HOMÉLIE LX

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HOMÉLIE LX.

JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS, ET MES BREBIS ME CONNAISSENT. — COMME MON PÈRE ME CONNAÎT, JE CONNAIS MON PÈRE : ET JE DONNE MA VIE POUR MES BREBIS. (VERS. 14, 15, JUSQU'AU VERS. 21.)

 

ANALYSE.

 

1. Des mauvais pasteurs. — L'égalité du Fils avec le Père de nouveau affirmée.

2. Allusion à la vocation des Gentils. — Comment Jésus-Christ a le pouvoir de quitter sa vie et la reprendre.

3. Il s'élève parmi les Juifs une contestation au sujet de Jésus-Christ; admirable patience du Sauveur.

4 et 5. Imiter Jésus-Christ, il est notre modèle : suivre les exemples de douceur et de patience qu'il nous a donnés. — Devoirs de ses disciples : douceur et patience. — La douleur des péchés efface toute autre douleur. — Un coeur contrit n'est occupé que de sa douleur, et n'est susceptible d'aucune passion. — Cette vie est un temps de pleurs et de gémissements. — On rit des vérités que les prédicateurs annoncent. — On pèche, et ors demeure dans son péché, et on tombe dans la fournaise qu'on a soi-même allumée. — Donner à manger et à boire à Jésus-Christ, non pendant quelques jours , triais pendant tout le temps qu'on est en ce monde. — Exemple des vierges folles, exclues des noces. — Faire une bonne provision d'huile, donner largement aux pauvres. — Etre miséricordieux envers le prochain autant qu'on le peut. — Grande miséricorde , donner de son nécessaire. — Ne point faire l'aumône, c'est s'ôter toute espérance de salut : tout fidèle qui croit en bien , quel qu'il soit, a droit de participer à tous nos biens. — Les obligations du chrétien sont aisées et faciles à remplir. — Plus les commandements du Seigneur sont faciles, plus aussi seront grands les supplices à quoi seront condamnés ceux qui ne les servent pas. — Visiter les prisonniers : triste peinture de leur état et de leurs souffrances : rien n'est plus capable d'amollir le coeur et de faire penser aux jugements de Dieu. — Les puissances viennent de Dieu : le Seigneur leur a commis la garde et la sûreté des lois. — La crainte et les châtiments sont nécessaires pour retenir les hommes. — Avantage que l'on retire de la visite des prisonniers : et au contraire dangers que murent ceux qui fréquentent le théâtre. — Celui qui aura suivi en ce monde la bonne philosophie , entendra en l'autre des paroles bien consolantes. — Humanité et charité pour les prisonniers. — N'examiner pas à la rigueur ce que font les autres, mais plutôt ce que nous avons fait nous-mêmes. — Il se trouve quelquefois des gens de bien dans les prisons : Joseph en est un exemple. — Bonté de Jésus-Christ à recevoir les pécheurs : modèle de l'humanité que nous devons avoir pour eux. — Il y a hors des prisons des gens plus méchants et plus grands voleurs que ceux qui y sont enfermés. — Souvent on vole dans le petit, et par le menu , ce qu'on n'oserait pas voler en gros. — Ne pas donner le juste prix d'une marchandise ou la surfaire, c'est voler. — Ne pas s'établir juge des autres , mais de soi. — Ce que Dieu a fait pour nous, lors même que nous étions enfants de colère, nous apprend ce que nous devons faire pour notre prochain. —  Il y a plus de mérite et plus de gloire à recevoir chez soi un pauvre et un malheureux , qu'à y recevoir un grand, un homme qui est dans la fortune, pourquoi. — Grandes récompenses pour ceux qui vont consoler les prisonniers.

 

 

1. C'est une grande tâche que la garde de l’Eglise, une tâche qui requiert beaucoup de sagesse et un courage tel que celui dont parle Jésus-Christ, tel qu'on donne sa vie pour ses brebis, que jamais on ne les abandonne, qu'on soit ferrite et qu'on résiste courageusement au loup. C'est là en quoi le pasteur diffère du mercenaire. Celui-ci s'inquiète peu de ses brebis, et n'a de vigilance que pour ses propres intérêts; mais l'autre s'oublie soi-même, et veille uniquement au salut de son troupeau.

Jésus-Christ donc, après avoir caractérisé le pasteur, parle de deux autres sortes de gens qui nuisent au troupeau : du voleur, qui ne [394] cherche qu'à ravir les brebis, qu'à les égorger, et de celui qui ne les perd pas lui-même, mais qui ne repousse pas le voleur et ne le chasse pas. Par celui-là il désigne Théodas; dans la personne de celui-ci il flétrit les docteurs des Juifs, qui ne prenaient aucun intérêt au troupeau qui leur avait été confié : c'est de quoi longtemps auparavant Ezéchiel leur avait fait des reproches, en leur disant : « Malheur aux pasteurs d'Israël ! Ne se paissent-ils pas eux-mêmes? les pasteurs ne paissent-ils pas leurs troupeaux?» (Ezéch. XXXIV, 2.) Mais les pasteurs d'Israël faisaient le contraire, ce qui est d'une extrême méchanceté et la source de tous les autres malheurs. Voilà pourquoi le prophète dit : Ils ne ramènent pas au troupeau les brebis qui se sont égarées; celles qui se sont perdues, ils ne les cherchent pas; ils ne bandent- point les plaies de celles qui se sont blessées; ils ne travaillent point à fortifier et à guérir celles qui sont faibles et malades, parce qu'ils se paissent eux-mêmes, et non leur troupeau (Ezéch. XXXIV, 4).

Saint Paul déclare la même chose en d'autres termes: « Tous cherchent », dit-il, « leurs « propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ » (Philip. II, 21); et encore: « Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres ». (I Cor. X, 24.) Jésus-Christ se sépare de ces deux sortes de pasteurs, de ceux qui s'ingèrent dans ce ministère pour la ruine du troupeau, quand il dit : « Pour moi, je suis venu, afin que les brebis aient la vie, et qu'elles l'aient abondamment (10) »; et de ceux qui ne se soucient pas que les loups ravissent les brebis, en ne les abandonnant point, et donnant, au contraire, sa vie pour leur salut. Lorsque les Juifs cherchaient à le faire mourir, il n'a point cessé de prêcher et d'instruire, il n'a point abandonné ses disciples; mais il est demeuré ferme et il a voulu souffrir la mort. C'est pourquoi partout il dit : « Je suis le bon pasteur ».

Ensuite, comme on ne voyait point encore de preuve de ce qu'il avançait (car ce ne fut que quelque temps après que cette parole « Je donne ma vie », eut son accomplissement, et celle-ci : « Afin qu'elles aient la vie, et « qu'elles l'aient abondamment », ne devait l'avoir qu'après sa mort) ; que fait-il? Il confirme une des choses par l'autre : en donnant sa- propre vie, il prouve qu'il donne aussi la vie, et c'est là ce que saint Paul nous apprend; car il dit : « Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison étant maintenant réconciliés avec lui, nous serons sauvés ». (Rom. V, 10.) Et encore ailleurs : « S'il n'a pas épargné son propre a Fils, mais l'a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point après nous l'avoir donné? » (Rom. VIII, 32.)

Mais maintenant, comment les Juifs ne font-ils pas des reproches à Jésus, et ne lui disent-ils pas comme auparavant : « Vous vous rendez témoignage à vous-même », ainsi « votre  témoignage n'est point véritable? » (Jean, VIII, 13.) C'est parce qu'il les avait, souvent obligés de se tire, et que les miracles qu'if avait faits lui donnaient plus de liberté vis-àvis d'eux.

Après cela, ayant dit ci-dessus : « Les brebis entendent sa voix, et le suivent »; de peur

que quelqu'un ne demandât : et en quoi cela importe-t-il à ceux qui ne croient point? faites attention à ce qu'il ajoute : « Et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent ». L'apôtre l'a aussi déclaré de même : « Dieu, n'a point rejeté son peuple qu'il a connu; dans sa prescience ». (Rom. xi, 2.) Et Moïse: « Le Seigneur connaît ceux qui, sont à lui ». (Nomb. XVI, 5; LXX et 11; Tim. II, 19.) Je parle de ceux, dit Jésus-Christ, que j'ai connus dans ma prescience. Et pour vous empêcher de croire que le degré de connaissance soit égal, observez avec quel soin il corrige, par ce qui suit, la fausse idée qu'on s'en pourrait former: « Je connais mes brebis », dit-il, « et mes brebis me connaissent » : mais ces connaissances, savoir, la mienne et celle des brebis, ne sont point égales. Et où y a-t-il égalité de connaissance? Dans mon Père et dans moi, car : « Comme mon Père me connaît, je connais mon Père (15) ». En effet, si le Sauveur n'avait pas voulu prouver cela, pourquoi aurait-il- ajouté ce qui suit immédiatement? Comme il se confond souvent d'ans la foule, de peur qu'on ne pensât qu'il connaissait son Père seulement à la manière d'un homme; il, a ajouté : « Comme mon Père me connaît, je connais mon Père ». Je le connais aussi parfaitement qu'il me connaît lui-même. Voilà pourquoi il disait : « Nul ne connaît qui est le Fils, que le Père; ni qui est le Père, que le Fils» : marquant par là une connaissance [395] qui lui est propre et particulière, et telle que nul autre n'y peut atteindre.

« Je donne ma vie ». Jésus-Christ le répète souvent, pour montrer qu'il n'est pas un imposteur, puisque saint Paul, pour faire voir qu'il est un docteur et un maître véritable, et pour confondre les faux prophètes, se prévaut des périls et des supplices qu'il a bravés, en disant : « J'ai plus reçu de coups, je me suis a souvent vu tout près de la mort ». (II Cor. XI, 23.) Jésus-Christ ayant dit : Je suis la lumière, je suis la vie, des insensés l'auraient pu regarder comme un homme vain qui ne parlait que pour s'élever au-dessus des autres; mais en disant: je veux mourir, il ne s'attirait l’envie de personne. C'est ainsi pour cela que les Juifs maintenant ne lui disent pas : « Vous vous rendez témoignage à vous-même », ainsi « votre témoignage n'est point véritable ». Par cette parole, il montrait son infinie sollicitude, lui qui voulait se livrer à la mort pour ceux mêmes qui le lapidaient.

2. C'est pourquoi le divin Sauveur en vient à parler, fort à propos, des gentils : « J'ai en« tore d'autres brebis », dit-il, « qui ne sont pas de cette bergerie : il faut aussi que je les amène (16) ». « Il faut » : Jésus-Christ se sert de ce terme, non pour marquer une nécessité, mais pour montrer que ce qu'il promet arrivera infailliblement ; c'est comme s'il disait : Pourquoi vous étonner de ce que ces hommes soient prêts à me suivre, de ce que mes brebis écoutent ma voix? Lorsque vous en verrez d'autres encore me suivre et écouter ma voix, alors il y aura lieu de vous étonner davantage. Mais s'il dit : « Qui ne sont pas de cette bergerie », ne vous troublez pas : la différence n'est que dans la loi, selon ces mots de saint Paul : « Ce n'est rien d'être circoncis, et ce n'est rien d'être incirconcis ». (I Cor. VII, 19.) « Et il faut que je les amène ». Jésus-Christ déclare que les unes et les autres sont toutes dispersées et mêlées ensemble, n'ayant point de pasteur, parce que le bon pasteur n'est pas encore venu. Après quoi il annonce qu'elles seront toutes unies : « Et il n'y aura a qu'un troupeau ». Cette union, saint Paul l'a aussi marquée, en disant: « Afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples ». (Ephés. II, 15.)

« C'est pour cela que mon Père m'aime, parce que je quitte ma vie pour la reprendre (1,7) ». Est-il rien de plus humble que cette parole? c'est à cause de nous, c'est en mourant pour nous que le Seigneur doit se faire aimer. Quoi donc ! dites-moi, mon cher auditeur, auparavant Jésus-Christ n'était-il point aimé? est-ce d'aujourd'hui que son Père commence à l'aimer? avons-nous été le principe et le lien de cet amour? Réfléchissez-vous bien sur la manière dont le Sauveur se proportionne à notre faiblesse? Par ces paroles, que veut-il donc prouver? Comme les Juifs lui faisaient ces reproches : qu'il était étranger au Père et un imposteur, qu'il était venu pour notre malheur et notre ruine, il dit : S'il n'est rien en vous qui ait pu me porter à vous aimer, ceci du moins m'y a engagé; c'est que vous êtes aimés de mon Père comme je le suis moi-même, et que la raison de cet amour, c'est que je meurs pour vous. De plus, il veut nous faire voir qu'il ne va point à la mort malgré lui; car s'il ne mourait pas volontairement et parce qu'il lé veut bien, comment sa mort serait-elle un lien d'amour? Il veut nous montrer encore que c'est là principalement la volonté de son Père. Au reste, si ce que le Sauveur dit ici, il le dît dans le langage d'un homme, ne vous en étonnez pas : nous vous en avons souvent expliqué la raison, et il serait ennuyeux et inutile de la répéter.

« Je quitte ma vie, et je la reprendrai de a nouveau. Et personne ne me la ravit, mais c'est de moi-même que je la quitte; j'ai le a pouvoir de la quitter, et j'ai le pouvoir de la reprendre (18) ». Comme les princes des prêtres, et les anciens du peuple avaient souvent tenu conseil pour trouver moyen de le faire mourir (Matth. XXVI, 3, 4), Jésus leur dit : A défaut de mon consentement, vos peines sont inutiles; et il confirme le fait le plus éloigné par le plus prochain, à savoir : la résurrection par sa mort toute volontaire, et c'est là ce qui est étonnant et digne de notre admiration : car ces deux choses sont également nouvelles et extraordinaires.

Soyons donc bien attentifs à ce que dit Jésus-Christ : « J'ai le pouvoir de quitter ma vie ». Et qui ne l'a pas ce pouvoir de quitter sa vie? Chacun peut se tuer; mais ce n'est pas de la sorte qu'il l'entend. Et comment l'entend-il? J'ai tellement le pouvoir de quitter ma vie, que personne ne me la peut ravir malgré moi, et si je ne le veux. Or, il n'en est pas ainsi des hommes. Nous n'avons le [396] pouvoir de quitter la vie qu'en nous tuant nous-mêmes. Mais si nous tombons dans une embuscade et a la merci d'assassins, nous n'avons plus alors le pouvoir de quitter ou de ne pas quitter la vie, mais ces assassins nous tuent marré nous. Il en est tout autrement de Jésus-Christ; quoiqu'on lui dressât dés embûches, il avait le pouvoir de ne pas quitter la vie.

Le Sauveur donc ayant dit : « Personne ne me la ravit », a ajouté : « J'ai le pouvoir de  quitter ma vie » ; c'est-à-dire, moi seul, je puis la quitter; pouvoir que vous n'avez point : et en effet, plusieurs peuvent nous ôter la vie. Mais il n'a point dit cela au commencement, parce qu'on ne l'aurait pas cru. Maintenant que les faits qui s'étaient passés lui servaient de témoignage et de preuve, comme on lui avait souvent dressé des embûches, vainement et sans pouvoir le rendre, car très-souvent il s'était échappé des mains des Juifs, il pouvait dire désormais : « Personne ne me la ravit ». Or, s'il en est ainsi, il s'ensuit qu'il s'est volontairement livré à la mort; et de là résulte la preuve qu'il a le pouvoir de reprendre la vie lorsqu'il le voudra. En effet, si une telle mort est au-dessus de la nature humaine, ne doutez point du reste : puisqu'il est seul le maître de quitter la vie, il la reprendra en vertu du même pouvoir, quand il le voudra. Remarquez-vous comment, par l'une de ces choses il prouve l'autre ? comment, par la manière dont il meurt, il rend sa résurrection indubitable?

« J'ai reçu ce commandement de mon Père ». Quel commandement? de mourir pour le monde. A-t-il attendu, pour en prendre la résolution, que son Père lui en ait fait le commandement? ne s'y est-il déterminé qu'alors, et a-t-il eu besoin d'apprendre la volonté de son Père? Et quel est l'homme assez fou, assez insensé pour parler de la sorte? Mais comme en disant ci-dessus : « C'est pour cela que mon Père m'aime », il montre une volonté libre, et il écarte tout soupçon d'antagonisme; ici de même, quand il dit qu'il a reçu le commandement de son Père, il ne veut dire autre chose, sinon que ce qu'il fait est agréable à son Père; afin qu'ensuite les Juifs, après l'avoir fait mourir, ne crussent pas que son Père l'avait abandonné et livré à la mort, et ne lui fissent pas ce reproche qu'ils lui firent en effet : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même » (Matth. XXVII, 42); et: «Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ». (Ibid. 40.) Mais c'est justement parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il n'en descend pas.

3. Et de peur qu'entendant ces paroles: «J'ai reçu ce commandement de mon Père », vous ne pensiez que cette oeuvre n'était pas volontaire, et que Jésus mourait marré lui, il a dit auparavant : « Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis », par où il montre que les brebis lui appartiennent, que l'oeuvre qu'il fait est entièrement à lui et qu'il n'a pas besoin de commandement. S'il lui avait fallu un commandement, pour quelle raison aurait-il dit: « C'est de moi-même que je la quitte (18)? » En effet , celui qui quitte la vie de soi. même, n'a pas besoin de commandement. Et même la raison pour laquelle il la quitte, il la déclare. Quelle est-elle? c'est qu'il est Pasteur, et le bon Pasteur. Or, le bon Pasteur n'a pas besoin qu'un autre l'exhorte à donner sa vie pour le salut de ses brebis. Que si, à l'égard des hommes, une pareille exhortation n'est pas nécessaire, à plus forte raison ne l'est-elle point à l'égard d'un Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait de lui : « Il s'est anéanti lui-même ». (Philip. II, 7). Jésus-Christ donc, en cet endroit, par ce mot : « Commandement », ne veut marquer autre chose que son union parfaite avec le Père. Que s'il s'exprime en des termes si humains et si humbles, il faut s'en prendre à la faiblesse et à la grossièreté de ses auditeurs.

« Ce discours excita donc une division parmi les Juifs (19). Les uns disaient : il est possédé du démon, il a perdu le sens: pourquoi l'écoutez-vous (20) ? » Mais les autres disaient: « Ce ne sont pas là des paroles d'un homme a possédé du démon. Le démon peut-il ouvrir les yeux d'un aveugle (21) ? » Ce que disait le Sauveur étant plus qu'humain , tout extraordinaire et bien au-dessus du langage des hommes, pour cette raison les Juifs le disaient possédé du démon, et ils l'ont déjà quatre fois appelé de ce nom. Ils avaient dit auparavant: « Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à vous faire mourir? » (Jean, VII, 20.) Et derechef : « N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes un samaritain , et que vous êtes possédé du démon? » (Ibid. VIII, 48.) Et ici : « Il est possédé du démon , il a perdu le sens : pourquoi l'écoutez-vous? » Mais ce n'est pas seulement quatre fois, c'est [397] bien souvent que Jésus-Christ a dû s'entendre qualifier de possédé. Ces paroles seules: N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes possédé du démon ? montrent évidemment que ce n'est pas deux ou trois fois qu'ils l'ont injurié de la sorte, mais fort souvent.

« Les autres disaient », dit l'évangéliste, « ce ne sont pas là des paroles d'un homme possédé du démon. Le démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles? » Ceux-ci ne pouvaient pas imposer silence aux autres par les paroles mêmes que Jésus-Christ avait dites; ils le font au moyen de ses oeuvres. Sûrement, ses paroles mêmes ne sont pas celles d'un homme possédé du démon; mais si fous ne voulez pas croire ni obéir à ses paroles, laissez-vous persuader par ses œuvres. Si ses actions ne peuvent provenir d'un homme possédé du démon, et si au contraire elles sont plus qu'humaines, il est visible qu'elles viennent d'une vertu divine. Remarquez-vous la force de cet argument? Car, d'une part il était visible qu'ils ne disaient: « Il est possédé du démon » , que parce que ses paroles étaient au-dessus de l'homme ; et de l'autre Jésus-Christ aussi a fait évidemment connaître, par les œuvres qu'il a faites, qu'il n'était point possédé du démon.

Que répondit donc Jésus-Christ à ces injures? Il ne fit aucune réponse. Auparavant il leur avait répondu : « Je ne suis point possédé a du démon ». Mais maintenant il ne dit mot: leur ayant donné, par ses oeuvres mêmes, une preuve sensible qu'il n'était point possédé du démon, il garda le silence. Ils n'étaient pas dignes de réponse, puisqu'ils le disaient possédé, pour des œuvres qu'il fallait admirer , et qui devaient les persuader de sa divinité. Mais qu'était-il besoin qu'il les réfutât, quand ils étaient divisés et se réfutaient mutuellement? Il demeurait donc dans le silence , et souffrait tout avec beaucoup de tranquillité, non pour cette raison seulement, mais encore pour nous former à; la douceur et à la patience.

4. Imitons donc Jésus-Christ: car il ne s'est pas borné à garder alors le silence, mais aujourd'hui, si on l'interroge , il répond , et il donne des marques et des signes visibles de sa providence. Des hommes qu'il avait comblés de mille bienfaits , à qui il avait fait du bien, non une ou deux fois, mais plusieurs, l'ont appelé démoniaque et insensé, et non-seulement il ne s'est point vengé, mais encore il n'a point cessé de leur faire du bien. Et que dis-je, de leur faire du bien? Il donne sa vie pour eux , et il prie son Père pour ceux qui l'ont crucifié. Ces exemples , que nous donne le divin Sauveur, suivons-les donc aussi nous-mêmes, car c'est véritablement être disciple de Jésus-Christ que d'être doux et patient.

Mais par où parviendrons-nous à cette douceur? En repassant souvent nos péchés dans notre mémoire, en les pleurant avec amertume. L'âme qui vit dans cette tristesse, qui est pénétrée de la douleur de ses péchés, ne se met point en colère et ne s'offense de rien. Où est le deuil, là il rie peut y avoir de colère; où est la douleur, là il n'y a nul emportement ; où est la componction de coeur, il n'y a ni dissensions ni querelles. Un coeur triste et affligé n'a point le temps ni la force de s'irriter, mais il jettera de profonds soupirs, il répandra des larmes amères.

Je sais que plusieurs de mes auditeurs rient de ce que je dis; mais moi, je ne cesserai point de déplorer le malheur de ceux qui rient. La vie présente est une vie de pleurs, de larmes et de gémissements. En effet, nous faisons bien des péchés par nos paroles et par nos actions. Or, ceux qui commettent ces péchés tomberont dans l'enfer, dans un fleuve ardent, dans un gouffre plein de feu, et perdront le royaume des cieux: ce qui est le plus grand et le plus terrible de tous les malheurs. Après une telle menace, dites-le-moi , mon cher auditeur, riez-vous encore, pouvez-vous vivre dans les délices, et votre Seigneur étant en colère contre vous, et vous menaçant dans sa fureur, demeurerez-vous dans votre péché? Par cette conduite ne craindrez-vous pas d'attiser vous-même le feu de la fournaise où vous allez être jeté? N'entendez-vous pas la voix de Jésus-Christ, qui vous crie tous les jours : « Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; vous m'avez vu avoir soif, et vous ne m'avez pas donné à boire: Retirez-vous de moi », allez « au feu a qui avait été préparé pour le diable et pour ses anges? » (Matth. XXV, 42.) Oui, tous les jours Jésus-Christ vous fait cette menace.

Mais je lui ai donné à manger? direz-vous. Quand et combien de fois? Dix ou vingt? Mais cela ne lui suffit pas , vous lui devez donner à manger pendant tout le temps que vous êtes sur la terre. Car les vierges ont [398] eu de l'huile, mais non pas autant qu'il leur en fallait pour leur salut : elles allumèrent, elles aussi, leurs lampes, et néanmoins elles furent exclues des noces (Matth. XXV), comme de juste , car leurs lampes s'éteignirent avant l'arrivée de l'époux. Voilà pourquoi il nous est nécessaire d'avoir une bonne provision d'huile, et de donner libéralement aux pauvres. Ecoutez ce que dit le prophète : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon votre grande miséricorde ». (Ps. L, 1.) Ayons donc autant de pitié de nos frères que notre miséricorde peut s'étendre. Tels nous aurons été envers nos compagnons, tel sera aussi le Seigneur envers nous.

Mais en quoi consiste la grande miséricorde? à donner non-seulement de notre superflu., mais aussi de notre nécessaire. Que si nous ne donnons même pas de notre superflu, quelle espérance nous restera-t-il? Par où, par quels moyens nous délivrerons-nous des maux. qui nous menacent? Où irons-nous, à qui recourrons-nous pour obtenir notre salut? Si les -vierges, après tant de travaux et de sueurs, n'ont trouvé aucune consolation ni protection, où sera notre refuge, lorsque notre Juge nous dira d'une voix menaçante ces terribles paroles : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger? » (Matth. XXV, 45.) Vous avez manqué à me rendre ces services, toutes les fois que vous avez manqué à les rendre à l'un de ces plus petits. Le Seigneur ne dit pas cela seulement de ses disciples ou des moines, mais encore de tous les fidèles, quels qu'ils soient. Car tout fidèle, fût-il esclave ou mendiant, dès lors qu'il croit en Dieu, a droit de participer à tous nos biens et à toute notre bienveillance. Si, lorsqu'il est nu ou qu'il a faim, nous le négligeons, nous nous entendrons dire ces foudroyantes paroles : «Retirez-vous, allez au feu ». Et sûrement ce sera justice.

En effet, qu'est-ce que le Seigneur exige de nous de pénible et d'onéreux? ou plutôt est-il rien de plus facile que ce qu'il demande de nous? Il n'a point dit : J'étais malade et vous ne m'avez pas guéri, mais: vous ne m'avez pas visité. Il n'a point dit : J'étais en prison et vous ne m'en avez pas retiré, mais vous ne m'êtes pas venu voir. Plus ces commandements sont faciles, plus seront grands les supplices infligés à ceux qui ne les auront point observés. En effet, je vous prie, est-il rien de plus facile que d'aller voir les prisonniers? Qu'y a-t-il de plus aisé et de plus doux? Quand vous les verrez les uns dans les fers, les autres sordides, avec de grands cheveux épars, couverts de haillons ; d'autres exténués de faim, accourir à vos pieds comme des chiens; d'autres ayant le dos tout déchiré, d'autres que l'on ramène de la place liés et garrottés; passant le jour à mendier, sans pouvoir gagner même le pain qui leur est nécessaire pour subsister, et le soir contraints par leurs geôliers à des offices si pénibles et si cruels; quand vous verrez tout ce triste spectacle, eussiez-vous le coeur plus dur que les cailloux , vous le quitterez plein d'humanité; quand vous mèneriez une vie molle et voluptueuse, vous deviendrez un parfait philosophe, parce que, dans les calamités d'autrui, vous verrez, vous apprendrez à connaître la misérable condition de la vie humaine. C'est alors que le jour terrible du Seigneur, que les différents supplices qui sont préparés pour les méchants , se présenteront à votre esprit; méditant ensuite sur tous ces objets, vous chasserez de votre coeur la colère, la volupté, l'amour des choses du siècle; et votre âme deviendra plus tranquille que le port le plus calme et le plus assuré. Vous philosopherez, vous raisonnerez sur ce jugement; repassant en vous-même ce que vous aurez vu, vous direz : si parmi les hommes il v a un si grand ordre, des menaces si terribles, des châtiments si affreux, combien plus redoutable encore doit être la justice de Dieu! « Car il n'y a point de puissance qui ne vienne de « Dieu ». (Rom. XIII.) Celui qui a commis aux princes et aux puissances la garde et la sûreté des lois, y veillera sans doute, et les fera lui-même bien mieux observer.

5. Effectivement, si la crainte ne retenait les hommes, tout sans doute , tout tomberait bientôt dans le désordre, puisqu'il en est plusieurs qui se portent au mal, malgré tant de supplices qui les menacent. Si vous philosophez, si vous méditez sur ces choses, vous serez plus disposés et plus prompts à faire l'aumône, vous jouirez d'un grand plaisir, et beaucoup plus grand que si vous veniez du théâtre. Ceux qui en sortent ont le coeur embrasé du feu de la concupiscence : après avoir vu sur la scène, non sans recevoir mille blessures, toutes ces femmes sans moeurs, ils seront plus troublés qu'une mer agitée de la tempête, [399] tant que les regards de ces prostituées, leurs habillements, leurs paroles, leur manière de marcher, et le reste occuperont leur imagination. Mais ceux qui sortent de ces autres spectacles, n'éprouveront rien de pareil, ou plutôt ils jouiront d'une grande paix et d'une grande tranquillité. La tristesse qu'inspire la vue de ces malheureux qui sont dans les fers, éteint entièrement tous les feux de la concupiscence. Si celui qui sort de la prison vient à rencontrer une femme débauchée, cette rencontre sera sans péril. Son âme, comme si elle était devenue indomptable, ne se laissera point prendre à ces sortes de filets, ayant devant les yeux la crainte des jugements de Dieu, qui la préservera du coup mortel des regards de cette malheureuse. Voilà pourquoi celui qui avait éprouvé toutes sortes de voluptés disait : « Il vaut mieux aller à une maison de deuil qu'à une maison de ris ». (Ecclés. VII, 3.) Celui qui aura pratiqué en ce monde la philosophie que je vous prêche maintenant, s'entendra dire en l'autre les paroles les plus consolantes.

Ne négligeons donc pas, mes chers frères, cette bonne oeuvre. Quand même nous ne pourrions rien porter à manger aux prisonniers, ni soulager leur détresse avec de l'argent, nous pourrons du moins les consoler par nos paroles, relever leur âme abattue, les assister en bien d'autres choses ; soit en parlant pour eux à ceux qui les ont fait mettre en prison ; soit en rendant les geôliers plus doux et plus compatissants; à cela nous ne saurions manquer de faire un bénéfice , petit ou grand. Peut-être vous direz : Il n'y a là ni honnête homme, ni gens de bien; mais ce sont tous des meurtriers , des assassins , des sacrilèges qui ont été fouiller dans les sépulcres, des voleurs, des adultères, des impudiques et des gens coupables de beaucoup de crimes : ah ! ce que vous me répondez-là prouve la nécessité de visiter ces malheureux. Le Seigneur ne nous commande pas d'assister les bons et de punir les méchants, mais d'avoir de l'humanité généralement pour tous, et de répandre sur tous nos charités. En effet, il dit: « Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». (Matth. V, 45.)

Ne faites donc pas aux autres de trop rudes réprimandes, et ne soyez pas un juge trop sévère, mais montrez-vous doux et humain. Nous-mêmes, quoique nous ne soyons pas (les adultères, de ceux qui portent des mains sacrilèges sur les sépulcres, ni des voleurs, nous sommes coupables de bien d'autres fautes qui sont dignes de mille supplices : ou nous avons appelé fou notre frère, et par là nous avons mérité le feu de l'enfer (Matth. V, 28); ou nous avons regardé des femmes avec un mauvais désir, et c'est là un véritable adultère; ou ce qui est le plus grave et le plus énorme de tous les crimes, nous avons participé indignement aux saints mystères, et nous nous sommes rendus coupables du corps et du sang de Jésus-Christ. (I Cor. XI, 27.) N'examinons donc pas à la rigueur ce que font les autres, mais pensons à ce que nous avons fait nous-mêmes; et de cette sorte nous réprimerons cet esprit d'inhumanité et de cruauté, qui nous éloigne des prisons.

Mais en outre, on peut dire que nous trouverons dans les prisons beaucoup de gens de bien, et qui valent mieux quelquefois que tous leurs concitoyens ensemble. La prison où était Joseph renfermait bien des méchants (Gen. XXXIX, 20); néanmoins ce juste avait soin de tous les prisonniers, et il était confondu avec eux, sans que l'on sût qui il était. Bien que son mérite l'égalât à l'Egypte entière, il était pourtant enfermé dans une prison , et personne ne le connaissait. Maintenant aussi il est vraisemblable qu'il y a dans les prisons beaucoup d'hommes vertueux et honnêtes , quoiqu'ils ne soient pas connus de tout le monde; le soin que vous aurez de ceux-ci vous dédommagera pleinement des bons offices que vous rendrez aux autres. Mais quand même il ne s'y trouverait pas un seul homme de bien, une grande récompense ne vous serait pas moins réservée. Certes, votre Seigneur ne parlait pas seulement aux justes, ne rejetait pas les pécheurs; il reçut avec beaucoup de bonté la Chananéenne et l'impure Samaritaine ; il reçut et guérit aussi une autre femme débauchée, ce dont les Juifs lui firent des reproches; et il souffrit que ses pieds fussent lavés des larmes d'une femme impudique, pour mous apprendre à traiter humainement les pécheurs : car en cela consiste par excellence la charité. Que dites-vous? Des voleurs et des misérables, qui ont porté leurs mains sacrilèges dates les, sépulcres, remplissent la [400] prison? Mais, je vous prie, les habitants de cette ville sont-ils tous justes? Ne s'y en trouvera-t-il pas plusieurs qui sont plus méchants que ceux qui sont en prison, et qui volent avec plus d'impudence? Ceux-là cherchent au moins les lieux écartés et les ténèbres, attendent la nuit et se cachent pour faire leur coup : mais ceux-ci, quittant le masque, commettent le crime à visage découvert, sont violents, emportés, avares, et ravissent effrontément le bien d'autrui. Ah ! qu'il est rare de trouver un homme juste et innocent !

6. Que si nous ne ravissons pas de grosses sommes d'argent, ou bien encore tel ou tel nombre d'arpents de terre; ces mêmes vols, nous faisons tout ce que nous pouvons pour les faire adroitement et furtivement dans les petites choses. Lorsque, dans notre commerce, soit en achetant, soit en vendant, nous faisons tous nos efforts et nous employons toutes les ruses et tous les artifices imaginables pour tromper et ne pas donner la juste valeur, ou surfaire le prix, n'est-ce pas là un vol et une rapine? N'est-ce pas là un brigandage? Et ne me venez pas dire que vous n'avez point volé de maisons ni d'esclaves. L'injustice ne se mesure pas sur le prix de la chose qu'on a volée, mais sur la volonté de celui qui vole. La justice et l'injustice ont la même balance et se montrent également dans les grandes et dans les petites choses; et j'appelle un voleur, tant celui qui, coupant la bourse, emporte l'or, que celui qui, en achetant, retient quelque chose du prix convenu ; et je dis abatteur de murailles, non-seulement celui qui passe à travers pour voler quelque chose au dedans, mais encore celui qui, violant le droit, fait tort à son prochain. Ce que nous avons fait, ne l'oublions donc pas, pour nous établir ensuite juge des autres; et lorsque l'occasion se présente d'exercer l'humanité et la charité, n'allons point rechercher le vice et l'injustice, mais ce que nous avons été autrefois ; et par là devenons enfin doux et miséricordieux.

En quel état étions-nous donc ? Ecoutez saint Paul, il va nous l'apprendre : « Nous étions aussi nous-mêmes autrefois désobéissants, insensés, égarés » du chemin de la vérité, « asservis à une infinité de passions et de voluptés, dignes d'être haïs, et nous haïssant les uns les autres » (Tit. III, 3) ; et encore : « Par la naissance naturelle, nous étions enfants de colère ». (Ephés. II, 3.) Mais Dieu nous voyant avec compassion comme des prisonniers qui sont détenus dans une prison et chargés de grosses chaînes, beaucoup plus rudes et plus pesantes que des chaînes de fer, n'a pas rougi de nous venir visiter : il est entré dans notre prison, nous en a tirés, quoique nous fussions dignes de mille supplices; nous a amenés dans son royaume (Col. I, 13) et nous a rendus plus brillants que le ciel ; afin que nous aussi, selon notre pouvoir, nous fassions la même chose pour nos frères. Quand Jésus-Christ dit à ses disciples : « Si je vous ai lavé les pieds, moi qui suis » votre « Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car je vous ai donné l'exemple, afin que, pensant à ce que je vous ai fait, vous fassiez aussi de même ». (Jean, XIII, 14.) Il ne nous commande pus seulement de nous laver les pieds mutuellement, mais encore d'imiter toutes les autres choses qu'il a faites pour nous.

Celui qui est en prison est un homicide? Ne nous abstenons pas pour cela de faire une bonne action. C'est un misérable qui a fouillé dans les sépulcres, ou un adultère? N'ayons pas pitié du péché, mais de la misère du pécheur. Mais souvent, comme j'ai dit, il se trouvera, dans ce lieu, quelqu'un qui vaudra des milliers d'hommes ; et si vous allez souvent voir les prisonniers, ce gibier-là ne vous échappera point. Comme Abraham, qui recevait généralement tous les étrangers, rencontra des anges; nous, de même, nous rencontrerons de grands hommes, si nous allons souvent dans la prison. Mais s'il m'est permis de vous dire une chose qui vous surprendra et vous étonnera, c'est que celui qui reçoit dans sa maison un grand, un homme considérable, n'est pas digne de si grandes louanges que celui qui y reçoit un malheureux et un misérable, parce que celui-là porte avec soi de quoi se faire bien recevoir, je veux dire sa condition, sa dignité; mais un pauvre misérable, que tout le monde rebute et méprise, n'a qu'un seul port, qu'un seul asile, savoir : la pitié, la compassion de celui qui veut bien le recevoir; de sorte qu'il n'y a pas de charité plus pure que celle-là. Celui qui rend des services à un homme illustre et célèbre, le fait souvent par ostentation; mais celui qui reçoit un homme abject et méprisable, ne le fait que pour accomplir le commandement du Seigneur.

C'est pourquoi, si nous faisons un festin, il [401] nous est ordonné d'y inviter les boiteux et les aveugles (Luc, XIV, 13) ; si nous faisons l'aumône, il nous est ordonné de la faire aux plus petits et aux plus abjects ; car Jésus-Christ dit : « Autant de fois que vous l'avez fait à l'égard d'un de ces plus petits, c'est à moi-même que vous l'avez fait ». (Matth. XXV, 40.) Puis donc que nous savons qu'il y a dans la prison un trésor caché, entrons-y souvent, établissons-y notre commerce, et l'inclination que nous avons pour le théâtre, tournons-la de ce côté. Si vous n'avez que votre personne à apporter aux prisonniers, donnez-leur des paroles de consolation. Dieu ne récompense pas seulement celui qui nourrit les prisonniers, mais encore celui qui les va visiter. En effet, si, entrant dans la prison, vous encouragez ces pauvres malheureux , si vous fortifiez leur âme abattue et plongée dans la crainte et dans la tristesse, en leur faisant de bonnes exhortations, en les assistant et leur promettant du secours et vos bons offices, en les instruisant, vous n'en recevrez pas une légère récompense. Plusieurs de ceux qui nagent dans les délices riront peut-être s'ils vous entendent parler de la sorte; mais ces infortunés qui sont dans la misère, touchés et pénétrés de leur état, écouteront vos paroles avec beaucoup de douceur et de modestie; ils vous loueront, ils s'amenderont et deviendront meilleurs. Souvent les Juifs ont ri et se sont moqués de saint Paul en l'entendant prêcher; mais les prisonniers l'écoutaient dans un grand silence. Rien ne dispose mieux l'esprit à la philosophie que la misère, les épreuves, les afflictions.

Faisons donc attention, mes chers frères, à toutes ces choses : considérons tout le bien que nous procurerons à ces pauvres prisonniers et celui que nous nous ferons à nous-mêmes, si nous allons souvent les visiter; si le temps que nous employons mal à propos sur la place publique et à des visites inutiles, nous le leur donnons pour les ramener à leur devoir, les gagner à Jésus-Christ et nous procurer à nous-mêmes une grande joie. Travaillons ainsi pour la gloire de Dieu, nous obtiendrons les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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