HEXAËMÉRON I

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HOMÉLIE PREMIÈRE. AU COMMENCEMENT DIEU CRÉA LE CIEL ET LA TERRE. ( Genèse. 1. 1. )

 

SOMMAIRE.

 

SAINT Basile a prononcé ces homélies le matin et le soir. Dans cette première, prononcée le matin , après avoir fait un bel éloge de Moise auteur de la Genèse , il entreprend d'expliquer ces mots : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Il détruit en passant les principales erreurs des philosophes qui attribuaient le monde à différentes causes ; il fait voir que Dieu seul est la cause du monde; qu'il a été créé par Dieu; qu'il a eu un commencement, et qu'en conséquence il aura une fin; que le monde n'est donc pas éternel , quoique des philosophes aient prétendu le contraire. L'orateur conjecture qu'avant ce monde visible , il existait un monde invisible, éclairé d'une lumière céleste , propre à des êtres purement spirituels : il dit qu'à ce monde a été ajouté un monde visible, propre à des êtres qui s'engendrent et se dissolvent. Il expose les différentes acceptions du mot grec arché, commencement ou principe , et il prouve que ces acceptions diverses conviennent toutes ara premières paroles de Moïse. Le monde est un ouvrage subsistant, ex-posé aux regards des hommes pour qu'ils en admirent l'Ouvrier suprême. Dire que Dieu a créé le ciel et la terre, les deux extrêmes du monde , c'est dire conséquemment qu'il a créé les êtres intermédiaires, les éléments de l'eau, de l'air et du feu. En vain on chercherait la vraie nature, la véritable essence du ciel et de la terre; les assertions des philosophes sur ce point ne prouvent que la faiblesse de leur intelligence. En vain on examinerait sur quel fondement porte la masse énorme de la terre ; il faut toujours en revenir à dire que c'est la main de Dieu qui la soutient. Les explications que les philosophes ont voulu donner de toutes ces difficultés ne sont nullement satisfaisantes, et nous devons nous en tenir à ces paroles de Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

 

RIEN de plus convenable, lorsqu'on se propose de raconter la manière dont a été formé ce monde

 

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visible , que de commencer avant tout par annoncer le principe des êtres dont la beauté frappe nos regards. Je parlerai de la création du ciel et de la terre, qui ne doivent pas leur existence au hasard, comme plusieurs l'ont pensé, mais à la sagesse d’un Dieu tout-puissant. Comment doit-on écouter d'aussi importants objets ? comment doit-on se préparer à entendre d'aussi grands récits ? il faut se présenter avec une âme épurée des passions charnelles et dégagée des soins de la vie. Il faut un esprit éveillé, attentif, qui se soit étudié à se remplir de pensées dignes de Dieu.

Mais avant que d'examiner combien les paroles de l'Ecriture sont exactes, et de chercher quels sens sont renfermés dans le peu de mots par où nous avons débuté, considérons quel est celui qui nous parle. Encore que nous ne puissions pas, vu la faiblesse de notre intelligence, pénétrer la profondeur de l'écrivain ; cependant , lorsque nous ferons attention combien il mérite notre croyance, nous nous porterons plus volontiers à embrasser ses sentiments. C'est Moise qui a composé l'histoire de l’origine du monde : Moïse que nous savons avoir été agréable à Dieu, lorsqu il n était encore qu'à la mamelle ( Act. 7. 20 et suiv. ) : Moïse que la fille de pharaon adopta, qu'elle éleva comme son fils dans le palais du prince son père, qu'elle fit instruire avec soin par le sages de l'Egypte : Moïse qui, détestant le faste de la royauté, et lui préférant l’humiliation de ses compatriotes , aima mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir sans lui de plaisirs passagers et criminels : qui, naturellement ami de la justice, signala, même avant d'être chef du peuple , toute la haine que son caractère lui inspirait contre les méchants , et les poursuivit sans

 

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épargner leurs jours : qui, mis en fuite par ceux mêmes qu'il voulait servir, renonça volontiers aux fêtes de l'Egypte, pour se retirer dans l'Éthiopie, où, affranchi de toute autre occupation , il se livra uniquement à la contemplation des choses pendant quarante années : qui, figé de quatre-vingts ans, a vu Dieu, comme il est possible à un mortel de le voir, ou plutôt comme aucun autre ne l'a jamais vu, suivant le témoignage de Dieu même. S'il se trouve un prophète parmi vous, dit Dieu dans l'Ecriture, je me ferai connaître à lui en vision, je lui parlerai en songe. Mais il n'en est pas ainsi de Moïse qui gouverne toute ma maison, qui est mon serviteur très-fidèle. Je lui parlerai bouche à bouche ; il me verra face à face , et non sous des figures empruntées (Nomb. 12. 6 et suiv. ).

Or ce grand homme , qui a mérité de voir Dieu comme les Anges le voient, nous raconte ce que le Seigneur lui a appris. Ecoutons donc les paroles de la vérité, qui offrent, non les discours persuasifs de la sagesse humaine mais la doctrine pure de l'Esprit-Saint ( I. Cor. 2. 4. ); ces paroles dont la fin n'est pas les applaudissements de ceux qui écoutent, mais le salut de ceux qui veulent s'instruire.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Frappé de cette idée admirable, je m'arrête. Que dirai-je d'abord ? par où commencerai-je mon instruction ? confondrai-je les erreurs des infidèles, ou exalterai-je les vérités de notre foi ? Incapables de se fixer à une seule opinion solide, les sages de la Grèce ont fabriqué sur la nature des choses mille opinions diverses, qui se combattent et se détruisent les unes les autres sans qu'il soit besoin que nous les attaquions. Comme ils ignoraient

 

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le vrai Dieu, ils n'ont pas admis une calife intelligente qui ait présidé à la création de l'univers ; mais ils ont forge des systèmes conformes à leur ignorance de l’Être suprême. Recourant à des causes matérielles , les uns ont attribué l’origine du monde aux éléments du monde même (1); les autres ont cru que les choses visibles sont composées de corps simples, d'atomes plus ou moins rapprochés , que de leur réunion ou de leur séparation résulte la génération ou la dissolution des êtres, que l'adhésion plias ferme et plus durable de ces mêmes atomes forme ce qu’on appelle les corps durs. C'est vraiment ne donner que des tissus de toile d'araignées, que de fournir des principes si faibles et si peu consistants du ciel, de la terre et de la mer, ils ne savaient pas dire, ces sages insensés : Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. Aussi l’ignorance de la divinité les a-t-elle jetés dans l'erreur de croire que tout est régi par le hasard, et non gouverné par une suprême sagesse.

C’est afin que nous ne tombions pas dans la même erreur , que l'écrivain de l’origine du monde, dès les premiers mots, éclaire notre intelligence par le nom de dieu: Au commencement, dit-il, Dieu créa. Admirons l'ordre des paroles. Il met d'abord au commencement, de peur qu'on ne croie que le monde est sans commencement.

 

(1) L'orateur parle ici du système de Straton de Lampsaque , disciple d'Aristote. Suivant ce philosophe, les éléments du monde étaient animés . et avaient en eux un principe de mouvement, dont il était résulté, sans aucun concours d'une intelligence suprême, un monde et des êtres tels que nous les voyons. Son système avait quelque rapport avec celui des atomes d'Epicure dont il est parlé ensuite; mais il n'était pas tout à fait le même.

 

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Ensuite il ajoute un mot (1) qui montre que les choses créées sont la moindre partie de la puissance du Créateur. De même qu'un potier qui , d'après les principes de son art, a fait un grand nombre de vases, n'a épuisé ni son art, ni sa puissance ; ainsi le grand Ouvrier, dont la puissance effectrice peut s'étendre à une infinité de mondes sans être bornée à un seul, a tiré du néant, par le seul acte de sa volonté, tous les objets que nous voyons. Si donc le monde a eu un commencement et s'il a été créé, examinez qui lui a donné ce commencement, et quel est le Créateur. Ou plutôt, de peur que des raisonnements humains ne vous écartent de la vérité, l'écrivain sacré a prévenu vos recherches, en imprimant dans vos âmes le nom vénérable de Dieu, comme une espèce de sceau, et comme un remède contre le mensonge : Au commencement , dit-il, Dieu créa. Oui, cette nature bienheureuse, cette bonté immense, cet être si cher à tous les êtres doués de raison, cette beauté si désirable, ce principe de tout ce qui existe, cette source de la vie, cette lumière spirituelle, cette sagesse inaccessible ; c'est lui qui au commencement créa le ciel et la terre. Ne vous imaginez donc pas, ô homme, que les choses visibles soient sans commencement ; et parce que les globes qui se meuvent dans les cieux y roulent en corde, et qu il n'est pas facile à nos sens d'apercevoir le commencement, d'un cercle, ne croyez pas que la nature des corps qui roulent en cercle soit d’être

 

(1) Ce mot est epoiésen. Quand un peintre ou sculpteur avaient fait un ouvrage , ils mettaient au bas epoiei, par modestie , pour faire entendre qu’ils pouvaient retoucher à leurs ouvrages et leur donner plus de perfection. Saint Basile dit, il a fait epoiésen parce qu’il parle de Dieu, de l’Ouvrier suprême.

 

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sans commencement (1). En effet, quoiqu'en général dans cette figure plane terminée par une seule ligne, nos sens ne puissent trouver ni par où elle commence , ni par où elle finit, nous ne devons pas supposer pour cela qu'elle soit sans commencement : Mais, quoique ce commencement échappe à notre vue, celui qui a tracé la figure en partant d’un centre et en s'éloignant à une certaine distance, a réellement commencé par un point. De même vous, quoique les êtres qui roulent en cercle reviennent sur eux-mêmes, quoique leur mouvement soit égal et non interrompu, n allez pas tomber dans l'erreur que le monde est sans commencement et sans fin. La figure de ce monde passe , dit saint Paul ( I . Cor. 7. 31.). Le ciel et la terre passeront , dit l'Evangile ( Matth. 24. 35. ).

C'est l'annonce et le prélude du dogme de la consommation et de la rénovation du monde, que ce peu de paroles que nous lisons à la tète des divines Écritures : Au commencement Dieu créa. Ce qui a commencé dans un temps doit nécessairement être consommé dans un temps. Ce qui a eu un commencement, ne doutez pas qu'il n’ait une fin. Eh ! quel est le terme et le but des sciences arithmétiques et géométriques, des recherches sur les bolides, de cette astronomie si vantée, de toutes ces laborieuses bagatelles, s'il est vrai que ceux qui su sont livrés à ces études ont prononcé que ce monde visible est éternel (2)

 

(1) Saint Basile attaque sans doute ici le très-mauvais raisonnement de quelque physicien de son temps , ou de quelque ancien philosophe.

(2) Tous les philosophes qui ont raisonné sur la physique, ont admis l'éternité de la matière; plusieurs même, entre autres Aristote, ont soutenu que ce monde visible était éternel.

 

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comme Dieu créateur de l'univers ; s'ils ont élevé un être matériel et circonscrit, à la même gloire qu'une nature incompréhensible et invisible ; si, sans pouvoir observer qu'un tout dont les parties sont sujettes à la corruption et aux changements, doit nécessairement subir les mêmes révolutions que ses diverses parties, ils se sont égarés dans leurs raisonnements, leur coeur insensé a été rempli de ténèbres, ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages ( Rom. 1. 21. ), au point

qu'ils ont déclaré, les uns, que le monde est de toute éternité comme Dieu ; les autres, qu'il est Dieu lui-même sans commencement et sans fin , qu'il est la cause de l'ordre que nous admirons dans toutes les parties de ce grand univers ? Les vastes connaissances qu'ils ont eues des choses du monde ne feront qu'aggraver un jour leur condamnation, parce qu'ayant été si éclairés dans des sciences vaines, ils se sont aveuglés volontairement dans l'intelligence de la vérité. Des hommes qui savaient mesurer les distances des astres, marquer ceux d'entre eux qui sont au septentrion et qui se montrent toujours, ceux qui , placés au pôle austral, sont visibles pour les contrées de ce pôle et nous sont inconnus ; qui ont déterminé l'étendue des régions boréales, et divisé en une infinité d'espaces le cercle du zodiaque ; qui ont observé exactement les mouvements des astres, leur état fixe, leurs déclinaisons, et leurs retours dans les endroits par oit ils ont déjà passé ; qui ont remarqué en combien de temps chaque planète achève son cours : ces hommes , parmi tant de moyens, n'en ont put trouver un seul pour s'élever jusqu'à Dieu, le créateur de l'univers, ce juste Juge qui paye chaque action du prix qu'elle mérite : ils n’ont pu acquérir l'idée de la consommation

 

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du monde qui a un rapport si intime avec la vérité d'un jugement, puisqu’il faut nécessairement que le monde se renouvelle, si les âmes doivent passer à une autre vie. En effet, si la vie présente est de même nature que ce monde, la vie future des âmes sera telle que la constitution qui leur est propre (1). Les sages du paganisme sont si éloignés d être attentifs à ces vérités, qui ils ne peuvent s'empêcher de rire quand nous leur parlons de la consommation du monde et de la régénération du siècle. Mais, comme le principe marche naturellement avant ce qui en dérive , l’écrivain sacré en parlant des objets qui reçoivent leur être du temps, a dît débuter par ces mots : Au commencement Dieu créa.

Il est probable qu'avant ce monde il existait quelque chose que notre esprit peut imaginer, mais que l'Écriture supprime dans son récit, parce qu’il ne convenait pas d’en parler à des hommes qu'on instruit encore, et qui sont enfants pour les connaissances. Oui, sans doute, avant que ce monde fût créé, il existait une constitution plus ancienne, convenable à des puissances célestes (2), lune constitution qui a précédé les temps visibles, une constitution qui a commencé, mais qui ne doit jamais finir. Les ouvrages qu'y a formés l'Ouvrier suprême, le Créateur de l’univers, sont une lumière spirituelle, qui convient à l'état bienheureux d'êtres qui aiment le Seigneur, des natures raisonnables et invisibles, en un mot tout cet ordre de créatures spirituelles, auxquelles notre

 

(1) La constitution qui leur est propre, une constitution telle que celle dont il sera parlé tout-à-l'heure, une constitution convenable à des êtres célestes.

(2) Puissances célestes, les anges et les archanges, comme saint Basile le dira lui-même tout-à-l'heure.

 

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pensée ne peut atteindre, et dont nous ne pouvons même trouver les noms. C'est-là ce qui compose la nature du monde invisible, comme nous l'apprend le divin Paul : Tout a été créé en lui, dit-il, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances ( Col. 1. 16. ) ; c'est-à-dire , les armées des anges commandées par les archanges.

Dieu devait ajouter à ce qui existait déjà, ce monde, d'abord et principalement comme une école où l'esprit des hommes peut s'instruire : c'était ensuite un séjour parfaitement propre à des êtres qui s'engendrent et se dissolvent. Rien aussi de plus analogue au monde, aux animaux et aux plantes qu'il renferme, que la succession du temps, lequel se presse toujours, et fait perpétuellement sans jamais s'abriter dans sa course. N’est-ce pas là ce qu'est le temps, dont le passé n'existe plus , dont l’avenir n'existe pas encore, dont le présent nous échappe avant que nous le connaissions ? Telle est encore la nature des êtres qui prennent naissance ; on les voit croître ou décroître, on ne les voit jamais dans un état fixe et stable. Or, des animaux et des plantes, dont les corps comme enchaînés à un cours qu'ils suivent malgré eux, sont emportés par un mouvement qui les entraîne vers la génération ou la dissolution, doivent être soumis au temps dont la nature particulière est conforme à des êtres changeants et variables. De-là l'écrivain profond qui nous apprend la création du monde, emploie les paroles qui lui conviennent davantage : Au commencement, dit-il, Dieu créa, c'est-à-dire , lorsque le temps commença à couler. Car lorsqu'il a dit que le monde a été fait au commencement, il ne veut pas assurer qu'il est plus ancien que tout

 

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ce qui existe : mais il annonce que les choses visibles et sensibles n ont commencé à exister qu'après les invisibles et les spirituelles.

On appelle commencement ou principe (1) , le premier mouvement vers une chose ; par exemple, le commencement de la bonne voie est de faire la justice (Prov. 16. 5.). Car les actions justes sont un premier mouvement vers la vie bienheureuse. On appelle encore commencement ou principe, lorsqu une chose est sous une autre qui la porte, comme le fondement dans une maison et la carène dans un vaisseau. C'est d'après cela qu'il est dit : Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur ( Prov. 1. 7. ) ; car la piété est comme la base et le fondement de la perfection. Le principe des ouvrages qui proviennent de l’art est l'art lui-même. Ainsi l’habileté de Béséléel était le principe des ornements du tabernacle. Le principe des actions est souvent encore la fin utile et honnête qu'on s'y propose. Ainsi les bonnes grâces de Dieu sont le principe de l'aumône; les promesses contenues dans l'Évangile sont le principe de toutes les actions vertueuses.

Le mot commencement ou principe étant susceptible de ces acceptions diverses, examinez si la parole de Moïse ne convient pas à toutes. Et d'abord vous pouvez apprendre depuis quel temps le monde a commencé à exister, si depuis le moment présent, reculant toujours en arrière, vous vous appliques à trouver le premier jour de la création du monde : car c'est ainsi que vous trouverez d'où le temps a eu son premier mouvement. Le ciel et la terre sont comme les fondements

 

(1) Il n'y a qu'un mot en grec , arché, commencement, principe. J’ai été obligé d'ajouter ou principe, pour traduire et faite entendre ce qui suit.

 

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et les bases de toute la création. Une raison souveraine est comme l'art qui a présidé à l'ordonnance admirable des objets visibles, ainsi que l'annonce le mot de commencement ou principe. Enfin le monde n'a pas été fait sans motifs et au hasard, mais pour une fin utile, pour le plus grand avantage des êtres raisonnables, puisqu'il est en effet pour ces êtres une école où ils s'instruisent, où ils apprennent à connaître la divinité, puisque par les objets visibles et sensibles, il les conduit à la contemplation des invisibles, selon ce que dit l'Apôtre: Les choses invisibles sont devenues visibles depuis la création du monde par la connaissance que ses ouvrages nous en donnent.

Ou bien, l'Écriture dit-elle : Au commencement Dieu créa, parce que le ciel et la terre ont été créés dans un moment unique, sans aucun espace de temps, le commencement ne pouvant être coupé et divisé en plusieurs parties ? Car, de même que le commencement du chemin n'est pas encore le chemin, et que le commencement d'une maison n'est iras la maison ; ainsi le commencement du temps n'est pas encore le temps , n'est pas même la plus petite partie du temps. Que si quelqu'un soutient que le commencement du temps est le temps , il faudra qu'il divise ce commencement en plusieurs parties, lesquelles formeront un commencement, un milieu et une fin. Or il est pleinement ridicule d'imaginer le commencement d'un commencement. Celui qui divisera un commencement en deux parties, en fera deux au lieu d'un, ou plutôt un nombre infini, en divisant ce qui est déjà divisé. Afin tronc que nous apprenions que la matière du monde a existé par un simple acte de la volonté de Dieu sans aucun espace de temps, il est dit: Au commencement

 

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ment Dieu créa. C'est le sens que plusieurs interprètes ont donné à ces mots, au commencement; ils l’ont entendu, tout ensemble, dans un moment indivisible.

Nous ne parlerons pas davantage du mot commencement ou principe, sur lequel nous n'avons pas dit à beaucoup près tout ce qu'on pourrait en dire. Parmi les arts , les uns sont appelés effecteurs, les autres pratiques, les autres spéculatifs. La fin des arts spéculatifs est l'opération même de l'esprit: la fin des arts pratiques est le mouvement même du corps, lequel cessant , il ne reste plus rien à voir. Telles sont la danse et la musique, qui n'ont aucune fin permanente, mais dont la vertu se termine à elles-mêmes. Dans les arts effecteurs, lors même que la puissance effectrice cesse, il reste un ouvrage. Tels sont les arts de l'architecte, du serrurier, du tisserand, et autres semblables : même lorsque l'ouvrier est absent, ils montrent suffisamment par eux-mêmes une raison intelligente qui a produit ; et l'on peut admirer l'ouvrier par son ouvrage. Afin donc de montrer que le monde est une production de l'art, exposée en spectacle aux yeux de tous les hommes, afin qu'en le voyant ils reconnaissent la sagesse de celui qui l'a créé , le sage Moise a parlé de sa création en ces termes : Au commencement Dieu créa: il ne dit pas enfanta, produisit, mais créa. Et comme plusieurs de ceux qui ont pensé que le monde avait existé avec Dieu de toute éternité, n'ont pas voulu convenir qu'il eût été créé par lui, mais ont prétendu qu'il avait existé de soi-même comme une ombre de la puissance divine, qu'ainsi Dieu est la cause du monde, mais une cause non-volontaire, comme un corps opaque ou lumineux est la cause de l'ombre ou de la

 

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lumière; le prophète voulant corriger cette erreur, s'est exprimé avec cette exactitude: Au commencement Dieu créa. Par ces mots, non-seulement il veut donner une cause au monde, mais annoncer qu'un être bon a fait une chose utile, un être sage une chose belle, un être puissant une chose grande. Il nous montre presque le souverain Ouvrier qui domine sur ce vaste univers, qui en dispose et en ordonne toutes les parties, qui en forme un tout régulier , parfaitement d'accord avec lui-même , du concert le plus admirable.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. En prenant les deux extrêmes il embrasse la substance du monde entier. Il accorde au ciel le privilège de l'aînesse, et ne donne à la terre que le second rang dans la création. Tous les êtres intermédiaires ont dû naître avec les deux bornes du monde. Si donc il ne dit rien des éléments, de l'eau, de l'air et du feu, vos propres réflexions doivent vous apprendre d'abord que tous les éléments sont mêlés avec tous les corps, que vous les trouverez tous dans la terre seule , puisque le feu jaillit des cailloux, puisque dans les chocs et les frottements on voit une grande abondance de feu sortir en brillant du fer même qu'on a tiré des entrailles de la terre. Et ce qui doit paraître admirable, c'est que le feu renfermé dans les corps y séjourne sans leur nuire ; et que lorsqu’on le tire au dehors, il consume les corps mêmes qui le recélaient. Ceux qui creusent des puits nous prouvent que l'élément de l'eau est aussi clans la terre; la même chose nous est prouvée de l’air par les vapeurs qu'exhale la terre humide lorsque les rayons du soleil l'échauffent. D'ailleurs , comme le ciel occupe naturellement un lieu élevé, la terre

 

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le lieu le plus bas; comme les corps légers s'élèvent vers le ciel, et que les pesants se portent vers la terre; comme le haut et le bas sont opposés l'un à l'autre , Moïse en faisant mention des deux êtres les plus éloignés, parle conséquemment de tous les êtres intermédiaires qui occupent le mi-lieu. Ainsi ne demandez pas un détail de tous les objets, mais que ce qu'on vous dit vous fasse comprendre ce qu'on ne vous dit pas.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Une recherche exacte de l'essence de chacun des êtres, soit de ceux qui ne nous sont connus que par l'intelligence, soit de ceux qui tombent sous nos sens, étendrait outre mesure notre instruction, et nous ferait employer plus de discours pour expliquer cette question difficile, que pour tous les objets ensemble que nous nous proposons de traiter. D'ailleurs, ces discussions superflues servent peu à l'édification des fidèles. Qu'il nous suffise pour l'essence du ciel, de ce que nous lisons dans Isaïe. Ce prophète nous donne une idée suffisante de sa nature dans ces paroles qui sont à la portée de tout le monde: Celui, dit-il, qui a étendu le ciel comme une fumée (Is. 51. 6.); c'est-à-dire, qui a formé le ciel d'une substance légère, et non épaisse et solide. Quant à sa forme, ce qu'il dit en glorifiant Dieu doit nous suffire : Celui qui a établi le ciel comme une voûte (Is. 40.

22.). Procédons de même pour ce qui regarde la terre. N’examinons pas avec trop de curiosité quelle est son essence, ne nous fatiguons pas à raisonner sur sa substance propre, n'allons pas chercher une nature qui par elle-même soit dépourvue de toute qualité; mais soyons convaincus que tout ce que nous voyons en elle appartient à son être, constitue son essence : car vous la

 

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réduirez à rien en lui ôtant les unes après les autres toutes les qualités qu'elle renferme. Oui, si vous lui ôtez le noir, le froid, le pesant, le serré, toutes les propriétés de saveur qu'elle peut avoir, et d'autres encore, il ne restera plus rien. Je vous exhorte donc à laisser là toutes ces recherches, à ne pas examiner non plus sur quoi la terre (1) est fondée. A Votre esprit ne ferait que s'éblouir, parce que le raisonnement ne le conduirait à aucune vérité certaine. Car si vous dites que l'air s'étend sous toute la largeur de la terre , vous ne pourrez expliquer comment une nature aussi inflexible et aussi déliée résiste accablée sous un si grand fardeau , comment elle ne s'échappe pas, elle ne se dérobe pas de toutes parts, en s'élevant au-dessus de la masse qui l'écrase. Si vous supposez que l'eau est répandue au-dessous de la terre, il vous faudra chercher comment un corps pesant et compact ne pénètre pas l'eau, comment avec une si grande pesanteur il est contenu par une nature plus faible. D'ailleurs autre embarras : quelle sera la base de l'eau? sur quel appui solide portera son dernier fond ? Si vous supposez un autre corps plus lourd et plus solide que la terre, qui la contienne et qui l'empêche de descendre, songez qu'il faut à ce corps un autre soutien qui l’empêche de s'affaisser lui-même. Si nous pouvons imaginer ce soutien, notre esprit en cherchera encore un autre pour ce dernier. Par là nous tomberons dans l'infini, en imaginant sans cesse de nouvelles bases et de nouveaux fondements pour soutenir ceux que nous aurons trouvés: et plus

 

(1) Tout ce qui suit sur l'affermissement de la terre est ce que saint Basile pouvait dire de plus ingénieux et de plus solide , n'étant pas instruit du mouvement de la terre autour du soleil.

 

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notre esprit imaginera, plus nous serons obligés d'introduire une puissance considérable pour résister à toutes les masses réunies. Ainsi mettez des bornes à votre imagination , de peur que si vous prétendez découvrir des vérités incompréhensibles, Job ne réprime votre curiosité, et ne vous fasse cette demande: Sur quoi ses bases sont-elles affermies (Job. 38. 6.)? Si vous lisez dans les psaumes : J’ai affermi ses colonnes ( Ps. 64. 4. ), croyez que le prophète entend par colonnes la puissance qui tient la terre en place. Quant à ces mots: Il l'a fondée sur les mers (Ps. 23. 2. ), que signifient-ils autre chose sinon que les eaux enveloppent de tous côtés la terre ? Comment donc l’eau qui est fluide par sa nature et qui se précipite, demeure-t-elle suspendue sans couler d'aucune part ? vous ne pensez pas que la terre, qui est suspendue sur elle-même quoique plus pesante , offre la même difficulté et une plus grande encore. Mais soit que nous convenions que la terre est appuyée sur elle-même, soit que nous disions qu'elle flotte sur les eaux, ne nous écartons par des sentiments religieux, mais avouons que tout est contenu par la puissance du Créateur. Nous devons nous dire à nous-mêmes et à ceux qui nous demandent sur quoi est appuyé ce lourd et immense fardeau de la terre: Les limites de la terre sont dans la main de Dieu (Ps. 94. 4.) C'est le parti le plus sûr pour régler notre esprit , et le plus utile à ceux qui nous écoutent.

Pour expliquer les difficultés dont nous parlons, des physiciens disent en termes magnifiques que la terre est immobile ; que, comme elle occupe le centre de l'univers, également éloignée des extrêmes, sans qu'il y ait de raison pour qu'elle penche d'un côté plutôt que d'un autre , parce quelle est

 

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pressée également de toutes parts , elle demeure nécessairement sur elle-même. Ils ajoutent que ce n'est ni par le sort ni au hasard qu'elle occupe le centre, que cette position est nécessaire et tient à sa nature. Le corps céleste (1) , disent-ils , étant à l'extrémité, parce qu'il s'élève en haut; si nous supposons que des poids tombent d’en haut, ils se porteront de toutes parts au centre. Or, sans doute, le tout sera entraîné vers le point vers lequel seront portées les parties. Si les pierres, les bois, si tous les corps terrestres, sont portés en bas, ce sera là la place propre et convenable à toute la terre. Si les corps légers partent du centre, ils s'élèvent sans doute en haut: les corps pesants se portent clone naturellement en bas; or nous avons montré que le bas est le centre. Ne soyons donc pas surpris que la terre ne tombe d'aucun côté , puisqu'elle occupe le centre par sa nature. Elle doit nécessairement rester en place, ou, se remuant contre sa nature, sortir de la place qui lui est propre. Si les assertions de ces philosophes vous paraissent probables , transportez votre admiration à la sagesse de Dieu qui a ainsi disposé les choses. Car on ne doit pas moins admirer les grands et surprenants effets de la nature , parce qu'on en aura trouvé les causes; sinon, que la simplicité de la foi ait plus de force auprès de vous que tous les raisonnements humains.

Nous dirons la même chose du ciel; nous dirons que les sages du monde nous ont donné sur sa nature des dissertations fastueuses. Les uns disent qu'il est composé des quatre éléments comme étant sensible et visible; qu'il participe à la terre par sa solidité, au feu par son éclat, à

 

(1) Le corps céleste, qui est d’une matière plus déliée et plus légère.

 

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l’air et à l'eau parce qu'ils sont mêlés avec les corps solides. Les autres (1) , rejetant cette opinion comme peu vraisemblable , ont imaginé d'eux-mêmes et ont introduit une cinquième nature ou clément pour en composer le ciel. Ils supposent tut corps éthéré qui n'est ni le feu, ni l’air, ni la terre, ni l’eau, enfin aucun des éléments connus. Les éléments, disent-ils , ont un mouvement direct, suivant lequel les corps légers se portent en haut et les pesants en bas; et le mouvement en haut et en bas n'a aucun rapport avec le mouvement circulaire. En général, le mouvement en ligne droite est fort différent du mouvement en ligne courbe. Or les êtres dont les mouvements diffèrent par leur nature, doivent différer aussi dans leurs essences. D'ailleurs, il est impossible que le ciel soit composé des premiers corps que nous appelons éléments, par la raison que les êtres composés de substances diverses, ne peuvent avoir un mouvement égal et libre, chacune des substances qui le composent ayant reçu de la nature une impulsion propre. Aussi les êtres composés ont de la peine à rester dans un mouvement continuel, parce qu'ils ne peuvent avoir un mouvement unique , propre et analogue à tous les contraires, mais que le mouvement du corps léger combat le mouvement du corps grave. Lorsque nous nous élevons en haut, nous sommes entraînés par ce qui est en nous de terrestre; et lorsque nous nous portons en bas, nous faisons violence à la partie du leu, que nous entraînons en bas contre sa nature. Or c'est cette action des

 

(1) Les autres, tels qu'Aristote et ses disciples , qui composaient le ciel d'une cinquième nature ou élément, qu'ils appelaient quintescence. Saint Basile explique assez au long la raison pour laquelle ils admettaient un cinquième élément.

 

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éléments d'aller en sens contraire, qui est la cause de la dissolution des corps. Car ce qui est forcé et contre nature , après avoir résisté un peu de temps avec beaucoup d'effort et de peine, se dissout bientôt et se sépare des substances simples auxquelles il est uni, chacune de ces substances reprenant sa place naturelle. C'est pour ces raisons pressantes , que ceux qui supposent une cinquième nature ou élément pour la génération du ciel et des astres, ont rejeté les opinions de leurs prédécesseurs, et ont eu besoin d'un nouveau système. Un autre philosophe, distingué par son éloquence, s'élève contre ceux-ci , attaque leurs sentiments qu'il prétend détruire , et offre un autre système de sa composition.

Si nous voulions parcourir les opinions de tous les philosophes , nous tomberions dans leurs folies et leurs rêveries. Laissons-les donc se réfuter les uns les autres ; pour nous , renonçant à découvrir les essences des choses , tenons-nous en à ce que dit Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Glorifions le plus excellent des ouvriers pour l'art et la sagesse qui règne dans ses ouvrages : par la beauté des objets visibles , jugeons combien il est beau; par la grandeur des corps sensibles et bornés , concevons combien il. est grand , infini , au-dessus de toutes les idées que nous pouvons avoir d'une puissance. Quoique nous ignorions la nature des choses créées , néanmoins ce qui tombe sous nos sens est si admirable, que l'esprit le plus pénétrant n'est en état ni d'expliquer, comme il doit l'être, le moindre des objets qui sont dans le monde, ni d'accorder les louanges qui sont dues au Créateur , à qui soient la gloire , l'honneur et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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