Livre IV - Ch. XXV-XXX

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CHAPITRE XXV. Jésus, Marie et Joseph établissent leur demeure, suivant la volonté divine, dans la ville d'Héliopolis. — Ils règlent leur manière de vivre pour tout le temps de leur séjour.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE XXVI. Où sont racontées les merveilles que l'Enfant Jésus, sa très-sainte Mère et saint Joseph firent à Héliopolis en Égypte.

CHAPITRE XXVII. Hérode ordonne de faire mourir les Innocents. — L'auguste Marie en a connaissance, et le petit Baptiste est mis à couvert de sa fureur.

Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XXVIII. L'Enfant Jésus parle à saint Joseph un an après sa naissance. — Sa très-sainte Mère se dispose à le chausser et à le faire marcher. — Elle commence à célébrer les anniversaires de l'incarnation et de la Nativité.

Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.

CHAPITRE XXIX. La très-sainte Mère met la tunique sans couture de l'Enfant Jésus, et elle le chausse; et ce que cet adorable Seigneur faisait.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE XXX. Jésus, Marie et Joseph retournent d'Égypte à Nazareth par la volonté du Très-Haut.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

 

CHAPITRE XXV. Jésus, Marie et Joseph établissent leur demeure, suivant la volonté divine, dans la ville d'Héliopolis. — Ils règlent leur manière de vivre pour tout le temps de leur séjour.

 

653. Le souvenir qui se perpétua en plusieurs endroits de l'Égypte, des merveilles que le Verbe incarné y fit, peut avoir donné lieu à divers auteurs d'écrire, les uns, que nos saints voyageurs séjournèrent dans telle ville, les autres, dans telle autre. Mais tous leurs témoignages peuvent être considérés comme exacts et se concilier si on les rapporte à des époques différentes, auxquelles la sainte famille demeura à Hermopolis, à Memphis on Babylone d'Égypte, et à Matarieh , puisqu'elle s'arreta non-seulement dans ces villes, mais aussi dans plusieurs autres. Ce qui m'a été révélé, c'est qu'après y avoir passé, elle arriva à Héliopolis et qu'elle y fixa son séjour, parce que les saints anges qui les conduisaient dirent à

 

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notre divine Reine et à saint Joseph qu'ils devaient s'arrêter en cette ville, où le Seigneur voulait, outre la ruine des idoles et de leurs temples, que leur présence y causa comme dans les autres endroits, opérer d'autres merveilles pour sa gloire et pour le salut de plusieurs âmes, afin que les habitants de cette ville (qui était appelée, selon l'heureux pronostic de son nom , ville du Soleil ) , vissent le Soleil de justice et de la grâce (1) , et qu'ils en fussent beaucoup mieux éclairés qu'ils ne l'étaient du soleil matériel. Ayant donc reçu cet avis, ils s'y arrêtèrent, et aussitôt qu'ils y furent arrivés, saint Joseph alla chercher un logement, offrant d'en payer le juste prix; et le Seigneur lui fit trouver une maison pauvre, mais suffisante pour leur habitation, et un peu éloignée de la ville, comme la Reine du ciel le souhaitait.

654. Après donc qu'ils eurent loué cette maison dans Héliopolis, ils s'y installèrent. Et notre divine Dame s'y étant renfermée. avec son très-saint Fils et son époux Joseph, se prosterna et baisa la terre avec une. profonde humilité et avec une tendre reconnaissance, rendant des actions de grâces au Très-Haut de ce qu'elle avait trouvé ce lieu de repos après un si long et si pénible voyage. Elle remercia aussi cette même terre et les éléments de leurs bienfaits; car dans son humilité incomparable elle se croyait toujours indigne de tout ce qu'elle recevait. Elle adora au même endroit l'Être immuable de Dieu,

 

(1) Malach., IV, 2.

 

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lui consacrant tout ce qu'elle y devait faire. Elle lui fit intérieurement le sacrifice de ses puissances et de ses sens, et s'offrit d'endurer avec empressement et avec joie toutes les afflictions que sa Majesté voudrait lui envoyer dans cet exil; car sa prudence les prévoyait, et son affection les embrassait. Elle les appréciait d'après la science divine, parce que cette même science lui avait montré comment elles sont accueillies au tribunal divin, et qu'elle savait que son très-saint Fils allait les regarder comme son héritage et comme un riche trésor. Après ce sublime exercice, elle s'humilia à nettoyer et à arranger la pauvre demeure, avec l'aide des saints anges, ayant emprunté jusqu'au balai dont elle se servait. Quoique nos divins étrangers se crussent assez bien logés entre les tristes murailles de cette maison, il leur manquait pourtant et la nourriture et les meubles nécessaires pour l'usage de tous les jours. Et comme ils étaient alors dans un endroit habité, le secours miraculeux qu'ils recevaient par-le ministère des anges dans le désert, leur manqua également, de sorte que le Seigneur les remit à la table ordinaire des plus pauvres, c'est-à-dire qu'il les réduisit à mendier. Lorsque dans leur dénuement ils commencèrent à souffrir de la faim, saint Joseph alla demander l'aumône pour l'amour de Dieu , apprenant par cet exemple aux pauvres à ne point se plaindre dans leurs besoins, et à ne pas avoir honte d'y remédier par ce moyen, quand ils n'en trouveront point d'autre légitime, puisqu'il fallut mendier de si bonne heure pour entretenir la vie du Seigneur de tout ce

 

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qui est créé, qui voulait avoir occasion par là de payer ses bienfaiteurs au centuple (1).

655. Les trois premiers jours de leur arrivée à Héliopolis, la Reine du ciel n'y eut point d'autres aliments pour elle et pour son adorable Fils, comme dans divers autres endroits de l'Égypte, que ceux que saint Joseph reçut par aumône, jusqu'à ce qu'il commençât à gagner quelque chose par son travail. Lorsqu'il eut pu réaliser quelque bénéfice, il fit une, couchette dont les planches formaient toute la garniture et un berceau pour l'Enfant; quant su saint, il n'avait point d'autre lit que la terre, ni d'autres meubles que ceux-là dans la maison, jusqu'à ce qu'il eut acquis par sa sueur le moyen d'acheter ceux dont ils ne pouvaient se passer. Je ne dois pas cacher ce qui m'a été découvert ici, c'est que dans une si extrême pauvreté, Marie et Joseph ne songèrent aucunement à leur maison de Nazareth, ni à leurs parents, ni à leurs amis, ni aux présents des mages qu'ils avaient distribués, et qu'ils auraient pu garder. Ils ne regrettèrent aucune de ces choses, et se trouvèrent dans une si grande nécessité sans former la moindre plainte, sans se souvenir du passé, et sans craindre l’avenir. Au contraire, ils conservèrent toujours une égalité et une joie incomparable, s'abandonnant à la Providence divine dans leurs plus pressants besoins. O bassesse de nos coeurs infidèles, de combien de troubles, de soucis et de peines ne sont-ils pas remplis au moindre

 

(1) Matth., XIX, 29.

 

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embarras qui nous survient ! Nous nous plaignons,incontinent d'avoir perdu une occasion, de n avoir pas profité d'une autre; nous nous reprochons avec impatience que si nous eussions tenu une autre conduite, nos affaires iraient mieux. Toutes ces peines sont inutiles et insensées, parce qu'elles ne,servent de rien Sans doute il eût été bon de ne pas donner lieu à nos afflictions par nos péchés, qui nous les attirent bien souvent; mais d'ordinaire nous ressentons le dommage temporel, et non point le péché qui nous l'a mérité. Nous sommes trop attachés à la terre pour découvrir les choses spirituelles, qui peuvent causer notre justification et les accroissements de la grâce, et assez matériels et téméraires pour nous livrer aux choses sensibles et à leurs soins superflus, qui contribuent à notre perte (1). L'exemple de nos saints étrangers doit nous servir d'une sévère leçon, et confondre notre lâcheté.

656. Notre très-prudente Dame et son époux, dépourvus de toutes les choses temporelles, se contentèrent pleinement de cette pauvre petite maison solitaire. Et des trois chambres qu'il y avait, l'une fut consacrée en un sanctuaire destiné à l'Enfant Jésus et à sa très-pure Mère; on y mit le berceau et le petit lit tout nu jusqu'à ce qu'ils eurent, quelques jours après, de quoi: se pouvoir tous couvrir, parle travail du saint et par la charité de plusieurs femmes dévotes qui s'affectionnèrent à notre Reine. L'autre chambre fut

 

(1) I Cor., II, 14.

 

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pour saint Joseph, où il se retirait pour prier et pour reposer. Et la troisième lui servait de boutique pour travailler de son métier. Notre auguste Princesse, voyant leur extrême pauvreté, et qu'il fallait que son époux augmentât son travail ordinaire pour pouvoir subsister dans un pays étranger, se résolut à travailler aussi pour le soulager autant qu'il lui serait possible. Et c'est ce qu'elle exécuta incontinent, cherchant des ouvrages par l'intermédiaire de ces charitables femmes, qui commencèrent à la fréquenter, attirées par sa modestie et par sa douceur. Et, comme il ne sortait rien de ses mains qui né fût de la dernière perfection, le bruit de son habileté et de la délicatesse de ses ouvrages se répandit bientôt; de sorte qu'il ne lui manqua jamais de quoi, travailler pour nourrir son Fils homme et Dieu véritable.          ,

657. Notre grande Reine crut qu'il fallait employer tout le jour au travail, sauf à passer la nuit dans ses exercices spirituels, pour gagner tout ce qui était nécessaire à leur nourriture, pour vêtir saint Joseph, meubler leur maison, quoique très-simplement, et en payer le loyer. Ce n'est pas qu'elle eût aucune attache aux biens de la terre en. se déterminant à cela, ni quelle négligeât la contemplation en aucun moment de la journée; car elle y vaquait toujours, et se tenait continuellement en la présence de l'Enfant-Dieu, comme je l'ai dit si souvent et comme je le dirai dans la suite. Mais elle voulut différer jusqu'à la nuit quelques dévotions particulières qu'elle pratiquait pendant le jour, pour pouvoir travailler davantage,

 

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et pour ne pas demander ni attendre que Dieu lui accordât d'une manière miraculeuse ce qu'elle pouvait se. procurer par ses soins en redoublant son travail : car, en semblables cas, nous désirerions le miracle plutôt pour la commodité que pour la nécessité. La très-prudente Reine priait le Père éternel de la pourvoir par sa miséricorde du nécessaire, afin de nourrir son Fils unique, mais en même temps elle travaillait. Et, comme ne se fiant pas à elle-même ni à sa propre industrie, elle demandait en travaillant ce que le Seigneur. accorde aux autres créatures par ce moyen.

658. L'Enfant-Dieu agréa beaucoup cette prudence de sa Mère, aussi bien que la conformité qu'elle avait avec son étroite pauvreté : et, pour répondre à cette fidélité toute maternelle, il voulut lui adoucir en quelque façon le travail qu'elle avait commencé. C'est pour ce sujet qu'il lui dit un jour du berceau où il était : « Ma Mère, je veux régler l'ordre de votre vie  et de vos occupations manuelles. » La divine Mère se mit aussitôt à genoux, et lui répondit : « Mon très-doux amour et Seigneur de mon être, je vous loue et vous glorifie de ce que vous avez accepté le désir que j'avais que votre divine volonté dirigeât mes pas (1), conduisit mes oeuvres, et fixât selon votre bon plaisir ce dont je dois m'occuper à chaque heure du jour. Et puisque votre suprême Majesté a eu la bonté d'exaucer mes souhaits, parlez,

 

(1) Ps., CXVIII, 133.

 

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lumière de mes yeux, parce que votre servante vous écoute (1). » Le Seigneur lui dit : « Ma très-chère Mère, dès l'entrée de la nuit (c'est-à-dire, selon notre manière de compter, vers neuf heures du soir), vous dormirez et reposerez quelque peu. De minuit jusqu'au point du jour, vous vous livrerez avec moi aux exercices de la contemplation, et nous louerons ensemble mon Père éternel. Ensuite  vous préparerez ce qui sera nécessaire pour votre  nourriture et pour celle de Joseph. Quand cela sera   fait, vous me donnerez la mienne, et me tiendrez . entre vos bras jusqu'à l'heure de tierce, que vous  me remettrez entre ceux de votre époux pour le soulagement de son travail; ensuite vous vous retirerez dans votre appartement jusqu à ce qu'il soit  temps de lui servir à manger, après quoi vous reprendrez votre travail. Et parce que vous n'avez pas ici les Écritures saintes, dont la lecture vous était d'une consolation singulière, vous lirez en ma science la doctrine de la vie éternelle, afin que vous  me suiviez en toutes choses avec une parfaite imitation. Et vous prierez toujours mon Père éternel a pour les pécheurs. »

659. L'auguste Marie suivit cet ordre tout le temps qu'elle demeura en Égypte. Elle allaitait l'Enfant-Dieu trois fois chaque jour : parce que, quand il lui marqua la première fois qu'elle lui devait donner la mamelle, il ne lui défendit pas de la lui donner aussi

 

(1) I Reg., III, 10.

 

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souvent qu'elle le fit, dès la naissance. Lorsque la divine Mère faisait quelque ouvrage, elle se tenait toujours 'à genoux en la présence de l'Enfant Jésus, qui était dans son berceau; et aux entretiens qu'ils avaient alors ils mêlaient d'ordinaire de mystérieux cantiques de louange. Et, s'ils étaient écrits, ils surpasseraient tous les psaumes, toutes les hymnes que l'Église chante et tous les livres qu'elle possède : car on ne doit pas douter que Dieu n'ait parlé d'une manière plus sublime et plus admirable par l'organe de son humanité et de sa très-sainte Mère, que par David, Moïse, Marie, Anne et tous les autres prophètes. La divine Mère était toujours renouvelée dans ces cantiques, et animée de nouvelles affections pour la Divinité et de désirs efficaces de s'unir à son Être immuable; car elle était le phénix qui renaissait dans cet heureux embrasement, et l'aigle qui pouvait regarder fixement le Soleil de la lumière ineffable; et de si près, que jamais aucune créature n'a pu élever aussi haut son vol. Elle tendait à la fin pour laquelle le Verbe divin avait pris chair dans son sein virginal, et qui était de conduire les créatures raisonnables à son Père éternel. Comme elle était la seule entre toutes qui n'était point empêchée par l'obstacle du péché, ni par ses effets, ni par les passions, ni par les appétits, mais qui était au contraire libre de toutes les choses terrestres et de tous les empêchements de la nature, elle volait après son bien-aimé et s'élevait à une haute demeure, sans s'arrêter qu'elle n'eût atteint son centre, qui était la Divinité. Et comme elle avait toujours

 

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sous les yeux le Verbe incarné, qui est la voie et la lumière (1), et qu'elle dirigeait tous ses désirs, toutes ses affections vers l'Être immuable du Très-Haut, ils l'entraînaient sans cesse vers lui, et elle arrivait à son but plutôt qu'elle ne courait dans la voie, elle disparaissait d'elle-même pour se perdre dans l'objet de son amour.

660. L'Enfant-Dieu dormait quelquefois en présence de son heureuse bière, afin de réaliser ce qu'il avait dit: Je dors, et mon cour veille (2). Et comme le très-saint corps de son Fils était à son égard un très-pur cristal à travers lequel elle pénétrait le secret de son âme déifiée et ses opérations (3), elle se regardait souvent dans ce miroir sans tache; et c'était une consolation singulière à notre divine Dame de voir la partie supérieure de l'âme très-sainte de son Fils si assidue aux actes les plus héroïques, tout à la fois comme voyageur et comme compréhenseur, tandis qu'en même temps il dormait plongé dans une si grande quiétude et brillant d'une beauté si rare; parce que tout ce qui était humain en cet adorable Seigneur était uni hypostatiquement à la Divinité. Nous ne saurions perler des douces et ardentes affections que la Reine du ciel éprouvait, ni des actes sublimes qu'elle faisait dans ces occasions, sans en ternir en quelque sorte le lustre de notre bouche : ainsi il faut que la foi et le coeur suppléent aux paroles.

 

(1) Joan., XIV, 6, etc. ; VIII, 12. — (1) Cant., V, 2. — (3) Sap., VII, 26.

 

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661. Quand la divine Mère voyait qu'il était temps de soulager saint Joseph en lui remettant l'Enfant Jésus, elle lui disait : « Mon Fils et mon Seigneur,  regardez votre fidèle serviteur avec un amour de  Fils et de Père, et prenez vos délices en la pureté  de son âme si candide et si agréable à vos yeux. » Et s'adressant su saint, elle lui disait : « Mon époux, prenez dans vos bras le Seigneur, qui renferme dans  sa main les cieux et la terre (1), auxquels il a donné  l'être par sa seule bonté infinie, et adoucissez les  fatigues de votre travail par Celui qui est la gloire  de tout ce qui est créé. » Le saint recevait cette faveur avec beaucoup d'humilité et de reconnaissance, non sans demander à sa divine épouse s'il pourrait se permettre de faire quelques caresses à l'Enfant. Et, rassuré par la prudente Dame, il en faisait; et la consolation que lui procurait cet adorable Seigneur était si grande, qu'il oubliait ses peines, et elles lui paraissaient toutes très-légères et même douces. Chaque fois que nos deux saints époux prenaient leur repas, l'auguste Marie tenait l'Enfant; elle le reprenait des mains de saint Joseph après avoir servi la table, et elle mangeait avec une très-grande propreté; mais la nourriture que son âme très-sainte recevait était bien plus douce et plus abondante que celle de son corps: car, dans le temps qu'elle avait son Fils bien-aimé entre ses bras comme enfant, et qu'elle le caressait avec la tendresse d'une Mère amoureuse, elle le respectait,

 

(1) Isa., XL, 12.

 

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l'adorait et l'aimait comme son Dieu éternel. Il n'est pas possible d'exprimer les soins qu'elle prenait de s'acquitter envers son Créateur de cette double obligation de créature et de Mère-, d'un côté , elle le reconnaissait pour le fils du Père éternel, pour le Roi des rois, pour le Seigneur des seigneurs, et pour le Créateur et le Conservateur de tout l'univers (1); et par un autre endroit elle le considérait comme homme véritable encore dans son enfance, et qu'elle devait servir et nourrir. Par ces deux différents motifs d'amour, elle se sentait tout embrasée, et ne cessait d'admirer, de louer et d'aimer celui qui en était le principe. Quant à toutes les autres choses que nos divins époux faisaient, je puis seulement dire qu'ils excitaient l’admiration des anges, et que par la plénitude de leur sainteté ils comblaient le bon plaisir du Seigneur.

 

Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

662. Ma fille, si l'on considère qu'étant en Égypte avec mon très-saint Fils et mon époux, nous étions dans un pays d'une religion étrangère, où nous n'avions ni amis ni parents, et oit je me trouvais dépourvue de tout secours humain pour nourrir un Fils

 

(1) Apoc., XIX, 16.

 

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que j'aimais si tendrement, on pourra se faire une idée des peines, des tribulations et des incommodités que nous y essuyâmes, car le Seigneur permettait que nous en fussions affligés. Mais on ne saurait concevoir la patience avec laquelle nous les supportâmes; les anges mêmes ne sont pas capables d'apprécier à sa valeur la récompense que j'obtins du Très-Haut pour l'amour et la résignation avec laquelle je les souffris, y conservant plus de calme que si j'eusse été au sein de la prospérité. Il est vrai que j'étais désolée de voir mon époux dans une si grande nécessité; mais je bénissais le Seigneur de cette désolation même, parce que je m'y soumettais avec joie. Je veux, ma fille, que vous m'imitiez en cette généreuse patience et en cette paisible sérénité, dans toutes les circonstances où vous placera le Seigneur, et que vous y sachiez partager avec prudente ce qui regarde l'intérieur et l'extérieur, donnant à l'un et à l'autre ce qu'il est juste que vous donniez dans l'action et dans la contemplation, sans que la première empêche la seconde, et réciproquement.

663. Quand le nécessaire manquera à vos inférieures, tâchez de le leur procurer par les moyens convenables; et si vous renoncez à votre propre repos pour vous acquitter de cette obligation, vous n'en perdrez pas la paix, surtout si vous suivez l'avis que je vous ai. donné plusieurs fois, c'est-à-dire si vous faites en sorte de ne perdre jamais le Seigneur de vue, quelque occupation que vous ayez. Avec le secours de sa lumière et de sa grâce vous viendrez,

 

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sans vous troubler, à bout de tout si vous êtes vigilante. Car lorsqu'on peut légitimement subvenir, aux nécessités par' des, moyens humains, on ne doit pas attendre de miracles ni rester les bras croisés dans. l'espérance que Dieu pourvoira à tout par des voies surnaturelles, attendu que sa Majesté ne concourt qu'aux moyens doux, communs et convenables; et le travail corporel en est un où le corps sert avec l'âme le Seigneur, ogre son sacrifice, et acquiert son mérite en la manière qui lui est possible. De sorte que 1a créature raisonnable peut, en vaquant au travail, louer et adorer Dieu en esprit et en vérité (1). Et, pour le faire, subordonnez toutes vos actions à son bon plaisir, proposez-les à sa Majesté, et pesez-les au poids du sanctuaire en donnant toute votre attention à la divine lumière que le Tout-Puissant vous communique.

 

(1) Joan., IV, 23.

 

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CHAPITRE XXVI. Où sont racontées les merveilles que l'Enfant Jésus, sa très-sainte Mère et saint Joseph firent à Héliopolis en Égypte.

 

664. Lorsque Isaïe dit (1) que le Seigneur entrerait dans l'Égypte sur un nuage léger pour y faire éclater les merveilles qu'il y voulait opérer, il est constant, soit que l'on entende sa très-sainte Mère, soit qu'avec d'autres interprètes l'on entende l'humanité qu'il en avait prise, il est constant, dis-je, qu'il a voulu signifier par cette métaphore qu'il fertiliserait cette terre stérile, c'est-à-dire les coeurs des habitants de ce royaume, par le moyen de ce divin nuage, afin qu'elle produisît à l'avenir de nouveaux fruits de sainteté par la connaissance de Dieu, comme il arriva après que ce nuage céleste y fut entré. Car aussitôt la foi du véritable Dieu se propagea dans l'Égypte, l'idolâtrie y fut détruite, et le chemin de la vie éternelle, que le démon avait tenu fermé jusqu'alors, fut ouvert; et cet ennemi de nos limes l'avait tenu si bien fermé, qu'on eût trouvé à peine dans le pays une personne qui connu la véritable Divinité lorsque le Verbe

 

(1) Isa., XIX, 1.

 

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incarné y entra. Et, quoique quelques Égyptiens eussent puisé cette connaissance dans leurs rapports avec les Hébreux, qui l'habitaient, ils y mêlaient néanmoins beaucoup d'erreurs et de superstitions, et plusieurs pratiques qui se rattachaient au culte du démon, comme avaient fait autrefois les Babyloniens qui étaient venus demeurer à Samarie (1). Mais après que le Soleil de justice eût éclairé l'Égypte, et que la nue exempte de toute sorte de souillure, l'auguste Marie, l'eût fertilisée (2), elle fut si remplie de sainteté et de grâce, qu'elle en donna abondamment des fruits durant plusieurs siècles, comme on a vu dans le grand nombre de saints et d'anachorètes qu'elle a produits ensuite, et qui ont distillé dans ses montagnes le miel délicieux de la sainteté et de la perfection chrétienne (3).

 

665. Le Seigneur, voulant distribuer ces faveurs qu'il destinait aux Égyptiens, s'arrêta dans la ville d'Héliopolis, ainsi que nous l'avons dit. Et comme elle était fort peuplée et remplie d'idoles, de temples et d'autels consacrés su démon, et que tous écroulèrent avec un bruit épouvantable lorsque l'Enfant Jésus y entra, on ne saurait exprimer la crainte, l'émotion et le trouble dans lesquels ce prodige inouï jeta tous les habitants (4). Ils erraient dans les rues comme éperdus d'épouvante, et la curiosité devoir les étrangers nouvellement arrivés se joignant à cet effroi général, il y eut un grand nombre d'hommes et de

 

(1) IV Reg., XVII, 24. — (2) Isa., XIX, 1. — (3) Joel., III, 18. — (4) Isa., XIX, 1, etc.

 

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femmes qui allèrent parler à notre grande Reine et au glorieux saint Joseph. La divine Mère, qui savait, le mystère et la volonté du Très-Haut, répondit à tous avec beaucoup de prudence, de sagesse et de douceur, par des paroles qui touchaient profondément les coeurs. Ils admiraient sa grâce incomparable et la sublimité de la doctrine qu'elle leur enseignait : et comme tout-en les retirant de leurs erreurs elle guérissait en même temps plusieurs des malades qui se trouvaient parmi ceux qui la visitaient, ils étaient consolés en toutes les manières. Le bruit de ces miracles se répandit de telle sorte, que la prudente et divine étrangère se vit en peu de temps aborder de tant de personnes, qu'elle fut obligée de prier son très-saint Fils de lui indiquer ce qu'il voulait qu'elle fit dans. cette rencontre. L'Enfant-Dieu lui répondit de leur apprendre la vérité et la connaissance de la Divinité; de leur enseigner son culte, et les moyens dont elles devaient se servir pour sortir du péché.

666. Notre princesse exerça cet office de prédicateur et de docteur des Égyptiens comme organe de son très-saint Fils, qui donnait cette admirable vertu à ses paroles. Et le fruit que ces âmes en tirèrent fut si grand, qu'il faudrait faire plusieurs livres s'il fallait raconter les merveilles qui arrivèrent, et les conversions à la vérité qui eurent lieu pendant les sept années qu’ils demeurèrent dans ce pays; car il fut tout sanctifié et rempli de douces bénédictions (1).

 

(1) Ps. XX, 4.

 

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Toutes les fois que notre divine Dame écoutait ou instruisait ceux qui la venaient voir, elle prenait l'Enfant Jésus entre ses bras, comme celui qui était l'auteur de cette grâce et de toutes celles que les pécheurs obtiennent. Elle parlait à chacun selon la portée de son esprit, et se servait des moyens les plus convenables pour que tous reçussent et pénétrassent la doctrine de la vie éternelle. Elle leur fit connaître la Divinité et leur apprit qu'il n'y avait qu'un Dieu, et qu'il était impossible qu'il y en eût plusieurs. Elle leur enseigna aussi toutes les choses et toutes les vérités relatives à la Divinité et à la création du monde. Ensuite elle leur déclara que Dieu même le devait racheter et réparer : et elle leur expliqua tous les commandements que contient le Décalogue, et qui sont fondés sur la loi de nature elle-même, leur enseignant de quelle manière ils devaient servir et adorer Dieu, et comment ils devaient attendre la rédemption du genre humain.

667. Elle leur fit comprendre aussi qu'il y avait des démons ennemis du véritable Dieu et des hommes; elle les désabusa des erreurs dans lesquelles les entretenaient leurs idoles avec les faux oracles qu'elles rendaient, et que ces mêmes démons les portaient à consulter, en contribuant secrètement au désordre de leurs passions, pour les plonger ensuite dans des péchés énormes. Et, quoique notre auguste Reine fût si pure et si éloignée de toute sorte d'imperfection, elle ne laissa pas néanmoins, regardant en cela et la gloire de Dieu et le salut des âmes de leur inspirer

 

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une juste horreur des crimes abominables dont toute l'Égypte était souillée. Elle leur déclara aussi que le Restaurateur de toutes choses, qui devait vaincre le démon, selon les prédictions des Écritures, était déjà venu, sans leur dire pourtant que ce fût celui qu'elle tenait entre les bras. Et, afin qu'on reçût plus facilement toute cette doctrine et qu'on embrassât avec plus d'affection la vérité, elle la confirmait par de grands miracles, guérissant toutes sortes de maladies, et délivrant les énergumènes qui venaient de divers endroits. Elle se rendait quelquefois dans les hôpitaux, où elle opérait des merveilles en faveur des malades. De sorte que partout elle consolait les affligés, soulageait les misérables et secourait les pauvres; elle instruisait tout le monde avec un amour maternel, reprenait chacun avec une sévérité mêlée de douceur, et gagnait tous les coeurs par ses bienfaits.

668. En ce qui concerne les malades qui avaient des plaies, notre divine Dame se trouva balancée entre la charité, qui l'obligeait à les leur panser de ses propres mains, et un sentiment de retenue qui la portait à ne toucher personne. Et afin de la tirer de cette peine, son très-saint Fils lui dit de guérir les hommes par ses seules paroles et en les instruisant; mais qu'elle pouvait toucher les femmes et panser elle-même leurs plaies. Et c'est ce qu'elle fit dés lors; exerçant tour à tour les offices de mère et d'infirmière à tous, jusqu'à ce que saint Joseph commença de guérir aussi les malades; ce qui arriva deux années après, comme je le dirai. Notre auguste Princesse s'attachait

 

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surtout à guérir les femmes, st cela avec une si grande charité, que, malgré son extrême pudeur et sa délicatesse, elle pansait elle-même leurs plaies, quelque ulcérées qu'elles fussent, et y appliquait les linges et les bandages nécessaires; et elle montrait à toutes ces malades une compassion aussi vive que si elle avait senti leurs maux. Il arrivait parfois que, pour exercer cette charité, elle demandait à son très-saint Fils la permission de l'ôter de ses bras; et alors elle le mettait dans son berceau et s'employait à soulager les pauvres, parmi lesquels le même Seigneur des pauvres revoyait sous une autre forme l'humble et charitable Dame (1). Mais chose admirable! jamais, au milieu de ces oeuvres et de ces soins, elle ne regardait qui que ce fût au visage. Et lors même que la plaie s'y trouvait, notre très-modeste Reine la pansait avec une telle retenue, qu'après coup elle n'eût pu reconnaître aucun malade à ses traits, si d'ailleurs elle ne les eût connus tous par la lumière intérieure.

669. Les chaleurs excessives de l'Égypte et les grands désordres de ce misérable peuple, amenaient ordinairement des maladies très-dangereuses dans le pays. La peste ravagea Héliopolis, et plusieurs autres endroits pendant le temps que l'Enfant Jésus et sa très-sainte Mère y demeurèrent. Ces calamités et le bruit des merveilles qu'ils opéraient, leur attiraient un grand nombre de malades, qui s'en retournaient avec la santé du corps et de l'âme. Mais le Seigneur

 

(1) Matth., XXV, 40.

 

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voulant étendre davantage sa grâce, et que la très-compatissante Mère fût soulagée dans les oeuvres de miséricorde, qu'elle faisait comme instrument vivant de son adorable Fils, détermina, à la prière de notre divine Dame, que saint Joseph instruirait et guérirait aussi les malades; et elle lui obtint une nouvelle lumière intérieure, et une grâce spéciale de sainteté pour exercer ce ministère. De sorte que dans la troisième année depuis leur arrivée, saint Joseph se mit à appliquer ces dons du ciel. Il enseignait et guérissait ordinairement les hommes, et notre grande Reine les femmes. On ne saurait concevoir quels fruits ils produisaient, tant, par les faveurs continuelles que ce peuple en recevait que par l'efficace des paroles de notre auguste Princesse, et par l'affection que tous lui portaient, charmés dé sa modestie et attirés par la vertu de sa sainteté (1). On lui offrait de riches présents, afin qu'elle s'en servît; mais elle n'en accepta jamais aucun pour elle-même, car les saints époux se nourrirent toujours de leur travail. Et lorsqu'elle se croyait obligée de recevoir quelque cadeau par honnêteté, elle le distribuait incontinent aux pauvres. Et ce n'était que pour' cela qu'elle se prêtait à la piété, et en même temps à la consolation de quelques dévots, à qui elle donnait même bien souvent quelques-uns de ses ouvrages en témoignage de sa reconnaissance. On pourra deviner par ces merveilles combien ils en auront fait dans le cours des

 

(1) Matth., XXV, 40.

 

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sept années qu'ils demeurèrent à Héliopolis; car il serait impossible de les raconter en détail.

Instruction que l'auguste Marie, Reine du ciel me donna.

670. Ma fille, vous avez été frappée d'admiration à la. vue des oeuvres de miséricorde que j'exerçais en Égypte, soulageant les pauvres et guérissant les malades de tant de sortes de maladies., pour leur procurer à la fois la santé du corps et de l'âme. Mais vous concevrez combien cela s'accordait avec ma retenue, et avec le goût que j'avais pour la retraite, si vous faites réflexion sur l'amour immense qui porta mon très saint Fils aussitôt qu'il fut né, à aller porter le salut dans ce royaume, en donnant à ses habitants les prémices du feu de la charité, dont son coeur était enflammé pour le salut de tous les mortels. Il me communiqua cette charité et me choisit pour être l’instrument de la sienne, aussi bien que de son pouvoir, sans quoi je n'aurais pas osé entreprendre une telle mission de mon propre mouvement, parce que mon inclination me faisait toujours pencher à la retraite et au silence; mais la volonté de mon Fils et mon Seigneur me conduisait en tout. Je veux, ma bien-aimée, qu'à mon imitation vous travailliez au bien et

 

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au salut de votre prochain, et que vous tâchiez de me suivre dans cette voie avec la perfection et d'après les règles que je gardais. Vous ne devez pas chercher les occasions , mais attendre que le Seigneur vous les fournisse, à moins qu'une circonstance extraordinaire ne vous force de prendre les devants. Mais en toute rencontre tachez d'instruire et d'éclairer ceux que vous pourrez par la lumière que. vous avez reçue, non point comme exerçant l'office de maîtresse, mais avec des marques qui fassent connaître que vous ne voulez que consoler vos frères, que compatir à leurs peines, et que leur apprendre à souffrir avec patience dans leurs propres afflictions, unissant à cet effet à la pratique de la charité beaucoup d'humilité et de prudence.

671. Exhortez et corrigez vos inférieures, et amenez-les à ce qui sera le plus parfait et le plus agréable au Seigneur; car après que vous aurez vous-même pratiqué cette perfection, le plus grand service que vous pourrez rendre à sa Majesté sera d'encourager et d'instruire les autres, selon vos forces et selon la grâce que vous en avez reçue. Mais pour ce qui regarde ceux. à qui vous ne pouvez parler, priez continuellement pour leur salut, et ainsi vous étendrez votre charité sur tous. Et puisque vous ne pouvez pas vous occuper des malades qui sont hors du monastère, redoublez vos soins envers celles qui s'y trouvent, vous employant à leur service, et contribuant vous-même à tout ce qui pourra les soulager et les consoler. Mais en cela vous ne devez pas vous considérer comme

 

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leur supérieure à cause de la charge dont vous êtes revêtue; car elle vous constitue leur mère, et c'est ce que vous leur montrerez par une égale sollicitude, par une égale affection pour toutes. Quant à tout le reste, Nous vous estimerez toujours pour la dernière de la maison. Et comme le monde occupe ordinairement les plus pauvres et les plus méprisables au service des malades, parce que, dans son ignorance, il n'apprécie pas la sublimité de cet emploi, à cause de cela même je vous donne, moi, comme à la plus pauvre et à la moindre de toutes, l'office d'infirmière , afin que vous m'imitiez en le remplissant.

 

CHAPITRE XXVII. Hérode ordonne de faire mourir les Innocents. — L'auguste Marie en a connaissance, et le petit Baptiste est mis à couvert de sa fureur.

 

672. Laissons maintenant l'Enfant Jésus, sa très-pure Mère et saint Joseph en Égypte; sanctifiant ce royaume par leur présence et par leurs bienfaits, que la Judée ne méritait pas; et voyons où aboutirent l'astuce et l'hypocrisie diaboliques d'Hérode. Cet inique roi attendait le retour des mages, et le récit qu'ils lui feraient d'avoir trouvé et adoré le nouveau

 

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roi des Juifs qui venait de naître, pour le faire ensuite mourir d'une manière inhumaine. Mais il fut bien trompé quand il apprit que les mages avaient été à Bethléem , s'étaient entretenus avec l'auguste Marie et son saint époux Joseph , et qu'ayant pris un autre chemin , ils étaient déjà hors de la Palestine; car il fut informé de tout cela aussi bien que d'une partie de ce qui s'était passé dans le Temple; et, s'aveuglant lui–même par sa propre politique, il attendit quelques jours, jusqu'à ce que le retard des rois lui parût suspect, et alors-le souci que son ambition lui causait l'obligea à demander de leurs nouvelles. Il consulta de nouveau quelques docteurs de la loi ; et comme ils s'accordaient en ce qu'ils disaient de Bethléem, d'après. les Écritures et d'après ce qui y était arrivé, il commanda de chercher avec beaucoup de diligence notre Reine, son très-doux Enfant et saint Joseph. Mais le Seigneur, qui leur avait ordonné de sortir de nuit de Jérusalem , cacha par conséquent leur voyage, afin que personne ne le sût, ni pût remarquer la moindre trace de leur fuite. Ainsi les ministres d'Hérode et les autres, n'ayant pu les découvrir, lui dirent que ni cet homme, ni cette femme, ni l'enfant, ne paraissaient dans tout le pays.

673. Cette réponse augmenta la fureur d'Hérode, sans qu'il pût prendre un moment de repos , ni trouver aucun moyen de prévenir le dommage qu'il craignait de la venue du nouveau roi (1). Mais le démon,

 

(1) Matth., II, 16.

 

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qui le vit disposé à commettre tous les attentats, lui inspira un expédient funeste pour le consoler, en lui proposant d'user de son pouvoir absolu, et de faire égorger tous les enfants de cette contrée âgés de moins de. deux ans, et en lui faisant entendre qu'il ne serait pas possible que le roi des Juifs nouvellement né ne se rencontrât parmi eux. Le tyran se 'réjouit d'avoir trouvé cet expédient, qui n'entra jamais dans l'esprit d'aucun autre barbare; de sorte qu'il l'embrassa sans éprouver ni la crainte ni l'horreur. qu'une mesure si cruelle eût pu causer en quelque homme raisonnable que ce fût. Et voulant exécuter ce méchant dessein pour satisfaire. sa rage, il fit assembler quelques troupes de milice sous la conduite des ministres qui avaient le plus de part à sa confiance, et il leur commanda, sous peine d'encourir sa disgrâce, d'égorger tous les enfants qui seraient au-dessous de deux ans, dans Bethléem et dans tous les alentours. Ses ordres furent ponctuellement suivis, de sorte que tout le pays fut rempli de confusion, de cris et de larmes des pères, des mères et des parents des innocents condamnés à la mort, sans que personne pût les y soustraire.

674. Hérode donna cet ordre impie six mois après la naissance de notre Rédempteur. Au moment ou ses satellites commencèrent à l'exécuter, notre grande Reine tenait son très-saint Fils entre les bras, et regardant son âme et ses opérations, elle y vit tout ce qui se passait à Bethléem , comme dans un très-clair miroir, et plus distinctement que si elle eût entendu

 

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les cris des enfants et de leurs parents. Cette divine Danse vit aussi que son adorable Fils invoquait le Père éternel pour les pères et les mères des Innocents, qu'il lui offrait les petits martyrs comme les prémices de sa mort (1), et qu'il le priait de leur donner l'usage de la raison, comme étant sacrifiés pour la cause du même Rédempteur lui-même, afin qu'ils offrissent volontairement leur vie, et reçussent la mort pour la gloire de ce même Seigneur, qui leur réservait les couronnes du martyre en récompense de ce qu'ils souffraient. Le Père éternel accorda cette demande, et notre auguste Reine connut le tout en son très-saint Fils, et l'imita dans l'offrande et dans les prières qu'il faisait. Elle se joignit aussi aux pères et aux mères des petits martyrs dans la douleur et la compassion qu'ils avaient, et dans les larmes qu'ils versaient pour la mort de leurs enfants. De sorte qu'elle fut la véritable et la première Rachel, qui pleura les enfants de Bethléem (2), qu'elle regardait comme siens; et il n'y eut aucune autre mère qui pût les pleurer autant qu'elle, parce qu'elle les surpassait toutes en tendresse.

675. La sainte Vierge ne savait pas alors ce que sainte Élisabeth avait fait pour sauver son fils Baptiste, selon l'avis qu'elle lui avait donné par l'ange quand ils sortirent de Jérusalem pour aller en Égypte, comme je l’ai dit au chapitre XXII, paragr. 623. Et quoiqu'elle ne doutât point que tous les mystères.

 

(1) Apoc., XIV, 4. — (2) Jerem., XXXI, 15.

 

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qu'elle avait appris par la lumière divine être rattachés à l'office du précurseur, ne fussent accomplis en ce bienheureux enfant, néanmoins elle ignorait les peines dans lesquelles la cruauté d'Hérode avait mis sa cousine Élisabeth et le petit Baptiste, aussi bien que les moyens qu'ils avaient pris pour l'éviter. La douce Mère n'osa pas prier son très-saint Fils de lui en donner la connaissance, à cause du respect qu'elle lui portait,et de la prudence qu'elle observait dans ces révélations, de sorte qu'elle se renfermait dans une humilité et dans,. une patience admirable. Mais sa Majesté répondit à son tendre désir, en lui déclarant que Zacharie, père de saint Jean, était mort quatre mois après la naissance de Jésus-Christ, et environ trois mois après qu'ils furent sortis de Jérusalem; que sainte Élisabeth, qui était alors veuve, n'avait point d'autre compagnie. que celle de son fils, qu'elle passait sa solitude et son affliction retirée avec lui dans un lieu écarté parce que, sur l'avis qu'elle avait reçu de l'ange, et à la vue ensuite de la cruauté qu'Hérode commençait à exercer, elle s'était résolue à fuir dans le désert avec le petit précurseur, et à habiter parmi les bêtes fauves, pour éviter la persécution d'Hérode; que la sainte veuve avait pris cette résolution par l'impulsion, et le bon plaisir du Très-Haut, et qu'elle était cachée au fond d'une grotte, où elle vivait avec son fils dans les peines, dans les afflictions et dans les incommodités.

676. Notre, divine Dame connut aussi que sainte Élisabeth mourrait dans le Seigneur trois ans après

 

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cette vie solitaire, que le petit Baptiste demeurerait dans ce désert, où il mènerait une vie angélique, et qu'il rien sortirait point, jusqu'à ce que le Très-Haut lui ordonnât d'aller prêcher la pénitence, comme son précurseur. L'Enfant Jésus découvrit à sa très-sainte Mère tous ces mystères, et d'autres secrètes et sublimes faveurs que sainte. Élisabeth et son fils reçurent dans cette solitude. Elle connut tout cela de la même manière qu'elle avait appris la mort des Innocents. Notre auguste Princesse fut remplie de joie et de compassion par cette connaissance : de joie, parce que saint Jean et sa mère étaient en lieu de sûreté, et de compassion, à cause des peines qu'ils souffraient dans ce désert. Ensuite elle demanda la permission à son très-saint Fils de prendre soin de sa cousine et de son enfant. Et dès lors, avec l'agrément du même Seigneur, elle les faisait souvent visiter par les anges qui la servaient; et par leur ministère elle leur envoyait quelque nourriture; qui fut le plus grand régal qu'ils eurent dans leur solitude. De sorte que sans sortir de l'Égypte, notre grande Dame eut par l'intermédiaire des anges une continuelle et secrète correspondance avec l'enfant et la mère. Lorsque sainte Élisabeth fut proche de l'heure de sa mort, elle lui envoya un grand nombre de ses anges, afin qu'ils l'assistassent conjointement avec le petit Baptiste, qui avait alors quatre ans; et quand sa mère fut morte, à l'aide de ces mêmes anges, il l'enterra dans ce désert. Et depuis ce temps-là, notre charitable Reine procura le nécessaire à saint Jean, jusqu'à ce qu’il

 

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fût en âge de chercher lui-même les herbes, les racines et le miel sauvage, dont il se nourrit ensuite avec une abstinence admirable (1) , comme je le marquerai en son lieu.

677. On ne saurait concevoir les mérites ni les accroissements de sainteté et de grâce que la très-pure Marie acquérait parmi toutes ces oeuvres si merveilleuses, parce qu'elle profitait de tout avec une prudence plus qu'angélique. Et ce qui lui causa beaucoup d'admiration et de tendresse, et lui donna en même temps un nouveau sujet de louer le Tout-Puissant, lorsque son très-saint Fils et elle invoquèrent le Père éternel pour les Innocents, ce fut de voir combien sa divine Providence usa de libéralité à leur égard; car elle connut comme si elle eût été présente le grand nombre des enfants qui furent égorgés; elle sut que les plus âgés ne passaient pas deux ans, que les uns n'avaient que huit jours, d'autres deux, mois, et les autres six; et qu'ils reçurent tous plus ou moins l'usage de la raison, et une connaissance très-sublime de l'être de Dieu, qui leur accorda aussi une charité, une foi et une espérance parfaites ; de sorte qu'ils exercèrent des actes héroïques de foi, d'adoration, de respect, d'amour de Dieu et de compassion pour leurs parents. Ils prièrent pour eux, et demandèrent au Seigneur de leur donner en récompense de leur affliction la lumière et la grâce, afin qu'ils acquissent par leur moyen les biens éternels. Ils subissaient

 

(1) Marc., I, 6.

 

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volontairement le martyre, et comme ils étaient dans un âge si tendre, la douleur leur était plus sensible, et par conséquent leur mérite plus grand. Ils étaient assistés par une multitude d'anges, qui les portaient dans les Limbes ou au sein d'Abraham. Et ils réjouirent les saints patriarches par leur présence; parce qu'ils les confirmèrent dans l'espérance qu ils avaient de recouvrer bientôt leur liberté. Tout cela fut un effet des demandes de l'Enfant-Dieu, et des prières de sa très sainte Mère. Par la connaissance de ces merveilles, notre auguste Princesse s'enflammait d'amour, et elle dit dans ses transports: Laudate, pueri, Dominum (1); et accompagnant par ses louanges celles de ces bienheureux enfants, elle loua l'auteur de toutes ces oeuvres si magnifiques, si dignes de sa bonté et de sa toute-puissance. Elle seule les appréciait, et les traitait avec la sagesse et avec l’estime qu'elles réclamaient Mais elle était aussi la seule qui , étant par exception si proche de Dieu, connu le prix de l'humilité, et qui la pratiquât dans toute sa perfection; car étant la Mère de la pureté, de l'innocence et de la sainteté, elle s'humilia plus que toutes les créatures abîmées dans le néant de leurs propres péchés. La seule Marie entre toutes les créatures arriva à ce degré d'humilité, quoiqu'elle se vit enrichie de plus de faveurs et de dons plus sublimes que toutes ensemble aient jamais reçus; parce qu'elle seule comprit suffisamment que la créature ne saurait rendre un retour qui soit

 

(1) Ps. CXII, 1.

 

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proportionné aux, bienfaits qu'elle reçoit, et encore moins à l'amour infini d'où ils naissent en Dieu (1). Et notre divine Dame, s'humiliant par cette science, mesurait par elle son amour, sa reconnaissance et son humilité, et donnait la plénitude à toutes choses, autant qu'une simple créature était capable de donner le digne retour, par la seule connaissance qu'elle avait, qu'aucune d'entre elles pût se rendre digne de ces bienfaits par un autre moyen que l'humilité.

678. Je veux avertir à la fin de ce chapitre que je remarque en plusieurs choses que j'écris qu'il y a une grande diversité d'opinions entre les saints Pères et plusieurs auteurs : par exemple, quant à l'époque à laquelle ils disent qu'Hérode exerça sa fureur sur les Innocents, et si ce fut sur les enfants qui ne faisaient que de naître, ou sur ceux qui avaient quelques jours et qui ne passaient pas deux ans, et par rapport à d'autres points douteux, dont je ne dois pas donner ici l'éclaircissement, parce que cela n'est pas nécessaire à mon dessein, et que je n'écris que ce qui m'est enseigné et dicté, ou ce que l'on m'ordonne quelquefois par obéissance de demander, pour donner plus de liaison à cette divine histoire. Il ne fallait pas d'ailleurs que j'introduisisse aucune dispute dans les choses que j'écris; parce que dès le commencement, comme je l'ai marqué, le Seigneur me déclara qu'il voulait que j'écrivisse tout cet ouvrage, non avec des opinions préconçues, mais avec la vérité que la divine

 

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lumière m'enseignerait. Que s'il y a lieu d'examiner si ce que j'écris est conforme au récit de l'Ecriture; et si les choses ont un rapport convenable entre elles, je remets tout cela au jugement de mes supérieurs, et des personnes sages et pieuses. Cette diversité d'opinions est presque inévitable entre ceux qui écrivent, les uns s'attachant à un auteur, les autres à un autre, et chacun suivant son inclination; ainsi la plupart des écrits, excepté les histoires canoniques; sont fondés sur des conjectures, ou sur des auteurs douteux, et je ne pouvais pas suivre cet ordre dans cet ouvrage, parce que je sais une femme ignorante.

 

Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge.

 

679. Ma fille, je veux que la douleur avec laquelle vous avez écrit ce chapitre, et le funeste exemple que vous y avez découvert, vous servent d'instruction. La douleur vous montrera qu'une créature noble, et créée par la main du Seigneur à son image et à sa ressemblance, avec des qualités si excellentes et si divines, que de pouvoir connaître Dieu, l'aimer, le voir et en jouir éternellement (1), oublie si fort sa dignité, et se laisse avilir et vaincre d'une manière si brutale et si horrible par la violence de ses appétits, que de

 

(1) Sap., II, 23.

 

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verser le sang innocent de ceux qui ne pouvaient faire tort à personne. Cette compassion doit vous exciter à pleurer la perte de tant d'âmes, et surtout dans le siècle où vous êtes, quand cette même ambition qui aveuglait Hérode a allumé des inimitiés si cruelles entre les enfants dé l'Église, qu'elle est cause du malheur éternel d'un nombre presque infini d'âmes, pet que le sang do mon très-saint Fils, qui a été versé pour leur rédemption, se perd (1). Pleurez amèrement ce malheur et cette perte.

680. Mais profitez du malheur des autres, et considérez quels ravages peut faire une passion aveugle, qui s'insinue dans l'appétit concupiscible; car si elle se rend maîtresse du cœur de l'homme, elle l'enflamme ou du feu de la convoitise s'il réalise son désir, ou de celui de la colère s'il y trouve quelque résistance. Craignez, ma fille, ce danger, non-seulement à la vue de ce que l'ambition suggéra à Hérode, mais aussi su souvenir de ce que vous remarquez ou apprenez tous les jours dans l'histoire d'autres personnes. Prenez bien garde d'attacher votre affection à aucune chose, pour petite qu'elle vous paraisse; car il ne faut qu'une étincelle pour allumer quelquefois un grand incendie. Je vous redis souvent les mêmes choses touchant cette mortification de vos inclinations, et je ne cesserai de vous les répéter; parce que la plus grande difficulté qu'on rencontre en la pratiqué de la vertu, c'est de mourir entièrement à tout ce qui est

 

(1) Ephes., I, 7.

 

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délectable et sensible, et parce que vous ne pouvez pas devenir un instrument au gré du Seigneur, si vous n'effacez de vos puissances jusqu'aux espèces ou images de toutes les créatures, afin qu'elles ne trouvent aucune entrée dans votre volonté. Que ce soit pour vous une loi inviolable de regarder tout ce qui est, comme n'étant pas, excepté Dieu, ses anges et ses saints; tendez constamment à cette abstraction: c'est pour cela que le Seigneur vous découvre ses secrets: C'est à cela qu'il vous oblige par ses communications intimes, et moi par les miennes, afin que vous soyez toujours avec sa divine Majesté, et que vous ne désiriez autre chose que lui.

 

CHAPITRE XXVIII. L'Enfant Jésus parle à saint Joseph un an après sa naissance. — Sa très-sainte Mère se dispose à le chausser et à le faire marcher. — Elle commence à célébrer les anniversaires de l'incarnation et de la Nativité.

 

681. Un jour que l'auguste Marie et son époux Joseph s'entretenaient des mystères du Seigneur, l'Enfant Jésus, après avoir achevé sa première année, voulut rompre le silence, et parler d'une voix distincte au très-fidèle Joseph, qui faisait l'office de père

 

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soigneux, comme il avait parlé à sa divine Mère des le commencement; ainsi que je l'ai marqué au chap. X de ce livre. Les deux saints époux parlaient donc et méditaient de l'être infini de Dieu, et de la bonté qui l'avait porté à un amour si excessif, que d'envoyer da ciel son Fils unique pour être le Maître et le Rédempteur des hommes, et de lui donner la forme humaine, afin qu'il conversât avec eux, et souffrît les peines que la nature dépravée avait méritées (1), et dans ce pieux exercice, saint Joseph admirait les oeuvres du Seigneur, et redoublait les désirs qu'il avait .de reconnaître et de louer son amour, lorsque tout à coup l'Enfant Dieu qui était alors entre les bras de sa mère, s'en servant comme de sa première chaire de docteur, s'adressa à son père putatif d'une voix intelligible et lui dit: «Mon père, je suis venu du ciel pour être la lumière du monde, pour le retirer des ténèbres du péché, pour chercher et connaître mes brebis comme un bon pasteur, pour leur donner a la nourriture de la vie éternelle, pour leur enseigner le chemin qu'elles doivent suivre, et pour a leur en ouvrir les portes; que leurs péchés tenaient a fermées (2); je veux que vous soyez tous deux enfants de la lumière, puisque vous en êtes si proche. » 

652. Ces paroles de l'Enfant Jésus, comme pleines de vie et d'efficace, versèrent dans le coeur du saint patriarche nu nouvel amour, un respect et une joie

 

(1) Joan., III, 16; Isa , LV, 4 ; Philip., II, 7; Baruch., III, 38. — (2) Joan., XVIII, 37; VIII, 12 ; X, 14 ; VI, 69 ; X, 4 ; XII, 36 ; Isa., X, 2 ; Ps. XXIII, 7.

 

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indicibles. Il se mit avec une très-grande humilité à genoux aux pieds de l'Enfant-Dieu, et lui rendit des actions de grâces de ce que la première parole qu'il lui eût fait entendre, était le nom de père. Il pria avec beaucoup de larmes sa Majesté de l'éclairer par sa divine lumière, et de le porter à accomplir ce qui lui serait le plus agréable, et à reconnaître tant de bienfaits incomparables qu'il avait reçus de sa main libérale. Les parents, qui aiment naturellement leurs enfants, éprouvent une grande consolation et se font un titre de gloire de découvrir en eux quelque présage qui annonce qu'ils seront sages, ou remarquables par leurs vertus ; et quoiqu'ils ne le soient pas encore cet amour naturel engage ordinairement les père et mère à louer avec beaucoup d'exagération les puérilités que leurs enfants font ou disent; car la tendre affection qu'ils ont pour eux explique tout cela. Or, bien que saint Joseph ne fût pas .père naturel de l'Enfant-Dieu, mais père putatif, l'amour qu'il lui portait surpassait néanmoins sans comparaison celui que les pères naturels ont jamais eu pour leurs enfants; parce que la grâce, et même la nature furent plus puissantes en lui que dans les autres et qu'en tous les pères ensemble; et c'est par cet amour et par l'estime qu'il faisait d'être père putatif de l'Enfant Jésus que l'on doit mesurer la joie dont son âme très-pure fut comblée lorsqu'il entendit que le Fils du Père éternel l'appelait père, lorsqu'il le vit entre les bras de sa mère, si beau, si rempli de grâce, et commençant à lui parler avec tant de sagesse.

 

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683. L'amoureuse Mère avait tenu l'Enfant-Dieu dans le maillot pendant toute cette première année, comme il arrive aux autres enfants; parce que cet adorable Seigneur ne voulut point se distinguer à cet égard, en témoignage de sa réelle humanité, aussi bien que de l'amour qu'il portait aux mortels, pour qui il souffrait cette incommodité, dont il eût pu se délivrer. La très-prudente Mère, jugeant que le moment était venu de le débarrasser de ses langes, de l'habiller et de lui apprendre à marcher (c'est ainsi que nous parlons), s'agenouilla devant le divin Enfant, alors couché dans son berceau , et lui dit; « Mon Fils, très doux amour de mon âme, mon Seigneur! je désire,  en qualité de votre servante, de vous plaire en   toutes choses. Vous êtes resté assez longtemps, lumière de mes yeux, lié et enveloppé dans vos langes; et par là vous avez découvert le grand amour que vous avez pour les hommes; il faut enfin que  vous en sortiez. Dites-moi, mon divin Maître, comment vous voulez que je me comporte dans cette  occasion ? »

684. « Ma Mère, répondit l'Enfant Jésus, les liens  de mon enfance ne m'ont point paru incommodes,  à cause de l'amour que je porte aux âmes que j'ai  créées, et que je viens racheter, puisque dans mon  âge mûr, je dois être pris, attaché et livré à mes  ennemis, et même à la mort pour eux (1). Et ce souvenir m'étant doux en vue du bon plaisir de mon

 

(1) Matth., XX, 18.

 

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Père éternel (1), tout le reste me sera facile. Je ne dois avoir qu'un vêtement en ce monde, parce que  je ne veux user que de celui qui sera nécessaire pour me couvrir, quoique tout ce qui est créé soit à moi (2), mais je l'ai remis aux hommes, afin qu'ils a me dussent davantage, et pour leur enseigner a comment, à mon exemple et pour mon amour, ils a doivent renoncer à tout ce qui est superflu à la vie a naturelle.. Vous m'habillerez, ma Mère, d'une tunique longue, et vous la choisirez d'une couleur commune. Je ne porterai que celle-là, et elle croîtra avec moi. Et ce sera cette tunique qu'on tirera au sort à l’heure de ma mort (3) ; car elle ne doit pas même être à ma disposition, mais à celle des autres, afin que les hommes sachent que je suis né, et que je veux vivre pauvre et dépouillé des choses visibles, qui étant terrestres, appesantissent le coeur de l'homme. Dès l'instant que je fus conçu dans votre sein virginal, je fis cette renonciation à tout ce que le monde renferme; quoique tout m'appartienne pur l'union de ma nature humaine à la personne divine (4); et je ne voulus avoir d'autre droit sur les choses visibles que celui de les offrir toutes à mon Père éternel, y renonçant pour son amour, et n'en acceptant que ce que la vie naturelle exige, pour la consacrer ensuite aux hommes (5).

Je veux par cet exemple corriger le monde, et lui

 

(1) Hebr., X, 7. — (2) Ps. XXIII, 1. — (3) Ps. XXI, 19. — (4) Joan., III, 35. — (5) Joan., X, 15.

 

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apprendre à aimer la pauvreté loin de la mépriser  car il sera honteux pour ceux qui me connaîtront par la foi de convoiter les choses dont j'ai enseigné le mépris, lorsque moi, qui suis le Seigneur de  tout, j'ai tout dédaigné et tout abandonné. »

685. Ces paroles de l'Enfant-Dieu produisirent des effets divers et également ineffables en la divine Mère; parce que la perspective des liens et de la mort de son adorable Fils transperça son coeur si sensible et si compatissant, et que l'exemple d'une pauvreté si extrême et d'un si austère dénuement, lui inspira une nouvelle admiration et de nouvelles résolutions de l'imiter. L'amour immense que ce divin, Seigneur portait aux mortels redoubla les désirs qu'elle avait de lui en témoigner sa reconnaissance pour tous, et elle fit à cette occasion des actes héroïques de toute sorte de vertus. Mais sachant que l'Enfant Jésus ne voulait pour vêtement que cette tunique, et qu'il ne voulait pas être chaussé, elle lui dit: «Mon Fils et mon Seigneur, votre Mère n'aura ni le coeur ni le courage  de vous laisser aller nu-pieds dans un âge si tendre; permettez, mon amour, que je vous mette quelque chaussure. Je prévois aussi que le vêtement gros lier que vous me demandez, sans vouloir user de  linge en dessous, incommodera beaucoup votre  chair délicate, surtout à votre âge. » L'Enfant Jésus lui répondit : « Ma Mère, je consens que vous  me mettiez quelque pauvre chaussure, jusqu'à ce que le temps de ma prédication arrive, car je la  dois faire nu-pieds. Mais je ne veux point porter de

 

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linge; parce que le linge provoque les hommes à commettre beaucoup de péchés, et parce que je  veux donner l'exemple à une foule de mes serviteurs, qui y renonceront à mon imitation et pour mon amour. »

686. La Reine du ciel employa incontinent tous ses soins pour accomplir la volonté de son très-saint Fils. Et ayant trouvé de la laine qu'on n'avait ni préparée ni teinte, elle-même la fila fort délicatement; et en fit une petite tunique tout d'une pièce, sans couture, et à peu près comme les bas que l'on fabrique au métier; elle n'était pas lisse comme le drap ordinaire, mais un peu velue et cordonnée. Elle la confectionna sur un petit métier qui avait quelque rapport avec ceux des dentellières; et ce n'est pas sans mystère que cette tunique fut faite tout d'une pièce et sans couture. Il y arriva deux choses miraculeuses: l'une, qu'elle sortit du métier absolument égale et sans aucun pli; l'autre, qu'elle perdit sa couleur naturelle à la prière de notre divine Dame et selon sa volonté, pour prendre une autre couleur qui tirait sur le violet et l'argentine, mais avec une nuance toute particulière et mixte qu'on n'aurait su déterminer; car elle ne paraissait proprement ni violette, ni argentine, ni grise, et cependant elle rappelait ces trois couleurs. Notre auguste Princesse fit aussi des sandales d'un fil assez fort, qu'elle mit aux pieds de l'Enfant-Dieu. En outre elle fit une demi-tunique de toile

 

(1) Joan., XIX, 23.

 

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qui devait lui servir de caleçon. Je dirai au chapitre suivant ce qui arriva lorsqu'on habilla l'Enfant Jésus.

687. Alors survinrent les anniversaires de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe, chacun 'à sa date, depuis l'arrivée de la sainte famille en Égypte. Et la Reine du ciel, voulant célébrer ces jours si solennels, commença à les fêter dès la première année, et conserva cette sainte coutume pendant toute sa vie, comme on le verra dans la troisième partie, où je raconterai les mystères qui se succédèrent plus tard. Elle célébrait celui de l'incarnation en s'y préparant neuf jours auparavant par de très-saints exercices en mémoire de la neuvaine dans laquelle le Seigneur la disposa à cet adorable mystère par des faveurs admirables et très-sublimes, comme je l'ai dit au commencement de cette seconde partie. Le jour qui répondait à celui de l'incarnation et de l'annonciation étant arrivé, elle conviait les anges qui étaient dans le ciel à s'unir avec ceux de sa garde, pour l'aider à célébrer ces magnifiques mystères, et à rendre de dignes actions de grâces au Très-Haut. Et prosternée les bras en croix, elle priait l'Enfant Jésus de louer le Père éternel pour elle , et de le remercier des faveurs qu'elle avait reçues de sa divine droite, et de ce qu'il avait fait pour le genre humain en lui donnant son Fils unique (1). Elle faisait la même chose lorsque venait l'anniversaire de ses couches. Dans ces jours-là, notre divine Dame était comblée des faveurs du Très-Haut,

 

(1) Joan., III, 16,

 

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à cause qu'elle y renouvelait la mémoire et la reconnaissance continuelle de si hauts mystères. Et comme elle savait ce qui plaisait su Père éternel, et que le sacrifice de douleur qu'elle offrait en reproduisant dans ses membres la forme de la croix, lui était agréable en souvenir de ce que le divin Agneau y devait être cloué, elle répétait cet exercice dans toutes les fêtes qu'elle célébrait, priant le Seigneur d'apaiser sa justice, et de couvrir les pécheurs de sa miséricorde. De sorte qu'enflammée du feu de la charité, elle terminait ces solennités par des cantiques admirables, qu'elle disait avec les anges, qui formaient un choeur d'une musique céleste (1) ; mais notre auguste Reine leur répondait avec plus de douceur, et d'une manière plus agréable pour Dieu que tous les chœurs des séraphins et des bienheureux ensemble n'auraient su faire ; parce que les échos de ses excellentes vertus résonnaient jusque dans le consistoire de la très-sainte Trinité, et jusqu'au tribunal de l'être éternel de Dieu.

 

Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.

 

688. Ma fille, ni vous ni toutes les créatures ensemble, ne sauriez comprendre parfaitement quel fut

 

(1) Cant., II, 24.

 

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l'esprit de pauvreté de mon très-saint Fils, ni celui qu'il m'enseigna. Mais vous pouvez, par les choses que je vous ai découvertes, vous faire une idée assez juste de l'excellence de cette vertu, qui fut tant aimée de Celui qui en était l'auteur et le Maître, et en même temps de l'horreur qu'il eut pour le vice de la cupidité. Le Créateur ne pouvait pas haïr les choses auxquelles il avait donné l'être (1), mais il vit par sa sagesse infinie le grand dommage que causerait aux mortels l'affection désordonnée qu'ils portent aux choses visibles, et que cet amour insensé pervertirait la plus grande partie du genre humain. Ainsi l’aversion qui il eut pour les biens de la terre naquit de la connaissance qu'il avait du nombre des pécheurs et des réprouvés que ce vice perdrait.

689. Mon très-saint Fils choisit la pauvreté, et l'enseigna par ses paroles et par l'exemple d'un dénuement si admirable, pour empêcher ce dommage et pour y apporter quelque remède, et afin de justifier sa cause, si les mortels n'en profitaient pas, puisque, en médecin charitable, il leur a préparé le remède qui devait leur procurer la santé. J'ai enseigné et pratiqué cette doctrine pendant toute ma vie ; c'est par elle que les apôtres ont établi l'Église; les patriarches et les saints qui l'ont réformée et qui la soutiennent ont fait la même chose, parce qu'ils ont tous aimé la pauvreté, comme le moyeu le plus efficace d'acquérir la sainteté, et ils ont eu de l'horreur

 

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pour les richesses, comme principe de tous les maux et racine de tous les vices (1). Je veux que vous chérissiez et que vous recherchiez cette pauvreté avec beaucoup de soin, parce qu'elle est l'ornement des épouses de mon très-saint Fils, à défaut duquel je vous assure, ma fille, qu'il les répudie comme lui étant horriblement dissemblables ; car l'épouse qui est riche et dans l'abondance de choses superflues ne saurait convenir à l'Époux, qui est très-pauvre et dénué de tout; un amour réciproque ne comporte point une si grande inégalité.

690. Et si, en fille légitime, vous voulez parfaitement m'imiter, ainsi que vous le devez faire, autant plue vos forces vous le permettront, vous devez comprendre que moi, qui ai été si pauvre, je ne vous reconnaîtrai pas pour ma fille, si vous n'êtes pauvre aussi, et que je n'aimerai pas en vous ce que j'ai rejeté avec tant de mépris. Je vous recommande encore de ne point oublier les bienfaits que vous recevez de la main libérale du Très-Haut; car si vous ne veillez très-attentivement à ce culte de la reconnaissance, vous tomberez facilement dans le plus grossier oubli, entraînée par le poids de la propre nature. Renouvelez plusieurs fois chaque jour le souvenir de ces bienfaits, et ne cessez jamais de rendre au Seigneur d'humbles et amoureuses actions de grâces. Et sachez que ceux que vous devez vous remémorer le plus souvent, c'est de vous avoir appelée

 

(1) I Tim., VI, 19.

 

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et attendue, d'avoir dissimulé vos fautes avec tant de bonté, et surtout de vous avoir fait tant de faveurs extraordinaires. Ce souvenir produira dans votre coeur de doux effets d'amour et de fortes impulsions, qui vous porteront à travailler avec diligence : de sorte que par ce moyen vous vous rendrez agréable au Seigneur, et vous acquerrez une nouvelle récompense, parce qu'il se complaît singulièrement en la fidélité et en la reconnaissance de l'âme, et au contraire il est fort offensé quand ses bienfaits ne sont ni estimés ni reconnus; car, comme il les accorde avec plénitude d'amour, il veut qu'on y corresponde avec un prompt et amoureux retour.

 

CHAPITRE XXIX. La très-sainte Mère met la tunique sans couture de l'Enfant Jésus, et elle le chausse; et ce que cet adorable Seigneur faisait.

 

691. La très-prudente Mère voulant mettre à son très-doux Fils la tunique tissue, les caleçons et les sandales qu'elle avait préparés, s'agenouilla devant sa Majesté, et lui parla en ces termes : « Suprême Seigneur, Créateur du ciel et de la terre, j'aurais souhaité de vous habiller, s’il eût été possible,

 

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selon la dignité de votre divine personne; j'aurais également voulu que les vêtements que je vous apporte eussent pu être faits des fibres de mon coeur; mais je crois qu'ils seront de votre goût, parce qu'ils sont pauvres. Pardonnez, Seigneur, les fautes que je puis avoir commises en m'occupant de ces ouvrages;  agréez l'affection d'une créature aussi inutile que la cendre et la poussière, et donnez-moi la permission de vous habiller. » L'Enfant Jésus accepta les offres et les hommages de sa très-pure Mère, et aussitôt elle l'habilla, le chaussa, et le mit sur ses pieds. La tunique se trouva juste à sa mesure, assez longue pour lui couvrir les pieds, sans traîner pourtant; et les manches lui arrivaient jusqu'à la moitié de la main, quoiqu'on ne lui eût pris aucune mesure auparavant. Le col de la tunique était rond, fermé par, devant, un peu haut, et presque juste à la gorge; et c'est pourquoi la divine Mère commença à la mettre par la tête de l'Enfant, sans l'ouvrir; parce que ce vêtement se prêtait à toutes les formes avec une merveilleuse souplesse, suivant la volonté de notre auguste Reine. Il ne le quitta jamais, jusqu'au moment où les bourreaux le dépouillèrent pour le fouetter et ensuite pour le crucifier, parce qu'il s'agrandissait toujours, autant qu'il était nécessaire, selon la croissance de son corps sacré. Il en arriva de même aux sandales et aux caleçons que la soigneuse Mère lui mit. De sorte que rien ne s'usa et ne vieillit pendant trente-deux ans, et la tunique ne perdit ni la couleur ni le lustre

 

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qu'elle avait quand elle sortit des mains de notre grande Dame. A plus forte raison peut-on dire qu'elle ne fut jamais ni souillée ni tachée : elle resta jusqu'à la fin absolument dans le même état. Le vêtement que le Rédempteur du monde quitta pour laver les pieds à ses apôtres, (1) consistait en une espèce de manteau qu'il portait sur les épaules, et que la sainte Vierge fit aussi elle-même, après leur retour à Nazareth; il s'agrandit successivement, comme la tunique, et il était tissu de la même manière et de la même couleur, quoiqu'un peu plus foncée.

692. L'Enfant, Prince des siècles éternels, qui avait été depuis sa naissance enveloppé dans les langes et ordinairement entra les bras de sa très-sainte Mère, se tint donc debout. Il brillait d'une beauté ravissante, qui surpassait celle de tous les enfants des hommes. Et les anges admiraient comment Celui, qui revêt les cieux de leur éclat et les champs de leur parure, avait choisi un costume aussi pauvre (2). Il marcha aussitôt en la présence de ses parents, sans être soutenu; mais cette merveille fut quelque temps cachée à ceux du dehors, parce que notre Reine, le prenait dans ses bras quand elle recevait quelque visite. La divine Dame et son saint époux Joseph éprouvèrent une joie inexprimable lorsqu'ils virent ainsi marcher leur enfant, et lorsqu'ils remarquèrent sa rare beauté. La très-pure Mère l'allaita jusqu'à ce qu'il eût accompli un an et demi, après quoi elle le

 

(1) Joan., XIII, 4. — (2) Ps. XLIV, 3.

 

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sevra. Et dans la suite il mangea, mais toujours peu de chose, pour la quantité comme pour la qualité. Il se nourrissait au commencement de potages à l'huile et de fruits, ou de poisson. Et, tant que dura sa croissance, la Vierge-Mère lui donnait trois fois à manger par jour, comme auparavant elle lui donnait la mamelle, le matin, un peu après midi, et quand arrivait la nuit. L'Enfant-Dieu ne demanda jamais sa nourriture; mais la tendre Mère avait le plus grand soin de la lui donner à temps, jusqu'à ce qu'étant déjà grand, il mangeait à la même heure que les divins époux, et pas plus souvent. C'est ce qu'il continua jusqu'à ce qu'il fut arrivé à l'âge parfait, comme je le dirai dans la suite. Et lorsqu'il mangeait avec ses parents, ils attendaient toujours qu'il donnât la bénédiction au commencement, et qu'il rendit grâces à la fin du repas.

693. Du moment où l'Enfant Jésus se mit à marcher, il commença à se retirer et à rester quelque temps seul dans l'oratoire de sa Mère. Et comme notre prudente Dame souhaitait de savoir si son très-saint Fils voudrait être seul ou avec elle, cet adorable Seigneur, répondant à son désir, lui dit : « Ma Mère,  entrez et soyez toujours avec moi, afin que vous  m'imitiez autant qu'il vous sera possible, parce  que je veux que la haute perfection que je désirais  pour les âmes soit réalisée et imprimée en vous.  Car si elles n'eussent point résisté à ma première a volonté, qui était portée à les remplir de sainteté et de dons, elles les auraient reçus avec

 

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abondance (1); mais le genre humain ayant empêché  cette effusion de mes grâces, je veux que mon bon  plaisir soit entièrement accompli en vous seule, et  que les trésors de ma droite, que les autres créatures ont perdus, soient mis en dépôt en votre  âme. Soyez donc attentive à mes oeuvres, afin de  m'imiter en elles. »

694. Notre auguste Princesse fut par là établie de nouveau la disciple de son très-saint Fils. Et dès lors il se passa de si profonds. mystères entre eux deux, qu'il n'est pas possible de les raconter, et on ne les connaîtra qu'au jour de l'éternité. L'Enfant-Dieu se prosternait souvent par terre; quelquefois il s'élevait en l'air, les bras étendus, pour figurer la croix, et il ne cessait de prier le Père éternel pour le salut des mortels. La très-amoureuse Mère le suivait et l'imitait en toutes choses, parce que les opérations intérieures de l'âme de son très-doux Fils lui étaient manifestées aussi visiblement que les actes extérieurs du corps. J'ai parlé en divers endroits de cette histoire de la connaissance que la très-pure Marie en eut, et il faudra bien que j'y revienne souvent, puisque ce fut de cette lumière et de cet exemplaire qu'elle tira sa sainteté; et ce lui fut une faveur si particulière, que toutes les créatures ensemble ne la sauraient expliquer , ni même comprendre. Notre grande Dame ne jouissait pas toujours des visions de la Divinité; mais elle eut toujours celle de l'humanité

 

(1) I Tim., II, 4.

 

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et de l'âme très-sainte de son Fils, aussi bien que de toutes ses œuvres; et elle percevait d'une manière spéciale les effets qui résultaient en cette sainte humanité des unions hypostatique et béatifique, quoiqu'elle ne vit pas toujours en substance la gloire ni l'union; mais elle connaissait les actes intérieurs par lesquels l'humanité honorait, glorifiait et aimait la divinité à laquelle elle était unie, et cette faveur ne fut accordée qu'à la Mère Vierge.

695. Dans ces exercices, il arrivait souvent que l'Enfant Jésus pleurait et suait du sang en la présence de sa très-sainte Mère, car cela eut lieu maintes fois avant l'agonie du Jardin, et alors notre divine Dame lui essuyait le visage, et, pénétrant son intérieur, elle y discernait la cause de cette tristesse, qui était toujours la perte des réprouvés et des ingrats aux bienfaits de leur Créateur et Rédempteur, et l'inutilité pour eux des oeuvres de la puissance et de la bonté infinie du Seigneur. Quelquefois sa bienheureuse Mère le trouvait tout resplendissant et entouré d'anges qui lui adressaient de doux cantiques de louange; elle savait aussi que le Père éternel prenait ses délices avec son Fils unique et bien-aimé (1). Toutes ces merveilles commencèrent dès que l'Enfant-Dieu fut en état de marcher, après avoir achevé sa première année. Et elles ne furent découvertes qu'à sa seule Mère, dont le coeur en devait être le dépositaire (2), comme étant elle seule l'Unique et

 

(1) Matth., XVII, 5. — (2) Luc., II, 19.

 

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l'Élue (1) pour son Fils et son Créateur. Les actes d'amour, de louange, de respect et de reconnaissance par lesquels elle se joignait à l'Enfant Jésus, et les prières quelle faisait pour le genre humain, tout cela surpasse ma portée, et je suis incapable de dire ce que j'en conçois. Ainsi je m'en remets à la foi et à la piété des chrétiens.

696. L'Enfant Jésus croissait à l'admiration et à la satisfaction de tous ceux qui le connaissaient. Et ayant atteint sa sixième année, il commença à sortir quelquefois de la maison pour aller dans les hôpitaux y visiter les malades et les nécessiteux, qu'il consolait et qu'il fortifiait dans leurs afflictions d'une manière toute mystérieuse. Il était connu de beaucoup de monde dans Héliopolis, et il s'attirait tous les coeurs par l'influence de sa divinité et par sa sainteté; plusieurs personnes lui portaient des présents, et selon les raisons et les motifs que lui révélait sa science, il les recevait ou il les refusait, et dans le premier cas il les distribuait aux pauvres. Mais ses paroles pleines de sagesse et ses manières si modestes et si majestueuses causaient tant d'admiration, qu'on venait de toutes parts féliciter et bénir ses parents de ce qu'ils avaient un tel Fils. Et quoique le monde ignorât en tout cela les mystères et la dignité du Fils et de la Mère, néanmoins le Seigneur de l'univers, voulant honorer sa très- sainte Mère , faisait qu'on la révérait en lui et pour lui autant qu'il était

 

(1) Cant., VI, 8.

 

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alors possible, sans qu'on connût la raison particulière qu'on avait de lui rendre à lui-même le plus grand honneur.

697. Beaucoup d'enfants d'Héliopolis s'associaient avec notre aimable Enfant Jésus, comme il est ordinaire à ceux du même âge et de la même mise. Et comme ils n'avaient pas assez de discernement pour juger s'il était plus qu'homme, ni assez de malice pour empêcher la lumière, le Maître de la vérité l'accordait et la distribuait à tous ceux qu'il était convenable. Il les instruisait à la connaissance de la Divinité et des vertus, et leur apprenait le chemin de la vie éternelle, plias fréquemment qu'à ceux qui étaient dans un âge plus avancé. Et comme ses paroles étaient vivantes et efficaces (1), il les attirait, les mouvait et les leur imprimait dans le coeur d'une telle sorte , que tous ceux qui eurent ce bonheur devinrent dans la suite de grands saints, parce qu'ils donnèrent avec le temps le fruit de cette semence céleste, répandue de si bonne heure dans leurs âmes (2).

698. La divine More avait connaissance de toutes ces oeuvres admirables. Et lorsque son très-saint Fils venait de faire la volonté de son Père éternel, en s'occupant des brebis qu'il lui avait recommandées (3), cette auguste Reine des anges, se trouvant seule avec lui, se prosternait pour lui rendre des actions de grâces du bien qu'il faisait à ces petits innocents,

 

(1) Hebr., IV, 12. — (2) Luc., VIII, 8. — (3) Joan., VI, 38 et 89.

 

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qui ne le connaissaient pas pour leur Dieu véritable; et elle lui baisait les pieds comme au souverain Pontife du ciel et de la terre (1). Elle faisait la même chose quand l'Enfant sortait de la maison, et alors sa Majesté la relevait de cette humble posture avec un empressement tout filial. L'amoureuse Mère lui demandait aussi sa bénédiction pour toutes les oeuvres qu'elle faisait, et jamais elle ne perdait l'occasion de pratiquer tous les actes de vertu avec toute la ferveur, et la force de la grâce. Loin de la laisser oisive, elle agit toujours avec toute la plénitude possible et avec un accroissement continu de nouvelles grâces. Cette grande Dame ne faisait que chercher les moyens de s'humilier, adorant le Verbe incarné par de très-profondes génuflexions, par des prosternations expressives, et par d'autres cérémonies dignes de sa sainteté et de sa sagesse. Et en tout ceci, sa conduite était si admirable, qui elle ravissait les anges qui l'assistaient; de sorte qu'en chantant alternativement les divines louanges, ils se disaient; « Quelle  est cette pure créature si agréable à notre Créateur et son Fils (2) ? Quelle est celle qui se montre  si ingénieuse et si sage dans le culte d'honneur et  de respect qu'elle rend au Très-Haut, qu'elle nous surpasse tous par son zèle incomparable, par ses soins et par sa diligence ? »

699. Le plus beau, le plus ravissant des enfants prenait un air plus sérieux à l'égard de ses parents

(1) Hebr., IV, 14. — (2) Cant., VIII, 5.

 

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à mesure qu'il avançait en âge. De sorte que quelque temps après qu'il fut sorti du maillot, les caresses plus tendres auxquelles il ne s'était jamais livré qu'avec la retenue que j'ai fait remarquer, cessèrent. Et la réserve que ses parents avaient sur ce point venait de ce que sa divinité, quoique cachée, laissait percer sur sa physionomie une majesté telle, que s'il ne l'eût tempérée par une grande expression de douceur, elle leur aurait souvent inspiré une crainte si respectueuse, qu'ils n'auraient point osé lui parler. Mais l'amoureuse Mère et saint Joseph ressentaient de sa présence des effets efficaces et divins, par lesquels ils découvraient en lui à la fois la force et la puissance d'un Dieu, et la bénignité, l'extrême bonté d'un père. Dans cette majestueuse grandeur, il se montrait Fils de la divine Mère, et il traitait saint Joseph comme celui qui avait le nom et l'office de père; ainsi il leur obéissait comme obéit à ses parents le fils le plus soumis (1). Le Verbe incarné conciliait avec une sagesse infinie tous ces témoignages de dignité, d'obéissance, d'humilité, de majesté divine et d'affabilité humaine, donnant à chaque chose ce qu'elle demandait, sans que la grandeur du Dieu et la petitesse de l'enfant se gênassent ou se nuisissent. Notre auguste Dame était très-attentive à tous ces mystères, et elle seule pénétrait dignement (autant qu'il était possible à une simple créature) les oeuvres de son très-saint Fils, aussi bien que l'ordre que sa

 

(1) Luc., II, 54.

 

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sagesse infinie y gardait. Ce serait entreprendre l'impossible que de vouloir raconter les effets que toutes ces choses causaient dans son très-pur et très-prudent esprit, et ,montrer comment. elle imitait son adorable Fils, gravant en elle-même la vive image de sa sainteté ineffable. On ne saurait non plus dire le nombre des âmes qui se convertirent et se sauvèrent dans Héliopolis et dans toute l'Égypte, des malades qu'ils y guérirent et des merveilles qu'ils y firent pendant les sept ans,qu'ils y demeurèrent, tant la cruauté d'Hérode fut avantageuse à l'Égypte ! La forcé de la bonté jet de la sagesse infinie de Dieu est telle, qu'elle tire de grands biens, même du mal et du péché. Et si on le rejette en un endroit, et qu'on ferme les portes à ses miséricordes, il frappe à plusieurs autres, jusqu'à ce qu'on les lui ouvre et qu'on lui donne l'entrée (1), parce que toutes les eaux de nos iniquités et de nos ingratitudes ne sauraient ni détourner le désir qu'il a de favoriser le genre humain, ni éteindre son ardente charité (2).

 

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

700. Ma fille, vous avez appris, dès le premier ordre que vous avez reçu d'écrire cette histoire de ma

 

(1) Job., XXXIV, 24. — (2) cant., VIII, 7.

 

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vie, qu'en vous le donnant le Seigneur a voulu, entre autres fins, faire connaître aux hommes ce qu'ils doivent à son divin amour et su mien, tandis qu'ils vivent à cet égard dans une telle insensibilité et dans un tel oubli. Il est vrai que tout est compris et exprimé en deux mots, lorsqu'on dit qu'il les a aimés jusqu'à mourir sur la croix pour eux (1); car ce fut là le dernier terme où les effets de son immense charité purent arriver. Mais à beaucoup d'ingrats le souvenir de ce bienfait ne fait que causer une sorte de dégoût. Pour ceux-là comme pour tous les autres ce sera un nouvel aiguillon que de connaître quelque chose de ce que sa Majesté a fait pour eux pendant les trente-trois ans de sa vie mortelle, puisque la moindre de ses couvres est d'un prix infini et mérite une reconnaissance éternelle. La puissance divine m'a rendue témoin de tout, et je vous assure, ma très-chère fille, que, dès le premier instant qu'il fut conçu dans mon sein, il n'a cessé de prier le Père éternel pour le salut des hommes (2). Il commença dès lors à embrasser la croix, non-seulement par une simple affection, mais aussi d'une manière réelle, autant que possible, se mettant durant son enfance bien souvent en la posture de crucifié : et il continua ces exercices pendant toute sa vie. Je l'imitai en cela, et je l'accompagnai dans les oeuvres et dans les prières qu'il faisait pour les hommes, à partir du premier acte de reconnaissance qu'il fit pour les bienfaits que son humanité très-sainte avait reçus.

 

(1) Joan., III, 16. — (2) Hebr., X, 5.

 

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701. Que les mortels considèrent maintenant si, ayant été moi-même témoin et coopératrice de leur salut, je ne viendrai pas aussi au jour du jugement attester combien la cause de Dieu est justifiée à leur égard, et si je ne refuserai pas avec beaucoup de justice mon intercession à ceux qui ont méprisé et oublié follement tant de grâces plus que suffisantes, et tant d'effets du divin amour de mon très-saint Fils aussi bien que du mien. Quelle réponse feront-ils, quelle excuse allégueront-ils, après avoir été si informés, si instruits et si éclairés de la vérité? Comment pourront-ils compter, les ingrats et les obstinés, sur la miséricorde d'un Dieu très-juste et très-équitable qui leur a donné un temps précis et convenable, pendant lequel il les a excités, appelés, attendus et favorisés de bienfaits immenses qu'ils ont dissipés et perdus pour suivre la vanité? Craignez, ma fille, le plus grand des périls et des aveuglements; repassez souvent dans votre esprit les couvres de mon très-saint Fils et les miennes, et imitez-les avec toute la ferveur possible. Continuez les exercices de la croix selon l'ordre de vos supérieurs; afin que vous y trouviez ce que vous devez imiter et reconnaître. Mais sachez que mon Fils et mon Seigneur pouvait racheter le genre humain sans souffrir tant de peines, et qu'il a voulu cependant les augmenter par l'amour immense qu'il a pour les âmes. La correspondance qu'exige une pareille bonté ne consiste pas à se contenter de peu, comme les hommes le font ordinairement par une ignorance fatale. Ajoutez, ma fille, une vertu et un travail à plusieurs

 

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autres, afin de vous acquitter de vos obligations, et partagez avec mon Seigneur et moi ce que nous avons souffert dans le monde. Unissez tout ce que vous ferez à ses mérites, et offrez-le au Père éternel pour les âmes.

 

CHAPITRE XXX. Jésus, Marie et Joseph retournent d'Égypte à Nazareth par la volonté du Très-Haut.

 

702. L'Enfant Jésus atteignit sa septième année pendant qu'il était en Égypte; c'était le temps de ce mystérieux exil que la Sagesse éternelle avait déterminé : et il fallait qu'il retournât à Nazareth pour accomplir les prophéties. Ainsi le Père éternel déclara un jour sa volonté à l'humanité de son très-saint Fils en présence de sa divine Mère, dans un moment où ils vaquaient ensemble à leurs exercices : mais elle la connut dans le très-pur miroir de cette âme déifiée, et elle vit comme elle l'acceptait pour l'exécuter. Notre grande Dame l'accepta à son tour, quoiqu'elle eût déjà plus de relations et plus de personnes dévouées en Égypte qu'à Nazareth. Le Fils ni la Mère ne découvrirent point à saint Joseph le nouvel ordre du Ciel;

 

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mais l'ange du Seigneur lui apparut cette même nuit dans un songe, ainsi que le raconte saint Matthieu, et lui dit de prendre l'enfant et la Mère et de retourner au pays d'Israël (1), parce que Hérode et ceux qui avaient avec lui cherché à faire périr l'Enfant étaient morts. Le Très-Haut aime tellement l'ordre et la régularité dans toutes les choses créées, que l'Enfant Jésus étant Dieu véritable, et sa Mère si supérieure en sainteté à saint Joseph , il ne voulut pas néanmoins qt e la décision du retour en Galilée vînt du Fils ni de la bière, mais il en remit la conduite au saint époux Joseph , qui faisait l'office de chef dans cette divine famille : pour apprendre par cet exemple à tous les mortels combien il lui est agréable que toutes choses soient gouvernées suivant l'ordre naturel établi par sa providence; et que, dans la vie spirituelle, les inférieurs doivent (quand même ils l'emporteraient par d'autres qualités et vertus) obéir et se soumettre à ceux qui leur sont supérieurs à raison de leurs fonctions extérieures.

703. Saint Joseph alla incontinent communiquer l'ordre du Seigneur à l'Enfant Jésus et à sa très-pure Mère, qui lui répondirent que la volonté du Père céleste fût exécutée. Après quoi ils se disposèrent à partir avec toute la diligence possible, et distribuèrent aux pauvres le peu de meubles qu'ils avaient dans leur maison. Et cela se fit par l'entremise de l'Enfant-Dieu : car la divine Mère lui remettait souvent les

 

(1) Matth., II, 19

 

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aumônes qu'elle destinait aux nécessiteux, sachant que l'Enfant, comme Dieu de miséricorde, aimait à les distribuer de ses propres mains. Et lorsqu'elle lui donnait ces aumônes, elle s'agenouillait et lui disait : « Prenez, mon Fils et mon Seigneur, ce que vous souhaitez de départir à nos amis et à vos frères les a pauvres (1). » Quelques-unes des personnes les plus pieuses qu'il laissaient à Héliopolis vinrent habiter cette maison, sanctifiée par le séjour que nos saints voyageurs y avaient fait pendant sept ans, et consacrée en un temple par le souverain Prêtre Jésus-Christ : et ce fut la sainteté de ces personnes qui leur attira le bonheur qu'elles ne connaissaient pas; quoique le souvenir de tout ce qu'elles avaient vu et expérimenté les portât à se féliciter vivement de pouvoir vivre là où leurs saints étrangers avaient demeuré si longtemps. Elles furent récompensées de cette piété et de ces dévots sentiments par une abondante lumière et par plusieurs secours pour arriver à la félicité éternelle.

704. Ils partirent d'Héliopolis pour la Palestine, suivis des mêmes anges qui les avaient accompagnés lors du premier voyage. Notre grande Reine allait sur un petit âne avec l'Enfant-Dieu sur ses genoux, et saint Joseph cheminait à pied, fort proche du Fils et de la bière. Leur départ fut fort sensible à toutes les personnes qui les connaissaient , par la perte qu'elles faisaient de si grands bienfaiteurs; et elles n'en prirent

 

(1) Matth., XXV, 40.

 

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congé qu'avec beaucoup de larmes, sentant et avouant qu'elles perdaient toute leur consolation, leurs secours et le remède à tous leurs maux. L'affection que les Égyptiens leur portaient était telle, qu'il leur eût été très-difficile de sortir d'Héliopolis si le pouvoir divin ne leur en eût ménagé les moyens : les pauvres gens redoutaient secrètement dans leur coeur la nuit de leurs misères par l'absence du Soleil qui les éclairait (1) et qui les consolait dans ces mêmes misères. Nos saints voyageurs passèrent par quelques lieux habités de l'Égypte avant que d'arriver au désert, et ils laissèrent partout des marques de leurs charités, parce que les merveilles qu'ils avaient opérées jusqu'alors n'étaient pas si cachées qu'elles ne fussent déjà connues dans tout ce pays. De sorte que, par suite du bruit qui s'en était répandu, les infirmes, les affligés et les pauvres allaient au-devant de leur remède, et tous le recevaient en leurs âmes aussi bien qu'en leurs corps. Ils guérirent beaucoup de malades et chassèrent un grand nombre de démons, sans qu'ils sussent eux-mêmes qui les précipitait dans l'abîme, quoiqu'ils sentissent la vertu divine qui les chassait et qui comblait les hommes de bienfaits.

705. Je ne m'arrête pas à raconter les choses particulières qui survinrent à l'Enfant Jésus et à sa bienheureuse Mère dans le cours de ce voyage, à leur sortie de l'Égypte, parce que cela n'est pas nécessaire et ne serait pas possible sans allonger trop cette histoire.

 

(1) Joan., I, 9.

 

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Ainsi il suffira de dire que tous ceux qui les abordèrent avec des sentiments plus ou moins pieux furent éclairés de la vérité, secourus de la grâce et pénétrés du divin amour : et ils cédaient à une force secrète qui les mouvait à suivre le bien, à quitter le chemin de la mort et à chercher celui de la vie éternelle. Ils allaient trouver le Fils attirés par le Père, et ils retournaient au Père guidés par la divine lumière que le Fils répandait dans leur entendement pour connaître la divinité du Père (1). S'il la, cachait en lui-même, parce que le temps n'était pas venu de la manifester, il ne laissait pas néanmoins de faire éprouver à chaque instant les divins effets de ce feu qu'il venait allumer et propager sur la terre (2).

706. Après que les mystères que la divine volonté avait déterminés furent accomplis dans l'Égypte, et que ce royaume eut été rempli de merveilles et de miracles, nos divins voyageurs sortirent des endroits habités et entrèrent dans le désert par où ils étaient venus. Ils y souffrirent d'autres nouvelles incommodités semblables à celles qu'ils avaient essuyées lors de leur départ de la Palestine, parce que le Seigneur les exposait toujours à la nécessité et à la tribulation, afin de les secourir dans le temps convenable (3). Dans ces extrémités, le Seigneur leur envoyait quelquefois lui-même le nécessaire par le ministère des anges, comme dans le premier voyage; quelquefois l'Enfant Jésus leur commandait d'apporter à manger à sa très

 

(1) Joan., VI, 44; XIV, 6 ; I, 9. — (2) Luc., XII, 49. —(3) Ps. CXLIV, 15.

 

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sainte Mère et à son époux, qui, pour jouir davantage de cette faveur, entendait l'ordre que notre adorable Sauveur donnait à ses ministres spirituels, et voyait qu'ils obéissaient avec beaucoup de complaisance et de promptitude : de sorte que le saint patriarche se consolait dans la peine qu'il avait de ne pouvoir procurer au Roi et à la Reine du ciel la nourriture dont ils avaient besoin. Dans d'autres occasions l'Enfant-Dieu, usant de la puissance divine, multipliait un morceau de pain autant qu'il le fallait. Le reste de ce qui arriva dans ce voyage ressemble à ce que j'ai rapporté du premier au chapitre XXII de ce livré; et c'est pourquoi il m'a paru inutile de le répéter. Mais, quand ils approchèrent de la Palestine, le soigneux époux apprit qu'Archélaüs régnait en Judée au lieu d'Hérode son père (1). Et, craignant qu'il n'eût hérité de sa cruauté contre l'Enfant Jésus aussi bien que du royaume, il prit un autre chemin, et, sans passer à Jérusalem ni même entrer dans la Judée, il traversa le territoire de la tribu de Dan et de celle d'Issachar jusqu'à la Galilée inférieure, en longeant les côtes de la mer Méditerranée, et en laissant Jérusalem à main droite.

707. Ils se rendirent à Nazareth, leur patrie, parce que l'Enfant devait être appelé Nazaréen (2). Ils y trouvèrent leur ancienne et pauvre maison sous la garde de cette sainte femme, parente de, saint Joseph au troisième degré, qui, comme je l'ai dit au troisième

 

(1) Matth., II, 22. — (2) Ibid. 23.

 

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livre, chapitre XVIIe, s'empressa de venir le servir lorsque notre Reine était chez sainte Élisabeth. Et quand ils partirent de Judée pour aller en Égypte, le saint époux lui écrivit de prendre soin de la maison et de ce qu'ils y laissaient. Ils trouvèrent tout en fort bon état, et cette femme les reçut avec beaucoup de joie et de consolation, à cause de l'amour qu'elle portait à notre auguste Princesse, quoiqu'elle ignorât alors sa dignité. La divine Dame y entra avec son très-saint Fils et son époux Joseph; et incontinent elle se prosterna pour adorer le Seigneur et pour lui rendre des actions de grâces de ce qu'il les avait conduits dans le lieu de leur repos, et délivrés de la cruauté d'Hérode et des périls d'un si long voyage, et surtout de ce qu'elle venait dans sa maison avec son très-saint Fils, déjà si grand, si plein de grâce et de vertu (1).

708. La très-heureuse Mère régla ensuite ses exercices par la disposition de l'Enfant-Dieu. Ce n'est pas qu'elle se fût relâchée en la moindre chose dans le voyage, car elle n'avait pas cessé de rendre ses actions aussi parfaites que possible, à l'imitation de son très-saint Fils; mais, une fois tranquille dans sa maison, elle avait le moyen de faire plusieurs choses dont elle avait dû se dispenser ailleurs, quoique partout le plus grand soin qu'elle eût fût de coopérer avec son adorable Fils au salut des âmes, qui était la grande affaire que le Père éternel avait recommandée. C'est pour cette très-haute fin que notre Reine disposa ses

 

(1) Luc., II, 40.

 

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exercices avec le Rédempteur, et ils s'y livraient, comme nous le verrons dans la suite de cette seconde partie. Le saint époux Joseph régla aussi ce qui concernait son office et ses occupations de manière à gagner par son travail la nourriture de l'Enfant-Dieu, de la Mère et la sienne. Aussi le bonheur de ce saint patriarche fut-il si grand, que si c'est un châtiment et une peine pour les autres enfants d'Adam d'être condamnés à gagner leur subsistance par le travail de leurs mains et à la sueur de leur visage (1), c'était néanmoins pour Joseph une bénédiction, une faveur et une consolation incomparable d'être choisi pour gagner par son travail de quoi nourrir l'Enfant-Dieu et sa bière, à qui le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment appartenaient (2).

709. La Reine des anges voulut se charger de récompenser l'active sollicitude de son époux. Et pour lui marquer sa reconnaissance elle le servait, et préparait son frugal repas avec les soins les plus empressés et les plus délicats, et avec une complaisance sans égale. Elle lui obéissait en tout, et se regardait, non point comme son épouse, et, ce qui plus est, comme Mère du Créateur et du Maître de l'univers, mais comme son humble servante. Elle se réputait indigne de tout ce qui avait l'être, et même de la terre qui la soutenait, parce qu'elle se persuadait qu'en bonne justice tout lui devait manquer. Et sachant qu'elle avait été tirée du néant sans avoir pu mériter ce

 

(1) Gen., III, 19. — (2) Esth., XIII, 10 et 11.

 

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bienfait de Dieu, ni ensuite (suivant son opinion) aucun autre, elle établit si solidement sa rare humilité, qu'elle était toujours abîmée dans ce même néant, et encore plus bas dans sa propre estime. Pour chaque bienfait, quelque petit qu'il pût être, elle rendait avec une sagesse admirable mille actions de grâces au Seigneur, comme au premier auteur de tout bien, et elle en remerciait les créatures, comme étant les instruments de son pouvoir et de sa bonté les unes parce qu'elles lui prêtaient leur concours, les autres parce qu'elles le lui refusaient, ou de ce qu'elles la souffraient. De sorte que, se croyant redevable et inférieure à toutes, elle les comblait de bénédictions, et cherchait par toute sorte de moyens et d'industries à ne laisser jamais échapper aucune occasion de pratiquer en toutes choses ce qu'il y a de plus saint, de plus parfait et de plus sublime dans les vertus; et c'était avec tant de ferveur, qu'elle faisait l'admiration des anges, et se rendait très-agréable au Seigneur.

 

Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

710. Ma fille, jamais je ne me troublai, jamais je ne m'affligeai des dispositions que le Très-Haut a prises à mon égard, en me faisant voyager de pays eu pays, de royaume en royaume, car j'étais toujours

 

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prête à accomplir en toute chose sa sainte volonté. Et quoique sa divine Majesté me fit contraire les trés-bautes fins de ces dispositions, elle ne le fit pourtant pas toujours dans les commencements, afin que je souffrisse davantage , et pour montrer que la créature ne doit pas chercher d'autre motif à sa soumission, sinon que c'est le Créateur qui ordonne tout et qui dispose de tout. Les âmes qui n'ont point d'autre intention que de plaire au Seigneur se soumettent ï< ses ordres par cette seule réflexion , sans faire aucune distinction entre les événements favorables et les événements fâcheux, et sans écouter ce que peuvent leur suggérer leurs propres inclinations. Je veux, ma fille, que vous vous avanciez dans cette science, et que vous receviez les prospérités et les adversités de la vie mortelle avec un même visage et avec tranquillité d'esprit, à mon imitation , et en vue des grandes obligations que vous avez à mon très, saint Fils, sans que les unes vous remplissent d'une vaine joie, ni que les autres vous attristent, persuadée que le Très-Haut règle tout pour son bon plaisir.

711. La vie humaine n'est qu'un tissu de ces divers événements, les uns qui plaisent aux mortels) les autres qui les affligent; les uns que l'on craint, les autres que l'on désire. Et comme le coeur de la créature est toujours faible et borné, il arrive qu'elle ne garde point un juste milieu entre ces extrémités, car elle accueille avec un enthousiasme excessif ce qu'elle aime, ce qu'elle désire; et tout au contraire elle se

 

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décourage et se désole lorsqu'il lui survient quelque chose qu'elle abhorre et qu'elle voudrait pouvoir repousser. Ces changements et ces agitations mettent toutes les vertus dans le plus grand péril, parce que l'amour désordonné que l'on a pour une chose quelconque qu'on ne peut acquérir, fait qu'on en souhaite aussitôt une autre, cherchant dans de nouveaux désirs le soulagement de la peine que cause la privation de ceux dont on a été frustré : et si on l'obtient, on se laisse enivrer de la vaine satisfaction qu’on a de posséder ce que l'on souhaitait, de sorte que cette multitude de désirs jette la créature dans un désordre toujours plus grand de mouvements confus et de passions différentes. Or évitez, ma très-chère fille, ce danger, et coupez le mal dans sa racine, en conservant votre coeur dans une complète indépendance, uniquement attentif aux desseins de la divine Providence, sans le laisser pencher vers les objets qui l'attirent, sans le laisser se détourner de ceux qui lui inspirent de la répugnance. Réjouissez-vous seulement en la volonté de votre Seigneur; ne vous laissez ni emporter par vos désirs, ni abattre par vos craintes, quoi qu'il vous arrive; et faites en sorte que ni les occupations extérieures ni le respect humain n'empêchent et ne dérangent vos saints exercices. Observez en toute chose ce que je faisais, et suivez mes traces avec une diligente ferveur.

 

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