ESSAI D'AVENT I

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
VOLUME II
Ier DIMANCHE- EPIPHANIE
II° DIMANCHE - EPIPHANIE
III° DIMANCHE - EPIPHANIE
4° DIMANCHE - EPIPHANIE
V° DIMANCHE - EPIPHANIE
VI° DIMANCHE - EPIPHANIE
DIMANCHE SEPTUAGESIME
DIMANCHE SEXAGÉSIME
DIMANCHE - QUINQUAGÉSIME
II° DIMANCHE - PAQUES
III° DIMANCHE - PAQUES
II° DIMANCHE - PAQUES
V° DIMANCHE - PAQUES
DIM. OCTAVE L'ASCENSION
DIM. OCTAVE  SAINT-SACREMENT
III° DIMANCHE - PENTECOTE
IV° DIMANCHE - PENTECOTE
V° DIMANCHE - PENTECOTE
VI° DIMANCHE - PENTECOTE
VII° DIMANCHE - PENTECOTE
VIII° DIMANCHE - PENTECOTE
IX° DIMANCHE - PENTECOTE
X° DIMANCHE - PENTECOTE
XI° DIMANCHE - PENTECOTE
XII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIV° DIMANCHE - PENTECOTE
XV° DIMANCHE - PENTECOTE
XVI° DIMANCHE - PENTECOTE
XVII° DIMANCHE - PENTECOTE
XVIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIX° DIMANCHE - PENTECOTE
XX° DIMANCHE - PENTECOTE
XXI° DIMANCHE - PENTECOTE
XXII° DIMANCHE - PENTECOTE
XXIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XXIV° DIMANCHE - PENTECOTE
AVEUGLE-NÉ
ESSAI D'AVENT I
ESSAI D'AVENT II
ESSAI D’AVENT III
ESSAI D’AVENT IV
ESSAI SAINT-SACREMENT

ESSAI  D'AVENT.

ESSAI  D'AVENT.

AVERTISSEMENT.

DESSEIN GÉNÉRAL

PREMIÈRE SEMAINE.

SERMON SUR L'INCARNATION DIVINE.

SERMON SUR LA GRACE,

SERMON SUR LE BAPTÊME.

SERMON SUR LE JUGEMENT UNIVERSEL.

SERMON SUR LE BONHEUR DU CIEL.

SERMON SUR LA DAMNATION ÉTERNELLE.

 

AVERTISSEMENT.

 

Du temps que le Père Bourdaloue entra dans le ministère de la prédication, c'était un usage fort commun parmi les prédicateurs de se proposer pour tout le cours de l'Avent un dessein général, et d'y rapporter les sermons qu'ils avaient chaque jour à faire. Ainsi, voyons-nous que Biroat, le Père Giroust, le Père Texier, célèbres prédicateurs, avaient pris pour sujets des Avents qu'ils ont prêches, l'un la Condamnation du monde par l'avènement de Jésus-Christ; l'autre, les faux prétextes du Pécheur; et l'autre, l’Impie malheureux. Suivant cette méthode, le Père Bourdaloue avait lui-même formé le projet d'un Avent; et quoiqu'il ne l’ait jamais exécuté, il en avait dressé tout le plan et arrangé toutes les matières. J'ai cru qu'il n'en fallait pas frustrer le public : les prédicateurs en pourront profiter, aussi bien que les personnes pieuses qui cherchent à s'édifier par de bonnes lectures.

 

DESSEIN GÉNÉRAL

 

SAINT JEAN PRÉCURSEUR DE JÉSUS-CHRIST, ET DISPOSANT LE MONDE A LA VENUE DU MONDE

 

Hic est, de quo scrlptum est : Ecce ego mitto angelum meum ante faciem tuam, qui prœparabit viam tuam ante te.

C'est là celui dont il est écrit : Voici que j'envoie devant vous mon ange , qui vous préparera le chemin. (Saint Matthieu , chap. II, 10.)

 

Le Prophète l'avait dit, et, selon l'exprès témoignage du Fils même de Dieu, cet ambassadeur, cet ange qui devait précéder le Messie et lui préparer le chemin, c'était Jean-Baptiste. Aussi est-ce à lui que s'adressait Zacharie, quand, éclairé d'une lumière céleste, et dans le ravissement de son âme, il s'écria : Et vous, saint enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut ; car vous irez devant le Seigneur, et vous enseignerez à son peuple la science du salut pour la rémission des péchés (1).

Il est donc venu, mes Frères, ce divin précurseur, et il vient encore maintenant, sinon en personne, du moins en esprit, s'acquitter de l'importante fonction pour laquelle il fut prédestiné. C'est lui qui, dans tout le cours de cet Avent, vous instruira; c'est lui qui, par ses oracles et ses excellentes leçons, vous disposera à recevoir cet adorable Rédempteur qui nous a été promis, et dont bientôt nous devons célébrer la naissance ; c'est de ma bouche, si je l'ose dire, que partira cette voix qui retentissait sur les rives du Jourdain, et se faisait

 

1 Luc., I, 9.

 

entendre à ces nombreuses troupes que Jean rassemblait autour de lui. Toutes les paroles qu'il prononça, je les recueillerai, je les développerai, je vous les appliquerai par ordre et avec méthode; j'en tirerai tous les sujets que je me propose de traiter dans cette chaire, et fasse le ciel que vous sachiez en profiter!

Ainsi tout mon dessein se réduit à vous représenter Jean-Baptiste annonçant Jésus-Christ, l'envoyé de Dieu et le désiré des nations. Or, en cette qualité de précurseur, il fallait : 1° qu'il fit connaître aux peuples Jésus-Christ; 2° qu'il prêchât aux peuples la pénitence, comme une disposition nécessaire à l'heureux avènement de Jésus Christ; 3° qu'il traçât aux peuples les règles de morale qu'ils devaient suivre dans toutes les conditions, et qu'il leur marquât de quoi ils devaient se préserver, pour ne pas éloigner d'eux Jésus-Christ; 4° qu'il achevât enfin de perfectionner les peuples, et que, par d'utiles pratiques, il les formât aux exercices les plus capables de les unir à Jésus-Christ. Voilà, dis-je, ce que demandait de lui son ministère, et voilà ce qu'il accomplit sans en rien omettre. Tellement que nous le verrons faisant tout à la fois, si je puis parler de la sorte, l'office de théologien, de prédicateur, de docteur, de directeur. L'office de théologien,

 

457

 

en nous découvrant le grand mystère de l'incarnation divine, et nous donnant de la sacrée personne de Jésus-Christ la plus haute idée; l'office de prédicateur, en nous exhortant à la pénitence la plus parfaite, et nous en proposant les motifs les plus solides et les plus touchants : l'office de docteur, dans ses décisions sur les points de conscience les plus essentiels, et en établissant pour la réformation des mœurs et le bon ordre de la vie les plus droites et les plus saintes maximes ; l'office de directeur, en nous apprenant de plus en plus à nous avancer par l'usage des choses saintes, et conduisant les âmes à Jésus-Christ par les voies les plus pures, et par la pratique des plus sublimes vertus.

Souverain auteur de notre salut, Verbe incarné, Dieu fait homme pour la rédemption de tous les hommes, c'est vous qui inspirâtes votre zélé précurseur ; c'est votre esprit qui l'éclaira, qui l'anima, qui le remplit de cette force et de cette grâce dont tous ses discours furent accompagnés. Répandez sur moi le même esprit, revêtez-moi de la même force, donnez à mes paroles la même grâce, pour vous préparer les cœurs et pour vous les attacher. Et vous, glorieuse Mère de mon Dieu, vierge sans tache, qui dans votre chaste sein portâtes toute la ressource et toute l'espérance du monde, secondez mes vœux, et, dans la carrière que j'ai à fournir pour la gloire de votre Fils et la sanctification de mes auditeurs, daignez me favoriser de vos regards et m'aider de votre puissante protection.

 

PREMIÈRE SEMAINE.

 

JEAN-BAPTISTE ANNONÇANT AUX PEUPLES JÉSUS-CHRIST, ET LE FAISANT CONNAITRE.

 

Le premier devoir du précurseur de Jésus-Christ était de le faire connaître, et voilà par où saint Jean commence. Il fait connaître Jésus-Christ : 1° comme Dieu-Homme : Celui qui va venir après moi est avant moi (1) ; 2° comme auteur de la grâce et sanctificateur des âmes : Nous avons tous reçu de sa plénitude..... La grâce et la vérité est venue par Jésus-Christ (2); 3° comme instituteur des sacrements, et en particulier du baptême : C'est lui qui vous donnera le  baptême de

 

1 Joan., I, 15. — 2 Ibid., 61.

 

l’Esprit saint et du feu (1); 3° comme juge de l'univers : Il a le van en main, et il nettoiera son aire (2) ; 5° comme rémunérateur de la vertu dans les justes et les prédestinés : Il amassera son blé dans le grenier ; 6° comme vengeur des crimes dans les pécheurs et les réprouvés : Pour la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint point (3). Tout cela fournit la matière d'autant de discours fondés sur les paroles et les enseignements du divin précurseur.

 

1 Luc, III, 16. — 2 Matth., III, 12. — 3 Ibid.

 

DIMANCHE – Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme Dieu-Homme

 

SERMON SUR L'INCARNATION DIVINE.

 

Qui post me venturus est, ante me factus est : quia prior me erat.

Celui qui va venir après moi, est avant moi : car il est plus ancien que moi. (Saint Jean, 1, 27.)

 

Dans ces paroles il y a, ce semble, de la contradiction ; mais cette contradiction apparente, c'est ce qui nous fait connaître en Jésus-Christ une double génération ; Tune éternelle, l'autre temporelle : génération éternelle dans le sein de Dieu son Père, et génération temporelle dans le sein de Marie sa mère. Selon cette génération éternelle, qu'est-ce que Jésus-Christ? le Fils unique de Dieu, et Dieu lui-même :  mais selon sa génération temporelle, qu'est-ce que ce même Jésus-Christ? le Fils de Marie, et homme semblable à nous. Voilà donc comment il était tout à la fois, et avant, et après Jean-Baptiste. Avant Jean-Baptiste, comme Dieu : Il est avant moi, et plus ancien que moi; après Jean-Baptiste, en qualité d'homme : Il va venir après moi. Mystère d'un Dieu-Homme, mystère ineffable, mystère caché en Dieu de toute éternité, et révélé au monde dans la suite des siècles. En trois mots, qui contiennent tout le fond de ce discours, mystère dont nous

 

458

 

devons faire, surtout en ce saint temps, le sujet le plus ordinaire de nos méditations : c'est le premier point; l'objet de nos plus tendres affections : c'est le second point ; la règle universelle de nos actions : c'est le troisième point.

 

Premier point. — Mystère dont nous devons faire le sujet le plus ordinaire de nos méditations. C'est particulièrement en cette vue que l'Eglise a institué l'Avent. Il est vrai que dans tous les autres temps de l'année, nous ne pouvons mieux ni plus utilement nous occuper que des incompréhensibles merveilles de l'incarnation divine ; mais l'Eglise veut encore qu'il y ait des jours spécialement consacrés à la mémoire du Verbe incarné ; et ces jours, ce sont ceux où nous entrons. Que n'avons-nous point à méditer dans ce profond mystère? quels prodiges à considérer! quels abîmes à creuser ! Dieu descendu jusqu'à l'homme, et l'homme élevé jusqu'à Dieu; Dieu glorifié par ses anéantissements mêmes, et l'homme sauvé; toute la puissance de Dieu déployée dans ce grand ouvrage ; sa sagesse, sa sainteté, sa justice, sa miséricorde, son infinie libéralité, sa charité, ses perfections connues et manifestées. Plus nous y penserons, plus nous découvrirons de nouveaux miracles.

Mais sur cela deux désordres. Les uns jouissent du don de Dieu, et du plus signalé bienfait ; mais, par un monstrueux oubli, ils y font aussi peu de réflexion que s'ils n'y avaient nul intérêt. Cependant de quoi se remplissent-ils l'esprit? de mille sujets frivoles, et des divers événements du monde, où souvent ils n'ont point de part, tandis qu'ils perdent le souvenir de l'événement le plus prodigieux, et dont il leur est le plus important d'être bien instruits, puisque c'est le mystère de leur rédemption et de leur salut. Les autres y pensent, mais, par une curiosité présomptueuse, ils voudraient comprendre et pénétrer, avec les faibles lumières de leur raison, ce qui est au-dessus de la raison humaine et de ses connaissances. D'où il arrive qu'abandonnés à leur propre sens, ils tombent dans les plus grossières erreurs, et qu'ils s'y attachent quelquefois avec une telle obstination, qu'il n'est presque plus possible de les en retirer. L'Eglise, hélas ! ne l'a que trop éprouvé et n'en a que trop gémi, puisque c'est de là que sont venues tant d'hérésies qui l'ont désolée.

Ne cessons point de méditer un mystère si digne de toute notre attention ; mais méditons-le en chrétiens, c'est-à-dire avec toute la simplicité de la foi, et toute sa soumission. Car nous ne le pouvons connaître que par la foi ; et plus même notre foi sera simple et soumise, plus serons-nous en état d'entrer, si j'ose parler ainsi, dans ce sanctuaire, et de découvrir les immenses trésors de grâce et de gloire qui y sont renfermés : je dis de grâce pour nous, et de gloire pour Dieu. Ces sont les humbles que Dieu éclaire, et c'est à eux qu'il communique ses vérités les plus sublimes et les plus secrètes : au lieu qu'il laisse errer en d'épaisses ténèbres ces esprits orgueilleux qui présument d'eux-mêmes, et prétendent tout voir par eux-mêmes.

 

Second point. — Mystère dont nous devons faire l'objet de nos plus tendres affections. Un Dieu-Homme, réduit à toutes les misères de l'homme, et cela pour l'homme : si ce n'est pas un objet propre à exciter dans nos cœurs les sentiments les plus affectueux, il n'y a rien qui puisse nous affectionner et nous toucher. Sentiments d'admiration, de vénération, d'amour, de reconnaissance, de zèle : et si nous avons eu jusques à présent le malheur de ne rien faire pour un Dieu qui a tout fait pour nous; si même, par la plus énorme ingratitude, la passion nous a portés jusqu'à l'offenser et à lui déplaire, sentiments de repentir, de douleur, de confusion; résolutions à l'égard de l'avenir les plus sincères, protestations les plus vives, désirs les plus ardents. Tels ont été, dès l'ancienne loi, les sentiments des patriarches et des prophètes, dans la vue anticipée que Dieu leur donnait de Jésus-Christ qu'ils attendaient, et après lequel ils soupiraient. Tels ont été, depuis la venue de ce Fils éternel de Dieu, les sentiments de toute l'Eglise ; et voilà ce qui fait le plus doux entretien des âmes fidèles. De là ces extases, ces ravissements, ces saints transports où elles entrent. De là ce feu qui s'allume dans leur méditation (1), comme parle le Prophète royal, et dont elles sont tout embrasées.

Cependant, affreux dérèglement de l'esprit de l'homme ! ce même mystère, capable de produire des sentiments si justes, si purs, si relevés, ce fut pour les Juifs un scandale, ce fut pour les Gentils une folie ; et n'est-ce pas encore l'un et l'autre pour tant de libertins et de prétendus esprits forts? Ce qui devrait leur rendre un Dieu-Homme plus adorable et plus aimable, je veux dire ses abaissements et

 

1 Psalm., XXXVIII, 4.

 

459

 

ses humiliations, c'est ce qui les en détache, c'est ce qui choque leur fausse prudence, ce qui les révolte et qui les rebute, ce qui devient la matière de leurs impiétés et de leurs blasphèmes.

Ils ne peuvent se persuader qu'un Dieu ait voulu descendre de sa gloire, et s'assujettir à toutes les infirmités d'une nature aussi faible que la nôtre. Cet état vil et obscur, cet état de pauvreté, de misère, de souffrance, de dépendance, leur paraît indigne de la majesté du Très-Haut : pourquoi ? parce qu'ils en jugent en hommes , et qu'ils n'ont jamais compris quelle est l'étendue des divines miséricordes. Mais, par une conséquence toute contraire, plus mon Dieu s'est fait petit, dit saint Fulgence, plus il m'est cher : comment cela ! c'est que je sais qu'il ne s'est ainsi humilié, ainsi anéanti que pour moi : c'a été de sa part un excès d'amour ; mais cet excès d'amour pour moi est justement ce qui demande et ce qui excite tout mon amour pour lui. Que les impies raisonnent donc tant qu'il leur plaira, et comme il leur plaira; malgré leurs raisonnements et leurs vaines difficultés, nous conclurons toujours avec  saint Bernard , et nous dirons : Ah ! Seigneur,  que ne vous dois-je point pour m’avoir créé ? mais, après m'être perdu moi-même, combien vous suis-je encore plus redevable de m'avoir racheté, et racheté à ce prix !

Troisième point. — Mystère dont nous devons faire la règle universelle de nos actions : pourquoi ? c'est qu'en se faisant homme, le Fils de Dieu vient se proposer à nous comme notre modèle ; car c'est dans ce dessein qu'il nous est donné ; de sorte que Dieu, selon le témoignage exprès de l'Apôtre , ne nous reconnaîtra jamais pour ses enfants et pour ses élus, qu'autant qu'il nous trouvera conformes à l'image de son Fils. Et voilà pourquoi ce Dieu-Homme s'est revêtu de notre chair, afin de pouvoir se montrer sensiblement à nos yeux, et que nous puissions en observer tous les traits, et les imiter. S'il était seulement Dieu, remarque saint Léon , il ne pourrait nous servir d'exemple, parce que nous ne pourrions le voir ; mais étant Dieu et homme tout ensemble, il a de quoi frapper nos sens, et il a droit de nous dire : Regardez-moi , et formez-vous sur moi. Il nous le dit en effet; il veut qu'entre sa vie mortelle et la nôtre il y ait une ressemblance aussi parfaite qu'elle peut l'être ; car il ne prétend point tellement nous sauver par l'efficace de ses mérites , qu'en même temps nous ne nous sauvions pas nous-mêmes par la sainteté de nos œuvres. Or nos œuvres ne sont saintes qu'à proportion qu'elles sont faites en Jésus-Christ, selon Jésus-Christ, conformément à l'esprit et aux œuvres de Jésus-Christ : si bien que chacun de nous, pour user de l'expression de saint Grégoire de Nysse, devienne dans toutes ses intentions , tous ses désirs, toutes ses entreprises, dans toutes ses démarches et toute sa conduite, comme un autre Jésus-Christ.

Excellente règle, règle toute divine, et qui ne nous peut tromper. Car pour nous tromper, il faudrait, ou que Jésus-Christ se trompât lui-même, ou qu'il voulût nous tromper. Or Jésus-Christ, comme Dieu, est tout à la fois et la sagesse même et la bonté même. Puisqu'il est la souveraine sagesse, tout lui est présent et rien n'échappe à sa connaissance : d'où il faut conclure qu'il est donc incapable de se tromper; et puisqu'il est la bonté souveraine, il nous aime, et ne cherche que notre bien : ce qui prouve évidemment qu'il ne veut donc pas nous tromper. Ainsi nous pouvons et même nous devons, avec une confiance entière, régler sur lui tout le plan de notre vie.

Mais est-ce là la règle que nous suivons? Déplorable renversement dans le christianisme ! Nous sommes chrétiens, ou nous nous disons chrétiens; mais, du reste, comment vivons-nous et par quels principes agissons-nous? selon les maximes du monde, selon les jugements du monde, selon les intérêts du monde, selon les coutumes et le torrent du monde. Toutefois, prenons-y garde, et. ne nous flattons point : Jésus-Christ est la voie, comme il nous l'a fait lui-même entendre et l'unique voie. Par conséquent, toute autre voie nous égare et nous mène à la perdition. Point de milieu : ou la vie par Jésus-Christ, ou, hors de Jésus-Christ, une mort éternelle et la damnation. Plaise à Jésus-Christ même, notre médiateur et notre rédempteur, de nous aider à le suivre, et à parvenir au bienheureux terme dont il vient nous enseigner le chemin !

 

460

LUNDI. — Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme auteur de la grâce et sanctificateur des âmes.

 

SERMON SUR LA GRACE,

 

De plenitudine ejus nos accepimus.... Gratia et veritas per Jesum Christum facta est.

Nous avons tous reçu de sa plénitude.... La grâce et la vérité est venue par Jésus-Christ. (Saint Jean, I, 10, 17.)

 

Le saint précurseur l'avait déjà dit, que le Verbe de Dieu, que l'Homme-Dieu était plein de grâces; et c'est de cette plénitude qu'il nous apprend maintenant que nous avons tous reçu. Car c'est par Jésus-Christ que la grâce est venue, par Jésus-Christ qu'elle s'est répandue sur tous les hommes, et par Jésus-Christ qu'il s'en fait encore tous les jours, pour la sanctification des âmes, de si salutaires effusions. Don de la grâce, que le prophète Isaïe nous a représenté comme des eaux bienfaisantes qui coulent des sources du Sauveur, et que nous y devons puiser avec joie ; don infiniment précieux, et par sa nécessité et par sa force. Appliquez-vous à l'un et à l'autre. Je dis la nécessité de la grâce par rapport au salut, et la force de la grâce. Sans la grâce nous ne pouvons rien : en voilà l'absolue nécessité; avec la grâce nous pouvons tout : en voilà le pouvoir et la force. De ces deux principes, qui feront le sujet des deux parties, nous tirerons, sur l'importante matière que je traite, et sur l'usage de la grâce, les conséquences les plus solides et les plus morales ; elles regarderont surtout deux sortes de personnes. Les uns sont des présomptueux qui se confient en eux-mêmes ; et, dans la nécessité de la grâce , il y aura de quoi abaisser leur orgueil et le réprimer : les autres sont des pusillanimes qui s'étonnent des moindres obstacles; et, dans la force de la grâce, il y aura de quoi relever leur courage et le ranimer.

 

Premier point. — Sans la grâce nous ne pouvons rien. N'entrons point là-dessus dans une sèche et longue dispute, mais tenons-nous-en à la foi : elle nous suffit. Il ne nous faut point d'autre preuve que la parole expresse de Jésus-Christ, point d'autre que l'incontestable témoignage de son Apôtre, point d'autre que les décisions des conciles contre les erreurs de Pelage, et que la créance commune de l'Eglise. Il est donc certain que de notre fonds, et à l'égard de ce salut qui nous est promis comme la récompense de nos œuvres, nous ne pouvons rien sans le secours de Dieu et de sa grâce ; et pour nous en convaincre, nous n'avons qu'à écouter Jésus-Christ, la vérité éternelle, quand il nous dit : Vous ne pouvez rien faire sans moi (1). Prenez garde , remarque saint Augustin : soit peu, soit beaucoup, vous ne le pouvez faire, à moins que vous ne soyez aides de celui sans qui l'on ne peut rien faire. Nous n'avons qu'à consulter saint Paul, l'apôtre et le docteur de la grâce , quand il nous enseigne que nous ne sommes pas capables, de nous-mêmes comme de nous-mêmes, de former une bonne pensée ; et que si nous en sommes capables, c'est par l'assistance divine (2). Nous n'avons qu'à parcourir les définitions des conciles et des Pères de l'Eglise, lorsqu'ils ont décidé tant de questions sur la grâce du Rédempteur, et qu'ils en ont déclaré leurs sentiments. Nous n'avons même qu'à suivre les lumières de la raison, qui nous dicte assez que des actions surnaturelles et dignes du royaume de Dieu ne peuvent partir d'une nature aussi faible que la nôtre, si Dieu ne prend soin de la seconder, et s'il ne l'élève au-dessus d'elle-même.

De là quatre conséquences qui doivent nous servir de règles dans toute la conduite de notre vie. Première conséquence : c'est de reconnaître l'extrême dépendance où nous sommes de la grâce de Dieu, et de son infinie miséricorde ; c'est de nous humilier dans cette vue, et de trembler sous la main toute-puissante de Dieu ; c'est de ne nous glorifier de rien, ou de ne nous glorifier qu'en Dieu , qui fait vouloir et exécuter s, suivant sa volonté toute bienfaisante, et qui, selon que s'exprime saint Augustin, en couronnant nos vertus, couronne ses dons beaucoup plus que nos mérites. Seconde conséquence : c'est de lever sans cesse les yeux au ciel, pour attirer sur nous l'abondance des grâces divines. Car Dieu veut que nous les demandions ; il veut que, sentant notre besoin, nous ayons recours à lui, que nous lui adressions nos vœux, que nous le sollicitions; et n'est-ce pas aussi sur la nécessité de la grâce qu'est particulièrement fondée la nécessité de la prière? Dans l'impuissance où nous réduit notre faiblesse, il ne nous reste que de nous écrier presque à chaque moment : Ah! Seigneur, sauvez-nous ; autrement nous allons

 

1 Joan., XV, 5. — 2 2 Cor., III, 5. — 3 Philip., III, 13.

 

461

 

périr (1). Troisième conséquence ; c'est de bénir la bonté de Dieu, qui ne nous a point laissé jusques a présent manquer de grâce. Tant de fois il nous a prévenus ! tant de fois il nous a éclairés, pressés, excités! Voilà le sujet de notre reconnaissance, et voilà peut-être en même temps le sujet de notre confusion et de notre condamnation. Dieu   nous a   appelés ;  mais avons-nous prêté l'oreille à sa voix? Il nous a inspirés, mais avons-nous répondu à ses inspirations? en avons-nous profité? Au contraire, combien de combats avons-nous livrés et soutenus pour nous défendre de sa grâce, et pour en arrêter les mouvements? combien de temps l’avons-nous laissé frapper à la porte de notre cœur? et maintenant même ne l'y laissons-nous pas encore sans lui ouvrir? C'est le reproche qu'il faisait à Jérusalem, et qu'il a bien droit de nous faire. Combien de fois, disait-il à ce peuple infidèle, ai-je voulu te recueillir dans mon sein et entre mes bras? mais tu ne Tas pas voulu; et ma grâce, mille fois redoublée, n'a servi qu'à redoubler tes révoltes, et qu'à te rendre plus criminel. Reproche suivi de la plus affreuse menace. Car, poursuivait le Seigneur, c'est pour cela, peuple rebelle, que tu seras abandonné, pour cela que cette grâce, si longtemps et si indignement rebutée, se retirera de toi. Or, sans le secours de ton Dieu, que feras-tu, que deviendras-tu? Quatrième et dernière conséquence : c'est de ne plus recevoir en vain la grâce, quand il plaît à Dieu de nous la donner; de ne nous pas exposer, par nos retardements et nos résistances, à perdre un talent qui nous doit être d'autant plus cher, qu'il nous est plus nécessaire. S'il nous échappe, où le trouverons-nous? quelle autre  ressource aurons-nous? Il n'est rien que nous négligions dès que la fortune ou que la vie en dépend ; et nous négligeons, que dis-je? nous méprisons formellement, nous rejetons des grâces à quoi nous savons que le salut est attaché.

 

Second point. — Avec la grâce nous pouvons tout. Qu'est-ce que la grâce? un secours de Dieu, qui agit dans l'homme et avec l'homme. Or, tout étant possible à Dieu, il s'ensuit que tout avec le secours de Dieu nous doit être possible à nous-mêmes. Mais comment possible? Allons par degrés : possible, quelques difficultés d'ailleurs qui s'y rencontrent; possible, jusqu'à devenir aisé et facile ; possible, jusqu'à devenir même doux et agréable. Quelle force !

 

1 Matth., VIII, 25.

 

voyons de quelle manière la grâce opère toutes ces merveilles.

Possible, quelques difficultés d'ailleurs qui s'y rencontrent. Paul, ce vaisseau d'élection, en est un exemple bien marqué. Assailli de la tentation, il prie Dieu de l'en délivrer, et Dieu se contente de lui répondre : Ma grâce te suffit (1). Mais, Seigneur, l'attaque est violente ; c'est l'ange de Satan qui me poursuit sans relâche : il n'importe; quand tout l'enfer serait déchaîné contre toi, ma grâce te suffit. Mais que suis-je, Seigneur, et que n'ai-je point à craindre de ma fragilité? Non, ne crains point, ma grâce te suffit; et c'est dans l'infirmité même qu'elle éclate davantage et qu'elle paraît plus puissante. Qui peut dire en effet combien la grâce dans tous les temps a fait de miracles? miracles de conversion, miracles de sanctification. Qui peut dire combien d'endurcis elle a touchés, combien d'opiniâtres elle a soumis, combien de lâches et de paresseux elle a portés aux entreprises les plus héroïques? Quelles sortes d'obstacles n'a-t-elle pas surmontés? quelles sortes d'engagements n'a-t-elle pas rompus? Demandons-le à Madeleine, à cette femme pécheresse que tant de nœuds attachaient si fortement au monde, et qui, d'un premier effort de la grâce, brisa tous ses liens, renonça à tous les plaisirs et à toutes les pompes humaines, se dévoua pour jamais et sans réserve à Jésus-Christ. Demandons-le à saint Augustin, en qui la grâce, par un double triomphe, surmonta si heureusement et l'obstination de l'hérésie, et la corruption du vice. Demandons-le à une multitude innombrable de pécheurs aussi fameux par l'éclat de leur pénitence, qu'ils l'avaient été par l'excès de leurs désordres.

Possible, jusqu'à devenir aisé et facile. Nous savons quels exercices et quelles austérités pratiquaient dans les déserts tant de solitaires, et dans les cloîtres tant de pénitents dont nous avons entendu parler. Qu'était-ce que leur vie? Retraite, pauvreté, prières, jeûnes, veilles, travaux, macérations du corps, parfaite abnégation d'eux-mêmes. Tout cela leur semblait-il difficile? trouvaient-ils le joug trop pesant? se plaignaient-ils que Jésus-Christ les eût trompés, en les assurant que son fardeau est léger (2)? Tous les chemins s'ouvraient devant leurs pas: et non-seulement ils marchaient, mais ils couraient, comme le Prophète, dans les voies de Dieu : pourquoi? parce que la grâce leur

 

1 2 Cor., XII, 9. —2 Matth., XI, 30.

 

462

 

dilatait le cœur (1), parce qu'elle leur aplanissait les sentiers les plus raboteux et les plus épineux, parce qu'elle les emportait sur ses ailes, et les enlevait. Sa vertu est toujours la même qu'elle était alors; et quoique la charité se soit refroidie de nos jours, il y a néanmoins encore de ces âmes ferventes à qui la grâce fait accomplir tous les devoirs de la justice chrétienne avec une facilité et une ardeur que rien n'arrête.

Possible, jusqu'à devenir même doux et agréable. C'est le prodige que les siècles passés ont admiré dans les martyrs. Quel spectacle ! Des hommes livrés aux tourments les plus cruels, des hommes exposés aux bêtes féroces, attachés à des croix, étendus sur des brasiers, plongés dans des huiles bouillantes, et cependant remplis de joie, s'estimant heureux, goûtant les plus pures délices et les plus sensibles consolations ! Voilà ce qu'on voyait, et où l'on reconnaissait le doigt de Dieu. Or, ce doigt de Dieu, qu'était-ce autre chose que l'Esprit de Dieu qui versait dans leurs cœurs l'onction de sa grâce? Car tel est le caractère de la grâce, d'unir ensemble l'onction et la force, et de conduire les œuvres de Dieu avec autant de douceur que d'efficace.

De tout ceci quelle conclusion? quelles

 

1 Psalm., CXVIII, 32.

 

résolutions à prendre? quelles erreurs à corriger? Le voici en trois mots. De ne plus tant écouter nos défiances et nos craintes naturelles, quand il est question d'obéir à Dieu, et de travaillera notre salut et à notre perfection. De n'en point juger par nos propres forces, mais par la force de la grâce ; de nous abandonner à ses saints mouvements, et décompter que ce que nous aurons entrepris et commencé avec elle, elle nous le fera soutenir et achever ; de nous encourager comme l’Apôtre, et de nous afferma contre les répugnances et les révoltes de la nature par ce généreux sentiment : Je puis toutes choses en celui qui me fortifie (1).  Oui, je puis tout; mais en qui et par qui? non point en moi-même ni par moi-même, puisque de moi-même je ne suis rien, et que n'étant rien, je ne puis rien : mais je puis tout dans le Tout-Puissant et par le Tout-Puissant. Plus même je reconnaîtrai devant lui mon insuffisance et je me confierai en lui dans la vue de ma faiblesse, plus je l'engagerai à verser sur moi les richesses de sa grâce, et à déployer en ma faveur toute sa vertu. Aura-t-elle pour moi moins de pouvoir que tant d'autres? Le bras du Seigneur n'est point raccourci, et sa miséricorde, qui remplit toute la terre, est inépuisable.

 

1 Phil., IV, 13.

 

MARDI. — Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme instituteur des sacrements, et en particulier du Baptême.

 

SERMON SUR LE BAPTÊME.

 

Ipse vos baptizavit in Spiritu sancto et igni.

 

C'est lui qui vous donnera le baptême de l'Esprit saint et du feu. (Saint Matthieu, chap. III, 11.)

 

Ce feu de la charité, ces dons du Saint-Esprit répandus dans les cœurs, ces opérations divines et secrètes, voilà l'essentielle différence qui se rencontre entre les sacrements de la loi de Jésus-Christ. Il n'appartient qu'à ce Dieu-Homme de nous conférer, sous des signes extérieurs et visibles, une sainteté intérieure et invisible, et c'est surtout ce qu'il fait dans le sacrement du baptême. Sacrement que nous marque spécialement Jean-Baptiste, et auquel j'ai cru devoir m'attacher dans ce discours; sacrement dont peut-être nous n'avons jamais bien connu, ni les avantages, ni les obligations. Or, il nous est important de les connaître. Avantages du baptême, obligations du baptême. Avantages que j'appellerai la grâce du baptême. Cette grâce du baptême, c'est ce que nous avons reçu de Dieu, et ce qui demande toute notre reconnaissance : premier point, Ces engagements du baptême, c'est ce que nous avons promis à Dieu, et ce qui demande toute notre fidélité : second point. L'un et l'autre mérite une attention particulière, et les plus sérieuses réflexions.

 

Premier point. — Grâce du baptême, grâce infiniment précieuse en deux manières : parce que c'est une grâce de salut et de sanctification, et parce que c'est une grâce de choix et de prédilection. Grâce de salut et de sanctification : comment cela? parce que c'est en vertu de cette grâce que l'homme, conçu dans le péché et né dans le péché, est tout à coup régénéré en Jésus-Christ et revêtu de Jésus-Christ; que d'enfant de colère il devient enfant de Dieu,

 

463

 

frère de Jésus-Christ, membre de Jésus-Christ, héritier de Dieu et cohéritier de Jésus-Christ. Car voilà, par le changement le plus merveilleux, ce qu'opèrent dans nous ces eaux saintes dont nous nous sommes lavés sur les sacrés fonts. Autrefois, écrivait l'Apôtre aux Ephésiens, nous n'étions devant Dieu, selon notre naissance, que des objets de haine et de colère; mais ce même Dieu, qui est riche en miséricorde, lorsque nous étions morts, nous a vivifiés en Jésus-Christ et avec Jésus-Christ par l'excès de sa charité (1). C'est donc là que tout péché est effacé, que toute peine due au péché est remise; laque l'âme est enrichie des trésors célestes, que la foi, l'espérance, la charité, que les habitudes des plus excellentes vertus lui sont infuses ; là, pour ainsi dire, que le sceau de Dieu lui est Imprimé, et qu'au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, elle reçoit un caractère ineffaçable, qui est le caractère de chrétien. Caractère plus glorieux mille fois que tous ces titres de noblesse dont le monde repaît son orgueil, et dont il tire tant de vanité. Caractère dont la dignité, si j'ose user du même langage que saint Léon, va jusqu'à nous rendre en quelque sorte participants de la nature divine. Caractère que nous porterons avec nous au tribunal de Dieu, pour y être reconnus comme les disciples de son Fils bien-aimé, comme son peuple, comme son troupeau.

Telle est, dis-je, la grâce du baptême ; tels sont pour nous les avantages inestimables qu'elle renferme. Mais y pensons-nous? est-ce par là que nous mesurons notre bonheur, et que nous nous croyons favorisés du ciel? Si Dieu, par proportion, nous avait autant élevés selon le monde; s'il nous avait délivrés des misères du monde , et comblés de ses prospérités et de ses honneurs, peut-être alors serions-nous touchés de quelque reconnaissance. Du moins serions-nous sensibles et très-sensibles à l'éclat du cette fortune temporelle. Mais qu'il nous ait purifiés, mais qu'il nous ait réconciliés, mais qu'il nous ait sanctifiés, et que par cette sanctification du baptême nous soyons entrés dans nos droits à l'héritage éternel, ce sont des faveurs trop au-dessus des vues humaines, pour intéresser des mondains accoutumés à n'estimer les choses et à n'en juger que par les sens. O homme aveugle et tout terrestre ! ne prendrez-vous jamais des sentiments conformes à Votre véritable grandeur? ne la reconnaîtrez-vous jamais? Rendez grâce à la divine Providence des autres qualités dont il lui a plu vous

 

1 Ephes., II, 4.

 

honorer à l'égard de cette vie mortelle et présente ; j'y consens, et vous le devez. Quoique ce ne soient que des qualités passagères, et que toutes les grandeurs qui y sont attachées doivent périr, ce sont toujours des dons du Seigneur; mais de quel prix ces dons peuvent-ils être à vos yeux, dès que vous les mettrez en parallèle avec ce don parfait, comme parle l'Apôtre, avec ce grand don qui descend spécialement du Père des lumières , et qui vous approche de votre Dieu par de si étroits et de si saints rapports? Avançons.

Non-seulement grâce de salut et de sanctification, mais grâce de choix et de prédilection. Ce choix, cette préférence nous plaît en tout, et nous flatte. Or elle est entière ici, et c'est une circonstance bien remarquable. On a formé jusques à présent et l'on forme tous les jours tant de raisonnements et de questions sur celte multitude d'enfants morts avant que de naître, et hors d'état par cette mort prématurée, de parvenir à la grâce du baptême. On demande par quel malheur imprévu, ou quelle conduite de la Providence, d'autres, heureusement nés et sur le point de recevoir la sainte ablution, ont été enlevés dans le moment qu'on s'y attendait le moins, et sans qu'on ait pu les pourvoir d'un sacrement si nécessaire. On demande pourquoi, dans les terres infidèles et dans les plus vastes empires, Dieu permet que des peuples entiers manquent de ce secours, et soient privés de ces sources de vie qui nous sont ouvertes. On fait là-dessus bien des recherches, on propose bien des difficultés, on imagine bien des convenances : et moi, sans prétendre m'ingérer dans les conseils de la sagesse éternelle , je me contente d'adorer la profondeur de ses jugements. Car à qui appartient-il de connaître les voies du Seigneur, et qui peut pénétrer dans ses pensées ? Mais, du reste, le point capital à quoi je m'attache , c'est de faire un retour salutaire sur moi-même ; c'est d'apprendre de l'infortune des autres, et du triste abandonnement où ils semblent être, que c’est donc le bien que je possède. Eh ! mon Dieu, où en serais-je, si vous m'aviez traité comme eux, et pourquoi, Seigneur, avez-vous jeté sur moi un regard plus favorable! Qu'avaient-ils fait contre vous? qu'avais-je fait pour vous? Mystère de grâce dont je suis redevable à votre miséricorde, et sur quoi je n'ai autre chose à dire que de m'écrier avec le Prophète royal, dans les mêmes sentiments d'admiration, d'amour et de gratitude : Le Dieu d'Israël, le Dieu de l'univers n'en a pas usé de même envers toutes les nations ; il

 

464

 

ne les a pas distinguées comme moi, et ne leur a pas révélé ses commandements (1). Heureux si je sais lui rendre ce qu'il attend de ma fidélité !

 

Second point. — Engagements du baptême. Le baptême est une grâce, nous n'en pouvons douter; mais c'est en même temps une dette. Nous y avons contracté des engagements inviolables; et pour concevoir une juste idée de ces engagements du baptême, considérons-en, dans une courte exposition , et l'étendue et la solennité. Engagements les plus étendus, puisqu'ils embrassent toute la loi ; engagements les plus solennels, puisque nous en avons pris Dieu même à témoin, et toute son Eglise.

Je dis d'abord engagements les plus étendus : car, comme l'Apôtre , instruisant les Galates, leur déclarait, et, afin de donner plus de force à ses paroles, leur protestait que quiconque , selon la pratique et l'esprit de l'ancienne loi, se faisait circoncire, était dès lors, et en conséquence de cette circoncision légale, étroitement obligé de garder tous les préceptes de la loi judaïque, ainsi dois-je, avec la même assurance, non-seulement annoncer et déclarer, mais protester, à tout homme honoré dans la loi nouvelle du caractère de chrétien, que du moment qu'il commença de renaître par l’eau et par le Saint-Esprit, il commença d'être soumis à la loi et à toute la loi du divin Législateur dont la grâce lui fut communiquée ; c'est-à-dire que dès ce jour et dès cet instant il s'assujettit à l'indispensable obligation où nous sommes de professer cette loi, de ne rougir jamais de cette loi, de vivre selon cette loi , de persévérer jusqu'à la mort dans l'observation de cette loi, d'éviter tout ce que cette loi défend, et de ne rien omettre de tout ce qu'elle ordonne. Et parce que l'ennemi commun de notre salut, parce que le monde, la chair, s'opposent continuellement dans nous à la pratique de cette loi, et qu'ils emploient tous leurs efforts à nous en détourner, c'est pour cela qu'en entrant dans la milice de Jésus-Christ, nous avons renoncé à Satan et à toutes ses illusions, au monde et à toutes ses pompes, à la chair et à toutes ses cupidités. D'où vient que, selon l'excellente morale des apôtres, et les enseignements qu'ils nous ont laissés, avoir été baptisé en Jésus-Christ, c'est être mort au péché , mort à soi même, à ses passions, à ses sens, à tous les désirs du siècle, pour ne mener sur la terre qu'une vie céleste.

Saints engagements, aussi solennels qu'ils

 

1 Psalm., CXLVII, 20.

 

sont étendus. Je dis engagements solennels, et c'est l'autre article que j'ajoute. En effet, ces engagements du baptême, ce sont des promesses, mais des promesses faites à Dieu, faites au ministre de Dieu, faites dans le temple de Dieu, à la face des autels, au milieu des fidèles, les uns simples spectateurs, les autres garants des paroles qu'ils ont données en notre nom, et que nous-mêmes, dans le cours des temps, nous avons confirmées. Quand donc, parle dérèglement de nos mœurs, nous démentons des promesses si authentiques, et si dignes du maître auquel nous nous sommes dévoués, voilà ce que les Pères ont traité de parjure, de désertion, d'apostasie. Or, n'est-ce pas le désordre presque général du christianisme? Où en sommes-nous, et que sommes-nous? Sommes-nous chrétiens, sommes-nous païens? A le bien prendre, nous ne sommes ni l'un ni l'autre : ni païens, puisque nous croyons en chrétiens; ni chrétiens, puisque nous vivons en païens. Quoi qu'il en soit, la sainteté de notre caractère en qualité de chrétiens, et la corruption de notre vie en qualité de pécheurs, c'est une alliance monstrueuse, c'est un abus sacrilège et une profanation.

Elle ne demeurera pas impunie. Ce saint caractère que nous aurons profané, nous le conserverons jusque dans l'enfer. Le réprouvé l'aura toujours devant les yeux, pour sa confusion et pour son désespoir ; et Dieu en aura toujours le souvenir présent, pour allumer sa colère et pour exciter ses vengeances. Car c'est de là en effet que les péchés d'un chrétien ont un degré de malice tout particulier, et c'est de là même aussi qu'ils doivent être punis plus rigoureusement. Nous mesurons la grièveté des péchés selon la sainteté des états; et, suivant cette règle très-juste et très-bien fondée, nous disons qu'un prêtre qui pèche est plus coupable qu'un simple laïc, parce qu'il est plus obligé, comme prêtre, à honorer son sacerdoce par la pureté de ses mœurs et par une conduite exemplaire. Nous disons de la même action qu'elle est plus criminelle et plus condamnable dans un religieux que dans un homme du monde, parce que le religieux est appelé à une plus haute perfection que le séculier. Or nous devons raisonner de même d'un chrétien, par comparaison avec tant de peuples nés dans les ténèbres de l'infidélité et privés de la grâce du baptême. Malheur à vous, disait le Sauveur des hommes, parlant aux Juifs, et leur reprochant tout ce qu'il avait fait pour eux dans le cours de ses prédications évangéliques, malheur à

 

465

 

vous : car au jugement de Dieu vous serez traités avec plus de sévérité que ceux de Tyr et de Sidon ! pourquoi? parce que ces idolâtres se st raient convertis, et qu'ils auraient fait pénitente sous le sac et sous la cendre, s'ils avaient été éclairés comme vous et prévenus des mêmes secours. Appliquons-nous à nous-mêmes cette terrible menace, et prenons garde qu'elle ne s'accomplisse un jour dans nous-mêmes, quand Dieu nous demandera compte du précieux talent qu'il nous a mis dans les mains. Comme il eût mieux valu pour Judas de n'être point né, que d'avoir trahi et vendu son maître, il vaudrait mieux alors pour nous de n'avoir jamais été initiés au christianisme, que de n'en avoir pas rempli les devoirs, et d'avoir violé des engagements aussi indispensables et aussi sacrés que le sont les promesses de notre baptême.

 

MERCREDI. — Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme juge de l'univers.

SERMON SUR LE JUGEMENT UNIVERSEL.

 

Cujus ventilabrum in manu sua, et permundabit aream suam.

Il a le van en main, et il  nettoiera son aire. (Saint   Matthieu, chap. III, 12.)

 

Dans cette figure, qui ne reconnaît Jésus-Christ envoyé du ciel, non plus pour sauver le monde, mais pour le juger? Comme au temps de la moisson le laboureur prend le van dans ses mains et nettoie son aire, il viendra, ce Juge des vivants et des morts, armé du glaive de sa justice, pour faire le discernement des justes et des pécheurs, et pour rendre à chacun ce qui lui appartient. Jugement universel où cet Homme-Dieu présidera lui-même et en personne; pourquoi? par trois raisons : afin que ce jugement soit plus sensible, c'est la première; afin que ce jugement soit plus irréprochable, c'est la seconde; afin que ce jugement soit plus rigoureux, c'est la troisième : et voilà le sujet des trois points.

 

Premier point. Jugement par Jésus-Christ, afin que ce soit un jugement plus sensible. Développons cette première pensée. C'est un mystère de notre religion, que ce qui nous est déclaré en termes exprès dans l'Evangile au sujet du jugement général, savoir: que le Père céleste, tout Père et tout Dieu qu'il est, ne juge personne, mais qu'il a donné à son Fils toute la puissance de juger (1). Et ce qui paraît encore plus surprenant, c'est ce que l'Evangile ajoute, que le Père a donné cette puissance à son Fils, non pas absolument et précisément parce qu'il est son Fils, mais parce qu'il est Fils de l'Homme (2). Mystère qui ne nous est pas tellement révélé par la foi, qu'il ne se trouve en même temps fondé sur une très-importante raison. Car, il est vrai, c'est à Dieu qu'il appartient

 

1 Joan., V, 22. — 2 Ibid., 27.

 

de juger souverainement ; mais, comme a fort bien remarqué saint Augustin, Dieu, demeurant dans la forme et dans la nature de Dieu, était trop élevé au-dessus de nous, trop éloigné de notre vue et de nos sens, pour entreprendre d'exercer lui-même à notre égard un jugement public et réglé. Il a fallu qu'il s'humanisât, et, si je l'ose dire, qu'il se proportionnât à nous ; c'est-à-dire, il a fallu qu'il se fit homme, afin qu'ayant à juger des hommes, il pût se montrer sensiblement à eux et se faire entendre. Voilà ce qu'exprimait admirablement le saint patriarche Job, lorsque, parlant à Dieu dans l'excès de sa douleur et dans l'amertume de son âme, il lui disait : Seigneur, ne me condamnez pas (1); quelque coupable que je sois, ne me poursuivez pas dans la rigueur de votre justice : mais suspendez-en les arrêts; et s'il est nécessaire, pour m'en défendre, que je me prévale de ma faiblesse, en vous opposant votre propre grandeur et l'excellence de votre être, permettez-moi de vous demander s'il vous convient d'entrer en jugement avec moi ? Avez-vous, comme moi, des yeux de chair? voyez-vous les choses comme je les vois ? vos jours sont-ils semblables aux miens, et êtes-vous homme mortel comme je le suis? Sentiment, au rapport même de l'Ecriture, dont Job était prévenu, dans la connaissance anticipée qu'il avait qu'en effet notre Dieu se ferait chair, et que, dans cette chair empruntée de nous, il serait plus en état de faire comparaître devant lui toutes les nations, et d'appeler tout l'univers à son tribunal.

Nous le verrons donc, et nos yeux seront frappés de l'éclat de sa gloire. Nous le verrons, dis-je, ce Fils de l’Homme, venir sur une nuée

 

1 Job., IX, 2.

 

466

 

avec une grande puissance et une grande majesté (1). Quel spectacle, quel objet de terreur, quand, après les guerres, les famines,  les pestes; après les tremblements de terre, les frémissements et les débordements de la mer ; après la chute des étoiles, les éclipses de la lune, du soleil ; après le bouleversement du monde et la résurrection générale des morts, il paraîtra accompagné de toute la milice du ciel, et qu'il s'assiéra sur son trône ! Les hommes en sécheront de peur (2). Et qui ne tremblerait pas, à la présence de ce Juge redoutable, devant qui toute distinction humaine disparaîtra, toute dignité sera abaissée, toute autorité détruite, toute grandeur anéantie? Car il n'y aura plus là, à proprement parler, ni grands, ni petits, ni rois, ni sujets, ni riches, ni pauvres : tout  sera confondu; et,  d'homme à homme, il ne restera plus d'autre différence que le mérite des œuvres. Craignons dès maintenant Celui qu'il ne sera plus temps de commencer à craindre, lorsqu'il se fera voir sensiblement à nous, le bras levé, et prêt à lancer la foudre sur nos têtes. Honorons-le et imitons-le dans les travaux et les humiliations de son premier avènement, si nous voulons nous le rendre  favorable dans  son avènement  glorieux, et au grand jour de ses vengeances éternelles.

 

Second point. — Jugement par Jésus-Christ, afin que ce soit un jugement plus irréprochable. Comme Dieu est la vérité même et la sainteté, c'est le caractère de tous ses jugements d'être saints et sans reproche. Dès que ce sont les jugements du Seigneur, dit le Prophète, ils n'ont point besoin de justification, puisqu'ils se justifient assez par eux-mêmes. Cependant, afin que ce dernier jugement, où tous les hommes seront cités et qui fera la consommation des siècles, fût encore, autant qu'il est possible et dans le sens que nous devons l'entendre, un jugement plus irréprochable, il fallait que Jésus-Christ même, rédempteur du monde, y tînt la place de juge, et qu'il y prononçât la sentence. La preuve en est évidente, et la voici : car s'il y a un jugement qui soit à couvert de tout soupçon, c'est-à-dire s'il y a un jugement qui ne puisse être suspect, ni de prévention, ni d'inimitié, ni d'antipathie, ni d'envie, ni d'intérêt propre, ni de toute autre disposition mauvaise et de toute autre passion , c'est sans doute celui d'un ami, celui d'un bienfaiteur, d'un patron, celui d'un frère

 

1 Luc, XXI, 27. — 2 Ibid., 26.

 

uni à nous par les nœuds les plus étroits de la nature et du sang. Or Jésus-Christ, en qualité de Sauveur, est à notre égard plus que tout cela ; et quel droit, par conséquent, le pécheur aurait-il de le récuser? Qu'aura-t-il à lui opposer? Quelle plainte aura-t-il lieu de former, ou de quelle excuse pourra-t-il s'autoriser ?

Dira-t-il que c'est un juge préoccupé contre lui? mais de quel front oserait-il le dire, lorsqu'il verra ce Dieu fait homme pour lui; lorsqu'il verra la croix où ce Dieu fait homme fut attaché pour lui ; lorsqu'il verra sur le sacré corps de ce Dieu fait homme les cicatrices des plaies qu'il reçut pour lui? Dira-t-il qu'il n'était pas instruit des voies du salut, et qu'il ne les connaissait pas? Mais comment pourrait-il le dire, lorsque ce Dieu fait homme lui présentera la loi qu'il est venu, comme nouveau législateur, nous enseigner autant par ses exemples que par ses paroles, et qui tant de fois, au milieu du christianisme (car c'est à des chrétiens que je parle ici), lui a été annoncée, notifiée, expliquée ? Dira-t-il que les grâces et que les moyens lui ont manqué ? Mais aurait-il l'assurance de le dire à ce Dieu fait homme, qui lui produira son sang comme une source inépuisable de secours spirituels dont il fut si abondamment pourvu, qui lui demandera compte de tant de lumières et de vues, de tant d'inspirations et de mouvements intérieurs, de tant de retours secrets et de remords de la conscience, de tant d'avertissements, de conseils, d'exhortations, de leçons; qui lui fera le même reproche que Dieu faisait à Jérusalem, et dans les mêmes termes : Réponds, âme ingrate, réponds. Qu'ai-je pu faire pour toi, que je n’aie pas fait (1) ? et de tout ce que t'a suggéré la malice de ton cœur, que n'as-tu pas fait contre moi ? De là cette conviction qui accablera le pécheur, forcé de reconnaître la multitude et l'énormité de ses iniquités ; de là cette confusion qui le troublera, qui l'interdira, qui lui fermera la bouche. Hé ! quelle pourrait être sa défense? Quoi qu'il voulût alléguer en sa faveur, l'univers assemblé le démentirait. Car c'est ainsi que le Saint-Esprit nous le fait entendre au livre de la Sagesse et dans les termes les plus formels : Il armera toutes les créatures pour tirer vengeance de ses ennemis, et le monde entier combattra avec lui contre les insensés (2). Humilions-nous dès maintenant en sa présence. Ne cherchons point par de vaines excuses à nous justifier; mais confessons-nous

 

1 Isa., V, 4. — 2 Sap., V, 21.

 

467

coupables et dignes de ses châtiments, afin que l'humilité de notre confession et la sincérité de notre repentir attire sur nous ses miséricordes.

 

Troisième point. — Jugement par Jésus-Christ, afin que ce soit un jugement plus rigoureux. Il paraît étrange, et il semble d'abord que ce soit un paradoxe, de dire que nous devons être jugés avec moins d'indulgence, parce que c'est un Dieu Sauveur qui nous jugera. Nous comprenons sans peine la parole de saint Paul : Qu'il est terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant (1) ; Mais qu'il soit en quelque sorte plus terrible de tomber dans les mains d'un Dieu médiateur, d'un Dieu qui nous a aimés jusqu'à se faire la victime de notre salut : voilà ce qui nous étonne et ce qui renverse toutes nos idées. Cette vérité néanmoins est une des plus constantes et des plus solidement établies : comment? c'est qu'après avoir abusé des mérites d'un Dieu Sauveur et profané son sang précieux, le pécheur en sera plus criminel, et qu'une bonté négligée, offensée, outragée, devient le sujet de l'indignation la plus vive et de la plus ardente colère. Job disait à Dieu : Ah ! Seigneur, vous êtes changé pour moi dans un Dieu cruel (2). Funeste changement qu'éprouveront tant de libertins et de pécheurs, de la part de ce Dieu-Homme qu'ils auront les uns méconnu en renonçant à la foi, les autres méprisé et déshonoré par la transgression de sa loi. Ce qui devait leur donner un accès plus facile auprès de lui, et leur faire trouver grâce, je veux dire les abaissements et les travaux de son humanité, sa passion, sa mort, c'est par un effet tout contraire, ce qui l'aigrira , ce qui l'irritera , ce qui lui fera lancer sur eux les plus sévères arrêts et les anathèmes les plus foudroyants.

Juge d'autant plus inexorable qu'il aura été sauveur plus miséricordieux. Aussi est-il remarquable dans l'Ecriture qu'à ce dernier jour, qui sera son jour, il nous est représenté comme un agneau, mais un agneau en fureur (3), qui répand de tous côtés la désolation et

 

1 Hebr., X, 31. — 2 Job., XXX, 21. — 3 Apoc., VI, 16.

 

l'effroi. Telle est l'affreuse peinture que nous en fait le disciple bien-aimé saint Jean, au chapitre sixième de son Apocalypse, lorsque annonçant par avance le dernier jugement de Dieu, dont il avait eu une vue anticipée, et le décrivant, il dit que les rois, les princes, les potentats de la terre, les conquérants, les ri -ches, que tous les hommes, soit libres, soit esclaves, saisis d'épouvante et consternés, allèrent se cacher dans les cavernes, et dans les rochers des montagnes, et qu'ils s'écrièrent : Montagnes et rochers, tombez sur nous, et dérobez-nous à la colère de l'Agneau : car le grand jour de sa colère est arrivé ; et qui peut soutenir ses regards ?

Il n'y aura donc point à lui remontrer, dans l'espérance de le fléchir, tout ce qu'il a fait et tout ce qu'il a souffert pour nous; il s'en souviendra , mais pour régler par ce souvenir même la mesure de ses vengeances. Je le sais ; j'ai tout fait pour vous, tout souffert pour vous ; mais vous en avez perdu tout le fruit. Or il faut que j'en sois dédommagé, que j'en sois vengé ; et pour cela : Retirez-vous de moi, maudits ! allez au feu éternel (1) ! Ils y descendront, et c'est là qu'ils seront tourmentés, selon qu'ils auront été, dans la distribution de ses grâces, plus ou moins libéralement partagés. Car la rigueur de ce jugement, quoique extrême du reste, aura ses degrés. Jugement rigoureux pour tous, mais plus encore, pour les uns que pour les autres. Il ne tient qu'à nous de le prévenir, de nous rendre Jésus-Christ propice, en nous revêtant de son esprit et nous conformant à lui; d'employer utilement ses dons, et de marcher dans les voies du salut qu'il nous a tracées ; de pratiquer fidèlement son Evangile, de prendre tous ses sentiments, d'imiter toutes ses vertus. C'est ainsi que nous mériterons qu'il nous mette au nombre de ses élus, quand il fera cette fatale séparation des bons et des méchants, et qu'il nous dise : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père : possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde (2).

 

1 Matth., XXV, 41. — 2 Ibid., 34.

 

468

 

JEUDI.— Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme rémunérateur de la vertu dans les justes et les prédestinés.

 

SERMON SUR LE BONHEUR DU CIEL.

 

Congregabit triticum suum in horreum.

Il amassera son blé dans le grenier. (Saint Matthieu, chap. III, 42.)

 

Ce n'est pas seulement pour la condamnation des pécheurs que Jésus-Christ a reçu de son Père le pouvoir de juger le monde, mais pour la gloire et la récompense des justes. Comme le bon grain que le père de famille, selon l'expression figurée de saint Jean-Baptiste, fait recueillir et garder avec soin dans ses greniers, le Sauveur des hommes doit conduire avec lui ses élus dans son royaume, et leur faire goûter dans cette sainte patrie toutes les douceurs du bonheur céleste. Suprême bonheur, capable de nous rendre vraiment heureux, et dans la vie future et dans la vie même présente : dans la vie future, où nous le posséderons ; dans la vie même présente, où nous l'attendons. Nous allons donc voir en premier lieu comment la possession de ce bonheur est, dans le ciel, pour les élus de Dieu, une félicité consommée ; et nous verrons, en second lieu, comment, même dès ce monde , la seule attente de ce bonheur est déjà, pour les élus de Dieu, une félicité anticipée.«Deux vérités qui, par la haute estime qu'elles nous donneront de cette souveraine béatitude, nous engageront à y penser uniquement, et à redoubler sans cesse nos soins pour la mériter.

 

Premier point. — Bonheur du ciel, bonheur dont la possession est pour les élus de Dieu une félicité consommée. Car un état où l'homme n'a plus rien à désirer de tout ce qui peut contribuer à sa béatitude, et un état où l'homme n'a plus rien à craindre de tout ce qui pourrait troubler sa béatitude et la terminer, voilà ce que nous pouvons appeler une félicité complète. Or tel est l'état des élus de Dieu dans le ciel. Ils possèdent Dieu, et dans Dieu ils trouvent le repos le plus parfait et l'assemblage de tous les biens : le repos le plus parfait, puisque Dieu est leur tin dernière, et que chaque être parvenu à sa fin s'y repose comme dans son centre : l'assemblage de tous les biens, puisque Dieu est seul tout leur bien, et que lui seul, par une conséquence naturelle , il leur tient lieu de toutes choses. C'est pourquoi le Sauveur des hommes disait à ses disciples : Quand vous serez avec moi dans ma gloire, vous ne demanderez rien à mon Père (1) ; leur faisant entendre que rien alors ne leur manquerait. Mais qu'est-ce que cette possession de Dieu? Qu'opère-t-elle dans l'âme bienheureuse? comment la remplit-elle , la rassasie-t-elle, l'enivre-t-elle de ces torrents de joie dont a parlé le Prophète ? Mystères, nous répond le grand Apôtre, qu'il n'est permis à nul homme sur la terre de pénétrer; mystères au-dessus de tout ce que l'œil de l'homme a jamais vu, de tout ce que l'oreille de l'homme a jamais entendu, de tout ce que l'esprit de l'homme a jamais compris. Et de ce que ni l'œil de l'homme n'a jamais rien vu, ni l'oreille de l'homme n'a jamais rien entendu, ni l'esprit de l'homme n'a jamais rien conçu de pareil, n'est-ce pas cela même qui nous fait mieux connaître l'excellence de ce bonheur incompréhensible et ineffable?

Quoi qu'il en soit, il nous suffit de savoir, et la foi nous l'enseigne, que dans cette béatitude tous les désirs de notre cœur seront tellement accomplis, qu'il ne nous restera plus rien à souhaiter; de même aussi que, dans tout l'avenir et dans tout le cours de cette éternelle béatitude, nous n'aurons plus rien à craindre, parce que c'est une béatitude sans terme, et qu'elle nous mettra à couvert de toutes les révolutions et de tous les changements. Ainsi nous a-t-elle été annoncée dans l'Evangile et promise par Jésus-Christ, comme une joie durable et permanente que personne ne peut ravir ; comme un bonheur indépendant de tout accident humain, de toute puissance ennemie ; comme une rédemption (2), un affranchissement, une délivrance de tous les maux, soit de l'âme, soit des sens; de toutes les entreprises et de toutes les persécutions où peuvent exposer l'animosité, l'envie, la violence, l'intrigue, la cabale. Eternellement les élus du Seigneur rassemblés dans son sein, aimeront Dieu et seront aimés de Dieu ; et dans cet amour mutuel et invariable , éternellement ils jouiront de l'abondance de la paix et des plus pures délices.

Que prétendons-nous et à quoi aspirons-nous, si ce n'est pas là que nous portons tous nos

 

1 Joan., XVI, 26. — 2 Luc, XXI, 28.

 

469

 

vœux? Qui nous arrête, et quel autre bonheur nous enchante? Où le faisons-nous consister, ce faux bonheur dont nous sommes si jaloux? Est-ce dans ces biens bornés qui jamais n'éteignent notre soif, et nous laissent toujours un vide infini dans le cœur? Quel opulent du siècle a dit quelquefois : C'est assez? Quel ambitieux, comblé d'honneurs, a dit : Il ne m'en faut pas davantage, et je ne vise pas plus haut? Quel voluptueux, nourri dans le plaisir, a dit : Je suis content, et je ne veux rien de plus? Est-ce dans ces biens passagers, que nous ne possédons jamais sans inquiétude, parce que nous savons à combien de revers et à quelles décadences ils sont sujets ? Hommes aveugles et insensés ! jusqu'à quand le charme de la bagatelle nous fascinera-t-il les yeux, et nous cachera-t-il le seul bien solide et véritable que nous devons rechercher? Quelle comparaison de ce souverain bien, et de ces ombres sans fond et sans consistance, de ces vaines figures qui nous éblouissent et qui nous jouent? Cependant, par le renversement le plus déplorable et par une espèce d'ensorcellement, c'est à ces figures que nous nous attachons, et c'est après ces ombres que nous courons. Car voilà à quoi se passe la vie de tout ce que nous voyons de mondains : les uns tout occupés de leur agrandissement selon le monde; les autres dominés par un vil intérêt, et dévorés d'une insatiable avidité qui ne demande qu'à se remplir; d'autres plongés dans une oisive mollesse, et uniquement attentifs à contenter leurs sensuelles cupidités; tous aussi peu touchés de l'avenir que s'ils n'avaient rien à y prétendre, et qu'ils n'eussent aucune part aux promesses du Seigneur. Dis-je rien dont nous ne soyons témoins; et pour peu qu'on ait de zèle, peut-on voir un égarement si prodigieux sans en ressentir la douleur la plus amère?

 

Second point. — Bonheur du ciel, bonheur dont la seule attente est, dès ce monde même, pour les élus de Dieu, une félicité anticipée. Deux effets qu'elle produit dans une âme chrétienne : l'un est d'y retrancher les principes ordinaires des peines qui nous troublent en ce monde, et l'autre est d'y répandre une onction toute divine, et d'y faire couler les plus douces consolations par un avant-goût des biens de l'éternité. Donnons à l'un et à l'autre l'éclaircissement nécessaire.

Quels sont communément les principes de tant de peines dont nous sommes sans cesse agités et troublés? C'est notre extrême attachement aux biens de la vie, et c'est la vivacité de notre sentiment dans les maux de la vie. Nous estimons les biens de la vie, nous les aimons; et de là, pour les acquérir ou pour les conserver, mille désirs qui nous brûlent, mille passions qui nous déchirent, mille jalousies qui nous rongent, mille soins, mille embarras qui nous tourmentent. Nous redoutons les maux de la vie, nous y sommes sensibles à l'excès; et de là, soit que nous en soyons attaqués ou seulement que nous en soyons menacés, ces frayeurs mortelles qui nous dessèchent, ces impatiences qui nous aigrissent, ces dépits qui nous désespèrent, ces chagrins, ces désolations qui nous accablent. N'est-ce pas là ce qui fait dès maintenant le supplice de tant de gens; n'est-ce pas ce qui les rend malheureux?

Mais quel serait le remède? c'est une sainte indifférence qui corrigeât  cet amour désordonné des biens de la vie; et c'est une généreuse patience qui  modérât cette sensibilité excessive dans les maux de la vie. Or, telles sont les heureuses dispositions où s'établit une âme fidèle qui tourne toutes ses pensées vers le ciel, et ne s'occupe que du royaume de Dieu où elle est appelée. Voit-elle  les grandeurs  du monde,  les fortunes  du   monde? tout cela ne la touche point, parce qu'elle sait qu'elle n'est point faite pour tout cela, mais qu'elle est destinée à quelque chose de plus grand. J'ai prié le Seigneur, dit-elle avec le Prophète-roi, et je lui ai demandé qu’il me fît connaître ma fin (1). J'ai considéré que mes jours sont mesurés, et que toute la vie de l'homme ici-bas n’est que vanité; qu'il thésaurise sans savoir pour qui, et qu'après s'être fatigué inutilement, il disparaît comme un songe. Eh! quelle  est  donc mon attente? ai-je conclu; n'est-ce pas le Seigneur, et ce qu'il me réserve dans sa gloire? Que m'importe tout le reste? Est-elle assaillie de disgrâces temporelles, de souffrances, d'adversités, de misères ; tout cela ne l'ébranlé point, parce qu'elle sait que tout cela ne sert, en l'éprouvant, qu'à lui assurer la couronne qui est le terme de son espérance. Je souffre, s'écrie-t-elle avec l'Apôtre des nations, mais je n'en ai point de confusion (2), et, au milieu de toutes les calamités humaines, je ne me laisse point déconcerter ni abattre : car je n'ignore pas quel est celui en qui je me confie, et je puis compter qu'il me garde mon dépôt, et que mon trésor ne périra point entre ses mains. Quel soutien ! et dans ce lieu d'exil où nous vivons, s'il peut y avoir quelque bonheur

 

1 Psalm., XXXVIII, 5. — 2 2 ad Tim., 1, 12.

 

470

 

pour nous, en concevons-nous un autre que ce dégagement du cœur, que cette paix inaltérable, que cette indépendance de toutes les vicissitudes et de tous les événements ; que cette force, cette fermeté supérieure à tout ce qui peut arriver d'infortunes, de pertes, de traverses, d'humiliations, d'infirmités?

Que sera-ce, si nous ajoutons l'onction sainte et les consolations intérieures que Ton goûte à contempler la maison de Dieu et toutes ses richesses ? Car, dès cette vallée de larmes, où nous n'en avons encore qu'une image imparfaite et ne la voyons que de loin, la méditation, aidée de la grâce, nous la rend en quelque sorte présente, et nous en fait déjà sentir par avance les beautés inestimables. Mais n'entreprenons point ici d'expliquer ce que c'est que ce sentiment, que ce goût : il en faut faire épreuve pour le connaître. David l'éprouvait et le connaissait, et c'est au souvenir de la céleste Jérusalem que son âme s'enflammait, qu'elle s'abîmait pour ainsi dire, et se perdait heureusement en Dieu : Seigneur, Dieu des vertus, que j’aime à me retracer la magnificence, l’éclat, la splendeur de vos tabernacles (1)! Plus j'y pense, plus la vue que j'en ai me touche ; et le trait qui me pénètre est si vit, que j'en tombe même en défaillance. Tant de saints l'ont éprouvé et l'ont connu ; bien d'autres l'éprouvent chaque jour et le connaissent : car, dans tous les états, malgré la corruption du siècle, il y a toujours, par la Providence divine, un petit nombre d'âmes ainsi dégagées de la terre, et dont tout le commerce est au ciel. Envions leur sort, et déplorons le nôtre. Reconnaissons notre aveuglement, et travaillons à le guérir. Nous voulons dès ce monde une vie tranquille, et nous négligeons d'apprendre où se trouve cette tranquillité et ce calme. Ouvrons les yeux de la foi. Elevons-nous par l'espérance chrétienne au-dessus de tous les objets mortels et périssables ; et, pour notre bonheur même présent, ne nous occupons que du bonheur à venir.

 

1 Psalm., XCIII, 2.

 

 

VENDREDI. — Jean-Baptiste faisant connaître Jésus-Christ comme vengeur des crimes dans les pécheurs et les réprouvés.

 

SERMON SUR LA DAMNATION ÉTERNELLE.

 

Paleas autem comburet igni inextinguibili.

Pour la paille, il   la brûlera dans un  feu qui ne  s'éteint point. (Saint Matthieu, chap. III, 12.)

 

Je vous l'ai annoncé, pécheurs, et je viens encore ici vous le faire entendre : autant que notre Dieu est riche en miséricorde et libéral dans ses récompenses, autant est-il sévère dans ses arrêts et redoutable dans ses châtiments. Il ramasse le bon grain pour le conserver; mais il rejette la paille pour la brûler. Il appelle à lui ses élus, et les couronne dans son royaume ; mais il sépare de lui ses ennemis, et les précipite loin de sa présence, dans un lieu de tourments. Que dis-je? Jusque dans ce lieu de torture, et au même temps qu'il les réprouve, il leur est toujours présent : et pourquoi ? pour leur faire sentir toute la pesanteur de son bras, et pour déployer sur eux toute la rigueur de sa justice. Car, sans donner dans aucune contradiction, ni que ces deux points se détruisent l'un l'autre, voici, selon l'idée que j'en conçois, en quoi je fais consister le terrible mystère de la damnation éternelle. Je dis que c'est tout ensemble, et dans une éternelle séparation de Dieu, et dans une présence éternelle de Dieu. Prenez garde : Dieu, comme Dieu et souverain bien, séparé pour jamais du réprouvé : premier point ; Dieu, comme vengeur et souverain juge, présent pour jamais au réprouvé : second point. Deux articles importants que nous avons à développer, et deux grands sujets de nos réflexions et de notre crainte.

 

Premier point. — Dieu, comme Dieu et souverain bien, séparé pour jamais du réprouvé. Afin de mieux comprendre le malheur de cette fatale séparation, il faut d'abord supposer que Dieu, comme Dieu, étant le souverain être, il est aussi le souverain bien : non-seulement le souverain bien en lui-même et pour lui-même, mais le souverain bien de l'homme et sa fin dernière. Il faut encore poser, pour principe incontestable, que de vouloir être heureux, c'est un désir si naturel à l'homme, une inclination si nécessaire, que rien ne peut l'arracher de son cœur. D'où suit enfin une troisième vérité, que dans tous ses sentiments, dans toutes ses démarches, l'homme, par une pente née avec lui, et dont il n'est pas en pouvoir

 

471

 

d'arrêter l'impression, tend sans cesse vers Dieu : comment cela? parce que sans cesse il tend vers son propre bien et son bonheur, et que Dieu seul est ce bien dont il ne peut se passer, et ce souverain bonheur qu'il cherche. Car, comme disait à Dieu saint Augustin : Seigneur, c'est pour vous que vous nous avez faits, et ce n'est que pour vous ; et tant que notre cœur ne se reposera pas en vous, il sera dans l’agitation et le trouble.

Voilà ce que le réprouvé sur la terre ne connaissait pas, ou de quoi il n'avait qu'une vue confuse. Il sentait assez que tout ce que le monde lui présentait ne lui pouvait suffire; d'un objet il courait bientôt à un autre, et toujours il lui fallait quelque chose de nouveau : mais ce quelque chose où il aspirait et qui lui manquait, qu'était-ce? il ne faisait pas attention que c'était Dieu. Quand l'a-t-il connu? liélas ! lorsqu'il n'a pu le connaître que pour son supplice et pour son désespoir. La mort, toute ténébreuse qu'elle est, en l'enlevant et l'ensevelissant dans ses ombres, lui a ouvert les yeux et l'a éclairé. Depuis ce terrible moment, il porte toujours dans son esprit l'image de Dieu profondément gravée ; mais une image qui le concerne et qui l'accable, mais une image qui le transporte jusqu'à la fureur, mais une image qui, lui retraçant le prix infini du bien qu'il a perdu, lui retrace tout le malheur de la perte infinie qu'il a faite. En effet, plus de Dieu pour lui. Non pas que ce Dieu, dont il est séparé et entièrement abandonné, ne soit plus le Dieu de l'univers 1 ni qu'en particulier et à la lettre ce ne soit plus son Dieu ; mais plus de Dieu en qui il puisse espérer, plus de Dieu qu'il puisse posséder, plus de Dieu qu'il puisse aimer de cet amour qui fait la béatitude des saints, et qui devait faire dans les siècles des siècles sa suprême félicité.

Ah ! plus de Dieu ! par conséquent plus rien : ni dons de la nature, ni dons de la grâce, ni dons de la gloire, ni paix, ni repos; car la perte de Dieu enferme la perte de tout cela, ou ce qui peut rester de tout cela ne doit être qu'un surcroît de peine.

Séparation d'autant plus affreuse, et perte d'autant plus désolante, qu'elle est irréparable. Dieu l'a dit, il a lancé ce foudroyant anathème, il a prononcé cette parole attérante : Retirez-vous! jamais il ne le révoquera. Eternellement le réprouvé ressentira une telle perle, parce qu'éternellement il aura dans son souvenir l'idée du Dieu qui s'est séparé de lui, et qu'éternellement cette idée lui représentera l'excès de sa misère ; éternellement il souhaitera d'être reçu au festin de l'Epoux céleste , et Dieu éternellement lui dira : Retirez-vous ! Eternellement il s'écriera : Où est mon Dieu? et Dieu éternellement lui répondra : Retirez-vous (1) ! De là quel dépit dans le cœur de ce malheureux , frappé d'une malédiction qu'il pouvait prévenir, et dont il ne lui est plus possible de se relever ! dépit contre Dieu, et dépit contre lui-même : contre Dieu, qui se rend inexorable à tous ses vœux, et inaccessible à toutes ses poursuites; contre lui-même, parce que lui-même il a commencé ce funeste divorce, et qu'il en est l'auteur; parce que de lui-même, et par une aveugle passion qui l'entraînait, il s'est détaché de Dieu son créateur, pour s'attacher à de viles créatures. Jugez de ses sentiments, mondains ambitieux, mondains voluptueux, mondains avares et intéressés : jugez-en par ces douleurs mortelles et ces regrets qui vous percent l'âme, par ces cruelles jalousies dont vous vous rongez, par ces tristesses profondes où vous vous abîmez, par ces langueurs et ces défaillances où vous tombez, si quelquefois dans le monde il vous arrive, et surtout par votre faute, ou de vous voir exclus d'une préférence et d'un rang d'honneur à quoi vous pouviez prétendre, ou d'être frustrés d'un gain et d'une opulente fortune qui n'a dépendu que de vos soins et de votre vigilance ; ou dans le cours d'un engagement sensuel, de perdre ce que vous aimez, et de ne plus éprouver de sa part que du mépris et de l'indifférence. Conclusion. Point de plus juste ni de plus salutaire, que celle du Prophète : Pour moi, c'est au Seigneur que je veux me tenir inviolablement uni (2) par la grâce, et dès maintenant, afin que le péché ne m'en sépare jamais dans l'éternité.

 

Second point. — Dieu, comme vengeur et souverain Juge, présent pour jamais au réprouvé. Ce fut, entre les autres motifs, ce qui détermina le généreux Eléazar à demeurer ferme dans l'observai ion de la loi, malgré les ordres du tyran et la sévérité de ses menaces. Il est vrai, dit ce sage et zélé vieillard, en obéissant au prince, ou feignant de lui obéir plutôt qu'à Dieu, je pourrai éviter le supplice qui m'est préparé de la part des hommes, et prolonger encore mes jours; mais, vif ou mort, je n'échapperai pas à la main vengeresse du Tout-puissant (3). Raisonnement solide, et digne de l'esprit de religion dont ce  saint et glorieux

 

1 Matth., XXV, 41.—2Psalm., LXXII, 20.— 3 2 Mach., VI, 26.

 

472

 

martyr était animé. Car comme Dieu est présent dans le ciel pour y glorifier sa miséricorde, il est présent dans l'enfer pour y glorifier sa justice. Sa présence dans le ciel fait le bonheur des élus, et c'est ainsi que sa miséricorde y est glorifiée ; et sa présence dans l'enfer fait le tourment des réprouvés, et c’est par là qu'il y glorifie sa justice et qu'il venge ses intérêts. C'est donc lui qui de son souffle allume ce feu et ces tourbillons de flammes où les pécheurs, selon le terme de l'Evangile, sont ensevelis; c'est lui qui, par une vertu toute divine, sans nourriture nourrit ce feu, et, sans matière qui serve à son entretien, l'entretient; c'est lui qui, par un miracle supérieur à toute la nature, fait passer jusques à l'âme toute l'ardeur de ce feu, et lui en fait sentir toute la violence : comme si c'était un feu spirituel, ou que l'âme, toute spirituelle qu'elle est, devînt, ainsi que le corps, un sujet sensible et combustible; c'est lui qui, depuis la création du monde, par une action que toutes les révolutions des temps n'ont jamais ni interrompue ni altérée, renouvelle à chaque moment l'activité de ce feu, et qui, sans terme, sans fin, le fera subsister au delà des siècles, et lui conservera toujours la même force : car, suivant la parole expresse de Jean-Baptiste, ce feu ne s'éteint point. Que dirons-nous encore? c'est lui qui, pour seconder sa colère, déchaîne toutes les puissances infernales, et les emploie, comme les ministres de ses vengeances, contre ces troupes de malheureux qu'il a précipités dans ce feu, et qu'il y tient liés et entassés; c'est lui qui, pour redoubler l'horreur de l'affreuse prison où il les a rassemblés, y répand ces épaisses ténèbres que ce feu, privé lui-même de toute lumière, né peut percer ni éclairer; c'est lui qui, non content de cette peine de feu, quelque extrême qu'elle puisse être, y joint de plus ce ver intérieur, ce ver de la conscience, qui de sa pointe pique sans relâche le cœur du réprouvé, et le ronge impitoyablement sans le consumer; ce ver qui ne meurt point (1), parce que le péché, d'où il naît, ne s'efface point, et que la mémoire ne s'en perd point.

Demeurons-en là, et ne nous engageons pas plus avant dans un détail que nous ne pourrions épuiser. Ne descendons point à des particularités qui ne nous sont pas assez connues pour les bien exprimer; mais arrêtons-nous à ces idées générales : que c'est Dieu alors qui

 

1 Marc, IX, 43.

 

punit en Dieu ; que c'est Dieu qui se satisfait par un châtiment digne de sa majesté leste et offensée; que c'est Dieu qui, sans compassion, sans nul sentiment d'amour, décharge toute sa haine sur une âme criminelle. Elle est dans ses mains;   et qui   pourra  la  dérober a sel coups? ira-t-elle pour le fuir? et puisqu'il la suit jusque dans le fond de l'abîme où il la tient captive et asservie, quand, malgré lui, sera-t-elle en état d’en sortir? Je dis malgré lui : car jamais il ne le voudra ; jamais, dis-je, il ne voudra qu'elle sorte de cet abîme de misère; jamais il ne le permettra, et c'est un point capital de notre foi. Il veut maintenant que par nos soins, aidés de sa grâce, nous nous préservions de cette éternelle réprobation. Il nous fournit pour cela tous les moyens; il nous fait donner sur cela tous les avis nécessaires. Heureux, si nous y pensons; si nous marchons au milieu des dangers qui nous environnent, avec toute la vigilance et toute la précaution convenable ; si nous ne perdons jamais de vue le précipice où tant d'autres avant nous se sont laissé entraîner, et où chaque pas peut nous entraîner nous-mêmes. Gardons-nous delà présence redoutable de Dieu dans l'enfer, par une présence utile et profitable dès ce monde; c'est-à-dire ayons Dieu dès ce monde toujours présent à l'esprit, comme ennemi du péché, Imaginons-nous partout le voir armé de son tonnerre, et sur le point d'éclater et de nous frapper. La frayeur dont cette pensée nous doit saisir ne sera point une frayeur chimérique. C'est la crainte la plus juste, puisqu'elle est fondée sur les principes les plus solides. C'est une crainte toute chrétienne, puisque Jésus-Christ lui-même a voulu nous l'inspirer dans cette grande maxime qu'il a prononcée, et qu'il a cru même, à raison de son importance, devoir confirmer par un serment. Méditons-la, repassons-la mille fois, afin que ce soit pour nous un appui  inébranlable dans la voie du salut, et un préservatif assuré contre toutes les occasions et toutes les tentations. La voici : Ne craignez point ces maîtres  qui donnent seulement la mort au corps, et qui ne peuvent rien faire de plus. Mais je vais vous montrer qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir ôté la vie au corps, peut encore perdre l’âme et la damner. Oui, je vous le dis, voilà le maître qu'il faut craindre, et craindre souverainement (1).

 

1 Luc, XII, 5.

 

Précédente Accueil Remonter Suivante