Livre II - Ch. I-V

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LIVRE DEUXIÈME. QUI TRAITE DE LA PRÉSENTATION DE LA TRÈS-PURE MARIE DANS LE TEMPLE, DES DIVINES FAVEURS QU'ELLE Y REÇUT, DES VERTUS QU'ELLE Y PRATIQUA, DES AFFLICTIONS QU'ELLE Y SOUFFRIT, DE LA MORT DE SES PARENTS SAINT JOACHIM ET SAINTE ANNE, AUSSI BIEN QUE DES ÉPOUSAILLES QU'ELLE FIT AVEC SAINT JOSEPH PAR LE COMMANDEMENT DU TRÉS-HAUT, ET DE L'ORDRE DE VIE QU'ELLE SE PRESCRIVIT DANS SON TRÈS-CHASTE MARIAGE.

CHAPITRE I. De la présentation de la très-sainte Vierge dans le Temple, après avoir achevé la troisième année de son âge.

Instruction de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE II. D'une faveur singulière que le Très-Haut fit à la très-sainte Vierge aussitôt qu'elle fut dans le Temple.

Instruction de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE III. L’instruction que la Reine du ciel me donna touchant les quatre vœux de ma profession.

CHAPITRE IV. De la perfection avec laquelle la très-sainte Vierge observait les cérémonies du Temple, et ce qu'on lui ordonna dans ce saint lieu.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE V. Du degré très-parfait des vertus de la très-sainte Vierge en général, et comme elle les pratiquait.

Instruction de la Mère de Dieu.

 

LIVRE DEUXIÈME. QUI TRAITE DE LA PRÉSENTATION DE LA TRÈS-PURE MARIE DANS LE TEMPLE, DES DIVINES FAVEURS QU'ELLE Y REÇUT, DES VERTUS QU'ELLE Y PRATIQUA, DES AFFLICTIONS QU'ELLE Y SOUFFRIT, DE LA MORT DE SES PARENTS SAINT JOACHIM ET SAINTE ANNE, AUSSI BIEN QUE DES ÉPOUSAILLES QU'ELLE FIT AVEC SAINT JOSEPH PAR LE COMMANDEMENT DU TRÉS-HAUT, ET DE L'ORDRE DE VIE QU'ELLE SE PRESCRIVIT DANS SON TRÈS-CHASTE MARIAGE.

 

CHAPITRE I. De la présentation de la très-sainte Vierge dans le Temple, après avoir achevé la troisième année de son âge.

 

412. Entre les figures qui représentaient la très-auguste Marie dans la loi écrite, il n'y en eut aucune où elle ait été plus clairement exprimée que dans l'arche du Testament, tant par la matière dont elle était construite, que par ce qu'elle renfermait; tant pour l'usage que le peuple de Dieu en faisait, que pour les autres choses que le Seigneur opérait par le

 

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moyen de cette arche, et avec elle et par elle dans cette ancienne synagogue, parce que le tout était un crayon très-fidèle de cette divine dame, et de ce que le Seigneur devait opérer par elle dans la nouvelle Église de l'Évangile. La matière du cèdre incorruptible (1), dont cette arche fut bâtie par une providence particulière de la sagesse de Dieu , et non par un effet du hasard, représente fort clairement nôtre Arche mystique Marie, exempte de la corruption du péché actuel, du ver caché de l'originel, de ses aiguillons et des désordres qui en sont inséparables. L'or très-fin et très-pur qui la revêtait au dedans et ait dehors (2), signifie évidemment les degrés les plus parfaits et les plus éminents de la grâce et des dons qui éclataient dans les pensées divines, dans les couvres, dans les manières, dans les habitudes et dans les puissances de notre auguste Reine, sans qu'on pût découvrir dans l'intérieur et à l'extérieur de cette Arche merveilleuse aucun endroit, aucun temps, ni aucun moment, quelle ne fût toute remplie et revêtue d'une grâce d'un très haut prix.

413. Les tables de pierre de la loi, l'urne de la manne et la baguette des prodiges (3) que cette ancienne arche contenait, ne pouvaient pas signifier avec plus de clarté le Verbe incarné et renfermé dans cette Arche animée, la très-sainte vierge, puisque son Fils unique était la pierre vive et fondamentale

 

(1) Exod., XXV, 10. — (2) Ibid., 11. — (3) Hebr., IX, 4.

 

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de l'édifice de l'Église évangélique (1) , la pierre angulaire (2) qui unit les deux peuples, les Juifs et les Gentils, si fort opposés, ayant été taillée pour cet effet du mont de la génération éternelle (3), afin que le doigt de Dieu y ayant écrit la nouvelle loi de, grâce, elle fût déposée dans l'Arche virginale l'auguste. Marie, et que l'on aube que cette grande Reine était la dépositaire de tout ce que Dieu est et opère dans les créatures. Elle renfermait aussi la manne de la Divinité et de la grâce, le pouvoir et la baguette des prodiges, afin que la source des grâces , qui est l'être de Dieu, se trouvât seulement dans cette Arche divine et mystique, que ces grâces rejaillissent d'elle aux autres mortels, que par elle et en elle le bras du Tout-Puissant opérât des merveilles, et que l'on fût informé que tout ce que ce Seigneur veut, ce qu'il est et ce qu il opère, est renfermé et mis en dépôt en notre auguste Marie.

414. Il devait résulter de tout ce que nous venons de dire, que l'arche du Testament servit de base (non par là figure, mais par la vérité qu'elle signifiait) au propitiatoire (4), dans lequel le Seigneur tenait le tribunal de ses miséricordes, pour écouter son peuple, pour lui répondre, pour exaucer ses prières et lui accorder des faveurs, parce que Dieu ne s'est servi d'aucune autre créature que de la très-pure Marie pour en faire un trône de grâce, ne pouvant pas

 

(1) 1 Cor., III, 11. — (2) Ephes., II, 20. — (3) Daniel., II, 34. — (4) Exod., XXVI, 34.

 

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s'empêcher de faire un propitiatoire de cette mystique et véritable Arche, ne l'ayant construite que pour s'y renfermer. Ainsi il semble que le tribunal de la divine justice fut dans Dieu, et qu'il mit le propitiatoire et le tribunal de la miséricorde en Marie,. afin que nous ayons recours à elle avec une confiance assurée, comme à un trône de grâce pour lui présenter nos requêtes et lui demander les faveurs, les grâces et les miséricordes qui ne sont ni reçues ni accordées au genre humain que dans le propitiatoire qui se trouve en l’auguste Reine Marie.

415. Une arche si mystérieuse, consacrée et construite par la main du Seigneur pour sa propre demeure, et pour être un propitiatoire à son peuple, n'aurait pas été bien placée hors de son temple, où l'os gardait l'autre arche matérielle qui était la figure de cette arche véritable et spirituelle du nouveau Testament. C'est pourquoi l'auteur de cette merveille ordonna que la très-pure Marie fût consacrée dans son temple, lorsqu'elle eut achevé ses trois premières années depuis sa très-heureuse naissance. Je suis pourtant fort surprise d'une différence admirable que je trouve entre ce qui arriva à cette première arche, qui ri était qu'une figure, et ce qui arrive à la seconde, qui est la véritable. Car lorsque le roi David transporta l'arche en divers endroits, et qu'après lui son fils Salomon l'eut placée dans le Temple, comme en son propre lieu, quoique cette arche n'eût point d'autre excellence que de représenter notre auguste Princesse et ses mystères, ses translations furent néanmoins magnifiques

 

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et accompagnées d'une joie universelle de cet ancien peuple, comme nous l'apprennent les professions solennelles que David fit faire en la transportant de la maison d'Aminadab à celle d'Obededom, et de celle-ci au tabernacle de Sion (1), sa propre ville; aussi bien que les fêtes que Salomon fit célébrer en la transportant de la ville de Sion au nouveau temple, qu'il fit bâtir par le commandement du Seigneur, pour en faire une maison de Dieu et de prières (2).

416. L'ancienne arche du Testament fut portée dans toutes ces translations avec une vénération publique, avec un culte très-solennel accompagné de musique, de danses, de sacrifices, et d'une joie particulière de ces rois et de tout le peuple d'Israël, selon que l'histoire sacrée le raconte dans le second et troisième livre des Rois, et dans le premier et second du Paralipomène. Mais bien que notre Arche mystique et véritable, la très-pure Marie, fût la plus riche, la plus excellente et la plus digne de vénération d'entre toutes les créatures, elle ne fut pourtant pas conduite au Temple avec la même solennité : il n'y eut point dans cette mystérieuse translation de sacrifices d'animaux, et on n'y découvrait aucune pompe royale ni aucune majesté de Reine; su contraire, elle fut transportée de la maison de son père Joachim entre les bras de sa mère Anne, laquelle, n'étant pas des plus pauvres, porta néanmoins dans cette occasion sa chère fille d'une manière humble, sans suite et sans ostentation

 

(1) II Reg., VI, 10 et 12. — (2) III Reg., VIII, 5.

 

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populaire, pour la présenter et la consacrer au Temple. Le Très-Haut voulut que toute la gloire et la majesté de cette pompe fût invisible et divine, parce que les mystères de notre auguste Reine furent si relevés et si cachés, qu'il y en a plusieurs qui n'ont pas été encore découverts, par les impénétrables jugements du Seigneur, qui détermine à toutes les choses, et à chacune en particulier, son temps et son heure.

417. Étant donc dans l'admiration de cette merveille en la présence du Seigneur, lorsque j'en louais et adorais les jugements, sa divine Majesté daigna me dire : « Sachez, ma fille, que si j'ai ordonné que l'arche du vieux Testament fût honorée avec tant de solennité, ce fut parce qu'elle était une figure fort juste de Celle qui devait être Mère du Verbe incarné. Celle-là était une arche insensible et matérielle; c'est pourquoi on la pouvait honorer avec cette magnificence sans aucun danger; mais je ne permis point que cette même vénération fût rendue à l'Arche véritable et animée pendant qu'elle vécut dans une chair mortelle, pour apprendre et à vous et aux autres, par cet exemple, ce que vous ne devez pas ignorer pendant que vous êtes voyageurs. C'est que je ne veux point exposer mes élus, que j'ai acceptés et que j'ai écrits pour m'en souvenir éternellement, dans des occasions auxquelles les honneurs et les applaudissements éclatants et démesurés des hommes leur puissent servir de quelque récompense, pendant leur vie mortelle, des peines qu'ils y soutirent pour mon honneur et pour mon

 

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service. Il ne faut pas non plus qu'ils soient exposés au danger de partager l'amour qu'ils doivent à Celui qui les justifie et qui les rend saints, avec ceux qui les reconnaissent et les publient pour tels. Il n'y a qu'un Créateur, qui les a faits, qui les conserve, qui les éclaire et qui les défend; il ne doit y avoir aussi qu'un amour et qu'une application, qu'ils ne doivent nullement partager, quoique ce soit pour reconnaître les honneurs qu'on leur rend par un pieux zèle. L'amour divin est délicat, mais la volonté humaine est très-fragile, très-limitée; et si on la partage, ce qu'elle produit est fort peu de chose et très-imparfait, et elle s'expose à tout perdre en moins de rien. pour, ces raisons, et pour faire un modèle de Celle qui était très-sainte et inébranlable par ma protection, je ne voulus point qu'elle fuit connue ni honorée pendant sa vie, ni qu'elle fût conduite au Temple avec des solennités visibles.

418. « Outre cela, j'ai envoyé mon Fils unique du  ciel, et j'ai créé celle qui devait être sa Mère, afin a qui ils retirassent le monde de son erreur et désabusassent les mortels : car c'était une loi très-inique et   établie par le péché, que le pauvre fût méprisé et le riche estimé; que l'humble fût abaissé, et le superbe a exalté; que le vertueux fût blâmé, et le pécheur  loué; que le timide et soumis passât pour insensé, et l'arrogant pour généreux; que la pauvreté fût honteuse et malheureuse, et que les richesses, la vanité, l'ostentation, les pompes, les honneurs et les plaisirs périssables fussent recherchés des hommes,

 

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charnels. Le Verbe incarné et sa Mère sont venus condamner toutes ces choses comme trompeuses et mensongères, afin que les mortels connussent le danger formidable dans lequel ils vivent en les  aimant, et en s'abandonnant avec tant d'aveugle ment à ces sensibles et délectables ennemis de leur salut, parce qu'ils font tous leurs efforts, à cause de cet amour désordonné qu’ils leur portent, pour s'éloigner de l'humilité, de la douceur et de la pauvreté, bannissant par là tout ce qui a quelque odeur de véritable vertu et de pénitence sincère, et qui pourrait refréner leurs passions, et satisfaire à mon équité par l'acceptation que j'en ferais; parce que c'est ce qui est saint, honnête et juste qui doit a être récompensé d'une gloire éternelle, le contraire  devant être puni d'une peine sans fin.

419. « Les yeux terrestres des mondains et des  charnels n'aperçoivent pas cette vérité, ni ne veulent point se servir de la lumière qui la leur enseignerait. Mais pour vous, ma fille, écoutez-la et  écrivez-la dans votre coeur par l'exemple du Verbe  incarné et de celle qui fut sa Mère, et qui l'imita en  toutes choses. Elle était sainte, et la première après  Jésus-Christ dans mon estime et dans ma complaisance : c'est pourquoi toutes les vénérations et tous les honneurs des hommes lui étaient dus, puisqu'ils ne lui pouvaient pas même rendre ce qu'elle méritait; mais j'ordonnai qu'elle ne fût point honorée ni connue alors, afin d'établir en elle ce qui était le plus saint, le plus parfait, le plus précieux et le

 

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plus assuré, que mes élus devaient imiter et apprendre de cette Maîtresse de la vérité : cela consistait à pratiquer l'humilité, le silence et la retraite;  à mépriser la vanité trompeuse et dangereuse du  monde; à aimer les travaux, les tribulations, les injures, les afflictions et le mépris des créatures. Et  parce que toutes ces choses ne pouvaient pas compatir avec les applaudissements, les honneurs et  l'estime des mondains, j'ordonnai que la très-pure  Marie ne les recevrait point; je ne veux pas non plus que mes amis les reçoivent, ni qu'ils y donnent aucune de leurs attentions. Que si je les manifeste quelquefois au monde pour ma gloire, ce n'est pas qu'ils le souhaitent, mais ils l'admettent avec humilité sans sortir de leur centre, se soumettant à la disposition de ma volonté; et d'eux-mêmes ils ne désirent ni n'aiment que ce que le monde méprise, et que ce que le Verbe incarné et sa très-sainte Mère ont pratiqué et enseigné. » Ce fut ce que le Seigneur me fit entendre dans l'admiration où j'étais sur cette différence; de manière que j'en fus satisfaite et instruite pour ce que je devais et ce que je désirais exécuter.

Les trois ans que le Seigneur avait déterminés étant accomplis, Joachim et Anne, accompagnés de quelques-uns de leurs parents, sortirent de Nazareth portant avec eux la véritable Arche du Testament, la très-pure Marie, pour la consacrer dans le saint temple de Jérusalem. La très-aimable et très-belle enfant courait par ses ferventes affections après l'odeur des parfums

 

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de son Bien-Aimé (1), pour aller chercher dans le Temple Celui quelle portait dans son cœur. Cette humble procession marchait sans être suivie d'un grand nombre de créatures terrestres et sans aucune magnificence visible, mais non pas sans une suite fort nombreuse et très-illustre d'esprits angéliques qui étaient descendus du ciel, et s'étaient unis à ceux qui gardaient leur jeune Reine, pour solenniser cette fête en y chantant avec une harmonie céleste de nouveaux cantiques de gloire et de louange au Très-Haut (la Princesse du ciel, dont les démarches étaient très-belles à la vue du suprême et véritable Salomon, les attendant et les voyant tous); cette sainte compagnie poursuivit son chemin de Nazareth jusqu'à la sainte cité de Jérusalem, pendant lequel les parents de notre auguste et jeune Marie ressentirent une grande consolation spirituelle.

421. Ils arrivèrent enfin au saint Temple, et avant d'y entrer, sainte Anne et saint Joachim prirent leur fille et leur maîtresse par la main et la conduisirent au dedans; et après y avoir fait tous trois une dévote et fervente prière au Seigneur, le père et la mère lui offrirent leur fille , pendant que la très-sainte fille s'offrait elle-même avec une humble adoration et un profond respect. Elle seule connut l'agréable acceptation que le Très-Haut faisait d'elle; et elle nuit dans une divine splendeur qui remplissait le Temple une voix qui lui disait : « Venez, mon Épouse et mon Élue ;

 

(1) Cant., I, a.

 

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venez dans mon temple, oh je veux que vous m'offriez  un sacrifice de louange et de bénédiction. » Cette prière étant achevée, ils allèrent trouver le prêtre, auquel ils présentèrent leur fille Marie; et le prêtre lui ayant donné sa bénédiction, ils la conduisirent tous ensemble dans l'appartement des vierges, où elles étaient élevées dans une sainte retraite et en de pieuses occupations, jusqu'à un âge de pouvoir prendre l'état de mariage. Les aînées de la tribu royale de Juda et de la tribu sacerdotale de Lévi étaient singulièrement gardées dans cet appartement.

422. La montée pour y aller avait quinze degrés, où l'on trouva d'autres prêtres qui venaient recevoir notre jeune Reine. Celui qui la conduisait, et qui devait être un des prêtres du commun, la mit au premier, degré. Elle lui demanda alors la permission de prendre congé de ses parents; et l'ayant obtenue, elle se tourna vers saint Joachim et sainte Anne, et s'étant mise à genoux, elle demanda leur bénédiction, leur baisa les mains et les pria de la recommander à Dieu. Les deux saints la lui donnèrent avec beaucoup de tendresse et de larmes; ensuite elle monta toute seule les quinze degrés avec une ferveur et une joie admirable, sans tourner la tête, sans verser aucune larme, sans faire la moindre action puérile, et sans témoigner aucun regret de la séparation de ses parents; au contraire, elle les mit tous dans l'admiration de la voir, en un âge si tendre, avec une majesté si agréable et avec une résolution si ferme. Les prêtres la reçurent et la conduisirent dans l'appartement des

 

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autres vierges; le souverain prêtre saint Siméon la remit et la recommanda à celles qui en prenaient le soin, parmi lesquelles se trouvait Anne la prophétesse. Cette sainte matrone avait été prévenue par une grâce spéciale et par une lumière extraordinaire du Très-Haut, afin qu'elle se chargeât de cette fille de Joachim et d'Anne.; ce qu'elle fit par une providence divine avec beaucoup de ponctualité, ayant mérité par sa sainteté et par ses vertus d'avoir pour disciple Celle qui devait être la Mère de Dieu et la Maîtresse de toutes les créatures.

423. Saint Joachim et sainte Anne s'en retournèrent à Nazareth bien plus pauvres qu'ils n'étaient venus, et pénétrés d'une vive douleur d'être privés du riche trésor de leur maison; mais le Seigneur suppléa à son absence en les favorisant et en les consolent dans toutes les occasions. Quoique le saint prêtre Siméon ne connût pas alors le mystère que la jeune Marie renfermait, il reçut néanmoins une grande lumière dans laquelle il découvrit sa sainteté et le 'choix que le Seigneur en avait fait; les autres prêtres mêmes en conçurent de très-hauts sentiments d'estime et de respect. Ce que Jacob vit en sa mystérieuse échelle (1) fut accompli en cet escalier par lequel monta la très-sainte fille; là se trouvaient les anges qui montaient et descendaient réellement, les uns qui accompagnaient leur Reine, et les autres qui venaient au-devant d'elle; Dieu l'attendait au bout 'pour la

 

(1) Gen., XXVIII, 12.

 

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recevoir et pour la reconnaître pour sa Fille et pour son Épouse ; et elle connaissait par les effets de son amour que c'était véritablement la maison de Dieu et la porte du ciel.

424. La jeune Marie ayant été remise à sa maîtresse, elle lui demanda à genoux et avec une profonde humilité sa bénédiction, et la pria de la recevoir sous sa sage conduite, et de supporter patiemment ses. imperfections. Anne, sa maîtresse, la reçut avec de grandes démonstrations d'amour, et lui dit : « Ma fille, vous trouverez en moi une mère et une protectrice, et je vous promets de prendre tous les soins possibles de votre personne et de votre éducation. » Ensuite elle alla offrir avec la même humilité ses services à toutes les vierges qui se trouvaient dans cette clôture, les salua et les embrassa chacune en particulier, les priant, comme les plus anciennes et les plus capables, de lui enseigner et de lui commander ce qu'il y aurait à faire; elle les remercia de l'avoir reçue en leur compagnie, tout indigne qu'elle sen reconnaissait.

 

Instruction de la très-sainte Vierge.

 

425. Ma fille, le plus grand bonheur qu'une âme puisse recevoir en cette vie mortelle, est que le Très-

 

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Haut l'introduise dans sa maison et la consacre entièrement à son service, parce qu'il la délivre par cette faveur d'une dangereuse servitude, et l'exempte des honteux engagements du monde, où elle mange son pain à la sueur de son front (1), sans y jouir jamais d'une parfaite liberté. Où est l'insensé et l'aveugle qui ne connaisse le péril de la vie mondaine, chargée de tant de lois et de tant de coutumes contraires à la raison, que les diables et les impies y ont introduites? Le meilleur parti est la religion et la retraite: c'est là où se trouve le port assuré , tout le reste n'étant rempli que de flots et de tempêtes, que d'afflictions et de malheurs. Si lés hommes ne découvrent point cette vérité et ne reconnaissent point cette faveur, ils sont dans une étrange dureté de coeur et dans un oubli déplorable d'eux-mêmes. Pour vous, ma fille, ne fermez point vos oreilles à la voix du Très-Haut , rendez-vous y attentive, opérez ce qu'elle vous inspirera, et répondez fidèlement à ses conseils; car je vous avertis qu'un des plus grands efforts du démon, est d'empêcher l'effet de la vocation du Seigneur, lorsqu'il appelle et dispose les âmes pour être consacrées à son service.

426. Ce seul acte public et sacré que l'on fait de recevoir l'habit et d'entrer en religion, quoiqu'on ne le fasse pas toujours avec la ferveur et la pureté d'une due intention, met le dragon infernal et tous ses démons dans de grandes indignations et dans des fureurs

 

(1) Gen., III, 19.

 

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horribles, tant à cause de la gloire du Seigneur et d¢ la joie des anges, que parce que cet ennemi mortel sait que la religion sanctifie pt perfectionne (homme. Et il arrive bien souvent qu'étant embrassée par des motifs humains et terrestres, la grâce divine y opère et conduise ensuite toutes choses à une sainte fin. Que si elle a ce pouvoir lorsque le commencement n'a pas été avec cette droite intention qu'il y fallait porter, la lumière et la vertu du Seigneur seront bien plus puissantes et efficaces, et la discipline religieuse bien plus heureuse, lorsqu'une âme y entrera par l'impulsion de l'amour divin et par un désir intérieur et sincère d'y trouver Dieu, de le servir et de l'aimer.

427. Et pour que le Très-Haut réforme ou perfectionne celui qui entre dans la religion par quelque motif que ce soit, il faut qu'en tournant le dos au monde il ne le regarde plus; qu'il efface de sa mémoire toutes ses imagés trompeuses, et qu'il oublie ce qu'il a abandonné avec tant de bonheur et de gloire. Le châtiment de la femme de Loth (1) arrive sans doute à ceux qui ne profitent point de cet avis, et qui sont ingrats et infidèles à Dieu; que si, par la divine miséricorde, ce châtiment n'est pas si sensible aux yeux extérieurs, ils le reçoivent néanmoins intérieurement en y demeurant glacés, secs, sans aucune ferveur et sans vertu : et, par cet abandonnement de la grâce, ils ne parviennent point à la fin de leur vocation, ils ne font aucun progrès dans la religion; ils n'y trouvent

 

(1) Gen., XIX, 26.

 

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aucune consolation spirituelle, et ils ne méritent point que le Seigneur les regarde et les visite comme des enfants, mais au contraire qu'il les abandonne et les rejette comme des esclaves infidèles et fugitifs. Je vous avertis, Marie, que tout ce qui appartient au monde doit être mort et crucifié en vous., et que vous le devez être en lui, sans qu'il vous reste le moindre souvenir ni la moindre affection pour aucune chose terrestre. Que si vous êtes quelquefois obligée d'exercer la charité envers votre prochain, vous devez la régler de telle manière que vous établissiez principalement le bien de votre âme, votre sûreté, la paix et la tranquillité de votre intérieur; et je vous recommande et vous ordonne dans cette pratique cette extrême circonspection qui n’est point vice, si vous voulez demeurer dans mon école.

 

CHAPITRE II. D'une faveur singulière que le Très-Haut fit à la très-sainte Vierge aussitôt qu'elle fut dans le Temple.

 

428. Après que les parents de la divine Marie eurent pris congé d'elle, et l'eurent laissée dans le Temple pour y être élevée et consacrée à Dieu, sa maîtresse

 

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lui donna sa petite chambre parmi les antres vierges, qui en avaient chacune une semblable. La Princesse du ciel ne s'y vit pas plutôt seule, qu'elle s'y prosterna et baisa la terre, dans la pensée que c'était une partie du Temple; elle y adora le Seigneur, et lui rendit grâces pour cette nouvelle faveur qu'elle venait d'y recevoir; elle en remercia aussi la terre, parce quelle l'avait reçue et qu'elle la soutenait, s'estimant indigne d'un tel bienfait. Ensuite elle s'adressa à ses anges, et leur dit ; « Princes célestes, envoyés du Très-Haut mes très-fidèles amis et compagnons, je vous supplie de toute l'affection de mon âme d'exercer envers  moi, dans ce saint temple de mon Seigneur, l'office  de vigilantes gardes, en me marquant tout ce que  je dois faire; enseignez-moi et me redressez comme  maîtres et conducteurs de mes actions, afin que je  puisse en toutes choses accomplir la volonté de  Dieu, plaire aux prêtres qui le servent dans ce saint  lieu, et obéir à ma maîtresse et à mes compagnes. » S'adressant ensuite particulièrement aux douze anges (dont nous avons déjà fait mention, ayant marqué qu'ils étaient les douze de l'Apocalypse), elle leur dit : « Je vous prie, mes saints ambassadeurs, d'aller consoler mes parents dans leur tristesse et dans leur solitude, si le Seigneur veut bien vous le permettre. »

429. Les douze anges obéirent à leur Reine; et, pendant qu'elle s'occupait avec les autres en de divins entretiens, elle ressentit une vertu supérieure qui la mouvait avec beaucoup de force et de douceur, et qui

 

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la spiritualisa et l'éleva en une extase ardente : alors le Très-Haut commanda aux séraphins qui l'assistaient d'illuminer son âme très-sainte et de la préparer. Ensuite elle reçut une lumière et une qualité divine, afin que ses puissances en fussent perfectionnées et proportionnées à l'objet que sa divine Majesté lui voulait manifester. Étant accompagnée, dans cette préparation où elle était, de tous ses anges et de plusieurs autres, et étant revêtue d'une petite nue fort reluisante, elle fut élevée en corps et en âme dans le ciel. empyrée, où elle fut reçue par la très-sainte Trinité avec une grande démonstration de bienveillance. Elle se prosterna en la présence du Seigneur tout-puissant, comme elle avait accoutumé de faire dans les autres visions, et l'adora avec une profonde humilité et révérence. Après cette adoration, elle fut éclairée de nouveau d'une autre qualité ou lumière par laquelle elle vit la Divinité intuitivement; c'est la seconde fois qu’elle lui fut découverte en cette même manière claire ou intuitive, qu'elle la vit dans le cours des trois premières années de son âge.

430. Il n'est aucune langue qui puisse exprimer les effets de cette vision et de cette participation de l'essence divine. La personne du Père éternel parla à celle qui devait être Mère de son Fils, et lui dit; « Je veux, a ma colombe et ma bien-aimée, que vous voyiez les  trésors de mon être immuable, les perfections infinies et les dons cachés que je destine pour les âmes que j'ai élues pour être héritières de ma gloire, et  qui seront rachetées par le sang de l'Agneau qui

 

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doit mourir pour elles. Connaissez, ma Fille, combien je suis libéral envers mes créatures qui me connaissent et qui m'aiment; combien je suis véritable en mes paroles, fidèle en mes promesses, puissant et admirable en mes oeuvres. Voyez, ma chère Épouse, comme c'est une vérité infaillible, que celui qui me suivra ne vivra point dans les ténèbres. Je veux que, comme mon élue, vous soyez témoin oculaire des trésors que je tiens préparés pour élever les humbles, enrichir les pauvres, honorer les méprisés et récompenser tout ce que les mortels feront ou souffriront pour mon nom. »

431. La très-sainte enfant connut d'autres grands mystères dans cette vision de la Divinité, parce que l'objet est infini; et quoiqu'il lui eût été manifesté une autre fois avec la noème clarté, il lui reste néanmoins infiniment de quoi communiquer de nouveau et de quoi causer toujours plus d'admiration et d'amour à qui reçoit cette faveur. La très-heureuse Marie répondit au Seigneur, et lui dit : « Très-Haut et très-souverain Dieu éternel, vous êtes incompréhensible en votre grandeur, riche en miséricordes et abondant en trésors ; ineffable en mystères, très-fidèle en promesses, véritable en paroles et très-parfait en vos oeuvres, parce que vous êtes, Seigneur, infini et éternel en votre être et en vos perfections. Mais que deviendra, mon souverain Seigneur, ma petitesse à la vue de votre grandeur? Je me reconnais indigne de voir ce que vous m'en découvrez, et pourtant je me trouve dans la

 

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nécessité que vous daigniez me regarder de ce même trône de gloire. Toutes les créatures, Seigneur, s'anéantissent en votre présence; que deviendra donc votre servante, qui n'est que poussière? Accomplissez en moi votre sainte volonté et votre bon plaisir ; et si les afflictions, les peines, les mépris des hommes, l'humilité, la patience et la douceur sont en une si grande estime à vos yeux ne permettez pas, mon Bien-Aimé, que je sois privée d'un si riche trésor et d'un si cher gage de votre  amour, réservez-en la récompense pour vos serviteurs et pour vos amis, qui la mériteront mieux que moi , puisque je n'ai encore rien fait pour votre service et pour vous plaire. »

432. Le Très-Haut agréa avec beaucoup de complaisance la demande de notre jeune Reine; il lui fit connaître qu'il l'acceptait, et qu'il lui accordait, comme elle le souhaitait, de travailler et de souffrir pour son amour durant le cours de sa vie, sans qu'elle découvrit alors de quelle manière et en quel ordre cela lui devait arriver. La Princesse du ciel rendit grâces d'avoir été choisie afin d'endurer quelque chose pour le nom et pour la gloire du Seigneur; et dans le fervent désir où elle était d'obtenir cette grâce, elle demanda permission à sa divine Majesté de faire quatre voeux en sa présence : de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, et de clôture perpétuelle dans le Temple où il l'avait conduite. Le Seigneur, répondant à sa demande, lui dit : « Ma chère Épouse, mes pensées sont élevées au-dessus de toutes les

 

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créatures; c'est pourquoi , mon Élue , vous ignorez présentement ce qui peut vous arriver dans le cours de votre vie, et qu'il ne sera pas possible d'accomplir tous vos fervents désirs en la manière que vous venez de le projeter; j'accepte le voeu de chasteté, et je veux que vous le fassiez, et que vous renonciez dès à présent aux richesses terrestres. C'est pourtant ma volonté que vous fassiez de votre mieux pour agir à l'égard des autres voeux comme si vous les eussiez véritablement faits; et le désir que vous avez de les faire s'accomplira dans le temps à venir de la loi de grâce en plusieurs autres vierges, qui, pour me servir et vous suivre, feront

les mêmes voeux, vivant ensemble dans de diverses communautés; ainsi vous serez Mère de plusieurs filles. »

433. La très-sainte Fille fit alors le voeu de chasteté en la présence du Seigneur, et, sans s'obliger aux autres, elle renonça à l'affection des choses de la terre , et se proposa d'obéir à toutes les créatures pour Dieu , ayant été plus ponctuelle , plus fervente et plus fidèle à accomplir les résolutions qu'elle en fit , qu'aucun de ceux qui s'y sont obligés et qui s'y obligeront par voeu. Après quoi la claire vision de la Divinité . cessa; mais elle ne fut pas incontinent transportée en terre, parce qu'elle reçut dans un autre état plus inférieur une vision imaginaire du Seigneur, et sans sortir de l'empyrée elle en eut plusieurs autres de la même espèce à la vue de la Divinité.

434. Quelques séraphins de ceux qui sont le plus

 

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près de Dieu s'approchèrent d'elle dans cette seconde vision imaginaire, et par le commandement de sa divine Majesté l'ornèrent en cette manière. Premièrement, tous ses sens furent comme illuminés par une clarté qui les remplissait de grâce et de beauté. Ensuite on la revêtit d'une robe très-magnifique de splendeur, et on la ceignit d'une ceinture de différentes pierres précieuses de diverses couleurs transparentes et fort reluisantes, dont elle était embellie au-dessus de toutes nos expressions; cette ceinture signifiait la très-pure candeur des différentes et héroïques vertus de son âme très-sainte. On lui mit aussi un collier d'un prix inestimable, duquel pendaient sur sa poitrine trois grandes pierres, symbole des trois plus excellentes vertus, la foi, l'espérance et la charité, comme si elles eussent voulu marquer le lieu où de si riches joyaux se devaient trouver. Elle reçut ensuite sept anneaux d'une rare beauté, que le Saint-Esprit lui mit aux doigts pour marquer qu'il l'ornait de ses dons en un degré très-éminent. Outre cet ornement, la très-sainte Trinité lui mit sur la tète une couronne impériale d'une matière très-précieuse, et enrichie de pierreries plus brillantes que le soleil, l'établissant tout ensemble et son Épouse et l'Impératrice du ciel ; en confirmation de cela, le vêtement blanc et lumineux dont on l'avait revêtue était re-haussé de chiffres d'un or très-fin et très-éclatant, qui disaient : Marie, Fille du Père éternel, Épouse du Saint-Esprit et Mère de la véritable Lumière. Ce dernier titre pourtant ne fut point pénétré par la

 

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divine Dame, les anges seuls, qui assistaient à une chose si nouvelle, en ayant l'intelligence, dans laquelle ils étaient remplis d'admiration de la louange qui en résultait à son auteur. Pour finir cette merveille, le Seigneur renouvela l'attention des anges, et ensuite il sortit du trône de la très- sainte. Trinité une voix qui, s'adressant à la glorieuse Vierge, lui dit; « Vous serez notre Épouse, notre bien-aimée et a notre élue entre les créatures pendant toute l'éternité, les anges vous serviront, et toutes les nations et les générations vous appelleront bienheureuse (1). »

435. Cette auguste Fille ayant été embellie par les ornements de la Divinité, on y célébra les épousailles les plus solennelles et les plus merveilleuses qu'aucun des plus hauts chérubins et séraphins pouvait imaginer : parce que le Très-Haut l'accepta pour son Épouse unique et singulière, et la constitua en la plus suprême dignité qu'une pure créature pouvait recevoir, pour déposer en elle sa divinité en la personne du Verbe, et par lui tous les trésors de grâces qu'une si éminente dignité exigeait. La très-humble entre les humbles était absorbée dans un abîme d'amour et d'admiration que tant de faveurs lui causaient, et en la présence du Seigneur elle dit ; « Roi très-haut  et Dieu incompréhensible, qui ôtes-vous et qui  suis-je, que vous daigniez regarder celle qui n'est  que poussière et qui est si fort indigne de si hautes

 

(1) Luc., I, 48.

 

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faveurs? Connaissant en vous, mon divin Seigneur,  comme dans un clair miroir, votre Être immuable,  j'y vois et j'y connais sans aucune illusion la bassesse du mien; j'y découvre votre immensité et mon  néant, et je m'anéantis dans cette connaissance, a voyant avec admiration que la Majesté infinie   s'abaisse jusqu'à un si abject vermisseau, qui ne  mérite que le rebut et le mépris entre toutes les  créatures. O mon Seigneur et mon tout, combien   serez-vous glorifié et exalté en cette œuvre ! Com bien causerez-vous d'admiration à vos esprits angéliques, qui connaissent vôtre bonté, vos grandeurs   et vos miséricordes infinies, quand ils considèreront avec quelle magnificence vous élevez cette  poussière et celle qui est si pauvre en mérites,  pour être mise au rang des princes (1)! Je vous accepte, mon Seigneur et mon Roi, pour mon Époux,  et je m'offre d'être votre servante. Mon entende ment, ma mémoire et ma volonté n'auront point a d'autre objet, d'autre fin, ni d'autre désir que  vous, qui ôtes mon souverain bien, mon véritable  et mon unique amour; mes yeux ne s'arrêteront a sur aucune créature humaine, et mes puissances et  mes sens n'auront d'application que pour vous et  pour ce que votre divine Majesté m'ordonnera ; vous serez, mon Bien-Aimé, seul et unique pour  votre Épouse (2), et elle ne sera que pour vous, a qui êtes le bien éternel et immuable. »

 

(1) Ps. CXII,. 7. — (2) Cant., II, 16.

 

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436. Le Seigneur reçut avec une complaisance ineffable cette acceptation que fit la Princesse céleste des nouvelles épousailles qu'il avait célébrées avec sa très-sainte âme, et en qualité de sa véritable Épouse et de Maîtresse de toutes les créatures, il lui mit entre les mains les pouvoirs de son trésor et de ses grâces, et lui commanda de demander ce qu'elle souhaiterait, l'assurant que rien ne lui serait refusé. La très-humble colombe exécuta l'ordre qu'elle venait de recevoir, demandant avec une charité très-ardente au Seigneur, qu'il envoyât son Fils unique au monde pour racheter les hommes; qu'il les appelât tous à la véritable connaissance de sa divinité , qu'il augmentât le saint amour et les dons de sa puissante droite à ses parents Joachim et Anne ; qu'il consolât les pauvres et les affligés, et qu'il les soulageât dans leurs besoins, demandant pour elle d'accomplir avec perfection ce qui serait le plus agréable à sa divine volonté. Ce furent les plus particulières demandes que la nouvelle épouse Marie fit à la très-sainte Trinité dans cette occasion. Tous les esprits angéliques, pour louer l'auteur de toutes ces merveilles , firent de nouveaux cantiques d'admiration, et ceux que sa divine Majesté avait destinés, l'accompagnèrent dans sa descente du ciel avec une musique céleste, et la remirent à l'endroit du Temple d'où elle avait été enlevée.

437. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle voulut commencer de pratiquer ce qu'elle avait promis en la présence du Seigneur; ainsi elle alla trouver sa maîtresse et lui remit tout ce que sa mère sainte Anne lui avait

 

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laissé , tant pour ses nécessités que pour ses petites récréations, jusqu'à ses livres et à ses habits ; et la pria de les distribuer aux pauvres , ou de l'employer à ce qu'elle voudrait, et de lui commander ce qu'elle devait faire. La discrète maîtresse ( qui était, comme j'ai déjà dit, Anne la prophétesse) reçut par une divine impulsion ce que cette aimable fille lui offrait; elle la laissa fort pauvre, puisqu'il ne lui resta que les habits qu'elle portait, et ayant loué son action, elle résolut d'en prendre un soin particulier, comme de la plus dépourvue du nécessaire, parce que les autres vierges gardaient chacune leur pension, conservaient en leur propre leurs hardes, et en disposaient selon leur volonté.

438. La maîtresse Anne prescrivit aussi une manière de vivre à la très-douce et très-bénigne enfant, en ayant auparavant conféré avec le souverain prêtre, et par ce détachement et cette résignation, la Reine et Maîtresse des créatures obtint d'en être elle seule détachée , aussi bien que d'elle-même, et de n'avoir point d'autre possession que le seul amour de Dieu et celui de son humiliation. Je déclare mon ignorance et la bassesse de mon génie à expliquer des mystères si sublimes et si cachés; et que je suis tout à fait indigne de toucher des matières dont les langues les plus éloquentes des sages, la science et l'amour des plus hauts chérubins et séraphins seraient incapables de donner une entière et fidèle connaissance : ainsi , que pourra faire une pauvre ignorante et inutile comme je suis? Je reconnais combien j'offenserais la

 

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grandeur de mystères si sacrés et si vénérables, si l'obéissance ne m'excusait; je ne laisse pas même de craindre avec elle, et je crois en ignorer et en taire le plus considérable; et que ce que je connais et ce que je dis de chaque merveille de cette Cité de Dieu , la très-pure Marie, en est la moindre partie.

 

Instruction de la très-sainte Vierge.

 

439. Ma fille, une des plus grandes et des plus ineffables faveurs que j'ai reçues durant ma vie de la droite du Tout-Puissant , est celle que vous venez de découvrir et d'écrire, parce que je connus dans cette claire vue de la divinité et de l'ètre incompréhensible du Seigneur, des mystères très-cachés. Je reçus dans cet ornement et dans ces épousailles des faveurs inconcevables, et mon âme y ressentit de très-doux et très-divins effets. Le Seigneur agréa beaucoup ce désir d que j'eus de faire les quatre voeux de pauvreté, d'obéissance, de chasteté et de clôture; par ce désir je méritai que les mêmes voeux seraient établis dans (Église et dans la loi de grâce, en la manière qu'on le pratique aujourd'hui, et tout ce que vous autres religieuses faites maintenant, vient de là comme de son principe, selon ce qui est écrit dans le psaume XLIV :

 

 

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Adducentur Regi Virgines post eam, parce que le Très-Haut ordonna que mes désirs fussent le fondement des religions de la loi évangélique. J'accomplis avec une très-grande perfection tout ce que je proposai de pratiquer dans cette occasion en la présence du Seigneur, autant que mon état me le permit; je ne regardai jamais aucun homme su visage, sans en excepter mon époux Joseph , ni même les anges; lorsqu'ils m'apparaissaient en forme humaine : je les vis et les connus tous néanmoins en Dieu; je n'eus point d'affection pour aucune chose créée ni de propre volonté, et l'on ne m'entendait point dire: Je veux faire cela, ou je ne veux pas le faire; parce que le Seigneur me gouvernait en toutes choses, ou par lui-même immédiatement, ou par l'obéissance qu'il me faisait rendre aux créatures, à qui je me soumettais agréablement pour son amour.

440. Sachez, ma très-chère fille, que, comme l'état religieux est un état sacré et établi de Dieu pour y conserver la doctrine de la perfection chrétienne, et la parfaite imitation de la très-sainte vie de mon Fils, c'est pour cette raison que le Seigneur est fort irrité contre les personnes religieuses qui croupissent dans l'oubli d'une si haute faveur, et qui vivent avec plus de lâcheté et de relâchement que plusieurs mondains ainsi elles en recevront un plus sévère jugement et des punitions plus rigoureuses. Elles doivent être d'autant plus sur leurs gardes, que le démon, comme un ancien et rusé serpent, emploie plus de soins et plus de ruses à les tenter et à les abattre qu’à l'égard des mondains

 

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soit par rapport su petit nombre de ces âmes choisies, soit par rapport aux difficultés qu'il trouve à les séduire, et au scandale que causent leurs chutes quand il les a fait tomber : ainsi, lorsqu'il en a fait donner quelqu'une dans ses piéges, il se tient bien plus de conseils dans l'enfer qu'après la chute d'un séculier, et l'on y cherche bien plus de moyens pour empêcher qu'elle ne se relève par les secours, qui se trouvent plus prompts dans la religion que dans le monde, comme sont l'obéissance, les exercices de piété et le fréquent usage des sacrements. Et, afin que le tout soit inutile à un religieux relâché et qu'il n'en puisse faire son profit, cet ennemi pratique tant de ruses et de stratagèmes, que ce serait une chose épouvantable si l'on. pouvait les découvrir. On en tonnait pourtant quelque peu, si l'on considère les inquiétudes qui agitent l'âme d'un religieux, et les adresses dont elle se sert pour justifier ses relâchements; elle tâche de les excuser par des prétextes spécieux; que si elle ne le peut, elle donne ouvertement dans toutes sortes de rébellions, de désordres et de crimes.

441. Soyez donc, ma fille, sur vos gardes, et craignez un danger si formidable; tâchez de vous élever par les forces de la divine grâce au-dessus de vous-même, et bannissez de votre coeur toutes sortes d'affections et de mouvements déréglés. Je veux que vous fassiez tous vos efforts pour mourir à vos passions et pour vous spiritualiser, afin qu'ayant détruit en vous tout ce qui est terrestre, votre vie et votre conversation deviennent tout angéliques. Vous devez sortir de

 

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votre état humain et monter dans un autre toit divin, si vous voulez remplir dignement le nom d'épouse de Jésus-Christ: et, quoique vous soyez terre, vous devez être une terre bénie, sans épines de passions, dont les fruits doivent tous appartenir au Seigneur, qui en est le maître. Ayant donc, comme vous avez, ce souverain et puissant Seigneur, qui est le Roides rois et le Seigneur des seigneurs, pour époux, vous ne devez pas daigner tourner les yeux, et encore moins le coeur, vers de vils serviteurs qui sont les créatures humaines, puisque les anges même vous aiment et vous respectent à cause de cette dignité d'épouse du Très-Haut. Que si, parmi les mortels, l'on jugé que c'est une grande témérité à un homme ordinaire de regarder l'épouse du prince, quel crime serait-ce de jeter les yeux sur l'épouse du Roi du ciel et du Tout-puissant! et quel manquement ne commettrait-elle pas si elle le permettait, ou si elle y avait quelque complaisance ! Faites-y de sérieuses réflexions, et soyez assurée que la punition que Dieu destine pour ce péché est également terrible et incompréhensible; je ne vous la découvre pas, parce que votre faiblesse n'en saurait supporter la vue. Je veux que mon instruction vous suffise, afin que vous pratiquiez tout ce que je vous ordonne, et que vous m'imitiez comme disciple autant que vos forces vous le permettront; faites aussi votre possible pour inculquer ces avis à vos religieuses, et pour les leur faire mettre en pratique.

442. J'écoute, ma divine Reine et Maîtresse très-pitoyable, vos très-douces paroles remplies d'esprit

 

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et de vie avec une fort grande joie, et je désire de les écrire dans le plus profond de mon coeur par la grâce de votre très-saint Fils, que je vous prie de m'obtenir. Je parlerai en votre présence, comme une disciple ignorante à sa maîtresse, si vous m'en donnez la permission. Je souhaite, ma très-sainte Mère, que vous me donniez une instruction plus ample qui me serve de règle et de guide dans la pratique de ce devoir et de cette affection que vous avez gravée dans mon âme, afin de pouvoir accomplir les quatre vœux de ma profession comme vous me le commandez, comme je le dois et comme je le désire.

 

 

CHAPITRE III. L’instruction que la Reine du ciel me donna touchant les quatre vœux de ma profession.

 

443. Je ne veux point vous refuser, ma fille, les préceptes que vous me demandez avec intention de les exécuter; recevez-les avec estime, avec dévotion et avec une disposition docile. Le Sage dit ; « Mon fils, si  vous avez promis pour votre ami, vous avez engagé votre main à un étranger, vous vous êtes lié par votre bouche, et vous avez été pris par vos

 

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paroles (1). » Selon cette vérité, celai qui a voué à Dieu a cloué la main de sa propre volonté, pour n'être plus libre de faire aucune autre chose que ce qu'il a promis, et pour suivre en tout la volonté et le bon plaisir de celui à qui il s'est obligé et attaché par sa propre bouche et par les paroles de sa profession. Il était à sa disposition, avant que de faire les voeux, de choisir le chemin qu'il voulait; mais quand une fois l'âme religieuse s'est liée et obligée, elle a perdu entièrement sa liberté, en ayant fait un sacrifice à Dieu entre les mains de son supérieur. Le salut ou la perte des âmes dépend de leur liberté; mais, comme la plupart en font mauvais usage et se perdent, le Seigneur a établi l'état religieux pour les fixer au bien par le moyen des voeux, afin que la créature, usant une fois de sa liberté avec une parfaite et prudente élection, consacrât à sa divine Majesté dans cet acte ce qu'elle aurait perdu en plusieurs, si elle eût été libre de vouloir et de ne pas vouloir.

444. On perd heureusement par ces vœux la liberté pour le mal, et on l'assure pour le bien, comme par une bride qui détourne du danger et conduit par le chemin assuré; l'âme perdant par ce moyen la servitude qui la rendait sujette à ses propres passions, en acquérant un nouvel empire sur elles et en étant maîtresse absolue dans son économie intérieure; dans cet heureux état, elle n'est subordonnée qu'à la grâce et aux mouvements du Saint-Esprit, qui la conduit dans

 

(1) Prov., VI, 1-2.

 

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ses opérations, pourvu qu'elle réserve toute sa volonté afin de pratiquer seulement ce qu'elle a promis à Dieu: Ainsi la créature passe de l'état de servitude à l'excellente dignité pie fille de Dieu, et de son état terrestre à un état angélique; et, par cette conduite du Saint-Esprit, elle W affranchit du péché, de ses malheureux effets et de ses terribles punitions. Il n'est pas possible que vous puissiez comprendre dans la vie mortelle combien une âme qui fait tous ses efforts pour accomplir parfaitement les veaux de sa profession, acquiert de faveurs et de trésors; car je vous assure, ma fille, que les parfaites religieuses peuvent mériter autant que les martyrs, et surpasser même leurs mérites.

445. Vous entrâtes, ma fille, en possession de l'heureux. commencement de tant de biens, le jour que vous choisîtes la meilleure part; mais prenez bien garde que vous vous y obligeâtes à un Dieu éternel et puissant, à qui le plus caché des cœurs est à découvert. Que si manquer de parole aux hommes terrestres, et ne point s'acquitter des justes promesses qu'on leur a faites, est une chose si noire et si détestée de la propre raison, combien ne le sera-t-il pas davantage d'être infidèle à Dieu dans les promesses très-justes et très-saintes! En qualité de votre Créateur, de votre conservateur et de votre bienfaiteur, vous lui devez la reconnaissance; en qualité de Père, le respect; en qualité d'Époux, la fidélité; et en qualité d'ami, la bonne correspondance. Vous lui devez la foi et l'espérance, parce qu’il est très-fidèle; l'amour,

 

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parce qu'il est le bien souverain et éternel; là soumission, parce qu'il est tout-puissant; et une sainte et humble crainte , parce qu'il est juge très-équitable. Or, vous commettriez une trahison horrible contre tous ces titres et contre beaucoup d'autres, si vous transgressiez ce que vous avez promis en votre profession. Que si c'est une chose si monstrueuse en toutes les religieuses, qui sont dans l'obligation de mener une vie spirituelle, de s’appeler épouses dé Jésus-Christ, et d'être, nonobstant cette obligation, , membres et esclaves du démon; cette faute serait bien plus honteuse en. vous, qui avez reçu plus que toutes les autres , et qui par conséquent les devez toutes surpasser en amour, en travaux et en reconnaissance de tant de faveurs.

446. Voyez donc, ô âme, combien ce crime énorme vous rendrait odieuse au Seigneur, à moi, aux anges et aux saints, parce que nous sommes témoins de l'amour et de la fidélité dont il a usé envers vous en qualité d'Époux très-riche, très-amoureux et très-fidèle. Tâchez donc de faire tout votre possible pour ne le jamais offenser en la moindre chose; ne l'obliges point de vous abandonner aux brutales passions du péché, puisque vous n'ignorez point que ce ne soit un plus grand malheur et un châtiment plus rigoureux que s'il vous exposait à la fureur des éléments, à la cruauté des animaux les plus farouches et à la rage même des démons, à toutes les peines que les hommes pourraient inventer, et aux plus sanglants affronts qu'ils sauraient vous faire, comme à autant d'exécuteurs

 

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de sa justice; oui, ma fille, tout cela vous serait un moindre mal, que de commettre un seul péché véniel contre Dieu, que vous devez servir et que vous devez aimer toujours. Toutes les peines de ce monde sont moindres que le péché, parce qu'elles finissent avec la vie mortelle, et le péché peut être éternel, et en lui sa punition peut aussi n'avoir aucune fin.

447. Les peines et les afflictions de la vie présente causent beaucoup de crainte aux mortels, parce qu'elles leur sont sensibles; mais le péché ne les afflige nullement, parcs que n'étant touchés que de ce qui frappe leurs sens , ils n'aperçoivent point la peine éternelle de l'enfer qui le suit immédiatement. Et cette même peine étant inséparable du péché, le coeur de l'homme est si appesanti, que, se laissant enivrer de son crime, il ne lui reste aucune connaissance pour en considérer la punition, parce que l'enfer ne lui est ni présent ni sensible; et quand il pourrait le voir et le toucher par la foi, il la laisse oisive et morte comme s'il ne l’avait pas. O aveuglement déplorable des hommes ! ô mortelle négligence, combien d'âmes capables de raison et de gloire n'opprimes-tu pas honteusement ! Il n'est point de paroles qui puissent dignement déclarer ce terrible malheur. Ma fille, éloignez-vous d'un si dangereux état par la sainte crainte du Seigneur; abandonnez-vous à toutes les peines et à toutes les afflictions de la vie présente, qui n'est que passagère, plutôt que de vous y hasarder, puisque rien ne vous manquera si vous ne perdez point Dieu. Ce sera un puissant moyen pour vous assurer

 

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dans le bien, d'être persuadée qu'il n'y a point de petite faute dans votre état; vous devez craindre beaucoup les moindres manquements, parce que le Seigneur tonnait qu'en méprisant les petites fautes la créature ouvre son coeur à d'autres plus grandes; et l'amour de celui qui n'appréhende pas de déplaire en la moindre chose à la personne qu'il aime, est fort imparfait.

448. L'ordre que les âmes religieuses doivent observer en effectuant leurs désirs , est celui-ci : qu'en premier lieu elles soient ponctuelles à accomplir les obligations de leurs voeux et toutes les vertus qu'ils renferment. Ensuite elles peuvent donner lieu aux oeuvres volontaires qu'on appelle de surérogation. Il s'en trouve plusieurs qui, trompées du démon, renversent cet ordre par un zèle indiscret et contraire à la perfection, parce que, manquant (en matière considérable) aux choses essentielles de leur état, elles veulent ajouter d'autres occupations volontaires, qui sont ordinairement inutiles et inspirées de l'esprit de présomption et de singularité, prétendant en cela d'être distinguées d'entre toutes les autres, comme les plus ferventes et les plus parfaites ,lorsqu'elles sont fort éloignées des principes de la perfection. Je ne veux point, ma fille, que vous tombiez dans une si lourde faute; au contraire, je veux que vous vous acquittiez en premier lieu de toutes les obligations de vos voeux et de la vie commune, et que vous ajoutiez ensuite ce que vous pourrez avec la grâce de Dieu et selon vos forces, parce que l'âme s'embellit ,

 

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se perfectionne et se rend agréable aux yeux de son Créateur en observant cet ordre.

449. Le veau d'obéissance est le plus grand de la religion, parce qu'il renferme un renoncement entier à la propre volonté; de sorte que la religieuse n'a aucune juridiction ni aucun droit sur elle-même, elle né peut plus dire je veux , ou je ne veux pas, je ferai, ou je ne ferai pas; elle a renoncé à tout cela par l'obéissance et en se soumettant à son supérieur. Si vous le voulez accomplir, il ne faut pas que vous fassiez la sage envers vous-même , ni que vous vous imaginiez d'être maîtresse de vos inclinations, de votre volonté ni de vos sentiments, parce que la véritable obéissance doit être semblable à la foi; elle doit estimer, respecter et croire ce que le supérieur commande, sans prétendre de l'examiner ni de le comprendre. Ainsi, pour obéir avec perfection et avec mérite, vous vous devez croire sans raison et sans vie, et vous considérer comme un corps mort, qui se laisse remuer et gouverner comme l'on veut: que si dans cette mort il vous reste quelque mouvement, vous ne le devez employer que pour exécuter avec plus de diligence tout ce que le supérieur vous ordonnera. Ne vous proposez jamais ce que vous aurez à faire; pensez seulement comment vous vous acquitterez de ce que l'on vous commandera. Sacrifiez votre propre volonté , étouffez tous vos appétits et toutes vos passions; et après que vous vous trouverez morte à vos propres mouvements par cette résolution efficace que vous en aurez formée , faites que l'obéissance soit

 

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l'âme et la vie de toutes vos couvres. On doit trouver toutes vos pensées, toutes vos paroles, toutes vos actions et votre volonté dans celle de votre supérieur; demandez qu'on vous ôte eu toutes choses votre être propre, et qu'on vous en donne un autre tout nouveau; tâchez de n'avoir rien à vous, et que tout soit de l'obéissance sans aucune contradiction ni résistance.

450. Remarquez que la manière la plus parfaite d'obéir est celle qui ne donne aucun lieu au supérieur de reconnaître la moindre inquiétude qui lui puisse déplaire, parce qu'on lui doit obéir avec complaisance et avec promptitude, sans répliquer ni murmurer; niais su' contraire on doit lui donner des marques agréables que l'on fait avec plaisir tout ce qu'il ordonne. Les supérieurs tiennent la place de Dieu, et en leur obéissant on obéit au Seigneur, qui est en eux, qui les gouverne, et qui les éclaire en ce qu'ils commandent à leurs inférieurs, pour le bien de leurs âmes et pour leur salut; et le mépris que l'on fait des supérieurs s'adresse à Dieu, qui par eux et en eux vous manifeste sa volonté (1); il faut que vous soyez bien persuadée que Dieu fait parler votre supérieur, ou qu'il parle par sa bouche. Tâchez donc, ma fille, de devenir obéissante, afin que vous puissiez chanter des victoires (2). Ne craignez point en obéissant, parce que c'est le chemin assuré; et il l'est si fort, que Dieu ne grave point dans sa mémoire les

 

(1) Luc., X, 16. — (2) Prov., XXI, 28.

 

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fautes des obéissants pour les leur imputer au jour du jugement, pardonnant même avec facilité les autres manquements à cause du sacrifice de l'obéissance. Mon très-saint Fils offrit avec une particulière affection sa très-précieuse mort et passion au Père éternel pour les obéissants, afin qu'ils fussent privilégiés dans le pardon et dans la grâce, et afin qu'ils n'errassent point et qu'ils se perfectionnassent dans tout ce qu'ils opèreraient en obéissant; et maintenant il représente plusieurs fois au Père, pour l'apaiser envers les hommes, qu'il a été obéissant pour eux jusqu'à la mort de la croix (1), ce qui apaise sa divine Majesté. Enfin le Seigneur agréa si fort l'obéissance d'Abraham et de son fils Isaac, qu'il ne se contenta pas seulement d'empêcher qu'un fils qui s'était montré si obéissant mourût, mais il en voulut faire encore l'ancêtre du Verbe incarné, et le choisit entre tous les autres pour être le chef et le fondement de tant de bénédictions (2).

451. Le voeu de pauvreté est une généreuse dé. charge du pesant fardeau des choses temporelles: c'est un repos d'esprit, un soulagement de la faiblesse humaine, et une sainte liberté de la noblesse d'un coeur capable des biens éternels et spirituels C'est une satisfaction et un assouvissement dans lesquels l'appétit altéré des trésors terrestres s'apaise; c'est une possession et un usage très-noble de toutes ces richesses. Tout cela, ma fille, et d'autres plus

 

(1) Phil., II, 8. — (2) Gen., XXII, 16.

 

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grands biens se trouvent renfermés dans la pauvreté volontaire; et si la plupart des hommes ne les estiment pas, c'est parce que les enfants du siècle, les amateurs des richesses périssables et les ennemis de la riche et sainte pauvreté en sont privés et n'ont pas le bonheur de les connaître. Ils ne prennent pas garde combien le poids des richesses est insupportable, quoiqu'ils l'endurent et qu'ils en soient même abattus jusqu'aux entrailles de la terre, pour y chercher avec tant de soins, de sueurs et de peines, cet or et cet argent qui leur font perdre la raison et les rendent semblables aux bêtes brutes, qui ignorent ce qu'elles font et ce qu'elles souffrent. Que si les richesses coûtent tant pour les acquérir, combien ne coûteront-elles pas pour les conserver ! Que ceux qui sont tombés dans les enfers avec cette malheureuse charge le disent; que les cruelles alarmes qu'on a de les perdre le déclarent, et que les lois intolérables que les richesses et ceux qui les possèdent ont introduites au monde, en fassent une foi publique.

452. Si toutes ces apparences trompeuses accablent l'esprit, oppriment tyranniquement sa faiblesse et déshonorent la très-noble capacité qu’a l'âme pour les biens éternels et pour Dieu, il n'y a point de doute que la pauvreté volontaire ne remette la créature dans sa généreuse condition, ne la délivre de sa servitude honteuse, et ne la mette en possession de cette noble liberté dans laquelle elle fut créée pour être maîtresse de toutes choses. Elle ne les possède jamais mieux que par le mépris qu'elle en fait; quand

 

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elle les distribue ou qu'elle les abandonne volontairement, elle en fait un plus excellent usage; et quand elle se plait dans la privation des richesses, elle apaise le désir insatiable de l'appétit, et surtout en ayant le cœur débarrassé, elle le tient tout .disposé à recevoir les trésors de la Divinité, pour lesquels il a été créé avec une capacité presque infinie.

453. Je souhaite, ma fille, que vous étudiiez beaucoup en cette science divine, que le monde affecte si fort d'ignorer, et non-seulement le monde, mais aussi plusieurs âmes religieuses qui ont promis à Dieu de la pratiquer, et qui s'attirent par leur manquement de parole une grande indignation du Seigneur. Les transgresseurs de ce voeu ne prennent pas garde au châtiment très-rigoureux qu'ils reçoivent sur-le-champ; car en bannissant la pauvreté volontaire, ils éloignent incontinent d'eux-mêmes l'esprit de mon très-saint Fils Jésus-Christ, et celui que nous sommes venus enseigner aux hommes en pratiquant la plus étroite pauvreté. Et quoiqu'ils ne le ressentent pas maintenant, parce que le juste Juge dissimule pendent qu'ils jouissent de l'abondance qu'ils désirent, ils se trouveront néanmoins confus et désabusés dans le jugement qui les attend, auquel ils expérimenteront des rigueurs qu'ils ne croyaient point rencontrer en la justice divine.

454. Dieu créa les biens temporels afin qu'ils servissent aux hommes pour entretenir seulement leur vie; étant donc arrivés à cette fin, la cause de la nécessité cesse; cette vie est fort limitée, elle s'achève

 

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en très-peu de temps et se contente de peu; et l’âme subsistant, parce qu'elle est éternelle, il n'est pas juste que les soins qui la regardent soient temporels et comme, en passant, et que les soucis que les hommes prennent pour acquérir les richesses soient éternels. C'est une grande perversité d'avoir renversé les fins et les moyens dans une affaire si importante; il faut bien que l'homme soit ignorant pour donner tous ses soins, toutes ses peines, toutes ses pensées et tout le temps à la vie passagère et incertaine du corps, et de ne vouloir donner qu'avec peine une heure à sa pauvre âme durant plusieurs années de vie, et bien souvent la dernière et la pire de toutes.

455. Profitez donc, ma très-chère fille, de la véritable lumière et de l'avis charitable que le Seigneur vous a donné pour vous empêcher de tomber dans une faute si dangereuse. Renoncez à l'affection des choses terrestres; et bien. qu'il vous semble qu'il y ait quelque nécessité dans votre monastère, ne vous employez point, sous prétexte de pauvreté, à lui procurer avec trop d'empressement les choses nécessaires à l'entretien de la vie; et y ayant porté tous les soins modérés que vous devez, gardez-vous bien de vous troubler quand les choses que vous souhaitez vous manqueraient, ni de les désirer avec passion, quoique vous les crussiez même nécessaires pour le service de Dieu, puisque l'amour que vous lui portez diminue à mesure que vous prétendez d'aimer quelque autre chose avec lui. Vous devez regarder le trop comme superflu et inutile, et y renoncer comme à un crime;

 

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le peu se doit aussi estimer peu, parce que ce serait un très-grand défaut d'embarrasser le coeur de ce qui ne vaut rien et qui détourne beaucoup. Si vous obtenez ce que vous croyez vous être nécessaire, vous n'êtes pas véritablement pauvre, parce que le propre de la pauvreté est de manquer de quelque chose dans le besoin; on appelle seulement riche celui à qui rien ne manque, parce que le superflu inquiète plutôt qu'il n'accommode, et n'est qu'une pure affliction d'esprit; et le désirer ou le garder sans le mettre en usage, c'est une pauvreté sans quiétude et sans repos.

456. Je veux que vous ayez cette liberté d'esprit de ne vous attacher à aucune chose, grande ou petite, superflue ou nécessaire; et pour ce qui est de ce dont vous aurez besoin pour votre entretien, vous n'en devez recevoir que ce qu'il vous faut précisément pour vous empêcher de mourir et d'être dans un état indécent, vous servant toujours des étoffes les plus pauvres, des habits les plus rapiécés pour votre habillement, et des choses les plus communes pour votre nourriture, sans tomber dans des délicatesses fantasques, vous contentant même de ce qui est le moins conforme à votre goût, sans demander autre chose, afin que, vous puissiez par ce moyen mortifier vos désirs, réprimer vos appétits, et pratiquer ce qu'il y a de plus parfait en toutes choses.

457. Le voeu de chasteté renferme la pureté de l'âme et du corps : il est facile de la perdre, et difficile ou même impossible de la réparer, selon les manières dont on la perd. Ce grand trésor est mis en

 

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dépôt dans un château qui a un grand nombre de portes et de fenêtres; que si elles ne sont ni bien gardées; ni bien défendues, il n'est pas en sûreté. Ma fille, pour garder ce voeu avec perfection, il est nécessaire que vous fassiez un pacte inviolable avec vos sens, de ne vous en servir que pour ce qui sera ordonné par la raison et pour la gloire du Créateur. Les sens étant morts, il est facile de remporter la victoire sur les ennemis qui ne peuvent vous vaincre que parleur secours; parce que les pensées ne reviennent point et ne sauraient être suscitées, si les images des choses visibles qui les fomentent n'entrent par les sens extérieurs. Vous ne devez point toucher ni regarder aucune créature humaine, de quelque sexe qu'elle soit, ni même discourir avec personne, et il faut bien prendre garde que leur souvenir n'occupe votre imagination. La conservation de cette pureté que je demande de vous dépend de cette précaution, que je vous recommande beaucoup : que si la charité ou l'obéissance vous obligent de parler (ne le devant faire que par ces deux principes), ce doit être avec toute sorte de gravité, de modestie et de circonspection.

458. Vivez avec vous-même comme n'étant point du monde, pauvre, mortifiée, affligée, et aimant les amertumes de la vie sans en désirer le repos ni les douceurs; vous considérant comme dans un pays étranger, auquel on vous a conduite pour travailler et pour combattre contre de forts ennemis. Et, parce que la chair est le plus formidable de tous, vous devez faire

 

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votre possible pour résister à vos passions naturelles et aux tentations du démon. Élevez-vous au-dessus de vous-même, cherchez une habitation fort élevée, qui ne tienne point de la terre, afin que vous viviez sous l'ombre de Celui que vous désirez (1), et que, sous sa protection, vous jouissiez d'une véritable tranquillité. Abandonnez-vous entièrement à son chaste et saint amour, sans croire qu'il y ait d'autres créatures que celles qui vous aident et vous obligent d'aimer et de servir votre Seigneur, puisqu'elles vous doivent être en horreur pour tout le reste.

459. Quoique toutes les vertus se doivent trouver en celle qui s'appelle épouse de Jésus-Christ, et qui ; en fait profession, la chasteté néanmoins est celle qui la proportionne davantage à son Époux : parce qu'en l'éloignant de la corruption terrestre elle la rend spirituelle, l'élève à un être angélique, et même à une certaine participation de Dieu. C'est une vertu qui embellit toutes les autres, qui élève le corps à un état supérieur, illumine l'entendement et conserve les âmes en leur noblesse, et qui est au-dessus de tout ce qui est corruptible. Et parce que cette vertu fut un fruit spécial de la rédemption, et méritée par mon très-saint, Fils mourant sur la croix, où il ôta les péchés du monde, c'est singulièrement pour cela qu'il est dit que les vierges accompagnent l'Agneau (2).

460. Le veau de clôture est le mur de la chasteté et de toutes les vertus, le chaton où elles se conservent

 

(1) Cant., II, 3. — (2) Apoc., XIV, 4.

 

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et reluisent;. c'est aussi un privilège du Ciel pour exempter les religieuses épouses de Jésus-Christ des pesants et dangereux tributs que la liberté du monde paie su prince de ses vanités. Par le moyen de ce voeu, les religieuses vivent dans un port assuré, pendant que les autres âmes sont agitées, et bien souvent submergées dans la tourmente des occasions périlleuses. La clôture ne doit pas être un lieu fort borné, puisqu'il s'y trouve de si grands avantages, et puisque les religieuses y peuvent jouir des champs spacieux. des vertus et de la connaissance de Dieu, de ses perfections infinies et de ses grands mystères, et des oeuvres admirables qu'il a faites et qu'il opère tous les jours pour les hommes. On se peut et l'on se doit étendre et récréer dans ces vastes champs; que, si on ne le fait pas, la plus grande liberté paraîtra une étroite prison. Je veux, ma fille, que l'étendue de vos pensées et de vos désirs aille au delà des limites du monde. Montez aux hauteurs de la connaissance de Dieu et de son amour, où vous puissiez vivre dans une spacieuse liberté, sans qu'aucune chose vous borne

et vous connaîtrez de là combien toute la terre est étroite, basse et méprisable, pour y renfermer votre âme.

461. Ajoutez à cette clôture du corps à laquelle vous vous êtes obligée, celle de vos sens, afin que vous défendiez et conserviez, comme par autant de forts, votre pureté, et en elle le feu du sanctuaire, que vous devez toujours entretenir et empêcher de s'éteindre (1).

 

(1) Levit., VI, 12.

 

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Et, afin de garder vos sens et de profiter de la clôture, n'abordez jamais la porte, ni la grille, ni les fenêtres, et ne vous souvenez pas même qu'il y en ait dans le monastère, si ce n'est que votre charge ou l'obéissance vous y oblige. Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis de posséder, et ne vous empressez nullement pour ce que vous ne devez pas désirer : vous trouverez le bien et la paix, de môme que mes complaisances, dans votre retraite et dans cette circonspection; et si vous profitez de mes avis, vous mériterez le riche fruit et le prix inestimable de l'amour et de la grâce que vous souhaitez.

 

CHAPITRE IV. De la perfection avec laquelle la très-sainte Vierge observait les cérémonies du Temple, et ce qu'on lui ordonna dans ce saint lieu.

 

462. Retournant à notre divine histoire, je dirai qu'après que la très-sainte fille eut consacré le Temple par sa présence et par sa demeure, elle s'adonna à la pratique de toutes les perfections, et à mesure qu'elle croissait en âge, elle croissait aussi en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. Les connaissances

 

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que j'ai reçues de ce que la main toute-puissante opérait en la Princesse du ciel dans ses premières années, me jettent comme sur le rivage d'une mer immense et sans borne, où je me trouve dans une si grande admiration, que je ne saurais déterminer par quel endroit je commencerai d'entrer dans un si vaste océan, pour en pouvoir sortir heureusement, car il n'est pas possible que je n'omette beaucoup de ce que j'en connais, et il est très-difficile de bien exprimer ce que j'en dois écrire. Je dirai pourtant ce que le Seigneur m'en a déclaré dans une occasion, me parlant en cette manière

463. « Les oeuvres que pratiqua dans le Temple  celle qui devait être Mère du Verbe incarné, furent  toutes dans une très-grande perfection, et dans un si haut degré de sainteté, que toutes les créatures  humaines et angéliques ne peuvent ni les concevoir ni les imiter. Ses actes des vertus intérieures furent si multipliés et si relevés en mérite et en ferveur qu'ils surpassèrent tous ceux des séraphins; et  vous en connaîtrez, ma fille, beaucoup plus que   vous n'en pourrez exprimer par vos paroles. C'est  ma volonté que vous mettiez la très-pure Marie  pour le principe de votre joie durant tout le temps  de votre vie mortelle, et que vous la suiviez dans  le désert du renoncement de tout ce qui est humain et visible. Suivez-la par une parfaite imitation  autant que vos forces et la lumière que vous recevez vous le permettront; elle sera votre guide et e votre maîtresse qui vous manifestera ma volonté, et

 

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vous trouverez en elle ma très-sainte loi, écrite par a la puissance de mon bras, en laquelle vous méditerez jour et nuit. Elle frappera par son intercession  la pierre de l'humanité de Jésus-Christ, afin que dans ce désert, les eaux de la divine grâce et de la lumière céleste rejaillissent sur vous (1), et que par elles votre soif soit étanchée, votre entendement  éclairé, et votre volonté enflammée. Elle sera une  colonne de feu qui vous éclairera (2), et un nuage qui vous rafraîchira par sa protection, et Vous  mettra à l'abri des ardeurs des passions et des insultes de vos ennemis. Vous trouverez en elle  un ange qui vous conduira et vous éloignera des  dangers de la Babylone et de la Sodome du monde (3), afin que vous ne soyez point comprise a dans mes punitions. Vous rencontrerez en elle une  mère qui vous aimera, une amie qui vous consolera, a une maîtresse qui vous commandera, une protectrice qui vous défendra, et une Reine à qui vous devez vos hommages et vos obéissances en qualité  de sa servante. Vous trouverez dans les vertus que  pratiqua dans le Temple cette Mère de mon Fils   unique, un modèle universel de toutes les perfections, avec lequel vous pourrez régler votre vie; un a miroir sans tache dans lequel la vive image du  Verbe incarné est représentée. Vous découvrirez en a cette image une juste et fidèle copie de toute la  sainteté, la beauté de la virginité, les attraits de

 

(1) Num., X, 11. — (2) Exod., XIII, 21. — (9) Id., XXIII, 20.

 

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l'humilité, l'activité de la dévotion et de l'obéissance, la fermeté de la foi, la certitude de l’espérance, l'ardeur de la charité, et un raccourci de  toutes les merveilles de ma puissance, auquel vous a devez conformer votre vie; et je veux que vous  vous serviez de ce miroir pour la régler et pour  vous orner, y augmentant vos beautés et vos grâces, comme une épouse qui désire d'entrer dans  le lit nuptial de son Époux et de son Seigneur.

464.« Que si la noblesse et les belles qualités du  maître excitent le disciple, et lui rendent sa doctrine plus aimable, qui peut vous attirer avec une  plus grande force, si ce n'est cette même Mai tresse, qui est Mère de votre Époux, et élue pour  être la plus pure, la plus sainte, étant exempte de  la tache du péché, pour être vierge, aussi bien  que la Mère du Fils unique du Père éternel, et la  splendeur de sa divinité en la même substance?  Écoutez donc votre souveraine Maîtresse, suivez-la  en l'imitant, et faites votre continuelle méditation  de ses excellences et de ses vertus admirables. Et a sachez que la vie qu'elle a menée dans le Temple  et tout ce qu'elle y a pratiqué, a été le modèle sur a lequel toutes les âmes qui à son exemple se sont   consacrées pour épouses de Jésus-Christ, doivent  se mouler. » Voilà l'intelligence et l'instruction que le Seigneur me donna en général; touchant les actions de la très-sainte Vierge pendant le temps qu'elle fut dans le Temple.

465. Mais pour descendre dans le détail de ses

 

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occupations, il faut savoir qu'après cette vision de la Divinité dont j'ai parlé au chapitre second, après que Marie se fut offerte entièrement au Seigneur, ayant remis à sa maîtresse tout ce qu'elle avait, afin de se trouver comme elle souhaitait, dans un plus parfait dénûment, et s'étant abandonnée à une aveugle obéissance, couvrant par le voile de ses vertus les trésors de sagesse et de grâce, en quoi elle surpassait les plus hauts séraphins; dans ces dispositions elle demanda très-humblement aux prêtres et à sa maîtresse de lui prescrire tout ce qu'elle aurait à faire. Sur quoi, assistés d'une lumière particulière, ils conférèrent ensemble, et ayant délibéré de proportionner les exercices de la divine Marie à la tendresse de son âge, le souverain prêtre et sa maîtresse la firent venir en leur présence. La Princesse du ciel y étant arrivée se mit à genoux. pour les écouter, et, bien qu'on lui commandât de se lever, elle demanda avec une grande modestie la permission de demeurer en cette situation devant le ministre du Seigneur et devant sa maîtresse , à cause de leur office et de leur dignité.

466. Le prêtre lui parla et lui dit ; « Ma fille, le Seigneur vous a conduite fort jeune dans son saint Temple, reconnaissez cette faveur et tâchez d'en  faire votre profit en le servant avec vérité et avec toute l'étendue de votre coeur, et en vous adonnant à la pratique de toutes les vertus, afin que vous sortiez de ce lieu sacré munie de toutes les forces qui sont nécessaires pour supporter les travaux

 

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vaux du monde et pour vous défendre de ses  écueils. Obéissez à votre maîtresse Anne, commentez à porter de bonne heure le doux joug de la vertu, afin que vous le trouviez plus aisé le reste  de votre vie (1). » A quoi la très-sainte fille répondit : « Monseigneur, comme prêtre et ministre du Très-Haut, dont vous tenez la place, et vous, ma  maîtresse, vous me commanderez et m'enseignerez ce que je dois faire, afin que je ne sois point trompée. Ainsi je vous supplie de me rendre ce bon  office, vous protestant que je n'ai point d'autre désir que d'obéir en tout à votre volonté. »

467. Le souverain prêtre et la maîtresse Anne ressentaient de pieux sentiments qui leur inspiraient de prendre un soin particulier de cette divine fille, et de la préférer à toutes les autres vierges : et ayant conféré sur la grande estime qu'ils en faisaient, ignorant le mystère caché de cette vertu surnaturelle qui les mouvait intérieurement, ils déterminèrent de l'assister et de s'attacher à sa conduite avec des attentions singulières. Mais, comme toutes ces précautions ne pouvaient point passer au delà des actions extérieures, ils ne purent point aussi lui prescrire les actes intérieurs et les affections de son coeur, dont le Seigneur se réservait tout le soin, prétendant le favoriser et le conduire par des grâces distinguées: ainsi ce coeur candide de la Princesse du ciel se trouvait en liberté de croître et de s'avancer dans les vertus intérieures, sans qu'il

 

(1) Thren., III, 27.

 

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y eût aucun instant auquel il n'opérât ce qu'il y avait de plus parfait et de plus excellent dans ces mêmes vertus.

468. Le souverain prêtre régla ses occupations, et lui dit ; « Ma fille, vous assisterez avec beaucoup de  révérence et de dévotion aux cantiques du Seigneur, et vous prierez le Très-Haut pour les nécessités de son saint Temple et de son peuple , et pour  la venue du Messie. Vous vous retirerez à huit heures  du soir pour vous reposer, et vous vous lèverez au  point du jour pour prier et bénir le Seigneur jusqu'à  tierce (qui était ce que nous appelons maintenant  les neuf heures du matin); depuis tierce jusqu'au  soir vous vous occuperez à quelque travail manuel,  afin que vous soyez instruite à tout ce qui regarde  votre état. Observez une discrète sobriété dans le  repas, que vous prendrez après le travail. Ensuite  vous irez recevoir les instructions de votre maîtresse; vous emploierez le reste de la journée à lire  les saintes Écritures; et vous serez en toutes choses  humble, affable et fort obéissante à tout ce que votre   maîtresse vous commandera. »

469. La très-sainte fille écouta le discours du pontife à genoux ; et après lui avoir demandé sa bénédiction et . baisé la main, aussi bien qu'à sa maîtresse, elle proposa dans son cœur d'observer, durant tout le temps qu'elle demeurerait au Temple, l'ordre de vie qu'on lui prescrivait, pourvu que dans la suite ses supérieurs ne changeassent point de sentiment. Cette Maîtresse de la sainteté et de la vertu accomplit tout ce qu'elle avait proposé

 

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avec la même soumission que si elle eût été la moindre de toutes les disciples. Ses affections et son amour très-ardent s'étendaient sur beaucoup d'autres oeuvres extérieures qu'on ne lui avait point ordonnées, mais elle voulut se soumettre entièrement au ministre du Seigneur, et préférer le sacrifice de la parfaite et sainte obéissance à ses ferveurs et à ses propres sentiments, connaissant fort bien, comme Maîtresse de toute perfection, qu'on était beaucoup plus assuré d'accomplir la volonté de Dieu en obéissant aveuglément qu'en suivant les plus hauts désirs de réduire en pratique les autres vertus. Par un exemple si rare, nous devons être tous persuadés, et singulièrement les religieuses, de ne point écouter nos petites ferveurs ni nos propres sentiments au préjudice de l'obéissance et sans la volonté de nos supérieurs, puisque Dieu nous découvre par eux son bon plaisir; au lieu qu'en nos propres désirs nous ne cherchons qu'à satisfaire nos caprices ; c'est Dieu qui opère en nos supérieurs; mais en nous-mêmes (si nous ne leur déférons pas) ce sont les tentations, les passions aveugles et les illusions qui agissent.

470. Notre Reine se signala lorsque, outre ce qu'on lui avait ordonné de faire, elle demanda la permission à sa maîtresse de servir toutes les autres vierges, et de s'employer aux exercices les plus humbles, comme de balayer et de laver la vaisselle. Bien que ceci semble surprenant, parce qu'elle était du nombre des aînées (qu'on traitait avec beaucoup de distinction et de respect), l'humilité sans exemple de cette divine Princesse

 

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ne pouvait pas néanmoins se contenir dans les bornes de la majesté sans la faire descendre à toutes les pratiques les plus basses : ainsi elle les faisait avec tant d'ardeur, qu'elle prévenait le temps et l'occasion d'exercer ce que les autres étaient obligées de faire, afin d'être la première en toutes les fatigues. Elle approfondissait par la science infuse tous les mystères et toutes les cérémonies du Temple; elle les apprit pourtant, comme si elle les eût ignorées, par une discipline religieuse et par une pratique fort exacte, sans jamais manquer à la moindre chose. Elle était très-industrieuse à trouver les moyens d'être inséparable des abaissements et des mépris; elle demandait chaque jour, et le matin et le soir, la bénédiction à sa maîtresse, et lui baisait ensuite la main, faisant la même chose toutes les fois qu'elle lui commandait quelque acte d'humilité ou qu'elle lui donnait la permission de le pratiquer; et bien souvent elle lui baisait les pieds avec un profond respect, ce qu'elle n'obtenait qu'avec beaucoup de peine.

471. Notre divine Princesse était si docile,, si agréable et si douce en ses manières; si obligeante, si soumise et si prompte à s'humilier, à servir et à respecter ses compagnes, qu'elle leur gagnait le coeur; elle leur obéissait aussi, comme si chacune eût été sa maîtresse. Elle réglait, par cette ineffable et céleste prudence qu'elle avait, toutes ses actions en telle sorte, qu'elle ne laissait échapper aucune occasion d'exercer les choses les plus pénibles et les plus humbles; de servir les autres filles, et de faire ce

 

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qu’elle croyait être le plus agréable à la volonté de Dieu.

472. Que dirai-je, chétive créature que je suis, après cet exemple animé d'une si rare humilité? Que diront les fidèles enfants de l'Église catholique, s'ils le lisent et s'ils lui donnent toutes leurs attentions? Il nous semble que c'est une grande vertu que - l'inférieur obéisse au supérieur, et le moindre au plus grand; que c'est une profonde humilité que les égaux veuillent obéir à leurs égaux; mais que l'inférieur commande, et que le supérieur obéisse, que la Reine se soumette à sa servante, la très-sainte et la parfaite créature à un chétif ver, la Maîtresse du ciel et de la terre à une très-basse femme, et le tout avec tant d'affection et de sincérité! qui ne sera ravi en admiration et confondu dans l'aveuglement de son orgueil? Qui se regardera dans un miroir si clair sans s'apercevoir de sa malheureuse présomption? Qui pourra se flatter d'avoir connu la véritable humilité, et encore moins de l'avoir pratiquée, s'il la reconnaît et la regarde en la très-pure Marie comme dans son propre centre? Venons, venons à cette lumière, nous qui vivons sous l'obéissance que nous avons promise pour connaître et pour corriger nos désordres, lorsque les commandements de nos supérieurs, qui représentent Dieu, nous sont fâcheux et rudes, s'ils choquent en la moindre chose nos bizarreries. Que notre dureté se brise ici; que les plus élevés dans leur propre estime s’humilient, et que la vaine présomption de celle qui croit avoir été obéissante et humble pour

 

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avoir obéi quelquefois à ses supérieurs, s'évanouisse et se confonde, puisqu'elle n'a pas encore cru être inférieure à toutes et n'être égale à personne, comme le croyait Celle qui était Maîtresse de l'univers.

473. La beauté, la bonne grâce et les façons agréables de notre Reine étaient inconcevables : parce que, outre qu'elle possédait toutes les grâces et tous les dons naturels de l'âme et du corps, ces avantages, étant accompagnés de la grâce surnaturelle et divine, qui les rehaussait, faisaient un merveilleux assemblage, tant en sa personne qu'en toutes ses actions, par lequel elle ravissait les esprits et s'acquérait l'affection et les coeurs de tous ceux qui avaient le bonheur de la voir et de la fréquenter; la divine Providence modérait pourtant les marques qu'ils n'auraient pas pu s'empêcher de donner, s'ils se fussent laissé emporter à la violence de l'amour et de l'estime qu'ils avaient pour cette aimable Reine. Elle était très-parfaite, soit qu'elle prît ses repas, soit qu'elle prît son repos, comme dans toutes les autres actions : la tempérance lui servait de règle; jamais elle n'excédait, elle ne pouvait pas aussi tomber dans le superflu , au contraire, elle retranchait quelque chose du nécessaire. Et, bien que le peu de sommeil qu'elle prenait ne la détournât aucunement de la très haute contemplation (comme j'ai déjà dit), elle y aurait renoncé s'il eût dépendu de sa volonté; mais, en vertu de l'obéissance, elle se retirait au temps qu'on lui avait marqué, et jouissait dans son pauvre petit lit florissant

 

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de ses vertus (1), en présence des séraphins et des anges qui la gardaient, de plus hautes connaissances (excepté la vision béatifique) et d'un plus ardent amour que ceux. dont tous ces esprits célestes étaient capables.

474. Elle ménageait le temps avec une discrétion admirable, pour donner à chacune de ses actions celui qui lui était convenable. Elle en employait beaucoup à lire les saintes Écritures, dont elle avait une entière connaissance, et pénétrait si profondément ses mystères par le don de la science infuse, qu'il n'y en eut aucun qui ne lui fût découvert, le Seigneur ayant bien voulu lui faire part de tous ses secrets, qui faisaient le sujet des conférences qu'elle avait avec ses anges, dans lesquelles elle leur: proposait beaucoup de choses d'une manière très-profonde, et avec une subtilité inconcevable. Que si cette divine Maîtresse eût écrit les connaissances qu'elle en avait, nous aurions beaucoup d'autres écritures saintes; et il n'y aurait aucun sens ni aucun mystère dans celles que l'Église a présentement dont nous n'eussions une parfaite intelligence. Mais elle se servait de toute cette plénitude de science pour le culte divin, pour la louange et pour l'amour du Seigneur; elle la réduisait toute à cette fin sans qu'il y eût un rayon de lumière oisif et stérile. Elle était très-prompte dans ses réparties, très-profonde dans ses conceptions, très-relevée et très-noble dans ses pensées, très-prudente dans ses élections et dans

 

(1) cant., I, 15.

 

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ses décisions, très-efficace et très-douce dans ses oeuvres ; enfin elle était en toutes choses une règle très-parfaite et un objet prodigieux d'admiration pour les hommes, pour les anges, et en quelque manière pour Dieu même, qui l'a faite entièrement selon son cœur et selon ses plus grandes complaisances.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

475. Ma fille, la nature humaine est imparfaite, lâche dans la pratique de la vertu , et fragile à tomber dans le péché, parce qu'elle a beaucoup de penchant pour le plaisir et de répugnance pour la peine. Lorsque l'âme écoute les inclinations de la partie animale, qu'elle s'arrête avec elles et donne le moindre jour à cette servante de s'insinuer, celle-ci prend un certain ascendant qui la rend supérieure aux forces de la raison et de l'esprit , et le réduit ensuite à une basse et dangereuse servitude. Ce désordre de la nature est détestable et tyrannique en toutes les âmes; mais Dieu le regarde sans comparaison avec bien plus d'horreur en ses ministres et en ses religieux , qui, étant dans une obligation plus étroite d'être parfaits, rendent par là plus grand le dommage qui résulte de ne pas sortir toujours victorieux de cette dispute des

 

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passions. Cette tiédeur qu'ils ont à résister, et là facilité avec laquelle ils se laissent vaincre, leur ayant ôté le courage et perverti le jugement, ils tombent dans une vaine satisfaction d'eux-mêmes, et se croient fort assurés en pratiquant quelque faible apparence de vertu : il leur semble même (dans l'erreur où ils sont) qu'ils font marcher les montagnes, et cependant ils ne font rien qui vaille. Le démon, profitant de ce désordre, leur suscite d'autres distractions et de nouvelles tentations ; par le peu d'estime qu'ils font des lois et des cérémonies communes de la religion, ils les transgressent presque toutes, et croyant que chacune en particulier est une bagatelle , ils viennent insensiblement à perdre la connaissance de la vertu et à vivre dans une fausse sécurité.

476. Mais pour vous, ma fille, je veux que vous évitiez une tromperie si dangereuse et que vous soyez persuadée qu'une négligence sur une imperfection dispose à une autre; que celles-ci ouvrent le chemin aux péchés véniels, et les véniels aux mortels, et que l'on va d'abîme en abîme dans le précipice et dans le mépris de toute sorte de mal. Pour éviter ce malheur, il faut couper la racine de bonne heure à ces méchantes ronces, parce qu'une chose qui parait petite est un contre-mur qui éloigne l'ennemi, et les préceptes des plus grandes oeuvres d'obligation sont les plus proches défenses de la conscience; que si le démon se rend maître de la première, il est bien proche de gagner la seconde; et s'il fait brèche à celle-ci par quelque péché, quoiqu'il ne soit pas des plus grands,

 

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il a déjà un moyen plus aisé d'aller ravager tout l'intérieur de l'âme; de manière que se trouvant affaiblie par les actes et par les habitudes du vice, sans aucun secours de la grâce, elle ne saurait résister au démon qui l'attaque avec tant de violence, et qui l'assujettit ensuite sans rencontrer aucune opposition.

477. Considérez donc maintenant, ma très-chère fille, quelle doit être votre vigilance parmi tant de dangers, et votre obligation à vous tenir sur vos gardes pour les éviter. Faites réflexion que vous êtes religieuse, épouse de Jésus-Christ., supérieure instruite, éclairée et remplie de tant de faveurs singulières; mesurez, par ces titres et par beaucoup d'autres que vous devez fort estimer, tous vos soins, puisque vous devez à chacun le retour, et à votre Seigneur la correspondance. Tâchez d'être ponctuelle à tout ce qui regarde la religion, et de n'y trouver rien de petit; ne méprisez aucune de ses lois ou coutumes, ne les oubliez point, observez-les toutes dans la dernière rigueur, parce que tout ce qui se fait pour plaire à Dieu est précieux à ses yeux. C'est une de ses complaisances que de voir accomplir ce qu'il commande, et quand on le méprise, c'est pour lui un sujet de courroux. Considérez en toutes choses que vous avez un Époux à qui vous devez plaire, un Dieu que vous devez servir, un Père à qui vous devez obéir, un Juge que vous devez craindre, et une Maîtresse que vous devez imiter et suivre.

478. Pour remplir tous ces devoirs, il faut que vous renouveliez en vous une résolution forte et efficace

 

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de résister à vos inclinations, de ne vous laisser point abattre à votre lâcheté naturelle, et de n'omettre aucune cérémonie de votre religion, quand elle serait même de baiser la terre, quelque répugnance que vous y ayez. Pratiquez, ma fille, tout ce qu'il y a de grand et apparemment de petit dans votre état avec ferveur et avec constance, et vous vous rendrez agréable aux yeux de mon Fils et aux miens. Demandez conseil à votre confesseur et à votre supérieur dans les couvres de surérogation, ayant auparavant prié Dieu dé les éclairer; soyez dépouillée de toute sorte d'attachement et d'amour-propre; gravez dans votre tueur tout ce qu'ils détermineront, et exécutez-le avec ponctualité; n'entreprenez jamais aucune chose, pour sainte qu'elle vous paraisse, sans les consulter autant qu'il vous sera possible, parce que Dieu vous découvrira toujours sa volonté par la voie de la sainte obéissance.

 

CHAPITRE V. Du degré très-parfait des vertus de la très-sainte Vierge en général, et comme elle les pratiquait.

 

479. La vertu est une habitude qui orne et ennoblit la puissance raisonnable de la créature, et la

 

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porte à pratiquer le bien. Elle est appelée habitude, parce qu'elle est une qualité permanente qui n'est séparée qu'avec difficulté de la puissance; elle est distinguée par là de l'acte, qui n'est que passager. Elle incline aux opérations, elle facilite leur pratique, et elle les rend bonnes, la puissance n'ayant pas d'elle-même cette propriété, parce qu'elle est indifférente pour le bien et pour le mal. La très-sainte Vierge fut ornée dès le premier instant de sa vie des habitudes de toutes les vertus dans un tres-haut degré; elles s'augmentaient continuellement par une nouvelle grâce et par ses opérations très-parfaites, dans lesquelles elle exerçait avec un très-grand mérite toutes les vertus qu'elle avait reçues de la main du Seigneur.

480. Bien que les puissances de cette divine Princesse ne fussent point déréglées, et n'eussent aucune répugnance à vaincre, comme chez les autres enfants d'Adam (n'ayant jamais été souillée du péché, ni môme de son aiguillon , qui incline au mal et résiste su bien), ces puissances réglées avaient néanmoins une capacité, afin que les habitudes des vertus les fissent pencher à ce qui était meilleur, plus parfait, plus saint et plus louable: outre qu'étant une pure et passible créature, elle était sujette à ressentir la peine, à chercher un repos licite, et à ne pas faire quelques oeuvres pour le moins de, surérogation, pouvant môme ressentir quelque penchant à les omettre sans aucun péché. Ainsi les habitudes très-parfaites des vertus lui aidèrent à vaincre cette inclination naturelle, et la Reine du ciel coopéra avec tant de ferveur et de

 

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courage aux favorables impulsions de ces saintes habitudes, qu'elle n'en détourna aucun effet, se laissant emporter à cette douce violence dont elles se servaient pour la mouvoir et la purifier dans toutes ses affections.

481. L'àme de la très-sainte Vierge était, par cette belle harmonie de toutes les habitudes des vertus, si éclairée, si ennoblie et si accoutumée au bien, si facile, si prompte et si efficace à se porter à la dernière fin de la créature, et si joyeuse en pratiquant les choses les plus parfaites, que, s'il nous était possible de pénétrer par notre faible vue le plus caché et le plus sacré de son coeur, ce serait l'objet le plus beau, le plus admirable parmi toutes les créatures, et de la plus grande consolation dont on pût jouir après la vision de Dieu. Dieu était en la très-pure Marie comme en son propre centre : ainsi toutes ces vertus avaient en elle leur dernière perfection, sans qu'il y manquât la moindre chose pour l'accomplissement de leur beauté. Outre les vertus infuses qu'elle reçut, elle eut aussi les acquises, dont elle augmenta son trésor par un continuel travail. Que si l'on dit ordinairement qu'un acte ne saurait être une habitude de vertu parmi les autres âmes, parce qu'il en faut plusieurs réitérés pour l'acquérir, cet axiome n'a point de lieu en l'auguste Marie, à cause que ses œuvres furent si efficaces et si remplies de perfections, qu'il n'y en eut aucune qui ne surpassât toutes celles des autres pures créatures. Ainsi les actes de vertu de cette divine Dame ayant été si réitérés, sans qu'elle

 

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perdît aucun instant de les pratiquer dans le plus haut degré de perfection , il nous faudrait inventer un autre terme que celai d'habitude, pour bien exprimer ce qu'elle acquit par ses oeuvres. La fin de l'opération, qui rend aussi l'acte vertueux (parce que cet acte doit être bon et bien fait), fut en notre auguste Reine la plus sublime de toutes les oeuvres, qui est Dieu même ; parce qu'elle ne fit aucune chose que par le mouvement de la grâce, et qu'elle ne la dirigeât à la plus grande gloire du Seigneur et à son bon plaisir, le regardant comme le motif et la dernière fin de toutes ses actions.

482. Ces deux genres de vertus infuses et acquises s'appuient sur une autre vertu, qui est appelée naturelle, parce qu'elle naît en nous avec la nature raisonnable, et son nom est syndérèse: Cette vertu est une connaissance que la lumière de la raison a des premiers principes de la vertu, et une inclination pour la même vertu; cette inclination répondant à cette lumière en notre volonté, comme serait, par exemple, de connaître qu'il faut aimer celui qui nous fait du bien, de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il fût fait à nous-mêmes, etc. Cette syndérèse, ou vertu naturelle, fut très-excellente en notre auguste Reine. Elle inférait des principes naturels avec une admirable pénétration les conséquences de tout le bien, quoiqu'il fût fort éloigné, parce qu'elle discourait avec une vivacité et avec une rectitude inconcevable. Elle se servait dans ces sortes de discours de la connaissance infuse des créatures ,

 

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singulièrement des plus nobles et des plus universelles, comme des cieux, du soleil, de la lune, des étoiles, et de la disposition de tous les globes et des éléments; et elle discourait en toutes choses dès le commencement jusqu'à la fin, conviant toutes ces créatures de louer leur Créateur, d'attirer l'homme après elles jusqu'à ce qu'il fuit arrivé à cette connaissance qu'il pouvait recevoir par leur moyen, et de ne le point délaisser qu'elles ne l'eussent conduit à l'Auteur de tout ce qui a l'être.

483. Les vertus infuses se partagent en deux classes. La première renferme seulement celles qui ont Dieu pour objet immédiat; c'est pourquoi on les appelle théologales, et elles sont la foi, l'espérance et la charité Toutes les autres vertus, qui ont pour objet prochain quelque bien honnête qui conduit l'âme à sa dernière fin, qui est Dieu, sont comprises dans la seconde; et on les appelle vertus morales, parce qu'elles regardent les moeurs ; quoique le nombre' en soit grand, on les réduit à quatre principales, qu'on nomme cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et la tempérance. Je traiterai particulièrement de toutes ces vertus et de leurs espèces dans la suite, pour déclarer, le mieux qu'il me sera possible comme elles se trouvèrent toutes dans les puissances de la très-sacrée Vierge. Je me contente de dire maintenant en général qu'elle les posséda toutes en un degré très-parfait, et qu'elle eut aussi avec elles les dons du Saint-Esprit, les fruits et les béatitudes. Dieu lui communiqua dès le premier instant

 

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de sa conception toutes les grâces et les faveurs nécessaires pour rendre son âme et ses puissances très- parfaites et très-belles; sa volonté et son entendement, où les habitudes et les espèces des sciences se trouvaient, étant enrichis de cette abondance céleste. Et pour le dire en peu de mots, Dieu la remplit de toute sorte de biens et l'éleva au plus haut degré de perfection où sa toute-puissance pouvait élever une pure créature destinée pour être Mère de son Fils. Toutes ses vertus ne laissaient pourtant pas de croître : les infuses, parce qu'elle les augmentait par son mérite; et les acquises, parce qui elle les produisit et se les procura par les très-saints actes qu'elle exerçait en méritant.

 

Instruction de la Mère de Dieu.

 

484. Ma fille, le Seigneur communique la lumière des vertus naturelles sans aucune distinction à toutes ses créatures raisonnables; il accorde les infuses à celles qui s'y disposent avec elles et avec leur secours , lorsqu'il les justifie, distribuant, comme auteur de la nature et de la grâce , plus ou moins ces dons, selon son équité et son bon plaisir. Il répand en celui qui reçoit le sacrement de baptême les vertus de foi, d'espérance et de charité , et beaucoup d'autres avec

 

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celles-là, afin qu'il les fasse valoir, et que par leur moyen il opère le bien; ne recevant pas seulement ces vertus pour conserver par la grâce du sacrement les dons qu'il a reçus, mais aussi pour en acquérir d'autres par ses oeuvres et par ses mérites. Que si les hommes répondaient à l'amour que leur Créateur et leur Rédempteur leur témoigne en embellissant leurs âmes, et en leur facilitant par les habitudes infuses les exercices vertueux de la volonté, ils jouiraient d'un souverain bonheur; mais le peu de correspondance à tant de bienfaits inestimables les rend extrêmement malheureux, parce que la première et la plus grande victoire que le démon remporte sur eux naît de cette infidélité.

485. Je veux, ma chère fille, que vous tâchiez de vous exercer incessamment avec le secours des vertus naturelles et surnaturelles , à acquérir les habitudes des autres vertus que vous pouvez vous procurer par les actes fréquents de celles que Dieu vous a communiquées avec tant de libéralité; parce que les dons infus étant unis à ceux que l'âme s'acquiert par son propre travail, causent un ornement et un composé d'une admirable beauté qui est très-agréable aux yeux du Seigneur. Et je vous avertis, ma très-chère, que la puissante main du Très-Haut a été si magnifique envers votre âme, en l'enrichissant de tant de faveurs et de dons si précieux de sa grâce, que si vous lui devenez ingrate, vous aurez plus de compte à rendre que plusieurs nations ensemble. Estimez la noblesse des vertus, et considérez combien elles seules peuvent

 

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ennoblir et orner une âme. Quand elles n'auraient d'autre fin qu'elles-mêmes, ni d'autre récompense que leur possession, cette fin et cette récompense seraient fort grandes, à cause de leur propre excellence; mais ce qui en augmente le prix, c'est d'avoir pour dernière fin le même Dieu, qu'elles cherchent par la perfection et par la vérité qu'elles renferment; et étant arrivées à une si haute récompense que d'avoir été terminées à Dieu comme à leur propre centre, elles rendent alors la créature bienheureuse.

 

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