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SÉRIE V. POLÉMIQUE.QUESTIONS SUR LE SCHISME DE L'ÉGLISE D'ANTIOCHE
AU PAPE DAMASE. PARTIE I.
Comme l'Orient, agité par ses anciennes
fureurs, déchire la robe sans coutures du Seigneur, comme les renards ravagent la vigne
de Jésus-Christ, et comme parmi tant de citernes entr'ouvertes qui ne sauraient garder
l'eau on a de la peine à découvrir où est la fontaine scellée et le jardin fermé de
l'Église, j'ai cru devoir consulter la chaire de saint Pierre, et sa foi, qui a reçu
autrefois des louanges de la bouche même de l'apôtre saint Paul, et chercher la
nourriture de mon âme dans le lieu même où j'ai été revêtu de Jésus-Christ. La
vaste étendue des terres et des mers qui me sépare de Rome n'a pu m'empêcher d'y aller
chercher la perle évangélique. « En quelque lieu que soit le corps, les aigles s'y
assembleront. » Tandis que les enfants libertins consument leur patrimoine en
débauches, vous seul conservez sans partage l'héritage de vos pères. Votre terre,
toujours féconde et abondante, produit sans mélange et rend au centuple la semence que
le Seigneur y a jetée . dans la nôtre le pur froment, étouffé sous les sillons,
dégénère en ivraie. Aujourd'hui le soleil de justice se lève dans l'occident, au lieu
que dans l'orient cet orgueilleux Lucifer qui est tombé du ciel établit son trône
au-dessus des astres. « Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la
terre, » vous êtes des vases d'or et d'argent. Ici nous n'avons que des vases de
terre et de bois, qui doivent être brisés avec une verge de fer ou consumés dans des
flammes éternelles. Quoique je sois ébloui par l'éclat de
votre dignité, je nie sens néanmoins attiré par votre bonté paternelle : je demande au
grand prêtre la victime du salut, et au pasteur le secours qu'il doit donner à ses
brebis. Qu'on ne m'accuse donc point de témérité, qu'on ne me vante point ici la
dignité et la grandeur du siège de Rome : je parle au successeur d'un pécheur et à un
disciple de la croix. Comme je ne veux suivre que Jésus-Christ, aussi ne veux-je
communiquer qu'avec Votre Sainteté, c'est-à-dire avec la chaire de Pierre. Je sais que
l'Église a été établie sur cette pierre : quiconque mange lAgneau hors de
cette maison est profane ; quiconque ne se trouve pas dans l'arche de Noé périt par le
déluge. Comme le désir de pleurer mes péchés m'a obligé de me retirer dans cette
vaste solitude qui sépare la Syrie d'avec le pays des Barbares, et que je suis trop
éloigné de Rome pour pouvoir demander toujours à Votre Sainteté «le saint du
Seigneur, » je m'attache aux saints confesseurs égyptiens, vos confrères, et je me
cache parmi eux comme une petite barque qui se met à l'abri à côté des grands
vaisseaux. Je ne connais pas Vital, je reflète Mélèce, je
ne sais qui est Paulin. Celui qui n'amasse point avec vous dissipe au lieu d'amasser,
c'est-à-dire que celui qui n'appartient pas à Jésus-Christ appartient à l'Antéchrist. Je ne puis le dire sans douleur, après la
division du concile de Nicée, après le décret du concile d'Alexandrie fait du
consentement des évêques d'orient et d'occident, les chefs des ariens et ceux qui
tiennent leurs assemblées à la campagne veulent que je reconnaisse trois hypostases,
moi, élevé dans lEglise latine et à
qui ces termes sont nouveaux. Quels sont, je vous prie, les apôtres qui out parlé de la
sorte ? quel est le nouveau saint Paul, le (344) nouveau maître des nations qui a
enseigné cette doctrine? Je leur demande ce qu'ils entendent par trois hypostases : ils
répondent qu'ils entendent : trois personnes existantes. Je leur dis que c'est là ma
croyance, mais ils ne se contentent pas du sens que je donne à ces paroles, ils veulent
que je les prononce : il faut qu'il y ait quelque ruse cachée sous ces mots. Je dis
hautement : « Quiconque ne confesse pas trois hypostases, c'est-à-dire trois
personnes existantes, qu'il soit anathème; » mais parce que je ne me sers pas des
termes qu'ils souhaitent ils me font passer pour hérétique. Que si par le mot hypostase
on entend l'essence et la substance, et qu'on ne dise pas qu'il n'y a dans Dieu qu'une
hypostase en trois personnes, l'on est séparé de Jésus-Christ. C'est sur cela qu'on me
fait mon procès, et qu'on m'accuse d'être uni avec vous par la même confession de foi. Dites-moi , je vous prie, quel parti je
dois prendre : je ne craindrai pas de dire qu'il y a trois hypostases si vous me le
commandez. Qu'on fasse, si vous le jugez à propos, une nouvelle confession de foi après
celle qui a été faite dans le concile de Nicée, et que les orthodoxes se servent des
mêmes termes que les ariens pour expliquer leurs sentiments. Toutes les écoles par le
mot hypostase n'entendent autre chose sinon l'essence de la substance or, je vous prie, peut-on dire sans sacrilège qu'il y a trois
substances dans la Trinité? Il n'y a dans Dieu qu'une seule nature qui existe
véritablement, car ce qui subsiste par soi-même tire existence de son propre fonds sans
le secours d'aucun être étranger. Toutes les créatures n'existent point véritablement,
quoiqu'elles paraissent exister, parce qu'il a été un temps qu'elles n'existaient point
, et ce qui n'était point autrefois peut encore cesser d'être. Ainsi le nom d'essence
n'appartient proprement qu'à Dieu seul qui est éternel, c'est-à-dire qui n'a point de
commencement. C'est pour cela que, parlant à Moise du milieu du buisson ardent, il lui
dit : « Je suis celui qui suis; »et encore: si Celui qui est m'a envoyé.» Il est
certain que les anges , le ciel , la terre, la mer existaient alors : comment donc Dieu
s'attribue-t-il à lui seul le nom d'essence, qui est commun à toutes les créatures?
Puis donc qu'il n'y a qu'une seule divinité, c'est-à-dire une seule et véritable nature
en trois personnes, dire qu'il y a trois choses, trois hypostases, trois substances en
Dieu, c'est vouloir soutenir, sous un prétexte spécieux de piété, qu'il y a trois
natures. Or si cela est, pourquoi nous séparer
d'Arius puisque nous sommes dans les mêmes sentiments? que Votre Sainteté ne
communique-t-elle avec Ursinus, et Ambroise avec Auxence? Mais
à Dieu ne plaise que Rome abandonne sa foi pour prendre ces sentiments impies, et que les
fidèles suivent cette doctrine sacrilège! Contentons-nous de dire qu'il n'y a en Dieu
qu'une seule substance, et trois personnes existantes, parfaites, égales et coéternelles
: qu'on ne parle point, je vous prie, de trois hypostases, et qu'on n'en admette qu'une.
Si néanmoins vous jugez à propos qu'on confesse trois hypostases en expliquant ce que
l'on doit entendre par ces mots, je ne m'y oppose pas; mais, croyez-moi, on cache
ordinairement le poison sous le miel, et l'ange de Satan se transforme en ange de
lumière. Ils expliquent le mot hypostase dans un sens très catholique; mais, quoique je
l'admette dans le sens qu'ils lui donnent, ils ne laissent pas de me regarder comme un
Hérétique. Pourquoi s'opiniâtrent-ils à vouloir qu'on prononce ce mot? quels pièges
cachent-ils sous des paroles ambiguës? Si leur foi est conforme à l'explication qu'ils
donnent à ces paroles, je ne leur ferai pas de procès sur les choses qu'ils ne veulent
pas s'expliquer; mais aussi, si je suis dans les mêmes sentiments qu'ils affectent
d'avoir, que ne me laissent-ils la liberté de les expliquer à ma manière ? Je conjure donc Votre Béatitude, par ce
Dieu crucifié qui a été le sauveur du monde et par les trois personnes de la Trinité
qui n'ont qu'une même essence, de m'écrire si je dois confesser ou non trois hypostases;
et, de peur que ceux qui porteront vos lettres n'aient de la peine à me trouver, je vous
prie d'avoir la bonté de les adresser au père Evagrius, qui
a l'honneur d'être connu de vous. Marquez-moi aussi, je vous prie, avec qui je dois
communiquer dans Antioche, parce que les habitants de la plaine, joints aux hérétiques
de Tarse, ne cherchent qu'à s'autoriser de la communion qu'ils disent avoir avec vous
afin de soutenir les trois hypostases dans leur ancien sens. 345 PARTIE II.
L'Évangile
nous parle d'une femme qui par ses importunités mérita d'obtenir de son juge ce qu'elle
souhaitait, et d'un ami qui, s'étant retiré chez lui avec ses domestiques et ayant
déjà fermé la porte de sa maison, se leva néanmoins pour donner des pains à un de ses
amis qui venait à minuit les lui demander. Dieu même, tout invincible qu'il est, s'est
laissé vaincre par les prières du publicain, et la ville de Ninive, qui s'était perdue
par ses crimes, se sauva par ses larmes. Je vous parle de la sorte afin que dans votre
élévation vous ne dédaigniez pas de jeter les yeux sur moi, ni de prendre soin d'une
brebis malade, quelque nombreux d'ailleurs que soit votre troupeau. Jésus-Christ fit
autrefois passer un larron de la croix dans le ciel et changea en la gloire du martyre la
peine de ses crimes, pour faire voir que la conversion du pécheur n'est jamais hors de
saison. Ce divin Sauveur reçoit avec joie l'enfant prodigue lorsqu'il revient à la
maison paternelle; ce bon Pasteur laissant quatre-vingt-dix-neuf brebis, en va chercher
une qui était restée en arrière et la rapporte sur ses épaules. Saint Paul, de
persécuteur de l'Église devient prédicateur de l'Évangile. Dieu le prive de la vue du
corps afin d'éclairer son esprit, et cet homme, qui traînait devant les tribunaux des
Juifs les serviteurs de Dieu chargés de chaînes, se fait gloire de celles qu'il porte
pour l'amour de Jésus-Christ. Je vous ai déjà dit que j'ai reçu
autrefois à Rome la robe de Jésus-Christ, et que je demeure maintenant sur les
frontières de la Syrie, pays sauvage et barbare. Ne regardez pas, s'il vous plait, ma
retraite comme un exil auquel on m'aurait condamné malgré moi: je me suis moi-même
imposé cette pénitence pour l'expiation de mes péchés. Mais, comme dit un poète
païen, « celui qui se retire au delà des mers peut changer de climat, non d'esprit et
d'inclinations : » poursuivi donc sans cesse par un implacable ennemi, j'ai à
souffrir dans la solitude une guerre plus cruelle que jamais : d'un côté l'hérésie
arienne, soutenue par le crédit et par la puissance des grands du siècle, vomit contre
moi sa rage et sa fureur; de l'autre les trois différents partis qui déchirent l'Église
d'Antioche s'efforcent à l'envi de m'engager dans leurs intérêts. Les solitaires du
pays, plus anciens que moi, veulent me soumettre à leur autorité. Cependant je dis
hautement : « Quiconque est uni à la chaire de saint Pierre est de mon parti. » Melèce, Vital et Paulin disent qu'ils sont dans votre communion :
je le pourrais croire s'il n'y en avait qu'un seul qui le dit, mais dans l'état des
choses il faut nécessairement que deux d'entre eux, ou même tous les trois, ne disent
pas la vérité. Je vous conjure donc par la croix du
Seigneur, par la passion que Jésus-Christ a dû souffrir pour entrer dans cette gloire
qui est la couronne de notre foi, de vouloir bien imiter le zèle des apôtres, dont vous
tenez le rang et la dignité. Je souhaite que vous soyez assis sur un trône avec eux pour
juger les nations, qu'une main étrangère vous ceigne sur la fin de vos jours à
l'exemple de saint Pierre, et que vous deveniez enfin avec saint Paul citoyen du ciel.
Mais je vous prie en même temps de me marquer avec qui je dois communiquer dans la Syrie.
Ne méprisez point une âme pour le salut de laquelle Jésus-Christ a donné sa vie. |