TROISIÈME PARTIE

 

La Bergère de Domremy écoutant ses Voix.

Fragments. RÉCRÉATION PIEUSE

 

Moi, Jeanne la bergère,

Je chéris mon troupeau;

Ma houlette est légère

Et j'aime mon fuseau.

 

J'aime la solitude

De ce joli bosquet;

J'ai la douce habitude

D'y venir en secret.

 

J'y tresse une couronne

De belles fleurs des champs;

Je l'offre à la Madone

Avec mes plus doux chants.

 

J'admire la nature,

Les fleurs et les oiseaux;

Du ruisseau qui murmure

Je contemple les eaux.

 

Les vallons, les campagnes

Réjouissent mes yeux;

Le sommet des montagnes

Me rapproche des cieux.

 

J'entends des voix étranges

Qui viennent m'appeler...

Je crois bien que les anges

Doivent ainsi parler.

 

J'interroge l'espace,

Je contemple les cieux;

Je ne vois nulle trace

D'êtres mystérieux.

 

Franchissant le nuage

Qui doit me les voiler,

Au céleste rivage

Que ne puis-je voler !

 

Sainte Catherine et Sainte Marguerite.

Air : L'Ange et l'aime.

 

Aimable enfant, notre douce compagne,

Ta voix si pure a pénétré le ciel,

L'Ange gardien qui toujours t'accompagne

A présenté tes voeux à l'Eternel.

Nous descendons de son céleste empire,

 

Où nous régnons pour une éternité;

C'est par nos voix que Dieu daigne te dire

Sa volonté.

 

Il faut partir pour sauver la patrie,

Garder sa foi, lui conserver l'honneur;

Le Roi des cieux et la Vierge Marie

Sauront toujours rendre ton bras vainqueur.

 

(Jeanne pleure.)

 

Console-toi, Jeanne, sèche tes larmes,

Prête l'oreille et regarde les cieux

Là, tu verras que souffrir a des charmes,

Tu jouiras de chants harmonieux.

Ces doux refrains fortifieront ton âme

Pour le combat qui doit bientôt venir;

Jeanne, il te faut un amour tout de flamme,

Tu dois souffrir!

 

Pour l'âme pure, en la nuit de la terre,

L'unique gloire est de porter la croix;

Un jour au ciel, ce sceptre tout austère

Sera plus beau que le sceptre des rois.

 

Saint Michel.

Air : Partez, hérauts.

 

Je suis Michel, le gardien de la France,

Grand Général au royaume des cieux;

Jusqu'aux enfers j'exerce ma puissance,

Et le démon en est tout envieux.

Jadis aussi, très brillant de lumière,

Satan voulut régner dans le saint lieu ;

Mais je lançai comme un bruit de tonnerre

Ces mots : « Qui peut égaler Dieu ? »

 

Au même instant la divine vengeance,

Creusant l'abîme, y plongea Lucifer;

Car pour l'ange orgueilleux il n'est point de clémence,

Il mérite l'enfer.

 

Oui, c'est l'orgueil qui, renversant cet ange,

De Lucifer a fait un réprouvé

Plus tard aussi, l'homme chercha la fange,

Mais de secours il ne fut pas privé.

C'est l'Eternel, le Verbe égal au Père,

Qui, revêtant la pauvre humanité,

Régénéra son oeuvre tout entière

Par sa profonde humilité.

 

Ce même Dieu daigne sauver la France;

Mais ce n'est pas par un grand conquérant.

Il rejette l'orgueil et prend de préférence

Un faible bras d'enfant.

 

Jeanne, c'est toi que le ciel a choisie,

Il faut partir pour répondre à sa voix;

Il faut quitter tes agneaux, ta prairie,

Ce frais vallon, la campagne et les bois.

Arme ton bras ! vole et sauve la France !

Va... ne crains rien, méprise le danger;

Va ! je saurai couronner ta vaillance,

Et tu chasseras l'étranger.

 

Prends cette épée et la porte à la guerre;

Depuis longtemps Dieu la gardait pour toi

Prends pour ton étendard une blanche bannière,

Et va trouver le roi...

 

Jeanne seule.

Air : La plainte du Mousse.

 

Pour vous seul, ô mon Dieu, je quitterai mon père,

Tous mes parents chéris et mon clocher si beau.

Pour vous je vais partir et combattre à la guerre,

Pour vous je vais laisser mon vallon, mon troupeau.

Au lieu de mes agneaux je conduirai l’armée...

Je vous donne ma joie et mes dix-huit printemps !

Pour vous plaire, Seigneur, je manierai l’épée,

Au lieu de me jouer avec les fleurs des champs.

Ma voix, qui se mêlait au souffle de la brise,

Doit bientôt retentir jusqu'au sein du combat;

Au lieu du son rêveur d'une cloche indécise,

J'entendrai le grand bruit d'un peuple qui se bat !

Je désire la croix, j'aime le sacrifice

Ah ! daignez m'appeler, je suis prête à souffrir.

Souffrir pour votre amour, ô Maître, c'est délice!

Jésus, mon Bien-Aimé, pour vous je veux mourir:..

 

 

Saint Michel.

Air : Les Rameaux (de FAURE).

 

Il en est temps, Jeanne, tu dois partir.

C'est le Seigneur qui t'arme pour la guerre;

Fille de Dieu, ne crains pas de mourir,

Bientôt viendra l'éternelle lumière !

Sainte Marguerite.

O douce enfant, tu-régneras.

 

Sainte Catherine.

Tu suivras de l'Agneau la trace virginale...

 

Les deux Saintes ensemble.

 

Comme nous tu chanteras

Du Dieu Très-Haut, la puissance royale.

 

Saint Michel.

 

Jeanne, ton nom est écrit dans les cieux,

Avec les noms des sauveurs de la France;

Tu brilleras d'un éclat merveilleux,

Comme une reine en sa magnificence.

Les saintes offrant à Jeanne la palme et la couronne.

Avec bonheur nous contemplons

Ce reflet qui déjà sur ta tète rayonne,

Et du ciel nous t'apportons

 

Sainte Catherine.

 

La palme du martyre

 

Sainte Marguerite.

 

Et la couronne.

 

Saint Michel, présentant l'épée.

 

Il faut combattre avant d'être vainqueur;

Non, pas encor la palme et la couronne!

Mérite-les dans les champs de l'honneur;

Jeanne, entends-tu le canon qui résonne ?

 

Les Saintes ensemble.

 

Dans les combats nous te suivrons,

Nous te ferons toujours remporter la victoire,

Et bientôt nous poserons

Sur ton front pur l'auréole de gloire.

 

Jeanne seule.

 

Avec vous, saintes bien-aimées,

Je ne craindrai pas le danger ;

Je prierai le Dieu des armées,

Et je chasserai l’étranger.

J'aime la France, ma patrie;

Je veux lui conserver la foi,

Je lui sacrifierai ma vie

Et je combattrai pour mon roi.

Non, je ne crains pas de mourir,

C'est l'éternité que j'espère.

Maintenant qu'il me faut partir,

O mon Dieu, consolez ma mère...

Saint Michel, daignez me bénir !

 

Saint Michel.

 

J'entends déjà tous les élus du ciel

Chanter joyeux en écoutant la lyre

Du Pape-Roi, du Pontife immortel

Appelant Jeanne une sainte Martyre.

 

J'entends l'univers proclamer

Les vertus de l'enfant qui fut humble et pieuse ;

Et je vois Dieu confirmer

Le beau nom de Jeanne la Bienheureuse!

En ces grands jours la France souffrira,

L'impiété souillera son enceinte ;

De Jeanne, alors, la gloire brillera

Toute âme pure invoquera la Sainte.

Des voix monteront vers les cieux,

S'harmonisant en choeur, vibrantes d'espérance

Jeanne d'Arc, entends nos voeux;

Une seconde fois, sauve la France !

 

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