors ;
ainsi les tuteurs et les curateurs de ce monde n'agissent jamais qu'avec la
permission du Seigneur. Rien ne lui échappe, comme tant de choses échappent à un
homme; en rien non plus sa puissance ne lui fait défaut ; de sorte que ces
tuteurs et.
ces curateurs qui sont sous sa
main, ne font rien à son insu ou malgré lui, dans la sphère même de l'activité
qu'il leur a laissée. Cependant il ne les récompense pas de ce qu'ils sont les
instruments de sa justice, il considère l'esprit qui les anime : c'est que d'une
part Dieu n'a pas refusé la liberté à la créature raisonnable, et que d'autres
part il conserve dans sa main le pouvoir de faire entrer les injustes mêmes dans
les plans de sa justice. Souvent, dans nos autres ouvrages, nous avons donné à
cette idée de plus amples développements (1).
Ainsi donc, que les Gentils
aient adoré le soleil, la lune, les étoiles, le ciel, la terre et autres choses
semblables, ou bien qu'ils aient adoré les démons, on a raison de dire qu'ils
étaient asservis à des tuteurs et à des curateurs.
33. Difficulté (2). —
Cette interprétation paraît claire ; mais ce qui suit va la remettre en
question. Saint Paul nous montre, dans tous le cours de son Épître, qu'il n'y
avait, pour tourmenter la foi des Galates, que des Juifs convertis, et que
ceux-ci cherchaient à les amener aux observances légales comme si leur salut y
était attaché. Voici le seul passage où il semble supposer qu'il s'agissait de
retourner aux superstitions des Gentils. « Mais maintenant que vous connaissez
Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de Dieu, comment retournez-vous à ces
faibles et pauvres éléments, auxquels vous voulez vous asservir de nouveau,
comme autrefois ? » En effet, comme il s'adresse, non pas aux Juifs circoncis,
mais aux Gentils, ainsi qu'on le voit dans toute l'Epître ; en leur disant: «
Comment retournez-vous? » il n'a pas en vue la circoncision, puisque jamais
ils n'avaient été circoncis, mais les faibles et pauvres éléments auxquels ils
veulent s'asservir de nouveau, comme autrefois. » Une autre preuve qu'il s'agit
ici des Gentils, c'est qu'il vient de leur dire à eux-mêmes: « Autrefois, à la
vérité; ignorant Dieu, vous étiez asservis à ceux qui par leur nature ne sont
pas des dieux (3). » Est-ce donc à cette servitude que selon lui ils veulent
retourner quand il dit : « Comment retournez-vous à ces faibles et pauvres
éléments auxquels vous voulez vous asservir de nouveau, comme autrefois ? »
34. Solution possible
(4). — Les paroles suivantes : «
Vous observez certains jours, certains mois, certaines années, certains temps ;
je crains pour vous d'avoir en vain travaillé
parmi vous, » semblent appuyer
encore ce sentiment. On sait en effet que quand il s'agit d'entreprendre quelque
chose ou d'attendre soit des événements qui marquent dans la vie, soit l'issue
de quelque affaire, les Gentils se laissent aller partout à la faiblesse de
tenir compte des jours, des mois, des années et des temps que: signalent les
astrologues et les Chaldéens.
Peut-être cependant n'est-il pas
nécessaire de voir signalé ici cet égarement des Gentils, ce qui serait nous
écarter tout-à-coup et sans raison sérieuse, me
semble-t-il, du sujet que traite l'Apôtre depuis le commencement jusqu'à la fin
de son Epître. Ne vaut-il pas mieux voir ici un des désordres dont il travaille,
dans toute cette lettre, à détourner les Galates ? Car les Juifs aussi observent
servilement certains jours, certains mois, certaines années et certains temps,
lorsqu'ils observent charnellement le sabbat, les néoménies, le mois des fruits
nouveaux et cette septième année qu'ils nomment le sabbat des sabbats. Ces
pratiques n'étaient que des ombres de l'avenir; conséquemment elles devinrent
superstitieuses lorsque après l'avènement du Christ on les observait encore
comme des pratiques salutaires et sans savoir à quoi les rapporter. L'Apôtre
alors semblerait dire aux Gentils: Que vous sert d'avoir rompu les chaînes qui
vous retenaient dans l'esclavage lorsque vous étiez asservis aux éléments du
monde, puisque vous vous jetez dans une servitude semblable, séduits que vous
êtes par ces ignorants qui ne connaissent point encore à quelle époque ils ont
été affranchis, et qui se rendent esclaves des temps comme des observances
légales qu'ils comprennent d'une manière trop charnelle ? Vous voulez donc, vous
aussi, vous asservir comme vous l'étiez autrefois, et observer avec eux les
jours, les mois, les années et les temps dont vous étiez esclaves avant même de
croire au Christ ? Il est clair en effet que le cours du temps se règle sur les
éléments de ce monde, le ciel et la terre, le mouvement des astres et leur
situation respective. Si l'Apôtre les appelle faibles, c'est qu'ils
changent sans cesse d'aspect, incapables de se maintenir toujours au même état ;
s'il les dit pauvres, c'est que pour se conserver ce qu'ils sont ils ont
besoin de la puissance souveraine et immuable du Créateur.
35. Éviter les observances
superstitieuses. — Au lecteur de
choisir celui des deux sentiments qu'il voudra; mais, qu'il le comprenne bien,
il y a pour l'âme un danger si redoutable (413) dans ces observations
superstitieuses de certains jours, que l'Apôtre s'écrie ici : « Je crains pour
vous d'avoir en vain travaillé pour vous. » Quoique, on lise ce passage avec
tant de solennité et d'autorité dans les Églises partout l'univers, nos réunions
n'en sont pas moins remplies d'hommes qui demandent aux astrologues quels sont
les moments qui conviennent aux entreprises qu'ils ont en vue. Que dis-je?
sans savoir, comme on s'exprime, où ils mettent le
pied, n'osent-ils pas nous avertir souvent nous-mêmes de ne commencer ni à bâtir
ni à rien faire de semblable durant les jours qu'ils nomment les jours
égyptiaques ?
S'il faut entendre ce même
passage des observantes superstitieuses des Juifs, quelle espérance peuvent
nourrir ces hommes qui se disent chrétiens et qui règlent sur des almanachs la
direction de leur vie perdue; quand ils remarquent qu'en observant, comme les
Juifs, les temps marqués dans les livres saints que Dieu a donnés à son peuple
encore charnel, ils entendraient l'Apôtre leur dire : « Je crains pour vous
d'avoir en vain travaillé pour vous ? » Et pourtant vient-on à surprendre un
chrétien, fût-il encore catéchumène, observant le sabbat à la manière des Juifs
? l'Église se scandalise. Et des chrétiens sans
nombre, qui comptent parmi les fidèles, nous disent en face, et avec une pleine
assurance: Je ne pars point un lendemain de calendes. Et nous, c'est avec peine
si nous parvenons à les dissuader avec douceur, souriant même pour qu'ils ne
s'irritent pas et craignant qu'ils ne voient ici une nouveauté. O malheureux
péchés des hommes ! hélas! nous
ne frémissons que de ceux qui se commettent rarement ; quant à ces péchés
journaliers pour l'expiation desquels, le Fils de Dieu a aussi versé son sang,
si énormes qu'ils soient et quoiqu'ils nous ferment absolument l'entrée du
royaume de Dieu, nous sommes contraints de les tolérer, tant ils se répètent
souvent; d'en commettre même quelques-uns en les tolérant, et plaise à votre
miséricorde, Seigneur, que nous ne commettions pas tous ceux que nous ne
saurions empêcher!
36 Connaître Dieu et être
connu de lui (1). — Voyons
maintenant ce qui suit. Mais nous avons laissé de côté ces mots : « Maintenant
que vous connaissez Dieu ou plutôt que vous êtes connus de lui. » Il semble que
l'Apôtre veut ici proportionner son langage à la faiblesse humaine
et que ce n'est pas seulement
dans les livres du Testament ancien que la parole divine s'est mise à la portée
de nos pensées terrestres. Après avoir dit : « Que vous connaissez Dieu, » il
s'est repris, et nous ne devons pas nous en étonner; car il est certain que tout
le temps que nous nous conduisons par la foi et non par la claire vue (1), nous
ne connaissons pas encore Dieu et que notre foi nous aide à nous purifier pour
arriver à pouvoir le connaître en temps convenable. Cependant si l'on entend à
la lettre ce que dit l'Apôtre même en se reprenant, on s'imaginera que Dieu
parvient à connaître ce qu'il ignorait auparavant. Ces paroles donc : « Ou
plutôt que vous êtes connus de Dieu, » doivent être prises dans le sens
métaphorique, et la connaissance que Dieu a de nous doit s'interpréter de
l'amour qu'il nous a témoigné en envoyant son Fils unique s'immoler pour les
impies : c'est ainsi que des personnes qu'on aime on dit qu'on les a sous les
yeux. « Maintenant que vous connaissez Dieu ou plutôt que vous êtes connus de
Dieu, » revient donc à cette pensée de saint Jean : « Ce n'est pas que nous
ayons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés (2). »
37. —
Confiance que mérite la parole de saint Paul (3). —
« Soyez comme moi, » continue-t-il; car tout Juif que je suis de
naissance, le discernement spirituel m'a amené à mépriser ces observances
charnelles. « Mais aussi je suis comme vous; » c'est-à-dire homme. Puis il
saisit l'occasion de leur rappeler avec réserve sa charité envers eux, pour les
empêcher de le considérer comme un ennemi. « Mes frères, dit-il, je vous en
prie, vous ne m'avez offensé en rien; » ne vous figurez donc pas que je cherche
à vous nuire. « Vous savez que je vous ai autrefois annoncé l'Évangile dans la
faiblesse de la chair; » c'est-à-dire au milieu de mes persécutions. « Or cette
épreuve à laquelle vous avez été mis en ma personne, vous ne l'avez ni méprisée
ni repoussée. » En voyant les persécutions qu'endurait l'Apôtre, ils étaient
tentés de se demander si la crainte les porterait à l'abandonner ou la charité à
s'unir à lui. « Vous n'avez point méprisé » cette
tentation, car vous en avez aperçu l'utilité ; « vous ne l'avez pas non plus
repoussée, » en refusant de partager mes dangers. « Mais vous m'avez reçu comme
un ange de Dieu, comme le Christ Jésus. » S'élevant ensuite jusqu'au sentiment
414
de l'admiration, il leur met
devant-les yeux les effet spirituels qui se sont produits en eux, afin que ce
souvenir les empêche de se laisser aller aux sentiments d'une crainte naturelle.
« Quel était alors votre bonheur ! s'écrie-t-il ! Car je voles rends ce
témoignage que s'il eût été possible vous vous seriez arraché les yeux pour me
les donner. Suis-je donc devenu votre ennemi en vous prêchant la vérité? »
Evidemment non. « En prêchant » quelle vérité, sinon qu'ils ne doivent pas se
faire circoncire? Aussi considère ce qu'il ajoute : « Ils ont pour vous une
émulation qui n'est pas bonne ; » autrement ils vous portent envie, puisque de
spirituels que vous êtes ils veulent vous rendre charnels; voilà ce que signifie
: « Ils ont pour vous une émulation qui n'est pas bonne. —
Mais ils prétendent que vous ayez pour eux. de
l'émulation, » ou que vous les imitiez ; comment, sinon en vous attachant au
joug où. ils sont attachés eux-mêmes? «Il est bon
toutefois d'avoir toujours de l'émulation pour le bien. » Il veuf ici qu'ils
l'imitent lui-même en tout temps; aussi ajoute-t-il : « Et
non-seulement lorsque je suis présent au milieu de vous. » C'est qu'au
moment où ils l'aimaient jusqu'à vouloir lui donner leurs yeux quand il était
là, ils travaillaient évidemment aussi à l'imiter.
38. Sollicitude maternelle de
l'Apôtre (1). — S'il dit encore
: « Mes petits enfants, » c'est également pour les engager à l'imiter comme leur
père. « Pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement.
jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. » C'est
plutôt au nom de l'Eglise notre mère qu'il s'exprime ainsi, car il dit ailleurs
: « Je me, suis fait petit enfant parmi vous, comme une nourrice qui soigne ses
enfants (2). » Or c'est par la foi du croyant que le Christ se forme dans
l'homme intérieur, dans l'homme doux et humble de coeur, dans l'homme qui ne se
vante point du mérite de ses ouvres, car il n'en a pas, dans l'homme qui ne
commence à acquérir quelque mérite que par la grâce et que le Christ pourra
nommer un de ses plus petits, c'est-à-dire un autre lui-même, quand il dira :
« Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits d'entre les miens, vous me
l'avez fait à moi-même (3). » En effet le Christ se forme dans celui qui se
moule en quelque sorte sur lui ; or on se moule sur lui quand on lui est uni par
un amour tout spirituel ; et en l'imitant ainsi on
devient en quelque sorte ce
qu'il est, mais en restant dans sa sphère. « Celui, dit saint Jean, qui prétend
demeurer dans le Christ, doit se conduire comme le Christ s'est conduit (1). »
Cependant, lorsque la mère
conçoit l'enfant, c'est pour le former, et quand il est formé, c'est pour le
mettre au monde qu'elle ressent les douleurs de l'enfantement : comment donc
l'Apôtre peut-il dire : « Vous pour qui je sens de nouveau les douleurs de
l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous ? » Par les douleurs
de l'enfantement qu'il a déjà endurées pour eux, il faut entendre sans doute les
angoisses, les soucis par lesquels il a passé pour les faire naître au Christ ;
s'il endure de nouveau ces douleurs, c'est à cause des dangers de séduction au
sein desquels il les voit chanceler déjà. Or ces sollicitudes et ces soucis qui
sont pour lui comme les douleurs de l'enfantement, pourront durer jusqu'à ce
qu'ils soient parvenus à la mesure de l'âge de la plénitude du Christ et qu'ils
ne flottent plus à tout vent de doctrine (2). Si donc l'Apôtre a dit : « Vous
pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, » ce n'était pas pour
les faire naître à la foi qu'il parlait ainsi, puisqu'ils y étaient nés déjà,
c'était pour les y affermir et les perfectionner dans la foi. Ailleurs il parle
de ces mêmes douleurs en termes différents : « Ce qui m'assaillit chaque jour,
dit-il, ma sollicitude pour toutes les Eglises. Qui est faible sans que j e sois
faible aussi ? Qui est scandalisé sans que je brûle (3) ? »
29. Ne pas écrire ce qu'on
dirait de vive voix (4). — «Je
voudrais maintenant, poursuit-il, être près de vous et changer mon langage, car
je rougis de vous. » Comme il les avait appelés ses enfants, ne veut-il pas dire
ici qu'il les ménage dans sa lettre, dans la crainte qu'irrités d'une réprimande
trop sévère, ils ne se laissent trop aisément porter à le haïr par ces
séducteurs auxquels il ne pourrait résister étant absent? Je voudrais maintenant
être près de vous et changer mon langage, » signifierait donc qu'il voudrait les
renier pour ses enfants ; « car je rougis de vous : » de fait, pour n'avoir pas
à rougir de leur enfants, les parents les renient ordinairement.
30. Les Juifs, les
catholiques et les hérétiques figurés dans la famille d'Abraham (5). —
« Dites-moi, vous qui voulez être sous la Loi, n'avez-vous par
connaissance de la Loi ? » Ce
415
qu'ajoute ensuite l'Apôtre sur
les deux fils d'Abraham se comprend aisément; car il interprète lui-même cette
allégorie. Abraham avait donc ces deux fils pour figurer les deux Testaments ;
mais à la même allégorie n'ont plus rapport ceux qu'il eut d'une autre épouse
après la mort de Sara. Voilà pourquoi plusieurs de ceux qui ne connaissent pas
le livre de la Genèse n'imaginent, en lisant l'Apôtre, que le patriarche n'eut
que deux enfants. Mais si saint Paul ne fait mention que des deux premiers,
c'est qu'Abraham n'avait encore que ceux-là quand il était question pour eux de
symboliser ce que dit l'Apôtre ; le voici. L'enfant né de la servante nommée
Agar représente l'ancien Testament, ou plutôt le peuple de l'ancien Testament,
qui se courbait sous le joug servile des observances charnelles et à qui étaient
adressées des promesses terrestres qui éloignent de l'héritage spirituel et du
patrimoine céleste ceux qui s'y attachent et qui n'attendent pas de Dieu autre
chose. Pour être l'emblème du peuple qui hérite du nouveau Testament, il ne
suffit pas qu'Isaac soit né d'une mère libre, il faut surtout qu'il soit né
d'après la promesse. Peu importait que l'ancien peuple naquit, selon la chair,
d'une servante ou d'une femme libre telle que fut Cethura,
qu'épousa dans la suite Abraham et qui lui donna des enfants ;qui n'étaient pas
des enfants de la promesse (1). Ce qui distingue Isaac, c'est qu'il naquit
miraculeusement, selon la promesse que Dieu en avait faite, et lorsque son père
et sa mère étaient fort avancés en âge.
Voudrait-on, encouragé par
l'exemple de l'Apôtre qui prend si manifestement pour des personnages figuratifs
les deux premiers fils d'Abraham, examiner ce que les fils de
Cethura pouvaient symboliser aussi dans l'avenir,
car ce n'est pas en vain assurément, qu'on a écrit ces faits accomplis sous la
direction de l'Esprit-Saint ? On découvrira sans doute que ces fils de
Cethura représentent d'avance les schismes et les
hérésies. A la vérité leur mère était libre, comme l'Eglise d'où sont sortis les
schismatiques et les hérétiques; mais ils sont nés d'une manière charnelle, et
non d'une manière spirituelle ni en vertu d'aucune promesse. Dès lors ils ne
sont point héritiers, héritiers de la Jérusalem céleste ,
que l'Ecriture appelle stérile, pour avoir été longtemps sans engendrer des
enfants sur la terre; que la même Ecriture appelle aussi délaissée, parce que
avides de biens terrestres
les hommes oubliaient la céleste
justice, au lieu que la Jérusalem céleste, qui avait reçu la Loi, possédait en
quelque sorte un époux.
Aussi Sara figure-t-elle la
Jérusalem du ciel, parce qu'ayant reconnue sa stérilité, Abraham fut longtemps
éloigné de son lit. Des hommes du mérite d'Abraham ne s'approchaient point de
leurs femmes pour satisfaire une ignoble passion, mais uniquement pour perpétuer
leur famille. Et quand à la stérilité de Sara fut venue se joindre la
vieillesse, il n'y avait plus absolument d'espoir à nourrir ; mais aussi quel
mérite d'ajouter foi alors à la promesse divine !Assuré
donc de cette promesse, Abraham s'approcha, pour accomplir le devoir de la
génération, de cette épouse chargée d'années, avec qui il avait cessé tout
rapport charnel quand elle était dans la vigueur de l'âge. Et c'est uniquement
la cessation de ces rapports qu'il faut voir dans ce texte du prophète cité par
l'Apôtre interprétant l'allégorie de Sara et d'Agar : « Les fils de la délaissée
seront plus nombreux que les fils de celle qui a un mari; » car Sara est morte
avant Abraham et jamais entre eux il n'y eut divorce. Comment dire que l'une
était délaissée et que l'autre avait un mari, sinon pour rappeler qu'afro
d'avoir des descendants Abraham remplissait auprès d'Agar, qui était sa servante
et qui était féconde, le devoir que l'empêchait de remplir auprès de son épouse
la stérilité de Sara ? C'était toutefois avec l'autorisation et d'après même
l'offre spontanée de Sara que le patriarche demandait des enfants à sa servante.
Voici en effet une antique règle de justice que rappelle l'Apôtre en écrivant
aux Corinthiens : « La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; le
mari de même n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme (1). » Cette
obligation, comme les autres, dépend de celui à qui elle est due; et respecter
ici le droit d'autrui, c'est garder la chasteté conjugale. Quant à la vieillesse
des parents d'Isaac, elle rappelle que si jeune que puisse être le peuple du
nouveau Testament, sa prédestination dans la pensée de Dieu, et la Jérusalem du
ciel sont fort anciennes. Voilà pourquoi saint Jean écrivait aux Parthes : « Je
vous écris, pères, parce que vous avez connu ce qui était dès le commencement
(2). »
Pour les membres charnels de
l'Eglise qui forment les schismes et les hérésies, il est vrai qu'ils ont pris
dans l'Evangile un prétexte pour
416
les faire naître ; mais l'erreur
charnelle où ils ont pris naissance. et qu'ils
emportent avec eux est étrangère à l'antique vérité ; aussi sont ils nés, en
quelque sorte, d'une mère toute jeune et d'un vieux père, en dehors de toute
promesse . N'est-ce pas pour représenter l'antiquité de la vérité que le
Seigneur se montre dans l'Evangile avec des cheveux blancs (1) ? Ainsi c'est à
l'occasion de quelque antique vérité que ces sectaires se sont formés et sont
nés en quelque sorte dans la nouveauté de leurs erreurs éphémères.
En résumé, l'Apôtre enseigne
que, comme Isaac, nous sommes les enfants de la promesse, et que la persécution
d'Ismaël contre Isaac ressemble aux persécutions soulevées contre les chrétiens
véritables par les Juifs charnels. Ces persécutions toutefois n'aboutissent pas,
attendu que d'après l'Ecriture la servante doit être chassée avec son fils, sans
pouvoir hériter avec l'enfant de la femme libre. « Pour nous, poursuit saint
Paul, nous ne sommes pas, mes frères, les enfants de la servante, mais les
enfants de la femme libre. » Or, c'est cette liberté que maintenant surtout il
faut opposer à la servitude des oeuvres de la Loi, dont le joug pesait sur les
faux docteurs qui poussaient les Galates à se faire circoncire. .
41. S'éloigner du joug des
observances judaïques (2). — En ajoutant : « Restez donc debout, » l'Apôtre
indique que les Galates ne sont pas tombés encore; autrement il aurait dû dire
relevez-vous. « Et ne vous attachez point de nouveau au joug de la servitude, »
dit-il ensuite. Ce joug auquel il leur défend de s'attache ne saurait être que
celui de la circoncision et des autres observances semblables du peuple Juif;
puisque saint Paul ajoute : « Voici que je vous dis, moi, Paul, que si vous vous
faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. » Mais que faut-il
entendre par ce joug de servitude, puisqu'il s'adresse à des hommes qui
n'ont jamais été juifs, et qu'il travaille à empêcher de se faire circoncire ?
Ici donc reparaît et trouve une preuve nouvelle le sentiment que nous avons
manifesté plus haut. En effet je ne découvre qu'un sens dans ces paroles de
l'Apôtre: c'est que pour les Gentils il n'y aurait aucun avantage à avoir été
délivrés, par leur foi en Jésus-Christ, de l'esclavage de leurs superstitions,
si de nouveau ils se faisaient esclaves en se courbant sous le joug de ces
observances charnelles
que la Loi même de Dieu a
prescrites, il est vrai, mais pour soumettre à la servitude un peuple charnel
encore. Le Christ ne leur servira de rien, s'ils se font circoncire; s'ils se
font circoncire comme le voulaient ceux qui les y poussaient', dans le but de
regarder cette circoncision de la chair comme l'espoir de leur salut. Le Christ
en effet n'a-t-il servi de rien à Timothée, par la raison que Paul le fit
circoncire lorsque jeune encore il devint chrétien? L'Apôtre
agit ainsi pour éviter le scandale des siens (1); ce n'était point par esprit de
dissimulation, mais en vertu de cette indifférence qui lui a fait dire : « La
circoncision n'est rien, l'incirconcision n'est rien non plus (2). » Cette
circoncision ne saurait nuire quand on n'y voit pas le salut. Quand donc il
ajoute : « Je déclare de plus à tout homme qui se fait circoncire, » il prend la
circoncision dans le même sens, il suppose qu'on la recherche comme un moyen de
salut. « Qu'il est tenu d'accomplir toute la loi. » Il veut ici qu'au moins la
peur d'être astreints à toutes ces observances, à ces observances sans nombre
qui sont contenues dans la Loi et que ni les Juifs de cette époque ni leurs
pères n'ont pu accomplir, comme Pierre le rapporte dans les Actes des Apôtres
(3), les détourne d'accepter le joug sous lequel on voulait les courber.
42. Les observances légales
opposées à l'esprit chrétien (4). —
« Vous n'avez plus de part au Christ, vous qui cherchez votre
justification dans la Loi. » Voilà la proscription dont il a été parlé
précédemment; car le Christ est comme proscrit de son héritage lorsqu'il quitte
ces chrétiens et qu'en eux rentrent les oeuvres de la loi comme sur une terre
délaissée. Le malheur sera pour eux et non pour le Christ; c'est pourquoi
l'Apôtre ajoute : « Vous êtes déchus de la grâce. » De fait, puisque la grâce du
Christ tend à décharger du fardeau des oeuvres légales
ceux-mêmes qui étaient obligés de le porter,
n'est-ce pas méconnaître cette grâce immense que de vouloir s'astreindre à
accomplir toute la Loi? Le péché n'était pas consommé encore; mais comme la
volonté y inclinait déjà, l'Apôtre en parle souvent comme d'un fait accompli.
« Pour nous, c'est par l'Esprit,
en vertu de la foi, que nous espérons la justice. » Par conséquent les
espérances spirituelles sont l'objet de la foi au Christ, et non les promesses
charnelles comme les promesses sur lesquelles s'appuyaient
417
les esclaves de la Loi. Aussi
saint Paul dit-il ailleurs : «Nous ne considérons point ce qui se voit, mais ce
qui ne se voit pas; car ce qui se voit est temporel tandis que ce qui ne se voit
pas est éternel (1). » — Il poursuit : « Car dans le Christ Jésus ni la
circoncision, ni l'incirconcision ne servent de rien : » nouveau témoignage que
ces pratiques sont indifférentes et preuve nouvelle qu'il n'y a de nuisible dans
la circoncision que d'en attendre le salut. Ainsi donc ni la circoncision ni
l'incirconcision ne servent de rien devant Jésus-Christ, « mais la foi qui agit
parla charité » C'est ici faire allusion à la servitude légale qui agit par
crainte.
Vous couriez si bien : qui vous a arrêtés, « pour vous
empêcher d'obéir à la vérité ? » C'est la pensée que nous avons vue dans ces
mots: « Qui vous a fascinés? — Cette persuasion ne vient pas de celte qui vous a
appelés; » car c'est une persuasion toute charnelle et Lui vous a appelés à
l'indépendance de cette sorte de pratiques. Persuasion se prend ici pour l'objet
même de la persuasion. De plus, comme les Juifs qui cherchaient à les entraîner
étaient en petit nombre, comparés à la multitude des Galates devenus chrétiens,
l’Apôtre les nomme un levain. Que les Galates
acceptent ce levain, et s'ils honorent comme des hommes justes et fidèles ces
docteurs qui viennent à eux, bientôt toute la pâte sera en fermentation, toute
leur Eglise sera infectée et asservie sous le joug des pratiques charnelles. «
J'ai en vous cette confiance dans le Seigneur, que vous n'aurez point d'autres
sentiments. » Preuve évidente qu'ils ne s'étaient point encore rendus aux faux
docteurs. « Mais celui qui vous trouble, en portera la peine, quel qu'il soit. »
C'est ici le renversement, si contraire à l'ordre, qui voudrait les rendre
charnels, de spirituels qu'ils sont.
On doit croire que parmi ces
hommes qui voulaient les placer sous le joug, il y en eut plusieurs qui
reconnurent qu'ils en étaient détournés par l'autorité de l'apôtre saint Paul et
qui allèrent même jusqu'à dire que saint Paul était de leur sentiment, mais
qu'il n'avait pas aimé de le leur faire connaître. L'Apôtre
dit donc avec beaucoup d'à-propos: « Et moi, mes frères, si je prêche encore la
circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté?» C'est qu'il était persécuté
par ces hommes qui cherchaient, tout disciples de l'Evangile qu'ils fussent en
apparence,
à ramener aux observances
légales. C'est à eux qu'il fait allusion quand il dit, ailleurs: « Danger de la
part des faux frères (1), » et au commencement de notre Épître : « Et la
considération de quelques faux frères, qui s'étaient furtivement introduits pour
observer la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, et nous réduire en
servitude (2). » Assurément donc ils cesseraient de le persécuter, s'il prêchait
avec eux la circoncision. C'était aussi pour empêcher que les fidèles à qu'il
annonçait la liberté chrétienne ne vinssent à les craindre ou à s'imaginer que
l'Apôtre les redoutait, que précédemment il publiait son nom avec une entière
confiance et disait: « Voici que je vous le déclare, moi Paul : « si vous vous
faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (3) ; » c'était comme
s'écrier Imitez-moi et ne craignez rien ; ou si vous craignez, rejetez sur moi
tout le procès.
En disant ensuite : « Le
scandale de la croix est donc anéanti, » il répète ce qu'il a déjà exprimé dans
ces mots : « Si la justice vient de la Loi, c'est donc en vain qu'est mort le
Christ (4). » Toutefois en parlant de scandale il rappelle que ce qui a
principalement scandalisé les Juifs dans la personne du Christ, c'est qu'ils le
voyaient omettre et dédaigner souvent ces observances charnelles où eux-mêmes
plaçaient leur salut. Ces mots reviennent donc à cette pensée: Ainsi c'est en
vain que scandalisés de voir le Christ omettre ces pratiques, les Juifs l'ont
crucifié, puisqu'on veut y ramener encore ceux pour qui il est mort? Usant
ensuite d'une charmante équivoque, l'Apôtre présente ainsi, sous le voile d'une
malédiction, une bénédiction véritable : « Plût à Dieu que ceux qui vous
troublent, fussent même mutilés ! » Qu'ils fussent,
non-seulement circoncis, mais mutilés ! Car alors ils
deviendraient eunuques en vue du royaume des cieux (5) et cesseraient de semer
des idées charnelles.
43. La charité, principe des
actes chrétiens (6). — Car vous
avez été, mon frère, appelé à la liberté. » Ce qui explique ces mots, c'est
qu'en les troublant pour les rappeler de, ce qui est spirituel à ce qui est
charnel, on les traînait à l'esclavage.
A partir d'ici, il commence à
parler, ainsi que j'ai annoncé qu'il le ferait à la fin de son Épître, des
oeuvres de la Loi que, de l'aveu de tous, on doit accomplir, aussi sous le
nouveau. Testament,
418
mais en se proposant une autre
fin, celle qui doit attirer des coeurs libres, je veux dire la charité qui
espère obtenir par là et qui attend avec foi les récompenses éternelles. Ainsi
on n'imitera pas les Juifs qui étaient contraints à les accomplir, non par cette
crainte chaste qui subsiste dans les siècles des siècles (1), mais par cette
autre crainte qui s'arrête à la vie présente. Aussi observaient-ils de la Loi
les préceptes cérémoniels sans pouvoir en accomplir les préceptes moraux : la
charité seule en est capable. En effet ne pas tuer un homme pour n'être pas mis
à mort soi-même, ce n'est pas accomplir le précepte de justice; l'accomplir,
c'est ne pas tuer parce qu'il y aurait injustice à le faire, lors même qu'on le
pourrait impunément devant les hommes et devant Dieu même. C'est ainsi que la
divine Providence ayant livré le roi Saül aux mains de David, celui-ci aurait pu
le mettre à mort sans encourir ni la vengeance des hommes, qui l'aimaient
beaucoup, ni la vengeance de Dieu, qui lui, avait promis de le faire tomber sous
sa main, pour qu'il le traitât comme il lui plairait (2). Mais David l'épargna,
parce qu'il aimait son prochain comme lui-même, et parce que tout persécuté
qu'il eût été par lui et qu'il dût l'être encore, il
aimait mieux qu'il se corrigeât que de le mettre à mort : contemporain de
l'ancien Testament sans en être le disciple, ce grand homme avait claire et
profonde la foi au futur héritage du Christ, du Christ que cette même foi le
portait à imiter. Aussi l'Apôtre dit-il aujourd'hui : « Vous avez été appelés à
la liberté, mes frères; seulement ne faites pas de cette liberté une occasion
pour la chair; » en d'autres termes, ne vous figurez pas, en entendant ce mot de
liberté, que vous pourrez pécher impunément. « Mais soyez par la charité les
serviteurs les uns des autres. » En effet servir par charité, c'est servir avec
liberté, en obéissant à Dieu sans peine, en faisant avec amour ce qui est
demandé, et non pas avec crainte ce qui est forcé.
44. La charité résume toute
la Loi. (3). — « Car toute la Loi se résume dans cette seule parole Tu
aimeras ton prochain comme toi-même. » Par conséquent il entend ici par toute la
Loi les préceptes destinés à régler les moeurs. Aussi les préceptes même
cérémoniels, non pas tels que les observent les esclaves, mais tels que les
comprennent les fidèles affranchis par Jésus-Christ, se rapportent
nécessairement à ce double
commandement de l'amour de Dieu
et du prochain; et ces paroles du Seigneur: « Je ne suis pas venu abolir la Loi,
mais la compléter (1),»s'entendent avec raison en ce sens qu'il devait faire
disparaître la crainte charnelle et la remplacer par la charité spirituelle, qui
peut seule accomplir la Loi divine, « car l'amour est la plénitude de la Loi
(2). »
Par conséquent, comme c'est la
foi qui obtient le Saint-Esprit 'et que le Saint-Esprit répand la charité divine
dans les coeurs de ceux qui pratiquent la justice (3) ; il n'y a pour personne
aucune raison de se glorifier de ses bonnes oeuvres. Aussi pour réfuter ces
aveugles qui mettaient leur gloire dans les oeuvres légales, l'Apôtre
montre-t-il que ces pratiques cérémonielles déjà vieillies n'étaient que des
ombres de l'avenir, et que le Seigneur une fois arrivé ces ombres n'ont plus de
raison d'être pour l'héritier affranchi par lui, tandis qne
les oeuvres morales ne peuvent s'accomplir que par l'amour avec lequel agit la
foi (4). De là il faut conclure que si parmi les oeuvres légales il en est
d'inutiles quand on est parvenu à la foi, et d'autres qui n'ont auparavant aucun
mérite, il est nécessaire que le. juste vive de la
foi (5), que soulevé par le fardeau léger du Christ il secoue le joug pesant de
la servitude, et que docile à l’aimable direction de la charité il n'outrepasse
point les bornes de la.Justice.
45. La charité envers le
prochain témoigne de la charité envers Dieu (6). —
On pourrait se demander pour quel motif l'Apôtre ne fait mention que de
la charité envers le prochain, quand il dit ici que la charité accomplit toute
la Loi; et pourquoi aussi traitant la même question dans son Epître aux Romains,
il dit également: « Qui aime autrui, accomplit la Loi. En effet : Tu ne
commettras point d'adultère, Tu ne seras point homicide, Tu ne déroberas point,
Tu ne convoiteras point, et s'il est quelque autre commandement, tout se résume
dans cette parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour du prochain
n'opère pas le mal; mais la charité est la plénitude de la Loi (7). » La charité
n'étant parfaite qu'avec le double précepte de l'amour de Dieu et du prochain,
pourquoi l'Apôtre ne fait- il mention, dans cette Épître et dans l'Épître aux
Romains, que de l'amour du prochain? N'est-ce point parce que les hommes peuvent
simuler l'amour de Dieu, attaqué plus rarement ; tandis qu'il est plus aisé de
les
419
convaincre de n'avoir pas
l'amour du prochain, lorsqu'ils se comportent injustement envers leurs
semblables? On ne saurait aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de
tout son esprit, sans aimer aussi son prochain comme soi-même ; puisque tel est
l'ordre ferme de celui qu'on aime de tout son coeur, de toute son âme et de tout
son esprit. Qui pourrait également aimer son prochain, c'est-à-dire tous les
hommes, comme soi-même , sans aimer Dieu, dont le
précepte et la grâce font qu'on peut aimer le prochain ? Ces deux préceptes
étant donc tellement inséparables qu'on ne peut être fidèle à l'un sans être,fidèle
a l'autre, il suffit souvent, quand il s'agit des oeuvres de justice, de
rappeler l'un des deux, et on rappelle avec plus d'à-propos celui dont la
pratique se prouve plus facilement dans chacun de nous. Aussi saint Jean dit-il
: « Celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu,
qu'il ne voit pas (1) ? » C'est que. plusieurs
prétendaient faussement avoir l'amour de Dieu ; leur haine contre leurs frères
prouvait le contraire ; or il est facile de constater cette haine par la
conduite et les moeurs de chaque jour.
« Que si vous vous mordez et
vous déchirez les uns les autres, prenez garde que les uns les autres vous ne
vous consumiez. » C'est surtout ce funeste esprit de chicane et d'envie qui
nourrissait parmi eux des divisions déplorables, chacun parlant d'autrui et
cherchant sa propre gloire dans de vains triomphes ; habitudes fatales qui
détruisent la société humaine en y créant mille
partis. Mais comment échapper à ces vices, si on ne se conduit par l'esprit et
si on ne comprime les convoitises charnelles ? Aussi les premières et les plus
belles qualités de l'esprit sont l'humilité et la douceur : de là vient, comme
je l'ai rappelé déjà, que, le Seigneur s'écrie : « Apprenez de moi que je suis
doux et humble de coeur (2) ; » de la viennent aussi ces paroles d'un prophète :
« Sur qui repose mon Esprit, sinon sur l'homme humble, paisible et tremblant à
ma parole (3)? ».
46. La grâce, nécessaire à la
liberté (4). — Nous lisons ensuite : « La chair convoite contre l'esprit et
l'esprit contre la chair ; il sont en effet opposés l'un à l'autre, en sorte que
vous ne faites pas ce que vous voulez. » Ces derniers mots sont pour plusieurs-
l'occasion de croire que l'Apôtre nous refuse le libre arbitre ; mais ils ne
remarquent pas que l'Apôtre ne parle ainsi que
dans l'hypothèse où les Galates
ne voudraient pas conserver la grâce de la foi qu'ils ont reçue et qui leur est
nécessaire pour; suivre la direction de l'esprit et ne pas satisfaire les
convoitises de la chair; c'est dans le cas Ails rejetteraient cette grâce qu'ils
ne pourraient faire ce qu'ils veulent. Que veulent-ils en effet? Produire les
oeuvres de justice commandées par la Loi; mais ils sont vaincus par la
concupiscence de la chair et ils perdent, en s'y abandonnant, la grâce de la
foi. Aussi l'Apôtre écrivait- il encore aux Romains : « La prudence de la chair
est ennemie de Dieu ; car elle n'est point soumise à la Loi de Dieu et ne
saurait l'être (1). » Effectivement, la charité accomplit la Loi, et la prudence
de la chair en recherchant les avantages temporels, lutte contre la charité :
comment donc peut-elle être soumise à la Loi de Dieu, c'est-à-dire accomplir
avec plaisir et fidélité la justice sans la blesser en rien, puisque même en y
travaillant elle sera nécessairement vaincue, dès qu'elle apercevra pour elle un
plus grand avantage temporel dans l'iniquité que dans la fidélité à la justice ?
De même en effet que la première
vie de l'homme est antérieure à la promulgation de la Loi, et qu'alors aucune
iniquité et aucun acte de méchanceté ne lui étant interdits par personne, il ne
cherche sous aucun rapport à résister à ses passions déréglées; ainsi sa seconde
vie est la vie qu'il mène sous la Loi avant d'avoir reçu la grâce ; le péché lui
est alors interdit et il travaille à s'en abstenir, mais il est vaincu parce
qu'il n'aime pas encore la justice en vue de Dieu ni en vue d'elle-même et qu'il
n'en veut que comme d'un moyen pour se procurer les biens temporels. Si donc il
voit, d'un côté la justice et d'autre part une satisfaction temporelle, il est
entraîné par le poids même de sa passion pour les biens temporels, et il laisse
la justice ; il la laisse, puisqu'il né tenait à elle que pour se procurer ce
qu'il va perdre s'il y tient encore. Une troisième vie est la vie de la grâce;
il n'est alors aucun intérêt temporel qu'on préfère à la justice, ce qui ne peut
se faire que par l'amour spirituel que le Seigneur nous a enseigné par son
exemple et accordé par sa grâce. En effet, lors même que durant cette troisième
vie, on ressentirait encore ces désirs charnels qui ont leur principe dans la
fragilité d'un corps mortel, ils ne parviennent pas à triompher de l'âme en la
faisant consentir au péché. Le péché, de cette manière, ne règne plus dans notre
420
corps mortel (1); bien qu'il ne
puisse en être complètement banni, tant que ce corps reste un corps mortel.
L'empire du péché se détruit donc en nous, premièrement, quand nous obéissons
par l'esprit à la Loi de Dieu, quoique notre corps obéisse encore à la Loi du
péché (2), c'est-à-dire à l'inclination funeste qui est le châtiment du péché
même, dont nous ressentons l'impression dans nos organes, tout en refusant d'y
consentir. Ces impressions pourtant finiront par disparaître 'entièrement ; car
si l'Esprit de Jésus habite en nous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre
les morts, rendra aussi, en considération de l'Esprit qui demeure en nous, la
vie à nos corps mortels (3).
Maintenant donc il faut vivre
sous la grâce, pour faire dans notre esprit ce que nous voulons, bien que nous
ne puissions le faire encore dans notre chair; c'est-à-dire pour ne pas
consentir aux inclinations du péché jusqu'à lui abandonner nos organes comme des
instruments d'iniquité (4), bien que nous ne puissions anéantir complètement ces
impressions. De cette manière, si nous ne jouissons pas encore de cette paix
éternelle qui sera complète dans toutes les parties de notre être, nous
cesserons au moins d'être sous la Loi, d'être coupables de prévarication en
consentant au péché et en restant esclaves de la concupiscence de la chair; et
nous serons sous le règne de ta grâce, qui ne laisse peser aucune condamnation
sur ceux qui sont en Jésus-Christ (5), attendu que le châtiment est infligé, non
pas à celui qui combat, mais à celui qui se laisse vaincre.
47. Se conduire par l'Esprit
(6). — Il est donc logique que
l'Apôtre ajoute: « Si vous vous conduisez par l'Esprit, vous n'êtes pas sous la
Loi; » car c'est nous faire entendre qu'on est encore sous la Loi quand en
résistant à la chair l'esprit ne fait pas ce qu'on veut, quand on ne se tient
pas invisiblement attaché à l'amour de la justice et qu'on se laisse vaincre par
les convoitises de la chair (7), quand non-seulement
la chair résiste à ta loi de l'esprit mais que de plus elle asservit à la loi du
péché, laquelle est dans nos membres (8). Quand en effet on ne se tondait
point par l’esprit, on se conduit nécessairement par la chair. Or ce qui
est condamnable, ce n'est pas de ressentir les résistances de la chair, c'est de
se conduire par la chair. Aussi l'Apôtre
dit-il : « Si vous vous
conduisez par l'esprit, « vous n'êtes plus sous la Loi. » De fait il n'a pas dit
plus haut non plus : «Conduisez-vous par
l'esprit, » et ne ressentez point les convoitises de la chair; mais : «
N'accomplissez point les désirs de la chair (1). » Car ne ressentir plus ces
convoitises, ce n'est plus combattre, c'est avoir remporté la victoire en
persévérant dans la fidélité à la grâce et être couronné, puisque le corps, une
fois devenu immortel, n'éprouvera plus ces impressions charnelles.
48. Les oeuvres de la chair
(2). — L'Apôtre
fait ensuite l'énumération des oeuvres de la chair, afin de faire comprendre que
si on consent à suivre ces désirs charnels on se conduit parla chair et non par
l'esprit. « Or on connaît aisément les oeuvres de la chair, dit-il; ce sont la
fornication, l'impureté, le culte des idoles, les empoisonnements, les
inimitiés, les contestations, les colères, les jalousies, les dissensions, les
hérésies, « les envies, les ivrogneries, les débauches et autres vices
semblables; et je déclare, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui les commettent
ne posséderont point le royaume de Dieu. » Mais on les commet quand en cédant
aux passions de la chair on consent à les accomplir, lors même qu'on n'en est
pas capable. Supposé au contraire que malgré les impressions mauvaises on
demeure invinciblement attaché à la charité victorieuse, et que loin de faire le
mal extérieurement on n'y donne même pas son consentement intérieur, alors on ne
commet pas ces désordres et on parviendra au royaume de Dieu. Dans ce cas en
effet le péché ne règne pas dans notre corps mortel jusqu'à nous faire obéir à
ses convoitises ; quoique cependant il y habite, puisque n'y sont point éteints
ces penchants naturels avec lesquels nous sommes nés pour mourir, ni ces autres
penchants que nous y avons ajoutés par notre propre conduite, lorsqu'en péchant
nous avons accru le péché et la condamnation qui pesait sur nous depuis notre
origine. Car autre chose est de ne pécher pas, et autre chose de n'avoir pas le
péché en soi. Nous ne péchons pas, lorsque le péché ne règne pas en nous,
c'est-à-dire lorsque nous n'en suivons pas les inclinations; mais n'avoir plus
même en soi ces inclinations, c'est faire plus que de ne pécher pas, c'est
n'avoir pas en soi le péché. Si l'on peut durant cette vie atteindre sous
plusieurs rapports
424
à ce degré de perfection, on n'y
parviendra néanmoins sous tous rapports qu'à la résurrection de la chair et à la
transformation de nos organes.
« Je vous déclare, dit l'Apôtre,
comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent ces désordres ne posséderont
pas le royaume de Dieu : » on peut ici se demander dans quelle circonstance il a
fait cette déclaration, car il n'en est pas question dans cette Épître. Il l'a
donc faite de vive voix, ou bien il savait que les Galates avaient reçu l'Épître
adressée par lui aux Corinthiens. Il y dit en effet : « Ne vous abusez point :
ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni
les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les
médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu (1). »
49. Les oeuvres de l'esprit
(2). — Il était naturel qu'après
avoir rappelé ces œuvres de la chair, auxquelles est fermé le royaume de Dieu,
il rappelât aussi les œuvres de l'esprit, qu'il nomme les fruits de l'esprit. «
Au contraire, dit-il donc, les fruits de l'esprit sont : la charité, la joie, la
paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la foi, la mansuétude, la
tempérance. » Il ajoute : « Contre de
pareilles choses il n'y a point de loi; » c'est pourrions faire comprendre que
nous sommes sous la Loi, si ces vertus ne règnent pas en nous. Y règnent-elles?
Nous usons légitimement de la Loi, car la Loi n'est pas alors destinée à nous
réprimer; du reste la justice a pour nous des charmes meilleurs et plus
puissants. Voici en effet ce que saint Paul écrit à Timothée : « Nous savons que
la Loi est bonne, si on en use légitimement ; reconnais que la Loi n'est pas
imposée au juste, mais que c'est aux injustes et aux insoumis, aux impies et aux
pécheurs, aux scélérats et aux débauchés, aux assassins de père ou de mère, aux
homicides, aux fornicateurs, aux sodomites, aux voleurs d'esclaves, aux
menteurs, aux parjures et aux autres coupables que condamne la saine doctrine
(3); » sous-entendez ici : que la Loi est imposée. Ainsi donc, les fruits de
l'esprit règnent dans un homme, quand en lui ne règnent pas les péchés. Or ces
fruits excellents y règnent quand ils charment assez pour retenir le coeur au
moment des tentations et pour l'empêcher de tomber en consentant au péché. Il
est nécessaire en effet que nous agissions conformément à ce qui nous
charme le plus. Exemple : Voici
devant quelqu'un l'image d'une belle femme, elle provoque des mouvements
charnels ; mais si la beauté intime, si la pureté de la chasteté nous charme
davantage, nous y conformons alors notre vie et nos oeuvres, avec la grâce que
donne la foi au Christ ; et le péché ne régnant plus en nous jusqu'à nous faire
céder à ses impressions, la justice au contraire y exerçant son empire, nous
faisons avec plaisir tout ce que nous savons être agréable à Dieu dans cette
vertu. Ce que j'ai dit de la chasteté et du vice contraire, j'ai entendu qu'on
l'applique à tous les autres cas.
50. Enumérations diverses.
— On pourrait s'étonner de voir, soit que les oeuvres de la chair ne figurent
ici ni dans le même nombre ni dans le même ordre que présente l'Épître aux
Corinthiens ; soit que les oeuvres spirituelles opposées aux vices charnels
soient moins nombreuses que ces derniers ; soit enfin qu'à chaque vice ne
corresponde pas exactement la vertu contraire, comme à la fornication correspond
la chasteté, la pureté à l'impureté. Mais l'Apôtre n'a pas entrepris de faire
connaître le nombre, il a voulu plutôt indiquer la nature des vices à fuir et
des vertus à rechercher. Aussi en se servant des termes de chair et d'esprit
entendait-il nous porter à éviter le péché et le châtiment du péché pour nous
attacher à la grâce du Seigneur et à sa justice ; il craignait qu'en abandonnant
durant la vie cette grâce qui a déterminé le Seigneur à mourir pour nous, nous
ne parvinssions pas à l'éternel repos où pour nous aussi vit le Seigneur ; et
qu'en ne comprenant point la portée du châtiment temporel que le Seigneur a
daigné souffrir, pour nous dompter, en, endurant la mort dans sa chair, nous ne
vinssions à tomber au milieu des châtiments éternels préparés à l'orgueil qui
continue ses révoltes contre Dieu. Voilà pourquoi, après avoir rappelé plusieurs
des œuvres de la chair, il ajoute : « Et autres vices semblables ; » montrant
assez, par ces paroles, qu'il n'a point voulu faire une énumération bien exacte,
mais indiquer seulement et sans gène ce qui se présentait à lui. Il fait de même
quand il est question des fruits de l'esprit ; il ne dit pas Contre ces choses,
mais : « Contre de pareilles choses il n'y a pas de loi ; » en d'autres termes,
il n'y en a ni contre ce que je viens de rappeler, ni contre les vertus
semblables.
51. Rapports entre les vices
de la chair et les fruits de l'Esprit dont parle saint Paul.
422
— Néanmoins si on y regarde de près, on reconnaîtra qu'il
ne manque ni ordre ni règle dans l'opposition signalée entré
les vices de la chair et les fruits de l'esprit. Si les rapports ne frappent pas
d'abord, 'est qu'il n'y a parfois qu'une chose opposée à plusieurs autres. Mais
en voyant figurer, en tête des vices charnels, la fornication , et la charité en
tête des vertus spirituelles, quel homme appliqué à l'étude des saintes Lettres
ne se sent excité à sonder les mystères qui sont ici renfermés ? Qu'est-ce que
la fornication ? C'est l'amour qui se détache d'une union légitime, et qui court
chercher ailleurs des satisfactions charnelles. Mais qu'y a-t-il d'aussi
légitimement uni à Dieu, que l'âme puisant en lui la fécondité spirituelle ?
Elle est d'autant plus pure qu'elle s'attache à lui plus inviolablement. Or cet
attachement.est l'oeuvre de la charité. La charité seule conservant ainsi la
chasteté de l'âme, est-ce sans motif que saint Paul l'oppose à la fornication ?
Les troubles qui naissent dans l'âme à la suite de l'acte de fornication sont de
véritables impuretés ; aussi bien l'Apôtre oppose-t-il à 1'impureté la joie d'un
coeur tranquille. L'idolâtrie est la dernière des prostitutions de l'âme ; et
c'est pour la soutenir qu'a été déclarée à l'Evangile et aux hommes déjà
réconciliés avec Dieu, cette guerre furieuse dont les flammes, depuis longtemps
éteintes, se rallument pourtant encore. A l'idolâtrie est par conséquent opposée
la paix qui nous remet en grâce avec Dieu ; et en gardant cette paix dans nos
rapports avec les hommes, nous nous corrigeons des péchés d'empoisonnements,
d'inimitiés, de contestations, de jalousies, de colères et de dissensions. De
même, quand il s'agit de nous conduire, avec la justice et les égards
convenables,: dans nos rapports avec les hommes au milieu desquels nous vivons,
la patience nous aide à les supporter ; la bienveillance, à en prendre soin ; et
la bonté, à leur pardonner. A quoi bon ajouter que la foi résiste aux hérésies,
la douceur à l'envie, la tempérance à l'ivrognerie et à la débauche?
52. Différence entre la
jalousie et l'envie. — Qu'on ne
confonde, pas l'envie et la jalousie ; il y a entre elles des points de contact
et pour ce motif on les prend souvent l'une pour l'autre, la jalousie pour
l'envie et l'envie pour la jalousie. Cependant comme ces deux passions ont ici
chacune sa place, nous devons les distinguer. La jalousie est un chagrin que
l'âme éprouve de voir quelqu'un parvenir à ce que deux ou même plusieurs
convoitaient, quand un seul pouvait y arriver. Elle trouve son remède dans la
paix chrétienne, qui nous porte à désirer ce qui ne fait que nous unir lorsque
tous nous y parvenons. Pour l'envie, elle est aussi un chagrin que l'âme
éprouve , mais lorsqu'elle voit celui qu'elle en
répute indigne obtenir ce qu'elle même ne convoite pas. Son remède est dans la
douceur, qui rapporte tout au jugement de Dieu sans résister
jamais à sa volonté et qui croit bien ce qu'il a fait plutôt que de s'en
rapporter à son appréciation personnelle.
53. Le crucifiement et
l'amour (1). — « Quels sont ceux
qui ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises ? » L'Apôtre
le dit ensuite : « Ce sont ceux qui vivent en Jésus-Christ. » Comment sont-ils
arrivés à ce crucifiement, sinon par cette crainte chaste qui subsiste dans les
siècles des siècles (2), ce qui nous tient sur nos gardes pour n'offenser pas
Celui que nous aimons de tout notre coeur, de toute notre âme et de tout notre
esprit? L'épouse adultère a peur que son mari n'ait l'oeil sur elle, et l'épouse
chaste, qu'il ne s'éloigne: ce n'est pas.la même crainte, l'une s'affligeant de
la présence de son époux, et l'autre de son absence. Aussi la première espèce de
crainte est une crainte corrompue, elle ne veut pas aller au delà de cette vie;
l'autre est chaste et subsiste pendant l'éternité. C'est par cette dernière que
le prophète demande à être cloué à la croix quand il dit: « Pénétrez mes chairs
de votre crainte (3) ; » et cette croix est celle dont parle le Seigneur quand
il s'écrie : « Prends ta croix et me suis (4). »
54. La vie de l'esprit
(5). — « Si nous vivons par
l'esprit, poursuit saint Paul, recherchons aussi par l'esprit. » Il est évident
que notre vie est en rapport avec ce que nous recherchons, et que nous
rechercherons ce que nous aimerons. Par conséquent si se
trouvent en présence, d'une part ce que commande la justice, d'autre part
ce qui flatte les penchants charnels et qu'on aime l'un et l'autre, on se
portera à ce qu'on aimera davantage. L'attrait est-il égal? On ne se portera à
rien, mais on sera entraîné quelque part par la crainte ou même malgré soi. La
crainte aussi est-elle égale ? On restera sûrement exposé au danger, flottant
alternativement au souffle de l'amour et au souffle de la crainte. Ah !
que la paix du Christ l'emporte alors dans nos coeurs
(6).
423
Car en ce cas nous prierons, nous gémirons, nous
appellerons à notre aide la main secourable de la divine miséricorde, et Dieu ne
méprisera point le sacrifice de nos coeurs contrits, et en nous montrant
l'horrible danger dont il nous aura délivrés, il accroîtra en nous les feux de
son amour. L'erreur des faux frères, c'est que dans l'impossibilité de nier
qu'ils dussent rechercher l'Esprit-Saint, l'auteur et le guide de leu liberté,
ils ne croyaient pas qu'ils travaillaient à reculer, en revenant charnellement
aux oeuvres serviles. Aussi l'Apôtre ne dit-il pas : « Si nous « vivons par
l'esprit, » recherchons l'esprit, mais « Recherchons par l'esprit.» Ils étaient
d'accord qu'on est obligé d'obéir à l'Esprit-Saint; mais ils voulaient
s'attacher à lui, non par leur esprit, mais par la chair, non pas en recherchant
la grâce de Dieu par des moyens spirituels, mais en mettant l'espérance de leur
salut dans la circoncision charnelle et les autres observances du même genre.
55. Eviter la vaine gloire
(1). — « Ne devenons pas avides d'une gloire vaine, envieux les uns des autres,
nous provoquant les uns les autres. » Voilà qu vient à propos et divinement bien
: après avoir prémuni les Galates contre les faux docteurs qui cherchaient à les
ramener sous l'esclavage de la Loi, il craint que plus éclairés maintenant et
pour répondre aux attaques de ces hommes charnels ils ne se livrent aux
contestations; il craint aussi que déchargés des pratiques onéreuses de la Loi,
le désir d'une gloire vaine ne les rende esclaves de vaines convoitises.
56. Correction fraternelle :
dans quel esprit il faut la faire (2). — Rien ne prouve qu'un homme est
spirituel comme la correction qu'il fait du péché d'autrui en cherchant plutôt à
l'en délivrer qu'à l'humilier, à lui venir en aide qu'à le confondre, et en le
faisant autant qu'il le peut. Aussi l'Apôtre dit-il : « Mes frères, si un homme
est surpris dans quelque faute, vous qui êtes spirituels, relevez-le. » Mais on
ne doit pas s'imaginer que le relever c'est le blâmer pour sa faute avec
insolence et dérision, ni le repousser avec orgueil comme un incurable ; c'est
pourquoi saint Paul ajoute : « En esprit de douceur et veillant sur toi-même, de
peur que toi aussi tu ne sois tenté. » Rien effectivement ne dispose tant à la
miséricorde que la pensée de ses propres dangers.
Ainsi donc l'Apôtre veut et
qu'on ne manque
pas au devoir de la correction
fraternelle, et qu'on évite les batailles. Combien veulent disputer sitôt qu'ils
sont éveillés, et cherchent à se rendormir quand ils ne sauraient plus
disputer ! L'idée du danger commun doit donc maintenir dans le coeur la paix et
la charité; quant à la manière de reprendre, soit plus vivement soit plus
doucement, elle doit se régler sur ce que semble demander la guérison du malade
qu'on a entrepris. Aussi bien est-il dit ailleurs : « Un
serviteur de Dieu ne doit pas disputer, mais être doux envers tous,
capable d'enseigner, patient. » Qu'on ne croie pas toutefois que la patience
doive empêcher de reprendre le prochain lorsqu'il s'égare, car if est dit encore
: « Et reprendre modestement ceux qui s'éloignent de la vérité (1). » Comment
allier ces deux mots : reprendre, modestement, sinon en gardant la douceur dans
le coeur, tout en
jetant sur la plaie quelque parole vive et pénétrante pour la guérir?
On ne doit pas, me semble-t-il,
entendre différemment ce passage de la même Epître « Prêche la parole, insiste à
temps, à contre-temps, reprends, exhorte, menace
avec toute patience et doctrine (2). » A temps est assurément le
contraire de à contre-temps. Or aucun remède
ne saurait guérir s'il n'est appliqué à temps. Cependant on pourrait unir les
mots autrement et lire : « Insiste à temps, reprends à
contre-temps ; » et continuer ensuite : « Exhorte, reprends avec toute
patience et doctrine. » De cette manière on semblerait parler à temps; lorsqu'on
s'appliquerait à édifier, et on ne se soucierait pas, en réprimant les
désordres, de paraître agir à contre-temps, quand on
parle à propos pour les malades qu'on veut guérir. De cette manière encore on
pourrait rapprocher de ces deux adverbes les deux verbes qui suivent, et dire: «
Exhorte, » en insistant à temps ; « menace, » en reprenant à contretemps ; puis
en intervertissant l'ordre, les deux substantifs qui viennent immédiatement
après
« Avec toute patience, » pour souffrir l'indignation de
ceux qu'on réprimande ; « et toute doctrine, » pour relever les affections de
ceux que l'on édifie.
Toutefois, lors même qu'on
lirait ces mots comme on les lit le plus ordinairement et comme si l'Apôtre
avait écrit : « Insiste à temps, » et si tu ne gagnes rien, « à contre temps; »
jamais
on ne doit se départir pour
soi-même de l'occasion convenable, et à « contre-temps »
signifiera simplement qu'on paraît importun à celui qu'on corrige et qui
n'entend pas volontiers ce qu'on lui reproche, bien qu'on sache soi-même que la
réprimande se fait à temps et qu'on l'aime, qu'on prend soin de son salut avec
un cœur plein de douceur, de retenue et de charité fraternelle. Combien n'y en
a-t-il pas qui songeant ensuite à ce qu'on leur a dit, à la justesse des
reproches qui leur ont été adressés, se reprennent plus fortement et plus
sévèrement eux-mêmes ! Ils paraissaient irrités en s'éloignant du médecin; mais
l'énergie de sa parole les pénétrant jusqu'à la moëlle
des os, ils se trouvent guéris. Or ils ne le seraient pas, si pour traiter un
malade dont les membres se gangrènent, nous attendions qu'il nous demandât de
bon cœur de porter sur lui le fer ou le feu. Tout en agissant en vue d'une
récompense terrestre, les médecins du corps n'attendront pas toujours ce moment
eux-mêmes. Est-il beaucoup de malades qu'ils ne doivent lier avant de leur
appliquer soit le feu soit le fer ? N'en est-il pas moins encore qui' se
laissent lier volontairement. La plupart en effet résistent, ils crient qu'ils
préfèrent la mort plutôt qu'une guérison obtenue par ces moyens; on n'enchaîne
pas, moins tous leurs membres, en leur laissant à peine la liberté de la langue
; puis sans consulter leur volonté propre ni celle du.
malade qui se débat, mais les prescriptions de l'art, ces médecins
travaillent sans que les cris ni les injures du patient puissent émouvoir leur
coeur, ni arrêter leur main. Et des ministres qui sont chargés d'exercer une
médecine toute céleste, ne veulent regarder qu'au
travers d'une poutre haineuse la paille qui est dans l'oeil de leur frère (1),
ou bien ils trouveront plus supportable la mort de ce pauvre pécheur, que
quelque parole d'indignation proférée contre eux ! Ah ! il
n'en serait pas ainsi, si pour guérir l'âme d'autrui notre âme était aussi saine
que le sont les mains des médecins qui opèrent sur nos membres.
51. Nécessité de la charité
pour faire la correction fraternelle. — Jamais
donc il ne nous faut entreprendre de corriger la faute d'autrui qu'après avoir
interrogé, examiné les replis de notre conscience et avoir pu nous répondre
sincèrement devant Dieu que nous n'agissons que par amour. Les outrages, les
menaces, les persécutions
mêmes de celui que tu reprends
parviennent-elles à te blesser le coeur ? Si tu crois le malade susceptible
encore d'être guéri par toi, ne réponds rien avant de t'être guéri d'abord ; il
serait à craindre que sous l'impression de tes mouvements naturels tu ne
consentisses à le blesser, à faire de ta langue un instrument d'iniquité pour
commettre le péché (1), pour rendre mal pour mal et outrage pour outrage (2).
Car toute parole qui viendrait de ton cœur blessé, serait plutôt un acte de
vengeance qu'une correction charitable. Aime donc, et dis ce que tu voudras ; et
ce qui semblerait une injure n'en sera nullement une, si tu te rappelles, si tu
te persuades intimement que tu n'es armé du glaive de la parole de Dieu que pour
délivrer ton frère des vices qui font assaut sur lui. Si cependant, ce qui n'est
pas rare, après avoir entrepris avec amour et après avoir commencé avec un cœur
tout pénétré d'affection, cet acte de charité, il s'est élevé en toi durant
l'action même, et pendant que le malade te résiste, un sentiment qui te détourne
de la pensée de le guérir et qui t'irrite plutôt contre lui-même,-répands
ensuite des larmes pour laver cette tache, et souviens-toi bien, ce qui est fort
salutaire, qu'il faut d'autant moins nous enorgueillir à la vue des péchés
d'autrui, que nous en faisons nous-mêmes en les reprenant, puisque la colère
nous porte plutôt à la colère, que la misère à la compassion.
58. Que comprend la Loi du
Christ (3) ? — « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez
ainsi la Loi du Christ : » sans aucun
doute la Loi de charité. Mais si aimer le prochain
c'est accomplir la Loi; si de plus les livres de l'ancien Testament recommandent
avec instance cet amour du prochain (4), en qui saint Paul dit ailleurs que se
résument tous les préceptes de la Loi (5) ; il s'ensuit évidemment que la partie
même de l'Ecriture qui a été donnée à l'ancien peuple appartient à cette Loi du
Christ, que le Christ est venu faire accomplir par la charité, puisque la
crainte n'y suffisait pas (6). Par conséquent c'est partout la même Ecriture et
partout le même précepte, prenant le nom d'ancien Testament, lorsqu'il pèse sur
les esclaves aspirant à la possession des biens terrestres, et le nom de nouveau
Testament, lorsqu'il relève les coeurs libres qui sont embrasés d'amour pour les
biens éternels.
425
59. Se défier des louanges
(1). — « Car si quelqu'un s'estime
être quelque chose; comme il n'est rien il s'abuse lui-même. » Ce n'est pas des
flatteurs, c'est de lui-même plutôt qu'il est dupe ;
puisqu'étant plus près de lui-même qu'ils ne le sont, il préfère se voir
en eux plutôt qu'en lui Or, que dit l'Apôtre? « Que chacun éprouve ses propres
oeuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans un autre; »
en lui-même, dans le secret de sa conscience; et non dans un autre,
non dans celui qui le flatte. « Car chacun portera son fardeau. » Conséquemment
ce ne sont pas tes flatteurs qui allégeront les charges de notre conscience
plaise même à Dieu qu'ils n'y ajoutent pas, puisque trop souvent, pour ne pas
restreindre en les offensant les louanges qu'ils nous donnent, nous négligeons
de les guérir en les reprenant, ou même nous étalons avec jactance devant eux
quelques-uns de nos avantages, plutôt que de les montrer dans notre vie par la
constance. Je ne dis rien ici des mensonges ni des inventions qu'on fait sur son
propre compte pour s'attirer des louanges humaines. Est-il rien de plus
ténébreux que cet aveuglement? Comment ! chercher à
tromper4es hommes pour obtenir une gloire si vaine! ce
n'est pas tenir compte de Dieu dont le regard plonge dans le coeur . Y a-t-il
même aucune comparaison à établir entre l'erreur de cet homme qui te croit bon,
et l'égarement auquel tu t'abandonnes lorsque tu cherches à lui plaire par des
vertus imaginaires, tout en déplaisant à Dieu par des défauts trop réels ?
60. On doit le nécessaire à
l'Apôtre (2). — Le reste me parait très-facile à
expliquer. L'ordre donné au fidèle d'assurer le nécessaire au prédicateur qui
lui annonce la parole de Dieu, revient souvent en effet. Mais il fallait exciter
les Galates à multiplier les bonnes oeuvres, à servir le Christ dans sa
pauvreté, afin d'être un jour à sa droite avec les agneaux, à faire plus enfin
pour l'amour de la foi, qu'ils n'avaient pu faire par crainte de la Loi. Or
personne n'était plus à même que l'Apôtre de rappeler avec assurance ce devoir,
puisqu'il vivait du travail de ses mains (3), et qu'il ne voulait pas qu'on
accomplit en sa faveur cette obligation ; montrant ainsi avec plus d'autorité,
qu'il avait plus en-vue l'avantage de ceux qui
donneraient que l'utilité de ceux qui recevraient.
61. L'éternelle moisson
(1). — S'il ajoute ensuite : « Ne
vous y trompez pas: on ne se rit point de Dieu, »
c'est qu'il sait combien d'affreux propos on entend de la bouche des hommes qui
se perdent, lorsqu'on vit dans la foi aux choses invisibles ; lorsque tout en
voyant les bonnes oeuvres que l'on sème, on ne voit pas la moisson qu'elles
produisent. Ce qui est promis d'ailleurs, ce n'est pas une récolte de la nature
des moissons de la terre, puisque le juste vit de la foi (2). « Celui, dit
l'Apôtre, qui aura semé dans sa chair, en recueillera la corruption. » Ceci
s'applique à ceux qui aiment les plaisirs plus qu'ils n'aiment Dieu. Car c'est
semer dans la chair que de ne rien faire, même ce qui
paraît bien, que dans le dessein de procurer le bien-être au corps. « Mais celui
qui sème dans l'esprit, en recueillera la vie éternelle. » Semer dans l'esprit,
c'est faire avec foi et charité ce que demande la justice, sans suivre les
désirs coupables qui surgissent même du soin de ce corps mortel. Quant à la
moisson de l'éternelle vie, elle aura lieu lorsque l'ennemie dernière, lorsque
la mort sera détruite, lorsque ce corps mortel sera absorbé parla vie, lorsque,
corruptible, il sera revêtu d'incorruptibilité.
Maintenant donc qu'en vivant sous la grâce nous sommes au
troisième degré de vie; nous semons dans les larmes, en ne consentant pas, en
résistant aux désirs que soulève en nous le corps animal, afin de moissonner
dans la joie au moment où ce corps étant transfiguré, nous n'éprouverons plus,
de la part de qui que ce soit, ni chagrin ni danger. Car notre corps lui-même
est considéré comme une semence. « Il est semé corps animal, » dit ailleurs le
même Apôtre; mais c'est pour ajouter, comme allusion à la moisson : « Il
ressuscitera corps spirituel (3). » Pensée déjà exprimée par ces mots d'un
prophète : « Qui sème dans les larmes, moissonnera dans la joie (4). »
Cependant il est plus facile de
bien semer, c'est-à-dire de bien commencer, que de persévérer dans le bien. La
récolte en effet encourage à travailler; ruais c'est pour ta fin seulement de
notre vie qu'on nous promet la récolte ; il faut donc de la persévérance. Aussi,
« quiconque persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.» Un prophète crie
également : «Attends le Seigneur, et agis avec courage ; fortifie-toi le coeur
et attends le Seigneur (6). » C'est ce qu'enseigne
426
l'Apôtre : « Ne nous lassons
point, dit-il, en faisant le bien ; car nous moissonnerons sans nous lasser
lorsque le temps sera venu. Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps,
faisons du bien à tous, surtout à ceux qui sont de la famille de la foi. » Quels
sont ceux qu'il désigne ici, sinon les chrétiens? A tous en effet nous devons
souhaiter la vie éternelle, mais nous ne pouvons rendre à tous les mêmes devoirs
de charité.
62. Lâcheté des faux docteurs
(1). — Après avoir enseigné que les œuvres réellement salutaires de la Loi,
c'est-à-dire les oeuvres morales, ne peuvent s'accomplir qu'avec l'amour
spirituel et non pas avec la crainte servile, l'Apôtre revient à ce qui fait le
sujet de toute cette Épître : « Vous voyez, dit-il, quelle lettre je vous ai
écrite de ma propre main. » C'est par crainte qu'en publiant une lettre sous son
nom on ne vienne à duper les simples. Il ajoute : « Ceux qui vous poussent à
vous faire circoncire sont des hommes qui veulent plaire selon la chair et qui
n'ont en vue que de ne pas souffrir persécution pour la croix du Christ. » Les
Juifs en effet persécutaient à outrance ceux qui paraissaient abandonner leurs
traditions d'observances charnelles. L'Apôtre montre
combien peu il les redoute en écrivant cette lettre de sa propre main; mais il
indique en même temps combien la crainte a d'influence sur ces esclaves des
pratiques légales qui poussent les Gentils à se faire circoncire. —
« Et eux qui se font circoncire, ne gardent pas la Loi. » Par cette Loi
qu'ils ne gardent pas il entend ici celle qui défend de tuer, de commettre
l'adultère, de faire de faux témoignage, et qui renferme les autres
prescriptions évidemment relatives à la morale; car, nous l'avons déjà dit, on
ne saurait l'accomplir qu'autant que l'on a la charité, et l'espérance de ces
biens éternels que fait connaître la foi. —
Ils veulent vous faire circoncire, poursuit saint. « Paul, pour se
glorifier en votre chair; » c'est-à-dire, non seulement afin d'échapper aux
persécutions des Juifs, qui ne souffraient pas qu'on livrât la Loi à des
incirconcis, mais encore afin de se glorifier devant eux de faire de nombreux
prosélytes; car les Juifs, pour faire un seul prosélyte, auraient sillonné la
mer et la terre, leur disait le Sauveur (2). —
« Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la
croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui
le monde m'est crucifié et moi
au monde. — Le monde, m'est
crucifié, » il ne peut rien sur moi ; « Et moi au monde, n je ne tiens pas à
lui; en d'autres termes encore : Le monde ne saurait me nuire et moi je n'ai
rien à désirer de lui. Or, quand on se glorifie de la croix du Christ, on ne
cherche pas à plaire en vue d'avantages naturels, car on ne craint pas les
persécutions des hommes charnels, qu'a endurées le premier jusqu'à mourir sur la
croix, Celui qui a voulu donner par là un grand exemple à ses disciples.
63. La créature nouvelle
(1). — « La circoncision n'est rien,
ni l'incirconcision. » C'est toujours la même indifférence où l'on doit être
relativement à cette pratique. On ne doit donc pas croire qu'il y a eu
dissimulation dans l'Apôtre lorsqu'il a fait circoncire Timothée, ni qu'il y en
aurait si pour ce motif il consentait à laisser circoncire quelqu'un encore. Ce
n'est pas la circoncision en elle même, c'est l'espoir qu'on y met pour le
salut, qui nuit aux croyants. On voit en effet, dans les Actes des Apôtres, des
Juifs pousser à la circoncision en prétendant que sans ce moyen les Gentils
devenus chrétiens ne pouvaient parvenir au salut (2). ainsi
ce n'est pas dans l'acte en lui-même, c'est dans ferreur qu'on on y attache, que
l'Apôtre voit du danger. « La circoncision n'est rien, ni l’incirconcision, mais
la créature nouvelle. » Nouvelle créature désigne ici la vie nouvelle que donne
la foi en Jésus-Christ. Cette expression est à remarquer ; car il serait
difficile de voir désigner sous ce nom de créature
ceux-mêmes qui par la foi sont déjà devenus
les enfants adoptifs de Dieu. Cependant l'Apôtre dit également ailleurs: « Si
donc quelqu'un est uni à Jésus-Christ, il est une créature nouvelle ; les choses
anciennes ont passé : voilà que tout est devenu nouveau, et ce tout vient de
Dieu (3). » Mais quand il écrit : « Et la créature elle-même sera affranchie de
la servitude de la corruption, » en ajoutant ensuite : «
Non-seulement elle, mais c nous aussi, qui avons les prémices de l'Esprit
(4); » saint Paul distingue les fidèles de ce qu'il appelle la créature. C'est
ainsi que tantôt il dit qu'ils sont des hommes et tantôt qu'ils n'en sont pas.
N'est-il pas vrai que par manière de reproche il dit ,
quelque part aux Corinthiens qu'ils sont des nommes ? Voici ses paroles: «
N'êtes-vous pas des hommes et ne vous conduisez-vous pas en hommes (5) ? » C'est
ainsi encore
427
qu'il dit de Notre-Seigneur
ressuscité qu'il n'est pas un homme; car nous avons lu, dès le commencement de
cette Épître : « Non de la part des
hommes, ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus-Christ (1); » ailleurs
pourtant, qu'il est un homme, comme dans ce passage : « Il n'y a qu'un seul
Dieu, ni qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2).
»
« Quant à tous ceux qui suivent
cette règle, pax et miséricorde sur eux, ainsi que sur l'Israël de Dieu; »
c’est-à-dire sur ceux qui se préparent véritablement à voir Dieu, et non sur
ceux qui portent ce nom d'Israël sans chercher à voir le Seigneur, aveuglés
qu'ils sont par la chair quand, rejetant sa grâce,
ils 'aspirent à rester des esclaves dans le temps.
64. Stigmates de saint Paul
(3). — Au reste, « que personne ne
me fasse de la peine. » Il ne veut pas qu'on le fatigue par des contestations
turbulentes à propos d'une question suffisamment éclaircie dans cette Épître et
dans l'Épitre aux Romains. « Car, je porte sur mon corps les stigmates de
Jésus-Christ notre Seigneur : » en d'autres termes, j'ai avec ma chair d'autres
conflits et d'autres luttes; elles s'élèvent contre
moi durant les persécutions
auxquelles je suis en butte. Les stigmates sont des traces de châtiments
infligés à des esclaves. L'un d'eux, par exemple, a-t-il été mis aux fers ou
condamné à d'autres peines semblables pour un manquement ou pour une faute ?
il porte des stigmates; aussi a-t-il moins de droit à
être mis en liberté. L'Apôtre donc appelle stigmates
ce qui était comme la marque des persécutions qu'il endurait. Il les regardait
comme le châtiment qu'il méritait pour avoir persécuté les Eglises du Christ.
Aussi le Seigneur lui-même avait-il dit à Ananie, au
moment où celui-ci le redoutait comme un persécuteur des chrétiens : « Je lui
montrerai ce qu'il faut qu'il souffre pour mon nom (1). » Toutefois, comme il
avait reçu dans le baptême la rémission de tous ses péchés, toutes ces
persécutions, loin de lui nuire, préparaient pour lui la couronne de la
victoire.
65. Signature de l'Épître
(2). — La conclusion de cette Épître
est aussi claire que le serait une signature; aussi l'emploie-t-il également
dans quelques unes de ses autres lettres : « La grâce de Notre-Seigneur
Jésus-Christ soit avec votre esprit, mes frères. Amen. »
Traduction de M.
l'abbé RAULX.
Haut du document
|