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Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse.
Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.
Réponse et instruction que j'ai reçues de la Reine du ciel.
Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.
CHAPITRE XVI. L'âge que la Reine du ciel avait lorsque saint Joseph mourut, et
quelques privilèges du saint époux.
886. Tout le temps de la
vie du plus heureux des hommes, saint Joseph, fut de soixante années et
quelques jours. En effet, il épousa la très-pure Marie à trente-trois ans, et
il en vécut un peu plus de vingt-sept en sa compagnie; et quand le saint époux
mourut, notre auguste Reine avait quarante-un ans six mois environ, puisque
(comme je l'ai dit en la première partie, liv. Il, chap. XXII) elle fut mariée
à saint Joseph à l'âge de quatorze ans, lesquels, joints aux vingt-sept qu'ils
vécurent ensemble, font quarante-un ans, plus le temps qui s'écoula depuis le
8 septembre jusqu'à l'heureuse mort du très-saint époux. La Reine du ciel se
trouva à cet figé avec la même constitution et perfection naturelle qu'elle
avait en sa trente-troisième année; car elle ne baissa, ni ne vieillit, ni ne
déchut jamais de cet état très-parfait, somme je l'ai marqué au chapitre XIII
de ce livre.
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Elle
ressentit une douleur naturelle de la mort de saint Joseph, parce qu'elle
l'aimait comme son époux, comme un homme d'une sainteté éminente, comme son
protecteur et son bienfaiteur. Et, quoique cette douleur fût en notre
très-prudente Dame fort bien réglée, elle n'en était pas pour cela moindre;
attendu que mieux elle connaissait le degré de sainteté que son époux avait
entre les plus grands saints qui sont écrits dans le livre de vie et dans
l'entendement du Très-Haut, plus son amour était grand. Et si l'on ne saurait
perdre sans douleur ce que l'on aime avec tendresse, les regrets de Marie
auraient-ils pu ne pas être proportionnés à la vivacité de son amour?
887. Il n'entre pas dans le
sujet de cette histoire de décrire expressément les excellences de la sainteté
de saint Joseph; aussi je n'ai reçu ordre de m'y arrêter qu'autant que
certaines généralités peuvent servir à manifester davantage la dignité de son
épouse, aux mérites de laquelle (après ceux de son très-saint Fils) on doit
attribuer les dons et les grâces dont le TrèsHaut favorisa le glorieux
patriarche. Et quand même notre divine Dame n'aurait pas été la cause
méritoire ou l'instrument de la sainteté de son époux, su moins elle était la
fin immédiate à laquelle cette sainteté se rapportait : car toute la plénitude
de vertus et de grâce que le Seigneur communiqua à son serviteur Joseph lui
fut accordée afin de le rendre le digne époux de celle qu'il choisissait pour
être sa Mère. C'est sur cette règle, et sur l'amour et l'estime que cet
adorable Seigneur avait pour sa très-pure Mère,
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que
l'on doit mesurer la sainteté de saint Joseph; et je crois que s'il se fût
trouvé au monde un autre homme plus parfait et plus excellent que lui, sa
Majesté l'aurait donné pour époux à sa propre Mère; et que puisqu'elle lui a
donné saint Joseph, il devait être sans contredit le plus grand saint que Dieu
eût sur la terre. Et, l'ayant créé et prédestiné pour de si hautes fins, il
est certain qu'il a voulu employer sa main puissante à le rendre capable de
répondre à ces mêmes fins et proportionner l'instrument à l'oeuvre : or, cette
espèce de rapport et de proportion, la lumière divine ne pouvait la trouver
que dans la sainteté, dans les vertus, dans les dons, dans les grâces, dans
les bonnes inclinations naturelles et infuses dont Joseph offrait
l'assemblage.
888. Je remarque une
différence entre ce grand patriarche et les autres saints quant aux dons de
grâce qu'ils reçurent; car beaucoup de saints ont obtenu d'autres faveurs et
privilèges qui ne regardaient pas tous leur propre sainteté, mais d'autres
fins du service du Très-Haut en d'autres hommes; ainsi c'étaient comme des
dons gratuits ou indépendants de la sainteté; mais en ce qui concerne notre
saint patriarche, tous les dons qu'il reçut augmentaient en lui les vertus et
la sainteté, parce que le ministère auquel ils se rapportaient était un effet
de sa sainteté et de ses bonnes oeuvres; et plus il était saint, plus il se
trouvait digne d'être l'époux de l'auguste Marie et le dépositaire da trésor
et du mystère du ciel; de sorte qu'il devait être un prodige de sainteté,
comme il le fut
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véritablement. Cette merveille commença dès la formation de son corps dans le
sein de sa mère, car le Seigneur y présida par une providence spéciale, sous
l'influence de laquelle il fut composé des quatre humeurs mélangées dans une
juste proportion et un admirable tempérament, avec une complexion et des
qualités excellentes, afin qu'il fût aussitôt une terre bénie, et reçût en
partage une bonne âme et la droiture des inclinations (1). Il fut sanctifié
dans le sein de sa mère au septième mois de sa conception, et dès ce moment la
concupiscence rebelle resta en lui comme enchaînée pour toute sa vie, de sorte
qu'il n'éprouva jamais un seul mouvement impur ni désordonné; et quoiqu'il ne
reçût point l'usage de la raison en cette première sanctification, en laquelle
il fut seulement justifié du péché originel, néanmoins sa mère ressentit alors
une nouvelle joie du Saint-Esprit, et, sans en pénétrer entièrement le
mystère, elle fit de grands actes de vertu, et crut que l'enfant qu'elle
portait serait considérable devant Dieu et devant les hommes.
889. Saint Joseph naquit
très-beau et très-parfait selon la nature, et causa à ses parents une joie
extraordinaire, semblable à celle qu'excita la naissance du petit Baptiste,
quoique la raison n'en fût pas manifeste. Le Seigneur lui avança l'usage de
l'intelligence eu le lui donnant dans toute sa perfection en la troisième
année de son âge; il lui communiqua aussi une science infuse et une nouvelle
augmentation de grâce
(1) Sap., VIII, 19.
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et de
vertus. Le saint enfant commença dès lors à connaître Dieu par la foi; il le
connut aussi par le raisonnement naturel comme première cause et auteur de
toutes les créatures; et il concevait d'une manière très-sublime tout ce que
l'on disait de Dieu et de ses oeuvres. Il fut élevé dès la même époque à un
haut degré d'oraison et de contemplation, et rendu admirablement apte aux
vertus dont son jeune âge lui permettait l'exercice; de sorte que saint Joseph
était déjà alors un homme d'un jugement et d'une sainteté rares, tandis que la
raison n'apparaît chez les autres enfants qu'à l'âge de sept ans ou même plus
tard. Il était d'un naturel fort doux, charitable, honnête, sincère, et
annonçait en tout des inclinations non-seulement vertueuses, mais angéliques,
et, croissant en sainteté et en perfection, il arriva par une vie
irrépréhensible à l'âge auquel il épousa la très-pure Marie.
890. Pour lui augmenter
alors les dons de la grâce et le confirmer en ces mêmes dons, les prières de
notre divine Dame eurent une efficace particulière; car elle supplia
instamment le Très-Haut, dans le cas où il lui plairait de la soumettre au
joug du mariage, de sanctifier son époux Joseph, afin qu'il se conformât à ses
très-chastes désirs. Cette auguste Princesse comprit que Dieu exauçait sa
demande, et qu'il opérait par la force de son puissant bras, en l'âme du saint
patriarche, des effets si nombreux et si divins, qu'il n'est pas possible de
les exprimer : car il le combla par infusion des dons les plus riches, et
l'empreignit des habitudes parfaites de toutes les vertus. Si divine
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Majesté redressa de nouveau ses puissances, le remplit de grâce, et le
confirma en cette même grâce d'une manière admirable. Quant à la vertu et aux
prérogatives de la chasteté, le saint époux surpassa les plus hauts séraphins,
car vivant en un corps terrestre et mortel, il fut doué de la pureté qu'ils
ont étant affranchis de la matière, et jamais image ou impression impure de la
nature animale et sensible n'entra dans ses puissances. C'est par cette
supériorité sur les choses charnelles, par cette simplicité de colombe et par
cette candeur d'ange qu'il fut préparé à devenir l'époux de la plus pure des
créatures et à demeurer en sa compagnie : car sans ce privilège il n'aurait
pas été capable de porter une si sublime et si excellente dignité.
891. Il fut aussi admirable
dans les autres vertus, et surtout en la charité, placé qu'il était à la
source mime de cette eau vive qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle (1), et
où il, pouvait puiser sans cesse, ou, si l'on veut, près de ce foyer ardent
dont les flammes devaient l'embraser, comme une matière disposée sans aucune
résistance. Du reste, en parlant des ardeurs du divin amour dans le saint
époux, on ne saurait enchérir sur ce que j'ai dit au chapitre précédent,
puisque cet amour de Dieu fut la cause de sa maladie et comme l'instrument de
sa mort, qui par là même fut si privilégiée. Car les douces angoisses de
l'amour surpassèrent celles de la nature, et celles-ci produisirent un effet
moins décisif que les premières : et
(1) Josn., IV, 14.
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comme
l'objet de l'amour, notre Seigneur Jésus-Christ avec sa Mère, était présent,
et que le saint les possédait tous deux plus pleinement qu'aucun des mortels
n'a pu et ne peut en jouir, il était presque inévitable que ce coeur si pur et
si fidèle ne s'exhalât en des affections, ne se fondît au feu d'une si
prodigieuse charité. Béni soit l'auteur de si grandes merveilles, gt béni soit
le plus heureux des hommes, Joseph, en qui elles furent toutes dignement
opérées : il mérite que toutes les nations le connaissent et le bénissent,
puisque le Seigneur n'a traité de la sorte aucun autre des vivants, et qu'à
aucun il n'a manifesté le même amour qu'à lui,
892. J'ai dit dans tout le
cours de cette histoire quelque chose des visions et des révélations dont
notre saint fut favorisé , et elles furent trop nombreuses pour qu'on pût les
raconter; mais on en concevra la plus haute idée, si l'on considère qu'il a
connu les mystères de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère,
qu'il a demeuré an si long temps en leur compagnie, et qu'il a été regardé
comme le. père de ce divin Seigneur, et le véritable époux de notre auguste
Reine. En outre, j'ai découvert que le Très-Haut lui a accordé, à cause de sa
grande sainteté, divers privilèges en faveur de ceux qui le prendraient pour
leur intercesseur et qui l'invoqueraient avec dévotion. Le premier est pour
obtenir la vertu de chasteté, vaincre les tentations,de la chair et des sens.
Le second pour recevoir de puissants secours afin de sortir du péché et de
recouvrer
161
la
grâce de Dieu. Le troisième pour acquérir par son moyen la dévotion à la
très-pure Marie et se disposer à recevoir ses faveurs. Le quatrième pour
obtenir une bonne mort et une assistance particulière contre le démon en cette
dernière heure. Le cinquième pour intimider les ennemis de notre salut par la
prononciation du nom de saint Joseph. Le sixième pour obtenir la santé du
corps et le soulagement dans les afflictions. Enfin le septième privilège est
pour procurer des héritiers aux familles chrétiennes. — Dieu accorde toutes
ces faveurs et beaucoup d'autres à ceux qui les lui demandent comme il faut,
au nom de saint Joseph époux de la Reine du ciel; et je prie tous les fidèles
enfants de la sainte Église de lui être bien dévots, et d'être persuadés
qu'ils ressentiront les favorables effets de sa protection, s'ils se disposent
dignement à les mériter et à les recevoir.
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
893. Ma fille, quoique vous
ayez écrit que mon époux Joseph est un des plus grands saints et des plus
nobles princes de la Jérusalem céleste, vous ne sauriez pourtant exprimer
maintenant son éminente sainteté, et les mortels ne sauraient la connaître
avant que de jouir de la vue de la Divinité, en laquelle ils découvriront avec
admiration ce mystère pour en
162
louer
le Seigneur; et au dernier jour, quand tous les hommes seront jugés, les
damnés pleureront amèrement le malheur de n'avoir pas connu, à cause de leurs
péchés, ce moyen de salut si puissant et si efficace , et de ne s'en être pas
servis, comme ils le pouvaient, pour recouvrer la grâce du juste Juge. Le
monde a trop ignoré la grandeur des prérogatives que le souverain loi a
accordées à mon saint époux, et la puissance de son intercession auprès de sa
divine Majesté et de moi; car je vous assure, ma très-chère fille, que c'est
un des premiers favoris de Dieu, et un des plus capables de détourner des
pécheurs les coups de sa justice.
894. Je veux que vous soyez
fort reconnaissante de la bonté que le Seigneur vous a montrée, et de la
faveur que je vous ai faite par la communication des lumières que vous avez
reçues touchant ce mystère; tâchez aussi de redoubler à l'avenir de dévotion
envers mon saint époux, et de bénir le Seigneur tant de ce qu'il l'a favorisé
avec tant de libéralité, que de ce qu'il m'a procuré le bonheur de le
connaître de si près. Vous devez vous prévaloir de son intercession dans
toutes vos nécessités, et faire en sorte d'accroître le nombre de ses dévots,
et de recommander à vos religieuses de se distinguer en cette dévotion,
puisque le Très-Haut accorde sur la terre ce que rotin époux demande dans le
ciel, et joint à ses demandes des faveurs extraordinaires pour les hommes,
pourvu qu'ils ne se rendent pas indignes de les recevoir. Tous ces privilèges
répondent à la perfection, à l'innocence
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et aux
éminentes vertus de cet admirable saint; camelles ont attiré les complaisances
du Seigneur, qui veut déployer à son égard toute sa munificence, en comblant
de ses miséricordes ceux qui auront recours à son intercession.
CHAPITRE XVII. Des occupations de la très-pure Marie après la mort de saint
Joseph, et de quelques-unes,des choses qui se passèrent alors entre elle et
ses anges.
895. Toute la perfection de
la vie chrétienne rentre dans l'une des deux vies que l'Église connaît,
c'est-à-dire l'active et la contemplative. La première comprend les oeuvres
corporelles ou sensibles que l'on exerce envers le prochain dans les choses
humaines, qui sont si nombreuses et si variées. Elles ressortissent des vertus
morales, dont toutes les actions de la vie active reçoivent leur perfection
propre. La seconde embrasse les opérations intérieures de l'entendement et de
la volonté, dont l'objet spirituel est le plus noble et le plus digne de la
créature intelligente et raisonnable; c'est pourquoi cette vie contemplative
est plus excellente que l'active et en elle-même plus aimable, comme plus
tranquille, plus
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agréable, plus belle et plus proche de la dernière fin, qui est Dieu, en la
connaissance et en l'amour duquel elle consiste, et par là elle participe
davantage de la vie de l'éternité, qui est toute contemplative. Elles sont
bien figurées par les deux sueurs Marthe et Marie (1), l'une dans le repos et
les caresses, l'autre dans les soins et les agitations; et aussi par les deux
autres sueurs Lia et Rachel (2), l'une féconde, mais laide et chassieuse;
l'autre belle et charmante, mais stérile au commencement. En effet, la vie
active est plus fructueuse, quoique coupée par une foule d'occupations
diverses au milieu desquelles elle se trouble, et elle n'a pas les yeux assez
clairvoyants pour les élever aux choses célestes et pénétrer les mystères
divins. D'un autre côté, la vie contemplative est très-belle , quoiqu'elle ne
soit pas si féconde au commencement, parce qu'elle donne son fruit plus tard
par le moyen de l'oraison et des mérites, qui présupposent une grande
perfection, et un commerce avec Dieu assez étroit pour l'obliger d'étendre sa
libéralité sur les autres âmes ; mais ces fruits sont ordinairement abondants
en bénédictions, et toujours dignes d'une très-grande estime.
896. L'accord de ces deux
vies est le comble de la perfection chrétienne; mais cet heureux assemblage
est aussi difficile que nous l'avons remarqué dans l'histoire de Marthe et de
Marie, de Lia et de Rachel, qui ne furent pas une seule personne, mais deux
(1) Luc., X, 41 et 44. — (2) Gen., XXIX, 17.
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personnes différentes, pour représenter chacune la vie qu'elle signifiait ,
parce qu'aucune des deux n'a pu les figurer à la fois, à cause de la
difficulté qu'il y a pour un sujet de les réunir et de les réaliser
simultanément avec une égale perfection. Et malgré tous les efforts que les
saints ont faits pour surmonter cette difficulté, quoique la doctrine des
maîtres spirituels aille au même but, malgré toutes les instructions des
hommes apostoliques et des docteurs; enfin, malgré les exemples des apôtres et
des fondateurs des ordres religieux, qui ont tous tâché d'unir la
contemplation à l'action autant qu'il leur était possible avec la grâce, ils
ont toujours de reconnaître que la vie active, pur la multitude de ses
applications aux objets inférieurs, partage et trouble le cœur, comme l'a dit
à Marthe le Sauveur de nos âmes; de sorte que , quelque effort que l'on fasse
pour rentrer dans le recueillement et le calme afin de s'élever aux objets
très-sublimes de la contemplation, on n'y saurait parvenir qu'à grand peine
pendant cette vie, et encore seulement par courts intervalles, à moins d'un
privilège tout spécial du Tout-Puissant. C'est pour cette raison que les
saints qui se sont adonnés à la contemplation ont choisi les déserts et les
solitudes propres à ce saint exercice, et que les autres qui se vouaient en
même temps à la vie active et au salut des âmes par leurs prédications, se
réservaient. certains jours pour se retirer des occupations extérieures, et
dans les autres ils partageaient les heures, destinant celles-ci à la
contemplation, celles-là aux œuvres du dehors;
166
et
faisant ainsi toutes choses dans la perfection requise, ils ont acquis le
mérite et la récompense de ces deux vies, lesquels ne résultent que de l'amour
et de la grâce comme principale cause.
897. L'auguste Marie fut la
seule qui concilia ces deux vies au suprême degré de perfection, sans que sa
très-haute et très-ardente contemplation fut empêchée par les oeuvres
extérieures de la vie active. Empressée comme Marthe quoique sans aucun
trouble, elle fut calme et sereine comme Marie , sans se livrer à un mol
repos; elle eut la beauté de Rachel, et, la fécondité de Lia; elle seule
accomplit dans la réalité ce que ces différentes soeurs représentèrent dans la
figure. Cette très-prudente Reine servait son époux malade et le nourrissait
par son travail, aussi bien que son très-saint Fils, 'comme je l'ai marqué;
mais sa sublime contemplation n'en était ni interrompue ni embarrassée; car
notre grande Dame n'avait pas besoin de chercher la solitude pour rasséréner
son cour pacifique, et s'élever librement au-dessus des plus. hauts séraphins.
Néanmoins, quand elle se vit privée de la compagnie de son époux , elle régla
ses exercices de manière à ne s'occuper plus qu'au mystère de l'amour
intérieur. Elle lut alors dans l’âme de son très-saint Fils que c'était sa
volonté qu'elle modérât le travail corporel auquel elle avait consacré les
jours et les nuits pour assister son saint malade, et qu'au lieu de s'y livrer
comme par le passé, elle se joignit aux prières et aux oeuvres ineffables de
l'adorable Sauveur.
898. Notre divin Seigneur
lui découvrit aussi
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qu'il
suffisait qu'elle travaillât seulement quelques heures de la journée pour se
procurer le peu de nourriture qui leur était nécessaire; parce qu'ils ne
mangeraient plus à l'avenir qu'une seule fois par jour, et cela vers le soir;
car s’ils avaient gardé jusqu'alors un autre régime, ce n'était qu'à cause de
l'amour qu'ils portaient à saint Joseph, et pour ne le point priver de la
consolation de leur compagnie pendant les Heures de ses repas. De sorte qu'à
partir de cette époque, l'Homme-Dieu et sa très-sainte Mère ne mangèrent
qu'une seule fois, vers six heures du soir; et bien souvent leur nourriture ne
consistait qu'eu du pain sec; d'autres fois notre divine Dame y ajoutait des
fruits, des herbes ou du poison; et c'était là le plus grand rénal du Roi et
de la Reine de l'univers. Et quoique leur tempérance fût toujours extrême, et
leur abstinence admirable, depuis qu'ils se trouvèrent. seuls ils les
poussèrent encore plus loin , et ne s'accordèrent que le choix de leurs
simples aliments et la régularité de l'heure à laquelle ils les prenaient.
Quand ils étaient conviés à un
festin, ils mangeaient un peu de tout ce qui leur était présenté, sans vouloir
s'en excuser, commençant dès lors à pratiquer le conseil que le Seigneur
lui-même devait donner ensuite à ses disciples pour le temps de leur
prédication (1). Notre auguste Princesse servait à genoux cette pauvre
nourriture à son très-saint Fils, après lui avoir demandé la permission de la
lui présenter; quelquefois elle la
(1) Luc., X, 8.
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lui
demandait aussi avec le même respect avant de l'apprêter, parce qu'elle était
destinée à son Fils, qui était Dieu véritable.
899. La présence de saint
Joseph n'avait pas empêché la très-prudente Mère de traiter son adorable Fils
avec toute la révérence possible, sans omettre aucune des démonstrations
extérieures qui convenaient alors; mais après la mort du saint elle rendit ses
génuflexions ordinaires plus fréquentes, parce qu'elle avait à cet égard une
plus grande liberté en la présence des anges seuls qu'en celle de son époux,
qui était homme. Souvent elle restait prosternée jusqu'à ce que le Seigneur
lui ordonnât de se relever; elle lui baisait les pieds ou la main , et presque
toujours avec les larmes de la plus profonde humilité et de la plus fervente
dévotion. Elle ne se trouvait jamais près de sa divine Majesté sans lui donner
des marques d'un très-ardent amour et d'une religieuse adoration, n'aspirant
qu'à connaître son bon plaisir et attentive à observer ses opérations
intérieures pour les imiter. Et quoiqu'elle ne fût pas capable de commettre la
moindre imperfection au service et en l'amour de son très-saint Fils, elle
avait néanmoins, bien mieux que le prophète ne le dit (1), les jeux toujours
attachés comme ceux du serviteur et de la servante fidèle sur les mains de son
adorable Maître, pour en recevoir la grâce qu'elle désirait. On ne saurait
concevoir la science divine dont fut douée cette
(1) Ps. CXXII, 2.
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auguste Dame pour pratiquer avec la plus sublime intelligence toutes les
choses qu'elle fit eu la compagnie du Verbe incarné pendant le temps qu'ils
demeurèrent ensemble, sans autres témoins que les anges qui les servaient. Eux
seuls assistèrent à cet admirable spectacle, et bénissaient Dieu en se
reconnaissant de beaucoup inférieurs en sagesse et en pureté à une simple
créature, qui mérita d'être élevée à une si haute sainteté, parce que seule
elle accomplit les oeuvres de la grâce avec une perfection absolue.
900. La Reine du ciel eut
en ce temps-là de très-doux débats avec les saints anges touchant les humbles
et vulgaires offices qu'exigeaient le service du Verbe incarné, et le bon
ordre de sa pauvre maison; car il ne s'y trouvait personne qui pût les remplir
au lieu de notre divine Dame, si ce n'est ces très-nobles et trèsfidèles
ministres qui l'assistaient sous une forme humaine, toujours prêts à
s'employer à tout. L'illustre Vierge voulait faire elle-même les choses les
plus viles, comme balayer, ranger le peu de meubles qu'elle avait, laver la
vaisselle et préparer tout ce qui pouvait être nécessaire; mais les courtisans
du Très-Haut, comme véritablement courtois et plus prompts dans les
opérations, quoiqu'ils ne fussent pas plus humbles, avaient accoutumé de
prévenir leur Reine en tous ces emplois, et quelquefois, souvent même, elle
les trouvait occupés à ce qu'elle désirait faire, parce qu'ils l'avaient
devancée; mais aussitôt qu'elle leur manifestait ses intentions, ils lui
obéissaient et lui laissaient satisfaire son humilité et son amour. Et afin
qu'ils ne s'y opposassent
170
pas,
elle leur disait : « Ministres du Très-Haut, qui êtes des esprits très-purs,
en lui rejaillissent les lumières par lesquelles sa Divinité m'éclaire, ces
basses occupations ne sont pas convenables à votre état et à votre nature,
mais à la mienne; car outre que je sors de la poussière, je suis aussi la
moindre de tous les mortels et la plus obligée servante de mon Seigneur et mon
Fils; laissez-moi, mes amis, exercer les offices qui me sont propres,
puisqu'en m'en acquittant au service du Très-Haut, je puis me procurer des
mérites que vous ne sauriez acquérir à cause de votre dignité et de votre
condition. Je connais le prix des oeuvres serviles que le monde méprise, et
notre souverain Seigneur m'a donné cette connaissance, non pour que je m'en
décharge sur d'autres, mais afin que je les pratique moi-même. »
901. « Reine et Maîtresse
de l'univers, répondaient les anges, il est vrai qu'à vos yeux et~dans
l'estime du Très-Haut, ces oeuvres ont la valeur que vous leur attribuez; mais
si elles vous font recueillir le précieux fruit de votre humilité
incomparable, remarquez, s'il vous plait, que nous manquerons à l'obéissance
que nous devons au Seigneur, si nous ne vous servons comme sa divine Majesté
nous l'a ordonné; et étant comme vous êtes notre légitime Maîtresse, nous
manquerions à la justice si nous négligions quoi que ce soit au service que,
eu égard à cette qualité, le Seigneur nous permettra de vous rendre; vous
suppléerez
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facilement, ô notre Reine , au mérite que vous ne gagnerez point en vous
abstenant de ces œuvres serviles, par la mortification que vous aurez de ne
les point accomplir, et par le très-ardent désir a avec lequel vous les
recherchez. » La très-prudente Mère répliquait à ces raisons en leur disant :
« Non, non, esprits célestes, cela ne doit pas être ainsi; car si vous vous
regardez comme grandement obligés à me servir en qualité de Mère de voire
souverain Seigneur, de qui vous êtes les ouvrages, rappelez-vous qu'il m'a
tirée de la poussière pour m'élever à cette dignité, et que, par suite d'un
tel bienfait, ma dette est bien plus grande que la vôtre; de sorte que mon
obligation étant si au-dessus de la vôtre, il faut aussi que mon retour y soit
proportionné; que si vous voulez servir mon Fils comme ses créatures, je le
dois servir au même titre, et de plus j'ai l'honneur d'être sa Mère pour le
servir comme mon Fils; ainsi vous trouverez toujours que j'ai plus de droit
que vous à ne jamais renoncer à la pratique de l'humilité, pour mieux
témoigner ma reconnaissance. »
902. Telles étaient à peu
prés les douces et admirables contestations qui se passaient entre la
très-pure Marie et ses anges, et dans lesquelles la palme de l'humilité
restait toujours entre les mains de celle qui en était la Reine et la
Maîtresse. Que le monde ignore avec justice des mystères si cachés, dont la
vanité et l'orgueil le rendent indigne; que dans sa stupide arrogance il
dénigre et méprise ces humbles offices,
172
ces
occupations serviles, soit; mais les courtisans célestes qui en ont connu la
valeur, les estiment, et la Reine de l'univers, qui a su leur donner le juste
prix, les recherche. Laissons donc maintenant le monde dans son ignorance ou
dans ses excuses frivoles; car l'humilité n'est pas pour les personnes
superbes; les basses fonctions et les vils emplois qu'elle préfère, comme de
balai er et de laver la vaisselle, ne comportent guère l'usage de la pourpre
et de la toile (le Hollande, du brocard et des pierreries; aussi les perles
inestimables de certaines vertus ne sont pas indifféremment destinées à tous.
Mais si la contagion de l'orgueil mondain se répandait jusque dans les écoles
de l'humilité et de l'abnégation, c'est-à-dire dans les maisons religieuses,
et qu'on vînt à y regarder avec dédain et comme un déshonneur ces exercices
humiliants, on ne saurait désavouer qu'en pareil lieu l'orgueil ne fût quelque
chose de honteux ou d'odieux. En effet, si ceux qui ont embrassé l'état
religieux méprisent ces occupations serviles, et rougissent, à l'exemple du
monde, de s'y livrer, de quel front oseront-ils se présenter aux anges et à
leur Reine, qui a réputé comme fort honorables les couvres qu'ils croient
basses et dignes de mépris?
903. O mes soeurs , filles
de cette grande Reine, c'est à vous que je m'adresse, à vous qui êtes appelées
à suivre ses traces, et à entrer dans le palais du Roi avec une véritable joie
et allégresse (1); prenez
(1) Ps. XLIV, 16.
173
garde
de déchoir du titre glorieux de filles d'une telle Mère ! Que si elle, qui
était la Reine des anges et des hommes, s'abaissait aux couvres les plus
serviles, si elle balayait et se complaisait dans les emplois les plus
humiliants, comment une esclave osera-t-elle, pleine de fierté, de hauteur et
de vanité, paraître devant ses yeux et devant ceux de la divine Majesté, avec
son dédain pour ces sortes d'occupations? Bannissons ce désordre de notre
communauté, laissons-le aux habitants de la Babylone, faisons-nous un honneur
des choses pour lesquelles notre auguste Princesse a eu une si grande, estime;
rougissons de n'avoir pas les saintes contestations qu'elle eut avec les anges
touchant la pratique de l'humilité. Avançons-nous à l'envi dans cette vertu,
et causons à nos saints anges et fidèles compagnons cette émulation si
agréable à notre grande Reine, et à son très-saint Fils notre Époux.
904. Pour nous convaincre
que sans une humilité solide c'est une témérité de se complaire, sans
s'éprouver, aux consolations et aux douceurs spirituelles ou sensibles, et
qu'il y aurait folle présomption ù les désirer, nous n'avons qu'à considérer
notre divine Maîtresse, qui est l'exemplaire consommé de la vie sainte et
parfaite. Toutes les oeuvres serviles que cette auguste princesse faisait,
étaient accompagnées de faveurs et de délices célestes; car il arrivait
souvent que lorsqu'elle était en oraison avec son très-saint fils, les anges
leur chantaient avec une ravissante harmonie les hymnes et les cantiques que
la très-
174
pure
Mère avait elle-même composés à la louange de l’être infini de Dieu, et du
mystère de l'union hypostatique de la nature humaine en la personne divine du
Verbe. Afin de leur faire répéter ces cantiques à l'honneur de leur Créateur,
elle les engageait à chanter alternativement les versets et à composer de
nouveaux hymnes avec elle; et ces bienheureux esprits lui obéissaient, en
admirant la profonde sagesse qui éclatait dans les nouvelles strophes
qu'ajoutait leur grande Reine. Et lorsque son très-saint Fils se retirait pour
prendre son repos ou aux heures de son repas, elle leur prescrivait, comme
Mère de leur Créateur, de lui donner eu son nom un concert (car dans sa
tendresse elle se plaisait à le récréer), et le Seigneur l'acceptait quand la
très-prudente Mère l'ordonnait, pour seconder l'ardente charité et la
vénération avec lesquelles elle le servait dans ces dernières années. Il
faudrait beaucoup étendre ce discours, et avoir plus de capacité que je n'en
ai pour rapporter ce que j'ai appris à cet égard. On pourra se faire uni idée
de ces mystères sublimes par ce quo je viens d'en dire, et y trouver un motif
suffisant pour glorifier et bénir cette grande Dame, que toutes les nations
doivent connaître, et pour proclamer qu'elle est bénie entre toutes les
créatures (1), et quelle est la très-digne Mère du Créateur et ]Rédempteur du
monde.
(1)
Luc., I, 48.
Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.
905. Ma fille, avant que de
déclarer d'autres mystères, je veux que vous compreniez bien celui qui était
renfermé dans toutes les choses que le Très-Haut ordonna envers moi par
rapport à mon saint époux Joseph. Quand je l'eus épousé, sa divine Majesté me
prescrivit de changer l'ordre de mes repas et de mes autres actions
extérieures pour me conformer à son genre de vie, parce qu'il était chef, et
qu'en ce qui regarde la loi commune, je lui étais inférieure. Mon très-saint
Fils en fit de même, quoiqu'il fût Dieu véritable , pour s'assujettir selon
l'extérieur à celui que le monde croyait être son Père (lorsque nous
demeurâmes seuls après la mort de mon époux, et que nous n'eûmes plus sujet de
suivre cette règle de conduite, nous en adoptâmes une autre pour nos repas et
nos occupations); car cet adorable Seigneur voulut , non point que saint
Joseph s'accommodât à nous, mais que nous nous accommodassions à lui, comme
l'ordre commun de mon état le demandait; et il ne fit non plus aucun miracle
pour le délivrer de la nécessité de travailler et de manger pour vivre, parce
qu'il agissait en tout comme Maître des vertus, pour enseigner à tous ce qui
était le plus parfait, aux pères et aux enfants, aux supérieurs et aux
inférieurs. Aux pères comment ils doivent aimer leurs enfants, les aider, les
entretenir, les instruire,
176
les
corriger, et les conduire au salut sans aucune négligence. Aux enfants comment
ils doivent, de leur côté, aimer, estimer et honorer leurs parents, comme les
auteurs immédiats de leur vie et de leur être; leur obéir avec promptitude, de
sorte que les uns et les autres observent la loi naturelle et la loi divine
qui leur dictent ces obligations réciproques, dont la violation constitue un
horrible désordre. Les supérieurs doivent aimer et gouverner leurs inférieurs
comme leurs enfants; et ceux-ci leur doivent obéir sans résistance, bien
qu'ils fussent d'une plus haute naissance et qu'ils eussent de plus grandes
qualités que leurs supérieurs, parce que le supérieur est toujours plus grand
sous le rapport de la dignité par laquelle il représente Dieu; mais la
véritable charité doit rendre tous les hommes un (1).
906. Et afin que vous
acquériez cette grande vertu, je veux que vous vous accommodiez à vos soeurs
et à vos inférieures sans affectation, sans imperfection dans les manières, et
que vous les traitiez toujours avec la sincérité et la simplicité de la
colombe; priez quand elles prient, mangez et travaillez quand elles le font,
et prenez part à leurs récréations, puisque la plus haute perfection des
religieux et des religieuses est de suivre en tontes choses la vie commune; et
si vous la suivez, vous serez gouvernée par le Saint-Esprit, qui dirige les
communautés bien réglées. Tout en restant fidèle à ces principes, vous pouvez
faire
(1) Joan., XVII, 21.
177
des
progrès dans l'abstinence en mangeant moins que les autres, quoiqu'on vous
présente autant qu'à elles, et cela d'une manière secrète, sans vous
singulariser, en vous privant, pour l'amour de votre Époux et le mien, de ce
que vous préférez. Ne manquez jamais aux exercices de communauté, si vous n'en
êtes empêchée par quelque maladie grave, ou si vous n'êtes employée ailleurs
par l'ordre de vos supérieurs; assistez-y avec une révérence particulière,
avec une sainte crainte, avec beaucoup d'attention et de dévotion; car vous y
serez plusieurs fois visitée du Seigneur.
907. Je veux aussi que vous
remarquiez dans ce chapitre les précautions minutieuses que vous devez prendre
pour cacher les bonnes oeuvres que vous pourrez faire en secret à mon exemple;
car bien que je pusse les faire toutes en la présence de mon saint époux
Joseph, sans inconvénient ni danger, je leur donnais néanmoins ce degré de
perfection et de prudence qui les rend plus louables. Mais il ne faut pas que
vous preniez ce soin à l'égard des actions communes et des, choses
obligatoires par lesquelles vous devez donner bon exemple, sans en cacher la
lumière; car on pourrait, en y manquant, mériter de justes reproches et ne
faire que scandaliser. En ce qui concerne les autres bonnes oeuvres que l'on
peut pratiquer en secret et dérober à la vue des créatures, on ne les doit pas
légèrement exposer au danger de la publicité et de l'ostentation. Ainsi vous
pourrez vous prosterner souvent dans votre solitude à mon imitation ;
178
vous
humilier et adorer la suprême Majesté du Très-Haut, afin que le corps mortel,
qui appesantit lame (1), soit offert comme un sacrifice agréable pour expier
les rébellions dont il s'est rendu coupable contre la raison et la justice,
afin qu'il n'y ait rien en vous qui ne soit consacré au service de votre
Créateur et divin Époux, et que ce même corps répare en quelque sorte par là
les grandes pertes qu'ira fait subir à l'âme, n la privant de tant de biens
par ses passions et par ses défauts terrestres.
908. Tâchez dans ce dessein
de dompter ce rebelle , et faites en sorte que les avantages qu'on lui procure
ne servent qu'à mieux le tenir sous l'empire de l'Aine, sans satisfaire ses
penchants et ses convoitises. Travaillez à le réduire en servitude et à le
faire mourir à tout ce qui flatte les sens, jusqu'à ce quo les choses
nécessaires à la vie lui soient plutôt une peine salutaire qu'un dangereux
plaisir. Et quoique je vous aie parlé ailleurs du prix de la mortification et
des humiliations, vous serez maintenant mieux persuadée par mon exemple de
l'estime que vous devez faire du moindre acte d'humilité et de renoncement. Je
vous ordonne ici de n'en dédaigner atteint comme insignifiant, et de regarder
le moindre comme un trésor inappréciable que vous devez acquérir. Il faut que
vous en fassiez l'objet de vos plus ardents désirs, vous employant avec zèle à
balayer, à laver la vaisselle, à faire les choses les plus basses dit
monastère et à servir
(1) Sap., IX, 15,
179
les
malades, comme je vous l'ai prescrit en d'autres occasions. Vous me prendrez
pour modèle en toutes ces actions, afin que mon exemple vous anime à pratiquer
gaiement l'humilité, et vous cause de la honte si vous y manquez. Car si cette
vertu fondamentale m'a été si nécessaire pour me faire trouver grâce devant le
Seigneur (quoique je ne l'eusse jamais offensé), et s'il a fallu que je
m'humiliasse afin que sa divine droite m'élevât, combien plus de raison
n'avez-vous pas de vous abîmer dans votre propre néant, vous qui avez été
conçue dans le péché (1), et qui l'avez si souvent offensé? Humiliez-vous
jusqu'au centre de la terre, et reconnaissez que vous avez mal employé l’être
que le Très-Haut vous a donné; de sorte que l’être même que vous en avez reçu
vous doit servir à vous humilier davantage si vous voulez trouver le trésor de
la grâce.
(1) Sap., IX, 15.
180
CHAPITRE XVIII. On y raconte de nouveaux mystères, et les différentes
occupations de notre grande Reine et de son très-saint Fils, pendant le temps
qu'ils vécurent seuls, avant qu'il commençât à prêcher.
909. La plupart des
mystères qui se passèrent entre Jésus et Marie sont réservés pour être aux
bienheureux dans le ciel le sujet d'une joie accidentelle, comme je l'ai
marqué ailleurs. Les plus ineffables s'accomplirent dans le cours des quatre
années qu'ils demeurèrent seuls dans leur maison après l'heureuse mort de
saint Joseph, jusqu'à ce que cet adorable Seigneur commençât à prêcher. Il est
impossible qu'aucune créature mortelle puisse dignement pénétrer des secrets
si profonds; dès lors combien moins me sera-t-il possible, avec mon
ignorance., de rapporter ce que j'en ai appris? On en découvrira la cause par
ce que je dirai. L'âme de notre Seigneur Jésus-Christ était un miroir
très-clair et sans tache, où sa très-sainte Mère (ainsi qu'on l'a vu plus
haut) regardait et connaissait tous les mystères que ce divin Seigneur
préparait, comme chef et fondateur de la sainte Église, Rédempteur de tout le
genre humain, maître du salut éternel, et comme Ange du grand conseil,
exécutant
181
le
dessein que la très-sainte Trinité avait conçu et décrété de toute éternité
dans son sacré consistoire.
910. Notre divin Sauveur
consacra toute sa vie à l'agencement de cette grande oeuvre que son Père
éternel lui avait recommandé d'accomplir avec la suprême perfection qu'il
pouvait lui donner comme homme et Dieu tout ensemble; et à mesure que cet
adorable Seigneur s'approchait du terme et de la dispensation d'un si haut
mystère, la force de sa sagesse et l'efficace de son pouvoir augmentaient
aussi et rehaussaient tous ses actes. Le coeur de notre auguste Reine était le
témoin et le dépositaire très-fidèle de toutes ces merveilles, et elle
coopérait en tout avec son très-saint Fils, comme sa coadjutrice, dans les
œuvres de la rédemption du genre humain. Cela étant, il est sûr que pour
connaître entièrement la sagesse avec laquelle cette divine Mère agissait en
la dispensation des mystères de cette même rédemption, il faudrait aussi
pénétrer ce que renfermaient la science de notre Sauveur Jésus-Christ, les
couvres de son amour, et la prudence avec laquelle il disposait les moyens
convenables aux fins très-sublimes qu'il s'était proposées. Ainsi, dans le peu
que je dirai des oeuvres de l'incomparable Marie, je présupposerai toujours
celles de son très-saint Fils, auxquelles elle coopérait en l'imitant comme
son exemplaire.
911. Le Sauveur du monde
était alors dans sa vingt-sixième année; et comme sa très-sainte humanité
tendait à atteindre par son développement naturel le
182
terme
de la perfection, ce divin Seigneur gardait une admirable correspondance en la
manifestation de ses œuvres chaque jour plus grandes, comme plus proches de
notre rédemption. L'évangéliste saint Luc a renfermé tout ce mystère en ce peu
de paroles, par les quelles il a terminé son chapitre second (1): Jésus
croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes. La
bienheureuse Mère connaissait ces progrès de son adorable Fils, y participait
et y coopérait, sans que rien lui ait été caché de ce que pouvait lui
communiquer, à elle simple créature, le Seigneur Dieu et homme. Dans la
pénétration de ces divins et mystérieux secrets, notre grande Dame comprit,
ces années-là, comment son Fils, du trône de sa sagesse, étendait
non-seulement la vue de sa Divinité incréée, mais aussi celle de son âme
très-sainte sur tous les mortels à qui devait s'appliquer la rédemption; du
moins d'une manière suffisante; comment il considérait en lui-même le prix de
la rédemption et la valeur infinie que le Père éternel donnerait aux mérites
du Rédempteur, descendu du ciel pour fermer aux hommes les portes de l'enfer
et les conduire à la vie éternelle, en souffrant les douleurs de la passion et
de la mort la plus cruelle; comment enfin il prévoyait que ceux mêmes. qui
naîtraient après qu'il aurait été attaché à la croix pour leur salut feraient
encore tous leurs efforts, dans leur stupide endurcissement, pour agrandir les
portes de la mort : pauvres aveugles qui
(1) Luc., II, 52.
183
ignorent combien sont horribles et épouvantables les tourments de l'enfer.
912. Ces réflexions et ces
prévisions plongèrent l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ dans une telle
désolation, dans de telles angoisses, qu'elle en sua du sang (comme ce lui
était arrivé en d'autres occasions); mais, au milieu de ces peines
intérieures, l'adorable Sauveur continuait toujours les prières qu'il faisait
pour tous ceux qui devaient être rachetés, et, afin de témoigner son
obéissance au Père éternel, il soupirait avec un très-ardent amour après le
moment où il pourrait s'offrir comme une victime agréable pour la rédemption
des hommes, sachant que si tous n'allaient pas profiter de l'efficace de ses
mérites et de son sang, du moins la justice divine serait satisfaite,
l'offense à la Divinité réparée, et l'équité de cette même justice manifestée
au temps dé la punition , qui était destinée de toute éternité pour les
incrédules et pour les ingrats. Notre auguste Princesse, pénétrant tous ces
mystères, s'associait à son très-saint Fils par les peines qu'elle ressentait
et par les réflexions qu'elle faisait dans sa rare sagesse; et elle éprouvait
en outre une tendre compassion comme mère, en voyant le fruit de son sein
virginal en proie à une si cruelle affliction. Le coeur percé d'une douleur
indicible, cette très-douce colombe versa maintes fois des larmes de sang,
lorsqu'une sueur de sang ruisselait sur les membres du Sauveur : car il n'y
eut que son adorable Fils et elle qui pussent dignement estimer toutes ces
choses et les peser au poids du sanctuaire,
183
mettant dans l'un des bassins la valeur de la mort d'un Dieu crucifié pour
fermer les portes de l'enfer, et dans l’autre la dureté et l'aveuglement des
mortels, qui s'obstinent à se précipiter dans les abîmes de la mort éternelle.
913. Ces angoisses de la
très-amoureuse Mère allaient jusqu'à la faire tomber dans des défaillances
presque mortelles, et elles l'eussent été sans doute si la vertu divine ne
l'eût fortifiée pour lui conserver la vie. Notre aimable Sauveur, voulant
récompenser l'extrême fidélité de son amour et sa compassion, ordonnait aux
saints anges de la consoler et de la soutenir lorsqu'elle se trouvait en cet
état; ou bien de lui chanter une musique, céleste, composée de cantiques de
louange qu'elle-même avait faits à la gloire de la divinité et de l'humanité
de cet adorable Seigneur. Quelquefois il la soutenait lui-même entre ses bras,
et lui faisait alors connaître de nouveau que cette funeste loi du péché et dé
ses effets ne s'étendait pas sur elle. D'autres fois, pendant qu'elle était
ainsi appuyée, les mêmes anges, dans un saint transport, la charmaient par un
doux concert, et elle était ravie en de divines extases dans lesquelles elle
recevait de grandes et nouvelles influences de la Divinité; c'était alors que
l'élue, l'unique et la parfaite se trouvait appuyée sur la main gauche de
l'humanité (1), pendant qu'elle était caressée et embrassée parla droite de la
Divinité (2) : c'était alors que son très-amoureux
(1) Cant., II, 6. — (2) Ibid., 7
185
Fils
et divin Époux conjurait les filles de Jérusalem, et leur ordonnait en même
temps de ne point éveiller sa bien-aimée (1) jusqu'à ce qu'elle s'éveillât
d'elle-même de ce sommeil qui la guérissait des maux de l'amour; c'était aussi
alors que les esprits célestes la contemplaient avec admiration s'élevant
au-dessus de tous, appuyée sur son bien-aimé Fils; et, la voyant à sa droite
(2) ornée de tant de diverses perfections, ils la bénissaient et l'exaltaient
entre toutes les créatures.
914. Notre grande Reine
apprenait en d'autres occasions des secrets très-profonds sur la
prédestination des élus par les mérites de la rédemption; comme ils étaient
écrits dans le souvenir éternel de son très-saint Fils; la manière dont sa
divine Majesté leur appliquait ses mérites et priait pour eux, afin que le
prix dé leur rachat fût efficace, et comment l'amour et la grâce, dont les
réprouvés se rendaient indignes, se tournaient vers les prédestinés selon leur
disposition. Elle discernait comment, parmi eux le Seigneur appliquait sa
sagesse et ses soins à ceux qu'il devait appeler à l'apostolat et à le suivre,
et comment il les enrôlait en son entendement et en sa science impénétrable
sous l'étendard de la croix, afin qu'ils le portassent ensuite par le monde;
car, ainsi qu'un bon général combiné et prévoit toutes choses dans son esprit
avant que d'entreprendre une conquête ou de livrer une bataille décisive,
distribue les emplois et assigne les postes, d'après un plan bien conçu, aux
(1) Cant., VIII, 4. — (2) Ps., XLIV, 10
186
plus
vaillants soldats et aux plus habiles officiers de son armée, employant chacun
selon ses qualités; de même notre Rédempteur Jésus-Christ, voulant commencer
la conquête du monde et dépouiller le démon de sa possession tyrannique,
rangeait d'avance, des hauteurs de la personne du Verbe, la nouvelle milice
qu'il allait lever, et distribuait dans sa pensée les emplois, les grades et
les postes qu'il destinait à ses braves capitaines; de sorte que tous les
préparatifs de cette guerre étaient déterminés en sa sagesse et en sa volonté
suivant le plan qu'il devait exécuter.
915. La très-prudente Mère
découvrait tout cela, et elle reçut par infusion la connaissance d'un grand
nombre de prédestinés, spécialement des apôtres, des disciples, et de la
plupart de ceux qui furent appelés en la primitive Église, et ensuite dans le
cours de son développement. Quand elle vit les apôtres et les autres fidèles,
elle les connaissait déjà avant que de les avoir fréquentés, par les notions
surnaturelles qu'elle avait puisées en Dieu; et comme notre divin Maître avait
prié pour eux et demandé leur vocation avant de les appeler, notre auguste
Princesse fit aussi les mêmes prières dans ce but. De sorte que cette Mère dé
la grâce contribua en sa manière à tous les secours et à toutes les faveurs
que les apôtres obtinrent avant que d'ouïr et de connaître leur Maître, pour
se trouver ensuite disposés à recevoir la vocation qu'il en devait faire à
l'apostolat. Et comme alors le temps de la prédication de cet adorable Sauveur
s'approchait, il priait pour eux avec plus d'instance, et leur envoya
187
de
plus grandes et plus fortes inspirations. Les prières de notre divine Dame
furent aussi alors et plus ferventes et plus efficaces, et quand plus tard les
disciples et les autres fidèles venaient en sa présence, et se mettaient à
suivre son Fils, elle lui disait: « Voici, mon Fils et mon Seigneur, le fruit
de vos ardentes prières et de votre sainte volonté. » Et elle faisait des
cantiques de louange et de reconnaissance, parce qu'elle voyait le désir du
Seigneur accompli, et que ceux que sa divine Majesté avait choisis et tirée du
monde (1), venaient se rendre dans son école.
916. L'auguste Reine
restait souvent absorbée dans la respectueuse considération de ces merveilles,
qu'elle admirait avec des actions de grâces et avec Une joie inexprimables,
faisant dans son âme des actes sublimes d'amour, et adorant les profonds
jugements du Très-Haut; tout embrasée de ce feu qui sortait de la Divinité
pour se répandre sur la terre et enflammer le monde, elle disait parfois au
fond de son coeur très-ardent; et parfois à haute et intelligible voix: «
O amour infini ! O volonté d'une bonté ineffable et immense ! Comment
est-ce que les mortels ne vous connaissent point ? Comment peuvent-ils vous
mépriser et vous oublier? Pourquoi vos bienfaits doivent-ils être si mal
payés? O afflictions ! ô soupirs ! ô gémissements ! peines, désirs, prières de
mon bien-aimé, plus précieux que les perles, que l'or et que tous les trésors
du monde! Qui sera si
(1) Joan., XV, 19.
188
ingrat
et si malheureux que de vouloir vous mépriser? O enfants d'Adam! que ne
puis-je mourir plusieurs fois pour chacun de vous, pour vous tirer de votre
ignorance, pour amollir votre dureté, et pour empêcher votre perte! » Après
des affections et des prières si ardentes, l'heureuse Mère s'entretenait de
tous ces mystères avec son Fils, qui la consolait en lui renouvelant le
souvenir de l'estime qu'elle s'était acquise devant le Très-Haut, de la grâce
et de la gloire des prédestinés, et de leurs grands mérites en comparaison de
l'ingratitude et de la dureté des réprouvés. Il lui représentait surtout
l'amour qu'elle-même savait que sa Majesté et la très-sainte Trinité lui
portaient, et la satisfaction que donnaient aux personnes divines sa
correspondance et sa pureté immaculée.
917. Quelquefois ce même
Seigneur la prévenait de ce qu'elle devrait faire lorsqu'il commencerait à
prêcher, comment elle devrait coopérer avec sa Majesté, et l'aider en toutes
les oeuvres et au gouvernement de la nouvelle Église, et comment elle devrait
supporter les fautes des apôtres, le renoncement de saint Pierre,
l'incrédulité de saint Thomas, la trahison de Judas, et plusieurs autres
choses qu'elle prévoyait. Dès lors notre charitable Dame résolut de faire tous
ses efforts pour ramener ce traître disciple, et c'est ce qu'elle exécuta
comme je le dirai en son lieu. Le principe de la perdition de Judas vint
d'avoir méprisé les faveurs de la Mère de la grâce, et d'avoir conçu une
certaine indévotion à son égard. Cette auguste
189
Princesse fut instruite de tous ces mystères par son très-saint Fils. Et il
renferma en elle tant de grandeur, de sagesse et de science divine, qu'il
n'est pas possible d'en apprécier les richesses ; car cette science ne pouvait
être surpassée que par celle du Seigneur lui-même, et elle surpassait tous les
séraphins et tous les chérubins. Mais si notre Sauveur et sa très-pure Mère
employèrent tous ces dons de science et de grâce en faveur des mortels; si un
seul soupir de notre Seigneur Jésus-Christ était d'un prix inestimable pour
toutes les créatures, et si les soupirs de sa digne Mère, sans être d'une
aussi grande valeur, Farce qu'ils étaient d'une simple créature et d'une
moindre excellence, valaient néanmoins en l'acceptation du Seigneur plus que
tout ce que pourrait offrir le reste de la nature créée, quel retourne
devons-nous pas à tant de bienfaits! Maintenant qu'on y ajoute et qu'on
récapitule tout ce que le Fils et la Mère ont encore fait pour nous,
non-seulement la mort de notre aimable Sauveur sur une croix après tant de
tourments inouïs, mais ses prières, ses larmes et ses sueurs de sang si
fréquentes, et en même temps la coopération constante et universelle de la
Mère de miséricorde, la coadjutrice en tout cela, et en tant d'autres choses
que nous ignorons, et toujours pour notre bien. O ingratitude des hommes! O
dureté de coeurs de chair, plus impénétrable que celle du diamant! Avons-nous
perdu le sens? Avons-nous perdu la raison? D'où vient que notre nature
infectée du péché se laisse attendrir par les objets sensibles, et estime ce
qui la précipite
190
dans
la mort éternelle, et qu'elle oublie l'incomparable faveur de la rédemption,
insensible à la passion du Seigneur, qui lui offre par elle la vie et le pos,
dont la durée doit être éternelle.
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
918. Ma fille, il est sûr
que, quand vous et tous les hommes ensemble vous emprunteriez le langage des
anges, vous ne sauriez rapporter les bienfaits dont m'a comblée la droite du
Très-Haut pendant les dernières années que mon très-saint Fils demeura avec
moi. Ces œuvres du Seigneur ont une espèce d'incompréhensibilité qui les rend
ineffables pour vous et pour tous les mortels; mais je veux qu'à cause de la
connaissance particulière que vous avez reçue de mystères si profonds, vous
exaltiez et bénissiez le Tout-Puissant potir ce qu'il a fait à mon égard, et
de ce qu'il m'a ainsi tirée de la poussière pour m'élever à une si haute
dignité et à des prérogatives si sublimes. Et quoique votre amour envers mon
Fils et mon Seigneur doive être libre, comme celui d'une fille très-fidèle et
d'une épouse très-amoureuse, et non point d'une esclave mercenaire et
contrainte (1), je veux néanmoins, pour animer votre faiblesse et votre
espérance,
(1) I Petr.. II, 3.
191
que
vous vous souveniez de la suavité de l'amour divin, et combien le Seigneur est
doux pour ceux qui le craignent avec une affection filiale. Ah ! ma très-chère
fille, que de délices, que de faveurs découleraient sur les hommes de sa main
libérale, s'ils ne contrariaient par leurs péchés l'inclination de son infinie
bonté! Dans votre manière de vous représenter les choses, vous devez le
regarder comme violenté et affligé par la ,résistance que les mortels opposent
à ce désir si extraordinairement impérieux; et ils poussent l'ingratitude si
loin, que non- seulement ils s'accoutument à se rendre indignes de goûter la
douceur du Seigneur, mais ils ne veulent pas même croire que d'autres
reçoivent les faveurs qu'il voudrait communiquer à tous.
919. Faites aussi en sorte
d'être bien reconnaissante des travaux continuels que mon très-saint Fils
s'est imposés pour les hommes, et de la part que j'ai prise à ses souffrances.
Les catholiques pensent assez souvent à sa passion et à sa mort, parce que la
sainte Église ne cesse de les leur rappeler, quoiqu'il y en ait fort peu qui
songent à en témoigner leur reconnaissance; mais il y en a encore moins qui
considèrent les autres choses que mon Fils et moi avons faites, et que sa
divine Majesté n'a pas perdu un seul moment où elle n'ait employé sa grâce et
ses dons en faveur des hommes, qu'elle voulait racheter de la damnation
éternelle et rendre participants de sa gloire. Ces ouvres de mon Seigneur et
Dieu incarné déposeront de l'ingratitude et de la dureté des fidèles, surtout
au
192
jour
du jugement. Si, étant éclairée comme cous l'0tes de cette lumière du
Très-Haut et de mes instructions, vous manquez à la reconnaissance, votre
confusion sera d'autant plus grande que votre faute aura été plus lourde. Vous
avez à correspondre non-seulement à tant de bienfaits généraux, mais aussi aux
particuliers que vous découvrez chaque jour. Tubez dès maintenant d'éviter ce
danger de l'ingratitude; correspondez aux grâces, comme ma fille et là
disciple de mon école, et ne différez pas un instant à pratiquer le bien, et
ce qui sera le plus parfait, s'il est en votre pouvoir de le faire. Profitez
de la lumière intérieure, et prenez en tout les avis de vos supérieurs et des
ministres du Seigneur, et soyez assurée que si vous usez des faveurs du
Très-Haut, sa divine Majesté vous en accordera d'autres plus grandes, et vous
comblera de ses richesses et de ses trésors.
CHAPITRE XIX. Notre seigneur Jésus-Christ dispose les esprits à sa
prédication, et donne quelque connaissance de la venue du Messie. — Sa
très-sainte mère contribue à cette préparation, et l'enfer commence à se
troubler.
920. Le feu de la divine
charité, qui brûlait dans le coeur de Jésus-Christ, était comme enfermé et
contraint
193
avec
une espèce de violence jusqu'au temps marqué et opportun où il devait éclater
en rompant le vase sacré de sa très-sainte humanité, on en ouvrant ce même
coeur parle moyen de la prédication et des miracles dont les hommes devaient
être les témoins. Et comme on ne saurait cacher le feu dans son sein, comme
dit Salomon (1), sans voir ses vêtements se consumer; de même notre Sauveur
découvrit toujours plus ou moins celui qu'il avait, dans son cœur, parce qu'il
s'en échappait certaines étincelles qui brillèrent dans toutes les oeuvres
qu'il fit dès l'instant de son incarnation : mais il était toujours comme
couvert et comprimé en comparaison de l'incendie qu'il devait allumer, et des
flammes immenses qu'il cachait. Cet adorable Seigneur était déjà arrivé à la
parfaite adolescence, et, se trouvant dans sa vingt-septième année, il semble,
selon notre manière de concevoir, qu'il ne pouvait plus tant résister à
l'impétuosité de son amour, et au désir qu'il avait d'obéir promptement à son
Père éternel et de sanctifier les hommes. Il fatiguait beaucoup, il priait, il
jeûnait, il se montrait plus souvent en public, et conversait davantage avec
tes mortels; il passait beaucoup de nuits entières en oraison dans les
montagnes, et quelquefois il restait deux ou trois jours hors de sa maison
sans rentrer auprès de sa très-sainte Mère.
921. Notre très-prudente
Dame, qui s'apercevait, aux fréquentes sorties que faisait son très-saint
Fils,
(1) Prov., VI, 27.
194
que le
moment de ses peines et de ses travaux approchait, avait l'âme transpercée
d'un glaive de douleur à la pensée des souffrances que sa pieuse affection
prévoyait; et dans cet état elle était toute pénétrée des divines flammes et
embrasée de tendresse et d'amour pour son bien-aimé. Durant ces absences, les
courtisans du ciel l'assistaient sous une forme visible, et, leur exprimant
les afflictions de son coeur, elle les priait d'aller trouver son Fils, et de
lui rapporter ensuite des nouvelles de ses occupations. Les saints anges
obéissaient à leur Reine, et elle profitait souvent des détails qu'ils lui
donnaient pour imiter notre Rédempteur en ses prières et en ses exercices,
sans pourtant sortir de sa retraite. Quand ce divin Seigneur retournait, elle
le recevait à genoux , l'adorait et lui rendait des actions de grâces pour les
faveurs qu'il avait faites aux pécheurs. Elle le servait et l'entourait des
soins les plus délicats, comme une amoureuse mère, et lui préparait un frugal
repas, dont la très-sainte humanité avait besoin à cause de sa réalité et de
sa passibilité, car il lui arrivait quelquefois de passer deux ou trois jours
sans manger ni dormir. La bienheureuse Mère connaissait alors les peines et
les fatigues de notre Sauveur par les voies que j'ai indiquées ailleurs, et
l'adorable Seigneur lui en faisait aussi le récit et l'entretenait des choses
qu'il ménageait, et des grâces secrètes qu'il avait communiquées à plusieurs
âmes en les éclairant des lumières particulières sur la divinité et sur la
rédemption des hommes.
922. Étant instruite de la
sorte, elle dit à son très
195
saint
Fils: « Mon Seigneur, souverain bien des âmes, lumière de mes yeux, je vois
que le très- ardent amour que vous avez pour les hommes ne vous permet point
de cesser un seul moment de travailler à leur salut éternel; c'est
l'occupation propre de votre charité, c'est l'oeuvre que votre Père éternel
vous a recommandée. Il faut que vos paroles et vos actions, qui sont d'un prix
inestimable, attirent les coeurs d'une foule de personnes; mais, ô mon très
doux amour, je voudrais bien que tous les mortels suivissent vos attraits et
répondissent à vos charitables soins. Voici, Seigneur, votre servante toute
prête à s'employer à ce qui vous sera le plus agréable, et à donner sa vie,
s'il est nécessaire, afin que les désirs de votre coeur embrasé d'amour soient
accomplis en tous les hommes, et que tout serve à les faire entrer en votre
grâce et en votre amitié. » La Mère de miséricorde fit cette ogre à son
très-saint Fils, mue par la force de son ardente charité, qui la portait à
procurer et à désirer le fruit des oeuvres et de la doctrine de notre
Rédempteur et véritable Maître; et comme cette très-sage Dame en faisait une
juste appréciation et en connaissait la valeur, elle aurait voulu que toutes
les haies en eussent fait leur profit, en y correspondant avec la
reconnaissance qu'elles méritaient. Elle aspirait, par cette charité
ineffable, à aider le Seigneur, ou, pour mieux dire,. les hommes qui devaient
ouïr ses divines paroles et être témoins de ses œuvres, afin, qu'ils
répondissent à ce bienfait, et qu'ils ne perdissent point l'occasion d'user de
ce divin
196
remède. Elle aspirait aussi à rendre de dignes actions de grâces au Seigneur
(comme elle le faisait effectivement) pour les oeuvres merveilleuses qu'il
opérait en faveur des âmes, afin que toutes ses grâces fussent reconnues, tant
celles qui étaient efficaces que celles qui ne l'étaient pas par la faute des
hommes. Notre auguste Peine acquit par là des mérites ineffables; car elle eut
une espèce de participation très-sublime en toutes les oeuvrés de notre
Seigneur Jésus Christ, non-seulement du côté de la cause par laquelle elle y
concourait, c'est-à-dire par la coopération de sa charité, mais aussi du côté
des effets, attendu que cette grande Dame opérait avec chacune des âmes, comme
si elle-même avait en quelque sorte reçu le bienfait qui lui était accordé. Je
m'étendrai davantage sur cette matière dans la troisième partie.
923. Le Sauveur répondant à
l'offre de son amoureuse Mère , lui dit : « Ma Mère, le temps s'approche
auquel il faut, selon la volonté de mon père éternel, que je commence à
disposer quelques coeurs afin qu'ils reçoivent la lumière de ma
doctrine, et qu'ils sachent que le temps déterminé et propice pour le
salut du genre humain est arrivé. Je veux qu'à mon
exemple vous contribuiez à cette oeuvre. Priez on Père d'éclairer et
d'exciter les coeurs des mortels par sa divine lumière, afin qu'ils reçoivent
avec une intention droite la connaissance que je leur donnerai
maintenant de la venue de leur Rédempteur et de leur Maître. » Par cet
avertissement de notre Seigneur Jésus-Christ, sa bienheureuse
197
Mère
se prépara à le suivre dans ses voyages comme elle le souhaitait. Et dès ce
jour-là elle l'accompagna presque toutes les fois qu'il sortait de Nazareth.
924. Le Seigneur s'appliqua
plus fréquemment à cette mission trois ans avant de commencer à prêcher, et
avant de recevoir et d'établir le baptisme, et accompagne de notre grande
Reine, il parcourut à différentes reprises les villages circonvoisins de
Nazareth et les terres de la tribu de Nephthali, comme l'a prédit Isaïe (1),
et divers autres endroits. Il se mit dès lors à annoncer aux hommes la venue
du Messie, les assurant qu'il était déjà an monde et qu'il se trouvait dans le
royaume d'Israël. Il communiquait cette nouvelle lumière aux mortels sans leur
découvrir qu'il fût Celui qu'on attendait; car le premier témoignage qui le
déclara Fils du Père éternel fût celui que le même l'ère donna en public,
quand il dit sur le Jourdain : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je
me plais uniquement (2). Mais cet adorable Sauveur, sans révéler
expressément sa dignité, commenta à en parler en général, comme racontant une
chose qu'il savait de science certaine; et saris faire de miracles publics ni
d'autres démonstrations éclatantes, il accompagnait cet enseignement et ces
témoignages de secrètes inspirations et de secours intérieurs, qu'il répandait
dans les coeurs de ceux avec qui il conversait; c'est ainsi qu'il les
préparait par cette foi commune à la recevoir après en particulier avec plus
de facilité.
(1) Isa., IX, 1. — (2) Matth., III, 17.
198
925. Il s'insinuait près
des hommes qu'il connaissait par sa divine sagesse être disposés à recevoir la
semence de la vérité. Il représentait aux plus ignorants les signes de la
venue du Messie, que tous avaient pu observer dans l'arrivée des rois mages,
dans la mort des innocents (1), et en d'autres faits semblables. Il alléguait
aux plus savants les témoignages des prophéties qui étaient déjà accomplies,
en leur déclarant cette vérité comme leur unique Maître; de sorte qu'il
prouvait par toutes ces choses que le Messie était en Israël, et leur
découvrait en même temps le royaume de Dieu et le chemin pour y arriver Et
comme on remarquait en sa divine personne une beauté, une grâce, une
mansuétude sans égales, et dans ses paroles une douceur admirable, une secrète
vertu et une merveilleuse efficace, comme d'ailleurs une mystérieuse influence
fortifiait ces impressions, les résultats que produisait cet enseignement
étaient vraiment prodigieux; car beaucoup d'âmes sortaient du péché, d'antres
amendaient leur conduite, et toutes en grand nombre étaient initiées aux plus
hauts mystères, et apprenaient notamment que le Messie qu'on attendait était
déjà parmi les israélites.
926. Notre divin Maître
ajoutait plusieurs autres oeuvres d'une grande miséricorde à celles dont nous
venons de parler, car il consolait les affligés , soulageait les misérables,
visitait les malades, animait les
(1) Matth., II, 1, 16.
199
lâches, donnait des conseils salutaires aux ignorants assistait ceux qui
étaient à l'agonie; il rendait secrètement la santé du corps à plusieurs,
remédiait à de grandes nécessités, et conduisait tous ceux avec qui il
conversait par les voies de la vie et de la paix véritable. Tous ceux qui
l'abordaient ou l'écoutaient avec une pieuse intention et sans préjugés,
étaient remplis de lumière et de dons de la puissante droite de sa divinité;
et il n'est. pas possible de raconter les couvres admirables qu'il fit pendant
ces trois années qui précédèrent son baptême et à sa prédication publique ; il
faisait toutes ces oeuvres d'une manière très-secrète, de sorte que, sans
découvrir qu'il fût l'auteur du salut, il le communiquait à un très-grand
nombre d'âmes. L'auguste Vierge était présente à presque toutes ces
merveilles, comme, témoin et coadjutrice très-fidèle du Maître de la vie; et
comme tout lui était découvert, elle coopérait à tout et en rendait de justes
actions de grâces au nom de ces mêmes personnes favorisées de la divine
miséricorde. Elle adressait des cantiques de louange au Tout-Puissant, elle
priait pour les âmes, comme en connaissant l'intérieur et les besoins, et par.
ses prières elle leur procurait une foule de bienfaits. Elle-même en exhortait
aussi plusieurs, elle les conseillait, les attirait à la doctrine de son Fils
et leur annonçait la venue du Messie; toutefois elle instruisait plus souvent
les femmes que les hommes, exerçant à leur égard les mêmes rouvres de
miséricorde que son très-saint Fils pratiquait envers ces derniers.
200
927. Peu de gens, dans ces
dernières années, accompagnaient le Sauveur et sa très-sainte
Mère, parce qu'il n'était pas encore temps de les appeler à sa suite,
et de leur exposer sa doctrine ;ainsi le Seigneur les laissait en leurs
maisons, instruits et perfectionnés par sa divine lumière. Mais les saints
anges formaient leur cortége ordinaire, et les servaient comme de très-fidèles
sujets et des ministres très-diligents ; et quoique. Jésus et Marie
rentrassent souvent dans leur humble demeure durant ces excursions, néanmoins
les jours qu'ils sortaient de Nazareth, ils avaient un plus grand besoin du
ministère des courtisans du ciel, car ils passaient plus d'une nuit en plein
air, aux champs, dans une oraison continuelle , et alors les anges leur
servaient comme d'abri pour les garantir jusqu'à un certain point des
inclémences de la saison, et quelquefois ils leur apportaient leur frugale
nourriture, quelquefois encore le même Seigneur et sa très-sainte Mère la
demandaient par aumône, et ils ne l’acceptaient qu'en nature, sans vouloir
recevoir de l'argent ni aucun autre présent. Quand ils se séparaient pour
quelque peu de temps, ce qui arrivait lorsque le Seigneur allait visiter les
hôpitaux, et que la sainte Vierge se rendait auprès de femmes malades, alors
elle était toujours accompagnée d'un très-grand nombre d'anges en forme
visible, et par leur intermédiaire elle faisait diverses oeuvres de charité ,
et était informée de celles que son très-saint Fils faisait de son côté Je ne
m’arrête pas à particulariser ici les merveilles qu'ils opéraient,
201
ni les
peines et les incommodités qu'ils souffrirent dans les chemins, dans les
hôtelleries et dans mille circonstances où l'ennemi commun déployait tous ses
efforts pour empocher leurs bonnes couvres; il suffit de savoir que le Maître
de la vie et sa très-sainte ibère étaient pauvres et pèlerins, et qu'ils
choisirent le chemin des souffrances, sans en refuser aucune, pour
notre salut.
928. Notre divin Maître
communiquait en la manière secrète que j'ai dite cette connaissance de sa
venue au monde à toutes sortes de personnes, et c'est ce que sa très-sainte
Mère faisait aussi de son côté; mais les pauvres furent les privilégiés dans
la dispensation de ce bienfait. (1) , parce qu'ils sont d'ordinaire mieux
disposés, comme ayant moins de péchés, et par conséquent de plus grandes
lumières, et cela parce que leur âme est débarrassée des soucis et des
troubles qui empêchent de recevoir ces mêmes lumières et de profiter de la
doctrine évangélique. Ils sont aussi plus humbles, plus dociles et plus
enclins aux actions vertueuses ; et comme notre Seigneur Jésus-Christ n'usait
point publiquement de son autorité de Maître pendant ces trois années, et
qu'il n'enseignait pas alors sa doctrine en manifestant sa puissance et en la
confirmant par des miracles, i1 se communiquait davantage aux humbles et aux
pauvres, qui se rendent plus facilement à la vérité. Néanmoins l'ancien
serpent observait avec une attention inquiète
(1) Luc., VII, 22.
202
la
plupart des oeuvres de Jésus et de Marie, car elles ne lui furent pas toutes
cachées, quoiqu'il ne découvrit point le pouvoir en vertu duquel ils les
faisaient. Il reconnut que par leurs exhortations beaucoup de pécheurs
embrassaient la pénitence, amendaient leur vie et secouaient son joug
tyrannique, que d'autres faisaient de rapides progrès dans la vertu, et ainsi
cet ennemi commun remarquait un grand changement en tous ceux qui écoutaient
le Maître de la vie.
929. Ce qui le troubla
davantage fut ce qui arrivait à plusieurs personnes qu'il tâchait d'abattre à
l'heure de la mort sans pouvoir en venir à bout; car comme ce cruel et rusé
dragon attaque les âmes en cette dernière heure avec un redoublement de rage,
il arrivait souvent que s'il avait abordé le malade, et qu'ensuite notre
Seigneur Jésus-Christ ou sa très-sainte Mère entrassent dans sa chambre, il se
sentait précipité avec tous ses ministres, par une force irrésistible, au fond
des abîmes éternels; que si Jésus et Marie étaient entrés auparavant dans
l'appartement du malade, alors les démons ne pouvaient s'en approcher, et
n'avaient sur lui aucune prise. Et comme cet ennemi de nos âmes subissait la
vertu divine et en ignorait la cause, il entra dans une très-violente fureur
et résolut de se venger de cette défaite. Je dirai au prochain chapitre ce qui
s'ensuivit.
203
Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse.
930. Ma fille, je vois que
la connaissance que je vous donne des oeuvres mystérieuses de mon très-saint
Fils et des miennes, vous fait vous étonner de ce qu'étant si propres à
toucher les coeurs des mortels, il y en ait beaucoup qui sont restées cachées
jusqu'à présent. Au lieu d'être surprise de ce que les hommes ignorent de ces
mystères, vous devez plutôt l'être de ce qu'ayant connu tant de choses de la
vie et des oeuvres du Sauveur, ils s'en souviennent si peu et les méprisent
avec tant d'ingratitude. S'ils n'étaient point si endurcis, s'ils
considéraient avec attention et avec goût les vérités divines, ils
trouveraient de puissants motifs de reconnaissance en ce qu'ils ont appris de
la vie de mon Fils et de la mienne. On pourrait convertir des mondes entiers
par les articles de la foi catholique et par tant de vérités divines que la
sainte Église leur enseigne, puisque les hommes savent, grâce à cet
enseignement, que le Fils unique du Père éternel a pris la nature de l'esclave
en se revêtant d'une chair mortelle (1), pour les racheter par la mort de la
croix, et qu'il leur a acquis la vie éternelle en sacrifiant sa vie
temporelle, pour les retirer de la mort de l'enfer. Si les hommes faisaient de
sérieuses réflexions sur ce bienfait, sils n'étaient pas si ingrats
(1) Philip., II, 7.
204
envers
leur Dieu , leur Rédempteur, et si cruels envers eux-mêmes, personne ne
perdrait l'occasion de faire son salut, et ne s'exposerait sui supplices
éternels. Soyez donc surprise, après cela, ma très-chère fille, de la dureté
des hommes, et pleurez la perte lamentable de tant d'insensés et de tant
d'ingrats, qui ne se souviennent ni de bien, ni de ce qu'ils lui doivent, ni
de leurs propres intérêts.
931. Je vous al dit en
d'autres endroits que le nombre de ces malheureux réprouvés est si grand , et
le nombre de ceux qui, se sauvent si petit, qu'il n'est pas convenable de le
spécifier davantage; car si vous approfondissiez ce terrible secret, étant,
connue vous l'étés, véritable fille de l'Église et épouse fidèle. de
Jésus-Christ, mon Fils et mon Seigneur, cous en mourriez de douleur. Ce que
vous pontez savoir, est que cette perte de tant d’âmes, les maux que souffre
le peuple chrétien de la part des gouverne monts, et les autres choses qui
l'affligent, tant les chefs que les membres de ce corps mystique, qui comprend
les ecclésiastiques et les séculiers, tout cela vient de ce que l’on oublie et
méprise la vie de Jésus-Christ et les oeuvres de la rédemption du genre
humain. Si les uns et les autres prenaient à cet égard quelques moyen pour
réveiller leur souvenir et leur gratitude, et qu’ils agissent comme des
enfants fidèles et reconnaissants à leur Créateur et Rédempteur, et à moi qui
suis leur avocate, ils apaiseraient l'indignation du juste Juge, ils
trouveraient quelque remède à ces grands fléaux qui pèsent sur les
catholiques, et
205
ils
adouciraient le courroux du Père éternel , qui défend avec justice l'honneur
de son Fils, et qui punit plus rigoureusement les serviteurs qui , sachant la
volonté de leur Seigneur, ne l'accomplissent pas.
932. Les fidèles aggravent
fort clans la sainte Église le crime que les Juifs incrédules ont commis en
faisant mourir leur Dieu et leur Maître. Assurément il fut énorme, et il
devait leur attirer le châtiment auquel ils ont été condamnés; mais les
catholiques ne remarquent pas que leurs péchés sont accompagnés de
circonstances particulières qui les rendent plus odieux que les attentats dont
se sont rendus coupables les Juifs. En effet, leur ignorance, quoique
criminelle, leur dérobait en définitive la vérité, et c'est alors que le
Seigneur les abandonna et les livra à la puissance des ténèbres (1) , à
laquelle les Juifs étaient assujettis à cause de leurs infidélités. Les
catholiques n'ont point aujourd'hui cette ignorance: au contraire ils se
trouvent au milieu de la lumière, par laquelle ils connaissent et pénètrent
les mystères divins de l'incarnation et de la rédemption; la sainte Église est
fondée, répandue, illuminée par les merveilles du Seigneur, par les saints,
par les Écritures; elle connaît et confesse les vérités que les Juifs
incrédules n'ont pas aperçues. Nonobstant cette plénitude de faveurs, de
science et de lumière, beaucoup d'enfants de l'Église vivent comme des
infidèles, ou compte s'ils n'avaient point sous les yeux tant de motifs
capables
(1) Luc., XXII, 53.
206
de les
émouvoir et de les pousser au bien, et tant de châtiments propres à les
intimider et à les détourner du mal. Comment donc dans ces conditions, les
catholiques peuvent-ils s'imaginer qu'il y ait eu d'autres péchés plus grands
que les leurs? Comment ne craignent-ils point que leur punition ne soit plus
terrible? O ma fille ! faites-y de sérieuses réflexions, soyez dans une sainte
crainte, humiliez-vous profondément, et reconnaissez-vous pour la plus petite
des créatures devant le Très-Haut. Considérez les couvres de votre Rédempteur
et de votre Maître. Appliquez-les à votre justification avec douleur et
pénitence de vos péchés. Imitez-moi et suivez mes- traces, comme vous les
connaissez en la divine lumière. Je veux que vous travailliez non-seulement
pour vous, mais aussi pour vos frères, et ce doit être en priant et en
souffrant pour eux, en instruisant avec charité ceux que vous pourrez
instruire, et en suppléant par cette même charité à l'impossibilité où vous
pourrez être de rendre ce bon office à votre prochain. Tâchez de témoigner
plus d'ardeur à procurer le bien de ceux qui vous auront offensée , supportez
leurs défauts avec douceur, humiliez-vous au-dessous, de toutes les créatures,
prenez un grand soin d'assister comme il vous a été ordonné ceux qui ont
besoin de secours à l'heure de la mort, et faites-le avec une charité fervente
et avec une ferme confiance.
207
CHAPITRE XX. Lucifer assemble un conciliabule dans l’enfer pour y proposer de
traverser les oeuvres de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa très-sainte
Mère.
933. L'empire tyrannique de
Lucifer n'était pas si paisible dans le monde après l'incarnation du Verbe,
qu'il l'avait été dans les siècles précédents ; car dès lors que le Fils du
Père éternel fut descendu du ciel, et eut pris chair humaine dans le sein
virginal de la très-pure Marie, ce fort armé (1) sentit tout à coup l'action
nouvelle, inconnue, énergique, d'une puissance supérieure qui le dominait et
le terrassait, comme on l'a vu plus haut, il éprouva depuis la même chose
lorsque l'Enfant Jésus et sa Mère entrèrent dans l'Égypte, comme je l'ai aussi
marqué; et cette même vertu divine vainquit ce dragon dans plusieurs autres
occasions par l'organe de notre grande Reine. Le souvenir de ces événements
accrut l'étrange impression qu'il ressentit à la vue des couvres que notre
Sauveur commença à opérer, et que nous avons racontées dans le chapitre
précédent, et tout cela joint ensemble inspira
(1) Luc., XI, 21.
208
des
frayeurs extraordinaires à cet ancien serpent, et lui fit soupçonner la
présence dans le monde d'une nouvelle et redoutable puissance. Mais comme ce
mystère de la rédemption du genre humain lut était si caché, il se démenait
dans sa fureur et dans ses doutes, sans pouvoir découvrir la vérité, quoique
depuis sa chute du ciel, il n'eût cessé de chercher dans des alarmes
continuelles, à connaître quand et comment le Verbe éternel descendrait pour
prendre chair humaine; car c'était ce que l'orgueil du rebelle craignait le
plus. Et ce fut cette inquiétude qui le força à convoquer toutes les
assemblées que j'ai indiquées dans cette histoire, et que j'indiquerai dans la
suite.
934. Or, cet ennemi se
trouvant rempli de confusion pour ce nui arrivait et à lui et à ses ministres
par Jésus et Marie, se mit à se demander par quelle vertu ils le repoussaient,
lorsqu'il tâchait de séduire les malades et les agonisants, et à réfléchir
aussi sur les autres choses qui arrivaient par le secours de la Reine du ciel;
et comme il ne parvenait point à eu découvrir le secret, il résolut de
conseiller ses principaux ministres des ténèbres qui, étaient les plus
consommés en ruse et en malice. Il poussa un hurlement horrible dans l'enfer,
tel que les démons emploient pour se faire entendre entre eux, et par ce cri
il les convoqua tous, comme lui étant subordonnés; et quand ils furent tous
assemblés, il leur dit : « Mes ministres et mes compagnons, qui avez
toujours suivi ma juste rébellion, vous savez que dans le premier état où le
Créateur de toutes choses nous avait placés,
209
nous
le reconnûmes pour la cause universelle de tout notre être, et que, comme tel,
nous l’honorâmes; mais lorsqu'il nous ordonna, au préjudice de notre beauté et
de notre grandeur, qui a un si grand rapport, avec sa Divinité, d'adorer et de
servir la personne du Verbe en la nature humaine qu'il voulait prendre, nous
résistâmes à sa volonté; car quoique j'avouasse que je lui devais cet honneur
comme Dieu, comme homme, d'une nature vile et si inférieure à la mienne, je ne
pus souffrir de lui être soumis, et je me plaignis de voir que le Très-Haut ne
fit pas pour mol ce qu'il déterminait de faire pour cet homme. Il ne nous
commanda pas seulement de l'adorer, mais il nous ordonna aussi de reconnaître
pour notre supérieure une femme qui devait être une simple créature terrestre,
et qu'il devait choisir pour être sa mère. Je ressentis ces injures aussi bien
que vous; nous nous y opposâmes et résolûmes de résister à cet ordre, et c'est
pour cela que nous fûmes punis par le malheureux état où nous nous trouvons,
et par les peines que nous souffrons. Quoique nous connaissions ces vérités,
et que nous les confessions ici avec terreur entre nous (1), il ne faut pas
pourtant le faire devant les hommes; et c'est ce que je vous prescris, afin
qu'ils ne puissent pas connaître notre ignorance , non plus que notre
faiblesse.
935. « Mais si cet
Homme-Dieu qu'on attend, et sa mère doivent causer notre ruine, il est certain
que
(1) Jacob., II, 19.
210
leur
venue au monde sera notre plus cruel tourment et le sujet de notre plus grande
rage; c'est pour cela que je dois faire tous mes efforts pour l'empêcher et
pour les détruire, quand même il me faudrait bouleverser tout l'univers. Vous
savez combien jusqu'à présent j'ai été invincible, puisqu'une si grande partie
du monde est soumise à mon empire et à ma volonté, et trompée par mes ruses.
Je vous ai pourtant vus depuis quelques années repoussés et domptés en
plusieurs occasions; je vois que vos forces s'amoindrissent, et moi-même je
subis l'influence d'une puissance supérieure, qui m'intimide et en quelque
sorte m'enchaîne. J'ai parcouru plus d'une fois avec vous tous les recoins de
la terre, pour tâcher d'y découvrir le fait nouveau auquel on pourrait
attribuer cet affaiblissement et cette oppression que nous sentons. Je ne
crois pas que ce Messie promis au peuple choisi de Dieu ait paru, car
non-seulement nous ne le trouvons en aucun endroit du monde, mais aucun indice
certain ne semble annoncer sa venue; nous ne voyons nulle part ce bruit, cet
éclat, cette pompe , qui marquerait sa présence parmi les hommes. Néanmoins je
crains que le temps de sa descente du ciel n'approche; ainsi il faut que nous
déployions toute notre activité et toute notre fureur pour le détruire et pour
perdre la femme qu'il choisira pour être sa mère. Si quelqu'un de vous se
distingue par son zèle, je lui témoignerai une plus grande reconnaissance. Je
trouve jusqu'à présent des péchés, et les effets de ces mêmes péchés, en tous
les hommes; je ne découvre en aucun la majesté et la
211
grandeur dont se revêtira le Verbe incarné quand il se manifestera à eux, et
qu'il les obligera tous à D'adorer et à lui offrir des sacrifices. Ce sera là
la marque infaillible de son avènement au monde; et le caractère distinctif de
sa personne auquel nous pourrons le reconnaître , ce sera d'être exempt du
péché et des effets que produit le péché chez les enfants d'Adam.
936. « C'est pour ces
raisons, poursuivit Lucifer, que ma confusion est plus grande. : car si le
Verbe éternel n'est pas descendu sur la terre, je ne puis découvrir la cause
des choses insolites que nous sentons, ni deviner de qui cette force qui nous
abat peut sortir. Qui nous a chassés de toute l'Égypte? Qui a renversé les
temples et ruiné les idoles de ce pays, dont tous les habitants nous
adoraient? Qui nous traverse maintenant dans le pays de Galilée et dans les
lieux circonvoisins, et nous empêche d'aborder une foule de gens à l'heure de
leur mort pour les pervertir? Qui tire du péché tant d'hommes qui sortent de
notre juridiction, et fait que d'autres améliorent leur vie et se plaisent à
s'entretenir du royaume de Dieu? Si le mal continue, nous sommes menacés d'une
grande perte, et de nouveaux tourments peuvent résulter pour nous de cette
cause que nous ne parvenons pas à connaître. Il faut donc y remédier, et
chercher encore s'il se trouve dans le mondé quelque grand prophète ou saint
qui commence à nous persécuter; pour moi, je n'en ai découvert aucun à qui je
puisse attribuer une si grande vertu ni tant de pouvoir. C'est seulement
contre cette femme, notre ennemie, que j'ai une haine
212
mortelle, surtout depuis que nous l'avons persécutée dans le Temple, et
ensuite depuis qu'elle est partie de sa maison de Nazareth : car nous avons
été toujours vaincus et renversés par la vertu qui l'environne; elle nous a
résisté par cette même vertu avec une force invincible, et a toujours triomphé
de notre malice; je n'ai jamais pu sonder son intérieur ni la toucher en sa
personne. Cette femme a un fils; elle assista avec lui à la mort de son père,
et il nous fut à tous impossible d'approcher de l'endroit où ils se
trouvaient. Ce sont des gens pauvres et méprisés; c'est une femmelette tout à
fait vulgaire et qui mène une vie cachée; je crois pourtant que le fils et la
mère sont justes, car j'ai toujours tâché de les incliner aux vices qui sont
communs aux hommes, et il ne m'a jamais été possible d'exciter en eux le
moindre des désordres et des mouvements vicieux qui sont si ordinaires et si
naturels en tous les autres. Je vois que le Dieu tout-puissant me cache l'état
de ces deux âmes; et puisqu'il m'empêche de découvrir si elles sont justes ou
pécheresses, il y a là sans doute quelque mystère caché contre nous; et
quoique l'état de quelques autres âmes nous ait aussi été caché en d'autres
occasions, il fa été rarement, et moins que dans le cas actuel. Que si cet
homme n'est pas le Messie promis, du moins le Fils et la Mère seront justes,
et par conséquent nos ennemis; et il n'en faut pas, davantage pour que nous
les persécutions, et que nous travaillions à les abattre et à découvrir qui
ils sont. Suivez-moi tous dans cette entreprise avec une grande
213
confiance, car je serai le premier à les attaquer.
937. Lucifer acheva par
cette exhortation son long discours, dans lequel il proposa aux démons
plusieurs autres raisons et plusieurs desseins remplis de méchanceté qu'il
n'est pas nécessaire de raconter ici, puisque je dois traiter encore de ces
secrets dans la suite de cette histoire, pour mieux faire connaître les ruses
de ces esprits rebelles. Ce prince des ténèbres sortit incontinent de l'enfer,
suivi de légions innombrables de démons qui, se répandant par tout le monde,
le parcoururent plusieurs fois pour observer, avec toute la finesse de leur
malice, les justes qui y vivaient, tentant ceux qu'ils purent découvrir, et
les provoquant, aussi bien que plusieurs autres personnes, à des iniquités
conçues par ces méchants ennemis; mais la sagesse de notre Seigneur
Jésus-Christ cacha à l'orgueil de Lucifer et de ses compagnons sa personne et
celle de sa très-sainte Mère durant plusieurs jours; de sorte qu'il ne permit
point qu'ils les vissent et les connussent jusqu'à ce que sa Majesté se rendit
au désert, où il allait consentir à être tenté après y avoir gardé un fort
long jeûne; et alors Lucifer le tenta, comme je le dirai en son lieu.
938. Quand ce conciliabule
fut assemblé dans l'enfer, notre divin Maître Jésus-Christ, à qui rien n'était
caché, fit une prière particulière au Père éternel contre la malice du Dragon,
et dans cette circonstance, entre plusieurs autres prières, il dit : « Dieu
éternel, mon Père, je vous adore et j'exalte votre être infini et
immuable; je vous confesse pour l’immense et
214
souverain bien; je m'offre à votre volonté en sacrifice pour vaincre les
forces infernales, et pour renverser les desseins pervers que ces esprits
rebelles forment contre mes créatures; je combattrai pour elles contre mea
ennemis et les leurs; je leur laisserai, par les oeuvres que je ferai et par
les victoires que je remporterai sur le Dragon, des armes pour le vaincre, et
je leur apprendrai par mon exemple comment elles doivent lutter contre lui, et
par là j'affaiblirai sa malice et le rendrai moins capable de blesser ceux qui
me serviront avec sincérité. Défendez les âmes, ô mon Père, des tromperies et
de la cruauté de l'ancien serpent et de ses sectateurs, et accordez aux
justes, par mon intercession et par ma mort, la puissante vertu de votre
droite, afin qui ils triomphent de tous les dangers et de toutes les
tentations. » Notre grande Reine eut en même temps connaissance de la
méchanceté et des conseils de Lucifer, car elle vit en son très-saint Fils
tout ce qui se passait, aussi bien que la prière qu'il faisait; et, s'unissant
à lui comme coadjutrice de ses triomphes, elle fit la même prière au Père
éternel. Le Très-Haut l'exauça, et dans cette occasion Jésus et Marie
,obtinrent de grands secours et de magnifiques promesses pour ceux qui
combattraient contre le démon en invoquant les noms de Jésus et de Marie; de
sorte que ceux qui les prononceront avec respect et avec foi terrasseront les
ennemis infernaux et les chasseront bien loin par le mérite des prières que
notre Sauveur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère firent, et par celui
215
des
victoires qu'ils remportèrent. Après la protection qu'ils nous ont offerte et
qu'ils nous donnent contre ce superbe géant; après ce remède et tant d'autres
dont ce divin Seigneur a enrichi. sa sainte Église, nous ne saurions trouver
aucune excuse si nous ne combattons courageusement pour vaincre le démon,
comme l'ennemi de Dieu et le nôtre, profitant, autant qu'il nous sera
possible, de l'exemple de notre Sauveur pour remporter cette victoire.
Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.
939. Ma fille, pleurez
amèrement, et ayez une douleur continuelle de voir la dureté, l'obstination et
l’aveuglement des mortels, qui ne veulent pas apprécier la protection
amoureuse qu'ils trouvent en mon très-doux Fils et en moi dans toutes leurs
nécessités. Cet aimable Seigneur n'a épargné aucun soin ni perdu aucune
occasion pour leur acquérir des trésors inestimables. Il a déposé pour eux
dans son Église le prix infini de ses mérites et le fruit essentiel de ses
douleurs et de sa mort; il leur a laissé des gages assurés de son amour et de
sa gloire; il leur a donné des moyens très-faciles et très-efficaces pour
jouir et profiter de tous ces biens, et les appliquer à leur salut éternel. Il
leur offre en outre sa protection. et la mienne; il les aime comme ses
enfants, les caresse
216
comme
ses favoris, les appelle par de douces inspirations, les excite par des
bienfaits et par des richesses solides. Père plein d'indulgence, il les
attend; bon pasteur, il les cherche; ami puissant, il les assiste;
rémunérateur généreux, il les comble de dons infinis; Roi des rois, il les
gouverne. Et quoique la foi leur découvre toutes ces faveurs et mille autres,
que l'Église leur en rafraîchisse le souvenir, et qu'ils les aient devant les
yeux, ils ne laissent pourtant pas de les oublier et de les mépriser. Ils
aiment les ténèbres comme des aveugles qu'ils sont, et se livrent à la rage de
leurs ennemis jurés, dont vous connaissez les excès. Ils prêtent l'oreille aux
flatteries empoisonnées de ces esprits malins, cèdent à leurs conseils
pervers, ajoutent foi à leurs tromperies et se prêtent stupidement à la haine
implacable avec laquelle le cruel dragon ne cesse de travailler à leur mort
éternelle, parce qu'ils sont les ouvrages du Très-Haut, qui l'a vaincu et
terrassé.
940. Considérez avec
attention, ma très-chère fille, cette lamentable erreur des enfants des
hommes, et débarrassez vos puissances, afin que vous pénétriez la différence
qu'il y a entre Jésus-Christ et Bélial. Car la distance de l'un à l'autre est
infiniment plus grande que celle du ciel à la terre. Jésus-Christ est la
véritable lumière, le chemin assuré et la vie éternelle (1); il aime
constamment ceux qui le suivent, il leur promet la jouissance de sa vue et de
sa compagnie; et en cette jouissance le repos éternel, que l'oeil n'a point
(1) Joan., XIV, 6.
217
vu,
que l'oreille n'a point ouï et que les hommes n'ont point conçu (1). Lucifer
n'est que ténèbres, qu'erreur, tromperie, malheur et mort; il abhorre ses
sectateurs, il entraîne de toutes ses forces à tout ce qui est mal, et finira
par les faire tomber dans les feux éternels et condamner à des supplices
effroyables. Les mortels peuvent-ils maintenant dire qu'ils ignorent ces
vérités dans la sainte Église, qui les leur enseigne et représente tous les
jours? Et s'ils les croient et les confessent, où est leur jugement? Qui les
en a privés? Qui leur a fait perdre le souvenir de l'amour qu'ils ont pour
tout ce qui les regarde? Qui les rend si cruels à eux-mêmes? O folie des
enfants d'Adam, qu'on ne saurait jamais assez approfondir ni assez déplorer!
Est-il possible qu'ils emploient toute leur vie à s'embarrasser dans leurs
propres passions et à suivre la vanité, pour se jeter dans des flammes
inextinguibles, courir à leur perte et se livrer à une mort éternelle, comme
si tout cela n'était que bagatelle, et que mon très-saint Fils ne fût pas venu
du ciel pour mourir sur une croix et pour leur mériter la délivrance de tant
de maux! Qu'ils considèrent le prix de leur rédemption, et ils sauront quelle
estime ils doivent faire de ce qui a tant coûté à Dieu, à celui qui le connaît
sans exagération.
941. Le péché des idolâtres
et des païens n'est pas aussi grand en cette funeste erreur, et le Très-Haut
est moins irrité contre eux que contre les enfants de
(1) Isa., LXIV, 4.
218
l’Église, qui ont connu la lumière de cette vérité : et s'ils en sont si peu
pénétrés dans le siècle présent, il faut qu'ils sachent que c'est par leur
propre faute, et pour avoir donné un si facile accès à leur infatigable ennemi
Lucifer, qui déploie plus de malice dans les efforts qu'il fait pour obscurcir
en eux cette lumière que dans toutes ses autres attaques, et qui ne cesse
d'exciter les hommes à rompre tout frein, afin qu’après avoir perdu le
souvenir de leur dernière fin et des peines éternelles dont ils sont menacés,
ils s'abandonnent comme les brutes aux plaisirs sensibles, qu'ils s'oublient
eux-mêmes, qu'ils usent leur vie à la poursuite des biens apparents, et qu'ils
descendent en un moment dans l'enfer, comme dit Job (1), et comme il arrive
effectivement à une infinité d'insensés qui rejettent et abhorrent ces
vérités. Pour vous, ma fille, suivez ma doctrine; ne vous laissez point aller
à ces illusions pernicieuses et à cet oubli commun des gens du siècle. Faites
souvent retentir à vos oreilles ces tristes plaintes des damnés, qui
commenceront dès la fin de leur vie, c'est-à-dire dès leur entrée dans la mort
éternelle: O insensés que nous étions, la vie des, justes nous paraissait une
folie! Et cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et leur
partage est avec les saints! Nous nous sommes donc égarés de la voie de la
vérité et de la justice. Le soleil ne s'est point levé pour nous. Nous nous
sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition;
(1) Job., XXI, 13.
219
nous
avons marché dans des chemins après, et nous avons ignoré par notre faute la
voie du Seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil? Qu'avons-nous tiré de la
vaine ostentation des richesses? Toutes ces choses sont passées pour nous
comme l'ombre. Ob! si nous ne fussions jamais nés (1)! Voilà, ma fille, ce que
vous devez craindre et repasser souvent dans votre esprit, en considérant,
avant que vous alliez sans espérance d'aucun retour, comme dit Job (2), en
cette terre ténébreuse des cavernes éternelles, le mal que vous devez fuir et
le bien que vous devez pratiquer. Appliquez-vous à vous-même dans l'état de
voyageuse, et par amour, ce que les damnés disent par désespoir et à force de
tourments
CHAPITRE XXI. Saint Jean reçoit de grandes faveurs de la très-pure Marie. — Le
Saint-Esprit lui ordonne d'aller prêcher. — Il envoie une croix qu'il avait à
la divine Reine, avant que d'exécuter cet ordre.
962. J'ai raconté dans
cette seconde partie quelques-unes des faveurs que l'auguste Marie fit à sa
cousine sainte Élisabeth, et à saint Jean, étant en
(1) Liv. de la Sagesse. V, 4, etc. — (2) Job., X, 21.
320
Égypte
à l'époque où Hérode résolut de faire mourir les Innocents; j'ai dit aussi que
ce précurseur de Jésus-Christ demeura dans le désert après la mort de sa mère,
sans le quitter jusqu'au temps déterminé par la divine sagesse, menant une vie
plus angélique qu'humaine, et ressemblant plus à un séraphin qu'à un homme
terrestre. Sa conversation était avec les anges et avec le Seigneur de
l'univers; et dans ce saint commerce, qui occupait tousses moments, loin
d'être jamais oisif, il continuait incessamment l'exercice du divin amour et
des vertus sublimes qu'il avait commencé dans le sein de sa mère, sans que la
grâce fût en lui oisive un seul instant, et sans qu'il négligent de donner à
ses œuvres cette plénitude de perfection qu'il put leur communiquer par le
secours de cette même grâce. Il ne fut non plus jamais distrait par les sens ,
qu'il avait détournés des objets terrestres, et qui sont ordinairement les
fenêtres par où la mort, déguisée sous les images de la beauté trompeuse des
créatures, entre dans l'âme. Et comme ce saint précurseur fut si heureux que
d'être prévenu de la divine lumière avant que de jouir de celle du soleil
matériel, il renonça par le secours de la première à tout ce que la seconde
lui présentait; de sorte que sa vue intérieure resta immobilement fixée sur le
plus noble objet, sur l'être de Dieu et ses perfections infinies.
943. Les faveurs que saint
Jean obtint de la divine droite dans sa solitude sont au-dessus de tout ce que
l'entendement humain peut concevoir; et nous ne
221
connaîtrons sa grande sainteté et ses très-excellents mérites que lorsque nous
jouirons clairement de la vue du Seigneur, et que nous verrons la récompense
qu'il en a reçue. Et comme il n'est pas du sujet de cette histoire de
m'étendre sur ce que j'ai connu de ces mystères, et que les saints docteurs
ont fait mention dans leurs écrits des hautes prérogatives du divin
précurseur, je ne dirai ici que ce qui regardera directement notre auguste
Maîtresse, de qui notre saint solitaire reçut les bienfaits les plus
considérables. Ce n'en fut pas un petit que de lui envoyer sa nourriture par
le ministère des anges , comme je l'ai dit ailleurs, jusqu'à ce qu'il eût
atteint sa septième année. Dès cet âge jusqu'à celui de neuf ans, elle ne lui
envoya que du pain, et à cette dernière époque ce bienfait de notre divine
Dame cessa, parce qu'elle sut que, conformément aux désirs du saint lui-même,
la volonté du Seigneur était qu'il vécût de racines, de sauterelles et de miel
sauvage (1). Telle fut la nourriture du Précurseur jusqu'à ce qu'il commençât
à prêcher; mais quoique l'auguste Vierge ne lui fournit plus de provisions,
elle n'en continua pas moins à lui envoyer ses anges pour le visiter de sa
part, pour le consoler, et pour lui donner connaissance soit. de ses
occupations, soit des merveilles que le Verbe incarné opérait. Toutefois, il
ne recevait jamais qu'une visite semblable par semaine.
944. Entre plusieurs autres
fins que cette grande
(1) Matth., III, 4.
222
faveur
pouvait avoir, elle fut nécessaire à saint Jean pour qu'il pût supporter la
solitude. Ce n'est pas que l'horreur du désert et l'austérité de sa vie lui
inspirassent du dégoût, car son admirable sainteté et la grâce qu'il avait,
suffisaient pour les lui rendre fort agréables; mais il était convenable qu'il
jouit de cette faveur, afin que le très-ardent amour qu'il portait à notre
Seigneur Jésus-Christ et à sa très-sainte Mère ne lui fit pas trouver tant
d'amertume dans la privation de leur conversation et de leur présence, après
lesquelles il soupirait à cause de sa sainteté et à cause de sa
reconnaissance. Il est certain que cette privation lui eût été plus rude que
de souffrir les inclémences du temps, les jeûnes, les pénitences et toutes les
horreurs du désert , si notre auguste Princesse et sa très-amoureuse tante ne
la lui eût adoucie par les fréquentes visites des anges qu'elle lui envoyait
afin qu'ils lui donnassent des nouvelles de son bien-aimé. Notre saint
solitaire leur en demandait souvent du Fils et de la Mère avec les amoureux
empressements de l'épouse (1). Il leur adressait des affections et des soupirs
qui partaient d'un coeur blessé de leur amour et de leur absence, et priait la
Reine du ciel par l'organe de ses ambassadeurs d'adorer le Sauveur en son nom
, et de le supplier de lui envoyer sa bénédiction. Cependant il l'adorait
lui-même en esprit et en vérité dans le désert où il était. Il faisait aussi
la même prière aux anges qui le visitaient
(1) Cant., I, 6.
223
et aux
autres qui l'assistaient. C'est au milieu de ces occupations habituelles que
le grand Précurseur entra dans sa trentième année, le pouvoir divin le
préparant au ministère pour lequel il l'avait choisi.
945. Le temps que la
Sagesse éternelle avait déterminé arriva auquel la voix du Verbe incarné, qui
était Jean, se devait faire entendre dans le désert, comme dit Isaïe (1), et
selon que les évangélistes le racontent (2). La quinzième année du règne de
Tibère César, Anne et Caïphe étant pontifes, le Seigneur mit sa parole dans la
bouche de Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Et il alla sur les bords du
Jourdain, prêchant le baptême de pénitence nécessaire à la rémission des
péchés, afin de préparer les coeurs à recevoir le Messie promis et attendu
depuis tant de siècles, et afin de le montrer du doigt pour que tous pussent
le reconnaître. Saint Jean entendit cette parole et ce commandement du
Seigneur en une extase dans laquelle il fut éclairé par une influence spéciale
du pouvoir divin, et prévenu avec abondance par le Saint-Esprit de nouveaux
dons de lumière, de grâce et de science. Il connut dans ce ravissement, avec
une plus grande plénitude de sagesse, les mystères de la rédemption, et il eut
une vision abstractive de la Divinité; mais cette vision fut si admirable,
qu'elle le transforma en un nouvel être de sainteté et de grâce. Le Seigneur
lui ordonna dans cette même
(1) Isa., XL, 3. — (2) Matth., III, 3; Luc., III,1,
etc.
224
vision
de sortir du désert pour préparer les hommes par sa prédication à celle du
Verbe; incarné, d'exercer l'office de précurseur, et de s'employer à tout ce
qui regardait son accomplissement, car il fut instruit de tout et reçut une
très-abondante grâce pour tout.
946. Le nouveau
prédicateur, sortit du désert ayant un habit de peau de chameau et une
ceinture de cuir sur les reins, sans aucune chaussure. Il avait le visage
exténué, un air majestueux, une modestie admirable, une humble gravité, un
courage invincible, un coeur enflammé de charité pour Dieu et pour les hommes.
Ses paroles étaient vives, sévères et ardentes comme des étincelles d'un
foudre parti du puissant bras de Dieu et de son être immuable et divin; il
était doux aux humbles, terrible aux superbes, admirable aux anges et aux
hommes, formidable aux pécheurs, horrible aux démons, et si éminent eu son
ministère, qu'il était comme l'organe du Verbe incarné, et tel qu'il fallait à
ce peuple hébreu, endurci, ingrat et obstiné, gouverné par des magistrats
idolâtres et conduit par des prêtres avares et orgueilleux , sans lumière,
sans prophètes, sans piété,
sans crainte de Dieu, après tant de châtiments et de calamités que ses péchés
lui avaient attirés, pour lui ouvrir les yeux et le coeur dans ce misérable
état, afin qu'il reconnût et reçût son Rédempteur et son Maître.
947. Le saint anachorète
Jean avait depuis plusieurs années une grande croix, qu'il avait placée su
chevet de son pauvre lit; il s'en servait dans divers
225
exercices de pénitence, et s'y étendait ordinairement pour prier dans la
position d'un homme crucifié. Il ne voulut point laisser ce trésor dans le
désert, et avant de le quitter il l'envoya à la Reine du ciel par les mêmes
anges qui le visitaient de sa part; et il les pria de lui dire que cette croix
avait été la plus douce et la plus agréable compagne qu'il eût eue dans sa
longue solitude, et qu'il la lui offrait comme un riche présent, à cause de ce
qui y devait être opéré; que c'était là le motif pour lequel elle avait été
fabriquée; et que les mêmes anges lui avaient dit aussi que son très saint
Fils et le Sauveur du monde priait souvent sur une croix semblable, qu'il
gardait à cet effet dans son oratoire. Les anges avaient été les artisans de
celle de saint Jean; ils la formèrent à sa demande d'un arbre de ce désert,
car le saint n'avait point les forces qu'exigeait un pareil ouvrage, non plus
que les outils, dont les anges n'avaient pas besoin à cause du pouvoir qu'ils
ont sur les choses corporelles. Les princes célestes apportèrent ce présent à
leur Reine, et elle le reçut avec une douleur très-douce et une douceur
très-amère , qu'elle ressentait dans le plus profond de sou très-chaste coeur,
repassant en son esprit les: mystères qui devaient être opérés en si peu de
temps sur ce bois impitoyable; et lui adressant quelques paroles remplies de
tendresse, elle le mit dans le lieu qui lui servait d'oratoire, où elle le
garda tonte sa vie avec l'autre croix du Sauveur; et dans la suite la
très-prudente Dame laissa ces précieux gages avec d'autres reliques aux
apôtres comme un héritage
296
inestimable ; et ils les portèrent en diverses, provinces, où ils prêchèrent
l'Évangile.
948. J'eus un doute sur cet
événement mystérieux, et je l'exposai à la Mère de la Sagesse, en lui disant :
« Reine du ciel, très-sainte entre les saints, et choisie entre toutes les
créatures pour être la Mère de Dieu, j'ai une difficulté, femme ignorante et
grossière que je suis, à propos de ce que je viens d'écrire; et si vous me le
permettez; je vous la proposerai, mon auguste Princesse, qui êtes la Maîtresse
de la Sagesse, et qui avez bien voulu par votre bonté exercer cet office
envers moi, en dissipant mes ténèbres, et en m'enseignant la doctrine de la
vie éternelle et du salut. Mon doute vient de ce que j'ai appris, que
non-seulement saint Jean, mais vous-même aussi aviez la croix en vénération,
avant que votre très-saint Fils y mourût; et cependant j'ai toujours cru
qu'elle servait de potence pour punir les malfaiteurs, jusqu'à ce que notre
rédemption eût été opérée sur le sacré bois, et que pour ce sujet elle était
regardée comme ignominieuse et digne de mépris; et d'ailleurs la sainte Église
nous enseigne que la croix doit toute sa gloire à la mort que notre Seigneur
Jésus-Christ y a soufferte, et au mystère de la rédemption du genre humain
qu’il y a opéré. »
227
Réponse et instruction que j'ai reçues de la Reine du ciel.
949. Ma fille, je répondrai
avec plaisir à votre doute. Il est vrai que la croix était, comme vous dites,
ignominieuse (1) avant que mon Fils et mon Seigneur l'eût honorée et
sanctifiée par sa passion et par sa mort, et c'est pour cela qu'on lui doit
maintenant l'adoration que la sainte Église lui rend ; et si quelque personne,
ignorant les mystères et les raisons que eus aussi bien que saint Jean, eût
prétendu adorer la croix avant la rédemption dit genre humain, elle serait
tombée dans l'erreur, et aurait commis une idolâtrie, parce qu'elle aurait
adoré ce qu'elle savait n’être pas digne d'une véritable adoration. Mais nous
eûmes, nous, différentes raisons : l’une , c'est que nous envisagions avec une
certitude infaillible ce que notre Rédempteur devait opérer sur la croix ;
l'autre, c'est qu'avant d'achever ce grand oeuvre de la rédemption, il avait
commencé sanctifier ce sacré signe par son attachement, lorsqu'il y priait et
s'y offrait volontairement à la mort; car le Père éternel avait accepté les
oeuvres et la mort future; de mon très-saint Fils par un décret et une
approbation immuable; et il est certain que la moindre action, le moindre
contact du Verbe incarné étaient d’un prix
(1) Deut., XXI, 23.
228
infini; or, c'est par ce contact qu'il sanctifia ce sacré bois, et qu'il le
rendit diane d'honneur; ainsi, quand je le révérais aussi bien que saint Jean
, c'était en vue de ce mystère et de cette vérité, de sorte que nous
n'adorions pas la croix pour elle-même ni dans le bois qui en faisait la
matière, attendu qu'on ne lui devait point l'adoration de latrie, jusqu'à ce
que la rédemption y eût été accomplie, mais nous considérions et Honorions la
représentation formelle de ce que le Verbe incarné y devait faire; c'est lui
qui était le terme où aboutissait le culte que nous rendions à la croix, et
c'est aussi ce qui arrive maintenant pour le culte que lui rend la sainte
Église.
950. Vous avez maintenant à
considérer d'après cette vérité votre obligation et celle des mortels touchant
le respect et l'estime que vous devez avoir pour la sainte croix; car si avant
que mon très-saint Fils y fût mort, je l'imitai aussi bien que son précurseur,
tant en l'amour et en la vénération que noua avions pour elle, que dans les
mortifications que nous pratiquions sur ce sacré signe, que ne doivent pas
faire les fidèles enfants de l'Eglise , après y avoir vu par les yeux de la
foi leur Créateur et Rédempteur crucifié, et contemplé si souvent des yeux du
corps son image sanglante? Je veux donc., ma fille, que vous embrassiez la
croix avec une estime incomparable, que vous vous l'appliquiez comme un gage
très- précieux de votre époux , et que vous persévériez dans les exercices que
vous avez appris à y faire en l'étudiant, sans jamais les discontinuer de
votre propre mouvement, si
229
l'ordre de vos supérieurs ne vous appelle ailleurs. Quand vous vous mettrez à
des couvres si saintes, que ce soit toujours avec le plus profond respect, et
avec une tendre considération de la mort et passion de votre Seigneur et de
votre bien-aimé. Tâchez d'introduire cette louable coutume parmi vos
religieuses, et de les exciter à y persévérer; car on n'en saurait trouver
aucune qui soit plus propre aux épouses de Jésus-Christ, et si elles s'en
acquittent avec la dévotion requise, elle lui sera très-agréable. Je veux
aussi qu'à l'exemple de Baptiste vous prépariez votre coeur pour ce que le
saint Esprit voudra opérer en vous pour sa gloire et pour le bien de votre
prochain, que vous aimiez la solitude, et retiriez vos puissances du tumulte
des créatures autant qu'il dépendra de vous, et que quand le Seigneur vous
obligera de communiquer avec elles, vous travailliez toujours à votre propre
avancement, et à l'édification des personnes que vous fréquenterez; de sorte
que le zèle et l'esprit qui animent votre coeur éclatent dans toutes vos
conversations. Faites que les vertus éminentes que vous avez connues vous
servent d'exemple; puisez-y comme dans celles que vous découvrirez en d'autres
saints, ainsi qu'une diligente abeille butine sur les fleurs, le miel
délicieux de la sainteté et de la pureté que mon très-Fils exige de vous.
Gardez la différence qu'il y a entre l'abeille et l'araignée; car l'une change
sa nourriture en doux rayons utiles aux vivants et aux morts; et l'autre
change sa propre substance en un mortel poison. Tirez tout le profit qu'il
vous sera possible
230
avec
le secours de la grâce, des fleurs et des vertus des saints, qui parfument le
jardin de la sainte Église; faites que ce progrès serve à l'utilité des
vivants et des morts, et fuyez le péché, qui, comme le poison, est nuisible à
tous.
CHAPITRE XXII. La très-pure Marie offre son Fils au Père éternel pour la
rédemption du genre humain. — Sa Majesté la favorise d'une claire ,vision de
la Divinité, en récompense de ce sacrifice, et elle se sépare du Sauveur, qui
s'en va au désert.
951. L'amour que notre
grande Reine portait à son très-saint Fils était la règle sur laquelle on
pouvait mesurer plusieurs autres affections et opérations de cette divine
Mère, aussi bien que les émotions et les impressions de joie et de tristesse
qu'elle ,ressentait selon les circonstances qui, se présentaient. Mais notre
entendement ne découvre aucune règle pour mesurer cet immense autour, et les
anges mêmes n'en sauraient trouver une autre que celle que leur fait connaître
la claire vision de l’Etre divin, et tout ce que nous pouvons en dire par nos
circonlocutions, nos images et nos amplifications, ne signifie rien pour
exprimer les ardeurs de ce divin foyer d'amour;
231
car
l'auguste Marie aimait l'adorable Sauveur comme le Fils du Père éternel, égal
à lui en l’être de Dieu. en ses perfections infinies et en ses attributs. Elle
l'aimait comme son propre Fils, qui n'appartenait qu'à elle seule en l’être
humain, formé de son propre sang. Elle l'aimait parce qu'il était en cet être
humain le Saint des saints (1), et la cause méritoire de toute sainteté. Il
surpassait en beauté les enfants des hommes (2). Il était le Fils le plus
obéissant (3), et celui qui était le plus étroitement à sa Mère, qui
l'honorait avec le plus de gloire, et qui était son plus grand bienfaiteur;
puisque étant son Fils, il l'éleva entre les créatures à la suprême dignité,
et l'avantagea entre toutes et au-dessus de toutes par les trésors de la
Divinité, par l'empire qu'il lui donna sur tout ce qui est créé, pair les
faveurs, les bienfaits et les grâces qui ne pouvaient être dignement accordées
à aucune autre.
952. Ces motifs d'amour
étaient en dépôt et comme renfermés dans la sagesse de notre auguste Reine,
aussi bien que plusieurs autres raisons qui ne pouvaient être pénétrées que
par sa très-haute science. Il ne se trouvait aucun obstacle dans son coeur;
car il était très-candide et très-pur; elle n'était point ingrate; car elle
avait une très-profonde humilité, et qu'elle répondait à tout avec une
fidélité admirable; elle n'avait aucune tiédeur; car elle était fort ardente à
opérer avec la grâce toute l'efficacité de cette même
(1)
Dan., IX, 24. — (2) Ps. XLIV, 3. — (3) Luc., II, 51.
232
grâce
; elle n'était point négligente, mais très-prompte et très-soigneuse; elle
n'était point sujette au défaut de méritoire; car elle conservait un continuel
souvenir des bienfaits, des raisons et des lois de l'amour. Elle' se trouvait
en la sphère du feu sacré , en la présence du divin objet, en l'école du
véritable Dieu d'amour, en la compagnie de son très-saint Fils, à la vue des
oeuvres et des opérations du vivant exemplaire qu'elle imitait; cette
très-fidèle amante avait tout ce qu'il fallait pour arriver au terme de
l'amour, qui est d'aimer sans borne et sans mesure. Or cette très belle lune
étant dans sa plénitude, regardant attentivement le Soleil de justice durant
presque trente années, s'étant élevée comme une divine aurore, au plus haut
degré de la lumière, et aux plus amoureuses ardeurs du jour resplendissant de
la grâce, dégagée de toutes les choses terrestres, et transformée en son fils
bien-aimé, qui partageait ses transports et lui prodiguait ses caresses
réciproques, était ainsi parvenue au point culminant, où l'attendait la plus
solennelle épreuve, et à une certaine heure elle entendit une voix du Père
éternel qui l'appelait , comme il avait, pour la figurer, appelé le patriarche
Abraham (1), afin qu'elle lui offrit en sacrifice le dépositaire de son amour
et de ses espérances, son bien-aimé Isaac, notre adorable Sauveur.
953. La très-prudente Mère
voyait que le temps s'écoutait que son très-doux Fils était déjà entré dans
(1) Gen., XXII, 1.
233
sa
trentième année, et qu'ainsi le terme auquel il devait payer la dette des
hommes approchait rapidement; toutefois, si fortement en possession du bien
qui la rendait la plus heureuse des créatures, elle n'en envisageait encore
que de loin la privation inaccoutumée. Mais l'heure arrivait, et un jour
qu'elle était ravie dans une sublime extase, elle sentit qu'elle était appelée
et transportée devant le trône de la très-sainte Trinité, duquel sortit une
voix qui lui disait avec une admirable force : Marie, vas Fille, non Épouse,
offrez-moi votre Fils en sacrifice. Par la force de cette voix la volonté du
Très-Haut se manifesta , et la bienheureuse Mère y lut le décret de la
rédemption du genre humain par le mayen de la passion et de 1a mort de son
adorable Fils, et elle en découvrit dès lors tous les avant-coureurs qui
devaient commencer par la prédication de ce divin Seigneur. Au moment où cette
connaissance se renouvelait en la très-amoureuse Mère, elle éprouva en son âme
divers effets de soumission, d'humilité, de charité envers Dieu et envers les
hommes, de compassion, de tendresse et d'une douleur naturelle de ce que son
très-saint Fils devait souffrir.
954. Mais répondant au
Très-Haut sans trouble et avec un coeur magnanime, elle lui dit : « Roi
éternel, Dieu Tout-Puissant, dont la sagesse et la bénignité sont infinies,
tout ce qui a l’être l'a reçu et le tient a de votre libérale miséricorde et
de votre grandeur a immense; vous êtes le Maître et le Souverain indépendant
de toutes choses. Comment donc m'ordonnnez-vous,
234
à moi
qui ne suis qu'un vil vermisseau de terre, de sacrifier et de livrer à votre
disposition divine le Fils que j'ai reçu de votre bonté ineffable? Il est à
vous, Père éternel; puisque vous l'avez engendré dans votre éternité avant
l'étoile du jour (1) , et que vous l'engendrez toujours et l'engendrerez
éternellement (2). Si je l’ai revêtu de la forme de serviteur (3) dans mon
sein, de mon propre sang, si je l'ai nourri de mon lait, et si j'en ai pris
soin comme mère, cette très-sainte humanité n'en est pas moins toute à vous,
et je le suis aussi, puisque j'ai reçu de vous tout ce que je suis, et tout ce
que j'ai pu lui donner. Qu'ai-je dope ü vous offrir qui ne soit plus à vous
qu'à moi? J'avoue, mon adorable Seigneur, que vous enrichissez vos créatures
de vos trésors infinis avec tant de magnificence et de générosité, que vous
leur demandez comme une offrande volontaire, même votre Fils unique, qui est
engendré de votre substance, et la lumière de votre propre Divinité, afin de
vous forcer vous-même d'avance à l'accepter. Tous les biens me sont venus avec
lui, et j'ai reçu de ses mains des richesses innombrables (4). Il est la vertu
de ma vertu , la vie de mon âme, l'âme de ma vie par laquelle il m'entretient,
et la joie par laquelle je vis; ce serait une douce offrande si je ne le
remettais qu'à vous seul, qui en connaissez le prix;
(1) Ps., CIX, 4. — (2) Ps., II, 7. — (3) Philip., II, 7. — (4) Sap., VII, 11.
235
mais
il s'agit de le livrer à votre justice, pour qu'elle s'exécute par les mains
de ses cruels ennemis aux dépens de sa vie, qui est de toutes les choses
créées la plus estimable (1) ! La tendresse maternelle me fait trouver,
Seigneur, l'offrande que vous me demandez fort grande; toutefois, que votre
volonté se tasse, et non pas la mienne. Que le genre humain soit mis en
liberté; que votre justice se satisfasse; que votre amour infini se manifeste,
et que votre saint nom soit connu et glorifié de toutes les créatures. Je
livre mon bien-aimé Isaac, afin qu'il soit effectivement sacrifié; j'offre le
fils de mes entrailles, afin qu'il paie, selon le décret immuable de votre
volonté, la dette contractée, non par lui, mais parles enfants d'Adam, et afin
que tout ce que vos prophètes ont écrit et annoncé par votre inspiration, soit
accompli en lui. »
935. Ce sacrifice de la
très-pure Marie fut pour le Père éternel, par les circonstances où il eut
lieu, le plus grand et le plus agréable de tons ceux que l'on avait faits
depuis le commencement du monde et, que l'on fera jusqu'à la fin, excepté
celui que fit son Fils notre Sauveur, et auquel celui de la divine Mère fut
semblable en la manière possible. Et si l'on montre ce que la charité a de
plus sublime, lorsqu'on donne sa vie polir ceux que l'on aime (1), il est sûr
que l'auguste Marie passa cette borne de l'amour envers les hommes, attendu
qu'elle aimait beaucoup plus la vie
(1) Joan., XV, 13.
236
de son
très-saint Fils que la sienne propre, et que cet amour n'avait point de
mesure, car elle aurait donné une infinité de vies, si elle les eût eues, pour
conserver celle de son Fils. Nous n'avons point d'autre règle pour mesurer
l'amour de cette charitable Dame envers les hommes que celle du Père éternel;
et comme notre Seigneur Jésus-Christ disait à Nicodème que Dieu a tant aimé le
monde qu'il a donné son Fils unique (1), afin que tous ceux qui croiraient en
lui ne périssent point; ainsi fit, semble-t-il, en sa manière et
réciproquement notre Mère de miséricorde; et, dans une certaine proportion
relative, nous lui devons notre rachat, puisqu'elle nous a tant aimés qu'elle
a donné son Fils pour notre remède; car, si elle ne l'eût pas donné quand le
Père éternel le lui demanda dans cette occasion, la rédemption du genre humain
n'aurait pu être opérée par ce décret, dont l'exécution était subordonnée au
consentement de la Mère uni à la volonté du Père éternel. Ce sont là les
obligations que les enfants d'Adam ont à l'auguste Marie.
956. La très-sainte Trinité
ayant reçu l'offrande de la Reine du ciel, il était convenable qu'elle la
récompensât à l'instant même par quelque faveur qui la fortifiât en sa peine,
qui la disposât pour celle, qu'elle attendait, et qui lui fit connaître avec
une plus grande clarté la volonté du Père et les raisons de ce qu'il lui avait
commandé. Notre divine Princesse, fut donc dans cette même extase élevée à un
plus haut
(1) Joan., III, 16.
237
état,
puis préparée, par les illuminations et les dispositions que j'ai décrites
ailleurs, à la manifestation de la Divinité dans une vision intuitive, où, à
la lumière pure et éclatante de l'être de Dieu lui-même, elle connut de
nouveau l'inclination que le souverain Bien avait de communiquer ses trésors
infinis aux créatures raisonnables par le moyen de la rédemption que le Verbe
incarné opérerait; elle y eut aussi connaissance de la gloire qui résulterait
de cette merveille pour le nom du Très-Haut parmi ces mêmes créatures. Dans
cette nouvelle science qu'elle eut des mystères cachés, la divine Mère offrit
encore au Père le sacrifice de son Fils avec un redoublement de joie; et alors
le pouvoir infini du Seigneur la fortifia par ce véritable pain de vie et
d'intelligence, afin qu'elle se joignit avec un courage invincible au Verbe
incarné dans les oeuvres de la rédemption, et qu'elle fût coadjutrice et
coopératrice en cette même rédemption en la manière réglée par la sagesse
infinie; et c'est ce que fit notre grande Reine, comme on le verra en tout ce
que je dirai dans la suite.
957. La sainte Vierge
sortit de ce ravissement. Je ne m'arrête point à en rapporter les détails,
parce qu’ils seraient semblables à ceux que j'ai fait connaître à propos des
autres visions intuitives; mais, par la force et les effets divins qu'elle
ressentit en celle-ci, elle fut assez préparée pour se séparer de son
très-saint Fils, qui résolut aussitôt d’aller recevoir le baptême et accomplir
son jeûne dans le désert. Sa Majesté l'appela et lui dit, en lui parlant comme
le Fils le plus
238
tendre, et avec les témoignages de la plus douce compassion : « Ma Mère, cet
être d'homme véritable que j'ai, je ne l'ai reçu que de votre substance,
de laquelle j'ai pris la forme de serviteur dans votre sein virginal
(1); ensuite vous m'avez nourri de votre lait et entretenu par votre
travail; c'est pour cela que je me reconnais plus étroitement votre
Fils que jamais enfant ne l'a été et ne le sera de sa Mère.
Permettez-moi d'aller accomplir la volonté de pion Père éternel.
Il est déjà temps que je me prive de vos caresses et de votre douce compagnie,
et que j'entreprenne l'oeuvre de la rédemption du genre humain.
Les années du repos sont passées, et l'heure s'approche à laquelle je
dois commencer à souffrir pour le rachat de mes frères les enfants
d'Adam. Mais je veux que vous m'assistiez en cette oeuvre que mon Père
m'a recommandée, que vous y soyez ma compagne et ma coadjutrice, et que vous
ayez part à ma passion et à ma croix; et, quoi qu'il faille que je vous laisse
maintenant seule, soyez sûre que ma bénédiction restera éternellement sur
vous, et autour de vous ma vigilante, amoureuse et puissante protection:
Je retournerai a plus tard afin que vous m'accompagniez et assistiez en mes
peines, puisque je les dois souffrir en la forme humaine que vous m'avez
donnée. »
958. Le Seigneur embrassa
sa très-douce Mère après avoir achevé ce discours, et alors tous deux
(1) Philip., II, 7.
versèrent des larmes abondantes, sans perdre cette majesté et cette sérénité
admirables qu'ils avaient comme maîtres en la science des souffrances. Notre
auguste Princesse se mit à genoux, et dit à son très-saint Fils, avec la plus
vive douleur et avec le respect le plus profond : « Mon Seigneur et mon Dieu
éternel, vous êtes mon véritable Fils, et vous n'ignorez pas que toute la
tendresse et que toutes les forces que vous m'avez données vous sont
consacrées; votre sagesse divine pénètre le fond de mon âme ; ainsi vous savez
que j'estimerais fort peu ma vie s'il fallait la sacrifier pour conserver, la
vôtre, et que je mourrais mille fois pour cela si ma mort était convenable;
mais il faut que la volonté du Père et la vôtre soient accomplies; c'est
pourquoi je sacrifie la mienne : recevez-là, mon Fils et Seigneur de tout mon
être, comme une offrande agréable, et ne me laissez point sans votre divine
protection. Ce me serait un bien plus grand tourment de vous voir souffrir
sans que je participasse à vos travaux et à votre passion. Faites, mon Fils,
due je mérite cette faveur, que je vous demande comme véritable Mère, en
récompense de la forme humaine que je vous ai donnée, et en laquelle vous
allez souffrir. » La très-amoureuse Mère le pria aussi d'emporter quelques
provisions de leur maison, ou de permettre qu'elle lui en envoyât où il
serait. Mais le Sauveur ne prit rien alors, faisant connaître à sa Mère les
raisons qu'il avait de refuser ses offres. Ils allèrent ensemble jusqu'à la
porta de leur pauvre maison, où notre grande Reine, se mettant
240
une
seconde fois à genoux, lui demanda sa bénédiction et lui baisa les pieds; et,
après que notre divin Maître la lui eut donnée, il s'achemina vers le
Jourdain, allant comme un bon pasteur chercher la brebis égarée, pour la
rapporter sur ses épaules (1) dans les sentiers de la vie éternelle, dont elle
s'est écartée en errant au hasard (2).
959. Lorsque notre
Rédempteur alla trouver saint Jean pour en être baptisé (3), il était entré
dans sa trentième année; car il se rendit directement sur les bords du
Jourdain, où son précurseur baptisait, et il en reçut le baptême treize jours
après avoir accompli sa vingt-neuvième armée, le mime jour que l'Église le
célèbre. Je ne saurais dignement exprimer la douleur que la très-pure Marie
ressentit au moment de cette séparation, non plus que la compassion du Sauveur
toutes nos expressions sont trop faibles pour faire comprendre ce qui se passa
alors dans le coeur du Fils et de la blèse. Comme cette séparation devait être
une de leurs plus pénibles afflictions, il ne fut pas convenable de modérer
les effets de leur amour naturel et réciproque. Ainsi le Très-Haut permit
qu'ils éprouvassent tout ce qui était possible et compatible avec leur
souveraine, sainteté, et cela avec la proportion que l'on doit toujours
présupposer entre Jésus-Christ et sa très-sainte Mère, qui est une simple
créature. Cette douleur ne fut point adoucie par la diligence avec laquelle
notre divin Maître marchait, pressé qu'il
(1) Luc., XV, 6. — (2) Ps. CXVIII, 176. — (3) Matt., III, 13.
241
était,
par la forte impulsion de son immense charité, d'aller travailler et notre
salut; elle ne fut point non plus modérée chez la plus tendre des mères par la
connaissance qu'elle avait de cette charité : car tout cela n'était qu'une
plus grande certitude des tourments qui l'attendaient, et augmentait sans
cesse la douleur que la seule pensée en faisait naître. O mon très-doux amour
! comment nos coeurs sont-ils si endurcis et si ingrats qu'ils n'aillent point
à votre rencontre? Comment les hommes, qui vous sont inutiles, ne vous
arrêtent-ils point par le peu de reconnaissance qu'ils témoignent pour vos
bienfaits? O bien éternel ! O ma vie ! vous seriez sans nous aussi heureux
qu'avec nous aussi infini en perfections, en sainteté et en gloire; nous ne
pouvons rien ajoute à la gloire que vous avez en vous-même, indépendamment des
créatures! Pourquoi donc, mon divin amour, les cherchez-vous avec tant de
sollicitude? Pourquoi prenez-vous donc tant de peine pour travailler au bien
d'autrui? C'est sans doute que votre bonté incompréhensible vous le fait
réputer comme, propre, pendant que nous le considérons comme une chose qui
vous est indifférente et qui ne nous regarde point nous-mêmes !
243
Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.
960. Je veux, ma fille, que
vous considériez plus fortement les mystères que vous venez d'écrire, et que
vous en conceviez une plus haute idée pour le bien de votre âme, et afin que
voué m'imitiez en quelques-unes de mu actions. Remarquez donc qu'en la vision
de la Divinité, que j'eus au moment lue vous avez indiqué, je connus dans le
Seigneur le cas qu'il faisait dés souffrances et de la mort de mon Fils, et de
tous ceux qui devaient le suivre dans le chemin de la croix. Dans cette
connaissance, je ne l'offris, pas seulement volontiers pour le livrer à la
passion et à la mort, mais je suppliai le Très-haut de me faire la grâce de
pouvoir m'associer à toutes ses peines et participer à toutes les amertumes de
sa passion ; et le Père éternel me l'accorda. Ensuite je priai mon adorable
Fils de me priver dès lors de ses caresses intérieures, afin de commencer à le
suivre dans ses afflictions; et lui-même m'inspira dette demande parce qu'il
le voulait ainsi, et la charité me pressa de la lui faire. La passion que
j'avais de souffrir, et l'amour que sa Majesté, comme Fils et comme Dieu,
avait pour moi, me faisaient souhaiter les afflictions et les peines; et ce
divin Seigneur moles accorda, parce qu'il m'aimait tendrement, car il afflige
ceux qu'il aime (1); c'est pourquoi, étant sa Mère, il voulut me faire cette
(1) Prov., III, 12.
grande
faveur de nie rendre semblable à lui en ce qu'il estimait le plus en la vie
humaine. Or cette volonté du Très-Haut s'accomplit en moi; mes désirs furent
exaucés, je fus privée des consolations que je recevais ordinairement; dira
lors mon très-saint Fils ne me traita plus avec autant d'affection extérieure,
et ce fut une des raisons pour lesquelles il ne m'appela pas du nom de mère,
mais de celui de femme, aux noces de Cana, au pied de la croix (1) et, en
d'autres circonstances auxquelles, il m'exerça par cette sévérité, en me
refusant les paroles qui pouvaient marquer quelque tendresse; et, bien loin
qu'il y eût ,en ce procédé la moindre rigueur, c'était le plus grand
témoignage de son amour, puisqu'il me rendait semblable à lui eu me,faisant
part des peines qu'il choisissait pour lui-même comme le plus riche héritage.
961. Vous comprendrez par
là l'ignorance des mortels, et combien dans leur aveuglement ils s'écartent.
de la bonne toute; car ils travaillent généralement et même presque tous pour
ne point travailler, ils souffrent pour ne point souffrir; et se détournent
avec horreur du chemin royal et sûr de la croix et de la mortification. Livrés
à leurs illusions funestes, non-seulement ils abhorrent la ressemblance de
leur exemplaire Jésus Christ et la mienne, et se privent de celte même
ressemblance, qui est le véritable et souverain bien de la vie humaine; mais
ils se mettent en outre dans l'impossibilité de recevoir leur remède,
(1) Jean., II, 4; XIX, 26 .
244
puisqu'ils sont tous malades, affligés d'une foule de fautes auxquelles il n'y
a point d'autre remède que la souffrance. On commet les péchés avec une
honteuse satisfaction; par contre, l'on s'en purge par une salutaire douleur,
et c'est dans la tribulation que le juste Juge les pardonne. Par les
afflictions on parvient à réprimer, à dompter la concupiscence rebelle; on
amortit les élans désordonnés de la nature; on règle les appétits
concupiscible et irascible; on abat l'orgueil et la présomption; on assujettit
la chair; on perd le goût de ce que les choses sensibles et terrestres ont de
mauvais; on détrompe le jugement, on redresse la volonté; toutes les
puissances de l'homme se rangent à leur devoir ; les passions cessent leurs
soubresauts et modèrent leurs mouvements; enfin et surtout l'amour divin est
sollicité d'avoir compassion de celui qui est affligé et qui endure les
souffrances avec patience, ou qui les cherche avec le désir d'imiter mon
très-saint Fils. C'est là où tout le bonheur de l'homme se trouve renfermé;
ainsi ceux qui fuient cette vérité sont insensés aussi bien que ceux qui
ignorent cette science.
962. Tâchez donc, ma
très-chère fille, de vous y avancer; soyez diligente à aller à la rencontre
des souffrances, et résolvez-vous à ne recevoir jamais aucune consolation
humaine. Et, afin que vous évitiez le danger caché dans les consolations
spirituelles, je vous avertis que le démon y tend aussi aux âmes pieuses un
piège que vous ne devez pas ignorer : car, comme la contemplation des
grandeurs du Seigneur
245
est si
douce et que ses caresses sont si attrayantes, les puissances de l’âme et
quelquefois la partie sensitive y trouvent tant de jouissances, que certaines
personnes s'y attachent au point de devenir presque incapables des autres
occupations nécessaires à la vie humaine, quand même elles seraient imposées
par la charité et par les lois du commerce raisonnable avec les créatures; et,
lorsqu'il faut qu'elles s'y appliquent, elles se désolent à l'excès et tombent
dans le trouble, dans l'impatience et dans la tristesse; elles perdent la paix
et la joie intérieure; elles sont intraitables et rudes envers les autres,
sans humilité et sans charité. Et, lorsqu'elles sentent leur propre inquiétude
et leur malaise moral, elles en attribuent incontinent la cause aux
occupations extérieures, dans lesquelles le Seigneur les a mises par
l'obéissance et par la charité, et ne veulent ni avouer ni reconnaître que
cette cause se trouve dans leur immortification, dans leur défaut de
soumission aux ordres de Dieu, dans leur trop vif attachement à leur propre
satisfaction. Le démon leur cache ce piége sous le prétexte qu'elles prennent
du bon désir du calme, du recueillement, et de s'entretenir avec le Seigneur
dans l'a solitude; parce qu'il leur semble qu'il n'y a rien à craindre en cela
, que tout y est bon et saint, et que le mal vient de ce qu'on les empêche de
faire les choses comme elles le souhaitent.
963. Vous êtes tombée
quelquefois dans cette faute, et je veux que dès maintenant vous y preniez
garde, puisque toutes choses ont leur temps, somme dit
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