Traité
du Purgatoire
sainte
Catherine de Gênes
Dans la biographie de 1520 comme dans l'édition de 1551, le chapitre ou traité
du purgatoire est donné en bloc, sans divisions ni sous-titres.
Les éditions suivantes ont introduit
une division en chapitres. La division suivie généralement est en dix-sept
chapitres numérotés et dotés chacun d'un titre ou sommaire.
En 1929, Valeriano da Finalmaria,
capucin, publia une nouvelle édition faite directement sur l'édition de 1551.
Il la divisa en dix-neuf sections numérotées, non compté le prologue, et il
leur donna de nouveaux sommaires.
La traduction ci-après suit le texte
et les divisions du P. Valeriano.
Plan
0. Comment,
par comparaison avec le feu divin qu'elle ressentait au-dedans d'elle-même,
elle comprenait ce qu'était le purgatoire, et comment les âmes s'y trouvent
contentes et souffrantes
1. Parfaite conformité des âmes du purgatoire à la volonté
de Dieu
2. Joie des âmes du purgatoire Leur croissante vision de
Dieu, la raison de la rouille
3. Souffrance des âmes du purgatoire, la séparation d'avec
Dieu est leur plus grande peine
4. Différence entre les damnés et les âmes du purgatoire
5. Dieu montre sa bonté même envers les damnés
6. Purifiées du péché, c'est avec joie que les âmes du
purgatoire s'acquittent de leurs peines
7. De quel violent amour les âmes du purgatoire aspirent à
jouir de Dieu
Exemple du pain et de l'affamé
8. L'enfer et le purgatoire font connaître l'admirable
sagesse de Dieu
9. Nécessité du purgatoire
10. Comme le purgatoire est chose terrible
11. L'amour de Dieu qui attire les âmes saintes et l'empêchement
qu'elles trouvent dans le péché sont les causes des tourments du purgatoire
12. Comment Dieu purifie les âmes Exemple de l'or dans le creuset
13. Les âmes ont un désir ardent de se transformer en Dieu
Sagesse de Dieu qui leur tient
cachées leurs imperfections
14. Joie et douleur de l'âme du purgatoire
15. Les âmes du purgatoire sont hors d'état de pouvoir mériter
encore
Comment leur volonté est disposée à l'égard des bonnes oeuvres
offertes ici-bas en suffrage pour elles
16. Ces âmes veulent être pleinement purifiées
17. Exhortations et reproches aux vivants
18. Au purgatoire, les âmes souffrent volontiers et dans la joie
19. La sainte conclut son exposé sur les âmes du purgatoire en
leur attribuant ce qu'elle ressent dans son âme
Comment, par
comparaison avec le feu divin qu'elle ressentait au-dedans d'elle-même, elle
comprenait ce qu'était le purgatoire, et comment les âmes s'y trouvent
contentes et souffrantes
Cette sainte âme encore dans sa
chair se trouva établie dans le purgatoire du brûlant amour de Dieu. Il la
brûlait toute et la purifiait de ce qu'elle avait à purifier, de façon qu'au
sortir de cette vie elle pût être présentée au regard de Dieu son doux amour.
Par le moyen de ce brûlant amour,
elle comprenait en elle-même dans quel état se trouvent au purgatoire les âmes
des fidèles pour purifier toute espèce de rouille et de tache du péché non
encore effacée durant cette vie.
Elle-mêrne, établie au purgatoire
du feu divin d'amour, se tenait unie à son divin amour, satisfaite de tout ce
qu'il opérait en elle; comprenant qu'il en était ainsi des âmes qui sont au
purgatoire, elle disait:
1. Parfaite conformité des
âmes du purgatoire à la volonté de Dieu
Les âmes qui sont au purgatoire,
à ce que je crois comprendre, ne peuvent avoir d'autre choix que d'être en ce
lieu puisque telle est la volonté de Dieu qui dans sa justice l'a ainsi décidé.
Elles ne peuvent pas davantage se retourner sur elles-mêmes. Elles ne peuvent
dire: j'ai fait tels péchés et c'est à cause d'eux que je mérite de me trouver
ici. Il ne leur est pas possible de dire: je voudrais ne pas avoir fait tels
péchés, parce qu'ainsi j'irais tout de suite en paradis. Pas davantage:
celui-ci sortira d'ici avant moi. Ni dire: "j'en sortirai avant lui."
Elles sont incapables d'avoir ni
d'elles-mêmes ni des autres aucun souvenir, ni en bien ni en mal, qui puisse
augmenter leur souffrance. Elles ont, au contraire, un tel contentement d'être
établies dans la condition voulue par Dieu et que Dieu accomplisse en elles
tout ce qu'il veut, comme il le veut, qu'elles ne peuvent penser à elles-mêmes
ni en ressentir quelque accroissement de peine.
Elles ne voient qu'une chose, la bonté divine qui travaille en elles, cette
miséricorde qui s'excerce sur l'homme pour le ramener à Dieu. En conséquence,
ni bien ni mal qui leur arrive à elles-mêmes ne peut attirer leur regard. Si
ces âmes pouvaient en prendre conscience, elles ne seraient plus dans la pure
charité.
Elles ne peuvent non plus
considérer qu'elles sont dans ces peines à cause de leurs péchés, cette idée ,
n'entre pas dans leur esprit. Ce serait en effet, une imperfection en acte,
chose qui ne peut exister en ce lieu où il est impossible de commettre un
péché. Pourquoi elles sont en purgatoire, cette cause qui est en elles, il ne
leur est donné de la voir qu'une seule fois, au moment qu'elles sortent de
cette vie, et dans la suite ne la voient plus jamais. Autrement, ce regard
serait un retour sur soi.
Etant donc établies en charité et
n'en pouvant plus dévier par un acte défectueux, elles sont rendues incapables
de rien vouloir de rien désirer hormis le pur voùloir de la pure charité.
Placées dans ce feu purifiant, elles y sont dans l'ordre voulu par Dieu. Cette
disposition divine est pur amour; elles ne peuvent s'en écarter en rien, parce
qu'elles sont incapables de commettre un péché, comme aussi de faire un acte
méritoire.
2. Joie des âmes
du purgatoire Leur croissante vision de Dieu, la raison de la rouille
Je ne crois pas qu'il puisse se
trouver un contentement comparable à celui d'une âme du purgatoire, à
l'exception de celui des saints en paradis. Chaque jour s'accroît ce
contentement par l'action de Dieu en ces âmes, action qui va croissant comme va
se consumant ce qui empêche cette action divine. Cet empêchement, c'est la
rouille du péché.
[La rouille n'est pas un reste de péché, une disposition mauvaise de la
volonté qui serait l'effet en l'âme des péchés qu'elle a commis durant sa vie
terrestre; c'est une souillure de l'âme, un manque de perfection, suite des
péchés d'autrefois, dont la volonté s'est totalement détachée au moment de la
mort.]
Le feu consume progressivement
cette rouille et ainsi l'âme se découvre de plus en plus à l'influx divin.
De même un objet qu'on aurait
recouvert ne peut correspondre à l'éclat du soleil, non point parce que le
soleil serait insuffisant, lui qui continue de briller, mais par l'empêchement
de ce qui recouvre l'objet. Que vienne à se consumer l'obstacle qui fait écran,
l'objet se découvrira à l'action du soleil; il la subira de plus en plus à
mesure que l'obstacle diminuera.
Ainsi la rouille du péché est ce qui recouvre l'âme.
Au purgatoire cette rouille est consumée par le feu. Plus elle se consume, plus
aussi l'âme s'expose au vrai soleil, à Dieu. Sa joie augmente à mesure que la
rouille disparaît et que l'âme s'expose au rayon divin. Ainsi l'une croît et
l'autre diminue jusqu'à ce que le temps soit accompli. Ce n'est pas la
souffrance qui diminue, c'est uniquement le temps de rester dans cette peine.
Quant à la volonté, ces âmes ne peuvent jamais dire que ces peines soient des
peines, tant elles sont satisfaites des dispositions divines auxquelles leur
volonté est unie par pure charité.
3. Souffrance
des âmes du purgatoire, la séparation d'avec Dieu est leur plus grande peine
D'autre part, la peine qu'elles
subissent est si extrême qu'il n'est aucune langue qui puisse l'exprimer ni
aucune intelligence qui puisse en saisir la moindre étincelle si Dieu ne la lui
découvre par une grâce toute spéciale.
Cette étincelle, Dieu fit à cette
âme la grâce de la lui faire voir, mais je ne puis l'exprimer par la langue.
Cette connaissance que Dieu m'a fait voir n'est jamais sortie de mon esprit.
J'en dirai ce que je pourrai et ceux-là comprendront à qui le Seigneur daignera
ouvrir l'entendement.
La source de toutes les
souffrances est le péché, soit originel, soit actuel. Dieu a créé l'âme toute
pure et toute simple, sans aucune tache de péché et avec un instinct béatifique
qui la porte vers lui.
De cet instinct, le péché
originel en quoi elle se trouve, la détourne. Le péché actuel, quand il s'y
ajoute, l'en détourne plus encore. Plus elle s'en éloigne, plus elle devient
mauvaise, puisque Dieu de moins en moins s'accorde avec elle.
Tout ce qu'il peut y avoir de bon
dans les créatures n'existe que par la communication que Dieu en fait. Aux
créatures non raisonnables, Dieu en fait part selon ses desseins et il ne leur
fait jamais défaut.
A la créature raisonnable, à
l'âme, il correspond plus ou moins dans la mesure où il la trouve purifiée de
l'empêchement du péché. Existe-t-il une âme qui revienne à la première pureté
de sa création, l'instinct du bonheur se découvre en elle et s'accroît aussitôt
avec une telle véhémence, une telle ardeur de charité l'entraînant vers sa fin
dernière, que c'est pour elle chose insupportable d'en être écartée. Plus elle
en a la conscience, plus extrême est son tourment.
4. Différence entre les damnés
et les âmes du purgatoire
Les âmes qui sont au purgatoire
se trouvent sans la coulpe du péché. En conséquence, il n'y a pas d'obstace
entre Dieu et elles, hors cette peine qui les retarde et qui consiste en ce que
leur instinct béatifique n'a pas atteint sa pleine perfection.
Voyant en toute certitude combien
importe le moindre empêchement, voyant que la justice exige que leur attrait
soit retardé, il leur naît au coeur un feu d'une violence extrême, qui
ressemble à celui de l'enfer. Il y a la différence du péché qui rend mauvaise
la volonté des damnés de l'enfer; à ceux- ci Dieu ne fait point part de sa
bonté. Ils demeurent dans cette malice désespérée, opposée à la volonté de
Dieu.
On voit par là que cette
opposition de la volonté mauvaise à la volonté de Dieu est cela même qui
constitue le péché. Comme leur volonté s'obstine dans le mal, le péché aussi se
maintient.
Ceux de l'enfer sont sortis de
cette vie avec leur volonté mauvaise. Aussi leur péché n'est pas remis et ne
peut l'être, parce qu'ils ne peuvent plus changer de volonté, une fois qu'ils
sont sortis ainsi disposés de cette vie.
En ce passage l'âme s'établit
définitivement dans le bien ou dans le mal, selon qu'elle s'y trouve par sa
volonté délibérée, conformément à ce qui est écrit: « Là où je te trouverai,
c'est-à-dire au moment de la mort, avec cette volonté ou du péché ou de rejet
et de regret du péché, là je te jugerai.» [Ce texte n'est pas dans l'Ecriture
Sainte; ce pourrait être une accommodation d'Ezéchiel, 24,14.]
Ce jugement est sans rémission
puisque après la mort la liberté du libre vouloir n'est plus sujette au
changement. Elle reste fixée dans la disposition où elle se trouvait au moment
de la mort.
Ceux de l'enfer, pour s'être
trouvés à ce moment avec la volonté de pécher, portent sur eux la coulpe et la
peine. La coulpe est infinie; la peine n'est pas aussi grave qu'ils l'ont
méritée, mais ils la porteront sans fin.
Au contraire, ceux du purgatoire
ont seulement la peine, puisque le péché fut effacé au moment de la mort, car
ils étaient contrits de leurs fautes et se repentaient d'avoir offensé la bonté
de Dieu. Aussi leur peine aura sa fin, elle va diminuant sans cesse dans le
temps, comme il a été dit.
O misère au-delà de toute misère
et d'autant plus lamentable que les hommes aveugles n'y pensent pas !
5. Dieu montre sa bonté même
envers les damnés
Ce châtiment des damnés n'est pas
infini en quantité. La raison en est que la douce bonté divine étend le rayon
de sa miséricorde jusqu'en enfer.
En effet, l'homme décédé en état
de péché mortel mérite un châtiment infini et pour un temps infini. Mais la miséricorde
de Dieu a disposé que seul le temps serait sans fin, et les peines limitées en
quantité. En toute justice il aurait pu leur infliger une peine plus grande
qu'il ne fait.
Oh! quel est le danger du péché
commis par mauvais vouloir! C'est à grand-peine que l'homme s'en repent, et
tant qu'il n'en a pas de repentir, le péché demeure et ce péché continue aussi
longtemps que l'homme reste dans la volonté du péché qu'il a commis ou dans
celle de le commettre.
6. Purifiées du
péché, c'est avec joie que les âmes du purgatoire s'acquittent de leurs peines
Mais les âmes du purgatoire
tiennent leur volonté en tout conforme à celle de Dieu. En conséquence, Dieu
s'accorde avec elles dans sa bonté et elles demeurent contentes (quant à leur
volonté) et purifiées de la coulpe du péché actuel.
Ces âmes sont rendues aussi pures
que Dieu les a créées. Quand elles sortent de cette vie contrites de tous les
péchés qu'elles ont commis, les ayant confessés et animées de la volonté de ne
plus les commettre, Dieu les absout aussitôt de leur coulpe et il ne reste plus
en elles que la rouille du péché. Elles s'en purifient ensuite dans le feu par
la souffrance.
Ainsi purifiées de toute coulpe
et unies à Dieu par leur volonté, elles voient Dieu clairement, selon le degré
de connaissance qu'il leur accorde, elles voient aussi de quelle valeur
il est de jouir de Dieu et que les âmes sont créées précisément pour cela.
7. De quel
violent amour les âmes du purgatoire aspirent à jouir de Dieu
Exemple du pain et de l'affamé
Elles éprouvent de plus en plus
une conformité si unifiante à leur Dieu, cette conformité les tire vers lui
avec une si grande force par l'instinct de nature qui existe entre Dieu et
l'âme qu'on ne peut donner aucun raisonnement, aucune comparaison, aucun
exemple qui puisse expliquer assez cette chose au degré où l'âme la ressent
dans son opération en elle et par son expérience intime. J'en donnerai
cependant un exemple qui se présente à mon esprit.
Supposons qu'il n'y eût dans le
monde entier qu'un seul pain pour enlever la faim à toute créature; supposons
de plus que rien qu'à voir ce pain les hommes en seraient rassasiés.
Etant donné que l'homme, à moins
d'être malade, a l'instinct naturel de manger, s'il vient à ne plus manger,
tout en étant préservé de maladie et de mort, sa faim grandirait
continuellement puisque son instinct de manger ne diminuerait jamais.
Il sait que ce pain est seul
capable de le rassasier; s'il ne peut l'avoir sa faim ne s'en ira pas, il
restera dans un tourment intolérable. Plus il s'en approche sans arriver
cependant à le voir, plus aussi s'allume le désir naturel que son instinct
ramasse tout entier sur le pain en quoi se trouve tout contentement.
S'il savait avec certitude que
jamais il ne lui sera donné de voir ce pain, à ce moment l'enfer s'accomplirait
pour lui; il serait dans l'état des âmes damnées qui sont privées de toute
espérance d'arriver jamais à voir le pain qui est Dieu leur vrai Sauveur.
Mais les âmes du purgatoire ont
l'espérance de contempler le pain et de s'en rassasier pleinement. Par suite,
elles souffrent la faim et restent dans leur tourment aussi longtemps qu'elles
sont retenues de se rassasier de ce pain, Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur,
notre Amour.
8. L'enfer et le
purgatoire font connaître l'admirable sagesse de Dieu
De même que l'esprit net et
purifié ne se connaît aucun lieu de repos sinon Dieu même puisqu'il a été créé
à cette fin, de même l'âme pécheresse n'a de place nulle part sinon en enfer
puisque Dieu le lui a destiné pour sa fin.
C'est pourquoi au moment même où
l'esprit est séparé du corps, l'âme se rend au lieu qui lui est destiné, sans
autre guide que la nature même de son péché, au cas où l'âme se détache du
corps en état de péché mortel.
Si l'âme ne trouvait pas à ce
moment même cette destination qui procède de la justice divine, elle serait
dans un enfer pire que l'enfer même. La raison en est que l'âme se trouverait
hors de cette disposition divine qui n'est pas sans une part de miséricorde,
puisque la peine infligée n' est pas aussi grande qu'elle le mérite. Aussi
l'âme, ne trouvant aucun lieu qui lui convienne davantage, ni lui soit moins
douloureux, Dieu l'ayant disposé ainsi, elle se jette d'elle-même en enfer
puisque c'est sa place.
Il en est de même du purgatoire
dont nous parlons. Séparée du corps, l'âme qui ne se trouve pas dans cette
netteté dans laquelle Dieu l'a créée, voyant en elle l'obstacle qui la retient
et sachant qu'il ne peut être enlevé que par le moyen du purgatoire, elle s'y
jette aussitôt et de grand coeur.
Si elle ne découvrait ce moyen
disposé par Dieu pour la débarrasser de cet empêchement, à l'instant se
formerait en elle un enfer pire que le purgatoire, parce qu'elle se verrait
empêchée d'atteindre sa fin qui est Dieu. Cela est pour elle d'une telle
importance qu'en comparaison le purgatoire est comme rien, quoique, comme il a
été dit, le purgatoire est semblable à l'enfer. Mais c'est en comparaison qu'il
est comme rien.
J'ajoute encore ceci que je vois.
De la part de Dieu, le paradis est ouvert, y entre qui veut. C'est que Dieu est
toute miséricorde, il reste tourné vers nous, les bras ouverts pour nous
recevoir dans sa gloire.
Mais je vois d'autre part comment
cette divine essence est d'une telle pureté et netteté, au-delà de tout ce
qu'on pourrait imaginer, que l'âme qui aurait en soi une imperfection aussi
légère qu'un fétu minuscule, se jetterait en mille enfers plutôt que de se
trouver avec cette tache en présence de la majesté divine.
Aussi, voyant que le purgatoire a
été fait pour lui enlever ces taches, elle s'y jette. Elle voit que c'est là
une grande miséricorde pour elle que ce moyen d'enlever cet empêchement.
10. Comme le purgatoire est
chose terrible
De quelle gravité est le
purgatoire, ni la langue ne le peut expliquer, ni l'esprit le saisir. Je ne
vois que ceci: que les tourments y égalent ceux de l'enfer. Néanmoins, je vois
que l'âme qui découvre la moindre tache d'imperfection le reçoit, selon ce qui
a été dit, comme un bienfait qui lui est accordé.
Dans un certain sens, elle le
tient pour rien en comparaison de cette tache qui arrête son amour.
Je vois aussi que le tourment des âmes du purgatoire consiste bien davantage en
ceci qu'elles voient en elles quelque chose qui déplaît à Dieu et qu'elles
l'ont contracté volontairement en agissant contre une si grande bonté, plutôt
que dans nul autre tourment qu'elles ressentent en purgatoire.
C'est qu'étant dans la grâce
divine elles voient la réalité et l'importance de cet empêchement qui ne leur
permet pas d'approcher de Dieu.
Tout ce qu'on vient de dire,
qu'est-ce en comparaison des évidences qui me sont données dans mon esprit
(pour autant que j'en ai pu concevoir dans cette vie) ?
Devant de telles extrémités, toute vue, toute parole, tout sentiment, toute
imagination, toute justice, toute vérité, tout cela n'est pour moi que
tromperies et choses de néant.
Je reste confuse, faute de pouvoir trouver des expressions plus fortes.
11. L'amour de
Dieu qui attire les âmes saintes et l'empêchement qu'elles trouvent dans le
péché sont les causes des tourments du purgatoire
Je vois entre Dieu et l'âme une
incroyable conformité. Lorsqu'il la voit dans cette pureté où sa majesté l'a
créée, il lui donne une certaine force d'attraction faite d'amour brûlant,
capable de la réduire au néant, tout immortelle qu'elle soit.
Il la met dans un état de si
parfaite transformation en lui son Dieu, qu'elle se voit n'être plus autre
chose que Dieu. Il la tire continuellement à lui, il l'embrasse, il ne la
laisse pas jusqu'à ce qu'il l'ait menée à cet être divin dont elle procède,
c'est-à- dire à cette pureté dans laquelle il l'a créée.
L'âme se voit, par une vue
intérieure, ainsi
tirée par Dieu avec un tel feu d'amour. Alors, sous l'ardeur de cet amour embrasé de son doux Seigneur et Dieu
qu'elle sent rejaillir en son esprit, elle se liquéfie tout entière.
A la lumière divine, elle voit
comment Dieu ne cesse pas un instant de la tirer vers lui pour la conduire à
son entière perfection. Il y met un soin extrême, une continuelle sollicitude;
en tout cela Dieu n'agit que par un pur amour. Mais elle-même, par cet obstacle
de péché qui subsiste en elle, se trouve empêchée de se livrer à ce divin
attrait, c'est-à-dire à ce regard unitif que Dieu lui a donné pour qu'elle soit
tirée à lui.
Elle voit aussi combien lui est
douloureux ce retardement qui la retient de contempler la divine lumière. S'y
ajoute l'instinct de l'âme impatiente d'être libérée de cet empêchement,
attirée qu'elle est par ce regard unitif.
Je dis que tout cela et la vue
qu'en ont les âmes, est ce qui engendre en elle la peine du purgatoire.
De cette peine, si grande qu'elle
soit cependant elle ne tiennent pas compte. Elles s'occupent bien davantage de
l'opposition qu'elles ont à la volonté de Dieu.
Elles le voient brûler pour elles
d'un extrême et pur amour. Cet amour, avec son regard unitif, les tire à soi
avec une puissance extrême et sans arrêt, comme s'il n'avait autre chose à
faire.
C'est au point que si l'âme pouvait découvrir un autre purgatoire plus fort que
celui où elle se trouve, elle s'y jetterait aussitôt pour se débarrasser plus
vite de cet empêchement. Tant est violent l'amour de conformité entre Dieu et
l'âme.
12. Comment
Dieu purifie les âmes Exemple de l'or dans le creuset
De ce divin Amour, je vois jaillir
vers l'âme certains rayons et flammes brûlantes, si pénétrants et si forts
qu'ils sembleraient capables de réduire au néant non seulement le corps, mais
l'âme elle- même s'il était possible.
Ces rayons opèrent de deux manières: l'une est de purifier, l'autre d'anéantir.
Vois l'or. A mesure que tu le
fonds, à mesure il s'améliore. Tu pourrais le fondre au point de détruire en
lui toute imperfection.
Tel est l'effet du feu dans les
choses matérielles. Il y a cette différence que l'âme ne peut s'anéantir en
Dieu, mais uniquement dans son être propre. Plus tu la purifies, plus aussi
elle s'anéantit en elle-même et pour finir elle est toute purifiée en Dieu.
L'or, quand il est purifié à
vingt-quatre carats ne se consume plus, quel que soit le feu par où tu le
ferais passer. Ce qui peut être consumé en lui, ce n'est que sa propre
imperfection.
Ainsi opère dans l'âme le feu divin. Dieu la maintient dans le feu jusqu'à ce
que toute imperfection soit consumée. Il la conduit à la pureté totale de
vingt-quatre carats, chaque âme cependant selon son degré. Quand elle est
purifiée elle reste tout entière en Dieu, sans rien en elle qui lui soit
propre, et son être est Dieu.
Une fois que Dieu a ramené à lui
l'âme ainsi purifiée, alors celle-ci est mise hors d'état de souffrir encore,
puisqu'il ne lui reste plus rien à consumer. Supposé que dans cet état de
pureté on la tienne dans le feu, elle n'en sentirait nulle souffrance. Ce feu
ne serait autre chose que celui du divin amour de la vie éternelle, sans rien
de pénible.
13. Les âmes
ont un désir ardent de se transformer en Dieu
Sagesse de Dieu qui leur tient cachées leurs imperfections
L'âme a été créée munie de toutes
les bonnes dispositions dont elle est capable, pour la mettre à même d'atteindre
sa perfection, à condition qu'elle vive comme Dieu l'ordonne sans se souiller
d'aucune tache de péché.
Mais elle s'est contaminée par le
péché originel qui lui fait perdre ses dons de grâce. Elle est morte, elle ne
peut ressusciter sinon par Dieu. Quand elle renaît par le baptême, il lui reste
l'inclination au mal; cette inclination la conduit, si elle n' y résiste pas,
au péché actuel, par quoi elle meurt de nouveau.
Une nouvelle fois, Dieu lui rend
la vie. C'est une grâce toute particulière qu'il lui fait, car elle est salie
et tournée vers elle-même. Pour la ramener à son premier état telle que Dieu
l'a créée, elle a besoin de ces opérations divines, faute desquelles il lui
serait à jamais impossible de se tourner de nouveau vers Dieu.
Quand l'âme se met en route pour
retourner à son premier état, si grande est l'ardeur qui la presse de se
transformer en Dieu que c'est là son purgatoire. Elle ne regarde pas ce
purgatoire comme un purgatoire, mais cet instinct brûlant et entravé constitue
son purgatoire.
Ce dernier acte d'amour accomplit
son oeuvre, sans que l'homme y ait part.
Il y a dans l'âme tant d'imperfections cachées qu'elle désespérerait s'il lui
était donné de les voir. Ce dernier état les consume toutes.
Après qu'elles sont consumées,
Dieu les découvre à l'âme pour qu'elle reconnaisse l'oeuvre divine accomplie en
elle par le feu d'amour. C'est lui qui a consumé en elle toutes ces
imperfection qui doivent l'être.
14. Joie et douleur de l'âme
du purgatoire
Sache ceci: la perfection que
l'homme croit constater en lui n'est pour Dieu que défaut.
En effet, tout ce que l'homme accomplit sous couleur de perfection, toute
connaissance, tout sentiment, tout vouloir tout souvenir, dès qu'il ne le fait
pas remonter à Dieu, tout cela l'infecte et le souille.
Pour que ces actes soient
parfaits, il est nécessaire qu'il soient faits en nous sans nous, sans que nous
en soyons le premier agent, et que l'opération de Dieu soit faite en Dieu sans
que l'homme en soit la cause principale.
Ces actes seuls sont parfaits,
que Dieu accomplit et achève dans son amour pur et net, sans mérite de notre
part. Ils pénètrent l'âme si profondément et l'embrasent à tel point que le
corps où elle se trouve se sent brûler comme s'il était dans un grand brasier
qui ne s'éteindra pas avant la mort.
Il est vrai, comme je le vois,
que l'amour qui procède de Dieu et rejaillit dans l'âme cause en elle un
contentement inexprimable; mais ce contentement n'enlève pas une étincelle de
leur peine aux âmes du purgatoire.
Donc, cet amour qui se trouve
entravé, c'est lui qui constitue leur souffrance. Cette souffrance est d'autant
plus grande que plus grande est la capacité d'amour et de perfection que Dieu a
donné à chacune.
Ainsi les âmes du purgatoire ont
tout ensemble une joie extrême et une extrême souffrance sans que l'une soit un
obstacle pour l'autre.
15. Les
âmes du purgatoire sont hors d'état de pouvoir mériter encore
Comment leur volonté est disposée à l'égard des bonnes oeuvres offertes
ici-bas en suffrage pour elles
S'il était donné aux âmes du
purgatoire de se purifier par la contrition, en un instant elles acquitteraient
leur dette entière, tant serait brûlante l'impétuosité de leur contrition. Car
elles voient clairement la gravité de cet empêchement qui les retient de s'unir
à Dieu, leur fin et leur amour.
Tiens pour certain que dans ce
paiement, elles ne sont quittes d'un seul denier, la justice de Dieu l'ayant
ainsi déterminé. Ceci vaut du côté de Dieu.
Du côté de l'âme, elles n'ont
plus aucun choix personnel, aucun regard sur elles-mêmes, sans vouloir
considérer autre chose que la volonté de Dieu; elles sont ainsi établies.
Si quelqu'un en ce monde fait une
aumône à leur intention et qu'ainsi la durée de leur peine soit diminuée, elles
ne peuvent se retourner pour en prendre connaissance et s'y attacher. Elles
abandonnent tout à l'exacte balance de la volonté divine, elles laissent Dieu
tout régler à lui seul, qu'il se paie comme il plaît à sa bonté infinie.
S'il leur arrivait de penser à
ces aumônes en dehors de la volonté divine, ce serait un retour sur
elles-mêmes, elles perdraient de ce fait la vue de ce divin vouloir et cela
serait pour elles un enfer.
C'est pourquoi ces âmes restent
attachées à tout ce que Dieu accomplit en elles, que ce soit plaisir et
contentement ou que ce soit souffrance. Elles ne peuvent plus se retourner sur
elles-mêmes, transformées qu'elles sont totalement dans la volonté de Dieu et
contentes de ce qu'il décide dans son infinie sainteté.
16. Ces âmes veulent être
pleinement purifiées
Si une âme était présentée aux
regards divins ayant encore quelque chose à purger, ce serait lui faire une
grande injure, ce serait pour elle un tourment pire que dix purgatoires.
La raison en est que ce serait
pour la pure bonté et la souveraine justice de Dieu une chose intolérable. De
son côté, l'âme verrait qu'elle n'a pas encore pleinement satisfait à Dieu. Ne
manquerait-il qu'un clin d'oeil de purification, ce serait pour elle aussi
chose intolérable.
Pour enlever ce rien de rouille,
elle irait dans mille enfers (supposé qu'il lui fût accordé de choisir) plutôt
que de se trouver face à la présence divine sans être totalement purifiée.
17. Exhortations et reproches
aux vivants
Eclairée sur toutes ces choses à
la lumière divine, cette âme bénie disait:
Il me vient une envie de crier avec une telle force que sur la Terre tous les
hommes en seraient épouvantés.Je leur dirais: malheureux, pourquoi vous
laissez-vous aveugler à ce point par le monde? A cette nécessité si pressante
où vous vous trouverez au moment de la mort, vous n'avez aucun souci de vous
préparer!
Vous vous abritez tous sous
l'espérance de la miséricorde divine. Elle est si grande, dites-vous. Mais vous
ne voyez pas que cette bonté de Dieu tournera à votre condamnation puisque
c'est contre la volonté d'un si bon maître que vous aurez agi.
[="je n'ai pas à m'en faire car Dieu est bon, il
est miséricordieux, il me pardonnera tous mes péchés avant que je
le lui demande" se transformera en: "comment ai-je pu tant haïr, tant
commettre de péchés contre ce Jésus si incroyablement bon et doux, je
suis épouvantablement coupable, je ne mérite aucun pardon, je préfère fuir la
présence de cet agneau innocent que j'ai moi-même torturé et cruficié à mort par
mes péchés",
c'est maintenant qu'il faut lui dire: "je te (vous) demande pardon pour le
mal que je (vous) t'ai fait, j'ai confiance en ta miséricorde, viens à
mon secours, donne-moi la force de commencer une vie nouvelle dans ta
grâce", ce n'est que par pur miracle que certains arrivent à changer de
volonté et à vouloir, aux abords de la mort, fuir les péchés qu'ils
chérissaient pendant leur vie.Les miracles existent mais ils ne sont pas la
règle générale, ils sont l'exception.]
Sa bonté devrait au contraire
vous forcer à faire sa volonté tout entière et non pas vous porter à la
présomption de faire le mal.
Sa justice ne peut être frustrée,
il faut de toute façon qu'elle soit pleinement satisfaite.
Ne t'encourage pas en te disant:
je me confesserai, j'aurai ensuite l'indulgence plénière, je serai d'un seul
coup purgé de tous mes péchés, et ainsi je serai sauvé.
Prends garde que la confession et la contrition, requises pour l'indulgence
plénière, sont bien difficiles à réaliser. Si tu en avais conscience, tu
tremblerais de terreur; tu serais plus assuré de ne l'avoir pas que de l'avoir.
18. Au
purgatoire, les âmes souffrent volontiers et dans la joie
Au purgatoire, je vois les âmes
souffrir avec la vue de deux opérations.
La première, c'est qu'elles
souffrent de très bon coeur leurs peines. Elles se rendent compte que Dieu leur
fait grande miséricorde, considérant le châtiment qu'elles ont mérité, sachant
aussi à quel point il leur est nécessaire. Si la bonté divine n'avait tempéré
sa justice par sa miséricorde (payant pour elles par le précieux sang de
JésusChrist), un seul péché mériterait mille enfers éternels.
Aussi subissent-elles de si grand
coeur leurs peines qu'elles ne voudraient en retirer un seul carrat. Elles
savent que ces peines elles les ont méritées en toute justice et qu'elles sont
parfaitement réglées. Par suite, elles ne se plaignent pas plus de Dieu (quant
à la volonté) que si elles étaient dans la vie éternelle.
L'autre opération est un
contentement qu'elles éprouvent à voir comment Dieu agit envers elles, avec
quel amour et quelle miséricorde.
Ces deux vues, Dieu les imprime
en elles instantanément. Puisqu'elles sont en état de grâce, elles saisissent
et comprennent à la mesure de leur capacité. Elles en éprouvent une immense
joie, qui ne leur manquera plus; au contraire, elle ira toujours croissant au
fur et à mesure qu'elles s'approchent davantage de Dieu.
Ces âmes ne voient point cela en
elles-mêmes ni par elles-mêmes ni comme quelque chose qui serait à elles, mais
seulement en Dieu.
Elles s'occupent intensément de
lui beaucoup plus que de leurs peines, elles tiennent celles-ci pour rien en
comparaison de lui.
La moindre vues qu'on puisse
avoir de Dieu surpasse toute peine et toute joie que l'homme puisse avoir mais
sans leur enlever une étincelle ni de joie ni de peine.
19. La
sainte conclut son exposé sur les âmes du purgatoire en leur attribuant ce
qu'elle ressent dans son âme
Cette forme de purification que
je vois appliquée aux âmes du purgatoire, je l'éprouve dans mon esprit, surtout
depuis deux ans. De jour en jour je la ressens et la vois plus clairement.
Mon âme, à ce que je vois, est
dans ce corps comme dans un purgatoire, mais à la mesure réduite que le corps
peut supporter, pour éviter qu'il ne meure. Néanmoins cela s'aggrave peu à peu,
jusqu'à ce qu'enfin mort s'ensuive.
Je vois l'esprit rendu étranger à
toute chose, même d'ordre spirituel, où il pourrait trouver quelque aliment,
comme serait joie, plaisir, consolation. Il est hors d'état de prendre goût à
quelque chose que ce soit, temporelle ou spirituelle, ni par la volonté, ni par
l'entendement, ni par la mémoire. Il m'est devenu impossible de dire: je prends
plus plaisir à ceci qu'à cela.
Mon intérieur est assiégé. De
toute chose qui portait rafraîchissement à sa vie spirituelle et corporelle il
a été dépouillé petit à petit. Chaque fois qu'une de ces choses lui est enlevée
il reconnaît qu'elle était de nature à lui donner aliment et réconfort.
Aussitôt que l'esprit en prend conscience, il les prend en haine et en
abomination et elles s'en vont sans aucun remède.
La raison en est que l'esprit
porte en soi l'instinct de se débarrasser de toute chose qui puisse faire
obstacle à sa perfection. Il s'y acharne au point qu'il irait presque jusqu'à se
laisser mettre en enfer pour atteindre à son but.
Il va rejetant toute chose dont
l'homme intérieur pourrait se nourrir, il l'investit de façon si subtile que ne
peut passer le moindre fétu d'imperfection sans qu'il ne l'aperçoive et ne le
prenne en horreur.
Quant à la partie extérieure,
puisque l'esprit n'a plus de correspondance avec elle, elle aussi est assiégée
étroitement; il lui devient impossible de se rafraîchir au gré de son instinct
humain.
Il ne lui reste d'autre soutien
que Dieu. C'est lui qui opère tout cela par amour et avec grande miséricorde
pour satisfaire à sa justice.
Cette vue donne à l'esprit grande
paix et contentement. Mais ce contentement ne diminue en rien la souffrance ni
la compression qu'il subit. Jamais la souffrance ne pourrait devenir cruelle au
point qu'il puisse désirer de se dégager de ce que Dieu dispose à son sujet. Il
ne sort pas de sa prison, il ne cherche pas à en sortir, tant que Dieu n'aura
pas accompli en lui tout ce qui est nécessaire. Ce qui me contente c'est que
Dieu soit satisfait. Il n'y aurait pas pour moi de souffrance pire que de
m'écarter des desseins de Dieu sur moi, tant j'y vois de justice et de
miséricorde.
Tout ce qui vient d'être dit, je
le vois, je le touche , mais je n'arrive pas à trouver d'expressions
satisfaisantes pour le dire comme je voudrais. Ce que j'en ai dit, je le sens
s'opérer en moi spirituellement et c'est pour cela que je l'ai dit.
La prison dans laquelle je me
vois, c'est le monde; la chaîne, c'est le corps. L'âme illuminée par la grâce,
c'est elle qui connaît l'importance d'être retenue ou retardée d'atteindre sa
fin, par quelque empêchement que ce soit. Cela lui cause une peine extrême, car
elle est d'une sensibilité aiguë.
De plus, cette âme reçoit de Dieu
une certaine dignité qui la rend semblable à Dieu même. Il la fait une même
chose avec lui en la rendant participante de sa bonté.
Et comme il est impossible qu'une
peine quelconque atteigne Dieu, ainsi en advient-il des âmes qui s'approchent
de lui. Plus elles s'approchent, plus aussi elles reçoivent de ce qui est
propre à la divinité.
Par suite, le retardement qui
atteint l'âme lui cause une souffrance intolérable. Cette souffrance et ce
retard la rendent dissemblable de ces propriétés qu'elle avait de nature, et
que la grâce lui montre; elle est empêchée d'y atteindre, alors qu'elle y est
apte, et cela lui cause une souffrance très grande, à la mesure de l'estime
qu'elle a de Dieu.
Mieux elle le connaît, plus elle
l'estime; plus elle est dégagée du péché, mieux elle le connaît. A mesure
aussi, l'empêchement lui devient plus terrible d'autant plus que l'âme est
toute recueillie en Dieu et rien ne l'empêche de le connaître sans aucune
erreur.
L'homme qui est prêt à se laisser
tuer plutôt que d'offenser Dieu ressent la mort et en éprouve toute la peine.
Mais dans le zèle que lui donne la lumière divine, il place l'honneur de Dieu
au-dessus de la mort.
Ainsi l'âme qui connaît les
desseins de Dieu en fait plus de cas que de toute torture intérieure ou
extérieure, si grande qu'elle soit. C'est que Dieu qui opère en elle ces choses
dépasse tout ce qu'on peut en ressentir ou imaginer.
L'occupation, pour faible qu'elle
soit, que Dieu donne de lui-même à une âme l'absorbe en lui au point qu'elle ne
peut tenir compte de rien d'autre. Par suite elle perd tout retour sur soi,
elle ne voit plus rien en elle-même, ni dommage ni peine, elle n'en parle pas,
elle n'en sait plus rien. Un instant seulement elle en a connaissance, comme il
a été dit, au moment qu'elle sort de cette vie.
Finalement, tirons cette
conclusion: Dieu fait perdre à l'homme tout ce qui est de l'homme, et le
purgatoire le purifie.
Fin du traité du purgatoire de
sainte Catherine de Gênes - fin du traité du du purgatoire de sainte
Catherine de Gênes - fin du traité du du purgatoire de sainte
Catherine de Gênes - fin du traité du du purgatoire de sainte Catherine
de Gênes -