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LIVRE CINQUIÈME. OU L'ON DÉPEINT LA PERFECTION AVEC LAQUELLE LA TRÈS-PURE
MARIE IMITAIT LES OPÉRATIONS DE L’ÂME DE SON TRÈS-AIMABLE FILS, ET COMMENT CE
DIVIN LÉGISLATEUR LUI EXPLIQUAIT LA LOI DE GRÂCE, LES VÉRITÉS DE LA FOI, LES
SACREMENTS ET LE DÉCALOGUE. — ON Y VOIT AUSSI AVEC QUEL ZÈLE ET AVEC QUELLE
FIDÉLITÉ ELLE OBSERVAIT CETTE LOI. — LA MORT DE SAINT JOSEPH. — LA PRÉDICATION
DE SAINT JEAN-BAPTISTE. — LE JEUNE ET LE BAPTÊME DE NOTRE RÉDEMPTEUR. — LA
VOCATION DES PREMIERS DISCIPLES, ET LE BAPTÊME DE NOTRE DAME LA VIERGE MARIE.
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
Instruction que la Reine des anges me donna.
Instruction que l'auguste Reine Marie me donna.
Instruction que la Reine des anges me donna.
LIVRE CINQUIÈME. OU L'ON DÉPEINT LA PERFECTION AVEC LAQUELLE LA TRÈS-PURE
MARIE IMITAIT LES OPÉRATIONS DE L’ÂME DE SON TRÈS-AIMABLE FILS, ET COMMENT CE
DIVIN LÉGISLATEUR LUI EXPLIQUAIT LA LOI DE GRÂCE, LES VÉRITÉS DE LA FOI, LES
SACREMENTS ET LE DÉCALOGUE. — ON Y VOIT AUSSI AVEC QUEL ZÈLE ET AVEC QUELLE
FIDÉLITÉ ELLE OBSERVAIT CETTE LOI. — LA MORT DE SAINT JOSEPH. — LA PRÉDICATION
DE SAINT JEAN-BAPTISTE. — LE JEUNE ET LE BAPTÊME DE NOTRE RÉDEMPTEUR. — LA
VOCATION DES PREMIERS DISCIPLES, ET LE BAPTÊME DE NOTRE DAME LA VIERGE MARIE.
CHAPITRE I. Après le retour à Nazareth, le Seigneur éprouve la
très-pure
Marie par une certaine sévérité et par une espèce d'absence. — But de cette
épreuve.
712. Jésus, Marie et Joseph
arrivèrent enfin à Nazareth, où leur pauvre maison fut changée en un nouveau
ciel. Et si j'étais obligée de raconter les mystères qui se passèrent entre l'Enfant-Dieu
et la très pure Mère, jusqu'à ce qu'il eut achevé la douzième année de son âge
et commencé à prêcher au
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peuple,
il me faudrait faire plusieurs livres, et encore cela ne me permettrait-il de
dire que fort peu de chose, à cause de la grandeur ineffable de l'objet et de
la bassesse d'une femme ignorante telle que je suis. J'entrerai néanmoins dans
quelques détails, selon la lumière que j'ai reçue de cette grande Dame,
passant toujours sous silence les choses les plus sublimes, parce qu'il n'est
ni possible ni convenable de traiter toutes les vérités en ce monde, la
connaissance en étant réservée pour Celui que nous attendons.
713. Quelques jours après
leur retour à Nazareth, le Seigneur détermina d'exercer sa
très-sainte Mère eu la manière dont il l'avait
exercée lorsqu'elle était dans son enfance (comme je l'ai marqué au second
livre de la première partie, chap. XXVII°), quoiqu'elle fût dans cette
présente occasion plus forte dans la pratique de l'amour et dans la plénitude
de la sagesse. Mais comme le pouvoir de Dieu est infini, et le cercle de son
divin amour immense, et que la capacité de notre Reine surpassait celle de
tontes les créatures, ce mime Seigneur résolut de l'élever à un plus haut état
de sainteté et de mérite. Et il voulut par là, comme un véritable Maître
spirituel, former une disciple si sage et si excellente, qu'elle fût ensuite
une Maîtresse consommée et un exemplaire vivant de la doctrine de son Maître,
comme elle le fut après l'ascension de son Fils, notre Seigneur, ainsi que je
le dirai dans la troisième partie. Il était aussi convenable et même
nécessaire pour l'honneur de notre
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Rédempteur Jésus-Christ, que sa doctrine évangélique, par laquelle et en
laquelle il devait fonder cette nouvelle loi de grâce, si sainte, qu'on n'y
peut trouver ni tache ni ride (1), prouvât aussitôt son efficace et sa vertu
par la formation d'une simple créature en qui elle produisit ses effets dans
une plénitude vraiment adéquate, et que toute la perfection possible fût
donnée à cette créature, afin que ses semblables d'un rang inférieur pussent
se modeler sur elle. Et il était raisonnable que cette créature fût la
très-pure Marie, comme étant la Mère et la plus
proche du Maître de la sainteté.
714. Le Très-Haut détermina
que notre divine Dame fût la première disciple de son école et l'aînée de la
nouvelle loi de grâce, la parfaite image de son idée, et la matière choisie
sur laquelle le sceau de sa doctrine et de sa sainteté serait imprimé comme.
sur une cire molle, afin que le Fils et la Mère
fussent les deuz tables véritables de la nouvelle loi (2) qu'il venait
enseigner au monde. Et afin d'atteindre cette
très-sublime fin que la sagesse divine s'était proposée, le Seigneur
découvrit à l'auguste Marie tous les mystères de la loi évangélique et de sa
doctrine, et s'en entretint avec elle à leur retour
d'Égypte , jusqu'à ce qu'il commençât à prêcher, comme nous le verrons
plus loin. Le Verbe incarné et sa très-sainte Mère
s'occupèrent en ces profonds mystères l'espace de vingt-trois ans qu'ils
demeurèrent à Nazareth, avant que
(1) Ephes., V, 27. —
(2) Exod., XXXI, 18.
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le temps
de la prédication de notre adorable Sauveur fût arrivé. Et c'est parce que
tout cela regardait la divine Mère (dont les évangélistes n'ont point écrit la
vie) qu'ils n'en ont fait aucune mention, excepté de ce qui arriva lors de la
douzième année de l'Enfant Jésus, quand à Jérusalem il s'écarta de ses
parents, comme le raconte saint Luc (1) , et ainsi
que je le dirai en son lieu. Pendant ce temps-là l'auguste Marie fut
la seule disciple de son adorable Fils. Et outre
les dons ineffables de sainteté et de grâce qu'il lui avait communiqués
jusqu'alors, il lui donna une nouvelle lumière, et la fit participante de sa
science divine, déposant en elle et gravant dans son coeur toute la loi de
grâce, et la doctrine qu'il devait enseigner dans son Église évangélique,
jusqu'à la fin du monde. Et cela se fit d'une manière si relevée, qu'il n'est
pas possible de l'exprimer par des termes humains ; mais notre grande Dame en
devint si savante, qu'elle aurait pu éclairer par son enseignement plusieurs
mondes, s'ils eussent été créés.
715. Or le Seigneur voulant
élever au-dessus de tout ce qui n'était pas Dieu cet édifice dans le coeur de
sa très-sainte Mère, en jeta les fondements en
éprouvant la force de son amour et de ses autres vertus. C'est pourquoi il lui
fit ressentir intérieurement ses absences, en la privant de sa vue habituelle,
qui la remplissait d'une joie inaltérable et d'une consolation céleste qui
répondait à ce bienfait. Je ne
(1) Luc., II, 48, etc.
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veux pas
dire par là que le Seigneur l'abandonnât; mais qu'étant avec elle et en elle
d'une manière mystérieuse et par une grâce ineffable, il lui cacha sa présence
et lui suspendit les très-doux effets qui en
découlaient ; notre auguste Princesse ignorait la cause aussi bien que le mode
de ce changement, parce que sa Majesté ne lui découvrit point ses desseins. En
outre, l'Enfant-Dieu, sans lui rien faire
connaître, se montra plus sérieux qu'à l'ordinaire, et se trouvait
corporellement moins souvent avec elle, car il se retirait à chaque instant,
et ne lui adressait plus que quelques paroles, et encore était-ce avec un air
imposant et d'un ton impérieux. Mais une chose plus affligeante pour elle, ce
fut l'éclipse de ce soleil qui se répétait auparavant dans sa
très-sainte humanité, comme dans un miroir de
cristal, où elle voyait ordinairement les opérations de son âme
très-pure; de sorte qu'elle ne les pouvait plus
considérer pour tâcher de copier cette image vivante, comme elle l'avait fait
jusque-là.
716. Cette épreuve
inattendue fut le creuset où l'or très-pur du
saint autour de notre grande Reine reçut un nouveau Juste et un nouveau prix.
Car d'abord, surprise de ce qui lui était arrivé, elle eut aussitôt recours à
l'humble estime quelle avait d'elle-même, et se croyant indigne de la vue du
Seigneur qui venait de lui cacher sa présence, elle attribua le tout à sou
ingratitude, et à ce qu'elle n'avait pas donné au Père des miséricordes le
retour qu'elle lui devait pour les bienfaits qu'elle avait reçus de sa main
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très-libérale.
Notre très-prudente Reine ne s'affligeait point de
ce que les douces consolations et les caresses ordinaires du Seigneur lui
manquassent; mais la crainte quelle avait de lui avoir déplu, ou d'avoir
négligé son service et méconnu en quelque chose son bon plaisir, lui perçait
l'âme de douleur. Un amour aussi véritable et aussi noble que le sien ne
pouvait avoir d'autres sentiments; car il ne s'emploie qu'à plaire à l'objet
qu'il aime, et il ne sait goûter aucun repos, lorsqu'il ne le croit pas
satisfait, parce qu'il ne trouve de consolation que dans le contentement de
sou bien-aimé. Ces amoureuses angoisses de la divine Mère étaient fort
agréables à son très-saint Fils, parce qu'elles
renouvelaient son amour, et les tendres affections de son Unique et de son
Élue lui pénétraient le coeur (1). Mais quand sa
très-douce Mère le cherchait (2) et voulait lui parler, il feignait par
une amoureuse adresse de paraître toujours sérieux et réservé; et par cette
rigueur mystérieuse, le feu du très-chaste coeur
de la Mère élevait ses flammes comme la fournaise dans laquelle on jette
quelques gouttes d'eau.
717. L'innocente colombe
faisait des actes héroïques de toutes les vertus; elle s'humiliait jusqu'à
l'anéantissement, elle honorait son très-saint
Fils par de profondes adorations, elle bénissait le Père éternel, et lui
rendait des actions de grâces pour ses ouvres et pour ses bienfaits,
admirables; se conformant
(1) Cant., IV, 9. — (2) Cant., III, 1.
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à son
bon plaisir divin, elle cherchait sa volonté sainte et parfaite pour
l'accomplir en tout; elle s'enflammait d'amour, de foi, d'espérance : de sorte
que de toutes ses couvres s'exhalaient des parfums (1) dont respirait la
délicieuse odeur le Roi des rois, qui reposait dans le coeur de cette
très-sainte Vierge, comme dans sa couche fleurie
et odoriférante (2). Elle persévérait dans une oraison continuelle avec des
larmes, des gémissements et des soupirs redoublés, qui partaient du plus
intime de son coeur; elle répandait sa prière en la présence du Seigneur (3),
exposait son affliction à sa divine clémence, et ne cessait de lui adresser
des plaintes remplies d'une incomparable douceur et d'une douleur amoureuse.
718. « Créateur de
l'univers, disait-elle, Dieu éternel et puissant, infini en sagesse et
en bonté, incompréhensible en votre être et en vos perfections, je sais,
mon souverain bien, que mes gémissements ne sont point cachés à votre sagesse
(4), et que vous connaissez la blessure de mon coeur. Si
j'ai manqué, comme une servante inutile, à votre service et à votre bon
plaisir, pourquoi, vie de mon âme, ne me châtiez-vous pas par toutes les
peines de la vie mortelle en laquelle je me trouve, plutôt que de me
condamner à voir la sévérité de votre face, que mérite celui qui vous a
offensé? Toutes les douleurs me seraient indifférentes, mais
(1) Cant., I, 11. —
(2) Ibid., 16. — (3) Ps. CXLI, 3. — (4) Ps. XXXVII, 10.
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je ne
saurais me résigner à l'idée de vous voir irrité ; parce que vous seul,
Seigneur, êtes ma vie, mon bien , ma gloire et mon trésor. Rien de tout
ce que vous avez créé ne touche mon coeur, et les images sensibles ne
sont entrées dans mon âme que pour me faire glorifier votre grandeur, et
vous reconnaître comme le maître et le Créateur de toutes choses. Or que
ferai-je, mon unique bien, si je suis privée de la lumière de mes yeux
(1), de la fin de mes désirs, du guide de mon pèlerinage, de la vie
qui me donne l'être, et de tout l'être qui me pour rit et me donne la vie? Qui
donnera une source de larmes à mes yeux (2), afin que je pleure de
n'avoir pas profité de tant de biens que j'ai reçus, et d'a voir été si
ingrate dans le retour que je devais? O a ma divine lumière, ma voie, mon
guide et mon Maître, qui par la perfection et l'excellence suréminente
de vos couvres, souteniez ma faiblesse et excitiez ma lâcheté; si vous
me cachez cet exemplaire , comment conformerai-je
ma vie à votre bon plaisir? Qui m'éclairera dans la nuit de ce
bannissement? Que ferai-je? à qui aurai-je recours,
si vous m'éloignez de votre protection? »
719. Notre auguste Reine ne
se trouvait pourtant pas soulagée par toutes ces tendres affections; mais
soupirant, comme un cerf blessé (3), après les très-pures
fontaines de la grâce, elle s'adressait aussi à ses saints anges, et dans les
longs entretiens qu'elle avait
(1) Ps. XXXVII, 11.
— (2) Jerem., IX, 1. — (3) Ps. XLI, 2.
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avec
eux, elle leur disait : « Princes célestes, favoris et amis intimes du
souverain Roi, et mes gardes fidèles, au nom de la félicité inamissible que
vous avez de voir toujours sa divine face dans la lumière inaccessible (1) ,
je vous prie de me dire, en cas qu'il soit irrité, le sujet de sa
colère. Intercédez aussi pour moi en son adorable présence, afin qu'il me
pardonne, si par malheur je l'ai offensé. Représentez-lui, mes amis, que je ne
suis que poussière, quoique formée de ses mains et marquée de son image
(2); qu'il n’oublie pas pour toujours cette N pauvre affligée (3), qui le
glorifie et le loue avec humilité. Priez-le de calmer ma crainte, et
d'animer la vie que je n'ai que pour l'aimer. Dites-moi par quels moyens
je pourrai lui plaire, et mériter la joie de sa divine face? — Notre
Reine et Mat tresse, lui répondirent les auges, votre coeur est assez fort
pour ne point se laisser vaincre à la tribulation ,
et vous savez mieux que nous combien le Seigneur est proche de celui qui est
affligé et qui l'appelle dans ses besoins (4). Il est sans doute attentif à
vos souhaits, et ne méprise point vos plaintes amoureuses. Vous ne trouverez
jamais en lui que le meilleur des Pères, et votre enfant unique se montrera
toujours le plus tendre des fils à la vite de vos larmes. — Serait-ce nue
témérité, répliquait la plus aimante des mères, de me présenter devant
(1)
Matth., XVIII, 10; I Tim., VI, 16. — (2) Job., X, 9.
— (3) Ps.
LXXIII, 19. — (4) Ps.
IV, 2 ; XC, 15; XXXVII, 10.
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lui?
Commettrais-je un excès d'audace en me prosternant pour lui demander pardon,
si j'ai été assez malheureuse que de lui déplaire? Que ferai-je? Quel
remède trouverai-je dans mes peines? — Notre Roi, lui répondaient les
princes célestes, ne rebute point un coeur humilié; il le regarde avec
complaisance, et il ne rejette jamais les soupirs de celui qui aime, ni
les oeuvres qu'il fait avec amour (1). »
720. Les saints anges
consolaient quelque peu leur Reine par ces réponses ,
dans lesquelles ils lui déclaraient en termes généraux l'amour du
Tout-Puissant et la complaisance singulière avec
laquelle il écoutait ses douces plaintes. Ils ne s'expliquaient pas davantage,
parce que ce même Seigneur y voulait prendre ses délices (2). Et quoique son
très-saint Fils, par l'amour naturel qu'il portait
à une telle Mère comme homme véritable, s'attendrit plusieurs fois de la voir
si affligée , il cachait néanmoins cette compassion
sous un sérieux apparent. Il arrivait parfois que quand la
très-amoureuse Mère l'appelait à table, il ne
bougeait pas, ou bien il y allait sans la regarder et sans lui dire un seul
mot. Alors notre grande peine versait beaucoup de larmes et représentait à son
aimable Fils les amoureuses peines de son coeur, et elle s'exprimait, elle se
comportait dans des cas pareils avec tant de modération, de prudence et de
sagesse, que si par impossible Dieu était susceptible d'un sentiment
d'admiration, il l'aurait éprouvé en
(1) Ps. L.,19;
C, 18. — (2) Prov., VIII, 17.
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voyant
chez une simple créature une si grande plénitude de sainteté et de perfection.
Mais l'Enfant Jésus, en tant qu'homme, ressentait une joie particulière à la
vue des effets merveilleux que l'amour divin et la grâce produisaient en sa
Mère Vierge. Et les saints anges lui donnaient une nouvelle gloire et lui
offraient des cantiques de louanges pour ce prodige inouï de vertu.
721. La tendre et
prévoyante Mère avait préparé pour, l'Enfant Jésus une estrade que le
patriarche saint Joseph avait faite, et elle n'y mit qu'une simple couverture
: car depuis que cet adorable Enfant fut sorti du berceau, lorsqu'ils étaient
en Égypte ; il ne voulut point avoir de couche ni d'autres literies. Et encore
ne s'y étendait-il pas et ne s'en servait-il pas toujours; assez souvent il
s'asseyait sur le bois nu, ne faisant que s'appuyer sur un pauvre coussin de
laine, qu'avait arrangé notre Dame elle-même. Et quand elle voulut lui
proposer de prendre un lit plus commode, le saint Enfant lui répondit qu'il ne
devait se coucher et s'étendre que sur le lit de la croix, pour enseigner au
monde par son exemple qu'on ne doit pas passer au repos éternel par celui que
les habitants de Babylone aiment, et que pendant la vie mortelle la souffrance
est un délice (1). Dès lors notre divine Dame prit un soin tout particulier de
l'imiter en cette manière de reposer. Quand le moment de se retirer était
venu, la Maîtresse céleste de l'humilité
(1) I Petr., II, 21.
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avait
coutume de se prosterner devant son très-saint
Fils, qui se tenait sur son estrade, et de lui demander chaque soir pardon de
ne l'avoir pas mieux servi dans le cours de la journée, et de n'avoir pas
répondu à ses bienfaits par assez de reconnaissance. Elle lui rendait de
nouvelles actions de grâces pour toutes ses faveurs, et confessait , en
versant des larmes abondantes, qu'il était véritablement le Dieu rédempteur du
monde; et elle ne se relevait point que son Fils ne le lui eût commandé et
donné en même temps sa bénédiction. Elle pratiquait la même chose tous les
matins, afin que le divin Maître lui ordonnât. ce
qu'elle devait faire pour son service pendant tout le jour; et le divin Maître
se prêtait aux désirs de sa Mère avec la plus tendre complaisance.
722. Mais à l'époque de
cette épreuve il tint une tout autre conduite. Lorsque sa
très-innocente Mère l'abordait pour l'adorer, selon sa coutume,
redoublant ses larmes et ses soupirs, il ne lui répondait pas un seul mot, il
ne l'écoutait que d'un air sévère, et lui commandait ensuite de se retirer. On
ne saurait dire quelles impressions causait dans le
très-candide coeur de l'amoureuse Mère de voir son Fils Dieu et homme
si changé en ses manières, si grave, si taciturne, et si différent dans tout
son extérieur de ce qu'il était autrefois à son égard. Notre divine Dame
examinait son intérieur, observait l'ordre de ses actions, pesait leurs
qualités, leurs circonstances, et appliquait toute son attention et toute sa
mémoire à cette revue de son âme et de ses puissances : et
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quoiqu'elle
n'y pût remarquer la moindre obscurité, parce que tout y était lumière,
sainteté, pureté et grâce, néanmoins, comme elle savait que ni les cieux ni
les étoiles ne sont purs aux yeux de Dieu, suivant l'expression de Job (1), et
qu'il trouve de quoi reprendre dans les esprits les plus angéliques, notre
grande Reine craignait que le Seigneur ne découvrît en elle quelque défaut
qu'elle n'apercevait point. Et de cette crainte elle tombait dans des
défaillances d'amour, d'un amour fort comme la mort (2), qui, quoique inspiré
par la plus haute sagesse, fait souffrir à l'âme, dans ces accès de sainte
jalousie, des tourments indicibles. Notre auguste Princesse passa plusieurs
jours dans ce rude exercice, où son très-saint
Fils l'éprouva avec une satisfaction ineffable, et l'éleva à un état qui la
rendit Maîtresse universelle des créatures, pour la récompenser de la fidélité
et de la tendresse de son amour par un surcroît de grâces plus abondantes que
celles dont elle était déjà comblée. Il arriva ensuite ce que je dirai dans le
chapitre suivant.
(1) Job., IV, 15; XXV, 5; IV, 18.
— (1) Cant., VIII, 6.
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Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
723. Ma fille, je vois que
vous désirez d'être la disciple de mon très-saint
Fils, surtout depuis que vous avez su et écrit comment je la fus. Je veux que
vous appreniez, pour votre consolation, que l'adorable Sauveur n'a pas exercé
une seule fois l'office de maître, et seulement dans le temps où, sous la
forme humaine, il a enseigné sa doctrine telle qu'elle se trouve dans les
Évangiles et dans son Église; mais qu'il continue à remplir toujours le même
office envers les âmes, et qu'il le remplira jusqu'à la fin. du monde (1), en
les corrigeant, les instruisant et leur inspirant ce:qui est le meilleur et le
plus parfait, afin qu'elles le mettent en pratique. C'est ce qu'il fait
absolument envers toutes, quoiqu'elles reçoivent plus ou moins de lumières,
selon sa divine volonté, et selon les dispositions plus ou moins bonnes dans
lesquelles elles se trouvent. Si vous avez toujours profité de cette vérité,
vous saurez par une longue expérience que le Seigneur ne dédaigne point d'être
le maître du pauvre (2), ni d'enseigner le misérable et le pécheur, s'ils
veulent être attentifs à ses leçons intérieures. Et puisque vous souhaitez
maintenant de connaître la disposition que sa Majesté demande pour exercer à
votre égard l'office de maître au
(1) Matth., XXVIII,
20. — (2) Matth., XI, 5.
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degré
que votre coeur désire, je veux vous l'indiquer de la part du même Seigneur,
et vous assurer que s'il vous trouve bien disposée, il répandra dans votre
âme, comme un véritable et sage maître, sa sagesse, sa lumière et sa doctrine
avec une grande plénitude.
724. Vous devez avoir en
premier lieu la conscience pure et tranquille, et un soin continuel de ne
tomber dans aucun péché, ni dans la moindre
imperfection, en quelque circonstance que vous soyez placée. Vous devez aussi
abandonner tout ce qui est terrestre, et faire tous vos efforts pour bannir de
votre mémoire les images des choses visibles, afin de garder votre coeur dans
la simplicité, dans la sérénité et dans le calme. Et quand vous aurez
l'intérieur débarrassé, et libre des ténèbres et des idées grossières qui les
causent, alors vous écouterez le Seigneur, vous prêterez l'oreille à sa voix,
comme une fille bien-aimée qui oublie son peuple de cette Babylone remplie de
vanité, la maison de son père Adam et toutes les mauvaises habitudes de sa vie
passée; et si vous êtes ainsi disposée, je vous assure qu'il vous fera
entendre les paroles de la vie éternelle (1). Il faut donc que vous l'écoutiez
avec beaucoup de respect et avec une humble reconnaissance (2), que vous
fassiez une très-grande estime 3e sa doctrine, et
que vous la pratiquiez avec une extrême ponctualité; parce que rien ne saurait
échapper à ce souverain Seigneur et Maître des âmes (3), et qu'il se retire
avec dégoût, lorsque la créature
(1) Joan.,
VI, 69. — (2) Ps. XLIV,
11. — (3) Hebr., IV,
13.
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ingrate
néglige de lui obéir, et de reconnaître un si grand bienfait. Les âmes ne
doivent pas croire que ces éloignements du Très-Haut leur arrivent toujours
comme celui par lequel il in éprouvait ; car chez moi, loin qu'il y eût faute,
il n'y avait qu'un amour excessif; mais à l'égard des autres créatures, en qui
se trouvent tant de péchés, de négligences et de grossières ingratitudes,
cette absence est ordinairement une peine et un châtiment qu'elles ont mérité.
725. Or, faites maintenant
réflexion, ma fille, sur les manquements que vous pouvez avoir commis en ne
faisant pas toute l'estime que vous deviez de la doctrine et de la lumière que
vous avez reçues du divin Maître par un enseignement tout particulier aussi
bien que par mes conseils et par mes avis. Commencez à modérer vos craintes
désordonnées, et ne doutez plus que ce ne soit le Seigneur qui vous parle et
qui vous enseigne, puisque la doctrine elle-même rend témoignage de sa vérité
et vous assure que c'est lui qui en est l'auteur; car elle est sainte, pure,
parfaite et sans tache. Elle apprend ce qui est le meilleur et vous corrige du
moindre défaut; et en outre elle a l'approbation de vos supérieurs et de vos
pères spirituels. Je veux aussi que, m'imitant en ce que vous avez écrit, vous
ne vous dispensiez jamais de venir à moi tous les soirs et tous les matins,
puisque je suis votre Maîtresse, et que vous me disiez vos fautes avec
humilité et avec une parfaite contrition, afin que j'intercède pour vous et
que, comme mère, j'en obtienne du Seigneur le pardon. Si vous commettez
quelque
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faute ou
quelque imperfection, reconnaissez-la aussitôt avec douleur, et priez le
Seigneur, avec un ferme désir de vous en corriger, qu'il vous la pardonne. Et
si vous êtes fidèle à exécuter mes ordres, vous serez la disciple du Très-Haut
et la mienne, comme vous le souhaitez, parce que la pureté de l'âme et la
grâce sont la plus éminente et la plus juste disposition pour recevoir les
influences de la lumière divine et la science infuse, que le Rédempteur du
monde communique à ceux qui sont ses véritables disciples.
CHAPITRE II. La
très-pure
Marie découvre de nouveau les opérations de l'âme de son Fils, notre
Rédempteur, aussi bien que tout ce qui lui avait été caché; et cet adorable
Seigneur commence à lui expliquer la loi de grâce.
726. L'esprit humain a
longtemps disserté sur la nature, les propriétés, les causes et les effets de
l'amour. Et si je voulais dépeindre l'amour saint et divin de notre Dame
l'auguste Marie, il faudrait que j'ajoutasse beaucoup de choses à tout ce qui
â été dit et écrit sur cette matière; car après celui que l'âme de notre
Seigneur Jésus-Christ a eu, on ne saurait trouver en toutes les créatures
humaines et angéliques un amour qui approche de la noblesse et de l'excellence
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de celui
dont la Reine du ciel a été partagée, puisqu'elle a mérité d'être appelée la
Mère de la belle dilection (1). L'objet, la matière du saint amour est
toujours et partout unique: c'est Dieu pour lui-même, et toutes les choses
créées pour Dieu. Mais le sujet qui éprouve cet amour, les causes qui
l'engendrent et les effets qu'il produit sont fort différents : et tout cela
atteignit chez notre grande Princesse le suprême degré auquel puisse arriver
la simple créature. La pureté de cœur, la foi, l'espérance, la crainte sainte
et filiale, la science et la sagesse furent en elle sans limites, de même que
les bienfaits, le souvenir qu'elle en conserva, l'estime qu'elle en fit, et
toutes les autres causes que l'amour saint et divin peut avoir. Cette flamme
céleste n'est point produite ni allumée comme l'amour profane et aveugle, qui
entre par les sens dépravés, et qui bientôt fait perdre la raison aux
malheureux qu'il égare, car l'amour saint et pur pénètre par la
très-noble intelligence, et par la force de sa
bonté infinie et de sa douceur ineffable, parce que Dieu, qui est la sagesse
et la bouté même, veut être aimé non-seulement
avec douceur, mais aussi avec sagesse et avec connaissance de ce que l'on
aime.
727. Ces amours ont plus de
ressemblances dans les effets que dans les causes. Car s'ils ont une fois
soumis le coeur et qu'ils y aient établi leur empire, ils n'en sortent qu'avec
difficulté. Et de là naît la douleur que le coeur humain ressent quand il
rencontre chez
(1) Eccles., XXIV, 24.
600
l'objet
qu'il aime du dédain, de la froideur ou une moindre correspondance, parce que
c'est ce qui l'oblige à renoncer à l'amour; et comme d'un autre côté l'amour
s'est tellement emparé du coeur, qu'il saurait difficilement en être banni,
même avec le secours de la raison, cette cruelle tyrannie fait souffrir à ses
esclaves les douleurs de la mort. Tout cela n'est que folie dans l'amour
aveugle. et mondain. Mais c'est une
très-haute sagesse dans l'amour divin, parce que,
où l'on ne peut trouver aucune raison pour s'empêcher d'aimer, la grande
prudence est de chercher constamment de nouveaux motifs pour aimer avec plus
d'ardeur et pour plaire à l'objet que l'on aime. Et comme la volonté emploie
toute sa liberté dans cette entreprise; plus elle aime librement le souverain
Bien, moins elle se sent libre pour ne le pas aimer de sorte que la volonté
étant la maîtresse et la reine de l'âme dans ce glorieux débat, la rend
heureusement esclave de son amour même, et fait qu'elle ne veut et ne peut,
pour ainsi dire, refuser cette libre servitude. Et si elle essuie quelque
rebut de la part du souverain Bien qu'elle aime, elle souffre, par cette libre
violence, les douleurs de la mort, comme étant privée de l'objet de la vie :
parce qu'elle ne vit qu'à cause qu'elle aime et qu'elle sait être aimée.
728. On peut comprendre par
là jusqu'à un certain point ce que le coeur très-ardent
et très-pur, de notre Reine souffrit par l'absence
de l'objet de son amour. qui la laissa si longtemps
dans les craintes qu'elle avait de lui avoir déplu. Car cette auguste Dame
étant un
601
abrégé
quasi immense d'humilité et d'amour divin, et ne sachant pas la cause de cette
sévérité apparente de son bien-aimé, endura le martyre le plus doux et le plus
rigoureux à la fois que les hommes ou les anges puissent imaginer. La seule
Marie, qui fut la Mère du saint Amour (1), et qui l'eut dans le suprême degré
possible en une simple créature, elle seule, dis-je, fut capable de souffrir
ce supplice, qui surpassa toutes les peines des martyrs et toutes les
pénitences des confesseurs. De sorte qu'en elle, fut accompli ce que dit
l'Époux dans les Cantiques : Quand même un homme donnerait tout ce qu'il
possède pour l'amour, il croirait n'avoir rien donné (2). En effet, elle
oublia tout ce qui est visible et créé aussi bien que sa propre vie dans cette
occasion, et n'en fit aucun cas, ne cherchant que les moyens de regagner les
bonnes grâces et l'amour de son très-saint Fils et
son Dieu, qu'elle craignait d'avoir perdus, quoiqu'elle en jouît toujours. Il
n'est pas possible d'exprimer les peines et les soins qu'elle prit pour plaire
à son aimable Fils et au Père éternel.
729. Elle passa dans ce
pénible état trente jours, qui lui parurent durer des siècles; car elle ne
pouvait vivre un seul moment sans la satisfaction de son amour et de son
bien-aimé. Et il nous semble que le coeur de notre doua Enfant Jésus ne
pouvait pas non plus résister davantage à la force de l'amour qu'il portait à
sa très-pure Mère, parce que ce tendre Sauveur
souffrait aussi une surprenante et douce violence en
(1) Eccles., XXIV, 24. — (2) Cant, VIII, 7.
602
la
tenant si longtemps dans l'affliction et dans la crainte. Il arriva que cette
humble et auguste Reine se présenta un jour devant l'Enfant-Dieu,
et, se prosternant à ses pieds avec beaucoup de larmes et des soupirs, elle
lui dit : « Mon très-doux amour et unique bien de
mon âme, qu'est-ce que cette vile poussière comparée avec votre pouvoir
immense? Que peut toute la misère de la créature auprès de votre bonté
infinie? Vous êtes en tout au-dessus de notre bassesse, et nos imperfections
aussi bien que nos défauts font un heureux naufrage dans l’océan immense de
votre miséricorde. Si je n'ai pas apporté à votre service tout le zèle que je
confesse que je vous dois, châtiez mes négligences et pardonnez-les-moi ; mais
faites, mon Fils et mon Seigneur, que je voie la joie de votre face, qui est
mon salut, et cette lumière désirée qui me donnait la vie et l'être. Regardez
cette pauvre créature prosternée dans la poussière à vos pieds : je ne m'en
relèverai point que je n'aie vu clairement le miroir dans lequel mon âme
s'examinait. »
730. Notre grande Reine,
humiliée devant son très-saint Fils, lui dit ces
paroles et lui exposa quelques autres raisons remplies de sagesse et de
l'amour le plus ardent. Et comme cet adorable Seigneur désirait de la remettre
dans ses délices plus encore qu'elle ne désirait d'y rentrer, il lui répondit
avec beaucoup de complaisance : Ma Mère, levez-vous. Et ces mots,
prononcés par Celui qui était la Parole du Père éternel, eurent tant
d'efficace, qu'ils transformèrent instantanément
603
la
divine Mère et l'élevèrent à une très-sublime
extase, dans laquelle elle vit abstractivement la Divinité; et elle y fut
reçue du Seigneur avec de très-doux embrassements
et avec des paroles de père et d'époux : de sorte qu'elle passa de la
tristesse à la joie, de la peine à la jubilation, et de l'amertume aux plus
suaves délices. Sa Majesté lui découvrit de profonds mystères qui regardaient
la nouvelle loi évangélique. Et la très-sainte
Trinité, voulant la graver tout entière dans son coeur
très-candide, la destina pour être l'ainée
et la première disciple du Verbe incarné, afin de former en elle comme
l'exemplaire qui devait servir de règle aux apôtres, aux martyrs, aux
docteurs, aux confesseurs, aux vierges et à tous les autres justes de la
nouvelle Église et de la loi de grâce que le Verbe devait fonder pour la
rédemption des hommes.
731. C'est à ce mystère que
répond tout ce que notre auguste Princesse dit d'elle-même, et que la sainte
Église lui applique au chapitre vingt-quatrième de l'Ecclésiastique, sous le
symbole de la Sagesse divine. Je ne m'arrête point à expliquer ce chapitre,
parce que, sachant le mystère que j'écris maintenant, on peut facilement
conjecturer que tout ce que le Saint-Esprit y dit se rapporte à notre grande
Dame. Il suffit de citer quelques passages du texte pour que tous pénètrent
une partie d'un mystère si admirable. Je suis sortie, dit cette
incomparable Reine, de la bouche du Trés-Haut,
je suis née avant toutes les créatures. c'est moi
qui ai fait naître dans le ciel une lumière qui ne s'éteindra jamais, et qui
ai couvert la terre
604
comme un nuage; j'ai habité dans les lieux très-hauts,
et mon trône est dans une colonne de nuée. Seule j'ai parcouru le cercle des
cieux, j'ai pénétré la profondeur des abîmes, j'ai marché sur les flots de la
mer, et je me suis assise dans tous les lieux de la terre : j'ai eu l'empire
sur tous les peuples et sur toutes les nations; j'ai foulé aux pieds par ma
puissance les coeurs de tous les grands et de tous les petits; et parmi toutes
ces choses j'ai cherché un lieu de repos, et je demeurerai dans l'héritage du
Seigneur. Alors le Créateur de l'univers m'a donné ses ordres et m'a parlé;
Celui qui m'a créée a reposé dans mon tabernacle, et il m'a dit : habitez dans
Jacob, qu'Israël soit votre héritage, et étendez vos racines dans mes élus.
J'ai été créée dès le commencement et avant les siècles; je ne cesserai point
d'être dans la suite de tous les âges, et j'ai exercé en sa présence mon
ministère dans la maison sainte. J'ai été ainsi affermie dans Sion, j'ai
trouvé mon repos dans la Cité sanctifiée, et ma puissance s'est établie dans
Jérusalem. J'ai pris racine dans le peuple que le Seigneur a honoré, le peuple
dont l'héritage est la part de mon Dieu, et ma demeure se trouve dans
l'assemblée des saints
(1).
732. L'Ecclésiastique,
continuant à décrire les autres excellences de l'auguste Marie, dit aussi :
J'ai étendu mes branches comme le térébinthe, et mes branches sont des
branches d'honneur et de grâce. J'ai poussé des feurs
d'une agréable odeur comme la vigne, et mes fleurs deviendront des fruits de
gloire et d'abondance. Je suis la
(1) Eccles., XXIV, 5, etc.
605
Mère du pur amour, de la crainte, de la science et de l'espérance sainte. En
moi est toute la grâce de la voie et de la vérité, en moi est toute
l'espérance de la vie et de la vertu. Venez à moi, vous tous qui me désirez
avec ardeur, et vous serez remplis des fruits que je porte: car mon esprit est
plus doux que le miel, et mon héritage l'emporte sur le miel le plus excellent
: la mémoire de mon nom passera dans la suite de tous les siècles. Ceux qui me
mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif. Celui
qui m'écoute ne sera point confondu; et ceux qui agissent en moi ne pêcheront
point. Et ceux qui me trouvent auront la vie éternelle
(1). Ce que je viens de copier littéralement du chapitre de l'Ecclésiatique
est plus que suffisant pour découvrir les excellences de la
très-pure Marie; les âmes pieuses y apprendront
tant de mystères qui la concernent, que leur force secrète les attirera à
cette Mère de la grâce, et leur donnera quelque connaissance de la grandeur
incompréhensible à laquelle l'enseignement de son adorable Fils l'a élevée par
un décret de la bienheureuse Trinité. Cette auguste
Princesse fut l'Arche véritable du nouveau Testament (2); et la surabondance
de la sagesse et de la grâce dont elle est enrichie rejaillit et rejaillira
sur les autres saints jusqu'à la fin du monde.
733. La divine Mère revint
de son extase; elle adora de nouveau son très-saint
Fils, et le pria de lui pardonner si elle avait commis quelque négligence à
(1) Eccles., XXIV, 22, etc. — (3)
Apoc., XI, 19.
606
son
service. Sa Majesté lui dit en la relevant de terre : « Ma Mère, je suis
fort satisfait de votre zèle, et je veux que vous vous prépariez de
nouveau à recevoir les témoignages de ma loi. J'accomplirai la volonté
de mon Père, et je graverai dans votre coeur la doctrine évangélique que je
viens enseigner au monde. Et vous la mettrez, ma Mère, en pratique selon mes
désirs et mes intentions (1). » La très-pure
Reine lui répondit : « Faites, mon Fils et mon Seigneur, que je trouve
grâce devant vos yeux (2), et conduisez mes puissances par les droites voies
de votre bon plaisir. Parlez, mon divin Maître, parce que
votre servante vous écoute (3), et elle vous servira jusqu'à la mort. »
Dans ce doux entretien, notre grande Reine découvrit tout l'intérieur et
toutes les opérations de l’âme très-sainte de
Jésus-Christ; et dès lors cette faveur augmenta tant du côté du sujet, qui
était la divine disciple, que du côté de l'objet, parce qu'elle reçut une
lumière plus claire et plus sublime; de sorte qu'elle vit en son adorable Fils
toute la nouvelle loi évangélique, tous ses mystères, tous ses sacrements et
toute sa doctrine, telle que le Maître céleste l'avait conçue dans son
entendement et déterminé dans sa volonté comme Rédempteur et Maître des
hommes. A cette connaissance, qui fut réservée pour la seule Marie, le
Seigneur en ajouta une autre; car il l'instruisait verbalement et lui
dévoilait le plus caché de sa sagesse (4), et ce que tous les hommes et
(1) Ps. CXVIII, 2. — (2)
Esth., VII, 3. — (3) I Reg., III, 10. — (4) Ps. L, 8.
607
tous les
anges ensemble n'ont jamais découvert. Et comme elle apprit cette sagesse sans
déguisement, elle en communiqua aussi sans envie toute la lumière (1), qu'elle
répandit avant et surtout après l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ.
734. Je vois bien qu'il
faudrait parler ici des très-profonds mystères qui
se passèrent entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère jusqu'à ce qu'il
commençât à prêcher, parce que toutes ces merveilles arrivèrent à la divine
Mère dans le temps de l'enfance de cet adorable Seigneur; mais j'avoue de
nouveau ce duc j'ai dit de mon incapacité et de celle de toutes les créatures
pour un sujet si relevé. Il faudrait d'ailleurs, pour le traiter, écrire tous
les mystères de l'Écriture sainte, toutes les vertus chrétiennes, toute la
doctrine et toutes les traditions de la sainte Église; la réfutation des
hérésies, les décisions de tous les sacrés conciles, tout ce qui soutient
l'Église, et. tout ce qui la conservera jusqu'à la fin du monde, et plusieurs
autres grands mystères de la vie et de la gloire des saints, parce que tout
cela fut gravé dans le coeur très-pur de notre
grande dame; aussi bien que tout ce que dit notre Rédempteur et Maître afin
que la rédemption des hommes et la doctrine de son Eglise fussent abondantes;
ce qu'écrivirent les évangélistes, les apôtres, les prophètes et les anciens
pères; ce que firent ensuite tous les saints, les lumières que les docteurs
reçurent; ce que souffrirent les martyrs et les
(1) Sap., VII, 13. —
(2) Ps. CXXIX, 7.
608
vierges,
la grâce qu'ils obtinrent pour supporter leurs peines avec patience. Notre
auguste Princesse connut distinctement et avec une grande pénétration toutes
ces choses, et beaucoup d'autres qu'on ne saurait expliquer; et, elle en
témoigna au Père éternel comme auteur de tout, et à son Fils unique comme chef
de l'Église, toute la reconnaissance possible à une simple créature.
J'essaierai, malgré mon insuffisance, d'en parler plus tard.
735. Quoiqu'elle fût
occupée à de telles merveilles avec toute la plénitude qui elfes demandaient,
étant fort attentive à son fils et à son Maître ,
elle ne négligeait jamais ce qui regardait son service corporel, et veillait
soigneusement à ses besoins et à ceux de saint Joseph; lorsqu'elle avait
préparé leur repas, elle servait toujours son très-saint
fils à genoux et avec un respect incomparable. Elle faisait aussi que l’Enfant
Jésus consolât de sa présence son fière putatif autant que s'il eût été son
père naturel. Et l'Enfant-Dieu obéissait à sa
Mère, et se trouvait souvent près de saint Joseph pendant le travail, auquel
il ne cessait de se livrer pour entretenir à la soeur de son front le fils du
fière éternel, aussi bien que sa Mère. Et à mesure
que l'Enfant croissait, il aidait le saint patriarche suivant les forces de
son âge ; et quelquefois il faisait des miracles, s'employant à des choses qui
surpassaient les forces naturelles, afin de soulager davantage le saint époux
dans son travail; mais ces merveilles ne se passaient qu'entre eux trois.
609
Instruction que la Reine des anges me donna.
736. Ma fille, je vous
convie de nouveau à être dés à présent ma disciple et ma compagne en la
pratique de la doctrine céleste, que mon très-saint
Fils a enseignée à son Église par le moyen des Évangiles et des Écritures
saintes. Je veux que vous prépariez votre coeur avec un nouveau zèle, afin que
vous receviez comme une terre choisie la semence vive et sacrée de la parole
du Seigneur, et que son fruit soit au centuple (1). Soyez attentive à mes
paroles, faites que votre plus fréquente lecture soit celle des Évangiles, et
méditez dans le plus secret de votre âme sur la doctrine et sur les mystères
que vous y découvrirez. Écoutez la voix de votre Époux et de votre Maître, Il
engage tous les hommes à recueillir de sa bouche les paroles de la vie
éternelle (2). Mais la vie mortelle présente tant de dangers et tant de
séductions, qu'il y a fort peu d'âmes qui veuillent les écouter et prendre le
chemin de la lumière (3). La plupart s'adonnent aux plaisirs que leur offre le
prince des ténèbres; et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va
(4). Le Très-Haut vous appelle dans les voies de la véritable lumière;
marchez-y à ma suite, et vous obtiendrez l'accomplissement de vos désirs.
Renoncez à tout ce qui est terrestre et visible; détournez-en votre vue
(1) Luc., VIII, 8. — (2) Joan., VI, 69. — (3)
Matth., VII, 14 . — (4)
Joan., XII, 35.
610
et
votre attention; méprisez toutes les fausses apparences; évitez les occasions
d'être connue; faites en sorte que les créatures n'aient aucune place dans
votre coeur; gardez votre secret, et mettez votre trésor à couvert des
tromperies humaines et diaboliques (1). Vous viendrez à bout de tout, si,
comme disciple de mon très-saint Fils et la
mienne, vous vous conformez avec la perfection convenable à la doctrine de
l'Évangile que nous vous enseignons. Or, pour que cette doctrine vous mène à
une fin si sublime, vous devez vous souvenir toujours du bienfait dont vous a
prévenue la bonté divine en vous appelant à être, autant que votre faiblesse
vous le permettra, la novice et la professe de l'imitation de ma vie, de ma
doctrine et de mes vertus, en suivant en toutes choses mes traces, afin que
vous passiez de cet état au noviciat le plus élevé et à la profession la plus
parfaite de la religion catholique, en vous modelant par la pratique de la
doctrine évangélique sur le Rédempteur du monde, qui vous attirera par l'odeur
de ses parfums dans les voies droites de sa vérité. La première condition pour
être ma disciple, c'est d'être disposée à devenir celle de mon
très-saint Fils; et l'un et l'autre vous doivent
faire arriver au but final, qui consiste dans l'union de l'âme à l'être
immuable de Dieu. Ces trois états sont des bienfaits d'un prix incomparable,
qui vous mettent dans l'obligation d'être plus parfaite que les plus hauts
séraphins. La droite du Tout-Puissant
(1) Isa., XXIV, 16 ;
Matth., XIII, 44.
611
vous les
a accordés, pour vous rendre capable de recevoir l'enseignement et vous élever
à l'intelligence de ma vie, de mes couvres, de mes vertus et de mes mystères,
afin que vous les écriviez. Et le souverain Seigneur a bien voulu vous
favoriser, par mon intercession et par mes prières, de cette grande
miséricorde, sans que vous l'ayez méritée. Et j'ai rendu ces prières
efficaces, en récompense de ce que vous avez soumis votre esprit craintif et
lâche à la volonté du Très-Haut, et à l'autorité de vos supérieurs qui vous
out ordonné plusieurs fois d'écrire mon histoire. Le prix le plus avantageux
et le plus utile à votre lime est celui que vous avez reçu dans ces trois
états, ou chemins mystiques, très-relevés,
très-mystérieux, très-cachés
à la prudence de la chair (1), et très-agréables
aux yeux de la Divinité. Ils renferment une science et des instructions
très-abondantes pour arriver à leur fin, comme
vous l'avez appris et expérimenté. Faites-en un traité à part, car c'est la
volonté de mon très-saint Fils. Vous lui donnerez
pour titre celui que vous avez annoncé dans l'introduction de cette Histoire,
c'est-à-dire celui-ci: Les Lois de l'épouse, les hautes Perfections de son
chaste amour, et le Fruit tiré de l'arbre de la vie que cet ouvrage contient.
(1) Matth., XI, 25.
614
CHAPITRE III. L'auguste Marie et son saint époux Joseph allaient tous les ans
à Jérusalem, selon la loi, et y menaient avec eux l'Enfant Jésus.
737. Quelques jours après
le retour de nos saints voyageurs à Nazareth, le temps arriva où le précepte
de la loi de Moise obligeait les Israélites de se présenter à Jérusalem devant
le Seigneur. Ce commandement obligeait trois fois l'année, comme cela résulte
de l'Exode et du Deutéronome (1). Mais il n'obligeait que les hommes, et par
conséquent les femmes pouvaient y aller par dévotion ou s'en dispenser, car la
visite du Temple ne leur était ni commandée ni défendue. La divine Dame et son
époux conférèrent ensemble sur ce qu'ils devaient
faire dans ces occasions. Le saint souhaitait d'y mener la Reine du ciel et le
très-saint Enfant, pour l'offrir de nouveau au
Père éternel, comme il le faisait toutes les fois qu'il allait dans le Temple.
La très-pure Mère y était aussi portée par sa
dévotion et par le culte du Seigneur; mais comme en cas semblable elle
n'entreprenait rien sans le conseil de son Maître, le Verbe incarné,
(1) Exod., XXIII, 14
et 17 ; Deut., XVI, 1 etc.
613
elle le
consulta, sur je parti qu'il y avait à prendre. Après quoi il fut décidé que
saint Joseph irait seul deux fois l'année à Jérusalem, et que la troisième ils
iraient tous trois ensemble. Ces fêtes solennelles, lors desquelles les
Israélites se rendaient su Temple, étaient celle des Tabernacles, celle des
Semaines, qui correspondait à la Pentecôte, et celle des pains sans levain,
qui était la préparation de la Pâque (1). Et c'est à celle-ci que le
très-doux Jésus, la très-pure
Marie et saint Joseph montaient ensemble à Jérusalem. Elle durait sept jours,
et il y -arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant. Mais le saint
patriarche assistait seul aux deux autres fêtes sans y mener l'Enfant ni la
Mère.
738. Les deux fois par an
que lé saint époux Joseph allaita Jérusalem , il
faisait ce voyage pour lui-même, pour sa divine épouse et au nom du Verbe
incarné, dont les lumières et les faveurs le remplissaient de grâce, de
dévotion et de dons célestes, et lui permettaient ainsi de faire au Père
éternel l'offrande de l'hostie que sa Majesté lui laissait comme en dépôt
jusqu'au temps qu'elle avait déterminé. Et en attendant, le saint, comme
député du Fils et de la aère (qui priaient pour lui à Nazareth), faisait des
prières mystérieuses dans le temple de Jérusalem, et offrait le sacrifice de
ses lèvres. Et comme il y offrait Jésus et Marie ,
cette offrande était plus agréable au Père éternel que toutes celles que le
reste da peuple d'Israël
(1) Deut., XVI, 13,
9, 8.
614
lui
pouvait offrir. Mais quand le Verbe incarné et la Vierge Mère se rendaient en
la ville sainte pour la fête de Pâque, avec saint Joseph, ce voyage était
beaucoup plus merveilleux pour lui et pour les courtisans du ciel, parce que
les dix mille anges qui accompagnaient sous une forme humaine les trois
voyageurs Jésus, Marie et Joseph, formaient toujours le long de la route cette
très-solennelle procession dont j'ai déjà parlé;
de sorte qu'ils s'y trouvaient tous avec la beauté éclatante et avec le
profond respect qui leur étaient ordinaires, servant leur Créateur et leur
Reine, comme je l'ai marqué en racontant leurs autres voyages. Celui-ci était
presque de trente lieues, distance de Nazareth à Jérusalem. Et soit qu'ils y
allassent, soit qu'ils s'en retournassent, l'ordre de cette procession et du
service des saints anges était observé suivant les besoins et suivant la
volonté du Verbe incarné.
739. Ils faisaient moins de
chemin par jour dans ces voyages que dans les autres, parce qu'après leur
retour d'Égypte , l'Enfant Jésus voulut les faire à
pied; de sorte qu'ils marchaient ainsi tous les trois. Il était par conséquent
nécessaire d'aller plus lentement, car l'adorable Sauveur voulut dès lors se
soumettre à la fatigue pour le service du Père éternel et pour notre salut; et
loin d'user de sa puissance infinie pour éviter la peine de la marche, il
cheminait comme un homme passible, permettant aux causes naturelles de
produire leurs effets propres, ce qui avait lieu quand il de rendait sujet à
la lassitude.
615
Et
quoique la première année en laquelle ils firent ce voyage
, la divine Mère et son époux prissent soin de soulager l'Enfant-Dieu
en le portant quelquefois entre leurs bras , ce n'était que pendant un moment,
et dans la suite il alla toujours à pied. La très-douce
Mère ne s'y opposait point , parce qu'elle savait
que c'était sa volonté d'endurer cette fatigue; mais elle le, menait
d'ordinaire par la main, ou parfois le saint patriarche Joseph. Mais quand cet
adorable Enfant se lassait et s'échauffait, la
très-prudente et très-amoureuse Mère se
laissait attendrir d'une compassion naturelle, et souvent se mettait à
pleurer. Elle lui demandait alors comment il se trouvait du chemin, et lui
essuyait la sueur de son divin visage plus beau que les cieux et que leurs
astres. Notre auguste Reine lui rendait ce service à genoux et avec un respect
incomparable. Et le très-saint Enfant lui
répondait d'une manière, agréable, et lui exprimait la complaisance avec
laquelle il supportait ces peines pour la gloire de son l'ère éternel et pour
le bien des hommes. Ils passaient la plus grande partie du temps dans ces
entretiens et en des louanges divines, comme ils faisaient dans les autres
voyages que j'ai racontés.
740. Quelquefois notre
grande Reine regardait les opérations intérieures de son
très-saint Fils, et elle considérait en même temps la perfection de
l'humanité divinisée, sa beauté et ses actions, dans lesquelles se révélait
déjà sa divine grâce; elle voyait aussi comme il croissait en l'être et en la
manière d'opérer
616
comme
homme véritable; la très-prudente Dame repassait
toutes ces choses dans son esprit (1), faisait des actes héroïques de toutes
les vertus , et s'enflammait du divin amour. Elle regardait aussi dans
l'Enfant le Fils du Père éternel et le Dieu véritable; et tout en conservant
la tendresse naturelle d'une mère véritable, elle lui rendait, l'honneur et le
respect qu'elle lui devait comme à son Dieu et à son Créateur; et tout cela se
conciliait admirablement dans sou coeur candide et
très-pur. Il arrivait parfois que lorsque le divin Enfant marchait, le
vent lui faisait flotter les cheveux (disons en passant qu'ils ne devinrent
jamais trop longs, et qu'il n'en perdit point un seul jusqu'à ce que les
bourreaux les lui arrachèrent), et à cette vue la
très-douce Mère éprouvait de nouvelles impressions et es sentiments
pleins de douceur et de sagesse. Mais quoi qu'elle fit, soit intérieurement,
soit extérieurement, elle ne cessait de ravir les: anges et de complaire
souverainement à son très-saint Fils et Créateur.
741. Toutes les fois que le
Fils et la Mère faisaient ce voyage, ils opéraient des choses admirables pour
le bien. des âmes, car ils en convertissaient
plusieurs à la connaissance du Seigneur, et les retiraient du péché eu les
mettant dans le chemin de la vie éternelle. Ils le faisaient néanmoins d'une
manière secrète, parce qu'il n'était pas encore temps que le Maître de la
vérité se manifestât. Mais comme la divine Mère savait
(1) Luc., II, 19.
617
que
c'était ce que le Père éternel avait recommandé à son
très-saint Fils (1), et que ses oeuvres devaient alors se produire sana
éclat, elle y concourait comme un instrument caché de la volonté du
Restaurateur du monde. Et notre très-prudente
Maîtresse voulant se conduire en tout avec une plénitude de sagesse,
consultait toujours l'Enfant-Dieu sur tout ce
qu'ils devaient faire dans ces voyages, et lui demandaient par quels lieux et
par quelles maisons ils devaient passer, et cela parue quelle savait que son
adorable Fils disposait dans ces circonstances les moyens convenables pour
opérer les merveilles que sa sagesse avait prévues et déterminées.
742. Quand ils s'arrêtaient
pour passer la nuit soit dans une hôtellerie, soit à la campagne, où ils
reposèrent plus d'une fois, l'Enfant-Dieu et sa
très-pure Mère ne se séparaient jamais. Notre
grande Dame se trouvait toujours avec son Fils et son Maître, et elle était
fort attentive à toutes ses actions pour les imiter. Il en était de meure dans
le Temple, où elle suivait les prières que le Verbe incarné adressait à son
Père éternel, et voyait comme il s'humiliait dans son humaine infériorité, et
reconnaissait avec un profond respect les dons qu'il recevait de la Divinité.
La bienheureuse Mère entendait quelquefois la voix du Père qui disait :
Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me plais uniquement (2). Elle
découvrait aussi quelquefois que son très-saint
Fils priait le
(1) Joan., XII, 49. —
(2) Matth., XVII, 5.
618
Père
éternel pour elle, et qu'il la lui présentait comme sa véritable Mère, et
cette connaissance lui causait une joie indicible. Elle le voyait souvent
prier pour le genre humain, et offrir ses oeuvres et ses peines pour tant de
hautes fins. Et tontes ses prières, elle les répétait en s'y associant
pleinement.
743. Il arrivait aussi que
les saints anges chantaient avec une harmonie céleste des hymnes au Verbe
incarné, soit lorsqu'il cheminait, soit lorsqu'il entrait dans le Temple; et
l'heureuse Mère les entendait et pénétrait tous ces
mystères , qui la remplissaient d'une nouvelle lumière et d'une sagesse
sublime, et enflammaient son coeur de l'amour divin; et le Très-Haut lui
communiquait tant de nouvelles faveurs , qu'il ne m'est pas possible de les
rapporter. Mais il la préparait par toutes ces grâces aux peines et aux
afflictions qu'elle était destinée à souffrir; car souvent, après tant de
bienfaits admirables, il lui représentait, comme s'il avait déroulé un plan
sous ses yeux, tous les affronts , toutes les
ignominies et toutes les douleurs que son très-saint
Fils souffrirait dans la ville de Jérusalem. Et afin que ce spectacle lui fût
plus sensible, cet adorable Seigneur avait accoutumé en ces moments-là de se
mettre eu prière en présence de sa très-douce
Mère; et comme elle le regardait par la lumière de la divine sagesse, et
qu'elle l'aimait comme son Dieu et comme son Fils véritable, elle était
transpercée du glaive de douleur que Siméon lui avait prédit (1), et versait
beaucoup
(2) Luc., II, 35.
de
larmes, prévoyant les injures, les peines et la mort ignominieuse que son
très-doux Fils subirait, et considérant que cette
beauté qui surpassait celle de tous les enfants des hommes, serait si fort
défigurée , qu'il paraîtrait plus difforme qu'un lépreux (1) , et que ses yeux
seraient témoins de toutes ces horreurs. Mais l'Enfant-Dieu,
voulant adoucir sa douleur, lui disait quelquefois d'y disposer son coeur par
la charité qu'elle avait pour le genre humain, et d'offrir ces peines, qui les
attendaient tous deux, au Père éternel pour le salut des hommes. Le Fils et la
Mère faisaient conjointement cette offrande, que la très.
sainte Trinité recevait avec complaisance, et l'appliquaient
spécialement aux fidèles, et surtout aux prédestinés, qui devaient profiter
des mérites et de la rédemption du Verbe incarné. C'est à ces exercices que
Jésus et Marie consacraient principalement le temps qu'ils mettaient pour
aller visiter le Temple de Jérusalem.
Instruction que l'auguste Reine Marie me donna.
744. Ma fille, si vous
considérez avec une profonde attention l'étendue de vos obligations, la peine
que je vous ai dit si souvent de prendre pour
accomplir
(1) Isa., LIII, 3 et
4 ; Sap., II, 20, Ps. XLIV, 3.
620
les
commandements et la loi du Seigneur, vous paraîtra
très-légère et très-douce (1). Ce doit être
le premier pas de votre pèlerinage, comme le principe et le fondement de toute
la perfection chrétienne. Je vous ai enseigné plusieurs fois que les préceptes
dû Seigneur ne doivent pas être accomplis avec tiédeur et lâcheté, mais avec
une dévotion fervente qui vous portera à ne pas vous contenter simplement
d'une vertu commune, mais à voies adonner à la pratique de beaucoup d'oeuvres
surérogatoires, en ajoutant par amour ce que Dieu ne vous impose point par
obligation; car c'est une invention de sa sagesse pour rendre ses fidèles
serviteurs et ses véritables amis plus agréables à sa Majesté, comme il veut
que vous le soyez. Rappelez-vous, ma très-chère
fille, que le chemin de la vie mortelle à la vie éternelle est long, pénible
et dangereux; long par la distance (2), pénible par les obstacles, dangereux
par la fragilité humaine et par la ruse des ennemis (3). En outre le temps est
court (4), la fin incertaine, et cette même fin est ou
très-heureuse ou très-malheureuse, et rune
et l'autre sont irrévocables. Depuis le péché d'Adam, la vie animale et
terrestre tyrannise ceux qui la suivent; les chaînes des passions sont fortes,
et la guerre est continuelle; le plaisir par sa présence flatte les sens et
les trompe aisément; les choses qui conduisent à la vertu sont plus cachées en
leurs effets et plus difficiles
(1) Matth., XI, 30. —
(2) III Reg., XIX, 7. — (3) Matth., VII, 14. — (4)
I Cor., VII, 29.
621
à
connaître; et tout cela joint ensemble rend le pèlerinage douteux quant à son
issue, et sème la route de dangers et d'embûches (1).
745. Entre tous les
périls , celui de la chair n'est pas le moindre, à
cause de la faiblesse humaine; c'est là un ennemi domestique toujours actif,
qui fait déchoir beaucoup d'âmes de la grâce (2). Le moyen, le plus court et
le plus sûr de le vaincre, pour vous comme pour tout le monde, doit être de
passer votre vie dans les amertumes, dans les afflictions et ans les peines,
sans y jouir d'un moment de repos ni d'aucune satisfaction des sens, et de
faire avec eux un pacte inviolable (3) , en vertu
duquel vous ne leur accordiez que ce que la nécessité exige ou ce que la
raison permet. Outre cette précaution, vous devez aspirer toujours à ce qui
sera le plus agréable au Seigneur, et à la dernière fin que.
vous souhaitez d'atteindre. C'est pourquoi il faut
due vous vous efforciez de m'imiter toujours, et si je vous recommande cette
imitation, c'est par le désir que j'ai de vous voir arriver à la plénitude de
la vertu et de la sainteté. Considérez la ferveur et la ponctualité avec
lesquelles je faisais tant de choses, sans que le Seigneur me les eût
commandées, mais parce que je savais qu'elles étaient de son bon plaisir.
Redoublez avec ardeur les actes de vertu, les dévotions, les exercices
spirituels; Mites en tout temps des prières
(1) Eccles., IX, 2; II, 8;
Matth., XXV, 31,
etc., ; Job., VII, 20, 1. — (2) Sap., IV, 12. — (3) Job.,
XXXI, 1.
622
au Père
éternel pour. le salut des hommes, et aidez-les par
votre exemple et par d'utiles avis autant que vous le pourrez. Consolez les
affligés, encouragez les faibles, tendez la main à ceux qui sont tombés, et
offrez, s'il est nécessaire, votre sang et votre propre vie pour tous.
Remerciez singulièrement mon très-saint Fils, de
ce qu'il souffre avec tant de mansuétude la noire ingratitude des hommes, sans
cesser de les conserver et de les combler de bienfaits. Réfléchissez à l'amour
invincible qu'il leur a porté et qu'il leur porte, et à la manière dont je
partageais et je partage encore maintenant cette charité. Enfin je veux que
vous suiviez votre divin Époux en une vertu si excellente, et moi aussi,
puisque je suis votre Maîtresse.
CHAPITRE IV. L’Enfant Jésus étant dans sa douzième année, va avec ses parents
à Jérusalem, et il reste dans le Temple sans qu ils s'en aperçoivent (1).
746. Jésus, Marie et Joseph
continuaient, comme je l'ai dit, de se rendre tous les ans au Temple pour y
célébrer la poque des pains sans levain; et, par
suite de cette habitude, ils allèrent à Jérusalem au moment
(1) Luc., II.
623
où l'Enfant-Dieu
atteignait sa douzième année, quand déjà il convenait qu'il commençât à faire
paraître les splendeurs de son inaccessible lumière. Cette fête des pains sans
levain durait sept jours, selon les prescriptions de la loi (1); mais le
premier et le dernier jour étaient les plus solennels. C'est pour cela que nos
très-saints pèlerins passaient à Jérusalem toute
cette semaine, solennisant la fête par le culte qu'ils rendaient au Seigneur,
et par les prières que les autres Israélites avaient coutume de faire,
quoiqu'ils fussent si distingués et si différents de tous les autres par le
mystère qui cachait leur excellence. La bienheureuse Mère et son saint époux
recevaient pendant ces jours, chacun de leur côté, de si grandes faveurs de la
main libérale du Seigneur, qu'il n'est pas possible à l'entendement humain de
les concevoir.
747. Le septième jour de la
solennité étant passé, ils prirent le chemin de Nazareth. Et comme ils
sortaient de la ville de Jérusalem, l'Enfant-Dieu
quitta ses parents sans qu'ils s'en pussent apercevoir (2), et il demeura
caché pendant qu'ils poursuivaient leur voyage, ne sachant pas ce qui leur
arrivait. Dans cette circonstance, le Seigneur profita de la coutume et du
grand concours des pèlerins; car ils étaient si nombreux dans ces fêtes,
qu'ordinairement ils se partageaient par troupes, et que les hommes se
séparaient des femmes pour garder la bienséance convenable. Les enfants qu'on
y menait allaient indifféremment avec
(1) Deut, XVI, 8. —
(2) Luc., II, 43.
624
leurs
pères ou avec leurs mères, parce qu'il n'y avait en cela aucun danger
d'indécence : de sorte que dans cette occasion saint Joseph avait sujet de
croire que l'Enfant Jésus accompagnait sa très-sainte
Mère, dont il ne s'éloignait jamais (1); et il ne pouvait pas supposer qu'elle
fût partie sans lui, parce que cette divine Reine l'aimait et le connaissait
bien mieux que toutes les créatures angéliques et humaines. Notre grande Dame
n'avait pas des raisons aussi fortes pour se persuader que notre adorable
Sauveur était avec le patriarche saint Joseph; mais le Seigneur lui-même la
divertit par d'autres pensées divines et saintes, afin qu'elle n'y prit pas
garde dès le commencement, et qu'ensuite, lorsqu'elle remarquerait l'absence
de son bien-aimé, elle crût que le glorieux saint Joseph le menait avec lui,
et que ce souverain Maître avait voulu lui ménager cette consolation.
748. Marie et Joseph
marchèrent dans cette pensée pendant tout un jour, comme dit saint Luc (2).
Et, comme on sortait de la ville par des endroits différents, les étrangers
rejoignaient ensuite chacun sa femme ou sa famille. La
très-pure Marie et son époux se réunirent au lieu où ils devaient
passer la première nuit après leur départ de Jérusalem. Alors cette grande
Dame s'aperçut que l'Enfant-Dieu n'était point
avec saint Joseph, comme elle le croyait, et que le patriarche ne le trouvait
pas non plus avec sa Mère : cela les mit tous deux dans un tel étonnement,
qu'ils en
(1)
Luc., II, 44. — (2) Ibid.
625
perdirent
presque la parole; de sorte qu'ils restèrent un assez long temps sans se
pouvoir parler. Et chacun se conduisant, de son côté, par sa
très-profonde humilité, s'accusait soi-même
d'avoir par sa négligence perdu de vue le très-saint
Enfant, parce qu'ils ignoraient l'un et l'autre le mystère et les voies que sa
Majesté avait prises pour l'exécuter. Les divins époux revinrent quelque peu
de leur étonnement, et ils délibérèrent ensemble avec une extrême douleur sur
ce qu'ils devaient faire. Et l'amoureuse Mère dit à saint Joseph : « Mon époux
et mon Seigneur, je ne saurais avoir le coeur en repos si nous n'allons
au plus tôt chercher mon très-saint Fils. »
Ils le firent de la sorte, en commençant par en demander des nouvelles parmi
leurs parents et ceux de leur connaissance; mais personne ne put leur en
donner aucune ni adoucir leur douleur : au contraire, ils la leur augmentèrent
en leur répondant qu'ils ne l'avaient pas vu depuis qu'ils étaient sortis de
Jérusalem.
749. La Mère, affligée,
s'adressa à ses saints anges. Et ceux qui portaient cette admirable devise du
très-saint nom de Jésus (dont j'ai fait mention en
parlant de la Circoncision) se trouvaient avec le même Seigneur; les autres
accompagnaient sa très-pure Mère, et cela arrivait
toutes les fois qu'ils se séparaient: La Reine du ciel interrogea ceux-ci, qui
étaient au nombre de dix mille, et leur dit : « Mes amis et mes compas gnons
fidèles, vous pénétrez assez la juste cause de ma douleur; je vous prie
de me consoler dans une
626
affliction
si amère en me donnant quelque nouvelle de mon bien-aimé, afin que je le
cherche et que je le trouve (1). Donnez, esprits célestes, quelque
espoir à mon coeur désolé, qui, privé de son bien et de sa vie, semble
me quitter pour l'aller chercher.» Les saints anges, qui savaient que c'était
la volonté du Seigneur d'exercer dans cette occasion sa
très-sainte Mère pour augmenter ses mérites, et qu'il n'était pas
encore temps de lui découvrir le mystère, tâchèrent, sans perdre de vue leur
Créateur et notre Rédempteur, de la consoler par d'autres considérations; mais
ils ne lui dirent pas alors où son très-saint Fils
était, ni de quelles choses il s'occupait. Cette réponse des anges et les
nouveaux doutes qu'ils causèrent à notre très-prudente
Dame redoublaient ses inquiétudes, ses larmes, ses soupirs et l'impatience
qu'elle avait de chercher non la drachme perdue, comme cette femme de
l'Évangile (2); mais tout le trésor du ciel et de la terre.
750. La Mère de la Sagesse
formait dans son coeur diverses pensées. Elle se demanda d'abord si
Archélaüs, ayant eu quelque connaissance de
l'Enfant Jésus, et imitant la cruauté de son père Hérode, ne l'aurait point
fait prendre. Et, quoiqu'elle sût par les divines Écritures et par les
révélations et l'enseignement de son très-saint
Fils que le temps de la mort de son Rédempteur et du nôtre n'était pas encore
arrivé, néanmoins elle craignait qu'on ne l'eût mis en prison et
(1) Cant., III, 2 et 3. — (2) Luc., XV, 8.
627
qu'on ne
le maltraitât (1). Sa très-profonde humilité la
faisait aussi douter si par malheur son service ne lui aurait point été
désagréable, et s'il ne se serait point retiré dans le désert avec son futur
précurseur saint Jean. Puis, s'adressant quelquefois à son bien-aimé absent,
elle lui disait : « Mon doux amour, la gloire de mon âme, le désir qui vous
presse de souffrir pour les hommes et votre immense charité feront que vous
n'éviterez aucune peine (2); au contraire, je crains, mon adorable Seigneur,
que vous n'alliez au-devant de toutes les souffrances. Où irai-je? Où est-ce
que je pourrai vous rencontrer, lumière de mes yeux? Voulez-vous que le glaive
de douleur qui m'a séparée de votre présence m'arrache la vie (3)? Mais je ne
dois pas m'étonner, mon divin Maître, que vous châtiiez par votre absence
celle qui n'a pas su profiter du bonheur de votre compagnie. Pourquoi,
Seigneur, m'avez-vous fait goûter les douces caresses de votre enfance, si je
dois être privée sitôt de votre aimable présence et de votre doctrine
céleste? Mais, hélas! je ne puis pas mériter de
vous avoir pour Fils et de vivre auprès de vous ici-bas; ainsi
j'avoue que je dois vous remercier d'avoir daigné m'accepter quelque temps
comme esclave (4). Que si étant, malgré mon indignité, votre Mère, je
puis me prévaloir de ce titre pour vous chercher
(1) Sap., II, 13, etc.; Isa., Luc, 2; Jerem., XI,
18, etc.; Dan., IX, 26; Joan, VII, 30. — (2) Hebr., X, 3, etc.; Isa., Luc, 7.
— (3) Tob., X, 4. — (4) Luc., I, 48.
627
comme
mon (Dieu et mon souverain bien, permettez moi, Seigneur, de le faire, et
accordez-moi ce qui me manque pour mériter de vous trouver; car je
vivrai avec vous au désert, dans les peines, dans les afflictions, et en
quelque endroit du monde que vous soyez, Seigneur, mon âme désire
devenir, au prix de toutes les douleurs et de tous les tourments,
jusqu'à un certain point digne soit de mourir, si je ne vous trouve pas,
soit de vivre en votre service et en votre compagnie. Quand votre être
divin se dé roba à mon amour, il me resta la présence de votre aimable
humanité; et quoiqu'elle me montrât un air sérieux et sévère, et moins
de marques de sa bienveillance qu'à l'ordinaire, j'avais la consolation
de pouvoir me prosterner à vos pieds. Mais je suis maintenant privée de
ce bonheur; le Soleil qui m'éclairait s'est entièrement caché, et il ne
me reste que les craintes et les gémissements. Ah !
vie de mon âme, que de profonds soupirs
n'ai-je pas sujet de vous adresser ! mais ils
ne sont pas dignes de votre grande clémence , puisque je ne sais
où il sera donné à mes yeux de vous trouver. »
571. La
très-innocente colombe passa les trois jours
pendant lesquels elle chercha le Sauveur du,monde
dans les larmes, dans les gémissements, sans reposer, sans dormir ni manger.
Et, quoique les dix mille anges qui l'accompagnaient sous une forme humaine la
vissent si affligée et si triste, ils ne lui dirent pas où elle trouverait le
divin Enfant. Le troisième jour elle résolut
629
de
l'aller chercher au désert, où se tenait saint Jean : car, n'apprenant rien
qui lui fit présumer qu'Archélaüs eût fait prendre
son très-saint Fils, elle penchait à croire qu'il
était près de son précurseur. Mais, quand elle voulut exécuter son dessein,
les saints anges l'en dissuadèrent en lui disant que le Verbe incarné n'était
point au désert. Elle se proposa aussi (le se rendre à Bethléem, pour voir si
par bonheur elle ne le trouverait point dans la grotte de la nativité
les
anges la détournèrent encore de ce voyage, en lui déclarant que le Seigneur
n'était pas si loin. Et quoique la bienheureuse Mère inférât de ces réponses
que les esprits célestes n'ignoraient point où était l'Enfant Jésus, elle fut
si retenue et si humble, qu'elle ne leur demanda plus où elle le pourrait
trouver, parce qu'elle crut que le Seigneur voulait qu'ils le lui cachassent.
On voit par là avec combien de magnificence et de respect cette auguste Reine
traitait les secrets du Très-Haut et ses ministres (1) : car ce fut une des
rencontres où elle put déployée toute la grandeur royale de son coeur
magnanime.
752. La douleur que la
très-pure Marie eut dans cette occasion surpassa
celle que tous les martyrs ensemble ont pu souffrir; et elle y exerça aussi
une patience et une résignation sans égale, parce que la perte de son
très-saint Fils, la connaissance qu'elle en avait,
l'amour qu'elle lui portait et l'estime qu'elle en faisait étaient au-dessus
de tout ce qu'on saurait
(1) II Mach., II, 9.
630
concevoir.
Sa perplexité était excessive, sans que, comme je l'ai dit, elle en connût la
cause. En outre, le Seigneur la laissa pendant ces trois jours dans cet état
commun, où elle avait accoutumé de se trouver quand, privée de ses faveurs
singulières, elle était, pour ainsi dire, réduite à l'état de grâce ordinaire
: car, excepté la présence sensible des anges et les entretiens qu'elle avait
avec eux, il lui suspendit les autres bienfaits qu'il communiquait souvent à
son âme très sainte. Par tout ce que je viens de dire, on comprendra un peu
quelle devait être la douleur de la divine et amoureuse Mère. Mais, ô prodige
de sainteté, de prudence, de force et de perfection ! dans
une affliction si inouïe et dans une peine si extrême, elle ne se troubla
point; elle ne perdit ni la paix intérieure ni la paix extérieure; elle n'eut
aucune pensée de colère, ni aucun mouvement d'impatience, ni la moindre
tristesse désordonnée, comme il arrive d'ordinaire dans les grandes
afflictions aux autres enfants d'Adam, dont toutes les passions et les
puissances se soulèvent même pour une petite contrariété. Mais la Maîtresse
des vertus gouvernait et maintenait toujours les siennes dans un accord
admirable. Et quoique la douleur dont son cœur était pénétré fût sans mesure,
elle n'en resta pas moins mesurée dans toutes ses actions , ne cessant jamais
de louer le Seigneur, de le prier pour le genre humain, et de lui demander la
consolation de retrouver son très-saint Fils.
753. Elle le chercha avec
cette sagesse divine et avec une extrême diligence pendant trois jours,
interrogeant
631
et
questionnant diverses personnes, signalant l'extérieur de son bien-aimé aux
filles de Jérusalem, et allant par les rues et par les places de la ville; de
sorte que ce que Salomon dit de cette grande Dame dans les Cantiques fut
accompli en cette occasion (1). Quelques femmes lui demandaient à quelles
marques on pourrait reconnaître l'Enfant qu'elle avait perdu; et elle leur
répondait en indiquant celles que l'Épouse avait données en son noce : Mon
bien-aimé est blanc et vermeil, choisi entre mille (2). Il y en eut une
entre autres qui, l'ayant entendue, lui dit; « Un enfant qui a les mêmes
marques que vous dites s'est présenté hier à ma porte pour demander
l'aumône, et je la lui ai donnée; mais au manières agréables et son extrême
beauté m'eut ravi le coeur; et, en lui faisant la charité, je sentis en mon
âme une forte et douce impression, et une tendre compassion de voir un
si bel enfant dans la pauvreté et sans asile. » Ce furent les premières
nouvelles que le Mère affligée reçut de son Fils à Jérusalem. Et, respirant
quelque peu dans sa douleur, elle continua de s'en informer, et quelques
autres personnes lui dirent presque la même chose. Après qu'elle eut reçu ces
nouvelles, elle alla à l'hôpital de la ville, croyant qu'elle y trouverait
l'Époux et le Maître de la pauvreté parmi les pauvres comme parmi ses frères
et ses amis légitimes (3). Et, lorsqu'elle leur en demanda des
nouvelles,
(1) Cant., V, 10 et 11 ; III, 2. — (2) Cant., V,
9 et 10. — (3) Matth., XXV, 40.
632
ils lui
dirent que l’Enfant qui avait toutes les marques qu'elle, disait les avait
visités pendant trois jours, leur portant quelques aumônes et les laissant
fort consolés dans leurs afflictions.
754. Toutes ces nouvelles
excitaient en notre divine Dame de très-doux
sentiments, qu'elle offrait du plus intime de son coeur à l'Enfant adorable
qu'elle cherchait. Et ne l'ayant pas trouvé au milieu des pauvres, elle crut
qu'il serait sans doute au Temple, comme en la maison de
Dieu , en la maison de prière. Les saints anges, répondant à cette
pensée, lui dirent : « Reine et Maîtresse de l'univers, votre consolation est
proche, vous verrez bientôt la lumière de vos yeux; hâtez-vous d'aller au
Temple. » Le glorieux patriarche saint Joseph rencontra en ce moment son
épouse, car pour multiplier les chances de retrouver l'Enfant-Dieu,
il avait dirigé ses recherches vers d'autres endroits. Il fut aussi averti par
un autre ange de se rendre au Temple. Pendant ces trois jours, il avait couru
dans tous les sens, tantôt avec sa divine épouse, tantôt seul, avec des
fatigues excessives et une douleur inexprimable; de sorte que sa vie aurait
été dans un danger manifeste, si la main du Seigneur ne l'eût fortifié, et si
noire très-prudente Dame n'eut eu soin de le
consoler dans son extrême affliction, et de lui faire prendre un peu de
nourriture et de repos; car le tendre et sincère amour qu'il portait à l'Enfant-Dieu
lui inspirait un si vif désir de le retrouver, qu'il oubliait tout le reste.
Or, par cet avis des Princes célestes, la très-pure
Marie et saint Joseph
633
allèrent
au Temple, où il arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant.
Instruction que la Reine des anges me donna.
755. Ma fille, les mortels
savent par une fort longue expérience qu'on ne perd point sans douleur ce que
l'on aime et que l'on possède avec plaisir. Cette vérité, si connue par
l'épreuve qu'on en fait, devrait instruire les mondains et les faire rougir du
peu d'amour qu'ils portent à leur Dieu et Créateur; puisque d'un si grand
nombre qui le perdent, il en est si peu qui s'affligent de l'avoir perdu,
parce qu'us n'ont jamais mérité de l'aimer, ni de le posséder en vertu de la
grâce. Et comme la perte d'un bien qu'ils n'aiment point et qu'ils n'ont point
possédé, rie les afflige pas, il en résulte que l'ayant perdu, ils ne se
mettent pas fort en peine de le chercher. Mais il y a une grande différence
entre la perte et l'absence du véritable bien; en effet, ce n'est pas une même
chose que Dieu se cache d'une âme pour éprouver' son amour,
et lui donner occasion d'avancer dans la vertu, ou
qu'il s'en éloigne, en punition de ses péchés; car le premier est nue
industrie de l'amour divin, et un moyen pour se communiquer davantage à la
créature qui le désire et qui le mérite. Le second est un juste châtiment de
la colère divine. Dans la première absente
634
du
Seigneur filme saintement inquiète s'humilie par un filial amour, qui lui fait
craindre d'y avoir donné quelque sujet. Et quand même sa conscience ne lui
reprocherait rien, le juste, dans ce cas, pénétré d'un sincère amour, apprécie
mieux les conséquences de la perte dont il se voit menacé; heureux de ce
bonheur dont parle le Sage (1), il ne cesse de trembler de frayeur à la pensée
d'une telle perte; car l'homme ne sait jamais s'il est digne de l'amour ou de
la haine de Dieu (2); et cette connaissance est réservée pour l'avenir. En
attendant, les mêmes choses arrivent en général su juste et su pécheur, dans
le cours de leur vie mortelle.
756. Le Sage dit que ce
danger est le plus grand et le plus funeste, parmi tous les maux qu'il y a
sous le soleil (3), parce que les impies et les réprouvés se remplissent de
malice et s'endurcissent le coeur par une fausse et dangereuse sécurité, en
voyant que les choses se passent de même pour eux et pour les autres, et qu'on
ne peut distinguer avec certitude l’élu du réprouvé, l'ami de l'ennemi, le
juste du pécheur, celui qui mérite la haine, de celui qui est digne d'amour
(4). Mais si les hommes écoutaient leur conscience sans passion, sans
illusion , elle apprendrait à chacun la vérité,
qu'il lui importe de savoir; car lorsqu'elle reproche les péchés commis, c'est
une insigne folie de ne point s'attribuer à soi-même les maux que
(1) Prov., XXVIII, 11.
— (2) Eccles., IX, 1 et 2. — (3) Ibid.,
3. — (4) Ibid., 12.
635
l'on
souffre, et de ne pas reconnaître sa misère, après avoir perdu la grâce et
avec elle le souverain bien (1). Et si leur raison était libre, ils
avoueraient que la plus grande preuve de leur malheur serait de ne point
ressentir avec une extrême affliction la perte ou la privation de la joie
spirituelle, et des effets de la grâce; car si une âme créée et destinée pour
la félicité éternelle n'éprouve point ce regret, elle témoigne assez qu'elle
ne la désire et qu'elle ne l'aime pas; puisqu'elle ne la cherche point avec
empressement (2), jusqu'à ce qu'elle parvienne à espérer qu'elle n'a point
perdu le souverain bien par sa faute, du moins avec cette prudente certitude
que comporte la vie mortelle.
757. Je perdis mon
très-saint Fils quant à la présence corporelle; et
quoique je conservasse l'espoir de le retrouver, l'amour que je lui portais,
et le doute où j'étais de la cause de son absence, ne me
laissèrent prendre aucun repos que je ne l'eusse rencontré. Je veux, ma
très-chère fille, que vous en fassiez de même
quand vous le perdrez, soit par votre faute, soit par son amoureuse industrie.
Et afin que cela n'arrive point en punition de votre négligence, vous devez
vivre avec tant de ferveur, que ni l'affliction ,
ni les angoisses, ni la faim, ni les périls, ni la persécution, ni l'épée, ni
la hauteur, ni la profondeur ne puissent jamais vous séparer de votre bien (3)
; puisque si vous lui êtes fidèle comme vous le devez être, et que vous
(1) Luc.,
XII, 58. — (2) Luc.,
XV, 8. — (3) Rom., VIII,
35.
636
ne
veuilliez point le perdre, ni les anges, ni les
principautés, ni les vertus, ni aucune autre créature ne sauraient vous en
priver (1). Les draines de son amour sont si fortes, que rien ne les peut
rompre, si ce n'est la propre volonté de la créature.
(1) Rom., VIII, 38.
Fin DU TOME III.
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