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INSTRUCTION POUR LA SECONDE FÊTE DE PAQUES.
SUR LES DEUX DISCIPLES QUI ALLÈRENT A EMMAUS.

 

ANALYSE.

 

Jésus-Christ, s'entretenant avec ces deux disciples, raffermit leur foi, ranime leur espérance, et rallume enfin leur charité; d'où nous pouvons tirer pour nous-mêmes de très-solides leçons.

1° Comment Jésus-Christ raffermit la foi des deux disciples. Ils commençaient à se scandaliser du mystère delà croix, et à douter qu'un homme mort si ignominieusement fut le Messie. Mais il confond leur incrédulité par trois arguments invincibles. Car d'abord il leur montre que ce grand mystère d'un Dieu crucifié avait été prédit par tous les prophètes.

Ensuite il les fait souvenir crue lui-même il leur avait plusieurs fois parlé de son crucifiement et annoncé sa mort.

Enfin, il leur fait entendre et leur explique comment il était convenable et nécessaire que le Christ souffrit.

Caractère des incrédules : ce qui altère leur foi, c'est cela même qui devrait l'augmenter. Demandons à Dieu le don de la foi, et conservons-le avec tout le soin possible.

2° Comment Jésus-Christ ranime l'espérance des deux disciples. Ils commençaient à ne plus espérer, parce qu'il y avait dans leur espérance des erreurs que Jésus-Christ leur découvre : l'une par rapport au fond, et l'autre par rapport au temps.

Erreur par rapport au fond. Ils espéraient que Jésus-Christ rétablirait le royaume temporel d'Israël ; mais ce n'était point là le royaume qu'il leur avait promis, puisqu'il leur avait même expressément marqué que son royaume, n'était pas de ce monde. Ne tombons-nous pas dans une erreur tonte semblable? Nous n'espérons en Dieu que dans la vue des biens de cette vie.

Erreur par rapport air temps. Le Fils de Dieu leur avait dit qu'il ressusciterait le troisième jour : ce troisième jour n'était pas encore passé, et ils ne laissent pas de témoigner déjà leur impatience et leur défiance. Ainsi nous espérons en Dieu; mais pour peu qu'il diffère à nous exaucer, nous nous décourageons et nous perdons toute confiance. Ne nous attend-il pas lui-même en tant d'occasions? Pourquoi ne l'attendrions-nous pas?

3° Comment Jésus-Christ rallume la charité des deux disciples. Leur amour s'était beaucoup refroidi; mais il en rallume toute l'ardeur en trois manières :

Par ses discours,

Par la pratique des bonnes œuvres,

Par l'usage de la divine Eucharistie.

Or, ce sont ces trois mêmes moyens dont nous devons nous servir pour renouveler en nous la ferveur de notre dévotion et de notre amour envers Dieu. Mais de quoi parlons-nous communément, et de quoi nous  entretenons-nous? quelles bonnes œuvres pratiquons-nous? comment approchons-nous du sacrement de Jésus-Christ et de sa sainte table?

 

203

 

L'Evangile nous parle de deux disciples qui l'en allèrent à un bourg nommé Emmaüs (1), et il nous les représente en trois dispositions dangereuses. Ils ne croyaient plus que faiblement ni Jésus Christ, ils n'espéraient presque plus en lui, et, par une suite nécessaire, ils ne lui riaient plus guère attachés. Mais ce Dieu Sauveur se joignant à eux sur le chemin d'Emmaüs. et s'entretenant avec eux, raffermit leur foi, ranime leur espérance, et rallume enfin toute laideur de leur charité. Nous pouvons tirer de là de très-solides leçons pour nous-mêmes, et nous en faire une juste application.

§ I. Comment Jésus-Christ raffermit la foi des deux disciples.

 

La foi de ces disciples n'était plus qu'une foi chancelante et faible, depuis qu'ils avaient m leur Maître condamné à la mort, et livré au supplice honteux de la croix. Ils avaient de la peine à se persuader qu'un homme traité de la sorte, et mort si ignominieusement, put être ce Messie qu'ils attendaient, ce Messie qui devait sauver Israël, ce Messie dont ils s'étaient formé de si hautes idées. Voilà ce que nous pouvons appeler le désordre ou le scandale de four foi. Car c'est, au contraire, pour cela qu'ils devaient croire en Jésus-Christ : c'est, dis-je, parce qu'ils l'avaient vu mourir dans l'opprobre et crucifié. Ainsi, de ce qui devait être pour eux un motif de créance et de foi, ils se faisaient un obstacle à la foi même. Ils commençaient à douter et à ne plus croire, par la même raison qui eût dû les déterminer à croire; et le mystère de la croix leur devenait, comme aux Juifs incrédules, un sujet de trouble : au lieu que s'ils eussent bien raisonné , c'était le mystère de la croix qui devait les rassurer et les confirmer.

Que fait donc le Fils de Dieu? il leur reproche leur aveuglement, et les convainc par trois arguments invincibles, capables de confondre leur crédulité et la nôtre.

1. Il leur montre que Ions les prophètes qui avaient parlé du Messie, après l'avoir si hautement exalté, et l'avoir annoncé comme le libérateur d'Israël, avaient en même temps dit lare qu'il souffrirait tout ce qu'en effet il avait souffert. Il leur fait le dénombrement de toutes ces prophéties où se trouvaient marquées si distinctement et en détail les différentes circonstances de son supplice, le jour de sa mort, le prix donné a celui qui l'axait vendu, l'emploi qu'on avait fait de cet argent, le

 

1 Luc., XIV,  13.

 

partage de ses habits, le fiel et le vinaigre qu'on lui avait présenté à boire, et le reste. D'où il les oblige à conclure que leur incrédulité est non-seulement mal fondée, mais absolument insensée et déraisonnable, puisqu'il s'ensuivait de là que s'il n'avait pas été trahi et livré, s'il n'avait pas été comblé et rassasié d'opprobres, s'il n'avait pas été condamné et attaché à la croix, il ne serait pas celui qu'avaient prédit les prophètes, ou que ces prophètes se seraient trompés à son égard, leurs prophéties n'ayant pas été accomplies dans sa personne. Contradiction dont leur foi eût dû être ébranlée et scandalisée. Mais parce que ce Dieu Sauveur avait enduré la mort et le tourment de la croix, tout s'accordait parfaitement et se conciliait. Les oracles étaient vérifiés; il ne manquait rien à l'accomplissement des Ecritures; on voyait dans lui ce Messie, d'une part victorieux et triomphant, et de l'autre sacrifié et immolé ; d'une part le plus beau des enfants des hommes, et de l'autre meurtri et défiguré; d'une part le Dieu de gloire, et de l'autre l'homme de douleurs : preuve convaincante et sans réplique.

II. Il les fait souvenir que lui-même, qui avait mis lin à la loi et aux prophètes, il leur avait parlé plus d'une fois de son crucifiement et de sa mort ; qu'il les en avait avertis par avance, et qu'il les y avait ainsi préparés, afin que dans le temps ils n'en fussent point surpris, et qu'ils rappelassent la mémoire de tout ce qu'il leur avait dit. Rien donc ne devait plus les fortifier que de voir toutes ces prédictions si ponctuellement exécutées : comme, au contraire, rien n'eût dû les jeter dans une plus grande incertitude, ni ne les eût fait douter avec plus de fondement, que s'il était mort d'une autre manière, et qu'il n'eût pas été exposé à une pareille persécution, ni à tant d'indignités. Et, en effet, après leur avoir dit expressément: Nous allons à Jérusalem, et tout ce que les prophètes ont écrit du Fils de l’Homme s'accomplira, on le livrera aux Gentils, on le couvrira d'ignominie, on lui crachera au visage, il sera flagellé, et ensuite on le mettra en croix (1); après, dis-je, leur avoir tenu ce langage, si l'événement n'y eût pas répondu, qu'eussent-ils pu penser de lui? et, bien loin de le reconnaître pour le Messie, n'eussent-ils pas eu sujet de juger qu'il n'était pas même prophète? Mais, par une règle tout opposée, ayant été eux-mêmes témoins de ce qui s'était passé, ayant su la prédiction, l'ayant

 

1 Luc, XVIII, 31-33.

 

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entendue de sa bouche, et la comparant avec le succès où rien n'était omis de tout ce qu'elle contenait, n'avaient-ils pas en cela de quoi les soutenir, de quoi les consoler, et ne devaient-ils pas dire : Voilà justement ce que notre Maître nous avait marqué ; toutes ses paroles étaient véritables, et c'est sans doute l'envoyé de Dieu? Tellement que c'était dans eux une extrême folie et l'aveuglement le plus grossier, de prendre de là même un scandale directement contraire, non-seulement à la foi, mais au bon sens et à la raison.

III. Indépendamment des anciennes prophéties et de ses propres prédictions, il leur fait entendre et leur explique comment il était nécessaire que le Christ souffrit, et que par ses souffrances il entrât dans sa gloire (1). Nécessaire qu'il souffrît, parce qu'il devait satisfaire à Dieu, parce qu'il devait réformer le monde, parce qu'il devait nous donner l'exemple, parce qu'il devait être, en nous servant de modèle, notre règle, notre soutien , notre consolation. Nécessaire que par ses souffrances il entrât dans sa gloire, parce qu'une des .marques de sa divinité devait être de parvenir, par l'humiliation de la croix, à la possession de toute la gloire dont un Dieu est capable. Ce moyen si singulier et si disproportionné ne convenait qu'à Dieu , et surpassait toutes les vues et toutes les forces de l'homme. Démonstration encore plus sensible pour nous et plus touchante que pour les disciples d'Emmaüs, puisque nous voyons dans l'effet ce qu'ils ne faisaient que prévoir dans l'avenir. Jésus-Christ est monté au plus haut des cieux, et, par la voie de la tribulation et de la confusion, il est arrivé au comble de la félicité et de la gloire. Si tout cela ne sert pas à rendre notre foi plus ferme, ne peut-on pas nous dire à nous-mêmes: O hommes aveugles et incrédules (2) !

Quoi qu'il en soit, voilà le caractère de l'incrédulité, qui a été le vice de tous les siècles, et qui n'est encore que trop commune dans ces derniers âges. Combien sur le fait de la religion y a-t-il, jusqu'au milieu du christianisme, de gens incertains et indéterminés? combien y en a-t-il de lents et de tardifs à croire? combien d'ignorants et de grossiers dans les choses de Dieu ? combien même d'absolument impies et libertins? Or, à bien examiner les principes les plus ordinaires qui les font penser, juger, douter,, décider, parler, on trouvera souvent que ce qui altère leur foi, c'est cela même qui devrait l'augmenter; que

 

1 Luc, XXIV, 26. — 2 Ibid. 25.

 

ce qui trouble leur foi, c'est cela même qui devrait la calmer ; que ce qui les détache delà foi, c'est cela même qui devrait les y attacher. Une simple explication des choses, s'ils voulaient l'écouter avec docilité, et déposer pour quelques moments leurs vains préjugés, leur ouvrirait les yeux et leur ferait apercevoir terreur qui les séduit.

Demandons à Dieu le don de la foi : car c'est! un don de Dieu, et l'un des plus grands dons. Conservons-le avec tout le soin possible, et ne nous le laissons pas enlever par des opinions tout humaines, qui n'ont d'autre fondement ni d'autre attrait que leur nouveauté, pour engager les esprits frivoles et remplis d'eux-mêmes. Tenons-nous-en aux prophètes et à l'ancienne doctrine de l'Eglise. Afin d'exciter souvent notre foi et de la réveiller, formons-en de fréquents actes; et s'il nous vient des difficultés, faisons-nous instruire; mais pour l'être, écoutons avec attention, avec soumission, sans obstination. Au contraire, ne prêtons jamais l'oreille à tout ce qui pourrait blesser la foi. Ces sortes de discours sont toujours pernicieux et très-nuisibles à ceux même qui n'y veulent pas déférer. Il est rare que les âmes les plus fidèles n'en remportent pas certaines impressions, qu'elles ont de la peine à effacer, et dont il est aussi difficile de se défaire, qu'il est aisé de les prendre.

Entre tous les articles de notre foi, tâchons surtout à nous bien pénétrer de cette vérité essentielle, qu'il a fallu que Jésus-Christ endurât toutes les ignominies et toutes les douleurs de sa passion, avant que de recevoir la gloire de sa résurrection.  Cette pensée nous préservera d'un double scandale. Car le monde naturellement se révolte contre une religion qui nous propose pour objet de notre culte un Dieu crucifié :   mais plus nous comprendrons ce mystère des souffrances et des humiliations de notre Dieu, plus nous le trouverons adorable. Il y a encore un autre scandale qui n'est que trop commun : c'est d'être surpris de voir sur la terre la plupart des gens de bien dans l'affliction, et en particulier de nous y voir nous-mêmes ;  mais du  moment que nous aurons une  foi vive  de  l'obligation où était Jésus-Christ même de subir la mort, et la mort de la croix, pour entrer dans une vie éternellement glorieuse, nous nous estimerons heureux d'avoir part à son calice, nous reconnaîtrons en cela une providence et une miséricorde toute spéciale sur nous ; nous nous confondrons des plaintes et des   murmures      nous  nous

 

205

 

sommes portés; et nous appliquant les paroles du Fils de Dieu, nous nous écrierons : O infidèles et insensés ! ne fallait-il pas que le Christ lui-même souffrit, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (1) ?

§ II. Comment Jésus-Christ ranime l'espérance des deux disciples.

 

La foi des deux disciples étant devenue si bible et si chancelante, c'était une conséquence nécessaire que leur espérance s'affaiblit à proportion. Ils avaient espéré en Jésus-Christ; mais on peut dire qu'ils n'espéraient plus, ou qu'ils n'espéraient qu'imparfaitement. Ils avaient espéré, comme ils le témoignent eux-mêmes: Nous espérions (2); mais ils n'espéraient plus, ou ils n'espéraient qu'imparfaitement ; car si leur espérance eut toujours été la même, ils n'eussent pas dit seulement : Nous espérions ; mais ils auraient ajouté : Nous espérons encore, et nous sommes sûrs que notre attente ne sera point trompée. Ce n'est plus là leur disposition : Pourquoi? parce qu'il y avait deux erreurs dans leur espérance, l'une par rapport au fond, et l'autre par rapport au temps.

I. Erreur par rapport au fond. Ils espéraient que Jésus-Christ rétablirait le royaume temporel d'Israël, qu'il délivrerait les Juifs de la servitude où ils étaient réduits; qu'il remettrait toute la nation dans la gloire et dans l'éclat où ils avaient été ; qu'il les comblerait de prospérités, et les rendrait puissants dans le monde : voilà ce qu'ils avaient conçu,  et ce qu'ils s'étaient promis de lui. Or, en cela leur espérance Mail une espérance mondaine et toute terrestre. Espérance qui n'avait point Dieu pour objet, qui ne s'élevait point au-dessus de l'homme, qui n'allait point au solide bonheur ; mais qui l’attachait à des biens périssables, au lieu de chercher  avant toutes choses le royaume de Dieu et sa justice. Espérance qui tenait encore du judaïsme, et n'avait rien de la loi de grâce. le sorte qu'ils étaient par là semblables à ces Israélites qui avaient soupiré après les oignons d'Egypte, qui avaient méprisé la manne du ciel, et s'étaient dégoûtés des viandes délicates que bien leur préparait dans le désert. Espérance qui les rendait tout charnels, comme ces anciens Juifs, au goût desquels Dieu s'était accommodé , ne leur promettant que la fertilité le leurs moissons, que l'abondance du blé et du vin, que la défaite de leurs ennemis, en un mot, que des avantages humains. Mais parieuse tout, espérance fausse et erronée : car

 

1 Luc.., XXIV, 26. — 2 Ibid., 21.

 

Jésus-Christ leur avait fait expressément entendre que son royaume ne serait pas de ce monde. Il devait les délivrer, mais de leurs péchés , et non point de la servitude des hommes. Il ne s'était point engagé à les rendre heureux dans la vie, puisque au contraire il leur avait dit : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il porte sa croix, et qu'il me suive (1). Dieu loin de leur promettre des prospérités sur la terre, il ne leur avait annoncé que des souffrances. En quoi donc consistait leur erreur? En ce qu'ils confondaient les choses , interprétant d'un royaume temporel et visible ce qui n'était vrai que d'un royaume spirituel et intérieur, et ne comprenant pas ta nature des biens que la venue de Jésus-Christ et sa mission leur devaient procurer.

N'est-ce pas là ce qui nous arrive à nous-mêmes? Nous espérons en Dieu, mais si nous nous consultons bien, et si nous démêlons bien les vrais sentiments de notre cœur, nous trouverons que nous n'espérons en Dieu que dans la vue des biens de cette vie, que dans la vue d'une fortune passagère , que dans la vue de mille choses que nous attendons de lui, mais qui n'ont nul rapport à lui. Nous espérons en Dieu : mais nous ne l'espérons pas lui-même, ou du moins nous ne l'espérons pas lui-même préférablement à tout ; et loin d'espérer en lui de la sorte, nous le faisons servir indignement à nos espérances mondaines, n'espérant en lui que pour satisfaire nos désirs corrompus, et pour venir à bout de nos plus injustes prétentions.

De là vient que, quand nous voyons ces espérances frustrées, nous commençons à perdre confiance en Dieu , et que nous disons comme les disciples d'Emmaüs : Nous espérions. J'espérais que servant Dieu avec quelque fidélité, il aurait soin de moi, qu'il m'assisterait, qu'il me protégerait, qu'il me délivrerait de la persécution de mes ennemis. J'espérais qu'ayant recours à lui, il écouterait mes prières , il seconderait mes desseins, il bénirait mes entreprises : mais rien de tout cela ; et après tant de vœux, je me trouve encore dans le même état. Au lieu de dire : J'espérais que , m'attachant à Dieu, je recevrais de lui de puissants secours pour opérer mon salut et pour acquérir les vertus ; j'espérais, ou qu'il écarterait de moi les tentations qui m'attaquent, ou qu'il m'aiderait à les surmonter (espérances solides, espérances infaillibles, puisqu'elles sont fondées sur la parole de Jésus-Christ) ; au lieu, dis-je,

 

1 Matth., XVI, 24.

 

206

 

de parler ainsi, on tient dans le secret du cœur un langage tout contraire : J'espérais qu'en prenant le parti de la piété , je passerais des jours tranquilles, et à couvert des orages du siècle ; j'espérais y avoir plus de douceurs et plus d'agréments. Nous espérions : marque donc que nous n'espérons plus : et pourquoi ? parce que nous espérions mal, c'est-à-dire que nous n'avions qu'une espérance trompeuse et mal conçue.

Non, mes Frères, dit saint Augustin, qu'aucun de nous ne se promette une félicité temporelle parce qu'il est chrétien. Jésus-Christ ne nous a point admis parmi ses disciples à cette condition. Quand un soldat s'enrôle dans une milice, on ne lui dit point qu'il vivra bien à son aise, qu'il sera bien traité, bien logé, bien couché ; mais on l'avertit qu'il faut agir, fatiguer, s'exposer ; et comme il s'y attend, il n'est point étonné des marches pénibles qu'on lui fait faire, ni des périls où on l'engage. Nous sommes les soldats de Jésus-Christ : ce divin conquérant des âmes nous a enrôlés dans sa sainte milice, non pas pour amasser des richesses, non pas pour parvenir à de hauts rangs ni pour être grands selon le monde, non pas pour jouir de toutes nos commodités, mais pour nous sanctifier, mais pour détruire dans nous le péché , mais pour combattre nos vices et nos passions, mais pour avoir part à ses souffrances et à ses humiliations. Il est vrai qu'il nous a en même temps promis un bonheur et une récompense; mais ce bonheur et cette récompense , non plus que son royaume, ne sont pas de ce monde. Voilà ce qu'il nous a cent fois répété dans son Evangile, et sur quoi nous avons dû compter. Par conséquent, quoi que nous ayons à soutenir de fâcheux selon la nature et dans la vie présente , nous n'en devons point être surpris ni déconcertés; et c'est même ce qui doit donner à notre espérance un nouvel accroissement et un nouveau degré de fermeté.

II. Une autre erreur des deux disciples fui à l'égard du temps. Le Fils de Dieu leur avait prédit qu'il ressusciterait le troisième jour ; ce troisième jour n'était pas encore passé, et ils ne laissent pas de témoigner déjà leur impatience : Nous voici, disent-ils, au troisième jour que toutes ces choses sont arrivées, sans que nous ayons rien vu (1). Ce n'est pas , ajoutent-ils, que quelques femmes n'aient été avant le jour au sépulcre, et qu'elles ne nous aient rapporté que le corps n'y était plus. Quelques-

 

1 Luc, XXIV, 21.

 

uns de nous y sont aussi allés, et oui en effet  trouvé les choses comme les femmes les avaient dites. Tout cela devait relever leur espérance, et les conforter : mais leur empressement l'emporte surtout cela, et au lieu d'attendre en paix et avec persévérance, ils s'inquiètent et se découragent.

Telle est encore la disposition de la plupart des chrétiens. Nous espérons en Dieu; mais nous ne savons ce que c'est que d'attendre avec tranquillité et en repos l'accomplissement des promesses de Dieu. Nous voulons que Dieu nous exauce tout d'un coup. Nous nous lassons de lui demander si souvent et si longtemps, et le moindre délai nous rebute: connue si la persévérance n'était pas une condition nécessaire de la prière pour obtenir les grâces du ciel, comme si ces grâces divines ne valaient pas bien celles que nous attendons de la part du monde, et que nous sommes si constants à poursuivre et à rechercher; comme si Dieu n'était pas le maître de ses dons, et que cène fût pas à lui de juger en quel temps et en quelles conjonctures il est à propos de les répandre sur nous.

Confions-nous en la bonté de notre Dieu, et laissons agir sa providence, sans entreprendre de lui prescrire aucun terme. S'il tarde à nous répondre,  demeurons en patience, et réprimons   les   mouvements  précipités de notre cœur. Voilà le grand principe, et en quoi nous devons au moins imiter la conduite de Dieu même à notre égard. Nous nous plaignons qu'il y a tant d'années que nous lui demandons telle grâce, et que nous ne l'avons pu encore obtenir; mais lui-même, combien y a-t-il d'années qu'il nous sollicite, qu'il nous appelle, qu'il nous presse intérieurement de renoncer à cette passion, de lui sacrifier cette inclination, de nous défaire de cette habitude, de changer de vie, et de travailler aune sainte réformation de nos mœurs? combien de fois s'est-il fait entendre là-dessus au  fond de notre âme, et combien de fois nous a-t-il fait entendre la voix et les exhortations  de   ses   ministres? Lui avons-nous accordé ce qu'il voulait de nous? n'avons-nous  point différé? ne différons-nous pas tous les jours? et néanmoins se rebute-t-il ? cesse-t-il  ses   poursuites ? nous! abandonne-t-il à nous-mêmes? ne devrait-il pas être  plus  fatigué  de  nos   retardements. que nous des siens? Car enfin les siens ne fendent, selon les vues de sa sagesse, qu'à notre bien et à notre salut ; mais les nôtres, par une obstination opiniâtre et presque insurmontable, ne

 

207

 

vont qu'à le déshonorer et à nous perdre. Réglons-nous sur ce modèle. Soyons patients entera Dieu, comme il l'est envers nous. Dès que Doua persévérerons, il n'y a rien que nous ne puissions espérer de sa miséricorde.

 

§ III. Comment Jésus-Christ rallume la charité des deux disciples.

 

De l'affaiblissement de la foi et de l'espérance, suit enfin le relâchement de la charité. Os deux disciples avaient aimé Jésus-Christ; c'était à eux, comme aux  autres, que   cet Homme-Dieu avait dit: Mon Père vous aime, parce que vous m'aimez (1). Ils avaient dans les rencontres montré du zèle pour ce Dieu Sauveur : mais ce zèle, autrefois si ardent, paraissait tout refroidi. Ils étaient tristes : cette tristesse n'était qu'un dégoût qui leur avait pris de son service, qu'un chagrin secret de s'être engagés aie suivre, qu'une sécheresse de cœur, qu'un abattement d'esprit; et rien de plus opposé qu'une pareille désolation a la ferveur de l'amour de Dieu et de la piété chrétienne. Etat malheureux, quand on ne prend pas soin de s’en relever, qu'on ne fait nul effort pour cela. L'on y succombe lâchement, et l'on quitte tout. Etat dangereux pour les âmes faibles, et peu expérimentées dans les choses de Dieu : c'est la tentation la plus commune et la plus forte dont se sert le démon pour attaquer les personnes qui commencent à marcher dans la voie du salut, et pour les renverser. Etat pénible pour une âme fidèle qui veut s'y soutenir ; mais aussi état d'un très-grand mérite pour elle, braque, L'envisageant comme une épreuve, et l'estimant heureuse d'avoir cette occasion de marquer a Dieu son attachement inviolable, elle porte avec courage toutes les aridités, tous les ennuis, et avance toujours du même pas et avec la même résolution.

Comment le Fils de Dieu ranime-t-il ses disciples affligés et tout abattus? comment rallume-t-il dans leur cœur le feu de son amour? En trois manières et par trois moyens.

I. Par ses discours. Il se joint à eux, il se mêle dans leur conversation, il s'accommode à leur disposition présente, il se fait voyageur comme eux, et marche au milieu d'eux ; il leur parle, il les interroge, il leur répond. Cependant sa grâce agit secrètement, il s'insinue peu a peu dans leurs esprits. Autant de paroles qu'il prononce, ce sont autant de traits enflammés qui les touchent, qui les percent, qui les brûlent d'une ardeur toute nouvelle. C'est

 

1 Joan., XVI, 27.

 

ce qu'ils témoignèrent bien dans la suite, quand ils vinrent à le reconnaître : Que ne sentions-nous pas ? se disaient-ils l'un à l'autre, et dans quels transports étions-nous, pendant qu'il nous entretenait (1) ? Ainsi se vérifia ce qu'avait dit à Dieu le Prophète royal : Votre parole, Seigneur, est une parole de feu, et du feu le plus vif et le plus pénétrant (2). Ainsi ces deux disciples éprouvèrent-ils par avance ce que tous les saints depuis eux ont éprouvé, et ce que nous a si bien marqué l'un des hommes les plus versés dans la vie intérieure (3), lorsqu'il nous représente les douceurs que goûte une âme en s'entretenant avec Dieu. Il n'y a point de peine si amère qui ne s'adoucisse dans ces communications divines, ni d'ennui qui n'y trouve son soulagement et sa consolation.

II.  Par la pratique des bonnes œuvres. Quand ils sont arrivés au bourg d'Emmaüs, Jésus-Christ fait semblant de vouloir passer outre et aller plus loin, et par là il leur présente une occasion d'exercer envers lui l'hospitalité. Ils l'exercent en effet : ils le pressent de demeurer avec eux ; ils lui remontrent qu'il est déjà tard, et que le jour commence à tomber. Parce qu'il ne se rend pas d'abord, ils lui font de nouvelles instances, et ils vont même jusqu'à lui faire une espèce de violence, tant ils souhaitent de le retenir. Il ne s'était pas encore fait connaître à eux; ils ne le regardaient que comme un voyageur, et ce ne fut pas sans une providence particulière de cet Homme-Dieu, qui voulait épurer leur charité, et qu'elle en devînt plus méritoire. Car s'ils l'eussent connu pour leur maître, ce n'eût pas été proprement une charité, de l'arrêter; leur seul intérêt les y eût portés. S'il se fût invité de lui-même, ou que sans nulle résistance il eût accepté leur première invitation, leur charité eût encore moins paru. Mais elle éclate tout entière dans l'empressement qu'ils lui témoignent, jusqu'à l'obliger, en quelque sorte malgré lui, de rester. Aussi ne fut-elle pas sans récompense. Lorsqu'il marchait avec eux, remarque saint Grégoire, pape, et qu'il leur expliquait les divines Ecritures, ils ne purent découvrir qui il était; mais dans le repas qu'ils lui avaient offert, et qu'ils firent ensemble, il se déclara enfin, et les combla de joie en se faisant reconnaître.

III.  Par l'usage de la divine Eucharistie. Car ce fut dans la fraction du pain, c'est-à-dire, selon le langage de l'Ecriture, dans la communion, qu'ils reconnurent Jésus-Christ (4). Ils le

 

1 Luc, XXIV, 32. — 2 Psal., CXVIII, 40. — 3 Gerson. — 4 Luc, XXIV, 30.

 

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reconnurent, dis-je, dans cette sainte action, et en le reconnaissant ils se souvinrent de l'amour qui l'avait engagé à instituer pour eux et pour tous les fidèles l'adorable sacrement de son corps. Ce souvenir les toucha, et réveilla dans leurs cœurs les sentiments d'un amour tendre et affectueux. Mais, de plus, ils sentirent dans leur âme les opérations salutaires de ce sacrement de vie et ses admirables effets, dont le premier est le renouvellement de la charité de Dieu, la ferveur de ce divin amour, l'union avec Jésus-Christ. Car il est certain que c'est surtout dans la communion que s'accomplit ce que disait le Sauveur du monde parlant de lui-même : Je suis venu sur la terre pour y répandre le feu (1). Son intention, et le principal dessein qu'il se propose en se donnant à nous dans le sacré mystère est de nous embraser de son amour, d'entretenir dans nous le feu de son amour, de nous attacher éternellement à lui par l'amour. De là ce zèle et cette sainte précipitation des deux disciples, qui tout à coup se lèvent, retournent à Jérusalem, annoncent aux autres disciples la résurrection de leur Maître, protestent hautement qu'ils l'ont vu eux-mêmes, et sont prêts, au péril de leur vie, à en rendre partout témoignage .Or, ce sont ces trois mêmes moyens dont nous devons nous servir pour renouveler en nous la ferveur de notre dévotion et de notre amour envers Dieu. Pourquoi y a-t-il parmi nous tant de chrétiens lâches, tièdes et indifférents, n'ayant nul goût pour le service de Dieu, et ne s'affectionnant à aucun exercice de religion ? En voici les trois raisons les plus communes.

1. De quoi s'entretient-on communément, de quoi parle-t-on? Nos conversations ont-elles ce caractère que demandait saint Paul, c'est-à-dire ressentent-elles la piété? montrent-elles que nous sommes chrétiens? A nous entendre raisonner et discourir pendant des heures entières pourrait-on distinguer quelle foi nous professons? Sont-elles, encore une fois, ces conversations mondaines, telles que les voulait l’Apôtre, quand il disait aux premiers chrétiens : Qu'on n'entende point entre vous des paroles libres, et capables de blesser les oreilles chastes, car ces soi les de discours ne conviennent point à la sainteté de votre vocation ; mais que vos paroles soient des paroles d'actions de grâce. Comme si l'Apôtre leur eût dit : Entretenez-vous souvent des obligations que vous avez à Dieu, des grâces que vous avez reçues de Dieu, des miséricordes dont il vous a prévenus,

 

1 Luc, XII, 49.

 

venus, de la patience avec laquelle il vous a supportés; car voilà de quoi doivent parler les saints. Est-ce ainsi que l'on converse dans le monde? est-ce sur cela que roulent ces longs et fréquents discours où l'on consume les journées et où l'on perd le temps? Encore si l'on n'y perdait que le temps ; mais on y offense le prochain par des railleries piquantes, par des médisances pleines de malignité, quelquefois par de vraies calomnies ; mais du moins on s'y dissipe, et l'on s'y remplit l'imagination de mille idées vaines et toutes profanes, de mille bagatelles et de mille maximes d'autant plus contraires à la religion et au culte de bien, qu'elles sont plus conformes à l'esprit du siècle.

Après cela faut-il s'étonner si nous vivons dans une   si  grande indifférence  et une si grande froideur pour Dieu? Comment l'aimerions-nous de cet amour sensible qu'ont eu les saints, quand on ne pense jamais à lui, qu'on ne parle jamais de lui, qu'on n'en  entend jamais parler,   qu'on évite même ces sortes d'entretiens comme ennuyeux et importuns? Il y aurait bien plus lieu d'être surpris que la ferveur de notre dévotion pût avec cela subsister et ne   pas s'éteindre. Car   voici  l'ordre : comme les mauvais  discours corrompent les bonnes mœurs, aussi les pieux entretiens réforment les mœurs les plus corrompues, et raniment les âmes les plus languissantes. Si donc nous nous trouvons dans cet état de langueur où Dieu, par une juste punition, permet que nous tombions, au lieu de nous épancher là-dessus en des plaintes inutiles, allons au remède, cherchons quelqu'un avec qui nous puissions nous entretenir de Dieu ; formons de saintes liaisons avec les personnes que nous savons être plus attachées à Dieu, et plus disposées à nous parler de Dieu ; rendons-nous assidus à entendre la parole de Dieu, et alors nous sentirons dans le cœur ce que sentirent les disciples d'Emmaüs, et nous nous écrierons comme eux : De quelle ardeur mon âme est-elle embrasée? C'est par là que l'Esprit de Dm se communique ; c'est par là que saint Augustin, selon qu'il le rapporte lui-même dans ses  Confessions, fut intérieurement ému et changé. De l'abondance du cœur la bouche parle ; et à mesure que la bouche parle, le cœur se remplit du sujet qui l'occupe, et sur quoi il s'explique.

2. Outre qu'on ne s'entretient point assez de Dieu, on ne pratique point assez les bonnes œuvres du christianisme et propres de la condition

 

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l'on est engagé. Car de même que la foi est morte sans les œuvres, et que les œuvres, pour ainsi dire, sont l'âme de la foi, de même la charité séparée des œuvres s'amortit, et c'est une illusion de croire qu'on la puisse conserver sans en faire aucun acte. Les bonnes œuvres en sont l'aliment ; et comme le feu s'éteint dès qu'il n'a plus de matière, et qu'il lui en faut sans cesse fournir, si l'on ne donne à la charité sa nourriture, et qu'on la laisse oisive et dépourvue de saintes pratiques, elle se ralentit, et perd bientôt toute sa vertu. On entend dire à tant de personnes qu'ils voudraient avoir plus de dévotion qu'ils n'en ont ; mais comment en auraient ils, ne faisant rien de tout ce qui est nécessaire pour l'exciter? Qu'ils s'adonnent, selon que leur état le permet, aux œuvres de la miséricorde chrétienne ; qu'ils soulagent les pauvres, qu'ils consolent les malades, qu'ils visitent les prisonniers, qu'ils soient bienfaisants envers tout le monde, et ils verront si Dieu, touché de leurs aumônes et de leurs soins officieux à l'égard du prochain, ne répandra pas dans leur esprit de nouvelles lumières qui les éclaireront, et dans leur cœur de nouvelles grâces qui les retireront de l'assoupissement où ils étaient. Mais en vain espérons-nous de telles faveurs de la part de Dieu, tandis que nous mènerons une vie paresseuse et inutile, tandis que nous aurons un cœur dur et insensible aux misères d'autrui, tandis que nous manquerons aux devoirs les plus essentiels de la société humaine.

3. Enfin, on n'approche point assez du sacrement de Jésus-Christ et de sa sainte table, et c'est la dernière cause du refroidissement de la piété et de la charité dans les âmes. Ce divin sacrement est le pain qui doit réparer nos forces et nous soutenir ; c'est le remède qui doit guérir nos maladies spirituelles et nous rétablir; c'est la source de toutes les grâces, et par conséquent de la dévotion. Pourquoi les premiers chrétiens étaient-ils si fervents, et d'où leur venait cette intrépidité, cette joie même et cette allégresse avec laquelle ils couraient au martyre et versaient leur sang pour Dieu ? C'est qu'ils avaient le bonheur de communier tous les jours. Dans la suite des siècles, ce fréquent usage de la communion a été négligé : par cette négligence si pernicieuse, l'iniquité peu à peu a prévalu dans le monde ; et plus l'iniquité s'est accrue, plus la charité s'est relâchée. Il n'y a rien en cette triste décadence que de très-naturel. Si vous refusez au corps les viandes dont il se nourrit, faute de soutien il n'a plus de vigueur, et tombe dans une mortelle défaillance ; et dès que vous ôtez à l'âme cette viande céleste que Jésus-Christ lui a préparée, elle doit devenir, pour m'exprimer de la sorte, toute sèche et tout aride. Voilà de quoi nous n'avons que trop de témoignages. On se contente de communier une fois dans l'année ; du moins on pense en avoir beaucoup fait, si l'on ajoute à cette communion pascale quelques autres communions très-rares et en très-petit nombre. On est bien aise d'avoir des prétextes pour s'éloigner de l'autel du Seigneur, et l'on porte même l'illusion jusqu'à s'en faire un mérite et une vertu. De là dans l'Eglise de Dieu cette désolation presque universelle que nous déplorons, et qui est en effet si déplorable.

Profitons de l'exemple des deux disciples en qui la présence du Fils de Dieu produisit de si heureux changements. Prions ce Dieu Sauveur qu'il nous ressuscite avec lui en ressuscitant notre foi, notre espérance, notre charité ; car c'est en cela que consiste présentement notre résurrection selon l'esprit, et c'est cela même qui nous mettra en état d'obtenir un jour cette résurrection glorieuse selon le corps, laquelle doit être la consommation de la béatitude éternelle des élus. Ainsi soit-il.

 

 

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