TRÈS-SAINTE TRINITÉ

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SERMON SUR LA TRÈS-SAINTE TRINITÉ.

ANALYSE.

 

Sujet. Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

 

Voilà, en trois paroles, le sommaire de notre foi. C'est à Dieu à nous éclairer, pour pouvoir parler dignement de ce grand Mystère et en tirer de salutaires instructions.

 

Division. Croire un Dieu en trois personnes, c'est le plus grand hommage de foi qu'une créature puisse rendre à Dieu : première partie ; croire un Dieu en trois personnes, c'est le plus grand sujet de confiance que la créature puisse avoir en son Dieu : deuxième partie ; croire un Dieu en trois personnes, c'est avoir devant les yeux le plus puissant motif et le plus excellent modèle de la charité, qui doit tous nous unir en Dieu et selon Dieu : troisième partie.

Première partie. Croire un Dieu en trois personnes, c'est le plus grand hommage de foi que la créature paisse rendre à Dieu. Je ne puis me former de Dieu une plus haute idée que quand je reconnais qu'il est incompréhensible. Ur, dans qnel mystère Dieu est-il plus incompréhensible à l'homme? n'est-ce pas dans la Trinité? D'où il s'ensuit que je ne puis plus exalter de ma part le souverain être de Dieu, que par la créance de cette ineffable Trinité.

 

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Que fais-je quand je crois un Dieu en trois personnes? je lui fats un sacrifice de la plus noble partie de moi-même, qui est ma raison; et comment le fais-je? de la manière la plus excellente et la plus héroïque; et en quoi consiste-t-il? le voici. Je crois un mystère dont je n'ai nulle expérience, et dont il m'est impossible d'avoir la moindre idée avant que Dieu me l'ait révélé : et quand Dieu me l'a révélé, je le crois de telle sorte, que ma raison ne peut s'en faire juge, ni l'examiner; enfin, ce qui fait la perfection de mon sacrifice, je crois ce mystère, quoiqu'il semble répugner positivement à ma raison.

Telle est notre foi. Nous la professons de bouche, nous disons assez que nous serions prêts à mourir pour la défendre : mais il ne s'agit point présentement de mourir pour la foi ; il s'agit de la soutenir et de l'honorer par l'innocence et la pureté de nos mœurs. Souvenons-nous que nous adorons une Trinité dont le caractère propre et essentiel est la sainteté.

Deuxième partie. Croire un Dieu en trois personnes, c'est le plus grand sujet de confiance que la créature puisse avoir en sou Dieu. Quand on nous instruit au christianisme, par où commence-t-on? par ce qu'il y a de plus relevé et de plus difficile à croire, qui est le mystère de la Trinité. Pourquoi s'attache-t-on d'abord a cet article? parce que c'est le fondement de toute notre espérance; car je ne puis être sauvé sans la foi d'un Dieu en trois personnes : comme cette foi demande un plus grand effort de notre part, aussi la profession que nous en faisons est-elle d'un plus grand mérite; et Dieu nous dit alors ce qu'il dit à Abraham : Quia fecisti hanc rem, multiplicabo semen tuum. De là vient que cette formule de foi que nous prononçons en confessant la Trinité, et qui est conçue en ces termes : Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, est si sainte et si vénérable dans notre religion. De là vient que nous la mettons à la tète de toutes nos actions, afin qu'elle les sanctifie et qu'elle les rende méritoires. Pratique qui nous est venue des apôtres, et que l'Eglise observe solennellement et constamment dans tous ses divins offices. Si nous l'avions jusqu'à présent observée nous-mêmes dans le même esprit et avec la même piété que l'Eglise, combien de mérites aurions-nous acquis devant Dieu?

Quand, à l'heure de notre mort le prêtre priera pour nous, quel nom emploiera-t-il pour rendre ses vœux plus efficaces? Les noms du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Et quand, s'adressant à Dieu, il lui recommandera l'âme du mourant, de quelle raison se servira-t-il? De celle-ci : Quoi qu'il ait péché, Seigneur, il a confessé voire auguste Trinité.

Troisième partie. Croire un Dieu en trois personnes, c'est avoir devant les yeux le plus puissant motif et le plus excellent modèle de la charité qui doit nous unir en Dieu et selon Dieu. 1° La foi de la Trinité est le motif et comme le lien substantiel de la charité qui doit être entre nous; 2° le mystère de la Trinité en est encore le grand modèle que Jésus-Christ nous a donné dans son Evangile.

1° La foi de la Trinité doit être le lien de notre charité mutuelle. Ainsi l'enseigne saint Paul : Puisque vous n'avez tous qu'un même Dieu, disait-il aux premiers fidèles, que vous n'avez tous qu'une même foi, que vous n'avez tous qu'un même baptême, et que vous ne faites tous qu'un même corps, qui est l'Eglise, n'est-il pas juste que vous n'ayez tous qu'un même esprit? Au nom de qui avez-vous été baptisés, ajoutait le même apôtre, pour arrêter certaines discordes? n'est-ce pas au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, et cette unité de religion ne doit-elle pas former entre vous l'union des cœurs? Ainsi l'ont compris les hérétiques mêmes : dès là qu'ils font secte et qu'ils composent une Eglise prétendue, ils commencent à s'entr'aider.

2° Le mystère de la Trinité est le grand modèle de notre charité. Que demandait Jésus-Christ à son Père pour ses disciples ? Qu'ils ne fussent qu'un entre eux, comme le Père et le Fils, dans l'auguste Trinité, ne sont qu'un. Dans cette Trinité adorable, point d'intérêts différents, point de sentiments opposés, point de volontés contraires. Nous formons-nous sur ce modèle?

 

In nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti.

Au nom du Père, et du  Fils, et du Saint-Esprit. (Saint Matth., chap. XXVIII, 19.)

 

Voilà, Chrétiens, en trois paroles, le sommaire de notre foi, le fondement de notre religion, le caractère de notre profession, le plus auguste de nos mystères. Le Sauveur du monde en a fait une partie essentielle du premier de tous les sacrements ; il a voulu qu'il entrât presque dans la composition de tous les autres ; la primitive Eglise s'en servait comme d'un sceau public et universel, pour distinguer les fidèles; et c'est pour nous conformer à ses sentiments que nous le mettons à la tête de toutes nos actions, voulant qu'elles soient autant de témoignages du culte que nous rendons à l'adorable et très-sainte Trinité. Aussi est-ce de cette foi, dit saint Augustin, que nous regardons comme le plus précieux trésor de l'Eglise ; cette foi qui justifie les pécheurs , qui sanctifie les justes, qui baptise les catéchumènes, qui couronne les martyrs, qui consacre les prêtres, qui sauve tout le monde. Cependant, mes chers auditeurs, à quoi m'engage la fête et la solennité de ce jour ? Le prophète Jérémie disait à Dieu : Seigneur, je suis un enfant qui ne fait encore que bégayer, et qui ne sait pas expliquer ses pensées : comment voulez-vous que je parle à votre peuple et que je lui annonce votre loi ? Mais, lui répondit le Dieu d'Israël, ne crains point, c'est moi qui t'envoie ; et puisque je t'envoie, je te soutiendrai dans l'exercice de ton ministère : je te mettrai dans la bouche ce que tu auras à dire, et je serai au même temps dans les cœurs de ceux qui t'écouteront, pour les disposer à te donner une attention favorable. Voilà, mes Frères, ce qui fait aujourd'hui toute ma confiance. J'ai à vous entretenir du plus profond et du plus impénétrable mystère ; mais deux choses me rassurent, l'ordre de Dieu, et votre disposition: l'ordre de Dieu, qui me commande de vous parler ; et la disposition où vous êtes de recevoir, avec une réflexion toute particulière, sa sainte parole. Implorons néanmoins, pour traiter ce grand sujet, le secours du ciel, par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

Pour parler utilement, Chrétiens, du mystère de la très-sainte Trinité, et pour le rapporter , autant qu'il est possible , à l'édification de nos mœurs , voici trois propositions que j'avance d'abord , et qui feront le sujet et le partage de ce discours. Je dis que la

 

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profession que nous faisons dans le christianisme, de croire en un seul Dieu une trinité de personnes, est l'acte le plus glorieux à Dieu que notre foi soit capable de produire : première proposition ; je dis que c'est le fondement le plus essentiel et le plus solide de toute notre espérance : seconde proposition ; et enfin je dis que c'est le lien de la charité qui doit régner entre les hommes, mais particulièrement entre les fidèles : troisième proposition. La première vous montrera ce que nous faisons pour Dieu, en confessant le mystère de la Trinité; la seconde, ce que nous faisons pour nous-mêmes ; et la troisième, ce que nous devons faire les uns pour les autres. Croire un Dieu en trois personnes, c'est le plus grand hommage de foi que la créature puisse rendre à Dieu : ce sera la première partie. Croire un Dieu en trois personnes , c'est le plus grand sujet de confiance que la créature puisse avoir en son Dieu : ce sera la seconde. Croire un Dieu en trois personnes, c'est avoir devant les yeux le plus puissant motif et le plus excellent modèle de la charité qui doit tous nous unir en Dieu et selon Dieu : ce sera la dernière. Tout ceci est moral, et mérite toute votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

De tous les mystères de notre religion, il n'y en a pas un où Dieu soit plus incompréhensible à l'homme que le mystère de la Trinité ; d'où je conclus qu'il n'y en a aucun dont la créance et la profession soit plus honorable et plus glorieuse à Dieu. Car il est certain que nous ne nous formons jamais d'idées plus hautes ni plus dignes de la grandeur de Dieu, que quand nous avouons qu'il est incompréhensible ; et la plus excellente protestation que je lui puisse faire, et que vous puissiez tous lui faire avec moi, c'est sans doute celle-ci : Non, mon Dieu, je ne vous comprends pas, et je ne suis pas capable de vous comprendre. Quand j'épuiserais toutes les forces et toutes les puissances de mon âme, quand j'y emploierais toutes celles des anges , quand tous les dons de la grâce et de la gloire me seraient communiqués, quand je vous verrais aussi parfaitement que les bienheureux et que l'humanité de Jésus-Christ même : non, Seigneur, je ne vous comprendrais jamais, et ma connaissance sera toujours autant éloignée de vous que le fini l'est de l'infini. Si je vous comprenais, mon Dieu, vous ne seriez plus ce que vous êtes , ou bien je ne serais plus ce que je suis : mais en ne vous comprenant pas, je reconnais que vous êtes mon Dieu et que je suis votre créature : car, comment pourrais-je mieux expliquer l'un et l'autre, et d'une manière plus avantageuse à votre divinité, qu'en disant que vous êtes ce que je ne puis comprendre, et ce qui ne peut jamais être compris? Bien plus, dit saint Augustin (écoutez, Chrétiens, une belle remarque de ce Père), à proprement parler, l'unique chose que nous pouvons connaître de Dieu et que nous pouvons lui attribuer, c'est cette qualité d'incompréhensible : Tunc vere aliquid de Deo coqnoscimus, quum ipsum comprehendere non possumus. Dans tout le reste nos esprits se perdent, dans tout le reste nous nous égarons souvent, sur tout le reste nous sommes en danger de tomber dans l'erreur. Quand nous disons : Dieu est puissant, Dieu est juste, Dieu est saint, Dieu est miséricordieux ; dans la rigueur des termes , toutes ces propositions ne seraient pas convenables, si nous n'ajoutions ou si nous ne supposions l'incompréhensibilité de Dieu pour les modifier. Afin qu'elles soient exactement vraies, il faut dire, ou du moins sous-entendre : Dieu est puissant, mais d'une puissance que je ne comprends pas; Dieu est juste, mais d'une justice tout autre que je ne la connais ; Dieu est saint, mais d'une sainteté qui passe toutes les vues de mon esprit. Il en faut donc toujours revenir à son incompréhensibilité, et se réduire au sentiment de saint Augustin, que là où Dieu nous paraît plus incompréhensible, c'est là que nous le connaissons mieux, là que nous sommes plus en état de le glorifier, là que notre foi lui rend un témoignage plus parfait. Or, je vous demande, dans quel mystère de la religion chrétienne Dieu est-il plus incompréhensible à l'homme? n'est-ce pas dans la Trinité? Que concevons-nous dans ce mystère, sinon que nous n'y concevons rien? Et c'est pourquoi les prophètes , qui en ont eu les premières révélations, lui ont toujours donné ce caractère, nous le représentant tantôt comme une lumière inaccessible, tantôt comme une obscurité impénétrable, tantôt comme un abîme sans fond, pour nous signifier que la trinité des Personnes divines est le grand mystère de l'incompréhensibilité de Dieu : d'où il s'ensuit que je ne puis plus exalter de ma part, ni plus relever le souverain être de Dieu, que par la créance de cette ineffable Trinité.

N'en demeurons pas là. Que fais-je, Chrétiens, quand je crois un Dieu en trois personnes? Je lui fais un sacrifice : et de quoi ? de

 

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la plus noble partie de moi-même, qui est ma raison ; et comment le fais-je? de la manière la plus excellente et la plus héroïque : et en quoi consiste-t-il? le voici. Je crois un mystère dont je n'ai nulle expérience, et dont il m'est impossible d'avoir la moindre idée, avant que Dieu me l'ait révélé ; et quand Dieu me l'a révélé, je le crois de telle sorte que ma raison ne peut s'en faire juge, ni l'examiner; enfin, ce qui fait la perfection de mon sacrifice, je crois ce mystère, quoiqu'il semble répugner positivement à ma raison. N'est-ce pas là tout l’effort que la raison humaine peut faire pour Dieu? ne sont-ce pas tous les droits auxquels elle peut renoncer ? et n'est-ce pas surtout dans ce mystère qu'elle y renonce pleinement, et qu'elle se sacrifie tout entière? car il n'en est pas de même des autres : je connais mille choses de Dieu, indépendamment des révélations de Dieu. Quand Dieu ne m'aurait jamais parlé, je sais qu'il est sage, je sais qu'il a une providence, je sais que le monde est gouverné par lui : toutes les créatures me le disent ; je n'ai qu'à ouvrir les yeux, j'en ai des preuves sensibles. Et en cela la foi ne marche point devant la raison, mais elle la suit; elle ne lui apprend rien de nouveau, quoiqu'elle le lui apprenne mieux : elle augmente ses lumières et les perfectionne, mais elle les suppose en les perfectionnant : je crois ce que je savais déjà en partie. Mais qu'en Dieu il y ait trois différentes personnes; que la première s'appelle Père, la seconde Verbe, et la troisième Saint-Esprit ; que le Fils soit engendré par la connaissance féconde que Dieu a de soi-même, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils par voie d'amour ; ce sont des secrets dont je ne découvre aucun vestige dans l'univers, et dont tous les hommes n'auraient pu même former de conjectures , si Dieu ne les en avait instruits. On dit qu'un philosophe païen en a eu autrefois quelque connaissance ; mais si cela est, saint Augustin répond qu'elle lui était venue du commerce avec les Juifs. C'est donc à la foi seule que je suis obligé de m'en rapporter touchant ce mystère. Mais quand ce mystère m'est révélé de Dieu parla foi, puis-je raisonner, puis-je discourir, puis-je occuper mon esprit à le connaître et à en chercher les principes? Non, Chrétiens, cela n'est point du ressort de ma raison. Dans le mystère de l'incarnation, je le puis faire : supposé la foi que le Verbe se soit fait chair, mon esprit y trouve je ne sais combien de convenances admirables. Je dis qu'il n'y avait qu'un Dieu qui pût satisfaire à Dieu pour le péché; or ce Dieu ne pouvait satisfaire, sans se faire homme : ainsi je raisonne alors sur la foi. Quoique la foi précède mon raisonnement, mon raisonnement ne laisse pas de venir ensuite au secours de la foi. Mais quand il s'agit de l'auguste mystère de la Trinité, d'une essence indivisible en plusieurs personnes, du Père qui n'est pas plus que le Fils, du Fils qui n'a nulle dépendance de son Père, du Saint-Esprit qui est l'amour substantiel de l'un et de l'autre : c'est là que notre raison demeure, qu'elle s'humilie, qu'elle se couvre de ses ailes, comme ces anges que vit le Prophète; qu'elle s'interdit tout examen, toute réflexion, toute curiosité. Tout ce qu'elle fait, c'est de reconnaître son ignorance : et cet aveu, dans la pensée d'un Père, est la seule confession véritable de la Trinité.

Ce qui met le comble au sacrifice que je fais à Dieu, en croyant la Trinité, c'est que je me soumets à croire un mystère qui paraît choquer la raison même, et contredire toutes ses lumières. Car il faut que je croie que trois personnes divines, celle du Père, celle du Fils, et celle du Saint-Esprit, n'étant qu'une même chose avec l'essence de Dieu, je dis une même chose indivisible sans composition, sans partie, sont néanmoins distinguées entre elles. Voilà, si j'ose parler ainsi, la pierre de scandale pour l'homme ; voilà la plus apparente contradiction qui se rencontre dans tous nos mystères. Mais c'est de là même aussi que notre foi tire sa perfection, quand nous disons à Dieu : Oui, Seigneur, je crois tout ce que vous m'avez révélé de cet incompréhensible mystère ; ma raison semble ;d'abord s'y opposer, mais je la désavoue , mais je la renonce, mais je vous l'immole aux pieds de vos autels. Je crois, mon Dieu, votre unité et votre Trinité tout ensemble , et je crois l'une et l'autre dans la même disposition de cœur que s'il fallait mourir. En vertu de cette foi, dont je fais ici profession, je voudrais pour la défendre, donner ma vie et verser mon sang : et comme vous êtes trois dans le ciel dont je reçois aujourd'hui le témoignage, le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, aussi voudrais-je, Seigneur, être en état de vous rendre sur la terre les trois témoignages dont parle le bien-aimé disciple , le témoignage de l'esprit, le témoignage de l'eau, et le témoignage du sang. Voilà ce que nous disons, Chrétiens; mais savez-vous ce que Dieu nous répond? Il est important que je vous le fasse entendre. Non, non, nous dit-il, il ne s'agit plus de mourir, ni de perdre la vie : je voulais des martyrs

 

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autrefois pour fonder ma religion ; mais maintenant les choses ont changé : ce n'est plus dans la persécution, mais dans la paix, qu'il faut prouver votre foi ; ce n'est plus sur des échafauds, ni sur des roues, mais dans les pratiques d'une vie commune et ordinaire, qu'il faut faire paraître ce que vous êtes ; ce n'est plus devant les juges et les tyrans qu'il faut me confesser, mais au milieu de vos proches et de vos amis; ce n'est plus le témoignage du sang que je vous demande, mais le témoignage de l'esprit. Ne pensez donc point à ce que vous feriez, s'il y avait encore des persécuteurs dans le monde : il n'y en a plus, il est permis de se déclarer, et commencez à le faire par la sainteté de votre vie, par l'innocence et la pureté de vos mœurs. En effet, Chrétiens, nous nous flattons, en formant ces résolutions imaginaires, de confesser notre foi à quelque prix que ce fût, et en disant comme nous disons quelquefois : Je souffrirais plutôt mille morts que de la trahir, cette foi : car nous la trahissons à toute heure; et, ce qui est plus déplorable, nous la trahissons pour un vil intérêt, pour un moment de plaisir, pour contenter un désir, une passion honteuse ; et fout ce grand zèle n'est qu'en spéculation et en idée, n'est que sous des conditions chimériques, n'est que pour des occasions et des conjonctures où nous ne trouverons jamais rien de réel, ni rien de présent.

Ah ! Chrétiens, la belle parole que celle d'un saint évoque, en parlant des premiers martyrs : Ils ne savaient pas disputer des choses de la foi, disait Pacien, évêque de Barcelone ; mais ils savaient bien souffrir et mourir pour la foi : Sciebant mori, et non sciebant disputare. Mais de nous, on peut dire à notre confusion tout le contraire : nous savons disputer des choses de la foi, mais nous ne savons ni mourir ni vivre pour la foi. Jamais tant de raffinements, jamais tant de contestations ni tant de disputes, jamais tant de liberté qu'il y en a aujourd'hui à s'expliquer sur les mystères de la foi et de la religion, et néanmoins jamais si peu de foi et de religion : pourquoi ? parce qu'il n'y a rien qui soit plus capable de détruire la religion et la foi que cette vanité dont on se pique, et ce prétendu mérite qu'on se fait d'en savoir raisonner. Ceux dont parle Pacien se contentaient de savoir deux choses, qui étaient de croire et de mourir. Ils bornaient là toute leur science; et nous, nous savons toutes choses hors ces deux-là, parce que nous ne voulons croire que ce qui nous plaît, et que nous ne voulons pas d'ailleurs nous faire la moindre violence pour pratiquer ce que nous croyons. Ceux-là savaient mourir pour la foi : Sciebant mori ; et nous , avec toute notre subtilité, nous n'avons pas encore appris à vivre selon la foi, car nous nous disons chrétiens , et nous vivons en païens ; et par cette alliance que nous faisons dans nous-même d'un certain paganisme d'actions et de vie avec le christianisme de profession et de créance, nous formons un monstre pire que le paganisme même, puisqu'il ajoute à tous les désordres de celui-ci la profanation de l'autre. Voilà, mes chers auditeurs , la réflexion que je vous prie de faire en la présence de Dieu. Souvenez-vous que vous adorez une Trinité dont le caractère propre et essentiel est la sainteté ; et qu'il n'y a point de sainteté , quelque éminente qu'elle puisse être, à laquelle nous ne devions aspirer, pour nous rendre de dignes adorateurs de cette auguste Trinité. Pour l'adorer en esprit et en vérité, il faut, par proportion, être saint comme elle ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande : Nam et Pater tales quœrit, qui adorent eum (1). Voilà ceux qu'il cherche, et il ne se tiendra jamais vraiment adoré par d'autres : Nam et Pater tales quœrit. C'est un Dieu saint, et il veut être servi par des saints. Le premier ange ne le fut pas : et ce Dieu de sainteté n'a pu souffrir qu'il fût du nombre de ceux qui l'adorent, et il aime mieux en être blasphémé dans l'enfer, que d'en être loué dans le ciel. Or, il n'est pas probable qu'il en doive user autrement à l'égard des hommes. Avançons ; et après avoir vu comment la confession de la Trinité est le plus grand hommage de foi que la créature rende à son Dieu, voyons encore comment c'est le plus grand sujet de confiance qu'une créature puisse avoir en ce même Dieu : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

II y a, Chrétiens, dans notre religion , une chose bien particulière , et que vous n'avez peut-être jamais remarquée. Quand on nous instruit au christianisme, et qu'on nous donne les premiers éléments de la foi, par où commence-t-on ? Par ce qu'il y a de plus relevé et de plus difficile à croire, qui est le mystère de la Trinité. Dans les sciences humaines, on enseigne d'abord les choses les plus communes et les plus aisées, et puis on élève peu à peu l'esprit aux plus obscurs et aux plus sublimes. Mais quand il s'agit de la science d'un chrétien, la première leçon, c'est le précis de toutes les obscurités qui s'y rencontrent; il faut, pour

 

1 Joan., IV, 23.

 

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ainsi dire, que la foi fasse son apprentissage par son chef-d'œuvre, savoir, par la confession d'un Dieu en trois personnes. Vous voulez apprendre à un enfant les principes de la doctrine chrétienne : c'est un enfant, il ne sait pas encore raisonner, à peine a-t-il l'usage de la parole ; cependant que lui dites-vous ? Trois Personnes et un seul Dieu, voilà l'instruction que vous lui faites. Mais c'est l'instruction la moins proportionnée à son esprit, mais c'est celle dont il est le moins capable, mais c'est celle par où finissent les plus savants théologiens! il n'importe, c'est à cela qu'il faut s'attacher avant tout le reste ; et pourquoi? Ah ! Chrétiens, en voici la raison : parce que la foi des trois Personnes divines est le fondement de toute notre espérance, la source de tous nos mérites, le principe de toute sainteté, et, pour m'expliquer dans les termes du concile de Trente, le commencement et la racine de toute la justification des hommes : Initium et radix totius justificationis nostrœ. Peut-on être sauvé sans la foi ? Non. Mais quelle est la foi essentielle et nécessaire? Celle de la Trinité. Tous les autres mystères de la créance catholique, hors l'incarnation du Verbe, n'ont pas le même avantage. Je pourrais absolument les ignorer, et me sauver : pour celui-ci, qui comprend un Dieu en trois personnes, si je l'ignore, je n'ai rien à attendre de Dieu ; et si je le crois, j'en espère tout. J'avoue, Chrétiens, et je L'ai dit, que ce premier acte de religion par lequel nous confessons que trois ne font qu'un, est le plus grand effort de la foi ; mais c'est pour cela même que Dieu en a fait dépendre notre bonheur. Il voyait bien la violence qu'il y aurait à se faire pour assujettir nos esprits à ce mystère : et voilà pourquoi il a arrêté, dans le conseil de sa sagesse, que la foi de ce mystère serait le principe de tous nos mérites devant lui, et de notre éternelle prédestination.

Et en cela, dit saint Chrysostome, Dieu nous a traités avec la même bonté dont il usa autrefois envers son serviteur Abraham. Ce patriarche, vous le savez, s'était mis en devoir de sacrifier son propre fils, malgré les répugnances que la nature formait dans son cœur. Il était prêt à frapper le coup ; mais Dieu en fut touché, et ne voulut pas avoir moins de libéralité pour Abraham , qu'Abraham n'avait eu pour lui de fidélité. Quia fecisti hanc rem, et non pepercisti unigenito tuo propter me, multiplicabo semen tuum (1) ; Parce que tu as fait cela, lui dit le Seigneur, et que tu n'as pas épargné ton

 

1 Genes., XXII, 16.

 

unique pour moi, je multiplierai ta postérité, je te comblerai de bénédictions, je te ferai le plus riche et le plus puissant de la terre ; et cette obéissance que tu m'as rendue sera suivie de toutes sortes de prospérités. C'est ainsi que Dieu dit aujourd'hui à un chrétien : Parce que tu as cru un mystère si fort au-dessus de toi et de toutes les idées humaines : Quia fecisti hanc rem; et que tu as sacrifié ton unique, c'est-à-dire ton esprit et ta raison : Et non pepercisti unigenito tuo; c'est pour cela que je te remplirai de grâces, que je multiplierai le mérite de tes actions, que je t'adopterai parmi mes enfants, que je t'enrichirai de vertus, que je te sanctifierai et que je te glorifierai. Car cette foi que tu as professée est le petit grain de l'Evangile, lequel ayant pris racine dans ton cœur, poussera ses branches jusqu'à la hauteur du ciel, et produira tous les fruits de gloire que tu dois recueillir dans l'éternité. Et voilà, Chrétiens, pourquoi la formule de foi que nous prononçons en confessant la Trinité, et qui est conçue en ces termes : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, est si sainte, si auguste, si vénérable dans notre religion. Voilà pourquoi, selon l'institution de Jésus-Christ, elle entre dans presque tous les sacrements de la loi de grâce. Car, si nous sommes régénérés dans le baptême, c'est au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; si nous sommes fortifiés parla grâce de la confirmation, c'est au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; si nos péchés nous sont remis par la pénitence, c'est au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; si nous sommes consacrés par le caractère de l'ordre, c'est au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; si nous recevons la bénédiction des prêtres, des pasteurs, des prélats, c'est au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit : pour nous apprendre, dit saint Augustin , que dans le christianisme il n'y a point de grâce, point de salut, point de justification que par la foi de la Trinité.

De là vient aussi que, suivant la sainte et religieuse coutume , nous mettons à la tète de toutes nos actions cette profession de foi ; n'entreprenant rien, n'exécutant rien, que nous n'ayons auparavant marqué sur nous le signe de la croix, avec ces paroles : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, reconnaissant que le mérite de notre action dépend de là, et que sans cette foi tout ce que nous allons faire serait inutile, rejeté de Dieu et perdu pour le ciel. Pratique qui nous est venue des apôtres, dont la tradition est constante, que les fidèles

 

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ont toujours gardée, et que nos hérétiques n'ont pu condamner sans faire paraître qu'ils étaient déterminés à condamner tout. Car enfin, qu'y a-t-il de plus conforme à l'esprit chrétien, que ce saint exercice d'invoquer la Trinité, et de nous imprimer nous-mêmes sur le front le signe de notre salut au commencement de chaque action? cela néanmoins leur déplaît, et un des articles de leur prétendue réforme a été d'en abolir l'usage : mais c'est pour cela même que l'Eglise a témoigné encore plus de zèle à le retenir et à l'observer. C'est pour cela qu'elle commence ses divins offices par la foi du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; que toutes les prières qu'elle adresse à Dieu par forme de demande, expriment toujours ces trois divines personnes ; qu'elle ne chante pas un psaume, une hymne, un cantique, sans les conclure par là ; que plus de cent fois le jour elle nous oblige,   nous qui sommes les ministres de ses autels, a répéter ce sacré verset : « Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit! » parce qu'elle sait bien que nous ne pouvons rien dire à Dieu de plus agréable, ni qui soit plus propre à lui gagner le cœur, et que cette prière seule a plus de vertu et plus de force que toutes les autres pour nous sanctifier. Ainsi elle voudrait que nous pussions la faire continuellement, et que jour et nuit notre bouche fût occupée à dire : Gloire au Père, gloire au Fils, gloire au Saint-Esprit! à l'exemple de ce saint solitaire qui, s'étant placé sur une haute colonne, où il demeura plusieurs années, n'avait point d'autre exercice que celui-là.

Ah ! Chrétiens, permettez-moi de prendre ici occasion de vous instruire sur un point d'une grande utilité, quoique peut-être vous ne l'estimiez pas tel. Si toutes les fois que vous et moi nous avons prononcé ces vénérables paroles : Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit; ou celles-ci : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, nous l'avions fait avec le même respect et la même affection que ce saint anachorète, combien de mérites aurions-nous acquis devant Dieu ! si nous étions bien remplis de cette pensée, moi qui vous parle, et vous qui m'écoutez, nous les dirions sans cesse par une solide dévotion, et comptez quel fonds de richesses spirituelles elles nous produiraient. Car ces courtes paroles renferment les actes les plus méritoires de toute la religion. Mais parce que, si nous les disons, c'est sans réflexion et avec une imagination égarée, pensant à tout autre chose, ou ne pensant à rien, nous avons beau les dire, et confesser ainsi la Trinité, peut-être ne nous ont-elles pas procuré un seul degré de grâce. Ce qui doit encore plus nous toucher, c'est qu'en prononçant ces paroles sans attention , nous faisons injure aux trois Personnes à qui elles s'adressent : non-seulement nous ne louons pas la Trinité, mais nous la déshonorons; non-seulement nous perdons ce trésor de grâce que nous pouvions acquérir, mais nous amassons contre nous un trésor de colère. Car ces noms de Père, de Fils et de Saint-Esprit sont des noms divins, des noms de gloire et de majesté, des noms terribles à l'enfer,  des   noms   souverainement respectables pour nous , et par conséquent qui ne doivent jamais  passer par notre bouche sans que notre esprit et notre cœur les accompagnent. Que dis-je? ce sont des noms encore plus aimables que redoutables, des noms de salut, et par là même plus dignes de l'attention de nos esprits et des sentiments affectueux de nos cœurs. Appliquez-vous, Chrétiens, à ma pensée. Quand nous nous trouverons au lit de la mort, et que le prêtre, dans les derniers moments de notre vie, viendra soutenir notre âme prête à paraître devant Dieu, et former des vœux pour elle, quel nom emploiera-t-il pour rendre ses vœux plus efficaces? Les noms du Père, et du Fils, et du   Saint-Esprit. Proficiscere, anima christiana (1) ; Partez, âme chrétienne, dira le ministre de l'Eglise; partez, au nom du Père qui vous a créée, au nom du Fils qui vous a rachetée , au nom du Saint-Esprit qui vous a sanctifiée ! Noms tout-puissants pour mettre en fuite les légions infernales,  pour rendre   inutiles   tous leurs efforts,  et pour attirer sur nous, dans ce passage si dangereux, les grâces et les secours du ciel. Il y a plus encore :   car quand  ensuite le   même ministre, s'adressant à Dieu, lui recommandera l'âme du mourant, de quelle raison se servira-t-il pour toucher en sa faveur la divine miséricorde? Peut-être, mes chers auditeurs, n'y avez-vous jamais fait réflexion, peut-être ne l’avez-vous jamais entendue; mais elle est capable de réveiller toute votre confiance, et de vous inspirer un zèle tout nouveau pour l'honneur de l'adorable Trinité.  Ecoutez-la : Licet enim peccaverit, tamen Patrem, et Filium, et Spiritum Sanctum non negaviti sed credidit (2). Ah! Seigneur, s'écriera le prêtre du Dieu vivant, il est vrai, c'est pour un pécheur que j'implore votre clémence; il n'a pas été exempt des faiblesses humaines, et le poids de sa fragilité l'a fait tomber : mais du reste, vous

 

1 Ex Ord. comm. anim. — 2 Ibid.

 

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savez, mon Dieu, que, tout pécheur qu'il est, il a confessé votre auguste Trinité ; qu'il a reconnu !e Père, le Fils, et le Saint-Esprit : Tamen Patrem, et Filium, et Spiritum Sanctum non negavit, sed creditat ; vous savez qu'il s'est intéressé à la gloire de ces trois divines Personnes, et qu'en vous adorant, ô souverain Auteur du monde, il les a fidèlement et religieusement adorées : Et zelum Dei in se habuit ; et Deum, qui fecit omnia, fideliter adoravit (1). Voyez-vous, Chrétiens , comment la confession de la Trinité, mais une confession respectueuse, une confession religieuse, est un des plus grands sujets de confiance que la créature puisse avoir en son Créateur? Finissons; et pour dernière leçon, apprenons encore comment la confession de cette même Trinité est le motif le plus puissant et le plus excellent modèle de la charité chrétienne : c'est la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Toutes choses, Chrétiens, nous prêchent la charité que nous nous devons les uns aux autres ; mais rien ne nous la prêche plus hautement que la Trinité des Personnes divines. Vous me demandez pourquoi? Pour deux raisons qui nous sont marquées dans l'Ecriture, et qui toutes deux portent un certain caractère de l'Esprit de Dieu. La première, parce que la foi de la Trinité est le motif et comme le lien substantiel de la charité qui doit être entre nous ; et la seconde, parce que le mystère de la Trinité en est encore le grand modèle que Jésus-Christ nous a donné dans son Evangile. Deux raisons, mes chers auditeurs, dignes de toutes vos réflexions, et infiniment capables de vous exciter à la pratique de cette vertu.

Je dis que la créance de la Trinité doit être le lien de notre charité mutuelle ; c'est saint Paul qui nous l'enseigne. Car, dit-il, c'est la foi de ce mystère qui nous unit tous dans un même corps de religion. Ecoutez-le, Chrétiens, parler lui-même , ce docteur des nations. Ah ! mes Frères, disait-il aux Ephésiens , je vous conjure, moi qui suis captif pour Jésus-Christ : Obsecro vos, ego vinctus in Domino (2); et de quoi? de vous aimer les uns les autres, de vous supporter les uns les autres : Supportantes invicem in charitate (3). Ayez du zèle pour conserver parmi vous cette unité d'esprit qui est le principe de la véritable paix : Solliciti servare unitatem spiritus in vinculo pacis (4). Et

 

1 Ex Ord. comm. anim. — 2 Ephes., IV, 1. — 3 Ibid., 2.— 4 Ibid., 3.

 

quel motif leur en donnait-il? sur quoi fondait-il cette obligation? le voici. Car enfin, mes Frères, ajoute l'Apôtre, vous n'avez tous qu'un même Dieu, vous n'avez tous qu'une même foi, vous n'avez tous qu'un même baptême, vous ne faites tous qu'un même corps, qui est l'Eglise : n'est-il donc pas juste que vous ayez tous le même esprit ? Unum corpus et unus spiritus, unus Dominus, una fides, unum baptisma (1). C'est-à-dire, quelle indignité, que nous unissant tous, comme nous faisons, pour honorer le même Dieu, nous ne soyons pas unis sur tout le reste, dans ce même Dieu, dans ce même Seigneur, nous reconnaissons un Père dont nous sommes tous les enfants, un Fils dont nous sommes tous les frères, un Saint-Esprit dont nous sommes tous animés : Unus Dominus. Or quel monstre , qu'étant tous enfants d'un même père , nous vivions ensemble comme des étrangers ; qu'étant tous frères du même Fils de Dieu, on ne voie parmi nous nulle marque de fraternité ; que voulant tous avoir le même Saint-Esprit, nous fassions paraître des sentiments si opposés ? Mais ce que j'admire, poursuivait saint Paul, selon la paraphrase de saint Chrysostome expliquant ce passage, c'est que, ayant bien pu nous accorder tous sur un point aussi difficile que la foi de ces trois adorables personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, nous contestions tous les jours sur des bagatelles qui font le sujet de nos inimitiés. S'il y avait quelque chose où nous dussions avoir de la peine à convenir, et où l'on put craindre que les esprits ne fussent divisés, c'était la créance d'un Dieu en trois personnes. Cependant nous le croyons, nous en faisons tous la même profession, nous renonçons à tous les doutes et à toutes les difficultés que notre esprit pourrait former; et cela, disons-nous, pour ne pas troubler l'unité de la foi : Una fides. Eh! Chrétiens, n'est-il donc pas étrange que nous rompions celle de la charité sur des sujets de nulle conséquence, et que nous entretenions des animosités et des haines qui détruisent absolument une des vertus fondamentales du christianisme?

Tel était le raisonnement de l'apôtre saint Paul pour convaincre les Ephésiens : Unus Dominus, una fides ; raisonnement qu'il fait encore tant valoir dans une autre de ses Epîtres, où, s'adressant aux chrétiens de Corinthe, il leur dit : Qu'est-ce que j'entends, mes Frères? on me rapporte qu'il y a des cabales parmi vous, qu'il y a des schismes et des factions !

 

1 Ephes., IV, 4.

 

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l'un tient le parti de Paul, l'autre d'Apollo, celui-ci de Pierre : mais quoi ! est-ce au nom de Pierre, est-ce au nom d'Apollo, est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés? Numquid in nomine Pauli baptizati estis (1) ? Je remercie Dieu de ce que je n'ai baptisé personne chez vous, de peur qu'on ne dise que vous êtes baptisés en mon nom : Gratias ago Deo, quod neminem vestrum baptizavi, ne quis dicat quod in nomine meo baptizati estis (2). C'est au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit que vous avez reçu le baptême, tous dans la même forme, tous avec le même caractère, tous par l'efficace et la vertu de la même Trinité. Or, cela étant, vous avez tous un engagement indispensable à vivre dans le même esprit, et vous oubliez ce que vous êtes quand vous laissez naître parmi vous des discordes. Remarquez-vous , Chrétiens , comment saint Paul fondait le devoir de la charité sur la foi de la Trinité ? Una fides, unum baptisma. En effet, s'il y a un motif qui doive nous engager à nous aimer fraternellement, c'est cette unité de créance et de foi. Comme la différence de religion a toujours été, pour ainsi dire, la glaive de division parmi les hommes, jusqu'à rompre entièrement les liens les plus inviolables de la nature, aussi de tout temps a-t-on considéré l'unité de religion comme le plus sacré nœud de l'amitié. Il n'est pas jusques à nos hérétiques qui ne le pensent de la sorte. Dès là qu'ils font secte, et qu'ils composent une Eglise prétendue, ils commencent à s'entr'aider. Vous en êtes témoins, mes chers auditeurs, et vous savez comment ils sont unis ensemble, comment ils prennent les intérêts les uns des autres, comment ils se prêtent secours dans leurs besoins, comment leurs pauvres sont assistés, comment ils visitent leurs malades. Qui fait cela? ce n'est pas l'unité de la foi, puisque hors de l'Eglise ils ne peuvent avoir la foi ; qui donc? l'unité d'erreur, l'unité de mensonge, l'unité de schisme. Ce petit troupeau où ils sont tous ramassés, voilà ce qui les lie, voilà ce qui arrête toutes leurs querelles, voilà ce qui termine tous leurs différends, voilà pourquoi ils s'appellent frères et se comportent en frères. Quelle honte, que l'unité de la foi où nous vivons fasse moins sur nous, que ne fait sur eux l'unité d'une fausse réforme? 11 en va néanmoins ainsi : ils s'unissent, et nous nous divisons ; ils se rendent des offices de frères, et nous nous traitons souvent en ennemis : ils le voient, ils s'en étonnent, ils en sont scandalisés, ils nous le

 

1 1 Cor., I, 13. — 2 Ibid., 15.

 

reprochent même. Or, à qui est-ce de faire cesser ce reproche, qu'à nous-mêmes? et il cessera dès que la charité entrera dans nos cœurs ; car toutes ces haines, toutes ces envies, tous ces désirs de vengeance, tous ces mépris que nous faisons du prochain, toutes ces paroles aigres et piquantes qui nous échappent, tout cela s'évanouirait bientôt, si nous avions la vraie charité. La foi d'un Dieu en trois personnes en doit être le motif, et j'ajoute qu'elle nous en présente encore le plus parfait modèle.

Quand je vous ai dit, mes Frères, en d'autres discours, que le Fils de Dieu nous avait obligés à nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés : Mandatum novum do vobis, ut diligatis invicem, sicut dilexi vos (1); vous ne croyiez pas que la charité pût être portée plus haut. Cet amour d'un Dieu sacrifié pour le salut des hommes vous paraissait le dernier terme où l'amour du prochain put s'élever. Mais voici quelque chose encore de plus grand : car il faut nous aimer comme les trois personnes de la Trinité s'aiment, comme le Père aime le Fils, comme le Fils aime le Père, comme le Père et le Fils s'aiment dans le Saint-Esprit. Tel est l'exemplaire qui nous est aujourd'hui proposé : Inspice, et fac secundum exemplar (2). Et par qui nous est-il proposé? Par Jésus-Christ même, l'oracle et la sagesse de Dieu. Pater sancte, disait-il, parlant à son Père, serva eos in nomine tuo quos dedisti mihi, ut sint unum sicut et nos (3); Mon Père, je vous offre tous mes élus, tous mes fidèles, tous ceux que vous m'avez donnés à instruire : conservez-les par votre grâce, afin qu'ils soient un comme vous et moi. Que veut-il dire, et comment arriverons-nous à cette perfection ? Le Père et le Fils ne font qu'un même Dieu dans la Trinité ; le Fils est consubstantiel au Père, le Père est la même substance que le Fils : quelle charité nous peut unir de la sorte? Ah ! répond saint Augustin, ce que le Sauveur du monde a voulu nous faire entendre, c'est que nous devons être parfaitement unis de cœur et de volonté; que nous devons être, par grâce et par imitation, ce que les trois divines Personnes sont par la nécessité de leur être ; que, comme il n'y a rien qui ne soit commun entre elles, aussi la charité du christianisme doit nous faire renoncer à tous nos intérêts propres; que de même que le Fils de Dieu disait à son Père : Pater, omnia mea tua sunt, et tua mea sunt (4); Tout ce qui est à

 

1 Joan., XIII, 34. — 2 Exod., XXV, 40. — 3 Joan., XVII, 11. — 4 Ibid., 10.

 

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moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ; de même il faut que nous soyons prêts à dire à nos frères : Ces biens que Dieu m'a donnés sont pour vous aussi bien que pour moi ; et ces misères que vous souffrez sont les miennes aussi bien que les vôtres. Que serait-ce que le christianisme, si cette charité y régnait ? que serait-ce que tant de familles, si les pères et les enfants, si les maîtres et les domestiques, si le mari et la femme, si les frères et les sœurs gardaient entre eux ce parfait accord? Au lieu de ces troubles qui y mettent la confusion, au lieu de ces procès qui les désolent, au lieu de ces éclats scandaleux qui les décrient, elles se soutiendraient, et dans un repos inaltérable elles goûteraient toutes les douceurs d'une paix chrétienne. Alors, plein de consolation, j'aurais de quoi vous féliciter, et je m'écrierais avec le Prophète : Quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum (1) ! Quel bonheur pour ces chrétiens, quel bonheur pour ces maisons, de vivre dans une concorde qui y entretient le calme, et qui y fait fleurir la piété !

Mais que voyons-nous? Tout le contraire, et c'est ce que nous ne pouvons assez déplorer. Point d'union dans le christianisme , et même entre ceux que les lois de la nature les plus inviolables et les plus sacrées devraient tenir étroitement liés les uns aux autres; je veux dire, point d'union : entre qui? souvent entre des proches, souvent entre des frères et des sœurs, souvent entre des pères et des enfants. Je dis plus : Point d'union, souvent entre des ministres de Jésus-Christ, qui, par état néanmoins et par profession, doivent être des ministres de paix; souvent entre des personnes consacrées au Dieu de la paix par les vœux les plus solennels, portant le même habit et vivant sous la même règle. Voilà ce que nous voyons : et pourquoi ? parce que nous ne savons pas, ou plutôt parce que nous ne voulons pas nous former sur le grand modèle que la foi nous met devant les yeux. Prenez garde : dans l'adorable Trinité, point de sentiments opposés; ce que veut une Personne divine, les autres le veulent; mais parmi nous, ce sont des contradictions éternelles; soit bizarrerie d'humeur, soit malignité de naturel, soit hauteur d'esprit et fausse gloire qu'on se fuit de ne céder jamais, quel que puisse être le principe du mal, on a ses idées particulières, et l'on veut qu'elles prévalent à tout, on a ses caprices, et Ton veut qu'ils soient suivis en tout. Et parce que nous ne trouvons

 

1 Psal., CXXXII, 1.

 

pas toujours des gens assez dociles pour s'asservir à nos caprices et à nos idées ; parce que chacun, au contraire, prétend dominer, se faire écouter, l'emporter ; de là les contestations et les disputes, de là les guerres qui commencent par l'esprit et qui finissent par le cœur, de là les aigreurs, et une maligne détermination à se butter toujours les uns contre les autres. C'est assez qu'un tel ait parlé de telle manière, pour engager un tel à tenir un langage tout différent; c'est assez que celui-ci estime telle chose, pour porter celui-là à la condamner : comme si l'on n'avait point d'autre règle ou pour penser, ou pour agir, qu'une aveugle obstination à ne s'accommoder au gré de personne, et à ne convenir avec personne. Dans l'adorable Trinité, point d'intérêts séparés; mais parmi nous mille intérêts qui nous divisent. On ne pense qu'à soi-même, on n'a égard qu'à soi-même, on rapporte tout à soi-même. Et comme cet intérêt propre, à quoi l'on est résolu de ne rien refuser, ne peut souvent s'accorder avec l'intérêt du prochain, il n'y a point d'injustice et de violence à quoi l'on ne se porte, pour écarter ou pour détruire tout ce qui pourrait faire obstacle et arrêter les desseins qu'on a formés. De là les mauvais tours, les trahisons, les faux rapports, les médisances, les calomnies, les chicanes, les procès, toutes les vexations qu'inspire la cupidité et qui ruinent la charité. C'est sur quoi l'Apôtre s'expliquait encore avec tant d'éloquence et tant de zèle en parlant aux Corinthiens. Il avait appris qu'ils s'appelaient les uns les autres devant les tribunaux de la justice pour terminer leurs différends; et là-dessus que leur disait-il? Ah! mes Frères, que ne souffrez-vous plutôt l'injure qu'on vous fait? Quare non magis injuriant accipitis (1)? Que ne souffrez-vous plutôt Je dommage que vous recevez? Quare non magis fraudem patimini (2) ? Mais bien loin, poursuivait le saint Apôtre, d'être ainsi disposés à pardonner et à souffrir, vous vous outragez mutuellement, et vous travaillez à vous entre-détruire : Sed vos injuriam facitis et fraudatis (3). Ce qui le touchait davantage, et ce qu'il leur reprochait plus vivement, c'est que des frères, que des chrétiens, se traitassent de la sorte : Et hoc fratribus (4). Comme s'il leur eût dit : Que des païens aient ensemble des démêlés, je n'en suis point surpris; ils ont des dieux qui leur en donnent l'exemple : mais nous qui, dans le Dieu que nous adorons, avons le modèle de la plus parfaite unité, d'une

 

1 Cor., VI, 7. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 8. — 4 Ibid.

 

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unité constante, d'une unité indivisible, d'une unité éternelle, qu'on nous voie former entre nous des partis, des intrigues, des cabales; que pour les moindres intérêts, et pour de viles prétentions dont nous ne voulons rien relâcher, on voie des fidèles s'élever contre des fidèles, parler contre des fidèles, agir contre des fidèles : Et hoc fratribus ; c'est ce qui m'étonne, et ce qui ne s'accorde pas avec le caractère de leur religion.

Appliquons-nous à nous-mêmes ces reproches, chrétiens auditeurs ; car ils ne nous conviennent que trop : et en quels termes se fût exprimé saint Paul, s'il eût été témoin de notre conduite, je veux dire de nos animosités, de nos envies, de nos ressentiments, de nos vengeances, de tant d'éclats scandaleux, qui font le sujet des entretiens du monde, et que le monde lui-même est le premier à condamner? C'est à vous, ô Dieu de la charité et de la paix, c'est à vous à maintenir parmi nous l'une et l'autre, ou plutôt à les y rétablir, car elles ne sont que trop altérées! Père tout-puissant, vous avez formé nos cœurs, et vous êtes toujours maître de les tourner comme il vous plaît ! Fils égal à votre Père, et éternel comme lui, mais fait chair pour nous, vous nous avez rassemblés sous une même loi, et c'est une loi d'amour! Esprit-Saint, vous êtes l'amour substantiel du Père et du Fils, et c'est par vous que la charité est répandue dans les âmes ! Trinité souverainement adorable et aimable, c'est de votre sein que nous sommes tous sortis, et c'est dans votre sein que vous voulez tous nous rappeler ! Unissez-nous sur la terre, comme nous devons l'être dans l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

 

 

 

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