HÉBREUX XXVII

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HOMÉLIE XXVII. C'EST PAR LA FOI QUE MOISE CÉLÉBRA LA PAQUE ET QU'IL FIT L'ASPERSION DU SANG DE L'AGNEAU, AFIN QUE L'ANGE QUI TUA TOUS LES PREMIERS-NÉS, NE TOUCHAT POINT LES ISRAÉLITES. (CHAP. XI. 28-30.)

 

Analyse.

 

1-3. En nous rappelant la foi des patriarches, saint Paul n'oublie pas de nous montrer que leurs actions ou les cérémonies de leur religion, sont les préludes et les figures de la religion de Jésus-Christ. — Tel était l'Agneau pascal. — La foi des Hébreux à l'heure où ils sont renfermés entre la mer Rouge et l'armée d'Egypte nous rappelle que le secours de Dieu vient ordinairement à l'heure où tout semble désespéré. — Un mot de la foi de Rahab ; un mot plus court encore d'une foule d'autres exemples de foi. — Quelle grande puissance que celle d'un juste : Josué arrêtant le soleil. — Pourquoi il fait plus que Moise même.

4 et 5. Puissance de la prière, qui nous donne empire non sur le soleil et les astres, mais sur Dieu même. — Beauté de la prière que Jésus-Christ nous a enseignée lui-même, comme un maître apprend (alphabet à ses élèves. — La prière doit être surtout humble et pénitente comme celle du publicain. — Avouer nos fautes et ne pas souffrir qu'un autre nous les reproche ; refuser les louanges pour qu'on nous les donne encore davantage, c'est un jeu criminel.

 

1. L'apôtre aime à prouver ou à confirmer sur sa route bien des vérités qu'il sème en passant, découvrant dans le texte sacré mille sens imprévus. Telle est, en effet, la parole de l'Esprit-Saint, qu'elle ne contient pas seulement quelques sens sous une multitude de mots, mais qu'au contraire, sous très-peu de mots elle prête à des interprétations nombreuses et magnifiques. Dans cette étude en forme d'exhortation sur la foi, par exemple, saint Paul nous montre une figure, un mystère, dont la loi de Jésus-Christ possède la vérité. Il dit « C'est par la foi que Moïse célébra la Pâque et qu'il fit l'aspersion du sang de l'agneau, afin que l'ange qui tuait tous les premiers-nés, ne touchât point aux Israélites ». Quel est ce sang répandu? Dans chaque maison, un agneau tombait sous le couteau du sacrifice, et son sang marquait chaque porté et détournait la mort qui moissonnait les Egyptiens. Si donc le sang de l'agneau sauvait les Juifs au milieu même des Egyptiens et d'un fléau si redoutable, combien plutôt serons-nous préservés par le sang de Jésus-Christ qui doit rougir, non plus nos portes, mais nos coeurs. Encore aujourd'hui, en effet, celui qui dévaste et qui tue, ne cesse de circuler au milieu de cette nuit du siècle : armons-nous donc de ce sacrifice tutélaire. Notre onction est appelée par Moïse effusion. Car, nous aussi, nous avons été, par la main de Dieu, tirés de l'Egypte, des ténèbres, de l'idolâtrie. Le rite mosaïque n'était rien en lui-même ; mais son effet était grand, puisqu'il sauvait si bien et si parfaitement un grand peuple. Le rite mosaïque n'était qu'une effusion de sang; l'effet grand et parfait produisait le salut et la vie, et posait à la mort une défense et un obstacle. L'ange exterminateur craignit le sang, parce qu'il savait de quel autre sang il était la figure ; il recula effrayé à l'idée de la mort du Seigneur; et voilà pourquoi il ne touchait pas les portes marquées de ce signe. Moïse leur avait dit : Faites cette marque, et ils la firent, et ils y trouvèrent confiance et sûreté. Et vous, qui avez le sang du véritable Agneau, vous n'avez pas confiance ?

« C'est par la foi qu'ils passèrent la mer Rouge, comme sur une terre sèche ». Paul de nouveau compare un peuple avec un peuple, afin que les Hébreux ne disent pas : Nous ne pouvons être comme les saints. « Par la foi donc, ils passèrent la mer Rouge comme sur une terre sèche, tandis que les Egyptiens ayant essayé ce passage, périrent engloutis dans les flots (29) ». Paul leur remet en mémoire les souffrances de leurs aïeux en Egypte. Pourquoi parle-t-il de lafoi de ceux-ci? C'est qu'en effet ils ont espéré, ils ont demandé avec prières, à Dieu, de passer ainsi la mer Rouge; ou pour mieux dire, Moïse a prié en ce sens. Voyez-vous comme la foi surpasse toujours les forces humaines, c'est-à-dire notre faiblesse, notre bassesse? Voyez comme les Israélites avaient en même temps et la foi et la crainte des fléaux meurtriers; ce sang imprimé à chaque porte et ce passage de la mer Rouge vous le démontrent assez. Au reste cette eau de la mer Rouge fut une affreuse vérité, et non pas une vision, comme le prouva la mort de ces ennemis qui y périrent noyés C'est ainsi que les exécuteurs dévorés eux-mêmes par les lions, et ceux qui furent brûlés près de la fournaise , donnaient une preuve de la vérité de ces drames affreux, et vous démontraient, comme au cas présent, que tel châtiment sauvait et glorifiait les uns, tandis qu'il donnait aux autres une mort affreuse. Telle est, au reste, la puissance bienfaisante de la foi : c'est quand nous sommes arrivés à la dernière extrémité, de sorte qu'on ne voit plus d'issue possible, c'est à cet instant même que nous sommes délivrés, quand même nous serions aux portes de la mort, quand même notre sort semblerait désespéré et que tout semblerait perdu sans remède. Quel espoir restait aux Juifs? Peuple désarmé, serrés entre les Egyptiens et la mer, il leur fallait ou se noyer dans la fuite en avant, ou retomber en arrière dans les mains des Egyptiens; et la foi les délivra et les sauva dans ces circonstances de perplexité et d'angoisses. Polir eux, la mer devint comme une route sur le continent; tandis qu'elle engloutit et dévora les Egyptiens dans ses abîmes. Pour les premiers elle oublia sa nature; (565) pour les seconds elle s'armait comme un ennemi.

2. « C'est par la foi que les murailles de Jéricho tombèrent par terre, après qu'on en eût fait le tour sept jours durant (30) ». Car le son des trompettes, quand même il retentirait pendant dix siècles, ne peut renverser des murailles; tandis qu'à la foi rien n'est impossible. Vous voyez que la foi varie ses oeuvres, non d'après notre logique ou selon les lois de la nature; mais qu'elle opère toujours contre toute attente. Donc maintenant encore, tout arrive contre vos prévisions. Saint Paul voulait de toutes manières les amener à croire aux espérances à venir; son discours tout entier n'a pas d'autre but; il veut montrer que non-seulement aujourd'hui, mais que dès le commencement, tous les miracles sont nés de la foi et se sont opérés par elle.

« C'est par la foi que Rahab, femme débauchée, ne périt pas avec les incrédules, parce qu'elle avait reçu et sauvé les espions de Josué (31) ». Il serait honteux qu'on vous vit plus incrédules qu'une femme perdue. Or elle a entendu ces espions et leurs prophéties, et aussitôt elle y a cru ; et sa foi eut son effet : tous les autres périrent, elle seule fut sauvée. Elle ne s'est pas dit : Je partagerai le sort de ta multitude, où j'ai les miens d'ailleurs. Et puis, suis-je donc plus sage que tant d'hommes intelligents qui ne croient point, tandis que j'ose croire, moi ! Non, elle n'a ni dit ni fait comme aurait agi ou parlé probablement tout autre à sa place : elle a cru simplement aux espions et à leurs affirmations.

« Que dirai-je davantage? Le temps me manquera pour continuer ces récits (32) ». L'apôtre désormais ne s'appesantira plus sur des citations nominatives; terminant par cette femme perdue dont l'exemple suffit pour couvrir les Hébreux d'une honte salutaire, il n'étend plus ses récits, de crainte d'allonger sans mesure son discours; mais il n'abandonne pourtant pas les exemples, tout en les parcourant avec une extrême sagesse, et évitant ainsi avec soin un double écueil : celui d'ennuyer par la satiété, et celui de supprimer de nombreuses et fécondes leçons. Il ne se tait donc pas tout à fait; mais il se garde de fatiguer par son discours : il remplit donc un double but. Car lorsqu'on discute avec énergie, si l'on continue quand même et toujours ce genre aggressif, on assomme l'auditeur déjà convaincu , en lui jetant ainsi l'ennui, sans compter que l'on s'expose à passer pour un homme vain que, l'envie de briller fait parler, et non pas le seul désir d'être utile, comme cela doit être.

« Que dirai-je donc? s'écrie-t-il. Le temps me manquera si je veux parler de Gédéon, de Barac, de Samson, de Jephté, de David, de Samuel et des prophètes ». Quelques-uns font un crime à saint Paul de placer dans ce passage les noms de Barac, de Samson et de Jephté. Mais quoi ! il a bien pu nommer la prostituée, pourquoi pas ceux-ci? Il ne s'agit pas ici de juger leur vie, mais seulement de savoir s'il, ont brillé par leur foi.

« Et des prophètes, lesquels par la foi ont conquis des royaumes ». Vous voyez que l'apôtre ne témoigne pas ici de la beauté de leur vie, ce n'était pas son but; il ne voulait que parler de leur foi. Car, dites-moi, n'est-ce pas par la foi qu'ils ont tout fait? Et comment? par la foi, ils ont conquis des royaumes, Gédéon, par exemple. — «Ils ont accompli les devoirs de la justice ». Qui est ici désigné? Toujours les mêmes; peut-être par la justice, il entend la charité. — « Ils ont reçu l'effet des promesses ». Je pense que ce trait désigne David. Et de quelles promesses? De celles qui proclamaient que sa postérité s'assiérait sur son trône. — « Ils ont fermé la gueule des lions, ont arrêté la violence du feu, ont évité la pointe du glaive (33, 34) n. Voyez comme ils étaient déjà pour ainsi dire au sein de la mort ; Daniel au milieu des lions; les trois enfants dans les abîmes de la fournaise ; Abraham, Isaac, Jacob, en diverses épreuves, sans jamais même alors se désespérer. C'est, en effet, le caractère de la foi. Quand tout arrive à la malheure, il faut croire en ce moment-là même, que rien de contraire aux divines promesses n'en sortira, mais qu'elles auront leur effet tout entier : « Ils ont évité le tranchant du glaive » ; je pense que ce trait se rapporte encore aux trois enfants. — « Ils se sont remis de leur infirmité, ont été remplis de force et de courage dans les combats, ont mis en fuite les armées des étrangers ». L'apôtre indique, sans donner de date, des faits postérieurs au retour de Babylone. Leur infirmité dont ils se rétablissent, c'est la captivité. Quand les affaires des Juifs étaient désespérées, quand eux-mêmes ressemblaient en tout à des ossements desséchés, eût-on espéré ce retour de Babylone, et non-seulement ce retour, mais un complet recouvrement de leurs forces, qui leur fit mettre en fuite les armées des étrangers? Pour vous, dit saint Paul aux Hébreux, vous n'êtes pas encore dans cet état désespéré. — Tous ces faits sont des figures de l'avenir.

« Les femmes ont recouvré, par la résurrection, leurs enfants morts ». L'apôtre ici, parle des prophètes Elie et Elisée, qui, en effet, ont ressuscité des morts. « Les uns ont été décapités, ne voulant point racheter leur vie présente, afin d'en trouver une meilleure dans la résurrection (35) ». — Mais nous, répondent les Hébreux, nous n'avons pas atteint la résurrection. Eh bien! je puis vous montrer que ces saints aussi ont passé sous la hache, et qu'ils n'ont point accepté la rédemption de ce supplice, afin de trouver une résurrection meilleure. Pourquoi, en effet, dites moi, libres de vivre encore , ne l'ont-ils point voulu? N'est-ce pas parce qu'ils attendaient une vie meilleure? Eux qui en avaient ressuscité d'autres, ont choisi de mourir, pour gagner une résurrection bien préférable à celle qui rendit des enfants à. leurs mères. L'apôtre me paraît désigner ici saint Jean-Baptiste, et saint Jacques. Car l'apotympanismos, ici nommé , c'est la décapitation. Ainsi, ils avaient le droit de jouir encore du soleil; ils pouvaient ne pas accuser les pécheurs, et cependant, après avoir ressuscité des morts, ils préférèrent pour eux-mêmes quitter le monde, afin de gagner une résurrection meilleure.

3. «Les autres ont souffert les moqueries et les (566) fouets, les chaînes et les prisons; ils ont été lapidés, ils ont été sciés, ils ont été tentés en toute manière (36, 37) ». Il termine par ces exemples, par ceux, remarquez bien, qui sont pour les Hébreux, et plus proches, et plus familiers. La plus grande consolation qu'on puisse vous offrir, en effet, c'est un modèle ayant souffert pour la même cause que vous. Quand même vous présenteriez d'autres traits plus remarquables, si le martyre a eu une autre raison, vous ne pouvez convaincre. Il finit donc son discours par ces saints, qui ont, dit-il, passé par les liens, les cachots, les fouets, les pierres, désignant ainsi la passion de saint Etienne et de saint Zacharie, et il ajoute : « Ils sont morts par le tranchant du glaive ». Que dites-vous, bienheureux Paul? Les uns ont évité, les autres ont subi la mort sous l'épée ? Quelle est votre pensée ? Louez-vous la mort subie, ou seulement la mort affrontée? Laquelle admirez-vous, de l'une ou de l'autre? L'une et l'autre certainement, répond-il. La mort affrontée , chers Hébreux, c'est pour vous chose tout unie et toute familière ; la mort même subie est d'ailleurs la plus grande preuve de foi, et la figure de nos martyres à venir. La foi présente, en effet, ce double miracle : elle fait de grandes choses, elle sait grandement souffrir tout en croyant ne souffrir pas. Et vous ne pouvez dire, continue-t-il, que ces hommes fussent des pécheurs et des gens de rien. Quand vous placeriez en face d'eux le monde entier, j'estime qu'ils l'emporteraient dans la balance de la justice. — Aussi ajoute-t-il : « Que le monde n'en était pas digne ». Que pouvaient donc recevoir, même en cette vie, ceux dont rien au monde n'était digne ? L'apôtre ici relève l'âme de ses disciples, et leur apprend à ne point s'attacher aux choses du présent ; il veut que leur coeur espère beaucoup mieux que tous les biens du siècle actuel. Non, le monde entier n'est point digne d'eux. Que désireriez-vous donc ici-bas ? Ne serait-ce pas vous avilir que de vous donner ici-bas votre récompense ?

Cessons donc, mes frères, d'occuper nos âmes des vanités de ce monde ; n'y cherchons point notre récompense; ne soyons pas mendiants à ce point. Car si le monde entier est indigne des saints, pourquoi demandez-vous une partie de ce monde? C'est admirablement vrai : car les saints sont les amis de Dieu. Par le monde, l'apôtre désigne les masses, ou en général, la créature. Ces deux sens se trouvent habituellement employés dans l'Ecriture sainte.  Si la création tout entière avec tousses hommes était mise en comparaison, dit-elle, le juste la dépasserait encore en valeur. Vérité évidente encore. Car dix mille livres pesant de paille ou de foin, n'équivaudraient pas en prix à dix perles; ainsi en est-il de cette masse d'hommes vis-à-vis d'un saint. « Un seul homme qui « fait la volonté de Dieu », dit encore le Sage, « vaut mieux que dix mille impies ». (Ecclés. XVI, 3.) Dix mille n'est pas synonyme d'un grand nombre seulement, mais d'une multitude incalculable.

Voyez quelle puissance c'est, qu'un seul homme juste. « Jésus, fils de Navé, a dit : Que le soleil reste immobile en face de Gabaon, et la lune vis-à-vis la vallée d'Elom. Ainsi fut-il fait ». (Josué, X, 12.) Vienne donc ici le monde entier, et même deux, trois, quatre-vingts mondes comme le nôtre : qu'ils parlent ainsi ; qu'ils fassent pareille oeuvre ! Mais ils ne le pourront jamais. L'ami de Dieu, lui, commandait aux créatures de son ami ; ou plutôt il n'a fait que prier cet ami divin, et les créatures, servantes de celui-ci, ont obéi ; et l'homme de la terre a commandé aux corps célestes. Voyez-vous, au reste, que ces astres sont faits pour l'esclavage, et remplissent un cours tracé d'avance ? Le fait de Josué est plus grand qu'aucun miracle de Moïse ; il y a une différence à commander à la mer, ou bien à dicter des lois aux cieux mêmes. Le premier prodige est grand, très-grand, mais non égal au second.

Or, écoutez la raison de cette grandeur de Josué ou de Jésus. Il portait dans son nom la figure de Jésus-Christ. Pour cette raison, pour ce nom attribué à l'homme, image du Fils de Dieu, la création dut le respecter. Mais quoi? Ce nom de Jésus ne fut-il donc jamais donné qu'à lui? Non, sans doute; mais ce nom lui fut donné parce qu'il devait être la figure du véritable Sauveur. On l'appelait aussi Ausès d'abord, mais son nom fut changé et ce changement, à son égard, fut une prédiction, une prophétie. C'est lui qui fit entrer le peuple dans la terre promise, comme Jésus nous fait entrer au ciel ; la loi, non plus que Moïse, n'avait pas ce pouvoir ; ils restèrent dehors. La loi ne pouvait l'ouvrir, mais la grâce seule. Voyez-vous. que , dans cet âgé dont tant de siècles nous séparent, les figures sont décrites d'avance par le, doigt divin ? Josué commanda donc à la création, ou, pour mieux dire, à la partie principale, au chef même de la création, tout en restant humble mortel sur la terre, pour que quand vous verrez Jésus lui-même sous les traits de notre humanité, parler avec une autorité sans égale, vous ne soyez ni troublé, ni effrayé. Au reste, Josué, du vivant même de Moïse, battit et mit en fuite les ennemis; et notre Maître aussi , même du vivant de la loi de Moïse, gouverne tout, mais en secret. Mais voyons la puissance des saints.

4. Si sur la terre, ils opèrent de tels prodiges, s'ils y font l'oeuvre même des anges, qu'est-ce donc au ciel? Quelle magnificence les y revêt? Peut-être chacun d'entre vous désirerait être capable de commander au soleil et à la lune. or, pour le dire en passant, que peuvent dire ici ceux qui font du ciel une sphère ? Pourquoi Josué n'a-t-il pas dit seulement : Que le soleil s’arrête? Pourquoi ajoute-t-il : Qu'il s'arrête vis-à-vis de Gabaon, et la lune en face de la vallée d'Elom, c’est-à-dire, que le jour soit prolongé ? Ce miracle se reproduisit à la demande d'Ezéchias :le soleil même rétrograda. Et toutefois ce miracle étonne alors encore plus que le précédent ; il est plus surprenant de voir l'astre reprendre sa route au rebours, que de s'arrêter simplement. Et toutefois, si nous voulons, nous ferons quelque chose de plus grand encore. Car, que nous a promis Jésus-Christ? Que nous arrêterons le soleil et la lune, ou que nous ferons reculer l'astre du jour? Non; mais quoi? (567) « Nous viendrons en lui, mon père et moi, et nous « ferons en lui notre demeure ». (Jean, XIV, 23.) Qu'ai-je donc besoin de miracles sur le soleil et la lune, puisque le Seigneur et Maître de ces brillantes créatures, descend vers moi et y prend même son domicile fixe et constant? Oui, que m'importe tout le reste? En quoi ai-je besoin des astres mêmes? Il sera mon soleil et ma lune, ma lumière enfin ! Car, répondez-moi : si vous étiez admis au palais impérial, que voudriez-vous de préférence? Serait-ce de pouvoir métamorphoser un des objets qui s'y trouvent, ou de vous unir avec le souverain même, et par une amitié si intime, que vous le décideriez à descendre jusque chez vous ? Cette faveur ne vous paraîtrait-elle pas bien plus belle que cette autre vaine puissance ?

Il ne faut plus s'étonner des miracles du Christ, si Josué, qui n'était qu'un homme, en a fait d'aussi grands par un simple commandement. On répondra que Jésus-Christ ne prie pas son Père, mais qu'il agit par sa propre autorité. — C'est bien ; déclarez qu'il ne prie pas son père, et qu'il agit d'autorité; à mon tour, je vous interrogerai, ou plutôt, je vous enseignerai avec certitude qu'il a prié cependant; donc cette prière était le rôle de son abaissement et de son incarnation ; car il n'était pas inférieur sans doute à l'autre Jésus, fils de Navé ; il pouvait donc nous instruire sans prier lui-même ? — Mais voici : Qu'il vous arrive d'entendre un maître de lecture balbutier, épeler les lettres et les syllabes; vous ne direz pas que c'est un ignorant? Et s'il demande : Où est cette lettre? vous savez qu'il n'interroge pas parce que lui-même ignore, mais parce qu'il veut instruire son élève. Ainsi Jésus-Christ priait sans avoir besoin de prière, mais pour vous déterminer à être assidu et appliqué à ce devoir, à prier sans relâche, avec pureté de coeur, avec une extrême vigilance. Et cette vigilance ne consiste pas seulement à vous éveiller la nuit, mais à être encore sobres et purs dans vos prières de la journée. Voilà bien être vraiment vigilant. Car il peut arriver que, tout en priant la nuit, on ne soit encore qu'un être en.. dormi, et que de jour on veille, même sans prier; tel est celui qui dirigera son cœur vers Dieu, pensant avec qui il a l'honneur de s'entretenir, et à qui vont monter ses paroles; celui qui se souviendra que les anges sont là, pénétrés de crainte et de tremblement, tandis que lui-même s'étire et bâille en approchant de Dieu.

Les prières sont des armes puissantes, quand on les fait avec le coeur et l'intention requise. Et pour vous en faire comprendre le pouvoir, jugez-en par ce fait : que l'impudence et l'injustice, la cruauté et l'audace déplacée cèdent pourtant à des prières assidues : témoin l'aveu du juge inique de l'Evangile ( Luc, VIII, 6.) La prière triomphe aussi de la paresse; et ce que l'amitié n'obtient pas, une demande assidue et importune l'arrache; s'il ne lui accorde pas la chose à titre « d'ami », dit Notre-Seigneur, « il se lèvera cependant pour la lui donner, afin de se défaire de ce solliciteur effronté » (Luc, XI, 8) ; l'assiduité lui fera mériter une grâce dont il n'était pas digne d'ailleurs. « Il n'est pas bien », disait Notre-Seigneur, « de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. — Sans doute, Seigneur », répondait la chananéenne, « mais les petits chiens pourtant mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». (Matth. XV, 26, 27.)

5. Appliquons-nous donc à la prière. Elle nous fournit, je l'ai dit déjà, des armes puissantes, mais à la condition qu'elle se fasse attentivement et assidûment, sans vaine gloire, avec un coeur pur et une parfaite sincérité. La prière triomphe des guerres mêmes, elle comble de grâces toute une nation bien qu'indigne. « J'ai entendu leur gémissement », dit le Seigneur, « et je suis descendu pour les délivrer ». ( Exod. III, 8.) La prière est un médicament de salut, un antidote contre le péché, un remède aux fautes commises. Cette veuve laissée seule au monde, Anne la prophétesse, n'avait pas d'autre occupation que de prier. Nous gagnerons tout, en effet, si nous prions avec humilité, frappant notre poitrine comme le Publicain, empruntant même ses paroles et disant avec lui : « Ayez pitié de moi qui ne suis qu'un pécheur ».(Luc, XVIII, 13.) Car bien que nous ne soyons pas des publicains, nous avons d'autres péchés non moindres que les leurs. Ne me dites pas que vous avez péché seulement en matière légère : toute matière défendue offre la nature du péché. On appelle homicide tout aussi vraiment l'assassin de petits enfants, que le meurtrier d'un homme fait; on est cupide quand on vole le prochain pour s'enrichir, que les fraudes soient petites , ou qu'elles soient considérables; le ressentiment d'une injure reçue n'est pas une simple faute , mais un grand péché. « Car ceux qui se souviennent avec rancune d'une injure reçue, prennent une route qui conduit à la mort » (Ps. XII, 28); « et celui qui sans raison se fâche contre son frère, s'expose au feu  de l'enfer » (Matth. V, 22), ainsi que celui qui traite son frère de fou et d'insensé; ainsi enfin qu'une foule d'autres pécheurs. Nous allons même jusqu'à participer indignement à des sacrements merveilleux et redoutables, sans cesser de nous permettre l'envie, la cruelle détraction. Quelques-uns d'entre nous s'enivrent même souvent. Or une seule de ces fautes suffit à nous chasser du céleste royaume ;         et quand elles s'entassent les unes sur les autres, quelle défense peut nous rester encore?

Oui, mes frères, nous avons besoin, et à un bien haut degré, de pénitence, de prière, de patience, d'attention persévérante, pour gagner enfin les biens qui nous sont promis. Que chacun de nous s'écrie donc : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Et non-seulement disons-le, mais ayons de notre triste état une vraie et profonde conviction, et si un autre nous accuse d'être, en effet, des pécheurs, ne nous irritons point. Ce pénitent, lui aussi, s'entendit accuser par le pharisien qui disait Je ne suis pas comme ce publicain »; et il ne s'en est ni fâché, ni même piqué. L'autre lui montrait ironiquement sa blessure; lui, il en cherchait le remède. Disons donc, nous aussi : :Ayez pitié de moi qui suis un (568) pécheur ! et si un autre nous le dit, n'en soyons pas indignés. Que si nous savons nous accuser comme coupables de fautes sans nombre, mais que nous répondions par la colère aux accusations du prochain, évidemment nous n'avons ni humilité , ni confession , mais au contraire, ostentation et vaine gloire. — Comment, direz-vous! Est-ce donc ostentation que de s'appeler pécheur ? — Oui, c'est ostentation, puisque nous cherchons jusque dans l'humilité, la gloire et l'estime publiques; nous voulons qu'on nous admire, qu'on nous loue. Ici donc encore nous agissons pour la gloire. Qu'est-ce, en effet, que l'humilité? Consiste-t-elle à supporter les outrages dont on. nous accable, à reconnaître nos péchés, à accepter les malédictions ? Non; là n'est pas encore l'humilité, mais seulement la candeur et la simple droiture de l'âme. Nous avouons de bouche notre condition de pécheur, notre indignité, et nos autres misères semblables; mais qu'on nous fasse seulement un reproche pareil, nous perdons patience, la colère nous monte ! Voyez-vous que notre conduite n'est point une humble confession, pas même un acte de droiture et de franchise ? Puisque vous vous êtes déclaré tel, souffrez donc sans colère qu'un autre vous le dise et vous accuse ; vos fautes, en effet, deviennent ainsi moins lourdes à votre conscience, quand vous en acceptez le reproche de la bouche des autres; ils prennent sur eux votre propre fardeau, et vous font entrer dans la vraie sagesse.

Ecoutez ce que disait un saint, le roi David, quand Séméi le maudissait. « Laissez-le m'insulter. Le Seigneur le lui a commandé, afin de voir mon humilité ; le Seigneur me rendra le bien en retour des malédictions que cet homme me  lance aujourd'hui ». (II Rois, XVI, 10.) Et vous qui dites de vous-même tout le mal imaginable, vous vous emportez parce que vous n'entendez pas des lèvres d'autrui un éloge et des louanges réservées à de grands saints ! Vous voyez bien que vous jouez indignement dans un sujet qui n'admet pas un tel jeu ! Car, c'est repousser la louange par soif d'autres louanges, pour gagner même de plus grands éloges, pour acquérir une plus large admiration. En repoussant ainsi certains compliments, on a en vue de s'en attirer de plus beaux; nous faisons tout dès lors pour la vanité et non pour la vérité; dès lors aussi toutes nos couvres sont vides et douteuses. Je vous en supplie donc, fuyez désormais, du moins, cette vaine gloire, et vivons selon la volonté de Dieu , pour acquérir un jour les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

 

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