ST FRANÇOIS

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LÉGENDE DE SAINT FRANÇOIS.

 

LÉGENDE DE SAINT FRANÇOIS.

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER. Vie de François dans le siècle.

CHAPITRE II. François se convertit parfaitement à Dieu et répare trois églises.

CHAPITRE III. De l'institution de l'ordre des Frères mineurs, et de l'approbation de la règle.

CHAPITRE IV. Progrès de l'ordre sous la direction de François et confirmation de sa règle déjà approuvée.

CHAPITRE V. De l'austérité de la vie du saint, et comment les créatures lui étaient un sujet de consolation.

CHAPITRE VI. De l'humilité et de l'obéissance de François, et de la condescendance du Ciel à ses moindres désirs.

CHAPITRE VII. De l'amour de François pour la pauvreté, et de la manière admirable avec laquelle il subvenait aux besoins des autres.

CHAPITRE VIII. De la tendre piété de François, et comment les êtres privés de raison semblaient entraînés à l'aimer.

CHAPITRE IX. Ardeur de la charité de François, et de son désir du martyre.

CHAPITRE X. De l'application de François à la prière, et de la sublimité de son oraison.

CHAPITRE XI. De l'intelligence des saintes Ecritures et de l'esprit de prophétie chez François.

CHAPITRE XII. De l'efficacité de la prédication et du don des miracles chez François.

CHAPITRE XIII. Des stigmates sacrés.

CHAPITRE XIV. De la patience de François dans les souffrances, et de sa mort.

CHAPITRE XV. De la canonisation de François, et de la translation de son corps.

 

PROLOGUE.

 

La grâce de Dieu, notre Sauveur, s'est manifestée de nos jours en son sers heur François aux regards de tous les hommes vraiment humbles et amis de la sainte pauvreté, qui, vénérant la miséricorde surabondante du Seigneur en lui, ont appris, à son exemple, à rejeter du fond du coeur toute impiété et tout désir terrestre, à vivre conformément à Jésus-Christ et soupirer avec une ardeur sans cesse re-naissante après l'espérance bienheureuse. En effet, le Dieu suprême a abaissé ses yeux sur cet homme véritablement pauvre et pénitent avec une telle effusion de bénignité que, non-seulement il a tiré sa bassesse de la poussière d'une vie toute mondaine, mais encore qu'il a fait de lui un maître, un chef et un prédicateur de la perfection évangélique; qu'il l'a donné comme un flambeau brillant aux chrétiens pour rendre témoignage de la lumière et préparer au Seigneur une voie lumineuse et pacifique jusqu'aux coeurs des fidèles. Il a brillé comme l'étoile du matin au milieu de la muée, par la vive splendeur de sa vie et de sa doctrine ; il a dirigé vers la lumière, par sa clarté resplendissante, ceux qui étaient assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort; et comme l'arc glorieux qui déploie son éclat au sein des nuages

 

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pour être le signe de l'alliance du Seigneur, il a annoncé aux hommes l'évangile de la paix et du salut, et il a été lui-même un ange de la paix véritable. Il fut choisi de Dieu, comme le précurseur, pour lui préparer la voie dans le désert d'une pauvreté parfaite et annoncer la pénitence par ses exemples et ses paroles. Prévenu d'abord des dons de la grâce céleste, orné ensuite des mérites d'une vertu invincible, rempli de l'esprit prophétique, chargé d'un ministère tout angélique, embrasé de l'ardeur dévorante des séraphins, élevé au-dessus de la terre sur un char enflammé comme un homme tout divin, ainsi que nous le montre pleinement le cours entier de sa vie, il nous semble évident qu'il est venu au milieu de nous avec l'esprit et la vertu d'Elie. Nous pouvons donc sans témérité le regarder comme prédit par la prophétie de Jean l'Evangéliste, cet autre ami de l'Epoux et son apôtre, dans cette similitude d'un ange qui monte du côté de l'Orient, portant avec soi le signe du Dieu vivant. Je vis, dit-il, à l'ouverture du sixième sceau, un ange s'élever de l'Orient et ayant dans sa main le signe du Dieu vivant (1).

François nous apparaîtra en effet un vrai serviteur de Dieu, son envoyé, l'ami de Jésus, un modèle digne d'être imité et un objet d’admiration pour le monde, si nous voulons considérer en lui ce comble de sainteté glorieuse qui l'a montré au milieu des hommes un imitateur parfait de la pureté des anges, et l'a rendu digne d'être l'exemple des disciples les

 

1 Apoc., 7.

 

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plus parfaits du Sauveur. Et ce sentiment pieux et sincère de notre coeur n'est pas appuyé seulement sur le ministère dont François fut honoré, d'appeler les hommes à pleurer et à gémir, à se raser la tête et à se ceindre d'une corde, à marquer du signe de la pénitence et de la croix le front de ceux qui versent des larmes et s'attristent sur les iniquités du monde, et à les revêtir d’un habit conforme à la croix; mais ce qui le rend pour nous une vérité incontestable, c'est le sceau de ressemblance avec le Dieu vivant, avec Jésus crucifié, sceau imprimé dans le corps de son serviteur non par un effet de la nature ou de l'art, mais par la puissance admirable de l'Esprit du Seigneur.

Je me sens incapable et indigne d'écrire la vie d'un homme aussi vénérable, cette vie si propre à servir de modèle à tous, et jamais je n'aurais tenté un pareil travail si le désir ardent de mes frères ne m'y eût excité, si les instances unanimes du chapitre général de notre ordre ne me l'eussent comme imposé, et si la dévotion particulière que je dois à notre bienheureux Père ne m'en eût fait un devoir. En effet, dans mon enfance j'ai été, par ses prières et ses mérites, arraché aux étreintes de la mort, comme je l'ai appris il n'y a pas longtemps; et si je refusais de célébrer ses louanges, je craindrais d'être accusé du crime d'ingratitude. C'est là le motif principal qui me fait entreprendre cet ouvrage. Je me sais redevable de la vie du corps et de l'âme à son intercession; j'ai fait par moi-même l'expérience de sa puissance auprès de Dieu ; j'ai donc résolu de recueillir,

 

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du moins en partie, sinon d'une manière parfaite, ce qui est impossible, les vertus, les actes, les paroles de sa vie, comme autant de précieuses reliques éparses ça et là et à la veille de tomber dans l'oubli, de peur que, les compagnons de ce grand serviteur de Dieu venant à mourir, elles ne périssent entièrement. Afin de connaître plus clairement et d'une manière plus assurée la vérité des faits que je me chargeais de transmettre à la postérité, j'ai visité les lieux où notre saint est né, où il a vécu, oit il est mort; je me suis entretenir soigneusement de ce qui le concernait avec ses disciples encore vivants, et surtout avec plusieurs qui furent des témoins plus intimes et des imitateurs plus empressés de sa sainteté, hommes vraiment dignes de foi et par leur propre connaissance des choses et par leur vertu éprouvée. Mais en écrivant ainsi les merveilles que Dieu a daigné accomplir par son serviteur, j'ai cru devoir laisser de côté les vains ornements du style, car le lecteur trouve plus à nourrir sa dévotion dans un langage simple que dans un discours magnifique. Je n'ai pas non plus toujours suivi l'ordre du temps dans mon récit; mais, pour éviter la confusion, je me suis appliqué surtout à établir entre les faits une liaison naturelle et facile, selon que les choses accomplies à une même époque ou à des époques diverses me semblaient convenir à un même sujet ou à des sujets différents. Enfin j'ai renfermé le commencement, la suite et la fin de cette vie en quinze chapitres dont voici les titres :

 

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Le premier traite de la vie de notre saint dans le siècle.

Le second, de sa conversion parfaite à Dieu et de la réparation qu'il fit de trois églises.

Le troisième, de l'institution de son ordre et de l'approbation de sa règle.

Le quatrième, des progrès de son ordre sous sa direction, et de la confirmation de sa règle déjà approuvée.

Le cinquième, de l'austérité de sa vie et des consolations que les créatures de Dieu lui offraient.

Le sixième, de son humilité, de son obéissance, et de la manière dont Dieu condescendait à ses moindres désirs.

Le septième, de son amour pour la pauvreté et de la manière dont il subvenait aux besoins du prochain.

Le huitième, de sa tendre piété et de la manière dont les créatures privées de raison semblaient le connaître.

Le neuvième, de l'ardeur de sa charité et de son désir du martyre.

Le dixième, de son application à la prière et de la sublimité de son oraison.

Le onzième, de son intelligence des Ecritures et de son esprit de prophétie.

Le douzième, de l'efficacité de ses prédications et du don qu'il avait de guérir les malades.

Le treizième, des stigmates sacrés.

Le quatorzième, de ses souffrances et de sa mort.

Le quinzième, de sa canonisation et de la translation de son corps.

 

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CHAPITRE PREMIER. Vie de François dans le siècle.

 

Il y avait dans la ville d'Assise un homme appelé François, dont la mémoire est en bénédiction. Car Dieu, l'ayant prévenu avec tendresse de ses dons pleins de douceur, l'arracha miséricordieusement aux dangers de la vie présente et le combla avec abondance des bienfaits de la grâce céleste. Dès sa plus tendre jeunesse il fut nourri dans la frivolité, au mi-lieu des enfants des hommes, et livré, après une légère teinture des lettres, aux soins absorbants du commerce; mais assisté du secours d’en haut, il ne suivit point les entraînements de la chair, malgré les exemples de compagnons adonnés aux désordres, malgré son ardeur pour les plaisirs. Il ne plaça son espoir ni dans l'argent, ni dans les trésors de la terre, quoiqu'il vécût au milieu d'hommes avides et que lui-même s'appliquât à réussir dans son négoce. Le Seigneur avait mis dans l'âme du jeune François un sentiment de compassion qui le rendait libéral envers les pauvres, et ce sentiment, croissant de jour en jour, avait rempli son coeur d'une bonté si tendre que, fidèle observateur de l'Evangile, il s'était proposé de ne jamais refuser l'aumône à personne et surtout à celui qui la lui demanderait pour l'amour du Seigneur. Une fois pourtant, tout entier

 

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appliqué aux affaires de son commerce, il renvoya contre sa coutume, sans rien lui donner, un pauvre qui le priait de la sorte ; mais, rentrant aussitôt en lui-même, il courut après cet homme, lui fit une aumône abondante, et promit à Dieu de ne plus jamais à l'avenir, autant qu'il le pourrait, laisser s'en aller les mains vides quiconque lui aurait demandé pour son amour. Il demeura jusqu'à la mort fidèle à cet engagement avec une charité infatigable, et par là il mérita de croître admirablement dans l'amour et la grâce du Seigneur. Il disait aussi plus tard, après s'être revêtu parfaitement de Jésus-Christ, qu'étant dans le siècle il n'avait jamais entendu parler du divin amour sans sentir son coeur entièrement ébranlé. Or, cette douceur pleine de mansuétude, cette amabilité, cette patience, cette affabilité extraordinaire, cette munificence sans mesure et au-delà de ses ressources, toutes ces qualités dont l'excellent jeune homme paraissait orné étaient comme autant d'indices que, dans la suite, les bénédictions du ciel se répandraient sur lui avec plus d'abondance.

Plusieurs fois un habitant d'Assise, bouline sans savoir, mais éclairé de Dieu, comme on le croit, ayant rencontré François, se découvrit de son manteau et l'étendit sous les pieds du serviteur de Dieu en s'écriant qu'il était digne de toutes sortes de respects, que bientôt il accomplirait de grandes choses qui lui mériteraient la vénération de tous les chrétiens. François ignorait alors-les desseins du Ciel sur lui ; car livré tout entier au soin des affaires par l'ordre de son

 

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père, entraîné vers da terre par l'inclination de notre nature corrompue, il n'avait point appris à contempler encore les choses célestes, et il n'était point accoutumé à goûter les joies divines. Mais comme l'affliction donne l'intelligence à notre âme, le Seigneur étendit sa main sur lui, et sa droite se fit sentir par de longues infirmités dont elle affligea le corps de son serviteur afin de rendre son âme capable de recevoir l'onction de l'Esprit-Saint.

Lorsque, revenu à la santé, il se disposait à s'habiller comme à l'ordinaire d'une manière digne de son rang, un cavalier d'un extérieur imposant, mais pauvre et mal vêtu, se présenta devant lui. François, touché d'une compassion profonde pour sa misère, se dépouilla aussitôt de ses vêtements et l'en couvrit, remplissant ainsi dans un seul acte deux devoirs de la charité, car il épargna la confusion à la fierté du soldat et soulagea la misère du pauvre. Mais la nuit suivante, tandis qu'il dormait, la divine Bonté lui montra un palais immense et magnifique, tout plein d'armes et marqué du signe sacré de la croix, afin de lui faire comprendre que la miséricorde dont il avait usé envers ce pauvre pour l'amour du Roi suprême, recevrait une récompense incomparable. Ayant demandé à qui étaient destinées ces armes, il lui fut répondu d'en haut que c'était à lui et aux siens.

Le matin donc, comme son esprit n'était point encore exercé à pénétrer les secrets divins, et ne savait point s'élever de la vue des images sensibles à la vérité

 

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des choses invisibles, il concluait que cette vision inattendue était pour lui l'annonce d'une grande prospérité. Ignorant encore les desseins du ciel, il résolut d'aller dans la Pouille s'engager au service d'un seigneur puissant, dans l'espérance d'arriver par là aux honneurs militaires qu'il se croyait promis. Peu de jours après il se mit en route et déjà il était arrivé à la ville la plus prochaine, lorsque durant la nuit il entendit Dieu lui-même lui dire dans un langage plein d'amour : « François, qui peut faire plus pour vous du maître ou du serviteur, du riche ou du pauvre? » — « C'est le seigneur et le riche, » répond François. — Mais alors pourquoi laissez-vous le seigneur pour le serviteur, le Dieu souverainement riche pour l'homme, qui n'est que pauvreté? » — « Seigneur, s'écrie François, que voulez-vous que je fasse? » — « Retournez en votre pays. La vision dont vous avez été favorisé présage des choses spirituelles et dont l'accomplissement ne peut avoir lieu par des efforts humains, mais par l'intervention du Ciel. » Le lendemain, heureux et tranquille, il se hâte de revenir à Assise, et se montrant déjà un modèle d'obéissance, il y attendit la volonté du Seigneur.

Dès ce moment il commença à se soustraire aux agitations tumultueuses du commerce, et il supplia avec ardeur la divine Miséricorde de daigner lui montrer ce qu'il devait faire. Déjà 1'usage fréquent de la prière avait accru en lui à un degré élevé le désir enflammé des biens célestes; l'amour de la patrie

 

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bienheureuse lui faisait mépriser et regarder comme un néant les choses de la terre ; et comme un marchand vraiment sage, il pensait à acquérir au prix de tout le reste la perle offerte à ses regards. Mais il ne savait encore de quelle manière y arriver; seulement le Seigneur suggérait à son esprit que ce trafic spirituel a son principe dans le mépris du monde, et que les combats de Jésus-Christ commencent par la victoire sur soi-même.

Or, un jour qu'il traversait à cheval la plaine qui environne Assise, il rencontra un lépreux dont la vue inopinée le remplit d'horreur; mais se rappelant aussitôt les desseins de perfection qu'il avait formés en son âme, se souvenant qu'il devait d'abord se vaincre lui-même s'il voulait devenir soldat de Jésus, il niet pied à terre et se hâte d'aller embrasser le lépreux ; et ainsi cet homme qui semblait ne tendre la main que pour avoir l'aumône, la reçut accompagnée d'un baiser. François remonta à cheval aussitôt ; mais quoiqu'il portât ses regards de part et d'autre et que la plaine fût immense, il ne vit plus de lépreux. Plein d'admiration et de joie il se mit à chanter pieusement les louanges du Seigneur et se proposa de s'élever sans cesse à une perfection plus sublime. Il cherchait donc les lieux les plus solitaires et les plus propres à la douleur, afin de se répandre sans interruption en gémissements inénarrables; et enfin il mérita, après de vives et longues prières, d'être exaucé du Seigneur.

En effet, un jour que, séparé ainsi de tout, il se

 

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livrait à l'oraison et que l'excès de sa ferveur l'avait absorbé tout entier eu Dieu, Jésus-Christ lui apparut attaché à la croix. A cette vue l'âme de François se fondit, et le souvenir de la Passion du Sauveur s'imprima si profondément en son coeur qu'à dater de ce moment c'est à peine s'il pouvait retenir ses larmes et s'empêcher de sangloter toutes les fois qu'il pensait au crucifiement, comme il le rapporta lui même à ses disciples peu de temps avant sa mort. L'homme de Dieu comprit que, par cette vision, le Seigneur lui adressait ces paroles de l'Evangile : Si vous voulez

venir après moi, renoncez-vous vous-même, portez votre croix et suivez-moi (1). Et dès lors il se revêtit de l'esprit de pauvreté, des sentiments de l'humilité et de la vive ardeur d'une piété sincère. Auparavant il avait en profonde horreur la société des lépreux; il ne pouvait les regarder même de loin; mais aujourd'hui se souvenant de Jésus crucifié, qui, selon la parole du Prophète (2), s'est montré comme un lépreux digne de tout opprobre, désireux de se couvrir entièrement de mépris lui-même, il rend avec amour aux lépreux tous les services d'une humilité sincère et d'une tendre charité. Il les visite fréquemment dans leurs propres demeures, leur fait généreusement l'aumône, les embrasse avec une compassion profonde et leur baise les mains. Non content de donner aux pauvres mendiants ce qu'il possédait, il désirait se donner lui-même. Tantôt il se dépouillait de ses vêtements pour les en couvrir, tantôt il les décousait et

 

1 Mat., 16. — 2 Is., 53.

 

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les déchirait pour leur en offrir une portion, lorsqu'il n'avait rien autre chose sous la main. Il avait également pour les prêtres pauvres le respect le plus sincère, et il leur venait pieusement en aide, surtout en ce qui concernait l'ornement des autels, voulant ainsi participer au culte du Seigneur et suppléer à l'indigence de ses ministres. Lors de la visite qu'il fit au tombeau de saint Pierre avec une vive dévotion, ayant vu une multitude de pauvres devant l'église, poussé par l'ardeur de sa piété et entraîné par son amour de la pauvreté, il donna ses vêtements au plus misérable d'entre eux, prit pour lui ses haillons, et passa tout ce jour en leur compagnie avec une incroyable allégresse d'esprit. C'est ainsi qu'il méprisait la gloire mondaine et s'efforçait d'arriver par degrés à la perfection évangélique. Il s'appliquait en même temps avec un soin non moins grand à mortifier sa chair, afin de porter extérieurement en son corps la croix qu'il avait placée intérieurement en son coeur. Or, l'homme de Dieu agissait de la sorte alors qu'il vivait au milieu du siècle et avant de s'être séparé entièrement du monde.

 

CHAPITRE II. François se convertit parfaitement à Dieu et répare trois églises.

 

Le serviteur du Très-Haut n'avait en sa conduite d'autre directeur que Jésus-Christ. La divine Miséricorde

 

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vint donc le visiter de nouveau par la douceur de sa grâce. Un jour étant sorti dans la campagne pour méditer, il se promenait auprès de l'église de Saint-Damien, qui tombait de vétusté. Poussé par l'Esprit-Saint, il y entra, et prosterné devant l'image de Jésus crucifié, il fut rempli durant sa prière d'une consolation extraordinaire. Tandis que, les yeux baignés de larmes, il contemplait la croix du Seigneur, une voix partie de la croix elle-même vint frapper ses oreilles et lui dit par trois fois : « François, allez et réparez ma maison, car elle tombe en ruine, comme vous le voyez. » François était seul dans l'église : étonné et effrayé d'entendre cette voix miraculeuse, il comprend que c'est Dieu qui lui parle, et son esprit est ravi en extase par la vertu de cette parole divine. Enfin revenu à lui-même il se prépare à obéir sans retard et à réparer autant qu'il le pourra l'église de Saint-Damien selon le commandement qu'il en avait reçu, bien que l'intention principale de la voix se rapportât à cette Eglise que Jésus-Christ a acquise au prix de son sang, comme l'Esprit-Saint le lui manifesta dans la suite et comme lui-même le fit connaître à ses disciples. Il se lève donc après s'être muni du signe de la croix, va prendre quelques pièces d'étoffe et s'empresse d'aller les vendre à Foligni. En ayant touché le prix, il s'en revient plein de joie, sans ramener le cheval dont il s'était servi. De re-tour à Assise il entre avec révérence dans l'église qu'il avait reçu l'ordre de réparer, et trouvant le prêtre, qui était fort pauvre, il le salue respectueusement,

 

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lui offre l'argent de ses marchandises tant pour les réparations de son église que pour les besoins des indigents, et le prie humblement de vouloir bien lui permettre de demeurer quelque temps avec lui. Le prêtre acquiesça à sa demande ; mais il refusa l'argent par crainte de sa famille. Alors plein d'un vrai mépris pour cet argent, François le jeta sur une fenêtre et ne le considéra que comme une vile poussière.

Cependant son séjour chez le prêtre dont nous avons parlé se prolongeait. Aussitôt que son père en fut instruit, il y courut outré de fureur. Mais François connaissait déjà ses menaces ; il pressentait son arrivée; comme il était encore novice dans les combats du Seigneur, voulant donner à sa colère le temps de se calmer, il se cacha dans une caverne obscure. Là, durant plusieurs jours il supplia le Seigneur avec des larmes abondantes de vouloir bien le délivrer des mains de ceux qui étaient à la poursuite de son âme, et de lui donner, dans sa bonté miséricordieuse, d'accomplir les pieux desseins qu'il lui avait inspirés. Alors pénétré d'une joie extrême, il commença à se reprocher à lui-même sa pusillanimité, et abandonnant la caverne, il s'avança sans crainte vers la ville d'Assise. Quand ses concitoyens le virent avec un visage défait et abattu, et tenant un langage tout nouveau, ils crurent qu'il avait perdu l'esprit; ils lui jetèrent de la boue et des pierres, et le poursuivirent de leurs insultes comme un fou et un insensé. Mais le serviteur de Dieu, sans se laisser abattre ni même

 

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ébranler par les injures, s'avançait comme s'il eût été insensible. Son père, entendant tout ce bruit, accourut aussitôt, non pour le délivrer, mais pour le maltraiter sans pitié, car après l'avoir traîné avec violence en sa maison, il l'accabla de reproches, ensuite de coups, et il le chargea de chaînes. Mais les peines fortifiaient son courage et le rendaient plus prompt à accomplir ce qu'il avait commencé pour la gloire du Seigneur. Il se souvenait de ces paroles de l'Évangile : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient (1).

Cependant le père s'en alla en voyage bientôt après, et la Mère, qui n'approuvait point une telle rigueur, désespérant de vaincre l'inflexible courage de son fils, le délivra de ses chaînes et lui permit de s'en aller. François rendit grâces à Dieu et retourna aussitôt au lieu où il était d'abord. Mais, revenu à la maison et ne le trouvant pas, son père s'emporta en injures contre son épouse, et courut plein de fureur à l'endroit où il s'était retiré, afin de le ramener s'il le pouvait, ou au moins de le chasser de la province. François affermi par Dieu, alla s'offrir lui-même à la colère de son père, et lui déclara hautement qu'il ne comptait pour rien ses chaînes ni ses coups et qu'il était prêt à souffrir volontiers toutes sortes de maux pour le nom de Jésus. Le père, furieux de ne pouvoir rien gagner sur lui, chercha à avoir au moins son argent. Enfin l'ayant trouvé sur

 

1 Mat., 5.

 

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la fenêtre, il s'adoucit un peu, comme si la possession de cette somme eût tempéré la soif de son avarice. Ensuite ce père vraiment terrestre s'efforça, après avoir enlevé son argent à l'enfant de la grâce, de le conduire devant l'évêque de la ville pour obtenir qu'il renonçât à tout droit en sa succession et lui rendît ce qu'il possédait. Mais cette fois ce véritable amant de la pauvreté se montra empressé à accorder ce qu'on lui demandait. Arrivé devant l'évêque, sans tarder ni s'inquiéter de rien, sans demander aucune explication, sans en donner lui-même, il se dépouille de ses vêtements et les rend à son père; et alors on vit que sous des habits recherchés l'homme de Dieu portait un cilice. La ferveur qui l'animait était si admirable et son âme si pleine d'ivresse que, rejetant jusqu'au dernier de ses vêtements, il parut nu devant toutes les personnes présentes. Alors il dit à son père : « Jusqu'à ce jour je vous ai appelé mon père sur la terre; maintenant je puis en toute assurance dire : Notre Père qui êtes dans les cieux, car je l'ai rendu dépositaire de tout mon trésor et j'ai placé en lui toute mon espérance. »

L'évêque, qui était un homme pieux et excellent, transporté d'admiration à la vue d'un tel amour de Dieu, se leva aussitôt, pressa en pleurant François dans ses bras, le couvrit de son propre manteau et ordonna à ses serviteurs de lui donner de quoi se vêtir. On lui offrit l'habit pauvre et grossier d'un laboureur au service de l'évêque. L'homme de Dieu le

 

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reçut avec reconnaissance, traça lui-même dessus l'image d'une croix avec une pierre qui se trouva sous ,sa main, et en fit un vêtement qui montrait en sa personne l'homme crucifié et le pauvre à peine couvert. Ainsi le serviteur du Roi suprême demeura dépouillé de tout afin de marcher à la suite de celui qu'il aimait, à la suite de son Seigneur attaché nu à la croix; afin de pouvoir, muni de ce signe sacré de la croix: confier son âme à sa puissance salutaire et échapper sain et sauf au naufrage du monde. Méprisant donc la terre d'une manière parfaite et délivré des chaînes de ses vaines cupidités, il abandonna la ville et s'en alla heureux et libre dans le secret de la solitude goûter dans le silence et loin des bruits de la terre les mystérieux entretiens du ciel.

Or, un jour que l'homme de Dieu s'avançait à travers une forêt en chantant avec ardeur les louanges du Seigneur en langue française, des voleurs se précipitèrent sur lui d'un lieu où ils se tenaient cachés. Ils lui demandèrent avec emportement qui il était. Je suis, répond l'homme de Dieu avec assurance et dans un langage prophétique, je suis le héraut du grand Roi. » Mais les voleurs l'accablèrent de coups et le jetèrent dans une fosse remplie de neige, en lui disant : « Voilà qui est bon pour toi, brillant héraut de Dieu. » Mais lorsqu'ils se furent retirés, il sortit de la- fosse, et pénétré d'une joie extrême, il se mit à faire retentir la forêt avec plus de force qu'auparavant des louanges de son Créateur. Il vint ensuite à un monastère voisin où il demanda l'aumône

 

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comme un mendiant et un inconnu. De là il s'avança jusqu'à Eugubio, où un ancien ami l'ayant reconnu, le reçut et lui fit présent d'un habit d'un prix fort médiocre, dont il se couvrit comme un pauvre de Jésus-Christ.

Epris du désir d'observer une humilité parfaite, il se rendit à l'hôpital des lépreux et s'appliqua à les servir avec tout le soin possible par amour pour Dieu. Il leur lavait les pieds, nettoyait leurs plaies, les essuyait, les bandait et les couvrait de ses baisers avec une ferveur merveilleuse, montrant ainsi que bientôt il serait pour ces hommes un médecin tout céleste. Une telle charité lui mérita du Seigneur le don d'une vertu admirable pour guérir les maladies tant de l'âme que du corps. Je citerai seulement entre plusieurs, un fait qui eut lieu alors que la réputation de l'homme de Dieu était déjà grande. Il y avait dans le comté de Spolète un homme dont la bouche et même la mâchoire étaient rongées par une maladie horrible, et contre laquelle tous les efforts de la médecine étaient demeurés impuissants. Etant donc allé visiter les tombeaux des apôtres afin d'implorer leur secours, il rencontra, en revenant de son pèlerinage, le serviteur de Dieu. Aussitôt cet homme voulut par dévotion baiser la trace de ses pieds; mais l'humble François ne le souffrit pas, et tandis qu'il s'inclinait pour satisfaire son désir, il le pressa lui-même dans ses bras et baisa ses plaies. A peine le serviteur des lépreux eut-il touché de sa bouche sainte et avec la piété la plus ardente cette plaie

 

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repoussante, qu'aussitôt le mal disparut et le malade recouvra la guérison si longtemps désirée. Je ne sais en vérité ce que je dois le plus admirer ou de l'humilité profonde de notre saint dans ce baiser si plein de tendresse, on de sa puissance éclatante dans l'accomplissement d'un miracle si étonnant.

Cependant François ainsi établi dans l'humilité de Jésus-Christ se rappelle l'ordre céleste reçu au pied de la croix de réparer l'église de Saint-Damien. En homme véritablement soumis aux volontés de Dieu, il revint à Assise afin de chercher, au moins en mendiant, le moyen de les accomplir. Là, mettant de côté toute honte par amour pour le Seigneur pauvre et crucifié, il recueillait des aumônes de ceux au mi-lieu desquels il avait vécu autrefois dans l'abondance, et il transportait lui-même, dans un corps déjà brisé par la pénitence, les matériaux nécessaires à son travail. Après avoir achevé son oeuvre avec l'aide de Dieu et la pieuse assistance de quelques-uns de ses concitoyens, craignant de voir son corps s'amollir dans l'oisiveté, il résolut de réparer une autre église plus éloignée de la ville et consacrée à saint Pierre. Sa dévotion spéciale au prince des apôtres, dévotion accompagnée d'une foi vive et sincère, le poussait à une pareille entreprise. Ce travail fini, il alla dans un lieu appelé la Portiuncule, où autrefois une église avait été élevée en l'honneur de la bienheureuse Mère du Sauveur; mais cette église était alors déserte et nul n'en prenait soin. L'homme de Dieu, touché d'un tel abandon et excité par l'amour ardent dont

 

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il faisait profession envers la Reine du monde, revint fréquemment en ce lieu pour réparer son temple. Mais ayant appris que, selon le nom de cette église appelée Sainte-Marie-des-Anges, les saints anges s'y montraient souvent, il s'y fixa tout-à-fait par respect pour ces esprits célestes et par la dévotion particulière qu'il avait à la Mère de Jésus. Notre saint aima toujours ce lieu de préférence à tous les lieux du monde : c'est là qu'il jeta les fondements d'une vie parfaite, là qu'il s'avança merveilleusement dans la vertu, là qu'il consomma sa course par une mort bienheureuse, et en mourant il recommanda à ses frères ce lieu comme vraiment cher à la Vierge. Un religieux très-édifiant eut à ce sujet, avant d'avoir quitté le monde, une vision digne d'être rapportée. Il vit autour de cette église une multitude innombrable d'hommes frappés d'aveuglement, à genoux et le visage tourné vers le ciel. Tous élevaient les mains et criaient avec larmes vers Dieu, implorant sa miséricorde et lui demandant sa lumière. Alors une flamme éclatante, partie du ciel, se répandit sur eux, éclaira leurs yeux et leur apporta le salut qu'ils désiraient. — C'est en ce lieu que saint François commença à établir l'ordre des Frères mineurs après y avoir été poussé par une révélation céleste.

Or, la Providence divine, qui dirigeait en tous ses actes le serviteur de Jésus-Christ, le porta à réparer ainsi trois églises matérielles avant de jeter les fondements de son ordre et de se livrer à la prédication de l'Evangile, afin de l'élever graduellement des choses

 

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sensibles à celles de l'intelligence, et de ce qui est faible à ce qui est plus considérable. Elle lui présageait aussi mystérieusement, par ce travail extérieur, ce qu'il était appelé à faire dans la suite; car sous la conduite de ce saint homme, l'Eglise, comme une maison soumise à une triple réparation, devait être secourue de trois manières : par le genre de vie établi par lui, sa règle et ses enseignements; et l'armée des élus devait également arriver au triomphe de trois façons différentes, ainsi que l'événement nous le montre aujourd'hui.

 

CHAPITRE III. De l'institution de l'ordre des Frères mineurs, et de l'approbation de la règle.

 

Cependant François continuait à demeurer dans l'église de la Mère de Dieu, et il suppliait par ses gémissements continuels celle qui conçut le Verbe plein de grâce et de vérité de vouloir bien être son avocate. Enfin il obtint, par les mérites de cette Vierge miséricordieuse, de concevoir et de mettre au monde l'esprit de la pauvreté évangélique. Un jour qu'il entendait une messe célébrée en l'honneur des saints apôtres, on y lut l'Evangile où Jésus-Christ, envoyant ses disciples prêcher et leur donnant une règle de vie, leur recommande de ne posséder

 

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ni or, ni argent, ni aucun autre trésor; de ne porter pour le vol age ni sac, ni deux habits, ni souliers, ni bâton. En entendant ces paroles, cet ami de la pauvreté apostolique les comprit, les garda fidèlement en sa mémoire et s'écria, transporté d'une joie indicible : « C'est là ce que je désire, c'est là ce que u j'ambitionne du fond de mon coeur. » Ensuite il ôte ses souliers de ses pieds et laisse-là son bâton; il met de côté son sac, maudit l'argent, et content d'un seul vêtement, il rejette sa ceinture et la remplace au moyen d'une corde, apportant ainsi toute sa sollicitude à accomplir exactement les choses qui viennent de lui être annoncées, et ;à se conformer en tout aux règles de la perfection apostolique.

Dès ce moment l'homme de Dieu, conduit par une inspiration toute divine, commença à se montrer plein de zèle pour la pratique des conseils de l'Évangile, et à inviter les hommes à la pénitence. Ses discours n'étaient point des puérilités vides de sens et dignes d'exciter les moqueries, mais des paroles pleines de la vertu de l'Esprit-Saint, des paroles qui pénétraient au fond des coeurs et jetaient dans un étonneraient inexprimable ceux à qui elles s'adressaient. En toutes ses prédications il souhaitait la paix et saluait le peuple en commençant par ses paroles : « Que le Seigneur vous donne la paix. » Il avait appris du Seigneur lui-même dans une révélation ce genre de salut, comme il l'avoua dans la suite. Ainsi, pour me servir du langage des saints Livres, inspiré de l'esprit des prophètes, il annonçait la paix,

 

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il prêchait le salut, et par ses avis vraiment saints, il faisait rentrer dans les liens de la vraie paix un grand nombre d'hommes auparavant ennemis de Jésus-Christ et bien éloignés du salut qu'il nous a apporté. François devint doue célèbre auprès de beaucoup par la pureté de ses enseignements pleins de simplicité et par sa vie sainte; et plusieurs, commençant à son exemple à s'animer du désir de la pénitence, abandonnèrent tout, se vêtirent comme lui et embrassèrent son genre de vie. Le premier s'appelait Bernard. C'était un homme vénérable qui, ayant reçu du ciel le bienfait de la vocation divine, mérita d'être l'aîné des enfants de notre bienheureux père, non-seulement par son ancienneté, mais encore par sa sainteté privilégiée. Ayant reconnu la vertu admirable du serviteur de Dieu, il résolut de marcher sur ses traces par un mépris parfait du monde, et il lui demanda conseil pour l'exécution de son dessein. François, rempli de consolation à la vue de ce premier enfant d'une famille ainsi conçue par l'Esprit-Saint, lui répondit : « C'est auprès de Dieu qu'il faut chercher un pareil conseil. »

Le lendemain de grand matin, ils entrèrent donc dans l'église de saint Nicolas, et, après avoir prié, François, véritable adorateur de la Trinité, ouvrit par trois fois le livre des Evangiles en demandant aux trois personnes sacrées de vouloir bien confirmer, chacune par un témoignage, la sainte résolution de Bernard. La première fois il tomba sur ces paroles : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce

 

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que vous avez et donnez- le aux pauvres (1). » La seconde, sur les suivantes : « Ne portez rien dans votre voyage (2) ; » et la troisième, sur ce passage : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, qu'il porte sa croix et me suive (3). » Voilà, dit le saint, notre vie et notre règle, la vie et la règle de tous ceux qui viendront se joindre à nous. Allez donc, et, si vous voulez être parfait, accomplissez ce que vous avez entendu.

Peu de temps après cinq autres frères se présentèrent appelés par le même esprit et portèrent ainsi à six le nombre des enfants de François. Le troisième parmi eux. fut notre saint père Gille, homme vraiment plein de Dieu et dont le souvenir doit toujours nous être cher. En effet, après s'être exercé longtemps dans la pratique des vertus les plus sublimes, il parvint, selon la prédication du serviteur de Dieu, aux degrés les plus élevés de la contemplation, quoiqu'il fût simple et sans instruction. Il lui arrivait si souvent d'être ravi en de longues extases au milieu de ses occupations, comme j'en ai été témoin moi-même, qu'il semblait mener sur la terre une vie plus angélique qu'humaine. En ce même temps le Seigneur favorisa aussi d'une vision que nous ne pouvons passer sous silence, un prêtre de la ville d'Assise, nommé Silvestre, homme d'une vie recommandable. Il avait en horreur, par un sentiment tout humain, le genre de vie de François et de ses frères; la grâce d'en haut vint donc le visiter pour l'arracher au

 

1 Mat., 19. — 2 Luc., 9. — 3 Mat., 16.

 

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danger d'un jugement téméraire. Il vit en songe la ville d'Assise tout entière environnée par un dragon d'une grandeur telle que tout le pays semblait destiné à périr, dans ses immenses replis. Ensuite une croix d'or lui apparut sortant de la bouche de François; la partie supérieure touchait les cieux, les deux .extrémités s'étendaient jusqu'aux dernières limites du monde, et son aspect brillant mettait en fuite ce dragon cruel et horrible. La même vision se renouvela trois fois différentes. Alors pensant qu'il y avait là un avertissement du Ciel, il en fit un récit détaillé au serviteur de Dieu et à ses frères, et peu de temps après il renonça au monde et s'attacha si parfaitement à Jésus-Christ, que sa vie dans notre ordre fut un témoignage éclatant de la révélation dont il avait été favorisé dans le siècle. Ce récit n'inspira à l'homme de Dieu aucune pensée de vaine gloire; mais, reconnaissant la bonté de Dieu dans ses bienfaits, il se sentit animé plus fortement encore à combattre les ruses de notre antique ennemi et à prêcher aux hommes la gloire de la croix. Un jour qu'il s'était retiré dans un endroit solitaire et qu'il y déplorait dans l'amertume de son âme les premières années de sa vie, un sentiment de joie vive, répandu en lui par l'Esprit-Saint, l'assura de la rémission pleine et entière de ses péchés. Ensuite ravi en extase et transporté au milieu d'une lumière admirable, son esprit fut comme dilaté, et il vit dans le plus grand jour ce qui devait lui arriver à lui et aux siens. Revenu à lui-même et de retour auprès de ses frères, il leur

 

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dit : « Prenez courage, mes bien-aimés, et réjouissez-vous dans le Seigneur. Gardez-vous d'être tristes à la vue de votre petit nombre, et que ma simplicité ne vous inspire aucune crainte non plus que la vôtre; car le Seigneur m'a montré ouvertement qu'il nous multipliera d'une manière étonnante et qu'il dilatera notre ordre par les grâces abondantes de sa bénédiction. »

Dans le même temps un homme de bien entra encore en religion, et la famille bénie du serviteur de Dieu se trouva composée de sept membres. Alors ce tendre père réunit ses enfants autour de lui, leur parla longuement du royaume de Dieu, du mépris du monde, du renoncement à notre volonté, de la mortification du corps, et il leur fit connaître son dessein de les envoyer dans les quatre parties de l'univers. La simplicité si dénuée et si impuissante de notre saint père avait donné le jour à sept enfants, et déjà il désirait appeler tous les fidèles aux gémissements de la pénitence et les enfanter à Jésus-Christ, son Seigneur. « Allez, leur dit ce tendre père, allez et annoncez la paix aux hommes. Prêchez-leur la pénitence pour qu'ils obtiennent le pardon de leurs péchés. Soyez patients dans la tribulation, assidus à la prière, courageux dans le travail, modestes et sans prétention dans vos discours, graves dans vos moeurs et reconnaissants pour les bienfaits reçus; c'est à ces conditions que le royaume des cieux vous est préparé. » Aussitôt tous se prosternèrent humblement devant le serviteur de Dieu, et reçurent

 

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avec un coeur plein de joie le commandement qu'il leur imposait au nom de la sainte obéissance. Pour lui, il disait à chacun d'eux en particulier : « Abandonnez au Seigneur le soin de tout ce qui vous regarde, et lui-même se chargera de vous nourrir (1).» Dans la suite il avait coutume d'adresser toujours ces mêmes paroles à chacun des frères envoyés par lui à une mission quelconque. Mais, se souvenant qu'il avait été donné aux autres pour leur servir d'exemple, il voulut faire avant que d'enseigner. Il prit donc un des sept avec lui, et ayant choisi une des parties du monde, il laissa aux six qui restaient .les trois autres parties comme une image de la croix. Bientôt ce père plein de tendresse soupira après la présence de ses enfants bien-aimés; mais, ne pouvant les réunir, il suppliait celui qui rassemble les débris épars d'Israël de vouloir bien le faire lui-même. Ainsi il arriva que, sans avoir été rappelés, tous, à leur grand étonnement, se trouvèrent réunis peu de temps après leur séparation, par un bienfait de la miséricorde divine et selon le désir de François. Quatre hommes recommandables vinrent alors se joindre à eux, et ils atteignirent ainsi le nombre de douze.

Le serviteur de Dieu, voyant donc ses enfants se multiplier peu à peu, écrivit pour eux et pour lui, dans un langage simple, une règle de conduite. Il en établit pour base indissoluble l'observance du saint Evangile, et se contenta d'y ajouter un petit nombre de points qui lui semblaient nécessaires pour former

 

1 Ps. 56.

 

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un genre uniforme de vie. Ensuite, désireux d'obtenir du souverain Pontife, l'approbation de cette règle, il résolut d'aller se présenter à lui avec les hommes pleins de simplicité qu'il s'était associés, se confiant pour une semblable démarche uniquement en l'assistance du Ciel. Dieu regarda son désir et il fortifia par la vision suivante, dont il favorisa son serviteur, le coeur de ses compagnons, que la considération de leur simplicité jetait dans la crainte. Il semblait à François qu'il s'avançait par un chemin au bord duquel était un arbre d'une élévation prodigieuse. Lorsqu'il s'en fut approché et qu'assis dessous il en admirait la hauteur, la puissance divine l'éleva lui-même au-dessus de la terre de telle sorte qu'il atteignait le faîte de cet arbre et en inclinait sans difficulté les branches les plus hautes vers celles qui étaient le plus rapprochées de la terre.

Cet homme plein de l'esprit de Dieu comprit donc que cette vision lui présageait un bon succès auprès du siége apostolique; et tressaillant de joie en son âme, après avoir ranimé le courage de ses frères dans le Seigneur, il se mit en route avec eux. Arrivé à Rome, il fut introduit en présence du Souverain-Pontife. Le vicaire de Jésus-Christ, qui habitait alors le palais de Latran, et se promenait en ce moment dans une salle appelée la salle des Sentinelles, livré tout entier à de profondes méditations, le repoussa avec mépris comme un inconnu. François sortit humblement et sans murmurer; mais la nuit suivante Dieu envoya aussi au Pontife une

 

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vision. Il lui semblait voir un palmier croître peu à peu à ses pieds, s'élever ensuite et devenir un arbre admirable. Etonné et se demandant ce que signifiait une pareille vision, la céleste lumière lui fit comprendre que ce palmier désignait le pauvre rejeté par lui la veille. Le jour venu, il envoya par la ville ses serviteurs chercher ce pauvre. Ils le trouvèrent à l'hôpital de Saint-Antoine, proche de Latran, et le pape commanda qu'on le lit venir sans délai. Introduit pour la seconde fois devant le Souverain-Pontife, François lui exposa son projet et le supplia avec instance et humilité de vouloir bien approuver sa règle. Le vicaire de Jésus-Christ, qui était Innocent III, homme illustre par sa sagesse, voyant dans le serviteur de Dieu la pureté admirable d'une âme droite, une constance inébranlable et la ferveur d'une volonté toute sainte, fut épris d'amour pour lui et se sentit porté à répondre à ses désirs. Cependant il différa pour le moment, car plusieurs cardinaux jugeaient ce genre de vie nouveau et au-dessus des forces humaines. Mais il y avait dans le Sacré-Collége un homme vénérable, Jean de Saint-Paul, évêque de Sabine. Il aimait avec ardeur la sainteté sous quelque forme qu'elle se montrât, et il était le protecteur des pauvres de Jésus-Christ. Enflammé par l'Esprit-Saint, il dit au Souverain-Pontife et à ses frères : « Ce pauvre nous demande d'approuver un genre de vie conforme aux conseils évangéliques. Si nous rejetons ses projets comme trop difficiles et comme une nouveauté, nous nous

 

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exposons à agir contre l'Evangile du Seigneur. Car soutenir que l'observance des conseils et le voeu qu'on en fait sont quelque chose de nouveau ou de contraire à la raison, c'est blasphémer ouvertement contre Jésus-Christ, auteur de l'Evangile. » Alors le successeur de saint Pierre se tournant vers le pauvre du Seigneur : « O mon fils, lui dit-il, priez Jésus-Christ de nous manifester sa volonté par vous-même, afin que, l'ayant connue d'uuue manière plus certaine, nous puissions plus sûrement répondre à vos pieux désirs. » Le serviteur du Dieu tout-puissant se mit donc à prier avec ardeur, et sa ferveur lui obtint une réponse qu'il put produire extérieurement et dont le pape sentit intérieurement la vertu. Il leur dit en parabole qu'un roi riche avait choisi pour épouse une femme d'une rare beauté, mais pauvre, et que, heureux de trouver dans les enfants issus de cette union son image royale, il avait ordonné de les nourrir des mets de sa table, selon l'ordre qu'il en avait reçu de Dieu. Il expliqua sa parabole et ajouta : « On ne doit pas craindre de voir mourir de faim les enfants et les héritiers du Roi éternel, qui, comme Jésus-Christ, ont pris naissance d'une pauvre mère par la vertu de l'Esprit-Saint. On ne doit pas craindre de les voir former par l'esprit de pauvreté un ordre dénué de tout. Si le Roi des cieux a promis son royaume éternel à ses imitateurs, combien plus leur donnera-t-il les choses qu'il accorde indifféremment aux bons et aux méchants ! »

 

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Le vicaire du Sauveur avait écouté avec l'attention la plus vive la parabole et son explication. Il fut transporté d'admiration et ne douta plus que le Seigneur lui - même n'eût parlé par la bouche de François. Il jugea aussi, par l'inspiration divine, qu'une autre vision dont il avait été favorisé trouverait son accomplissement en cet homme. Il voyait en songe, comme il le rapporta lui-même, l'église de Latran près de tomber en ruines, quand un homme pauvre, sans apparence et méprisable, la soutenant de son dos, l'empêchait de s'écrouler. « Ce pauvre, dit-il, est vraiment celui qui soutiendra l'Eglise de Jésus- Christ par ses oeuvres et sa doctrine. » Alors plein d'une sainte ferveur, le pape accorda au serviteur de Dieu toute sa demande, et il eut toujours pour lui dans la suite une tendresse spéciale. Non-seulement il satisfit à ses désirs, mais il lui promit de faire encore plus pour lui dans la suite. Il approuva sa règle, lui donna le commandement de prêcher la pénitence, et voulut que ses compagnons portassent de petites couronnes, afin de pouvoir répandre en toute liberté la divine parole.

 

CHAPITRE IV. Progrès de l'ordre sous la direction de François et confirmation de sa règle déjà approuvée.

 

Appuyé sur la grâce divine et sur l'autorité du pape, François partit plein de confiance et se dirigea

 

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vers la vallée de Spolète pour y enseigner l'Evangile du Seigneur et le pratiquer lui-même. Dans le voyage il examinait avec ses frères comment ils pourraient observer fidèlement la règle qu'ils venaient de recevoir, marcher en présence de Dieu en toute sainteté et toute justice, croître intérieurement en perfection, et servir d'exemple aux autres. Ces discours les avaient occupés longuement et l'heure était déjà bien avancée. Accablés des fatigues de la marche et en proie à la faim, il s'arrêtèrent en un lieu solitaire. Mais ils n'avaient aucun moyen de se procurer les aliments dont ils manquaient, quand la Providence leur vint en aide. Un homme se présenta tout-à-coup portant en sa main un pain qu'il donna aux pauvres de Jésus-Christ, puis il disparut de même, sans dire ni d'où il venait ni où il allait. Les frères, reconnaissant que l'assistance du Ciel ne les abandonnerait pas en la société du serviteur de Dieu, trouvèrent un bonheur incomparablement plus grand à admirer la bonté divine qu'à prendre la nourriture qu'elle leur envoyait. Pleins d'une consolation toute céleste, ils résolurent fermement et arrêtèrent irrévocablement de ne jamais manquer, sous prétexte de privation ou de souffrance, à l'engagement qu'ils avaient pris de garder la sainte pauvreté. Ensuite ils se remirent en route pour la vallée de Spolète, et examinèrent s'ils devaient demeurer parmi les hommes ou dans la solitude. Mais François, se défiant de ses lumières et de celles de ses frères, demanda au Ciel par d'instantes prières de lui faire connaître sa

 

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volonté en ce point. Eclairé enfin par une révélation d'en haut, il comprit que le Seigneur l'avait envoyé pour gagner à Jésus-Christ les âmes que le démon s'efforçait de lui ravir. Et ainsi il choisit de vivre pour tous et non pour lui seul, entraîné par l'exemple de celui qui a daigné mourir pour le monde entier.

L'homme de Dieu se retira donc avec ses compagnons près d'Assise, dans une misérable hutte abandonnée; et là ils vivaient selon les règles de la sainte pauvreté, dans un travail pénible et une grande détresse. Leur nourriture consistait plutôt dans l'abondance de leur larmes que dans un pain délicieux. Leur prière était continuelle et fervente; mais ils priaient plus de coeur qu'autrement, car ils manquaient encore de livres; et ainsi il leur était impossible de réciter l'office de l'Eglise. Leur livre unique était la croix de Jésus-Christ, et leurs yeux la contemplaient sans interruption le jour et la nuit à l'exemple de leur père, qui, de son côté, les entretenait sans cesse de cette croix bienheureuse. Lui ayant demandé un jour de vouloir bien leur enseigner à prier, il leur dit : « Lorsque vous prierez, dites : Notre Père qui êtes dans les cieux, etc. Seigneur Jésus, nous vous adorons dans toutes les églises consacrées à votre gloire dans l'univers entier, et nous vous bénissons de ce que vous avez racheté le monde par votre croix sainte. Il leur apprit aussi à louer le Seigneur en toutes choses et par toutes ses créatures, à avoir pour les prêtres un respect particulier, à croire inviolablement et à

 

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confesser en toute simplicité la foi professée et enseignée par la sainte Eglise romaine. Fidèles aux enseignements de leur bienheureux père, d'aussi loin qu'ils apercevaient une église ou une croix, ils se prosternaient et priaient selon la méthode indiquée par lui.

Cependant les frères continuaient à demeurer en ce lieu. Or, un jour de samedi, notre saint entra dans la ville d'Assise pour y prêcher le lendemain matin à la cathédrale, selon sa coutume. S'étant retiré en une cabane placée dans le jardin des chanoines afin d'y passer la nuit à s'entretenir avec Dieu, ainsi qu'il le faisait habituellement, voilà qu'au milieu de la nuit, tandis que quelques-uns de ses frères se livraient au sommeil et d'autres persévéraient dans la prière, voilà, dis-je, qu'un char de feu répandant une lumière admirable, entre par la porte de la maison, se promène çà et là, et la parcourt trois fois. Sur le char était un globe lumineux ayant l'apparence du soleil, et son éclat changea la nuit en un jour brillant. Ceux qui veillaient furent saisis d'un étonnement profond; ceux qui étaient endormis s'éveillèrent pénétrés d'épouvante; et leur coeur se trouva aussi accessible que leur corps aux rayons de cette clarté ineffable, car sa vertu leur montra à découvert la conscience les uns des autres. Cette vue leur fit comprendre à tous sans exception que leur bienheureux père absent corporellement, mais présent en esprit au milieu d'eux, leur apparaissait sous cet emblème; que dans ce char de feu et tout resplendissant, le Seigneur, par un effet de

 

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sa puissance, l'offrait à leurs regards illuminé des splendeurs célestes et enflammé de divines ardeurs, comme un véritable Israélite à la suite duquel ils devaient s'avancer, comme un autre Elle établi par Dieu pour ètre le char et le guide des hommes spirituels. Et il est à croire assurément que les yeux de ces pauvres frères avaient été ouverts miraculeusement à la prière de François, comme autrefois le furent ceux du serviteur d'Elisée lorsqu'il vil la montagne remplie de cavaliers et de chars enflammés qui environnaient son maître. 1)e retour auprès de ses enfants, le saint commença à pénétrer les secrets de leur conscience, à les fortifier en leur parlant de cette vision admirable et à leur prédire plusieurs particularités touchant les progrès de l'ordre. Comme la plupart de ces choses ne pouvaient se connaître humainement, les frères comprirent à n'en plus douter que l'Esprit du Seigneur s'était reposé avec une telle plénitude sur son serviteur, qu'il y avait pour eux toute sûreté à suivre ses enseignements et à marcher sur ses traces.

Ensuite François, guidé par la grâce d'en haut, conduisit son petit troupeau à Sainte-Marie de la Portiuncule, afin que l'ordre des Frères mineurs trouvât l'accroissement là où, par les mérites de la Mère du Seigneur, il avait pris naissance. C'est là aussi que, devenu héraut de l'Evangile, il se mit à parcourir les villes et les bourgades en prêchant, non dans le langage éclatant de la sagesse des hommes, mais dans la vertu de l'Esprit-Saint. Il semblait un

 

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homme d'un autre monde à ceux qui le regardaient; car son esprit et ses yeux étaient sans cesse fixés vers le ciel, et il s'efforçait d'élever tous les coeurs au-dessus de la terre. C'est alors que la vigne de Jésus-Christ commença à se couvrir de plantes odoriférantes, à produire des fleurs pleines de suavité, et à porter des fruits abondants de gloire et de sainteté. Entraînés par les prédications brûlantes de François, beaucoup qui jusqu'alors avaient servi Dieu dans l'état du mariage, s'imposaient de nouvelles lois de pénitence selon une règle donnée par lui. Il résolut donc de former un nouvel ordre de frères pénitents selon ce même genre de vie; car le chemin de la pénitence étant la voie commune à tous ceux qui dé-sirent s'avancer vers la patrie, il est certain que cet état doit admettre dans son sein des clercs et des laïques, des vierges et des personnes engagées dans le mariage; et les miracles accomplis par quelques-uns de ceux qui l'ont embrassé montrent clairement combien Dieu l'a pour agréable. Des vierges aussi s'engageaient à une chasteté perpétuelle. Parmi elles se trouvait Claire, femme vraiment chérie de Dieu. Elle fut la première de ces plantes bénies; elle répandit ses parfums comme une fleur brillante et embaumée ; elle devint radieuse comme une étoile éclatante de lumière. Maintenant qu'elle a reçu la récompense céleste, l'Eglise entière la vénère comme la fille en Jésus-Christ de notre saint père François, et comme la mère de toutes celles qui ont embrassé la pauvreté dans son ordre.

 

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Beaucoup aussi, non-seulement touchés de dévotion, mais enflammés du désir de la perfection, foulaient aux pieds toutes les vanités du monde pour marcher sur les traces de François; et leurs progrès de chaque jour leur permirent bientôt de s'élancer jusqu'aux extrémités du monde. La sainte pauvreté, qui était tout leur trésor, les rendait prompts à obéir, forts dans le travail et agiles dans les voyages. Comme ils ne possédaient aucun bien terrestre, ils n'étaient retenus par aucune affection, ils ne redoutaient aucune perte; partout ils se trouvaient en sûreté, à l'abri de toute crainte, exempts de toute inquiétude; l'âme en paix ils se retiraient le soir à l'hôpital et y attendaient le lendemain sans sollicitude. Ils étaient, il est vrai, comme des personnes viles et méprisables, exposés en plusieurs endroits à de mauvais traitements; mais le désir de se conformer à l'Évangile de Jésus-Christ les avait rendus si patients qu'ils cherchaient les lieux où ils pourraient souffrir persécution en leur corps de préférence à ceux où leur sainteté étant connue leur aurait attiré les honneurs du monde. La détresse où ils étaient leur semblait aussi une abondance extraordinaire; car, selon le conseil du Sage, ils réputaient considérable la chose la plus minime. Plusieurs d'entre eux étant allés chez les infidèles, un sarrasin touché de pitié leur offrit tic l'argent pour acheter de quoi vivre. Comme ils le refusaient, cet homme, voyant leur pauvreté, en fut dans l'admiration. Mais, ayant compris qu'ils ne voulaient posséder aucun

 

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argent parce qu'ils s'étaient rendus pauvres pour l'amour de Dieu, il conçut pour eux une affection telle qu'il s'offrit à pourvoir à leur subsistance aussi longtemps que sa fortune le lui permettrait. O prix inestimable de la pauvreté, dont la vertu puissante a rempli l'âme d'un barbare d'une compassion si pleine de tendresse! C'est donc un crime horrible et abominable pour un chrétien de fouler aux pieds cette perle précieuse, entourée par un sarrasin d'une vénération si profonde.

En ce même temps il y avait dans un hôpital proche d'Assise un religieux mathurin, nommé Maurice, depuis longtemps en proie à une maladie douloureuse. Déjà même les médecins l'avaient condamné à mort, quand il envoya supplier instamment le serviteur de Dieu de vouloir bien intercéder pour lui auprès du Seigneur. Notre bienheureux père y consentit volontiers; et, après avoir prié, prenant des miettes de pain et de l'huile d'une lampe qui brûlait devant l'autel de la Vierge, il en fit un remède qu'il envoya au malade par un frère en lui disant : « Portez cette médecine à notre frère Maurice, car la vertu de Jésus-Christ ne lui rendra pas seulement la santé, mais elle en fera un soldat robuste, elle l'unira à notre société et l'y fera persévérer. » Aussitôt que le malade eut goûté ce remède préparé par une inspiration de l'Esprit-Saint, il se leva guéri et se trouva surnaturellement si fortifié en son corps et en son âme, que peu de temps après il entra dans notre ordre. Là il se contenta

 

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d'une robe pour tout vêtement; pendant longtemps il porta sous cette robe une cuirasse; sa nourriture se composa d'aliments grossiers et sans préparation, comme d'herbes, de légumes et de fruits ; durant un grand nombre d'années il ne fit usage ni de pain ni de vin; et cependant sa santé se conserva forte et

sans infirmité.

A mesure que ces nouveaux enfants de Jésus-Christ croissaient en vertu, la bonne odeur de leur renommée se répandait en tous lieux, et attirait des diverses contrées du monde des hommes désireux de connaître par eux-mêmes notre bienheureux père. Parmi eux se trouva un poète illustre par ses productions mondaines. L'empereur avait honoré ses talents d'une couronne et on l'avait surnommé le roi des vars. Il résolut donc d'aller voir aussi l'homme de Dieu, le parlait contempteur des choses de la tare. L'ayant trouvé dans un monastère, à San-Severino, où il prêchait alors, le poète reçut de Dieu une faveur signalée. Il vit le prédicateur de la croix du Seigneur, François, marqué de deux épées en forme de croix et resplendissantes de lumière : l'une descendait de sa tête à ses pieds, et l'autre s'étendait, en se croisant sur sa poitrine, d'une main jusqu'à l'autre. Il n'avait point vu jusque-là le serviteur de Dieu; mais un tel prodige suffit à le lui faire connaître. Etonné d'un spectacle aussi merveilleux, il commença à se proposer une vie plus parfaite. Ensuite touché par la vertu des paroles du saint, transpercé par ses. discours comme par le glaive spirituel sorti de sa

 

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bouche, il renonce entièrement au monde et s'attache an bienheureux par la profession de la pauvreté. Celui-ci, le voyant passer d'une manière si parfaite des agitations du siècle à la paix de Jésus-Christ, l'appela frère Pacifique. C'est ce même frère qui, croissant toujours en sainteté, mérita, avant d'être envoyé en la province de France, dont il fut le premier supérieur, de voir encore une fois sur le front de François une grande croix nuancée de couleurs diverses et répandant sur la face de notre saint un éclat admirable. Au reste, le serviteur de Dieu avait pour ce signe sacré une affection profonde; il en faisait sans cesse l'éloge dans ses discours et le traçait de sa main dans toutes ses lettres, comme si toute son application eût été de l'imprimer, selon la parole du Prophète, sur le front de tous ceux qui gémissaient et pleuraient, de tous ceux qui s'étaient véritablement convertis à Jésus-Christ.

Cependant le nombre des frères s'était considérablement augmenté. Alors ce pasteur plein de sollicitude les convoqua en chapitre général à Sainte-Marie de la Portiuncule, afin de donner dans l'empire de la sainte pauvreté une part à l'obéissance de chacun d'entre eux. On manquait en ce lieu des choses les plus nécessaires, et plus de cinq mille religieux s'y étaient réunis; mais la divine miséricorde leur vint en aide : elle fournit de quoi donner à manger à tout le monde; le corps fut sustenté et l'esprit abonda de saintes délices. François ne pouvait assister en personne aux chapitres provinciaux; mais sa pieuse

 

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sollicitude, l'ardeur de ses prières, l'efficacité de ses bénédictions l'y rendaient présent en esprit, et même quelquefois, par un effet admirable de la vertu céleste, il s'y montrait visiblement. Ainsi, un jour que l'illustre prédicateur et maintenant glorieux confesseur du Seigneur, Antoine (1), prêchait aux frères assemblés en chapitre à Arles, un religieux, nommé Monalde, homme d'une vertu éprouvée, poussé par un mouvement du Ciel, porta ses regards vers la porte du chapitre et vit distinctement François élevé dans l'air, étendant ses mains en forme de croix et donnant à ses enfants sa bénédiction. Alors tous les frères se sentirent remplis en leur âme d'une consolation si vive et si extraordinaire, que leur esprit leur rendit en eux-mêmes un témoignage certain de la présence réelle de leur bienheureux père; et ensuite des signes évidents, les paroles mêmes du saint vinrent les confirmer dans leur sentiment. On doit croire que la vertu du Tout-Puissant qui accorda au saint évêque Ambroise de Milan d'être présent aux funérailles du glorieux saint Martin et de pouvoir honorer par ce pieux office un pontife si illustre, rendit également présent son serviteur à la prédication d'Antoine, son fidèle héraut, afin d'approuver les paroles de vérité sorties de sa bouche, alors surtout qu'il célébrait les louanges de la croix de Jésus-Christ, dont François était le ministre et le prédicateur.

Cependant l'ordre se multipliait et le saint se proposait de faire confirmer pour toujours par le pape

 

1 C'est saint Antoine de Padoue.

 

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Honorius, successeur d'Innocent, la règle approuvée par ce dernier, quand Dieu lui envoya la révélation suivante : il lui semblait qu'il ramassait à terre des miettes de pain presque imperceptibles, et qu'il devait les distribuer à une multitude de frères affamés et pressés autour de lui. Comme il craignait de présenter ces faibles miettes à ses religieux dans la pensée qu'elles passeraient inaperçues en leurs mains, une voix du Ciel lui dit : « François, fais une hostie de toutes ces miettes, et donne-la à manger à tous ceux qui le voudront. » Il obéit, et tous ceux qui recevaient cette nourriture sans dévotion ou la méprisaient après l'avoir reçue, apparaissaient bientôt couverts de lèpre. Le matin, l'homme de Dieu raconta toutes ces choses à ses compagnons et leur témoigna sa peine de n'en point comprendre le mystère. Mais la nuit suivante, comme il prolongeait sa veille dans la prière, il entendit de nouveau la voix du Ciel qui lui dit : « François, les miettes qui te furent montrées la nuit dernière sont les paroles de l'Evangile; l'hostie, c'est la règle; et la lèpre, c'est l'iniquité de ceux qui y résistent. » Voulant donc, comme la vision divine le lui indiquait, réduire en une forme plus abrégée la règle qu'il avait faite de plusieurs endroits de l'Evangile et qu'il se proposait de faire confirmer, il se retira, conduit par l'Esprit-Saint, sur une montagne avec deux de ses compagnons, et là, jeûnant au pain et à l'eau, il la fit écrire selon que ce même esprit du Seigneur le lui suggérait dans ses prières. En descendant de la montagne il la confia à

 

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son vicaire; nais celui-ci peu de jours après lui ayant déclaré qu'il l'avait égarée par négligence, le saint retourna de nouveau en la solitude et l'écrivit semblable à la première avec autant de fidélité que si Dieu lui-même lui en eût dicté les paroles; et ensuite il en obtint la confirmation selon son désir, la huitième année du pontificat du pape Honorius. Il disait à ses frères, afin de les porter à l'accomplir avec plus de ferveur, qu'il n'y avait rien mis d'après son propre sentiment, mais qu'il avait fait tout écrire selon qu'il lui avait été divinement révélé. Peu de jours après, Dieu, afin d'affermir par son témoignage ce que son serviteur avançait, lui imprima de son doigt même les stigmates de Jésus; et ces marques sacrées furent comme la bulle du Pontife suprême du ciel, qui confirmait cette règle sans réserve et exaltait son auteur, comme nous le dirons plus tard après avoir parlé des vertus de notre saint.

 

CHAPITRE V. De l'austérité de la vie du saint, et comment les créatures lui étaient un sujet de consolation.

 

L'homme de Dieu, voyant donc que son exemple animait un grand nombre d'hommes à porter avec ferveur la croix de Jésus-Christ, s'excitait lui-même, comme un digne chef de l'armée du Seigneur, à

 

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atteindre au sommet d'une vertu consommée, afin de cueillir ainsi la palme de la victoire. Il méditait sans cesse ces paroles de l'Apôtre : Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscenses (1) et il s'efforçait de porter en son corps l'armure de la croix. Il réprimait avec une telle vigueur les appétits sensuels, que c'est à peine s'il accordait à la nature ce qui était nécessaire à la sustenter; car, disait-il, il est difficile de satisfaire aux besoins du corps sans se laisser entraîner à obéir à l'exigence des sens. Aussi, lorsqu'il était en santé, il n'acceptait qu'avec peine et à de longs intervalles des aliments; et encore avait-il soin de les mélanger de cendre, ou d’y ajouter une telle quantité d'eau qu'ils devenaient insipides au goût. Que dirai-je de son breuvage, lorsque, dans la plus grande ardeur de sa soif, il prenait à peine ce qu'il lui fallait d'eau pure pour la tempérer. Il inventait sans cesse de nouveaux genres d'abstinences, et chaque jour ses pratiques en ce point allaient se multipliant. Il était déjà arrivé au sommet de la perfection, et il trouvait toujours quelque moyen nouveau d'affliger sa chair et de punir en elle la concupiscence. Cependant, lorsqu'il allait au-dehors prêcher la parole de Dieu, il se conformait pour la qualité de la nourriture à ceux qui le recevaient; mais, une fois rentré à la maison, il reprenait, sans y rien changer, ses rigoureuses abstinences. Ainsi il se montrait sévère pour lui-même, plein de condescendance pour le prochain,

 

1 Gal., 5.

 

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et soumis en tout à l'Évangile; et de la sorte il était un sujet d'édification non-seulement par ses pénitences, mais encore lorsqu'il se traitait comme le reste des hommes. La terre nue était pour l'ordinaire la couche offerte à son corps fatigué; un morceau de bois ou une pierre lui servait d'oreiller; il dormait couvert de son pauvre et unique vêtement; et de la sorte il servait le Seigneur dans le froid et la nudité. Interrogé un jour comment un habit si léger pouvait le garantir des rigueurs de l'hiver, il répondit avec une admirable ferveur d'esprit : « Si nous avions soin de nous environner intérieurement par de vifs désirs des saintes ardeurs de la patrie céleste, nous supporterions sans peine ce froid extérieur. » Il avait en horreur les vêtements recherchés; il aimait ceux qui étaient grossiers, et il disait que c'était ainsi que Jean-Baptiste avait mérité les louanges du Seigneur. Si l'habit qui lui était donné lui offrait quelque commodité, il avait soin de le re-vêtir intérieurement de petites cordes; car, se disait-il, ce n'est pas dans la demeure des pauvres, mais dans les palais des princes qu'il faut, selon la parole évangélique, aller chercher la mollesse dans les vêtements.

Au reste, l'expérience lui avait appris que le démon redoutait l'austérité, et que les délices et la recherche de nos commodités l'excitaient à nous tenter plus fortement. Ainsi, une nuit souffrant de la tête et des yeux, il prit contre sa coutume un oreiller de plume pour mieux reposer. Mais le démon, y étant entré,

 

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troubla sans interruption le serviteur de Dieu et l'empêcha de diverses manières de s'appliquer au saint exercice de l'oraison, jusqu'à ce qu'il eût fait porter, par le frère qui l'accompagnait, cet oreiller loin de sa cellule ; et le frère lui-même, à peine sorti, sentit ses forces l'abandonner et ses membres lui refuser leur service. Mais à la voix du saint, à qui Dieu avait fait connaître ce qui se passait, le frère fut totalement guéri et rendu à son premier état.

Ainsi, rigide observateur d'une bonne discipline, François se tenait sur ses gardes, et apportait le plus grand soin à conserver en lui l'homme intérieur et l'homme extérieur à l'abri de toute tache. Aux premiers temps de sa conversion, il se plongeait souvent durant l'hiver dans des fosses pleines d'une eau glacée, afin de soumettre entièrement l'ennemi qu'il portait avec lui, et de préserver des feux de la' volupté le vêtement délicat de sa chasteté. Il assurait qu'un homme vraiment spirituel trouvait sans comparaison plus tolérable de souffrir les rigueurs d'un froid intense, que de ressentir tant soit peu en son âme les ardeurs de la concupiscence.

Pendant son séjour au désert de Sartiano, une nuit qu'il était occupé à prier dans sa cellule, notre antique ennemi l'appela trois fois par son nom. François lui ayant demandé ce qu'il voulait, il répondit insidieusement : « Il n'est pécheur au monde à qui Dieu ne pardonne, s'il se convertit. Mais quiconque se donne la mort par une pénitence trop rigoureuse, n'obtiendra jamais miséricorde. »

 

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Aussitôt l'homme de Dieu connut par révélation la ruse du démon, et comment il s'efforçait de le conduire à la tiédeur. Ce qui lui arriva ensuite fut une preuve évidente de ses desseins. Car aussitôt après ces paroles, celui dont le souffle allume des charbons ardents (1) attaqua le saint par une grave tentation de la chair. Mais cet amant de la chasteté, pressentant l'approche de son ennemi, se dépouilla de ses vêtements, saisit une corde et en frappa rudement son corps. « Allons, frère âne, disait-il, voilà en quel état tu es digne de rester, voilà le traitement qui te convient. Le vêtement que tu portes est utile à la religion; il est un signe de sainteté, et il n'est pas permis de s'en couvrir à celui qui aime les plaisirs des sens. Va donc maintenant en cet état où bon te semblera. » Ensuite, plein d'une ferveur admirable d'esprit, il sort ainsi nu dans le jardin, se plonge. tout entier dans un monceau de neige, et, la ramassant à peines mains, il en forme sept nouveaux monceaux. Alors il s'adresse ainsi à son corps : « Le plus grand de ces monceaux, lui dit-il, sera ton épouse; ces quatre autres, tes fils et tes filles, et les deux autres, le serviteur et la servante dont tu as besoin pour te servir. Hâte-toi donc de les couvrir de vêtements, car ils meurent de froid. Mais si un pareil travail te semble trop pénible, applique-toi alors soigneusement à ne servir que Dieu seul. » Le tentateur ainsi vaincu se retira aussitôt, et le saint rentra victorieux en sa cellule.

 

1 Job, 21.

 

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Le froid rigoureux qu'il avait souffert au-dehors avait tellement éteint en lui le feu de la concupiscence, que dans la suite il n'éprouva plus aucune tentation de ce genre. Un frère qui était alors en oraison, fut instruit de tout cela plus clairement que s'il l'eût vu de ses yeux. Mais l'homme de Dieu, ayant su la vision dont ce frère avait été favorisé durant cette nuit, lui raconta toute la suite de cette tentation et lui ordonna de ne faire connaître à personne avant sa mort ce qu'il avait vu.

Il enseignait aussi que ce n'est pas assez de mortifier les vices de la chair et d'en réprimer les ardeurs, mais qu'il fallait apporter encore une vigilance souveraine à la garde des sens extérieurs, qui sont comme autant d'entrées en notre âme offertes à la mort. Il ordonnait d'éviter les entretiens familiers avec les personnes d'un sexe différent, et de veiller sur ses regards dans les rapports avec elles. Car elles sont pour beaucoup une occasion de ruine. « Par elles, disait-il, l'esprit qui est faible se brise le plus souvent; et celui qui est fort s'affaiblit. Il n'est point facile, à moins qu'on ne soit un homme réellement éminent en vertu, de rie point éprouver quelque atteinte au milieu de telles conversations; car, selon l'Ecriture, on ne saurait marcher dans le feu sans se brûler les pieds. » Il était si soigneux lui-même à veiller sur ses regards en ce point, qu'il ne connaissait de vue aucune femme, ainsi qu'il le dit un jour à son compagnon. Il pensait qu'il n'était pas sûr d'avoir en son âme la moindre image

 

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de leurs traits, image capable de ressusciter les ardeurs d'une chair déjà domptée, ou de souiller la candeur d'une âme innocente. Il assurait que tout entretien avec une femme était frivole, si ce n'était pour entendre sa confession ou lui donner une courte instruction, selon qu'il est nécessaire à son salut ou que la politesse le demande. « Qu'a donc à traiter un religieux avec une femme, disait-il, si elle n'a besoin de lui pour recevoir le sacrement de pénitence, ou des conseils pour une vie meilleure. Celui qui est trop rassuré ne se tient pas assez eu garde contre l'ennemi; et si le démon peut lui ravir un cheveu, il en fera bientôt une poutre. »

Il recommandait encore de fuir souverainement l'oisiveté, comme la sentine de toutes les pensées mauvaises; et il montrait par son exemple comment il fallait, par des disciplines continuelles et un travail utile, dompter une chair rebelle et paresseuse. Ainsi il appelait son corps frère âne, et il disait qu'il devait être chargé de fardeaux pesants, châtié par des coups réitérés et sustenté au moyen d'une vile nourriture. S'il voyait quelqu'un oisif et inappliqué vivre du travail des autres, il jugeait qu'on devait le nommer frère mouche, parce qu'un tel homme ne fait rien de bon, gâte le bien des autres, et inspire à tous le mépris et le dégoût. « Je veux, disait-il, que mes frères travaillent et soient occupés, de peur que, livrés à l'oisiveté, ils ne se laissent aller au mal dans leurs pensées ou dans leurs paroles... » Il voulait également que le silence fût observé par les

 

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religieux et qu'ils s'abstinssent soigneusement et en tout temps, selon le précepte de l'Evangile, de toute parole inutile, comme devant en rendre compte au jour du jugement. S'il trouvait quelque frère aimant à se répandre en vaines conversations, il le reprenait sévèrement; et il affirmait qu'un silence modeste était le rempart d'un coeur pur et une grande vertu, car la mort et la vie sont en la puissance de la langue, non en tant qu'elle est l'instrument du goût, mais celui de la parole.

Il s'efforçait, il est vrai, de porter ses enfants à une vie austère; cependant il n'aimait point une sévérité trop rigoureuse, éloignée de tout sentiment de douceur, et non assaisonnée du sel de la discrétion. Ainsi une nuit, un frère, dont l'abstinence avait été excessive, étant tourmenté de la faim ne pouvait goûter aucun repos. Le tendre pasteur le sut et comprit le danger qui menaçait sa brebis. Il appela donc le frère, lui offrit du pain, et afin de lui ôter tout sentiment de honte, il commença à manger lui-même et l'invita avec bonté à faire de même. Le religieux rassuré mangea sans crainte et plein de joie d'avoir ainsi, parla sage condescendance de son père, échappé au danger qui menaçait son corps, et trouvé en même temps un si grand exemple d'édification. Quand le jour fut venu, l'homme de Dieu, ayant réuni les frères, leur rapporta ce qui s'était passé durant la nuit, et leur dit sagement : « Cherchez, mes frères, à être l'exemple des autres par votre charité, et non par une abstinence excessive dans la nourriture. »

 

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Il leur enseigna ensuite à prendre la discrétion pour guide des vertus, non pas cette discrétion inspirée par la chair, mais celle montrée par Jésus-Christ, dont la vie très-sainte est un modèle accompli de perfection. Mais, parce qu'il n'est pas possible à l'homme soumis à l'infirmité de la chair de suivre d'une manière si parfaite l'Agneau sans tache crucifié pou' nous, sans se couvrir de temps à autre un peu de la boue du monde, il affirmait en toute assurance que ceux qui s'appliquent sincèrement à mener une vie sainte doivent se purifier chaque jour par des larmes abondantes. Il ne cessait lui-même, bien qu'il eût acquis une pureté admirable de coeur et de corps, de sanctifier les regards de son âme par des torrents de larmes, sans considérer combien les yeux de son corps avaient à en souffrir. En effet, ces pleurs continuels lui avaient affecté gravement la vue, et le médecin lui avait conseillé, s'il ne voulait devenir aveugle, d'y mettre un ternie. « Mon frère, lui répondit le saint, nous ne devons pas repousser, même légèrement, les rayons de la lumière éternelle par amour pour

une lumière qui nous est commune avec les mouches; car l'esprit a reçu pour lui-même, et non pour la chair, le bienfait de la lumière. » Ainsi il aimait mieux perdre la vue du corps que d'empêcher, en modérant les ardeurs de sa dévotion, ces larmes qui purifiaient le regard de son âme et lui permettaient de jouir de la vue de Dieu. Une autre fois les médecins lui conseillaient et les frères le

 

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priaient instamment de vouloir bien permettre qu'on lui appliquât le feu pour tenter de le guérir; l'homme de Dieu y consentit humblement, parce qu'il vit en cela un remède salutaire et douloureux à la fois. Le chirurgien étant donc venu, fit rougir au feu son instrument afin d'accomplir son opération. Alors le serviteur de Jésus-Christ, afin de fortifier comme un

ami son corps déjà pénétré d'effroi, se mit à parler au feu en ces termes : « Mon frère le feu, le Très-Haut t'a créé par-dessus tous les êtres dont l'éclat est ravissant, plein de puissance, de beauté et d'utilité. Sois-moi donc propice en ce moment, et montre-toi bon envers moi. Je prie le grand Dieu qui t'a donné l'existence, de daigner tempérer ta chaleur afin que je puisse supporter tes atteintes sans douleur. » Quand il eut fini sa prière, il fit le signe de la croix sur le fer embrasé et demeura sans crainte. Le fer fut appliqué tout brillant sur un endroit fort sensible, et promené depuis l'oreille jusqu'au sourcil. Mais quelle douleur le saint éprouva alors, lui-même nous l'a fait savoir. « Louez le Très-Haut, dit-il à ses frères; car, je vous l'assure en toute vérité, je n'ai ressenti ni l'ardeur du feu, ni aucune souffrance en ma chair. » Et se tournant vers le médecin, il ajouta : « Si la brûlure n'est point parfaite, vous pouvez recommencer. » Mais le médecin, voyant en un corps aussi faible une vertu d'esprit 'si puissante, fut dans l'admiration et exalta ce miracle tout divin, en s'écriant : « Je vous le dis, mes frères : j'ai vu des merveilles aujourd'hui. »

 

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Le saint était en effet arrivé à une telle pureté, que sa chair était soumise à son esprit et son esprit à Dieu avec tin accord admirable; et ainsi par la volonté du Seigneur, la créature, obéissant à son Auteur, se soumettait d'une façon merveilleuse à la volonté et au commandement de son serviteur.

Une autre fois, pendant qu'il demeurait à la maison de Saint-Urbain, se trouvant en proie à une maladie très-grave, et sentant la nature lui faire défaut, il demanda du vin ; mais il n'y en avait point dans le monastère. Alors il commanda de lui apporter de l'eau, qu'il bénit par un signe de croix. Aussitôt cette eau se changea en un vin excellent, et ainsi la sainteté de François obtint ce que la pauvreté du lieu ne permettait pas d'avoir. Mais à peine en eut-il bu qu'il sentit ses forces revenir promptement; et ce breuvage miraculeux et le prodige qui en fut la suite, influant surnaturellement sur son âme, affermirent doublement en elle le dépouillement parfait du vieil homme et le règne du nouveau.

Au reste, les créatures seules ne se prêtaient pas ainsi aux désirs du serviteur de Dieu; la providence elle-même du Créateur se montrait pleine de condescendance à ses volontés. Un jour que son corps se trouvait abattu par la douleur de plusieurs infirmités réunies, François souhaita d'entendre un peu de musique pour ranimer la joie de son esprit. Mais l'état dont il faisait profession ne permettant pas de le satisfaire, les anges ,eux-mêmes se chargèrent de servir ses désirs. La nuit suivante, comme

 

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il veillait et méditait sur son Seigneur, il entendit le son d'un luth d'une merveilleuse harmonie et d'une mélodie délicieuse. On ne voyait personne, mais la variété des sons faisait connaître la présence d'un musicien qui va et revient. Et le saint, ravi en Dieu, éprouva une telle suavité de ces accords enivrants, qu'il crut avoir passé à une vie meilleure. Il découvrit lui-même à quelques-uns de ses frères les plus chers la grâce qu'il venait de recevoir; et d'ailleurs ils avaient des preuves si assurées des consolations fréquentes et extraordinaires dont Dieu le favorisait, qu'il n'était pas en son pouvoir de les leur cacher entièrement.

Une fois aussi que le serviteur de Dieu étant allé prêcher, s'avançait avec son compagnon le long des frontières de la Lombardie et de la Marche de Trévise, ils furent surpris non loin de Padoue par une nuit obscure. Comme les ténèbres rendaient le chemin fort dangereux à cause d'une rivière et des marais au milieu desquels ils se trouvaient, le frère dit au saint : « Mon père, priez Dieu de nous délivrer de périls aussi imminents. » François répondit avec une vive confiance : « Dieu est assez puissant, s'il plaît à sa bonté, pour dissiper les ténèbres et nous faire jouir du bienfait de la lumière. » A peine eût-il parlé que la divine puissance fit briller autour d'eux une clarté éblouissante; et pendant que, pour le reste des hommes, tout était plongé dans l'obscurité, ils voyaient non-seulement leur route, mais encore une foule d'autres objets au loin

 

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dans la campagne. Dirigés ainsi dans leur voyage par cette lumière, et fortifiés en leur âme, ils arrivèrent après, une longue course sans avoir éprouvé aucun mal, et en chantant des hymnes à la louange du Seigneur, au lieu où ils devaient s'arrêter. Jugez donc quelle était la pureté de cet homme, quelle était sa vertu, puisque au moindre désir de sa volonté, le feu modérait ses ardeurs, l'eau changeait de nature, les anges faisaient entendre la douceur de leurs concerts, la lumière du ciel prodiguait ses rayons, et le monde entier se montrait ainsi empressé à servir son innocence et sa sainteté.

 

CHAPITRE VI. De l'humilité et de l'obéissance de François, et de la condescendance du Ciel à ses moindres désirs.

 

Une humilité profonde est la gardienne et l'ornement de toutes les vertus. Or, l'homme de Dieu était rempli abondamment d'une telle humilité. En sa propre estime il n'était qu'un pécheur, alors qu'en réalité il était un miroir et un flambeau de sainteté en tout genre. Comme un sage architecte, il s'était appliqué à jeter cette vertu pour fondement de l'édifice qu'il voulait élever en lui-même, selon qu'il l'avait appris dû Seigneur. Il disait que le Fils de Dieu était descendu des hauteurs du sein paternel à l'abjection

 

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de notre humanité afin de nous enseigner l'humilité, comme notre Seigneur et notre Naître, par ses exemples et ses paroles. Voilà pourquoi il s'étudiait, en vrai disciple de Jésus-Christ, à paraître vil à ses yeux et aux yeux de tout le monde, se souvenant de cette parole du Docteur suprême : « Ce qui est grand devant les hommes est en abomination devant Dieu (1). » Il avait aussi coutume de dire souvent : « L'homme n'est que ce qu'il est aux yeux de Dieu et rien de plus. » Ainsi, jugeant une folie de se glorifier des faveurs du monde, il trouvait sa joie dans les opprobres, et les louanges lui causaient de la tristesse. Il aimait mieux recevoir le blâme que les éloges; car il voyait d'un côté une occasion de chute, et de l'autre un moyen de se corriger. Aussi, lorsque les peuples exaltaient les mérites de sa vie sainte, ce qui arrivait souvent, il ordonnait à un frère de lui adresser à l'oreille quelque parole mortifiante; et quand ce frère, obéissant à contre-coeur, lui disait qu'il était un homme grossier et inutile, un vil mercenaire, le saint, transporté d'une joie qui se manifestait au-dehors, lui répondait : « Que Dieu vous bénisse, mon enfant bien-aimé, car vous avez parlé selon la vérité, et le fils de Pierre Bernardon mérite de s'entendre dire de pareilles choses. » Afin de se rendre méprisable aux autres et de se couvrir de confusion, il ne craignait pas, en prêchant, de faire connaître ses défauts en présence de tout le monde. Il lui arriva une fois, accablé par

 

1 Luc., 16.

 

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les souffrances, de se relâcher un peu des rigueurs de son abstinence afin de recouvrer la santé. Quand il eut commencé à reprendre ses forces, ce vrai contempteur de lui-même, désireux de se couvrir d'opprobre, dit à ses frères : « Il n'est pas juste que le peuple nie considère comme un homme pénitent, lorsque, dans le secret, je m'occupe à nourrir soigneusement mon corps. » Ensuite il se leva tout pénétré de l'esprit de la sainte humilité, et, après avoir rassemblé le peuple, il alla avec éclat à l'église principale, entouré d'un grand nombre de frères qu'il avait amenés avec lui. Là il se mit une corde au cou, se dépouilla de ses principaux vêtements en présence de tout le monde, et ordonna qu'on le traînât jusqu'à la pierre où les criminels destinés au supplice avaient coutume d’être placés. Il faisait alors un froid rigoureux; François avait plus de quarante ans, et sa santé était délabrée. Etant donc monté sur cette pierre, il prêcha avec une force d'âme incroyable, et protesta à ses auditeurs que, loin de l'honorer comme un homme spirituel, ils devaient plutôt le mépriser comme un homme tout sensuel et adonné à la gourmandise. Les spectateurs, surpris d'un spectacle si extraordinaire et connaissant d'ailleurs l'austérité du saint, furent touchés de componction et déclarèrent plus admirable qu'imitable une telle humilité. Une pareille action semble moins être, en effet, un exemple donné aux hommes, qu'un prodige semblable à ceux que nous lisons dans les Prophètes ; cependant elle offre un grand enseignement

 

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d'humilité parfaite, où le disciple de Jésus-Christ apprend à mépriser le vain retentissement de louanges passagères, à réprimer les prétentions d'un orgueil désireux de s'élever, et à rejeter les fausses apparences d'un dehors trompeur. L'homme de Dieu faisait souvent des choses de ce genre, afin de passer aux yeux des hommes comme un vase inutile et de posséder intérieurement la sainteté d'esprit. Il s'efforçait de renfermer dans le secret de son coeur les grâces dont le Seigneur le comblait, afin de se soustraire à une gloire qui pouvait être pour lui une cause de ruine. Lorsqu'on le proclamait bienheureux, il répondait : « Je puis encore tomber en toutes sortes de désordres; gardez-vous de me louer comme un homme qui n'a plus rien à craindre. Celui dont la fin est incertaine, n'a aucun droit à recevoir des louanges. » Et lorsqu'on exaltait en lui de pareils sentiments, il se disait à lui-même : « François, si le Très-Haut avait accordé autant de grâces à un voleur, il serait plus agréable à ses yeux que tu ne l'es. » Souvent aussi il disait à ses frères que personne ne devait s'applaudir d'avoir fait ce qu'il est au pouvoir d'un pécheur de faire; que se flatter de la sorte était un crime. « Le pécheur, ajoutait-il, peut jeûner, prier, pleurer, mortifier sa chair; une seule chose lui est impossible : être fidèle à son Dieu et pécher en même temps. Il n'y a qu'un point où nous puissions nous glorifier : c'est de rendre au Seigneur la gloire qui lui appartient et de reconnaître en le

 

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servant fidèlement les biens que nous avons reçus de lui. »

Afin de multiplier ses gains de diverses manières, et de se faire un trésor de mérites de tout le temps présent, ce vrai marchand de l'Évangile cherchait plutôt à demeurer en un rang inférieur que dans les emplois, à obéir plutôt qu'à commander. S'étant démis de sa charge de général de l'ordre, il demanda un gardien pour faire en tout sa volonté. Il assurait que les fruits de la sainte obéissance étaient si abondants, que ceux qui se soumettent continuellement à son joug voient leurs gains croître sans interruption. Aussi avait-il coutume de s'engager toujours à obéir au frère avec qui il allait en voyage, et il était fidèle à son engagement.

Un jour il dit à ses compagnons : « Entre autres faveurs que j'ai reçues de la bonté divine, elle m'a accordé cette grâce, que j'obéirais avec autant d'empressement à un novice d'une heure, s'il m'était donné pour gardien, qu'au frère le plus ancien et le plus expérimenté. L'inférieur, ajoutait-il, ne doit pas considérer l'homme en son supérieur, mais Celui pour l'amour duquel il obéit. Moins le supérieur est digne de considération, plus l'humilité de l'inférieur est agréable à Dieu. » On lui demandait quel homme on devait juger vraiment obéissant : il proposa pour exemple un corps mort. Prenez un corps sans vie, dit-il, et placez-le où vous voudrez; vous ne lui verrez pas faire la moindre résistance; il ne se plaindra point du lieu où vous

 

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l'aurez mis; il ne croira pas que vous l'abandonnez; qu'il soit dans un lieu élevé, il regardera en bas et non en haut; qu'il soit dans la pourpre, il n'en paraîtra que plus pâle. Tel est le vrai obéissant. Il n'examine pas pourquoi on le fait marcher, il ne s'inquiète pas du lieu où il est placé, il ne sollicite aucun changement; élevé en dignité, il conserve son humilité accoutumée; et plus il reçoit d'honneurs, plus il se juge indigne. » Une autre fois il dit au frère qui l'accompagnait : « Je ne croirais jamais être un frère mineur, si je n'étais en l'état que je vais vous faire connaître. Me voici le supérieur de mes frères, je vais au chapitre, j'y prêche, j'y donne des avis, et à la fin ou s'élève contre moi et l'on me dit : Vous ne sauriez nous convenir davantage, car vous êtes un homme sans instruction et sans parole, un homme sot et sans intelligence. Ensuite on me chasse honteusement et je suis méprisé de tous. Eh bien ! si je ne puis entendre tout cela sans changer de couleur, avec une joie parfaite de mon âme et un désir égal de nie sanctifier, je ne suis point un vrai frère mineur. » Et il ajoutait : « Le rang élevé est exposé à des chutes; les louanges nous offrent un précipice; mais l'humilité est une source de gain pour l'âme soumise. Pourquoi donc soupirer plus après les périls qu'après le gain, alors que nous avons reçu le temps pour ramasser des trésors? » Aussi François, véritable modèle d'humilité, voulut-il que ses frères fussent appelés mineurs, et les supérieurs de

 

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son ordre ministres, afin de se servir du langage de l'Evangile, qu'il avait promis d'observer, et d'apprendre à ses disciples par leurs noms mêmes qu'ils étaient venus à l'école de l'humble Jésus pour s'y exercer à l'humilité. En effet, le Maître de l'humilité, Jésus-Christ, voulant former ses apôtres à la perfection de cette vertu, leur dit : Quiconque voudra être le plus grand parmi vous, doit se faire votre serviteur; et quiconque voudra tenir le premier rang, devra se faire l'esclave de tous (1).

Le cardinal d'Ostie, protecteur et promoteur principal de l'ordre des Frères mineurs, et qui dans la suite fut élevé, selon les prédictions du saint, sur la chaire de saint Pierre sous le nom de Grégoire IX; ce cardinal, dis-je, ayant demandé à François s'il aurait pour agréable que ses frères fussent élevés aux dignités ecclésiastiques, il répondit : « Seigneur, mes frères ont reçu le nom de mineurs afin qu'ils n'aspirent jamais à devenir grands. Si vous voulez qu'ils produisent des fruits, maintenez-les et conservez-les dans l'état de leur vocation, et ne leur permettez jamais de monter aux dignités de l'Eglise. » Mais, comme il préférait l'humilité aux honneurs tant pour lui que pour les siens, le Dieu qui aime les humbles le jugeait digne du rang le plus sublime, selon qu'il le montra dans une vision à un frère, homme d'une vertu et d'une piété admirable. Ce frère, accompagnant le saint en un voyage, était entré avec lui dans une église où il n'y

 

1 Mat., 10.

 

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avait personne. Pendant qu'il y priait avec une vive ferveur, il fut ravi en extase, et, entre plusieurs siéges qu'il vit dans le ciel, il en remarqua un plus élevé que les autres, orné de pierres précieuses et environné d'une gloire plus éclatante. Après avoir admiré la splendeur de ce trône admirable, il se mit à penser en lui-même à qui pouvait être destiné une place semblable. Alors il entendit une voix lui dire : « Ce trône était la demeure d’un des anges qui sont tombés, et maintenant il est réservé à l'humble François. » Enfin le frère, revenu à lui-même, sortit de l'église à la suite du saint. Dans le chemin, comme ils s'entretenaient de Dieu, le frère, qui se souvenait de sa vision, fut curieux de savoir quel sentiment le saint avait de lui-même. Le serviteur de Jésus-Christ lui répondit : « Je crois être le plus grand des pécheurs. » Et comme le frère soutenait qu'il ne pouvait parler ni juger de la sorte en conscience, il ajouta : « Si Jésus-Christ avait montré autant de miséricorde qu'à moi au plus scélérat des hommes, il se serait rendu sans aucun doute plus agréable à ses yeux que je ne l'ai fait. » Le frère, en entendant des paroles d'une humilité aussi admirable, fut assuré de la vérité de sa vision, et il reconnut, selon le témoignage sacré de l'Evangile, que l'homme vraiment humble est élevé à une gloire sublime, tandis que le superbe en est exclu.

Un jour qu'il était à prier dans une église abandonnée en la province de Massa, proche du mont Casai, l'Esprit de Dieu lui révéla qu'on avait laissé

 

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en ce lieu de saintes reliques. Les voyant depuis si longtemps privées de l'honneur qui leur était dû, le saint ordonna à ses frères de les porter avec respect au lieu où ils demeuraient. Mais lorsqu'il fut parti, les religieux, oubliant le commandement de leur père, ne se montrèrent point des enfants attentifs au mérite de l'obéissance. Quelque temps après, comme ils voulaient célébrer les saints mystères, ils furent singulièrement surpris, en découvrant l'autel, d'y trouver des ossements magnifiques et exhalant un parfum délicieux. C'étaient ces mêmes reliques, que la vertu du Très-Haut, et non aucune main humaine, avait apportées là. Etant revenu bientôt en ce lieu, l'homme de Dieu s'informa avec empressement si l'on avait accompli ses ordres touchant les saintes reliques. Les frères avouèrent humblement leur négligence à lui obéir, se soumirent à la punition qu'il voudrait bien leur infliger et méritèrent leur pardon. Alors il leur dit : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui a accompli par lui-même ce que vous deviez faire. Voyez donc de quel soin la divine Providence environne notre poussière, et en même temps pesez combien admirable était aux yeux de Dieu la vertu de François : l'homme n'exécute point ses ordres, et Dieu se rend obéissant à ses désirs.

        Une autre fois encore étant venu à Imola, il alla trouver l'évêque et lui demanda humblement de vouloir bien lui permettre de réunir le peuple pour lui faire des prédications. L'évêque lui répondit

 

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durement : « Je suis bon, mon frère, pour prêcher moi-même mou peuple. » Alors cet homme vraiment humble inclina la tête et sortit. Mais bientôt après il revint. L'évêque tout mécontent lui ayant demandé ce qu'il voulait encore, François répondit avec une humilité parfaite de coeur et de paroles : « Seigneur, quand un père chasse son enfant par une porte, celui-ci tache de rentrer par une autre.» Vaincu par une humilité si profonde, l'évêque l'embrassa avec joie et lui dit : « A l'avenir vous pouvez, vous et vos frères, prêcher dans tout pion évêché, je vous en donne la permission générale: c'est votre sainte humilité qui vous la mérite. »

Il lui arriva aussi de se rendre à Arezzo dans un temps où cette ville, agitée par des divisions intestines, était à la veille d'une ruine déplorable. D'un des faubourgs où il était logé il vit au-dessus de la ville des démons tressaillant d'allégresse, et les citoyens soulevés s'avançant les uns contre les autres à un combat à mort. Afin de mettre en fuite les puissances infernales, il envoya, comme son héraut, le frère Silvestre, homme qui avait la simplicité de la colombe, en lui disant : « Allez devant la porte de la ville et, en vertu de l'obéissance, commandez de la part du Dieu tout-puissant aux démons de se retirer bien vite. » Cet homme vraiment obéissant s'empresse d'accomplir les ordres de son père, et, tout occupé à louer le Seigneur, il arrive à la porte et se met à crier de toutes ses forces : « De la part du Dieu tout-puissant el. par l'ordre de son serviteur

 

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François, démons retirez-vous tous. » Aussitôt le calme revint dans la ville, et tous les citoyens purent procéder avec une tranquillité profonde à une juste répartition des droits de chacun. Ainsi, après avoir dissipé l'orgueil emporté et furieux des démons qui avaient formé comme un siége autour de cette ville, la sagesse d'un pauvre ou autrement l'humilité de François lui rendit la paix et lui apporta le salut. La vertu sublime de son humble obéissance lui avait mérité un tel empire sur ces esprits rebelles et impurs, qu'il brisait leurs fureurs et dissipait leurs violences tyranniques. En effet, les démons prennent la fuite en présence des vertus admirables des humbles, à moins que de temps à autre, pour conserver ses serviteurs dans l'humilité, la miséricorde divine ne permette à ces esprits de les maltraiter, comme saint Paul l'écrit de lui-même et comme François en fit l'expérience. Car, ayant été prié par Léon, cardinal de Sainte-Croix, de demeurer quelques jours chez lui à Rome, il y consentit humblement par respect et amour pour le cardinal. Mais la première nuit, quand, après avoir prié, il voulut se reposer, les démons survinrent, se jetèrent avec fureur sur le soldat de Jésus-Christ, le frappèrent longuement et cruellement, et se retirèrent enfin le laissant à demi-mort. Alors ayant appelé son compagnon, l'homme de Dieu lui raconta ce qui venait d'arriver et ajouta : « Les démons n'ont de puissance qu'autant qu'il plaît à la divine Providence de leur en accorder. Je crois donc que, s'ils se sont jetés sur moi avec tant de

 

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cruauté, c'est parce que mon séjour dans le palais des grands est d'un mauvais exemple. Mes frères, qui résident en de pauvres maisons, apprenant que je demeure avec les cardinaux, pourraient me soupçonner de me laisser aller à l'amour des choses de ce monde, d'être sensible aux honneurs et de rechercher les délices. C'est pourquoi celui qui est placé pour être l'exemple des autres doit, selon moi, fuir les palais et habiter humblement avec les petits en des demeures convenables à sa profession; car c'est en partageant leurs peines qu'il les rendra forts à souffrir le manque de toutes choses. » Le matin donc après s'être excusé humblement, ils prirent congé du cardinal.

Le saint avait en horreur l'orgueil, la source de tous les maux, et la désobéissance qui en est la fille infâme; mais un humble repentir trouvait cependant grâce à ses yeux. Ainsi on lui amena un jour un frère coupable d'une faute contre l'obéissance, afin qu'il lui imposât une juste pénitence. L'homme de Dieu reconnaissant à des signes évidents le regret de ce frère, se sentit porté à lui pardonner en vue de son humilité; mais craignant, par cette facilité, de donner aux autres une occasion de commettre le mal, il commanda d'enlever au frère son capuce et de le jeter au feu, afin que tous comprissent avec quel zèle et quelle sévérité on doit poursuivre les fautes contraires à l'obéissance. Quand le capuce eut été quelque temps dans le feu, il ordonna de l'en retirer et de le rendre au frère humblement repentant. Mais,

 

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chose admirable! le capuce retiré du milieu des flammes ne portait aucune trace de leur action, et ainsi Dieu, par un miracle, avait récompensé et la vertu de son serviteur et l'humilité de la pénitence. Il est donc juste d'imiter la profonde humilité de François, laquelle obtint un tel pouvoir sur la terre, qu'elle inclinait Dieu même à condescendre à ses désirs, qu'elle changeait le coeur des hommes, brisait par sa parole l'impudence effrontée des démons et arrêtait par un seul signe la voracité des flammes. C'est elle, en effet, qui exalte ceux en qui elle habite; elle rend à tous le respect dû à leur rang, et tous lui rendent l'honneur dont elle est digne.

 

CHAPITRE VII. De l'amour de François pour la pauvreté, et de la manière admirable avec laquelle il subvenait aux besoins des autres.

 

Parmi les dons admirables que François obtint du Donateur suprême, il eut la prérogative spéciale de ramasser des trésors de simplicité par un amour profond de la pauvreté. Voyant combien cette dernière vertu était chère au Fils de Dieu, et comment elle était dédaignée de tout le monde, il s'appliqua à s'unir à elle par un lien d'amour toujours persévérant; et non-seulement il abandonna pour elle son père et sa mère, mais il lui fit le sacrifice de tout ce

 

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qu'il put posséder. Personne n'eut jamais autant d'amour pour l'or que lui pour la pauvreté; personne n'apporta plus de soin à veiller sur ses trésors que lui à veiller à la garde de cette perle de l'Evangile. Rien ne blessait ses regards comme de rencontrer en ses frères quelque chose qui ne fût pas entièrement conforme à la pauvreté. Et lui-même, depuis son entrée en religion, n'eut pour toutes richesses qu'une tunique, une petite corde, de méchants habits, et il s'en contenta jusqu'à la mort. Il rappelait souvent à son esprit avec des larmes abondantes la pauvreté de Jésus-Christ et de Marie ; et il assurait qu'elle était la reine des vertus puisqu'elle avait brillé avec tant d'éclat dans le Roi des rois et dans la Reine sa mère. Ses frères, dans une réunion, lui ayant demandé quelle vertu nous rendait plus agréables à Jésus-Christ. Il leur répondit, comme en leur ouvrant le secret de son coeur : « Sachez, mes frères, que la pauvreté est par excellence la voie du salut, car elle est la vie de l'humilité et la racine de la perfection. Ses fruits sont cachés, il est vrai; mais ils sont nombreux. C'est là ce trésor du champ évangélique, pour l'achat duquel il faut tout vendre, et dont la valeur rend digne d'un souverain mépris tout ce qui ne peut être vendu. Quiconque désire arriver au sommet de cette vertu, ne doit pas seulement renoncer à la prudence mondaine, mais encore à l'habileté dans les sciences, afin d'entrer sans réserve, dépouillé de tels biens, sous la puissance du Seigneur, et de s'offrir nu aux

 

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embrassements de Jésus crucifié. Celui-là ne renonce pas parfaitement au siècle, qui réserve dans le secret de son coeur la monnaie de son sens propre. »

Souvent, en prêchant sur la pauvreté, il se plaisait à rappeler à ses frères ces paroles de l'Evangile : « Les renards ont leurs tanières, les oiseaux du ciel leurs nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête (1) .» Aussi recommandait-il à ses frères de n'élever que de pauvres maisons, à l'exemple des indigents; de ne les habiter que comme des étrangers et des voyageurs, et non comme des maîtres. « La coutume des voyageurs, disait-il, est d'être reçus dans une demeure qui n'est point à eux, de soupirer après leur patrie et de passer pacifiquement. » Quelquefois il commandait d'abattre les nouvelles maisons ou d'en faire sortir les religieux, lorsqu'il y découvrait, sous prétexte d'appropriation ou d'embellissement, quelque chose de contraire à la pauvreté évangélique. Il disait que cette vertu était la pierre fondamentale de son ordre, que tout l'édifice reposait sur cette base, que de sa solidité en dépendait la conservation, et qu'en l'ébranlant on s'exposait à une ruine entière. Il enseignait que l'entrée en religion, ainsi qu'il lui avait été révélé, devait commencer par la mise en pratique de cette parole de l'Evangile : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (2). » Aussi n'admettait-il dans son ordre que des hommes qui

 

1 Mat., 8. — 2 Mat., 19.

 

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s’étaient dépouillés de tout sans réserve, tant par esprit pour cette sentence sacrée, que dans la crainte de voir les biens réservés devenir une occasion de scandale. Le vrai patriarche des pauvres répondit un jour à quelqu'un de la Marche d'Ancône, qui lui demandait à être reçu : « Si vous voulez vous réunir aux pauvres de Jésus-Christ, distribuez tous vos biens aux pauvres. » Cet homme s'en alla donc; mais, poussé par un amour tout naturel, il laissa ce qu'il possédait aux siens et les pauvres n'eurent rien. Le saint l'ayant entendu raconter cette affaire, le reprit durement et lui dit : « Retournez d'où vous êtes venu, frère mouche, car vous n'êtes pas encore sorti de votre maison ni du milieu des vôtres. Vous avez donné vos biens à vos parents, et vous en avez privé les indigents; vous n'êtes pas digne de prendre rang parmi ceux qui ont embrassé la sainte pauvreté. Vous avez commencé par la chair, et vous avez donné à votre édifice spirituel un fondement ruineux. » Cet homme terrestre et animal retourna vers les siens, recouvra les biens qu'il n'avait point voulu distribuer aux pauvres, et abandonna bien vite ses projets de perfection.

Une fois, la misère était si grande à Sainte-Marie de la Portiuncule, qu'il était devenu impossible de pourvoir aux besoins des frères nouveaux venus. Le vicaire du saint alla le trouver, lui représenta la détresse où se trouvaient les frères, et le pria de permettre qu'on réservât quelque chose du bien des novices qui entraient dans l'ordre, afin de s'en servir

 

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en temps opportun. Le saint, instruit des desseins du Ciel, lui répondit : « Loin de nous, mon frère bien-aimé, d'agir contre la règle et de nous rendre coupables en considération d'un homme quel qu'il soit. J'aime mieux dépouiller l'autel de la Vierge glorieuse lorsque le besoin le demandera, que de jamais entreprendre la moindre chose contraire au voeu de pauvreté et à l'obéissance de l'Evangile. La Vierge bienheureuse aura plus agréable de nous voir enlever les ornements de son autel pour observer parfaitement les conseils donnés par son Fils, que de le voir orné au détriment des promesses dont nous sommes liés. »

Dans un autre temps l'homme de Dieu, passant avec son compagnon proche de Bari, dans la Pouille, trouva sur le chemin une bourse énorme, dans le genre de celles qu'on appelle sacs dans le langage accoutumé. Elle paraissait remplie d'argent. Le pauvre du Seigneur en fut averti par le frère qui l'accompagnait, et celui-ci le pria instamment de lui permettre de la ramasser afin d'en donner l'argent aux pauvres. Mais il s'y refusa, assurant que cette bourse était un prestige du démon, et que d'ailleurs la chose conseillée par le frère était un péché et non une action méritoire, puisque c'était se servir du bien d'autrui pour faire l'aumône. Ils s'éloignèrent donc de ce lieu et se hâtèrent de poursuivre leur chemin. Mais le frère, trompé par un sentiment de fausse piété, continuait ses représentations et blâmait le saint, comme ne s'inquiétant pas de soulager la

 

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misère des pauvres. A la fin cet homme vraiment doux consentit à revenir, non pour faire ce que le frère voulait, mais pour lui découvrir la ruse du démon. Arrivé auprès de la bourse avec son compagnon et un jeune homme qui était sur le chemin, il commença par prier et il ordonna ensuite au premier de ramasser cette bourse. Le frère effrayé s'arrête un instant, pressentant déjà la fourberie de notre ennemi. Cependant par respect pour le commandement imposé à son obéissance, il rejette toute hésitation et tend la main. Mais au même instant un serpent énorme s'élance hors de la bourse, disparaît avec elle, et laisse voir ainsi la ruse diabolique. Alors le saint dit à son compagnon : « Mon frère, l'argent, pour des serviteurs de Dieu, n'est rien autre chose que le démon et un serpent dangereux. »

Il arriva ensuite à François quelque chose d'admirable, tandis qu'il se rendait à Sienne, où le bien de la religion l'appelait. Dans la plaine qui s'étend entre Campilio et Saint-Quirice, trois femmes ayant entre elles une ressemblance parfaite pour la grandeur, l'âge et le visage, vinrent à sa rencontre et le saluèrent d'une façon toute nouvelle. « Dieu vous garde, dame pauvreté, lui dirent-elles. » Ce vénérable amant de la pauvreté fut rempli d'une joie indicible en écoutant ces paroles, car il n'avait en lui rien qui méritât plus d'être salué de tout le monde que ce que ces femmes y avaient distingué. Mais celles-ci, disparaissant aussitôt, les religieux qui accompagnaient le saint, étonnés d'une ressemblance si admirable,

 

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et en même temps de ce que ce salut, cette rencontre, cette disparition avaient de nouveau, jugèrent non sans raison qu'il y avait là quelque chose de mystérieux par rapport au saint. Et en vérité ces trois femmes pauvres se montrant avec un extérieur si parfaitement semblable, saluant d'une manière si inaccoutumée et disparaissant si promptement pouvaient très-bien signifier que, dans l'homme de Dieu, la beauté de la perfection évangélique brillait d'un éclat égal quant à la chasteté, l'obéissance et la pauvreté; mais qu'il avait établi sa gloire principale dans la pauvreté, qu'il appelait tantôt sa mère, tantôt son épouse, tantôt sa dame. Il désirait, en effet, surpasser tous les autres en cette vertu, car elle lui avait appris à se juger inférieur à tous. Quand il voyait quelqu'un d'une apparence plus pauvre que lui, il se faisait aussitôt des reproches et s'excitait à quelque chose de semblable, comme s'il eut craint d'être vaincu en combattant pour la pauvreté, dont le zèle le dévorait. Il lui arriva de rencontrer sur le chemin un pauvre dont la nudité le frappa d'étonnement. Le coeur brisé d'amertume, il dit eu pleurant à son compagnon : « La misère de cet homme nous couvre d'une grande confusion : nous avons choisi la pauvreté comme un trésor inépuisable, et voilà qu'elle brille avec plus d'éclat en cet homme qu'en nous. »

Le serviteur du Dieu tout-puissant aimait beaucoup mieux, par attachement pour la sainte pauvreté, se nourrir des aumônes amassées en mendiant de porte en porte, que de ce qui lui était offert autrement.

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Quand des personnes d'un rang considérable l'invitaient à leur table afin de lui faire honneur, il commençait d'abord par aller mendier aux maisons voisines quelques morceaux de pain, et, après s'être ainsi montré misérable, il se rendait au lieu où il était attendu. Un jour que, invité par l'évêque d'Ostie, qui aimait de l'amour le plus tendre le pauvre du Seigneur, il avait agi de la sorte, celui-ci se plaignit comme d'une injure faite à son honneur que, devant manger chez lui, il fût allé demander l'aumône. Mais François lui répondit : « Monseigneur, je vous ai rendu un honneur éclatant, en offrant d'abord mes hommages au Dieu qui l'emporte sur vous en grandeur. Notre maître a mis son bon plaisir dans la pauvreté, et surtout dans celle qui est volontaire et se fait mendiante pour Jésus- Christ. Jamais, pour me rendre le serviteur des fausses richesses dont l'usage vous est accordé pour quelques jours, je n'abandonnerai cette dignité royale dont Jésus-Christ, notre Seigneur, s'est re- vêtu en se faisant pauvre à cause de nous, afin de nous enrichir par sa misère et d'établir les vrais pauvres d'esprit les rois et les héritiers du royaume des cieux. » Quelquefois, avant d'envoyer ses frères demander l'aumône, il les encourageait par ces paroles : « Allez sans crainte, leur disait-il, car les Frères mineurs ont été prêtés au monde en ces derniers temps, afin qu'en eux les élus trouvent une occasion de mériter les louanges du Juge suprême et de s'entendre adresser cette

 

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consolante parole : Toutes les fois que vous avez fait du bien au plus petit d'entre mes frères, vous l'avez fuit à moi-même (1). » Il assurait donc qu'il devait être agréable de mendier sous le nom de Frères mineurs, puisque le Maître de la vérité distingue ce nom d'une manière aussi spéciale dans la récompense des justes. Il avait coutume aussi de mendier les jours de fêtes principales, quand il le pouvait, et il disait que dans les pauvres du Seigneur avait lieu l'accomplissement de cette parole du Prophète : L'homme a mangé le pain des anges (2). Car c'est vraiment le pain des anges que ce pain demandé pour l'amour de Dieu, donné pour son amour par l'inspiration des bons anges, et recueilli de porte en porte par la sainte pauvreté. Comme un jour de Pâques il se trouvait dans un lieu tellement éloigné des endroits habités qu'il ne pouvait commodément aller mendier, il se souvint de celui qui, en ce jour, apparut aux disciples d'Emmaüs sous la figure d'un étranger, et il demanda l'aumône aux frères eux-mêmes comme pauvre et étranger. L'ayant reçu avec humilité, il les exhorta ensuite à passer à travers le désert de ce monde comme des voyageurs et des étrangers, comme de vrais hébreux, et à célébrer en tout temps, par la pauvreté d'esprit, la Pâque du Seigneur, qui n'est autre chose que le passage de ce monde à notre Père. Et parce que, en demandant l'aumône, il n'était point conduit par l'amour du gain, mais par un esprit libre de toute inquiétude,

 

1 Mat., 23. — 2 Ps. 77.

 

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Dieu, le Père des pauvres, semblait prendre de lui un soin tout spécial.

Etant tombé malade à Nocera, il vit arriver d'Assise des hommes députés. par la piété des habitants de cette ville afin de l'y ramener. Comme il s'en retournait avec eux, ils arrivèrent à un village appelé Sarthiano, et là, pressés par la faim et l'heure avancée, ils voulurent se procurer de quoi manger; mais ils ne trouvèrent rien à acheter. « Vous n'avez rien trouvé, leur dit le saint, parce que vous avez mis plus de confiance en vos mouches ( c'est ainsi qu'il appelait leurs pièces d'argent) qu'en Dieu. Mais allez de nouveau par les maisons que vous avez déjà parcourues, et demandez l'aumône en offrant pour tout paiement l'amour de Dieu. Gardez-vous de juger une telle démarche indigne et avilissante, car depuis le péché l'Aumônier suprême n'a accordé tous ses dons aux dignes et aux indignes avec une bonté si prodigue qu'à titre d'aumône. » Les envoyés foulèrent donc aux pieds tout sentiment de honte, et, se mettant de bon coeur à mendier, ils trouvèrent plus pour l'amour de Dieu qu'ils n'avaient fait pour leur argent ; car, par une permission du Ciel, les pauvres habitants de cette contrée, touchés de compassion, offrirent libéralement tout ce qu'ils possédaient et leurs propres personnes pour leur venir en aide. Et ainsi la pauvreté vraiment riche de François apporta à la détresse de ces hommes un secours qu'ils n'avaient pu se procurer avec tout leur avoir.

 

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Une autre fois qu'il était malade en un couvent près de Riéti, il reçut d'un médecin les soins les plus empressés. Comme le pauvre de Jésus-Christ était impuissant à rétribuer dignement son travail, la bonté généreuse du Seigneur ne voulut pas laisser cet homme sans lui accorder de suite une récompense, et elle se chargea de payer ses services par un bien-fait nouveau. Ce médecin avait dépensé tout ce qu'il avait gagné à rebàtir sa maison, et en ce moment un mur, s'étant fendu du haut en bas, menaçait ruine si prochainement qu'il semblait impossible d'empêcher ce malheur par aucun moyen humain. Mais le médecin, plein de confiance dans les mérites du saint, demande avec un vif sentiment de foi à ses compagnons de vouloir bien lui donner quelque chose que l'homme de Dieu eût touché de ses mains. Ayant obtenu après des instances réitérées un peu de ses cheveux, il les mit le soir dans la fente de la muraille, et le matin, en se levant, il trouva l'ouverture si bien fermée qu'il ne lui fut point possible de tirer ces reliques du lien où il les avait déposés la veille, ni de reconnaître la moindre trace de cet ébranlement. Ainsi, en donnant ses soins assidus au corps débile du serviteur de Dieu, cet homme avait éloigné le danger qui menaçait sa maison d'une ruine complète.

Dans un autre temps, François voulut se rendre en une certaine solitude pour y vaquer avec plus de liberté à la contemplation. Comme il était très-faible, il se servit de l'âne d'un homme pauvre. Il faisait une

 

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chaleur accablante, et cet homme suivait le saint à travers un pays de montagnes ; mais à la fin, succombant à la fatigue d'une marche longue et pénible, brûlé par l'ardeur d'une soif dévorante, il se prit à crier avec instance après le saint : « Je me meurs de soif si personne ne se hâte de me venir en aide en me donnant quelque chose à boire. » Aussitôt l'homme de Dieu descend avec empressement, se met à genoux, élève ses mains au ciel, et ne cesse de prier que lorsqu'il se sent exaucé. Alors il dit au pauvre : « Allez vite à ce rocher, et vous y trouverez une eau vive que le Seigneur, dans sa miséricorde, a fait jaillir tout à l'heure pour vous donner à boire. » Admirable bonté de Dieu qui se prête si facilement aux désirs de ses serviteurs! Cet homme altéré but de l'eau sortie de la pierre par la vertu de la prière, et il trouva de quoi calmer sa soif au sein du rocher le plus dur. Il n'y avait jamais eu auparavant aucun cours d'eau en cet endroit, et dans la suite on ne put en découvrir malgré des recherches empressées.

Nous montrerons plus loin comment Jésus-Christ, par la vertu de son pauvre, a multiplié les aliments. Contentons-nous seulement de dire qu'au moyen de faibles provisions reçues par lui en aumônes, il a soustrait durant plusieurs jours des matelots aux dangers de la faim et de la mort, et nous comprendrons clairement que, si le serviteur du Dieu tout-puissant fut semblable à Moïse en faisant jaillir l'eau de la pierre, il fut de même semblable à Elisée par

 

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la multiplication des aliments. Loin donc des pauvres du Seigneur tout sentiment de défiance. Si la pauvreté de François a été assez riche pour suppléer d'une manière si admirable aux besoins de ceux qui lui venaient en aide, que ni le boire, ni le manger, ni le logement ne leur faisaient défaut, alors que les ressources de la fortune, de l'art et de la nature étaient impuissantes, combien plus cette pauvreté méritera-t-elle les biens accordés à tous les hommes dans l'ordre accoutumé de la divine providence ! Si, dis-je, à la voix du pauvre, l'aridité de la pierre a offert une eau abondante aux besoins d'un malheureux, assurément aucune créature en ce monde ne refusera d'obéir à ceux qui ont tout abandonné pour suivre l'Auteur de toutes choses.

 

CHAPITRE VIII. De la tendre piété de François, et comment les êtres privés de raison semblaient entraînés à l'aimer.

 

La vraie piété qui, selon l'Apôtre, est utile à tout, avait tellement rempli et pénétré le cœur de François, qu'elle semblait en avoir fait uniquement la possession du Très-Haut. C'est elle qui l'élevait vers Dieu par la dévotion, le transformait en Jésus-Christ par la compassion, l'inclinait vers le prochain pal une douce condescendance, et offrait en lui une

 

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image de l'état d'innocence première par son accord parfait avec toutes les créatures. Il était plein de tendresse pour tous les êtres sans exception et spécialement pour les âmes rachetées au prix du sang précieux du Sauveur. Lorsqu'il voyait ces âmes souillées des taches du péché, il le déplorait avec un sentiment si vif de compassion qu'il s'efforçait chaque jour, comme une mère, de les enfanter à Jésus-Christ. Voilà pourquoi surtout il avait une vénération toute particulière pour les ministres de la divine parole; car il savait qu'ils s'appliquaient à donner des enfants à leur frère mort, au Seigneur crucifié pour les pécheurs, en travaillant avec une pieuse sollicitude à leur conversion, et qu'ils les dirigeaient avec une bonté vigilante. Il assurait que ce ministère de tendre compassion l'emportait sur tout sacrifice aux yeux du Père des miséricordes si on le remplissait avec une parfaite charité, si on s'y appliquait plus par le bon exemple que par les paroles, plus par les larmes que par de longs discours. Et ainsi il disait qu'on devait pleurer comme étranger à la vraie piété le prédicateur cherchant sa propre gloire et non le salut des âmes, ou détruisant par la perversité d'une vie mauvaise ce qu'il édifiait par l'enseignement de la vérité; et qu'on devait préférer à un tel homme un frère sans science et sans éloquence, mais dont les bons exemples portaient les autres au bien. Il expliquait ainsi cette parole de l'Écriture : « Celle qui était stérile a donné le jour à plusieurs (1).     La

 

I Reg. 2.

 

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femme stérile, disait-il, est le pauvre frère qui n'a pas mission d'engendrer des enfants à l'Eglise. Au jour du jugement il se trouvera être le père d'un grand nombre, car tous ceux qu'il convertit au Seigneur par ses prières secrètes, le souverain Juge les lui donnera alors et il en sera glorifié. — Celle qui avait une postérité nombreuse se verra sans appui. En effet, le prédicateur vain, le beau parleur qui se considère comme le père d'une multitude d'hommes qu'il croit avoir rendus à la vie par sa propre vertu, connaîtra alors qu'il n'a rien à revendiquer en eux. »

Ainsi, embrasé d'une tendre piété pour le salut des âmes et consumé par un zèle dévorant, il respirait, disait-il, comme un parfum délicieux, et l'on répandait sur son coeur comme un baume inestimable quand la renommée lui annonçait que ses saints frères, dispersés par tout le monde, avaient fait entrer un grand nombre d'hommes dans les sentiers de la vérité. En apprenant ces nouvelles il tressaillait de joie en son âme, et comblait de bénédictions toutes particulières ceux qui, par leurs discours ou leurs bonnes oeuvres, portaient les pécheurs à l'amour de Jésus-Christ. De même aussi ceux qui, par leurs oeuvres d'iniquité, violaient la sainteté de la profession religieuse, encouraient ses malédictions les plus terribles. « Qu'ils soient maudits de vous, Seigneur très-saint, disait-il, qu'ils soient maudits de toute la cour céleste et de moi, votre pauvre serviteur, ces hommes dont les mauvais exemples renversent

 

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et détruisent ce que vous avez édifié et édifiez sans cesse par les saints frères de cet ordre. » Le scandale des faibles le pénétrait fréquemment d'une douleur si vive qu'elle lui eût donné la mort si la céleste miséricorde ne l'eût soutenu par ses consolations. Une fois qu'il était bouleversé ainsi par de mauvais exemples, et que, le coeur plein d'anxiété, il suppliait le Seigneur pour ses enfants, il lui répondit : « Pourquoi, pauvre petit homme, te troubler de la sorte? T'ai-je donc établi pasteur d'un ordre qui m'appartient, pour te voir oublier que j'en suis le protecteur principal? Si je t'ai choisi malgré ton peu de capacité, c'est afin que l'on attribue à la grâce céleste, et non à la sagesse de l'homme, les choses qu'il me plaira d'accomplir par toi. C'est moi qui t'ai appelé. Je te conserverai, je pourvoirai à tes besoins; si tes enfants tombent, j'en susciterai d'autres; s'ils ne sont pas encore nés, je leur donnerai la vie, et quelque secousse qu'éprouve cette pauvre et faible religion, je l'assisterai toujours et elle ne succombera jamais. »

Il abhorrait le vice de la détraction, si opposé à la vraie piété et à la grâce, comme la morsure d'un serpent et une peste effroyable; et il affirmait que c'était un défaut en abomination au Dieu souverainement miséricordieux, parce que le médisant se nourrit du sang des âmes dont il cause la mort par le glaive de sa langue. Entendant un jour un frère dénigrer la réputation d'un autre, il se tourna vers son vicaire et lui dit : « Allez vite et examinez soigneusement

 

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cette affaire, Si le frère accusé est innocent, faites à son accusateur une correction si sévère qu'elle soit de nature à impressionner les autres frères. » Quelquefois il faisait dépouiller de l'habit religieux celui qui avait terni par la médisance la réputation de son frère, et il lui défendait de lever les yeux au ciel jusqu'à ce qu'il eût réparé selon son pouvoir le tort dont il s'était rendu coupable. « Le crime des détracteurs, disait-il, l'emporte d'autant plus sur celui des voleurs, que la loi de Jésus-Christ, dont l'accomplissement consiste dans les oeuvres de la charité, nous oblige à chercher plus étroitement le salut des âmes que des corps. »

Il avait pour les infirmes une compassion admirable et une tendre condescendance. Quand il les voyait dans la misère ou le manque de quelque chose, ' il les portait avec une douceur pleine de suavité à se tourner vers Jésus-Christ. Il était naturellement compatissant, et la grâce céleste avait doublé en lui ce sentiment. Aussi son coeur se fondait à la vue des pauvres et des infirmes, et, quand il ne pouvait leur venir en aide, il leur témoignait son amour. Un jour un frère répondait durement à un pauvre qui lui demandait l'aumône. Cet amant de la pauvreté, voyant agir ainsi ce frère, lui ordonna de se dépouiller de son habit de religieux, de se jeter aux pieds de ce pauvre, de s'avouer coupable, de lui demander pardon et d'implorer le secours de ses prières. Le religieux l'ayant fait très-humblement, François lui dit avec bonté : « Lorsque vous voyez un pauvre, mon frère,

 

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vous avez devant vous une image du Seigneur et de sa Mère, qui était pauvre. De même, quand vous voyez un infirme, rappelez-vous les infirmités dont notre Maître a voulu se charger. » Ce pauvre éminemment chrétien découvrant donc en tous les pauvres l'image du Sauveur, si on lui offrait quelque chose pour les besoins de sa vie et qu'il se trouvât quelque indigent, non-seulement il le lui donnait généreusement, mais encore il regardait comme un acte de justice de se dépouiller ainsi. Il lui arriva une fois de rencontrer un pauvre en revenant de Sienne. Comme alors le saint portait sur son habit un petit manteau à cause de ses infirmités, considérant d'un oeil de compassion la misère de ce pauvre, il dit à son compagnon : « Il nous faut rendre ce manteau à ce pauvre, car il lui appartient. Nous l'avons reçu à titre de prêt, jusqu'à ce que nous trouvions un plus pauvre à qui le donner. » Le frère, qui connaissait le besoin de son tendre père, s'y opposait fortement et lui représentait qu'il ne devait pas pourvoir ainsi aux besoins des autres au détriment de ce qu'il se devait à lui-même. « Mais, lui répondit François, je regarde comme un vol dont le donateur suprême me demandera compte, de ne pas transmettre ce que je porte à celui qui est plus pauvre que moi. » Aussi, toutes les fois qu'on lui offrait quelque chose pour soulager ses infirmités, il avait coutume de demander aux personnes la permission de s'en défaire s'il rencontrait un homme plus indigent. Il ne faisait d'acception pour rien : ses manteaux ,

 

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ses tuniques, ses livres, et même les ornements des autels, il distribuait tout aux malheureux lorsqu'il le pouvait, pour remplir le devoir de la charité. Plusieurs fois ayant rencontré sur le chemin des pauvres assez chargés, il portait leurs fardeaux sur ses épaules affaiblies.

Plein d'une tendresse surabondante, il donnait, en considération de leur origine première, à toutes les créatures le nom de frère ou de soeur, quelque petites qu'elles fussent, car il se souvenait qu'elles avaient avec lui un créateur commun. Celles surtout qui, par leurs qualités naturelles ou par des figures de l'Ecriture, lui rappelaient la mansuétude de Jésus-Christ, avaient une place plus large dans son amour. Il délivra souvent des agneaux destinés à la mort, en mémoire de cet Agneau plein de douceur qui voulut, lui, être conduit à la mort pour le rachat des pécheurs. Une fois, qu'il était logé au monastère de Saint-Vérécundus, dans l'évêché de Gubbio, une brebis donna le jour à un petit agneau. Une truie cruelle qui se trouvait là, le dévora sans pitié pour son innocence. L'ayant appris, notre tendre père en fut touché d'une compassion extraordinaire, et, se rappelant l'Agneau immaculé, il se lamentait en présence de tout le monde sur la mort de ce petit agneau. Il s'écriait : « Petit agneau, mon frère, animal innocent, hélas ! vous offrez aux hommes l'image de Jésus-Christ. Que maudite soit la cruelle qui vous a donné la mort, que nul homme ne se nourrisse de sa chair, ni aucun des animaux non plus. »

 

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Aussitôt cette bête malfaisante commença à languir, et au bout de trois jours, après avoir souffert de justes douleurs, elle mourut en punition de la mort de l'agneau. On la jeta dans la vallée du monastère, et elle s'y dessécha comme un morceau de bois sans devenir la proie d'aucun animal. Que la cruauté des hommes remarque donc quels châtiments l'attendent après cette vie, si la méchanceté d'un animal a été punie d'une mort aussi horrible. Mais aussi que l'homme vraiment chrétien considère quelle vertu admirable avait la piété du serviteur de Dieu, et combien sa douceur était abondante, puisque les brutes mêmes y rendaient témoignage à leur manière.

Etant allé en voyage du côté de Sienne, il rencontra dans les champs un nombreux troupeau de brebis. Les ayant saluées avec bonté selon sa coutume, elles laissèrent aussitôt leur pâturage, coururent toutes à lui, et, levant les yeux, elles le regardaient sans s'occuper d'autre chose. Enfin elles montrèrent tant de joie que les bergers et les frères qui l'accompagnaient, voyant ainsi tout ce troupeau l'entourer et lui témoigner son bonheur d'une manière si extraordinaire, en étaient dans l'admiration.

Une fois, à Sainte-Marie de la Portioncule, on offrit à l'homme de Dieu une brebis. Il la reçut avec reconnaissance par amour pour la simplicité et l'innocence naturelles à cet animal. Il l'avertit d'être attentive à louer Dieu, et de s'abstenir de toute offense envers les frères. La brebis, comme si elle eût

 

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compris la tendre piété qui animait le saint, se conformait à ses avis avec le plus grand soin. Quand elle entendait chanter les frères réunis en choeur, elle entrait d'elle-même à l'église, fléchissait les genoux et se mettait à bêler devant l'autel de la Vierge, mère de l'Agneau, s'efforçant ainsi de lui offrir ses salutations. A la messe, lorsqu'on élevait le très-saint corps de Jésus-Christ, elle se prosternait entièrement, comme pour accuser par son respect les hommes sans dévotion et inviter en même temps les coeurs pieux à révérer profondément ce sacrement. — Une fois aussi étant à Rome il avait gardé avec lui un petit agneau par respect pour l'Agneau plein de douceur. En s'en allant il le confia aux soins d'une noble dame. Or cet agneau, comme s'il eût été formé par son maître aux choses spirituelles, s'attachait inséparablement à la dame toutes les fois qu'elle allait à l'église. Si le matin elle tardait à se lever, il l'excitait par ses mouvements et ses cris, et l'exhortait par ses signes et ses démarches à se rendre sans retard au lieu saint. Aussi cette daine conservait-elle avec amour et admiration ce disciple de François, devenu un maître qui ranimait de la sorte sa dévotion. Une autre fois on présenta à l'homme de Dieu un lièvre vivant. Ayant été déposé à terre et mis en liberté de fuir où il voudrait, sur une invitation de ce tendre père il s'élança dans son sein. Après l'avoir pressé avec amour contre son coeur et lui avoir compati comme une mère, le saint l'avertit avec douceur de ne plus se laisser prendre à l'avenir, et lui permit de s'en aller. Mais,

 

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quoiqu'on l'eût mis à terre plusieurs fois pour lui donner la liberté, il revenait se placer sur le sein du bienheureux, comme si par un sentiment secret il eût voulu demander encore une grâce à la tendresse de son coeur, et alors le saint commanda aux frères de le porter dans un lieu plus solitaire et plus à l'abri des dangers. Il arriva la même chose dans une île du lac de Pérouse : un lapin qu'on y avait pris fut offert à François et vint se placer sans crainte entre ses mains et sur son sein après avoir échappé à ceux qui le tenaient. Une autre fois qu'il voyageait sur le lac de Riéti, un pêcheur lui fit présent, par dévotion, d'un oiseau aquatique dont il s'était emparé. Le saint le reçut volontiers, et ayant ouvert la main, il l'invita à s'envoler ; mais l'oiseau ne le voulut pas. Alors François élevant les yeux au ciel, demeura longtemps en prière, et enfin revenu à lui-même comme d'un ravissement, il ordonna de nouveau à l'oiseau de s'éloigner afin d'employer sa voix à louer le Seigneur. Après avoir reçu cet ordre et la bénédiction du saint en même temps, il agita ses ailes en signe de joie et s'envola. — Dans le même voyage il reçut aussi un poisson magnifique et encore vivant. Il lui donna le nom de fière, selon sa coutume, puis le remit dans le lac; mais le poisson se jouait dans l'eau en présence de l'homme de Dieu, et, comme s'il eût été retenu par son amour, il ne s'éloigna qu'après avoir été béni et congédié par lui.

François voyageant une autre fois avec un frère par les marais de Venise, trouva une multitude

 

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considérable d'oiseaux occupés à chanter au milieu des broussailles. Il dit à son compagnon : « Nos frères les oiseaux louent leur Créateur; allons donc nous placer au milieu d'eux; nous joindrons nos louanges aux leurs et nous chanterons l'office de l'Eglise. » A leur approche, les oiseaux demeurèrent sans crainte. Mais, comme leur ramage empêchait les deux voyageurs de s'entendre, le saint leur dit : « Mes frères les oiseaux, suspendez vos chants jusqu'à ce que nous ayons, de notre côté, rendu à Dieu les louanges que nous lui devons. » Ils se turent aussitôt et demeurèrent en silence jusqu'au moment où François, ayant terminé ses prières, leur permit de chanter. A peine cette permission accordée, ils recommencèrent comme auparavant. A Sainte-Marie de la Portiuncule il y avait sur un figuier proche la cellule du serviteur de Dieu, une cigale occupée à chanter. Le saint, qui avait coutume d'admirer la magnificence du Créateur dans les plus petites choses, se sentait excité par ces chants à célébrer plus fréquemment les louanges de son Dieu. L'ayant donc appelée un jour, elle vint, comme si elle eût été divinement instruite, se placer sur sa main, et il lui dit : « Ma soeur la cigale, fais-nous entendre tes chants et loue ton Créateur par des accents de joie. » Aussitôt la voilà de chanter et elle ne s'arrêta point que le saint lui eût commandé de retourner à sa place. Elle demeura là pendant huit jours, allant et venant à la volonté de François et faisant de même entendre ses chants. Alors il dit

 

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à ses compagnons : « Il est temps de donner à notre soeur la cigale permission de s'en aller : elle nous a assez réjoui par ses chants; il y a huit jours qu'elle nous excite à célébrer les louanges du Seigneur. » Il la congédia donc, et elle ne se montra plus en ce lieu, comme si elle eût craint de transgresser le commandement du saint.

Pendant qu'il était à Sienne et s'y trouvait malade, un seigneur lui envoya en vie un faisan pris tout récemment. A peine l'oiseau eut-il vu et en-tendu le saint qu'il s'attacha à lui avec tant d'amour qu'il ne pouvait s'en séparer. On le mit plusieurs fois dans une vigne proche de la maison; mais quoique libre de s'envoler, il revenait sans retard au bienheureux, comme s'il eût été toujours nourri par lui. Il fut donné ensuite à un homme que sa dévotion portait à visiter souvent le serviteur de Dieu; mais, ne pouvant souffrir d'être éloigné de son tendre père, il refusa toute nourriture. On le rapporta donc à François, et à peine en sa présence il manifesta sa joie en agitant ses ailes et mangea avec avidité. — Le saint était allé en la solitude du mont Alverne pour y faire un carême en l'honneur de l'archange saint Michel. A peine y fut-il arrivé que des oiseaux de toute sorte volèrent autour de sa cellule, firent grand ramage et s'agitèrent comme pour montrer la joie que leur causait sa présence et le porter à prolonger son séjour en ce lieu. Alors il dit à son compagnon : « Je vois que la volonté du ciel est que nous demeurions quelque temps ici, puisque nos

 

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frères les oiseaux semblent trouver tant de bonheur à nous y voir. » Pendant le séjour du saint en cette maison, un faucon y fit son nid et se lia avec lui d'une amitié toute particulière. Chaque nuit il l'avertissait par ses chants et ses cris lorsque l'heure de se lever pour l'office était arrivée : ce que le saint avait pour singulièrement agréable, car cette sollicitude empressée de l'oiseau l'arrachait à tout engourdissement de la paresse. Mais s'il se sentait plus fatigué que de coutume par ses infirmités, le faucon le ménageait en ne le réveillant plus si matin; et, comme s'il eût été instruit par Dieu même, aux approches du jour il venait et lui faisait entendre doucement les sons de sa voix. Assurément on doit voir dans cette joie manifestée par des oiseaux de toute sorte, aussi bien que dans le chant de ce faucon, un présage du Ciel qui annonçait que cet homme infatigable à louer et à honorer Dieu, et déjà si élevé au-dessus de la terre sur les ailes de la contemplation, serait bientôt favorisé en ce lieu de l'apparition d'un séraphin.

Pendant qu'il demeurait dans l'ermitage de Grecio, les habitants de cette contrée se trouvèrent en proie à toute espèce de maux. Une multitude de loups cruels dévorait non-seulement les animaux, mais encore les hommes; la grêle portait annuellement ses ravages dans les blés et les vignes. Voyant donc ainsi ces peuples dans l'affliction, le héraut du saint Evangile leur dit : « Je vous promets sur l'honneur et la gloire du Dieu tout-puissant, que ces

 

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malheurs s'éloigneront, que le Seigneur abaissera sur vous un regard de miséricorde et vous donnera l'abondance des biens temporels, si vous voulez me croire et prendre pitié de vous-mêmes en faisant une bonne confession et ensuite de dignes fruits de pénitence. Je vous annonce également que, si, ingrats envers la bonté divine, vous retournez à votre vomissement, vos malheurs se renouvelleront, vos souffrances s'accroîtront et la colère céleste tombera plus sévèrement sur vous. » Tous ces hommes firent pénitence à la voix de François; les maux qui les avaient désolés cessèrent; les dangers disparurent; les loups et les orages ne firent plus sentir leurs ravages, et même si la grêle désolait les campagnes voisines, elle s'arrêtait à l'approche de cette contrée, ou le nuage qui la portait prenait une autre direction. Ainsi tous ces fléaux respectèrent l'engagement pris par le serviteur de Dieu, et ne sévirent plus sans pitié contre des hommes revenus à des sentiments d'une piété sincère, tant qu'ils les virent fidèles à ne point agir, selon leur promesse, contre les saintes lois du Seigneur.

Il est donc permis d'avoir une haute idée de la piété de François, de cette piété dont la douceur était si admirable et la vertu si puissante qu'elle domptait les bêtes féroces, se rendait familiers les animaux des campagnes, instruisait ceux qui étaient déjà apprivoisés, et voyait la brute rebelle à l'homme depuis son péché, se rendre obéissante à ses volontés. C'est là vraiment cette piété qui, unissant toutes les créatures

 

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par un lien d'amour, est utile ù tout et en possession des promesses du temps et de l'éternité.

 

CHAPITRE IX. Ardeur de la charité de François, et de son désir du martyre.

 

Qui pourra dire comme il convient combien ardente était la charité de François, l'ami de l'Époux? Semblable à un charbon embrasé, il paraissait pénétré tout entier du feu du divin amour. Au seul nom d'amour du Seigneur il était saisi, ému et enflammé comme si un instrument mélodieux eût frappé de ses accords la libre de son coeur. Il disait qu'offrir un semblable trésor eu reconnaissance des aumônes reçues était une noble prodigalité, et que ceux-là devaient être jugés insensés, qui le regardaient comme moins digne d'estime que de misérables deniers; car le prix du divin amour est vraiment inappréciable; il suffit pour nous faire acquérir le royaume des cieux, et celui-là mérite d'être aimé beaucoup, qui nous a tant aimés. Désireux de saisir en tout l'occasion de s'embraser de ce céleste amour, il se réjouissait en toutes les oeuvres de la main du Seigneur, et il s'en servait comme d'autant de miroirs brillants pour s'élever à la cause et à la raison vivifiante de leur être. Dans ce qui était beau, il contemplait la beauté suprême: il poursuivait son Bien-Aimé partout

 

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où il avait imprimé une trace de sa présence, et chaque créature était pour lui comme un degré pour arriver à la possession de celui qui est souverainement désirable. Il goûtait comme en autant de ruisseaux et avec un sentiment incroyable de dévotion cette bonté première répandue en tous les êtres; et l'accord admirable des qualités diverses dont Dieu les a enrichis et des actes qui en dérivent, était pour lui comme un concert céleste qui l'excitait, à l'exemple du Prophète, à chanter les louanges du Seigneur.

Jésus crucifié demeurait en tout temps sur son coeur comme un bouquet de myrrhe, et l'incendie violent de son amour lui faisait souhaiter avec ardeur d'être entièrement transformé en lui. Il l'honorait aussi avec une dévotion toute singulière pendant les quarante jours qui suivent l'Épiphanie, c'est-à-dire pendant le temps où il se cacha dans le désert. Il cherchait alors la solitude la plus profonde, s'enfermait dans sa cellule, se mortifiait autant qu'il le pouvait dans le boire et le manger, et s'appliquait sans interruption à jeûner, à faire oraison et à célébrer les louanges de Dieu. Il était donc entraîné vers Jésus-Christ par une telle ardeur d'amour et son Bien-Aimé se montrait également si plein d'amour envers lui, qu'il semblait jouir sans interruption de sa présence, ainsi qu'il l'avoua plusieurs fois à ses compagnons. Le sacrement du corps du Seigneur l'embrasait d'une ferveur qui le pénétrait tout entier; il était dans l'admiration et la stupeur à la vue d'une condescendance si tendre et d'une charité si

 

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empressée. Il communiait souvent et avec tant de dévotion que les autres se sentaient animés de ferveur en le voyant devenir comme un homme ivre après avoir reçu l'Agneau immaculé et souvent même tomber en extase.

Il avait aussi pour la mère de Jésus-Christ un amour indicible, parce que le Seigneur de toute majesté s'est rendu par elle notre frère et que nous avons par son entremise obtenu miséricorde. Plaçant en elle, après le Sauveur, sa confiance principale, il la choisit pour avocate de sa personne et de ses enfants, et il jeûnait en son honneur avec beaucoup de dévotion depuis la fête des saints apôtres Pierre et Paul jusqu'à l'Assomption. Il s'était également uni par un lien indissoluble d'amour aux esprits angéliques dont l'ardeur dévorante s'efforce d'enflammer les âmes des élus, de les élever au-dessus de cette terre et de les porter à Dieu. Après l'Assomption il jeûnait pendant quarante jours et s'appliquait sans interruption à la prière pour leur témoigner les sentiments de son coeur. Mais le zèle dont il brûlait pour le salut des âmes lui inspirait une tendresse spéciale pour l'archange saint Michel, chargé de les présenter au tribunal du Seigneur. Les exemples des saints étaient comme autant de charbons enflammés qui allumaient en lui un incendie tout divin. Il avait la plus vive dévotion envers tous les apôtres, et surtout envers saint Pierre et saint Paul, à cause de la charité ardente dont ils furent animés pour Jésus-Christ. Pour leur témoigner son respect et son amour il offrait.

 

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au Seigneur un carême particulier en leur honneur. Le pauvre de Jésus n'avait en sa puissance que deux oboles à offrir : c'était son corps et son âme; mais il les offrait si assidûment pour l'amour de son Sauveur, qu'il lui immolait en tout temps son corps par un jeûne rigoureux et son esprit par des désirs enflammés : l'un était comme l'holocauste sacrifié dans le parvis du temple, et l'autre comme le parfum que l'on brûlait dans l'intérieur du tabernacle. Mais l'ardeur de sa charité, en le transportant de telle sorte en Dieu, dilatait sa tendresse pour ses frères selon la nature et la grâce. Il n'est pas étonnant, au reste, qu'un homme dont la bonté naturelle était si grande pour toutes les créatures, se sentît entraîné par la charité de Jésus-Christ à un amour encore plus vif pour des âmes en qui il voyait l'image de son Créateur et le prix du sang de son Sauveur. Il ne pouvait se croire l'ami de Jésus-Christ, s'il n'avait pour les âmes rachetées par lui le zèle le plus empressé. Il disait donc que rien n'était préférable au salut des âmes, puisque le Fils unique de Dieu avait daigné être attaché pour elles à la croix. De là sa persévérance dans la prière, ses courses et ses prédications, ses efforts à donner le bon exemple. Si l'on blâmait ses austérités excessives, il répondait qu'il était obligé de servir d'exemple aux autres. Sa chair innocente et si parfaitement soumise à son esprit n'avait sans cloute plus besoin d'être châtiée à cause de ses propres offenses ; cependant en vue de ses frères il la soumettait sans cesse à de nouvelles peines et à de

 

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nouveaux fardeaux, et il la conduisait par des sentiers difficiles. Car, disait-il, quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité en mon coeur et si je ne donne pas à mes frères des exemples de vertu, je suis de peu d'utilité pour les autres et d'aucune pour moi-même.

Le triomphe glorieux des saints martyrs, en qui le feu de l'amour ne put être éteint ni la force ébranlée, ce triomphe, dis-je, le remplissait d'une sainte envie et allumait en son coeur un incendie de charité. Il désirait, lui aussi, dans l'ardeur de son amour, de cet amour qui met dehors la crainte, s'offrir à Dieu à travers les flammes du martyre comme une hostie vivante, témoigner par le sacrifice de son corps sa reconnaissance à Jésus-Christ mourant pour nous, et porter ainsi le reste des hommes à aimer le Seigneur. La sixième année après sa sortie du siècle, tout embrasé de ce désir, il résolut d'aller prêcher la foi et la pénitence aux Sarrasins et aux infidèles de la Syrie. Il s'embarqua donc pour ce pays; mais le vaisseau, poussé par des vents contraires, fut contraint de relâcher sur les côtes d'Esclavonie. Après y être demeuré quelque temps sans trouver aucun moyen de se rendre où l'appelaient ses désirs, trompé dans ses espérances. le saint conjura pour l'amour de Dieu des marins prêts à partir pour Ancône de le recevoir sur leur navire. Mais comme il ne pouvait payer, ils le refusèrent obstinément. Alors François, plein de confiance en la bonté du Seigneur, se cacha secrètement sur le vaisseau avec son compagnon. Peu de temps après

 

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un homme se présenta, envoyé de Dieu, comme on le croit, au secours de son pauvre, apportant avec lui les provisions nécessaires à la durée du trajet. Il appela du navire un homme craignant Dieu, et lui dit : « Gardez soigneusement ces provisions pour les pauvres religieux cachés sur votre vaisseau, et soyez fidèle à les leur distribuer avec charité lorsqu'ils en auront besoin. » Or, il arriva que durant plusieurs jours la violence du vent empêcha les matelots d'aborder nulle part, et leurs vivres étant consommés, il ne resta plus que ce qui avait été donné à François en aumône. Ces provisions étaient bien faibles; mais la vertu divine les multiplia, et le vaisseau se trouvant retardé durant plusieurs jours par le mauvais temps, elles suffirent abondamment aux besoins de tout l'équipage jusqu'au port d'Ancône. Les marins, qui avaient compris à quels dangers terribles ils venaient d'être exposés, et vu les merveilles du Seigneur au milieu de l'abîme, reconnurent qu'ils étaient redevables de la vie à François et en rendirent grâces au Très-Haut, dont la bonté et la puissance se manifestent toujours d'une manière admirable en faveur de ses amis et de ses serviteurs.

Après s'être éloigné de la mer, il parcourut le pays répandant partout la semence du salut, et il en rapporta des fruits abondants. Mais celui du martyre avait séduit son coeur ; il préférait aux mérites de toutes les vertus une mort glorieuse pour le nom du Seigneur. Il prit donc le chemin de Maroc afin d'annoncer l'Evangile de Jésus-Christ au Miramolin et à

 

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sa nation, et d'arriver ainsi à la palme après laquelle il soupirait. Le désir qui l'entraînait était si ardent que, malgré la faiblesse de son corps, il précédait de loin son compagnon de voyage, tant il était pressé d'arriver, et que l'âme toute pleine d'une sainte ivresse, il semblait voler. Mais en Espagne, le ciel, qui le réservait à d'autres choses, lui envoya une grave maladie qui l'empêcha d'aller où il souhaitait. L'homme de Dieu se jugeant donc encore nécessaire en ce monde aux enfants à qui il avait donné le jour, s'en retourna vers les tendres brebis confiées à sa sollicitude, bien qu'il crût pour lui la mort un gain véritable.

Mais l'ardeur de la charité était un aiguillon qui le poussait vers le martyre, et il tenta une troisième fois d'aller propager au prix de son sang la foi en l'auguste Trinité. La treizième année de son renoncement au monde, il se rendit en Syrie et s'exposa à des dangers de toutes sortes pour arriver jusqu'au sultan de Babylone. Il y avait alors entre les chrétiens et les Sarrasins une guerre implacable ; les camps des deux armées étaient fort rapprochés, et l'on ne pouvait passer de l'un dans l'autre sans péril d'être massacré, car le sultan avait promis une pièce d'or à tous ceux qui lui apporteraient la tête d'un chrétien. Mais le vaillant soldat de Jésus-Christ, plein de l'espoir d'être bientôt au terme de ses voeux, résolut de se mettre en route, sans se laisser effrayer par la mort, ou plutôt excité par son désir. Après avoir prié, se sentant fortifié par le Seigneur, il redisait avec confiance ces paroles du Prophète : Quand je marcherais

 

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au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec moi (1). Ayant donc pris pour compagnon frère Illuminé, homme vraiment digne de ce nom par ses lumières et sa vertu, il se mit en route. Bientôt ils rencontrèrent deux brebis. A cette vue, le saint rempli de joie dit à son compagnon : « Ayez confiance dans le Seigneur, mon frère, car en nous s'accomplit cette parole de l'Evangile : Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups (2). » Lorsqu'ils se furent avancés plus loin, ils trouvèrent les gardes avancés des Sarrasins, qui, comme des loups, accoururent et se saisirent brutalement des serviteurs de Dieu, leur firent subir des traitements cruels, et après les avoir accablés d'injures et de coups, les chargèrent de chaînes. Enfin, après les avoir maltraités et affligés de toute façon, par une disposition de la divine Providence ils les conduisirent au sultan, selon le désir du saint. Celui-ci leur avant demandé qui les avait envoyés et quel était le but de leur voyage, François lui répondit sans s'effrayer : « Je ne viens point de la part d'un homme, mais de la part du Dieu très-haut, afin de vous montrer à vous et à votre peuple la voie du salut, et de vous annoncer l'Evangile de vérité. » Ensuite il prêcha avec un tel courage, une telle force et une telle ardeur au sultan le Dieu en trois personnes et Jésus-Christ sauveur de tous les hommes, qu'en lui s'accomplissait clairement cette promesse du Seigneur : Je mettrai en votre bouche des paroles et une sagesse auxquelles vos

 

1 Ps. 22. — 2 Mat., 10.

 

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ennemis ne pourront résister, et qu'ils ne pourront contredire (1). En effet, le sultan voyant le zèle admirable et la vertu du serviteur de Dieu, l'écoutait volontiers et le pressait avec instance de prolonger son séjour auprès de lui; mais François, éclairé d'en haut, lui dit : « Si vous voulez vous convertir à Jésus-Christ, vous et votre peuple, je demeurerai de grand coeur avec vous. Mais si vous hésitez à abandonner la loi de Mahomet pour la foi du Sauveur, faites allumer un grand feu : je le traverserai avec vos prêtres, et vous serez à même de juger alors quelle est la croyance la plus certaine et la plus sainte, et celle qui mérite l'adhésion de vos coeurs. » — « Je ne pense pas, répondit le sultan, qu'aucun de nos prêtres consentît pour la défense de sa foi à s'exposer au feu ou à subir quelque autre genre de tourment. » En effet, il avait vu un de ses prêtres, homme de zèle et déjà avancé en âge, prendre la fuite, en entendant les propositions de François. Alors le saint ajouta : « Si vous voulez me promettre pour vous et pour votre peuple d'embrasser la foi de Jésus-Christ dans le cas où je sortirai sain et sauf du milieu des flammes, je les traverserai seul. Si le feu me fait sentir ses ardeurs, vous l'attribuerez à mes péchés ; mais si la puissance du Seigneur me protège, vous reconnaîtrez que le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu, qu'il est le Dieu véritable et le Sauveur de tous les hommes. » Le sultan déclara qu'il n'osait accepter une telle

 

1 Luc., 21.

 

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proposition dans la crainte de voir son peuple se soulever. Cependant il lui offrit des présents considérables et d'un grand prix. L'homme de Dieu, plein de mépris pour les choses de ce inonde, et avide seulement du salut des âmes, méprisa tout cela comme de la boue. Mais ce refus, qui montrait en lui un si parfait contempteur des biens terrestres, lui gagna encore davantage l'affection du sultan ; et quoiqu'il ne voulût ou n'osât embrasser la foi chrétienne, il supplia cependant le saint d'accepter ses dons afin de les distribuer pour son salut aux pauvres chrétiens ou aux églises. François, qui avait en horreur de porter le fardeau des richesses et ne voyait d'ailleurs aucun sentiment de vraie piété dans l'âme du sultan, n'acquiesça en aucune façon à ce qu'il souhaitait. Ensuite, reconnaissant qu'il n'aurait aucun succès auprès de cette nation et qu'il ne pouvait obtenir l'objet de ses désirs, averti par une révélation du ciel, il revint en Europe.

Ainsi, par une disposition de la bonté et de la miséricorde du Ciel, qui se plut à tout conduire d'une manière admirable en cette circonstance, pour récompenser la vertu de François, il arriva à cet ami de Jésus-Christ de chercher de toutes ses forces à souffrir la mort pour son amour sans pouvoir la trouver. Il eut le mérite du martyre après lequel il avait tant soupiré, et il fut conservé pour recevoir plus tard en lui-même les marques d'une faveur toute singulière. Ainsi, le feu divin allumé en son coeur s'y embrasa avec une intensité plus grande encore, et finit par s'en échapper avec une puissance nouvelle

 

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en traversant son corps. O homme vraiment heureux, dont la chair, sans être frappée par l'épée du tyran, a reçu l'empreinte de l'Agneau immolé ! O homme vraiment et admirablement heureux ! Le glaive du persécuteur n'a pas mis fin à ses jours, et cependant il a possédé la palme du martyre.

 

CHAPITRE X. De l'application de François à la prière, et de la sublimité de son oraison.

 

Le serviteur de Jésus-Christ se sentait, par son corps, toujours éloigné du Seigneur, alors même que son ardent amour l'avait rendu comme insensible à toutes les choses du dehors. Il s'efforçait donc de tenir sans cesse son esprit en la présence de Dieu par une oraison non interrompue. Il trouvait, en effet, une douce consolation en cet exercice, lorsque parcourant par la contemplation les demeures de la cité céleste, et devenu déjà en quelque sorte le concitoyen des anges, il cherchait de toute l'ardeur de ses désirs son Bien-Aimé dont il n'était séparé que par la muraille de sa chair. Il y puisait aussi un secours puissant au milieu des embarras de la vie active ; car, se défiant de sa propre sagesse et se confiant en la bonté du Ciel, il pouvait, en multipliant ses supplications, reposer toutes ses pensées dans le Seigneur. Il assurait que la vertu d'oraison devait être l'objet suprême des désirs d'un religieux, et persuadé que sans elle nul ne peut

 

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avancer dans le service de Dieu, il excitait par tous les moyens possibles ses frères à s'y adonner. En voyage et à la maison, au-dedans comme au-dehors, dans le travail comme dans le repos, il y était tellement appliqué qu'il semblait y avoir consacré entièrement non-seulement son coeur et son corps, mais aussi ses oeuvres et son temps. Il avait coutume de ne jamais laisser passer inutilement la moindre des visites du Seigneur. Quand elle se présentait, il y était attentif, et tant qu'elle durait, il jouissait de la consolation dont il était favorisé. Lorsque, dans ses voyages, il sentait le souffle de l'Esprit-Saint s'élever en son âme, il laissait ses compagnons prendre le devant, s'arrêtait et s'efforçait de goûter les douceurs de cette inspiration et de ne pas recevoir la grâce en vain. Souvent il lui arrivait d'être si absorbé dans sa contemplation, que, ravi hors de lui-même et éprouvant des choses au-dessus de l'intelligence de l'homme, il ignorait ce qui se passait autour de lui. Dans un voyage où il devait traverser le bourg de Saint-Sépulcre, endroit assez populeux, la faiblesse de son corps l'avait forcé de se servir d'un âne. Tous les habitants se précipitèrent à sa rencontre par dévotion; mais, pour lui, au milieu de cette foule qui le pressait, le touchait, le tirait, et se le disputait de diverses manières, il paraissait insensible et inanimé, et ne remarquait rien de ce qui avait lieu. Aussi, après être sorti de cet endroit, la foule s'étant retirée, et lui arrivant à un hôpital de lépreux, il demanda, comme s'il fût revenu d'un autre monde, si l'on approchait du

 

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bourg. Son esprit, tout entier transporté au milieu des splendeurs célestes, ne s'était aperçu ni de la différence des lieux, ni du temps, ni de la réunion de tant de personnes. Au reste, ses compagnons ont éprouvé que la même chose se renouvelait souvent.

Il avait reconnu que la présence si désirée de l'Esprit-Saint dans l'oraison se fait sentir d'autant plus facilement à ceux qui prient, qu'ils sont plus éloignés du bruit de ce monde. C'est pourquoi il cherchait les endroits non fréquentés et les solitudes, et il allait durant la nuit dans les églises désertes pour y prier. Il eut à y souffrir souvent de rudes assauts de la part des démons, qui l'attaquaient d'une manière sensible et s'efforçaient de le troubler dans son oraison. Mais couvert d'armes toutes célestes, plus il voyait l'ennemi redoubler ses violences, plus il sentait son courage se fortifier et sa ferveur s'animer dans la prière; il s'adressait avec confiance à Jésus-Christ et lui disait : « Protégez-moi à l'ombre de vos ailes contre les efforts des impies qui m'ont affligé. » Et ensuite s'adressant aux démons : « Esprits pervers et trompeurs, leur disait-il, usez de tout votre pouvoir contre moi. Vous n'avez de puissance qu'autant

qu'il plaira à la main du Seigneur de vous eu accorder, et moi je suis prêt à souffrir avec joie tout ce qu'il aura résolu de m'envoyer. » Et les démons ne pouvant supporter une telle constance se retiraient couverts de confusion. Alors l'homme de Dieu, demeuré solitaire et en paix, remplissait les forêts de ses gémissements, arrosait la terre de ses

 

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larmes, se frappait la poitrine, et comme s'il eût été dans la demeure la plus intime de son Seigneur, il s'entretenait avec lui. Il répondait à son juge, il suppliait son père, il parlait à son ami. Quelquefois aussi ses fières, poussés par une sainte curiosité à l'observer en ces circonstances, l'entendaient implorer par des cris lamentables la miséricorde divine en faveur des pécheurs, et pleurer amèrement la Passion du Sauveur comme si elle se fût passée sous ses yeux. Là, durant une nuit, on le vit en prières, les bras étendus en croix, le corps élevé au-dessus de la terre et environné d'une nuée lumineuse, dont l'éclat était un signe admirable de la lumière abondante qui inondait son âme. Là aussi lui étaient révélés les secrets et les mystères de la divine sagesse, comme on le sut d'une manière incontestable ; mais il ne divulguait pas ces faveurs à moins d'y être poussé par la charité ou l'utilité du prochain. Car, disait-il, on perd, pour un médiocre avantage dont on s'était flatté, un trésor inestimable, et celui qui l'a donné ne se montre plus aussi facile à l'accorder de nouveau.

Quand il revenait ainsi de la solitude, où ses longues oraisons l'avaient comme changé en un autre homme, il s'efforçait avec le plus grand soin de paraître en tout semblable à ses frères, de peur que le souffle des louanges humaines ne privât de leur récompense les grâces ainsi manifestées au-dehors. Lorsque le Seigneur le visitait devant tous les autres, il prétextait quelques raisons afin de ne pas rendre publiques les caresses de son Bien-Aimé. En priant au milieu de

 

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ses religieux, il évitait les exclamations, les gémissements, les soupirs profonds, et en un mot tout mouvement extérieur, soit qu'il préférât la solitude pour de pareilles choses, soit que, rentrant réellement jusqu'au fond de son coeur, il passât tout entier en son Dieu. Il donnait souvent ce conseil à ses frères les plus intimes : « Quand un serviteur de Dieu reçoit la visite du ciel en sa prière, il doit dire : C'est vous, Seigneur, qui avez envoyé du lieu de votre gloire cette consolation à un homme pécheur et indigne; maintenant je vous en confie la garde, car je suis un voleur capable de vous ravir votre trésor. Et lorsqu'il revient de l'oraison, il doit se montrer aussi pauvre et aussi misérable que s'il n'avait reçu aucune faveur nouvelle. »

Une fois que l'homme de Dieu était au couvent de la Portioncule, l'évêque d'Assise vint l'y visiter, comme il avait coutume de le faire. Lorsqu'il fut entré dans la maison, il alla sans se douter de rien à la cellule de François, et il se disposait à y pénétrer après avoir frappé à la porte; mais, avançant la tête et voyant le saint en prières, il se trouva saisi d'une frayeur subite, ses membres se roidirent et il perdit la parole; ensuite il se sentit repoussé aussitôt par une force divine et entraîné loin de ce lieu. Plein d'étonnement d'une pareille chose, l'évêque se hâta comme il put d'aller trouver les frères, et Dieu lui ayant rendu l'usage de sa langue, il s'en servit aussitôt pour confesser sa faute.

Une autre fois l'abbé du monastère de Saint-Justin,

 

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dans le diocèse de Pérouse, alla au-devant du serviteur de Dieu. A peine l'eut-il aperçu qu'il se hâta de descendre de cheval pour lui témoigner son respect, et aussi pour traiter avec lui de quelques points concernant le salut de son âme. Après s'être entretenus ensemble dans la plus douce intimité, l'abbé, en le quittant, lui demanda humblement de vouloir bien prier pour lui. « Je le ferai volontiers, » lui dit François. Quand il fut parti, le saint dit aussitôt au frère qui était là : « Attendez-moi un peu, car je veux payer la dette que je viens de contracter. » Or, pendant qu'il priait, l'abbé sentit en son âme une chaleur inaccoutumée et une douceur dont jusque-là il n'avait point fait l'expérience, en sorte qu'il fut ravi en extase et plongé tout entier en Dieu. Cela dura peu, et bientôt revenu à lui-même il reconnut quelle vertu avait la prière de François. Aussi conserva-t-il toujours l'affection la plus vive pour notre ordre, et dans la suite il aimait à raconter comme un miracle ce qui lui était arrivé.

Le saint avait coutume de réciter les heures canoniales avec non moins de crainte que de dévotion, et quoiqu'il souffrît beaucoup de plusieurs infirmités, des yeux, de l'estomac, des poumons, etc., jamais il ne consentit à s'appuyer contre la muraille ou un objet quelconque. Il se tenait debout, la tête découverte, attentif à ne point laisser ses yeux errer de côté et d'autre et à ne point interrompre son office. Lorsqu'il était en voyage, il s'arrêtait pendant le temps voulu, et la pluie la plus violente n'était point pour

 

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lui un motif de renoncer à une habitude aussi sainte et aussi respectueuse. Il disait : « Si le corps veut être eh repos pour prendre une nourriture qui doit être avec lui la pâture des vers, combien plus l'âme a-t-elle besoin de prendre l'aliment de vie avec calme et tranquillité? » Il pensait également commettre une faute grave si, pendant sa prière, il laissait son imagination devenir le jouet de vains fantômes. Lorsqu'il lui arrivait quelque chose de semblable, il n'avait point de repos qu'il ne s'en fût confessé et n'en eût fait pénitence. Au reste, il avait l'habitude de veiller si soigneusement en ce point, qu'il souffrait très-rarement de pareils inconvénients. Pendant un carême il avait fabriqué un petit vase, pour ne point laisser sans occupation les moments les plus légers de son temps. Un jour qu'il récitait tierce, ce vase lui revint dans la pensée, et lui causa quelque distraction. Alors poussé par l'ardeur de sa piété, il jeta le vase au feu, en disant : « Je sacrifierai au Seigneur celui dont la pensée a été un obstacle à mon sacrifice. » Il récitait les psaumes avec une attention aussi profonde de coeur et d'esprit que s'il eût vu Dieu présent devant lui, et lorsqu'il y rencontrait le nom du Seigneur, il portait sa langue sur les lèvres comme s'il eût goûté quelque chose d'une douceur ineffable.

Non-seulement il avait le respect le plus tendre pour le nom du Seigneur toutes les fois qu'il s'offrait à sa pensée, mais encore lorsqu'il l'entendait prononcer ou le trouvait écrit, et plusieurs fois il conseilla à ses frères de ramasser tous les lambeaux

 

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d'écriture qu'ils pourraient rencontrer et de les placer dans un endroit décent, afin de soustraire à la profanation ce nom sacré. Lorsqu'il prononçait ou entendait le nom de Jésus, il était rempli d’allégresse en son coeur et tout son corps 'paraissait ému; on l'eût dit sous le charme d'un concert enivrant, et sa bouche semblait savourer un mets délicieux. Trois ans avant sa mort, il voulut célébrer, à Grécio, la fête de la Nativité du Seigneur avec toute la solennité possible afin d'exciter les hommes à une dévotion plus vive envers ce mystère. Mais pour éviter toute critique, il demanda la permission au souverain Pontife, et après l'avoir obtenue, il fit préparer une crèche et du foin, et amener un boeuf et un âne. Alors les frères furent convoqués, les peuples s'empressèrent de leur côté, la forêt retentit des cris de joie, des clartés brillantes et nombreuses prêtèrent leur lumière à cette nuit sainte, et elle se passa au milieu des chants de louanges et des accords les plus mélodieux. L'homme de Dieu se tenait devant la crèche, pénétré de la plus tendre piété, le visage baigné de larmes et l'âme inondée de bonheur. On célébra une messe solennelle sur la crèche elle-même; François chanta l'Evangile et ensuite il prêcha au peuple sur la naissance du Roi pauvre, que la tendresse de son amour lui faisait nommer l'enfant de Bethléem lorsqu'il voulait l'appeler par son nom . Or, un soldat vertueux et digne de foi, Jean de Grécio, qui, par amour pour le Seigneur, avait renoncé à la vie militaire et était uni avec François par une amitié

 

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très-étroite; ce soldat, dis-je, assura avoir vu endormi dans la crèche un enfant d'une beauté admirable, et François le pressant dans ses bras, chercher à le tirer de son sommeil. Au reste, quoique la piété de ce religieux soldat suffise seule pour rendre croyable une semblable vision, ce qu'elle signifiait en est une preuve bien puissante et les miracles qui suivirent la confirment. L'exemple offert au monde par François est propre, en effet, à ranimer dans la foi de Jésus-Christ les coeurs engourdis. Ensuite, le foin placé dans la crèche guérit miraculeusement les animaux malades et fut un préservatif contre divers fléaux contagieux, Dieu voulant glorifier en tout son serviteur et montrer par des prodiges évidents la vertu efficace de ses saintes prières.

 

CHAPITRE XI. De l'intelligence des saintes Ecritures et de l'esprit de prophétie chez François.

 

Une application aussi infatigable à l'oraison, accompagnée de l'exercice continuel de toutes les vertus, avait produit en l'âme du serviteur de Dieu une telle sérénité que, malgré son peu d'habileté dans les sciences sacrées, éclairé des splendeurs de la lumière éternelle, il pénétrait avec une rare profondeur d'intelligence les passages les plus difficiles des saintes Ecritures. La pureté sans tache de son coeur lui ouvrait

 

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l'entrée aux endroits les plus cachés de nos mystères et l'ardeur de son amour le faisait arriver là où la science du maître est impuissante à aborder. Il lisait de temps en temps les saints Livres, et les passages une fois confiés à son esprit, sa mémoire les retenait fidèlement, car il apportait une attention vigilante à une lecture destinée à servir de méditation continuelle à sa dévotion. Un jour les frères lui demandèrent s'il aurait pour agréable que les lettrés reçus dans l'ordre s'appliquassent à l'étude de l'Ecriture. Il répondit: « Je le veux bien, pourvu qu'ils ne négligent point l'exercice de la prière, à l'exemple de Jésus- Christ, que nous voyons plus adonné à prier qu'à lire. Cependant qu'ils n'étudient pas pour savoir bien parler, mais afin de mettre en pratique et de proposer aux autres ce qu'ils auront appris. Je veux, ajouta-t-il, que mes frères soient des disciples de l'Évangile et qu'ils s'avancent dans la connaissance de la vérité de façon à posséder une simplicité parfaite et à ne point séparer cette simplicité de la colombe de la prudence du serpent, car notre Maître par excellence a uni ces deux vertus dans ses enseignements sacrés. » A Sienne, un homme religieux, docteur en théologie, l'interrogea sur certaines questions fort difficiles à comprendre. Il lui découvrit avec une telle clarté de doctrine les mystères de la divine sagesse, que le docteur, plein d'un étonnement profond et de l'admiration la plus vive, s'écriait : « La théologie de cet homme bienheureux s'est élevée comme l'aigle au

 

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milieu des régions les plus hautes, sur les ailes de la pureté et de la contemplation ; mais notre science à nous ne fait que se traîner contre terre. » Au reste, nous ne devons pas être surpris de voir notre saint doué divinement d'une telle intelligence des Ecritures : il s'efforçait, en marchant sur les traces du Sauveur, d'en retracer la vérité parfaite dans toute sa conduite, et l'Esprit-Saint, répandant en son coeur la plénitude de son onction, s'était fait lui-même son docteur.

Il avait également à un tel degré le don de prophétie, qu'il connaissait à l'avance les choses futures et lisait les secrets des coeurs. Il voyait les choses accomplies ailleurs comme si elles se fussent passées sous ses yeux, et il apparaissait d'une façon toute merveilleuse aux hommes éloignés de lui. Dans le temps où l'armée des chrétiens assiégeait Damiette, l'homme de Dieu se trouvait dans le camp, mais il n'avait que sa foi pour défense. Or, un jour, comme on se préparait à livrer bataille, François en ayant été instruit se prit à gémir profondément et dit à son compagnon : « Dieu m'a fait connaître que si les chrétiens tentent le combat, l'affaire tournera mal pour eux. Mais si je leur annonce pareille chose, ils me considéreront comme un fou; et si je garde le silence, je n'échapperai pas aux reproches de ma conscience. Que vous en semble-t-il donc? » Le religieux répondit : « Vous ne devez faire aucun cas de la manière dont les hommes vous jugeront; ce n'est pas du reste la première fois qu'on vous

 

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regarde comme un insensé. Déchargez donc d'abord votre conscience et soyez plus sensible à la crainte de Dieu qu'à celle des hommes. » Aussitôt le héraut du Seigneur, s'élançant au milieu des chrétiens, leur donne les avis les plus salutaires, cherche à les détourner du combat et leur annonce le malheur dont ils sont menacés. Mais on se moqua de ses discours ; tous endurcirent leur coeur et refusèrent de revenir sur leurs pas. Ils marchèrent donc et livrèrent bataille; nais toute leur armée fut mise en déroute et ils ne trouvèrent que la honte au lieu du triomphe : six mille hommes périrent ou furent faits prisonniers. Alors il parut évident qu'on ne devait point mépriser la sagesse du pauvre de Jésus-Christ, et que le regard de son âme découvrait plus clairement la vérité que sept sentinelles placées sur les hauteurs et chargées de tout observer.

Après son retour d'outre-mer, étant allé prêcher à Celano, un soldat l'invita à dîner avec les plus vives instances et la plus humble piété. Il vint donc à la demeure de ce soldat, et toute sa famille, qui était pauvre, le reçut avec allégresse. Mais avant de se mettre à table, voulant offrir ses prières et ses louanges au Seigneur, selon sa coutume, il demeura quelque temps les yeux élevés au ciel. Ensuite il appela son hôte en particulier, et lui dit avec bonté: « Mon frère, j'ai cédé à vos invitations réitérées, et je suis entré dans votre maison pour m'y asseoir à votre table. Maintenant, hâtez-vous à votre tour de profiter de mes avertissements, car ce n'est pas ici, mais

 

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ailleurs que vous mangerez. Confessez de suite vos péchés avec les sentiments d'une vraie et sincère douleur ; ne cachez rien, mais découvrez tout sans réserve. Dieu va vous récompenser dès ce jour d'avoir reçu ses pauvres avec autant l'empressement. » Le soldat obéit de suite aux avis du saint, il confessa toutes ses fautes au religieux qui l'accompagnait, régla tout en sa maison, et se disposa de son mieux à la mort. On se mit enfin à table, et pendant que les autres mangeaient, le soldat rendit l'esprit subitement, comme le lui avait prédit l'homme de Dieu. Ainsi, en exerçant l'hospitalité vis-à-vis d'un prophète, il reçut, selon la parole de l'éternelle Vérité, la récompense du Prophète; car l'annonce prophétique du saint le tint en garde contre l'arrivée imprévue de la mort, elle le munit des armes de la pénitence, le fit échapper à la damnation éternelle et entrer dans les tabernacles du Seigneur.

Dans le temps où le saint était malade à Riéti, un bénéficier, nommé Gédéon, homme dissolu et mondain, fut saisi d'une grave infirmité. Porté sur son lit au serviteur de Dieu, il le conjurait avec larmes, ainsi que les personnes présentes, de vouloir bien faire sur lui le signe de la croix. « Vous avez vécu jusqu'à ce jour selon les désirs de la chair, lui dit François; vous n'avez aucune crainte des jugements de Dieu. Comment donc vous marquerai-je du signe de la croix? Cependant je veux bien condescendre à vos désirs en considération des prières ardentes de ceux qui vous accompagnent. Mais

 

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sachez bien que des malheurs plus grands vous sont réservés si, une fois délivré, vous retournez à votre vomissement, car l'ingratitude entraîne toujours à sa suite des maux plus redoutables que les premiers. » Il fit donc le signe de la croix sur le paralytique, qui se trouva aussitôt rendu à la santé, et se leva en louant Dieu et en s'écriant : « Je suis guéri. » Les personnes présentes entendirent ses ossements faire un bruit semblable à celui qui a lieu lorsqu'on rompt du bois sec. Mais peu de temps après, cet homme, oubliant le Seigneur, retomba dans le crime, et un soir qu'il avait été invité à souper et à coucher chez un chanoine, pendant qu'il dormait, le toit de la maison s'écroula et ensevelit les personnes présentes sous ses ruines ; mais tout le monde échappa à la mort, excepté ce malheureux. Ainsi, par un juste jugement de Dieu, les derniers châtiments infligés à ce pécheur furent pires que les premiers à cause de son ingratitude et de son mépris du Seigneur. En effet, le pardon reçu exige notre reconnaissance, et le crime qui vient après déplaît doublement.

Une autre fois une femme vint trouver le saint afin de lui faire connaître ses chagrins et de lui en demander le remède. Elle avait un mari vraiment cruel, et opposé à ses désirs de servir le Seigneur. Elle conjurait donc le saint de vouloir prier pour lui afin que Dieu, par sa miséricorde, daignât amollir son coeur. François lui répondit : « Allez en paix et tenez pour assuré que bientôt vous recevrez une grande consolation de votre mari. Dites-lui de la

 

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part de Dieu et de la mienne, que c'est maintenant le temps de la miséricorde, et que plus tard ce sera celui de la justice. » Cette femme s'en retourna donc après avoir reçu la bénédiction du saint, et elle rapporta ses paroles à son mari. Aussitôt l'Esprit-Saint le remplit, le changeant en un homme nouveau, le fit répondre avec mansuétude : « Servons le Seigneur et sauvons nos âmes. » Sur la proposition de sa sainte épouse, il consentit à garder la continence et tous deux moururent le même jour et échangèrent cette vie contre une vie meilleure. Elle était assurément admirable en l'homme de Dieu, cette vertu de l'esprit prophétique qui rendait la vie aux membres desséchés et faisait naître la piété dans les coeurs les plus durs; et cependant sa lumière n'était pas moins étonnante, cette lumière par laquelle François découvrait les choses futures et sondait même le secret des consciences, comme si, nouvel Elisée, le double esprit d'Elie se fut reposé sur lui.

Lorsqu'il était à Sienne, il prédit à un de ses amis certaines choses touchant la fin de sa vie. Le docteur dont nous avons parlé plus haut, et qui aimait à s'entretenir avec le saint de questions sur la divine Ecriture, ayant émis quelque doute sur cette prédiction et lui ayant demandé s'il connaissait ces choses par une révélation du Ciel, François l'assura qu'il en était ainsi, et il lui prédit à lui-même sa propre mort alors qu'il s'enquérait de celle des autres. Et afin de le confirmer entièrement sur ce point, il lui parla d'un scrupule secret dont sa conscience était tourmentée

 

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et que le docteur n'avait découvert à personne; il le lui expliqua d'une manière admirable et lui donna sur ce sujet des conseils salutaires. En effet, cet homme religieux mourut, comme le saint le lui avait prédit.

Dans le temps où il revenait d'outre-mer, il lui arriva, ayant pour compagnon frère Léonard d'Assise, de se trouver accablé de fatigue et il monta un peu sur une âne. Le frère qui le suivait, bien fatigué aussi, ressentit en son coeur quelque chose de l'homme et se prit à dire en lui-même : « Ses parents et les miens tenaient un rang bien différent ; cependant aujourd'hui c'est lui qui se fait porter, et moi je suis à pied; je conduis sa monture. » Aussitôt le saint descendit et dit au religieux : « Il ne me convient pas de voyager ainsi, mon frère, et de vous laisser à pied ; car vous avez été dans le siècle plus noble et plus puissant que moi. » Le frère, étonné et couvert de confusion de se voir ainsi découvert, se jeta baigné de larmes aux pieds de François, lui découvrit sa pensée et lui en demanda pardon.

Un religieux plein de l'amour de Dieu et profondément attaché au serviteur de Jésus-Christ, pensait souvent en lui-même que celui-là était digne de la gloire à qui le saint portait un tendre amitié, tandis que l'homme considéré par lui comme un étranger, devait être regardé comme retranché du nombre des élus. Tourmenté sans cesse par une semblable pensée, il désirait ardemment avoir avec le saint une union intime, sans cependant faire connaître à personne le secret de son coeur. Or, un jour le tendre père ,

 

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l'appelant avec bonté, lui dit : « Mon fils, ne vous laissez troubler par aucune pensée. Vous m'êtes cher parmi ceux que j'affectionne le plus; je vous accorde donc volontiers la faveur de mon intimité et de mon amour. » Le frère, étonné et rempli par ce témoignage d'une tendresse encore plus vive, non-seulement crût de jour en jour en amour pour le saint, mais encore il fut, par une faveur de l'Esprit-Saint, comblé des dons les plus considérables.

Pendant que François demeurait sur le mont Alverne, enfermé en sa cellule, un de ses compagnons avait le désir le plus grand d'avoir quelques courtes réflexions écrites de sa main sur la loi du Seigneur. Il souffrait les tentations les plus violentes de la chair, et il espérait s'y soustraire par ce moyen, ou du moins les rendre plus faciles à supporter. Il languissait en proie à un tel désir et se consumait d'anxiété; car, retenu par la honte, il n'osait découvrir la chose à son père vénéré. Mais l'Esprit-Saint révéla ce que l'homme ne disait point. Le serviteur de Dieu se fit donc apporter par ce frère de l'encre et du papier, lui écrivit selon son désir quelque chose à la louange de Dieu et lui donna sa bénédiction en disant : « Prenez ce papier et gardez-le soigneusement jusqu'au jour de votre mort. » Le frère reçut ce don précieux, et aussitôt la tentation disparut. On conserva cet écrit, et, comme dans la suite, des merveilles s'accomplirent par lui, il servit à rendre témoignage des vertus de François.

Il y avait dans l'ordre un frère qui paraissait

 

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au-dehors d'une sainteté remarquable et d'une vie exemplaire ; mais c'était un homme d'une singularité extrême. Il s'appliquait continuellement à l'oraison et observait si rigoureusement le silence, qu'il avait coutume de se confesser par signes. Or, le saint vint en ce lieu pour voir ce frère et s'entretenir de lui avec les autres religieux. Tous l'exaltèrent et en firent les éloges les plus magnifiques. L'homme de Dieu leur répondit : « Laissez, mes frères ; ne me louez pas davantage ce qui n'est, en cet homme, qu'une illusion du démon. » Les frères entendirent avec peine un pareil langage, et ils regardaient comme impossible que de telles apparences de perfection fussent l'effet des ruses de notre ennemi. Mais peu de jours après, cet homme ayant abandonné la religion, on comprit combien clairement le regard intérieur du saint avait pénétré les secrets de son coeur. Il prédit de la sorte la ruine de plusieurs dont la vertu paraissait inébranlable, et la conversion d'un grand nombre d'hommes pervers ; et ce qu'il avait prédit arrivait si sûrement qu'il semblait s'être approché du miroir de l'éternelle lumière et contempler dans son éclat admirable les choses éloignées comme si elles eussent été présentes aux yeux de son esprit.

Une fois, pendant que son vicaire tenait le chapitre, François était renfermé dans sa cellule, tout entier à la prière, comme un solliciteur et un médiateur entre Dieu et ses frères. Comme un d'entre eux, sous un prétexte apparent, ne se soumettait point à la discipline de la maison, l'homme de Dieu

 

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le vit en esprit, et, appelant un des religieux, il lui dit : « Mon frère, j'ai vu le démon en possession de ce, religieux désobéissant; il a placé une chaîne autour de son cou, et cet homme, qui a rejeté le fruit de l'obéissance, conduit par un tel guide, suivait en tout les caprices de sa volonté. J'ai prié Dieu pour lui, et le démon s'est éloigné aussitôt couvert de confusion. Allez donc, et dites à ce frère de se soumettre de nouveau et sans retard au joug de la sainte obéissance. » Le religieux averti de la sorte rentra aussitôt en lui-même et se jeta humblement aux pieds du vicaire de François.

Une autre fois, deux frères étaient venus de loin à l'ermitage de Grécio pour voir le saint et recevoir sa bénédiction, après laquelle ils soupiraient depuis long temps. Mais, arrivés là, ils ne le trouvèrent plus, car il était rentré dans sa cellule. Ils s'en retournaient donc profondément attristés, quand François, sans avoir été prévenu par personne de leur arrivée ni de leur départ, sortit de sa cellule contre sa coutume, les appela, et, faisant sur eux le signe de la croix, les bénit au nom de Jésus-Christ selon qu'ils l'avaient désiré.

Deux frères étaient venus ensemble de la terre de Labour, et le plus vieux avait donné quelque scandale au plus jeune. Lorsqu'ils furent en présence du bienheureux père, il demanda au plus jeune comment son frère avait agi à son égard durant le voyage. Celui-ci ayant répondu qu'il n'avait point à s'en plaindre, François ajouta : « Prenez garde, mon

 

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frère, de ne pas mentir sous prétexte d'humilité. Je connais tout; mais attendez un peu et vous verrez. » Le frère demeura dans un profond étonnement en voyant comment il avait pu connaître en esprit des choses arrivées à une distance aussi grande. Peu de jours après, celui qui avait scandalisé son compagnon, sans demander pardon au saint et sans faire une pénitence convenable, quitta l'habit religieux et rentra dans le monde; et, dans cette circonstance, on peut admirer la sévérité de la justice divine, et la grandeur de l'esprit prophétique chez le saint.

Si l'on veut connaître de quelle manière, par la vertu du Seigneur, il se montra présent aux personnes dont il était éloigné, qu'on se rappelle comment il apparut à ses frères transfiguré en un char de feu, et comment, au chapitre d'Arles, il se montra les bras étendus en croix. Cela s'accomplit, sans aucun doute, par une disposition du Ciel, afin de faire connaître clairement par ces apparitions admirables combien son esprit était ouvert aux rayons de la sagesse éternelle, combien il était illuminé des splendeurs de cette sagesse, dont l'activité l'emporte sur ce qu'il y a de plus actif en ce monde, qui pénètre en tous lieux à cause de sa pureté, s'avance au milieu des nations dans les âmes saintes et forme les amis de Dieu et les prophètes. Le Docteur par excellence a coutume de révéler ses mystères aux simples et aux petits. Ainsi agit-il envers David, le plus grand des prophètes, envers Pierre, le prince des apôtres,

 

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et enfin envers François, le pauvre de Jésus-Christ. Ces hommes étaient étrangers à la science humaine, et ils sont devenus glorieux dans la science de l'Esprit-Saint. Le premier était un pasteur, et il lui a été donné de paître la synagogue, le troupeau tiré de l'esclavage de l'Egypte; le second était un pêcheur, et il a rempli les filets de l'Eglise d'une multitude de croyants pris dans toutes les nations; le dernier était un marchand, et il a vendu tout ce qu'il possédait pour acheter la perle de l'Evangile, il a tout distribué à cause de Jésus-Christ.

 

CHAPITRE XII. De l'efficacité de la prédication et du don des miracles chez François.

 

Le fidèle serviteur et ministre de Jésus-Christ, François, désireux de se rendre parfait et accompli en tout, s'exerçait principalement aux vertus que les enseignements de l'Esprit-Saint lui faisaient connaître comme plus agréables à son Dieu. Aussi lui arriva-t-il à ce sujet de tomber en un doute profond et plein d'angoisses, et tous les jours en sortant de l'oraison il le proposait à résoudre aux frères dont il estimait le plus les lumières. « Que me conseillez-vous, leur disait-il, quel emploi vous semble préférable? Dois-je vaquer à l'oraison ou me livrer à la prédication? Je suis un pauvre enfant, sans

 

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savoir, et dont le langage est grossier; j'ai plus reçu pour prier que pour parler. Ensuite, dans l'oraison, il y a un gain véritable, les grâces s'y accumulent en trésors; dans la prédication, au contraire, il faut distribuer aux autres les dons reçus du Ciel. Dans l'oraison, les affections de notre

âme se purifient de plus en plus, l'union au bien véritable, unique et suprême s'accomplit avec une vertu de jour en jour plus vive. Dans la prédication, les pieds de notre esprit se couvrent de poussière, on se distrait en beaucoup de choses, et la discipline se relâche. Enfin, dans l'oraison nous parlons à Dieu, nous entendons sa voix, nous menons une vie angélique, nous demeurons au milieu des esprits célestes. Mais dans la prédication il faut user d'une grande condescendance vis-à-vis

des hommes, vivre en homme au milieu d'eux, penser, voir, dire et entendre en homme. Cependant une chose me semble devant Dieu combattre en faveur de la prédication : c'est que le Fils de Dieu, la Sagesse suprême, est descendu du sein de son Père pour le salut des âmes; il a donné d'abord l'exemple de sa vie au monde comme règle de conduite; ensuite il lui a fait entendre des paroles de salut, il a racheté les hommes au prix de son sang vénérable, il en a fait un bain pour les purifier, et un breuvage pour soutenir leurs forces ; il ne s'est rien réservé, mais il a tout donné libéralement pour opérer notre salut. Puisque nous devons agir en tout selon le modèle des choses

 

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offertes à nos regards en sa personne comme sur une montagne élevée, il me semble donc que Dieu a pour agréable de nous voir interrompre le repos de la contemplation pour le travail du dehors. »

Le serviteur de Dieu avait passé bien des jours à conférer sur ce sujet avec ses frères, et cependant il ne voyait point encore d'une manière certaine quel parti il devait embrasser comme plus agréable à Jésus-Christ. L'esprit de prophétie dont il était doué lui avait découvert des choses merveilleuses, et il ne pouvait par lui-même résoudre la question présente, Dieu le permettant ainsi afin de lui faire connaître par un oracle du ciel le mérite de la prédication et de conserver son humilité. Véritable frère mineur, il ne rougissait donc pas, lui à qui le Maître suprême avait appris des secrets admirables, de prendre conseil de ses inférieurs en des points d’une moindre importance. il avait coutume de leur demander avec un empressement tout particulier par quelle voie et de quelle manière il pourrait accomplir plus parfaitement le bon vouloir de Dieu. Sa suprême philosophie, son désir souverain, tant qu'il vécut, fut de s'enquérir auprès des sages et des simples, des parfaits et des imparfaits, des jeunes et des vieux, des moyens d'arriver plus sûrement au sommet de la perfection. Prenant donc deux de ses religieux, il les envoya à frère Silvestre, le même qui avait vu autrefois une croix sortir de la bouche du saint, et qui alors était appliqué à prier continuellement sur une montagne proche d'Assise, afin d’avoir une réponse du Ciel sur

 

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le doute de son bienheureux père ; il les envoya, dis-je, pour savoir ce qu'il lui commanderait de la part de Dieu. Il ordonna aussi à la pieuse vierge Claire de faire prier pour la même fin la plus pure et la plus simple des religieuses confiées à sa conduite, et de prier elle-même afin de connaître la volonté divine. Les deux réponses s'accordèrent admirablement. Le saint prêtre et la vierge du Seigneur, éclairés par l'Esprit-Saint, firent connaître à François que le bon vouloir de Dieu était que le héraut de Jésus-Christ s'appliquât à la prédication.

Lorsque les frères furent de retour et qu'ils lui eurent appris la volonté du Ciel, selon qu'elle leur avait été manifestée, François se leva aussitôt, s'apprêta à partir et se mit en route sans retard. Il s'avançait avec tant de ferveur pour accomplir le commandement du Seigneur, et il marchait si rapidement qu'il semblait être poussé par la main de Dieu et avoir reçu d'en haut une vertu toute nouvelle. Non loin de Bevagna, il trouva un lieu où s'étaient réunis en grand nombre des oiseaux de toutes sortes. L'homme de Dieu courut à eux avec joie et les salua comme s'ils eussent été doués de raison. Tous l'attendirent et se tournèrent vers lui, et lorsqu'il fut proche, inclinant la tête d'une manière inaccoutumée de dessus les branches, ils tinrent leurs regards fixés sur lui. Arrivé à eux, il les avertit d'écouter la parole de Dieu avec attention, et leur dit : « Mes frères les oiseaux, vous devez louer beaucoup votre Créateur, qui vous a accordé des plumes pour vous couvrir, des

 

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ailes pour voler, la région la plus pure de l'air pour demeure, et qui vous nourrit sans aucune sollicitude de votre part. » Pendant qu'il leur parlait ainsi, les oiseaux témoignant leur joie d'une façon admirable, commencèrent à tendre le cou, à agiter leurs ailes et à ouvrir le bec en regardant le serviteur de Dieu. Et lui, tout plein d'une ferveur merveilleuse, passant au milieu d'eux, les effleurait du bord de sa robe. Mais aucun n'en fut effrayé. Enfin, leur ayant donné sa bénédiction par un signe de croix et la permission de s'en aller, tous s'envolèrent. Ses compagnons considéraient toutes ces choses du chemin où ils l'attendaient. Lorsqu'il fut revenu à eux, cet homme simple et vraiment pur s'accusa de négligence pour n'avoir pas encore, jusqu'à ce jour, prêché aux oiseaux. Ensuite il passa par les villages voisins, annonçant la parole de Dieu, et arriva à un bourg appelé Alviano, où il assembla le peuple. Après avoir invité la foule au silence, il commença; mais des hirondelles qui avaient leurs nids tout proche faisaient un tel bruit qu'à peine pouvait-on entendre ses paroles. L'homme de Dieu s'adressa donc à elles en présence de tout le monde, et leur dit : « Mes soeurs les hirondelles, vous avez parlé jusqu'à ce moment; c'est à mon tour maintenant. Ecoutez la parole de Dieu, et demeurez en silence jusqu'à ce que j'aie fini mon discours. » Aussitôt elles se turent comme si elles eussent compris, et ne s'éloignèrent pas que la prédication fût terminée. Tous ceux qui en furent témoins, pleins d'étonnement d'une pareille chose,

 

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glorifièrent Dieu, et le bruit de ce miracle s'étant répandu de toutes parts, concilia au saint le respect et la pieuse confiance d'une multitude de personnes.

A Paris, un étudiant, excellent jeune homme, était occupé au travail avec plusieurs de ses amis; fatigué du ramage d'une hirondelle, il leur dit : « Cette hirondelle était sans cloute une de celles dont les cris troublaient l'homme de Dieu, François, quand il prêchait, et auxquelles il imposa silence. » Et ensuite se tournant vers l'hirondelle, il ajouta avec confiance : « Au nom du serviteur de Dieu, François, je te commande de te taire dès que tu approcheras de moi. » A ce nom de François, l'hirondelle, comme si elle eût connu ses enseignements, se tut aussitôt et vint se placer dans les mains de l'étudiant comme dans un lieu sûr. Celui-ci étonné la rendit à la liberté, et n'entendit plus son ramage dans la suite.

Une fois le serviteur de Dieu prêchait à Gaëte, sur le bord de la mer. La foule, entraînée par l'ardeur de sa dévotion, se pressait autour de lui afin de le toucher; mais François, plein d'horreur pour les applaudissements des hommes, se jeta dans une petite barque fixée au bord de la mer. Aussitôt cette barque, comme si elle eût été douée de raison et poussée par un moteur intérieur, s'éloigna d'elle-même du rivage aux yeux de tous les assistants surpris d'un tel prodige. Après s'être avancée un peu en pleine mer, elle s'arrêta et demeura immobile au milieu des flots jusqu'à ce que le saint eût terminé sa prédication.

 

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Alors la foule témoin du miracle ayant reçu la bénédiction, se retira, et, comme François n'avait plus à craindre d'en être fatigué, la barque revint d'elle-même à terre. Quel homme donc, quelle que fût son obstination ou son impiété, eût osé mépriser la prédication du serviteur de Dieu, alors que sa vertu admirable soumettait à ses lois les êtres privés de raison et enchaînait à son service les corps inanimés.

A la vérité, Jésus-Christ, la vertu et la sagesse de Dieu, assistait son serviteur dans tout ce qu'il entreprenait, et l'Esprit-Saint le conduisait et répandait en lui son onction, afin que les enseignements d'une doctrine irréprochable découlassent de ses lèvres avec abondance et que des miracles éclatants s'accomplissent par lui. Sa parole était comme un feu dévorant; elle pénétrait jusqu'au plus intime des coeurs et elle remplissait tous les esprits d'admiration; car on ne voyait en elle rien des vains ornements de la science humaine, mais tout y respirait le souffle d'une révélation céleste. Une fois qu'il avait été appelé à prêcher devant le Pape et les cardinaux, sur la recommandation de l'évêque d'Ostie, il apprit par coeur un sermon travaillé avec le plus grand soin. Arrivé au milieu de l'assemblée pour y faire entendre des paroles d'édification, il oublia à tel point son discours qu'il lui fut impossible d'en dire le premier mot. Alors, après avoir raconté avec humilité comment il s'était préparé, il invoqua la grâce de l'Esprit-Saint, et aussitôt les paroles les plus efficaces abondèrent sur ses lèvres; et leur vertu fut si puissante à

 

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remplir de componction cette foule de personnages élevés, que l'on vit clairement que l'Esprit de Dieu parlait par sa bouche, et non l'homme. Comme il ne manquait pas de faire lui-même ce qu'il conseillait aux autres, il prêchait la vérité en toute assurance. sans craindre aucun reproche. Il ne savait point flatter les fautes d'autrui, mais il les attaquait au vif; et la vie des pécheurs, loin de trouver en lui un approbateur tacite, n'y rencontrait qu'un censeur armé des réprimandes les plus sévères. Il parlait avec la même assurance aux grands et aux petits, et il éprouvait autant de contentement en présence d'un auditoire peu nombreux, qu'en présence d'une multitude. Dans tous les rangs, dans tous les âges et toutes les conditions, on se portait avec empressement pour voir et entendre cet homme nouveau donné par le Ciel à la terre. Et lui, allant par les contrées diverses, annonçait l'Evangile avec un zèle dévorant, et le Seigneur coopérait à ses discours, il les confirmait par les miracles dont ils étaient suivis. En effet, par la vertu du nom de Jésus, le héraut de la Vérité chassait les démons, guérissait les infirmes, et, ce qui est plus considérable, portait à la pénitence par ses discours les coeurs les plus endurcis. Il rendait à la fois la santé aux corps et aux âmes, comme le prouvent les prodiges que nous allons raconter.

Un soldat dont l'enfant était tout difforme depuis sa naissance, avait reçu avec une grande piété le saint dans sa demeure. Après s'être laissé longtemps prier, François consentit à donner la main à l'enfant

 

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pour l'aider à se relever. Aussitôt celui-ci fut guéri, ses membres se trouvèrent raffermis, et, plein de force et de santé, il se mit à marcher et à sauter, louant Dieu et témoignant sa joie en présence de tout le monde.

A Narni, un paralytique était privé de l'usage de tous ses membres. Sur la prière de l'évêque, François le marqua du signe de la croix de la tête aux pieds, et il recouvra parfaitement la santé.

Dans l'évêché de Riéti, un enfant était tellement enflé qu'il ne pouvait regarder à ses pieds. Sa mère le présenta avec larmes au serviteur de Dieu, et aussitôt qu'il lui eut imposé ses mains vénérables, cet enfant se trouva entièrement délivré de son mal.

A Ortense, un enfant était dans un tel état de contraction que sa tête touchait à ses pieds et que plusieurs de ses ossements en étaient brisés. Le saint, touché des larmes de ses parents, fit sur lui le signe de la croix, et aussitôt le malade se redressa et fut guéri.

A Gubbio, une femme avait les deux mains contractées et desséchées, en sorte qu'elle ne pouvait rien faire. Le serviteur de Dieu la bénit par un signe de croix au nom du Seigneur, et aussitôt elle obtint une guérison si parfaite que, rentrant à sa maison, elle prépara, comme autrefois la belle-mère de Pierre, des aliments pour elle et les pauvres de Jésus-Christ.

A Bévagna, une jeune fille privée de la vue la recouvra après que le saint lui eut fait sur les yeux, avec sa salive, une triple onction au nom de la Trinité.

 

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A Narni, une lemme également frappée de cécité fut guérie par un signe de croix que François fit sur elle.

A Bologne, un enfant avait un oeil tellement entaché qu'il ne lui était d'aucun usage, et jusqu'à ce jour tout remède avait été sans effet. Le serviteur de Dieu fit le signe de la croix sur cet enfant et il fut délivré du mal qui le tourmentait. Dans la suite il entra dans l'ordre des Frères mineurs, et il assurait qu'il voyait beaucoup plus parfaitement de son œil autrefois malade que de celui dont il n'avait jamais souffert.

A Saint-Géminien, le serviteur de Dieu reçut l'hospitalité chez un homme fort religieux, mais dont la femme était tourmentée par le démon. Après avoir prié, il commanda à l'esprit mauvais de sortir en vertu de l'obéissance, et il le chassa si promptement par la puissance du Ciel, que l'ou reconnut véritablement combien était vaine l'obstination des dénions à résister à la sainte vertu d'obéissance.

A Castello, un esprit furieux et pervers assiégeait une pauvre femme. Le saint lui commanda, en vertu de l'obéissance, et aussitôt l'esprit s'éloigna en frémissant, laissant libre d'esprit et de corps la malheureuse obsédée jusqu'à ce jour.

Un frère avait une infirmité si horrible que plusieurs voyaient dans sou mal un effet de la malice infernale, et non quelque chose de naturel. Souvent il se jetait à terre et se roulait en écumant; tantôt ses membres se contractaient ; tantôt ils s'étendaient, ou se pliaient, ou se tordaient; tantôt ils se roidissaient

 

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et demeuraient inflexibles. Quelquefois on le voyait étendu et roidi de la sorte, serrer ses pieds, s'appuyer sur sa tête et s'élever en l'air pour re-tomber aussitôt de la manière la plus déplorable. Le serviteur de Jésus-Christ, plein de tendresse et de commisération pour un homme dont le mal était aussi triste et aussi irrémédiable, lui fit passer un peu du pain dont il mangeait. A peine le malade l'eut-il goûté qu'il recouvra ses forces et n'eut plus rien à souffrir dans la suite de cette infirmité.

Dans le comté d'Arezzo, une femme en couches souffrait depuis plusieurs jours. Elle était près de mourir, et aucun remède humain ne semblait capable de la tirer de l'état désespéré où elle se trouvait. François était passé par cette contrée, monté sur un cheval, car il était malade. Or, il arriva qu'on ramena l'animal dans le village où cette femme était ainsi en proie à de cruels tourments. Les hommes de l'endroit, ayant vu le cheval dont s'était servi le saint, lui ôtèrent son frein et le mirent sur la malade. A peine l'eut-il touchée que tout danger disparut miraculeusement; elle donna le jour à son enfant et fut sauvée.

Un homme religieux et craignant Dieu avait en sa possession une corde qui avait servi de ceinture à notre bienheureux père. Comme il y avait au lieu où il demeurait beaucoup de personnes affligées de différentes infirmités, cet homme allait de maison en maison, faisait tremper la corde dans de l'eau, et donnait ensuite l'eau à boire aux malades dont un grand

 

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nombre fut guéri de la sorte. De même le pain touché par l'homme de Dieu devenait, par la vertu divine, un remède prompt et efficace pour les malades qui l'avaient goûté.

Ainsi le héraut de Jésus-Christ, opérant dans le cours de ses prédications de semblables prodiges et d'autres en bien plus grand nombre encore, attirait l'attention des hommes et on l'écoutait comme si l'ange du Seigneur eût parlé. On voyait en lui la prérogative glorieuse des vertus, l'esprit de prophétie, la puissance des miracles, le don tout céleste de la prédication, l'empire sur les créatures privées de raison. A sa parole les coeurs se changeaient irrésistiblement; sa science inspirée par l'Esprit-Saint l'emportait sur toute la science des hommes; le pouvoir de prêcher lui avait été accordé par le souverain Pontife d'après une révélation du Ciel; sa règle, où il enseignait la manière de prêcher, était également confirmée par le vicaire de Jésus-Christ ; enfin il portait imprimées comme un sceau en son corps les blessures du Roi suprême. Tels sont les témoignages qui montrent d'une manière indubitable au monde François comme le héraut de Jésus-Christ, comme un homme vénérable par son ministère, irréprochable en sa doctrine, admirable en sa sainteté, et comme un véritable envoyé de Dieu pour prêcher son Evangile aux hommes.

 

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CHAPITRE XIII. Des stigmates sacrés.

 

L'homme angélique, François, avait coutume de ne jamais se reposer dans le bien. Semblable aux esprits célestes de l'échelle de Jacob, il montait en tout temps vers Dieu ou descendait vers le prochain. Il avait appris à partager si prudemment le temps qui lui était accordé pour amasser des mérites, qu'il en consacrait une partie à recueillir un gain laborieux auprès des hommes, et l'autre aux paisibles ravissements de la contemplation. Lors donc que, selon l'exigence des lieux et des temps, il s'était employé au salut des autres, il abandonnait les agitations de la foule et se retirait dans la solitude et le lieu du repos, afin de secouer, en vaquant plus librement à Dieu, la poussière amassée dans les rapports avec le inonde. C'est ainsi que, deux ans avant sa mort, il fut conduit par la divine providence, après de nombreux travaux, en un lieu fort élevé, appelé le mont Alverne. Ayant commencé le carême qu'il avait coutume de faire en l'honneur de l'archange saint Michel, il trouva dans sa contemplation toute céleste une abondance de douceur jusqu'alors inconnue ; la flamme des saints désirs l'embrasa avec plus d'ardeur et il sentit plus nombreuses les immissions divines. Il s'élevait à une hauteur extraordinaire, non

 

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comme un scrutateur inquiet de la majesté suprême, et digne d'être opprimé par sa gloire, mais comme un serviteur fidèle et prudent désireux de connaître le bon vouloir de Dieu et brûlant d'ardeur de s'y conformer sans réserve. Il lui fut donc révélé qu'il eût à ouvrir le livre de l'Évangile et que Jésus-Christ lui ferait connaître ce que Dieu aurait par-dessus tout pour agréable en lui et ce qu'il en attendait. Après avoir prié d'abord avec une vive dévotion, il prit sur l'autel le livre sacré des Evangiles, le fit ouvrir au nom de l'auguste Trinité par son compagnon, homme plein de l'amour de Dieu et vraiment saint, et l'ouvrit par trois fois; et comme à chacune on tombait toujours sur la Passion du Seigneur, le saint, rempli de l'esprit de Dieu, comprit qu'après avoir imité Jésus-Christ dans les travaux de la vie active, il devait, avant de sortir de ce monde, se rendre semblable à lui en embrassant les afflictions et les douleurs de sa Passion. Malgré l'extrême austérité de sa vie passée, malgré son application continuelle à porter la croix et l'affaiblissement qui s'en était suivi en son corps, sans se laisser épouvanter, il s'anime avec plus de courage encore à souffrir le martyre. L'incendie d'amour dont il était dévoré pour le doux Jésus, avait pris un nouvel accroissement : il se répandait en étincelles brûlantes et en flammes embrasées, et les eaux les plus violentes n'eussent point suffi pour éteindre une charité si puissante.

Lors donc que, transporté ainsi par l'ardeur de désirs séraphique, il s'élevait vers son Dieu et que

 

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la tendresse de sa compassion le transformait en celui que l'excès de sa charité attacha à la croix, un matin, c'était vers la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, pendant qu'il priait sur le versant de la montagne, il vit descendre des hauteurs célestes un séraphin ayant six ailes de feu toutes resplendissantes. Conduit bientôt, par la rapidité de son vol vers l'homme de Dieu, il demeura proche de lui sans toucher la terre. Alors entre les ailes du séraphin apparut un homme crucifié; ses mains et ses pieds étaient étendus et attachés à une croix. Deux de ses ailes étaient élevées au-dessus de sa tête, deux autres étaient étendues pour voler, et les deux dernières couvraient son corps. A cette vue, le saint demeura dans un étonnement indéfinissable, et son coeur éprouva un sentiment de joie mêlée de tristesse. Il se réjouissait d'un spectacle aussi admirable, où le Seigneur, sous la forme d'un séraphin, contemplait son serviteur, et son âme était transpercée d'un glaive de compassion douloureuse en le voyant ainsi attaché à la croix. Une vision si insondable le jetait aussi dans une anxiété profonde, car il savait que l'infirmité de la Passion n'était en aucune façon compatible avec l'immortalité d'un esprit séraphique. Enfin il comprit, par une lumière du Ciel, que la divine Providence l'avait fait jouir d'une telle faveur pour lui apprendre, à lui, l'ami de Jésus-Christ, que c'était, non par le martyre de son corps, mais par un embrasement sans réserve de son âme, qu'il devait se transformer en la ressemblance du Sauveur crucifié. La vision disparaissant le laissa donc tout rempli en

 

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son coeur d'une ardeur ineffable, et imprima en son corps des traces admirables. Car aussitôt commencèrent à paraître dans ses mains et dans ses pieds les marques des clous, telles qu'il les avait vues tout-à-l'heure dans l'homme crucifié offert à ses regards. Ses mains et ses pieds semblaient transpercés de ces clous; leurs têtes apparaissaient à l'intérieur des mains et sur les pieds, et l'on voyait sortir leurs pointes à la partie opposée. Ces têtes étaient noires et rondes, et les pointes longues et comme recourbées avec effort ; après avoir traversé la chair elles demeuraient tout-à-fait distinctes. Son côté droit portait aussi l'empreinte d'une cicatrice rouge, comme s'il eût été traversé d'un coup de lance, et souvent le sang s'échappait de cette plaie avec une abondance telle que tous les vêtements du saint en étaient pénétrés.

Le serviteur de Jésus-Christ, voyant imprimés d'une manière si parfaite en son corps les stigmates du Sauveur, comprit de suite combien il lui serait difficile de les cacher à ceux au milieu desquels il vivait, et d'un autre côté il craignait de révéler les secrets de son Seigneur. Il pensait donc avec une vive inquiétude et un tourment profond s'il ferait connaître ou s'il tairait ce qu'il avait vu. Ayant appelé quelques-uns de ses frères et leur parlant en termes généraux, il leur proposa son doute et leur demanda conseil. Un d'entre eux, éclairé de la grâce et comprenant par son langage qu'il avait été témoin de choses merveilleuses et que c'était la cause de l'état extraordinaire où il paraissait être maintenant, lui

 

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dit : « Ce n'est pas seulement pour vous, mon frère, niais encore pour les autres, sachez-le bien, que les secrets du Ciel vous ont été manifestés. Vous devez craindre justement d'être accusé, au jour du jugement, d'avoir enfoui le talent confié à vos soins, si vous cachez ce qui vous a été donné pour l'utilité de plusieurs. »

Le saint touché de ces paroles, bien que d'ailleurs il eût coutume de dire : « Mon secret est pour moi, » rapporta alors avec beaucoup de crainte toute la suite de la vision dont il avait été favorisé, et il ajouta que celui qui lui était apparu lui avait dit certaines choses qu'il ne confierait jamais durant sa vie à aucun homme. Sans doute, ces secrets du Séraphin crucifié sont de ces paroles qu'il n'est point permis à l'homme de redire.

Lors donc que le véritable amour de Jésus-Christ eut transformé ainsi en sa ressemblance celui qui en était pénétré, les quarante jours consacrés à la solitude étant passés, et la solennité de l'archange saint Michel arrivée, l'homme angélique, François, descendit de la montagne portant avec lui l'image de son Seigneur crucifié, image non gravée sur la pierre ou le bois par la main de l'ouvrier, mais imprimée en sa chair par le doigt du Dieu vivant. Cependant, comme il est bon de cacher le secret du Roi, l'homme qui en avait été rendu participant, s'efforçait de dérober aux yeux de tous, autant qu'il le pouvait, ces signes sacrés. Mais aussi, comme il appartient à Dieu de révéler pour sa gloire les merveilles de sa

 

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puissance, après avoir imprimé secrètement en François les stigmates, il fit par eux plusieurs miracles connus de tout le monde, afin de montrer par l'éclat de ces prodiges combien était admirable la force cachée dans ces traces de son amour.

En effet, une peste très-violente s'était répandue dans la province de Riéti, et elle ravageait cruellement, malgré tous les remèdes, les brebis et les boeufs. Un homme craignant Dieu fut averti pendant la nuit d'aller en toute hâte à l'ermitage des Frères mineurs, d'y demander l'eau où le serviteur de Dieu, François, qui y demeurait alors, s'était lavé les mains et les pieds, et d'en arroser les animaux. Cet homme se levant donc de grand matin, vint au monastère, et ayant obtenu en secret de cette eau par le moyen des compagnons du saint, il en répandit sur les brebis et les boeufs attaqués de la maladie. A peine ces animaux, tout-à-l'heure languissants et étendus sans force, en eurent-ils été touchés, qu'ils se levèrent aussitôt comme ils avaient coutume de le faire, et s'en allèrent à leurs pâturages comme si jamais ils n'eussent éprouvé aucun mal. Ainsi le contact de ces blessures sacrées avait donné à cette eau la vertu admirable de dissiper et de mettre en fuite une maladie pestilentielle.

Avant que le saint eût séjourné au mont Alverne, il s'y formait habituellement des nuées qui se répandaient en grêle et en orages violents et portaient la désolation dans les campagnes environnantes. Mais depuis cette apparition bienheureuse la grêle cessa

 

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entièrement, non sans causer une grande admiration aux habitants de la contrée, et le ciel lui-même devenant serein après des tempêtes habituelles, confessait l'excellence de cette vision céleste et la vertu des stigmates reçus eu cette circonstance.

Il arriva aussi à François, étant en route pendant l'hiver, et se servant de l'âne d'un pauvre paysan à cause de la faiblesse à laquelle il était réduit, il lui arriva, dis-je, de s'arrêter sous un rocher formant une espèce de voûte, pour y passer la nuit et se soustraire un peu aux incommodités de la neige et de la nuit qui l'empêchaient d'aller jusqu'au couvent. Mais voilà qu'il entend son pauvre compagnon pousser des gémissements plaintifs et se tourner de côté et d'autre, car le froid l'empêchait de dormir, et ses vêtements trop légers étaient impuissants à le protéger contre ses rigueurs. Le saint, tout brûlant de l'ardeur du divin amour, étend sa main sur cet homme, et, chose admirable! à peine cette main sacrée, qui portait en elle l'incendie d'un feu tout séraphique, eut-elle touché le pauvre, que le froid l'abandonna; il ressentit intérieurement et extérieurement une chaleur aussi vive que si une flamme sortant d’une fournaise embrasée lui eût communiqué sa chaleur. Fortifié en sort esprit et en son corps, il se reposa au milieu des rochers et de la neige avec plus de bonheur qu'il n'avait jamais fait dans sa maison, comme il l'assurait lui-même.

Ainsi des témoignages évidents nous montrent en ces stigmates vénérables l'oeuvre de celui dont les

 

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opérations hiérarchiques purifient, illuminent et enflamment. Ils ont purifié au-dehors en dissipant la peste, en rendant le calme aux éléments, et en répandant d'une manière admirable la chaleur dans les corps. Après la mort de François, d'autres prodiges plus éclatants encore confirmèrent la même chose. Pour lui, il s'efforçait avec le plus grand soin de cacher aux hommes ce trésor qu'il avait trouvé dans le champ du Seigneur. Il tenait presque toujours, depuis ce temps, ses mains enveloppées et ses pieds couverts de chaussures ; mais ils ne put dérober entièrement aux yeux d’un certain nombre ces signes augustes. Plusieurs frères, hommes vraiment dignes de foi par leur sainteté éminente, les virent avant la mort du saint, et, pour enlever tout doute à ce sujet, ils affirmèrent avec serment s'être convaincus de leur réalité en les touchant. Plusieurs cardinaux unis à François par les liens d'une étroite amitié en furent également témoins, et ils en confirmèrent la vérité non-seulement par leurs paroles, mais encore par leurs écrits; car les proses, les hymnes, les antiennes composées par eux en son honneur renfermaient les louanges des stigmates sacrés. Le souverain Pontife Alexandre 1V, prêchant un jour au peuple devant plusieurs frères et devant moi, assura les avoir vus de ses yeux. A la mort du saint, plus de cinquante frères les virent encore, et avec eux Claire, la très-pieuse vierge du Seigneur, ses religieuses et une foule innombrable d'hommes du monde, dont plusieurs les baisèrent avec des sentiments de respect et d'une

 

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tendre dévotion, et les touchèrent de leurs mains afin d'en rendre un témoignage plus assuré. Pour la blessure du côté, il la cacha avec tant de soin que jamais personne ne put la voir, si ce n'est à la dérobée. Ainsi, un frère qui avait coutume de lui donner les soins les plus empressés, l'ayant amené par une pieuse ruse à quitter sa tunique sous prétexte de la laver, ce frère, dis-je, regardant attentivement, vit la plaie, y porta rapidement les doigts et put en mesurer la grandeur. En usant d'une ruse semblable, le vicaire du saint put la voir de même. Mais le frère qui lui était donné pour compagnon, homme d'une grande simplicité, ayant à le soutenir à cause de ses infirmités, avança la main sous son capuce et la plaça sans y faire attention sur cette plaie sainte, ce qui causa à François la plus vive douleur. Alors il fit faire des vêtements de dessous montant jusqu'aux aisselles afin de la tenir toujours cachée. Mais les religieux chargés de laver ces vêtements ou sa robe, les trouvant empreints de sang, connaissaient ainsi d'une manière indubitable le mystère qu'il s'efforçait de dérober à tous les regards, mystère que la mort de François leur permit, aussi bien qu'à une foule innombrable, de contempler à découvert et de vénérer.

Et maintenant, ô vaillant soldat du Christ, porte donc les armes de ton Chef invincible. Ainsi protégé et défendu, tu surmonteras tous tes ennemis. Porte l'étendard du Roi tout-puissant, et à sa vue tous les membres de sa divine armée se sentiront animés au combat. Porte le sceau du Pontife suprême, et tes

 

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paroles et tes actions seront regardées de tous comme des paroles de vérité, comme des actions irrépréhensibles. Aujourd'hui que tu es marqué des stigmates du Seigneur Jésus, nul ne doit plus te contrister, mais tous les serviteurs du Christ doivent t'environner de leurs hommages et de leur amour. Ces signes, dont la vérité ne repose plus seulement sur deux ou trois témoins, ce qui serait assez d'ailleurs, mais sur l'autorité surabondante d'une multitude sans nombre, ces signes, témoignages irrécusables de Dieu manifestés par toi et en ta personne, enlèvent tout prétexte à l'incrédulité, car ils confirment les enfants du Seigneur dans la foi, ils les remplissent de l'espérance et les embrasent du feu de la charité. Maintenant est accomplie la vision qui te fut montrée dès le commencement, et où l'on t'annonçait que, lumière brillante du Christ, tu serais revêtu d'armes célestes, de l'étendard de la croix et de ses insignes glorieux. Déjà aux premiers temps de ta conversion la vue du Sauveur crucifié avait transpercé ton âme d'un glaive de douleur et de compassion, et les paroles parties alors du haut de la croix comme du trône sublime de Jésus-Christ, comme de son propitiatoire mystérieux, ces paroles, dis-je, confirmées par ta bouche sacrée, sont aujourd'hui pour nous une vérité incontestable. Et cette croix que, dans la suite de ta vie sainte, frère Silvestre vit sortir miraculeusement de ta bouche, ces deux glaives en forme de croix transperçant tes entrailles et montrés au vénérable frère Pacifique, toi-même élevé dans les airs

 

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les bras étendus et apparaissant à Monald, cet homme angélique, alors qu'Antoine prêchait sur la croix, toutes ces merveilles, nous le croyons aujourd'hui, sont réelles; elles furent manifestées par le Ciel, et non le fruit d'une vaine imagination. Enfin, cette vision où, vers la fin de ta vie, le Seigneur te montra en une même personne le sublime Séraphin et l'humble Sauveur crucifié allumant un incendie en ton âme et imprimant ses cicatrices sacrées en ton corps, afin d'offrir au inonde comme un nouvel ange s'élevant du côté de l'Orient et portant en lui-même le signe du Dieu vivant; cette vision, dis-je, affermit celles qui l'ont précédée, et leur emprunte à son tour un témoignage de vérité. Voilà sept fois déjà que la croix de Jésus-Christ est révélée à tes yeux ou en ta personne. Les six premières apparitions ont été comme autant de degrés pour arriver à la septième, où tu goûtes enfin le repos. En effet, cette croix manifestée à tes regards au commencement de ta conversion et embrassée avec ardeur, cette croix portée dans la suite en toi-même sans interruption par une vie vraiment parfaite, et présentée comme un modèle au reste des hommes, nous a appris avec une évidence incontestable que tu étais parvenu enfin au sommet de la. perfection évangélique. Et cette manifestation de la sagesse chrétienne gravée dans la poussière de ta chair, nul homme vraiment pieux ne la rejettera, nul fidèle véritable ne l'attaquera, nul coeur sincèrement humble ne la méprisera. C'est l'oeuvre même du Ciel; elle mérite d'être acceptée sans réserve.

 

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CHAPITRE XIV. De la patience de François dans les souffrances, et de sa mort.

 

Attaché ainsi à la croix de Jésus-Christ, François ne brûlait pas seulement en son corps et en son coeur d'un amour séraphique pour Dieu, il avait soif avec son Sauveur du salut de toutes les âmes. Comme les marques des clous dans ses pieds, prenant chaque jour plus d'extension, l'empêchaient de marcher, il faisait porter son corps, déjà à moitié éteint, par les villes et les bourgs, afin d'exciter les hommes à embrasser la croix de Jésus. Il disait aussi à ses frères : « Il est temps de commencer à servir le Seigneur, car jusqu'à ce jour nos progrès ont été bien faibles. » Il désirait également avec ardeur revenir à ses premières pratiques d'humilité, comme de servir les lépreux selon qu'il l'avait fait dès le commencement, et de réduire en servitude son corps maintenant abattu par le travail. Il se proposait d'accomplir de grandes choses sous la conduite de Jésus-Christ; et alors que ses membres tombaient d'épuisement, fort et fervent en son esprit, il espérait pouvoir combattre encore et remporter des triomphes sur son ennemi. C'est que la langueur et la paresse ne sauraient trouver place là où l'aiguillon de l'amour est puissant. Il y avait en lui un accord si parfait entre la chair et

 

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l'esprit, une obéissance si empressée de la première que, lorsqu'il s'efforçait de s'élever à tous les degrés de la sainteté, non-seulement elle n'y mettait aucun obstacle, mais qu'elle semblait se porter d'elle-même au-devant de ses désirs.

Et comme tous les mérites ont leur consommation dans la patience au milieu des souffrances, afin d'en accroître la mesure, Dieu voulut que son serviteur fut de telle sorte en proie à toute espèce d'infirmités, que c'est à peine si une seule partie de son corps était sans quelque douleur violente. Par ses longues et continuelles maladies, il en vint à n'avoir plus que la peau étendue sur les os. Et cependant au milieu de toutes ses douleurs, il ne croyait point devoir donner à ses souffrances le nom de peines, mais celui de soeurs. Un jour que l'aiguillon de la souffrance se faisait sentir avec une violence inaccoutumée, un frère, homme d'une grande simplicité, lui dit : « Priez Dieu d'agir plus doucement à votre égard, car il semble appesantir sur vous sa main outre mesure. » Le saint, en entendant cette parole, poussa un profond soupir et s'écria : « Si je ne connaissais la droiture de votre simplicité, j'aurais dès ce moment votre présence en horreur, vous qui osez blâmer la conduite de Dieu à mon égard. » Et quoique la longue durée de son mal l'eût comme réduit au néant, se jetant aussitôt hors de son lit, il heurta durement contre le sol son corps affaibli. Ensuite baisant la terre, il dit : « Je vous rends grâces, mon Seigneur et mon Dieu, de toutes les douleurs

 

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auxquelles je suis soumis, et je vous conjure, si tel est votre bon plaisir, de vouloir bien les centupler, car rien ne me sera agréable au milieu des afflictions que vous m'envoyez, comme d'être traité par vous sans miséricorde : l'accomplissement de votre sainte volonté est pour moi une consolation surabondante. » Ses frères admiraient en lui un nouveau Job, dont l'âme se fortifiait de plus en plus à mesure que ses souffrances augmentaient.

Il connut sa mort longtemps à l'avance, et, lorsque le jour en fut proche, il dit à ses frères que bientôt il déposerait la tente de son corps, selon que Jésus-Christ le lui avait révélé. Deux ans donc après avoir reçu les stigmates sacrés, la vingtième année depuis son renoncement au monde, alors que sous les coups réitérés d'angoisses violentes il était devenu une pierre vraiment digne de figurer dans la structure de la céleste Jérusalem, et que, semblable au fer, il avait été, sous le marteau d'une tribulation incessante, conduit à sa perfection, il demanda à être porté à Sainte-Marie de la Portioncule, afin de rendre la vie du corps là où il avait reçu la vie de la grâce. Arrivé en ce lieu, voulant montrer par un exemple irréfragable qu'il n'avait rien de commun avec le monde au milieu d'une maladie si grave et si au-dessus de toute infirmité, il conjura dans la ferveur de son âme qu'on le dépouillât de ses vêtements et qu'on le plaçât ainsi sur la terre nue; car il désirait à cette dernière heure où le démon pouvait encore lui faire sentir sa colère, lutter nu coutre son ennemi dépouillé de tout.

 

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Ainsi couché sur un sac, il leva les yeux au ciel selon sa coutume et, tout entier à la contemplation de la divine gloire, il étendit sa main gauche sur son côté pour empêcher qu'on en vît la plaie. Ensuite il dit à ses frères : « J'ai fait ce que je devais; maintenant faites ce que Jésus-Christ vous inspirera. » Les compagnons du saint, pénétrés d'un vif sentiment de compassion, versaient des larmes abondantes; mais un d'entre eux, que François appelait son gardien, connaissant son désir par une inspiration divine, se leva aussitôt et, prenant une robe avec une corde et des vêtements, il les offrit au pauvre de Jésus-Christ en lui disant : « Je vous prête ces vêtements comme à un pauvre ; pour vous, recevez-les en vertu de la sainte obéissance. » Le saint se réjouit de cette action du gardien, et son âme en fut remplie d'allégresse, car il connut ainsi qu'il était resté jusqu'à la fin fidèle à la pauvreté, sa souveraine; et, élevant ses mains au ciel, il glorifia son Sauveur de l'appeler à lui, libre et déchargé de toutes les choses de la terre. Au reste, son zèle pour la pauvreté l'avait conduit à ne vouloir posséder ses vêtements qu'à titre d'emprunt. Il s'appliquait à être en tout conforme à Jésus-Christ, qui demeura suspendu à la Croix dans la pauvreté, la douleur et le dépouillement de tout. Au commencement de sa conversion, il avait rejeté jusqu'à ses habits en présence de l'évêque d'Assise, et à la fin de sa vie il voulut sortir nu de ce monde. Il commanda, au nom de la charité, aux frères qui l'assistaient, de déposer après sa mort son corps nu

 

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sur la terre pendant le temps que mettrait une personne à parcourir un quart de lieue sans se presser. O homme vraiment chrétien ! Il s'efforça de ressembler durant sa vie à Jésus vivant; à sa mort, de l'imiter en ses derniers instants, et après, d'être en tout semblable à ceux qui ne sont plus; et il mérita de voir ses désirs accomplis d'une manière parfaite.

Enfin, l'heure de sa mort étant proche, il fit appeler tous les frères de la maison, les consola avec tendresse, les exhorta avec une affection paternelle à l'amour de Dieu, et prolongeant son discours, il les excita à la patience, à la pauvreté, à l'attachement à la foi de la sainte Eglise romaine, et à préférer les règles de l'Evangile à tout enseignement humain. Ensuite, tous les frères l'environnant, il étendit sur eux ses mains, et tenant ses bras en forme de croix, car il aimait ce signe par-dessus tout, il bénit et ceux qui étaient présents et ceux qui étaient absents, en la vertu et au nom du Seigneur crucifié. Ensuite il ajouta : Adieu, mes enfants; fortifiez-vous dans la crainte du Seigneur, et soyez-y persévérants. La tentation et la tribulation approchent : heureux ceux qui demeureront fidèles en leur sainte entreprise. Pour moi, je m'en vais à mon Dieu, et maintenant je vous confie à sa grâce. » Quand il eut terminé cette tendre exhortation, cet homme chéri de Dieu se fit apporter le livre des Evangiles, et demanda qu'on lui lût le chapitre de saint Jean qui commence par ces paroles : Le jour d'avant la Pâque, etc. Il récita ensuite comme il put le psaume 141° : J'ai

 

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élevé ma voix et j'ai crié au Seigneur, etc., et il le poursuivit jusqu'à ce verset : Les justes m'attendent pour que vous me donniez la récompense qui m'est préparée. Enfin tous les mystères étant accomplis en sa personne, son âme sainte ayant rompu le lien de la chair et se plongeant dans l'abîme de la clarté divine, il s'endormit dans le Seigneur.

Un religieux de ses disciples vit cette âme bienheureuse sous la forme d'une étoile brillante s'avancer en droite ligne vers le ciel, portée par un nuage d'une blancheur admirable, et traverser les régions les plus élevées de l'air. Cette étoile marquait bien l'éclat lumineux de sa sainteté sublime, l'abondance de la sagesse et de la grâce en son coeur ; elle indiquait comment cet homme vénérable a mérité d'entrer dans le lieu de lumière et de paix où il se repose avec Jésus-Christ pour l'éternité. En ce moment le ministre du couvent de la terre de Labour, frère Augustin, homme d'une grande vertu et d'une grande sainteté, se trouvait à l'agonie et avait perdu la parole depuis longtemps. Ceux qui l'assistaient l'entendirent s'écrier tout-à-coup : « Attendez-moi, mon père, attendez- moi; voilà que je m'en vais avec vous. » Les frères tout surpris lui ayant demandé à qui il parlait ainsi, il leur répondit sans se troubler : « Ne voyez-vous pas notre père François qui s'en va au ciel. » Et aussitôt l'âme de ce saint homme, abandonnant son corps, suivit son bienheureux père. L'évêque d'Assise était alors en pèlerinage au mont Gargan, à l'oratoire de Saint-Michel; François lui apparut la nuit même

 

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de sa mort et lui dit : « Je quitte ce monde et je m'en vais au ciel. » Le matin, l'évêque raconta à ses compagnons ce qu'il avait vu, et s'en revint à Assise. Là, après s'être informé de tout avec le plus grand soin, il reconnut d'une manière assurée que l'heure où la vision lui était apparue était véritablement l'heure de la mort du bienheureux. Les alouettes, oiseaux amis de la lumière et qui ont en aversion les ténèbres mêmes du crépuscule, s'en vinrent en grand nombre sur le toit de notre maison, au moment où le saint abandonnait la terre et alors que la nuit était presque fermée. Là pendant longtemps elles tirent entendre leurs chants avec une allégresse extraordinaire, et rendirent un témoignage aussi éclatant que délicieux à la gloire d'un homme qui avait coutume de les inviter à célébrer les louanges du Créateur.

 

CHAPITRE XV. De la canonisation de François, et de la translation de son corps.

 

François, le serviteur et l'ami du Très-Haut, le fondateur et le chef de l'ordre des Frères mineurs, le professeur véritable de la pauvreté, le modèle de la pénitence, le héraut de la vérité, le miroir de la sainteté, l'exemple vivant de toute la perfection évangélique ; François, dis-je, prévenu de la grâce, arriva donc par des progrès non interrompus, en

 

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partant du premier degré, au sommet des vertus. Or, cet homme admirable, si riche en pauvreté, si sublime en humilité, si ardent en la mortification, si prudent en sa simplicité, si accompli en toute sa conduite, Dieu, après l'avoir exalté merveilleusement durant sa vie, l'environna d'un éclat incomparablement plus grand en sa mort. Son âme sainte, en quittant le monde pour entrer dans la demeure de l'éternité et se désaltérer, brillante de splendeur, aux sources mêmes de la vie, laissa en son corps des signes évidents de la gloire qui lui était réservée à l'avenir. Ce corps très-saint, depuis longtemps crucifié avec tous ses vices et transformé en une créature nouvelle, offrait par un privilège singulier une image de la Passion du Seigneur, et la nouveauté d'un tel miracle proclamait à l'avance sa résurrection bienheureuse. On voyait en ses membres sacrés les clous merveilleusement formés de sa chair par la vertu divine et tellement inhérents que, lorsqu'on les foulait d'un côté, on sentait aussitôt comme un nerf dur et continu au côté opposé. On trouva plus apparente encore la blessure faite en son côté sans le secours d'aucune main humaine, blessure semblable à celle du côté du Sauveur, d'où est sorti pour nous, en la personne de ce même Sauveur, le prix de notre régénération et de notre rédemption. Les clous paraissaient noirs comme du fer; mais la plaie du côté était rouge, et, les chairs se contractant, elle avait pris une forme ronde et ressemblait à une belle rose. Tout le reste du corps qui, naturellement par suite de ses infirmités,

 

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était basané, brillait en ce moulent d'une blancheur éclatante et rappelait la beauté de cette robe sans tache de l'éternité. Ses membres étaient doux et flexibles comme ceux d'un petit enfant, et plusieurs croyaient y découvrir des signes évidents de l'innocence du saint.

Ainsi, ces clous se détachant en forme noire sur ce corps d'une blancheur si parfaite, cette plaie du côté se montrant comme une rose prête à fleurir, il n'est pas étonnant qu'un spectacle aussi beau et aussi merveilleux ait rempli les personnes présentes d'allégresse et d'admiration. Les enfants du saint pleuraient l'enlèvement d'un père aussi digne de leur amour; mais en même temps ils étaient pénétrés d'une joie immense lorsqu'ils baisaient en lui les signes sacrés du Roi suprême. La nouveauté d'un pareil miracle changeait les pleurs en jubilation, et jetait l'intelligence dans un étonnement profond. C'était en effet quelque chose de vraiment extraordinaire et de prodigieux pour ceux qui en étaient témoins; un tel' spectacle affermissait leur foi, il embrasait leur amour, et ceux qui en entendaient parler, étaient dans l'admiration et désiraient avec ardeur le contempler de leurs yeux. Quand le bruit de la mort du saint se fut répandu et qu'on apprit le miracle existant en son corps, le peuple se porta en foule au monastère, afin de dissiper tout doute en voyant par lui même et en même temps de mêler sa joie à son amour. Les habitants d'Assise furent donc admis en grand nombre à contempler et à baiser ces stigmates vénérables. Parmi

 

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eux un soldat instruit et sage, appelé Jérôme, homme illustre et célèbre, avait douté de la réalité de ces marques sacrées, et, comme Thomas, il avait été incrédule. Il touchait donc avec empressement et une ardeur toute particulière, en présence de tout le monde, les clous des pieds et des mains et le côté du saint, afin d'arriver ainsi par une expérience matérielle de la vérité à chasser de son coeur et du coeur de tous les autres jusqu'aux moindres restes de doute. Aussi devint-il dans la suite le témoin le plus ferme d'un fait constaté avec autant de certitude, et il l'affirma sous la foi du serment.

Cependant les frères et enfants appelés à la mort de leur père, réunis à la multitude, passèrent à célébrer les louanges du Seigneur la nuit où le glorieux confesseur avait quitté la terre. Mais leurs chants ressemblaient moins aux soupirs des funérailles qu'aux concerts des anges.

Le lendemain on porta le saint corps à Assise au milieu des cantiques et des hymnes du peuple assemblé, et tous l'accompagnaient ayant en leurs mains des rameaux et des cierges allumés. En passant à l'église de Saint-Damien où demeurait avec ses soeurs Claire, l'illustre vierge du Seigneur et maintenant glorieuse habitante de son royaume, on s'arrêta afin de donner à ces saintes religieuses le temps de contempler et de baiser les cicatrices inestimables de ce corps sacré. Ensuite, arrivé à la ville au milieu des chants d'allégresse, on déposa avec tout le respect possible ce précieux trésor dans l'église de Saint-Grégoire.

 

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C'était là que dans son enfance François avait appris les premières lettres, là qu'il avait prêché pour la première fois, et ce fut aussi le premier lieu de son repos. Or, notre vénérable père sortit des agitations de ce monde l'an du Seigneur 1226, le 4 d'octobre, le samedi au soir, et ses funérailles eurent lieu le dimanche.

Mais Dieu abaissa aussitôt sur son serviteur ses regards lumineux, et il commença à le rendre célèbre par des miracles glorieux et sans cesse renouvelés. Ainsi sa sublime sainteté, qui durant sa vie avait servi de règle de conduite en offrant au monde des exemples d'une justice parfaite, affermissait, maintenant qu'il régnait avec Jésus-Christ, la foi dans les coeurs par les prodiges éclatants de la divine puissance. Bientôt ces miracles et les bienfaits obtenus par l'entremise du saint dans les diverses parties du monde remplirent les coeurs d'un grand nombre de vénération pour lui et de dévotion pour le Seigneur. Les cris de la reconnaissance, unis à la voix des bonnes oeuvres, portèrent promptement aux oreilles du pape Grégoire IX les merveilles dont Dieu se montrait prodigue par l'entremise de son serviteur. Alors le pasteur de l'Eglise universelle, pleinement instruit de la sainteté admirable de François, non-seulement par les miracles que la renommée lui annonçait après sa mort, mais par les choses dont il avait été lui-même témoin et dont il avait fait l'expérience durant la vie du saint, connaissant à n'en point douter qu'il était entré en partage de la gloire du Seigneur, le vicaire

 

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de Jésus-Christ, dis-je, désireux d'agir d'accord avec son Maître, arrêta, après une pieuse considération, de rendre au serviteur de Dieu des honneurs sur la terre et de l'offrir aux hommes comme digne de toute leur vénération. Mais afin d'écarter toute occasion de doute en la glorification de cet homme vraiment saint, il recueillit tous les miracles écrits et attestés par des témoins dignes de foi, et les fit examiner par les cardinaux les moins favorables à la cause. Après une discussion soigneuse et l'approbation de tous ces miracles, il résolut, selon le conseil des cardinaux et de tous les prélats de la cour romaine, de prononcer le décret de canonisation. S'étant donc rendu en personne à Assise, l'an du Seigneur 1228, le dimanche 16 juillet, il mit, avec une solennité qu'il serait trop long de raconter, notre bienheureux père au nombre des saints. — Deux années après, nos frères se réunirent en chapitre général à Assise, et alors on transporta, le 25 mai, le corps du saint en l'église élevée à son honneur. Pendant que se faisait la translation de ce trésor vénérable empreint du sceau du Roi suprême, Celui dont il offrait l'image en sa personne daigna accomplir encore de nombreux miracles, afin d'attirer à sa suite les coeurs des fidèles par l'odeur de vie émanée de son serviteur. Il était bien digne, en effet, celui qui durant sa vie avait été agréable au Seigneur et son bien-aimé, celui que la sublimité de sa contemplation avait transporté dans le paradis, comme Hénoch, celui que son zèle embrasé avait enlevé au ciel sur un char de feu,

 

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comme Elie, il était digne, maintenant qu'il était devenu une plante éternelle s'épanouissant au milieu des fleurs célestes, de voir ses ossements bienheureux répandre dans le tombeau un parfum de fécondité. De même donc que durant sa vie il avait brillé par les vertus les plus éclatantes, de même depuis sa mort jusqu'à ce jour la divine puissance aime à se montrer en lui et à le rendre illustre dans toutes les parties dti monde par les miracles les plus glorieux : les aveugles, les sourds et les muets, les hydropiques et les paralytiques, les hommes tourmentés par le démon, les lépreux, les naufragés et les captifs trouvent en ses mérites un secours; il vient en aide à toute maladie, à tout besoin, à tout péril; un grand nombre de morts sont ressuscités par ses mérites ; et ainsi se manifestent dans la glorification de son saint la magnificence et la vertu du Très-Haut, à qui sont l'honneur et la gloire pendant tous les siècles des siècles.

 

 

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