Livre VI - Ch. XV-XXII

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 LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU

DEUXIÈME PARTIE – LIVRE SIXIÈME

CHAPITRE XV. On amène notre Sauveur Jésus-Christ lié chez le pontife Anne. Ce qui arriva dans cette circonstance, et ce que sa très-sainte Mère y souffrit.

Instruction que la grande Reine de l'univers m'a donnée.

CHAPITRE XVI. On amène notre Sauveur Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre, où il est accusé et interrogé s'il est le Fils de Dieu. — Saint Pierre le renonce deux autres fois. — Ce que fait l'auguste Marie dans cette rencontre, et quelques autres mystères.

Instruction que notre grande Reine m'a donnée.

CHAPITRE XVII. Ce que notre Sauveur souffrit depuis le renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, et la grande affliction de sa très-sainte Mère.

Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XVIII. On assemble le conseil dès le vendredi matin pour vider la cause de notre Sauveur Jésus-Christ. — On l'amène à Pilate. — Sa très-sainte Mère, saint Jean l'Évangéliste, et les trois Marie, vont à sa rencontre.

Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

CHAPITRE XlX. Pilate renvoie à Hérode la cause et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ. — On l'accuse devant Hérode, qui le méprise et le renvoie à Pilate. — La bienheureuse Marie le suit, et ce qui arriva dans cette occasion.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ fut par ordre de Pilate flagellé, couronné d'épines et outragé. — Ce que fit la bienheureuse Marie dans cette occasion.

Instruction que j'ai reçue de la Reine de l'univers.

CHAPITRE XXI. Pilate prononce la sentence de mort contre l'Auteur de la vie. — Le Seigneur porte sur ses épaules la croix sur laquelle il doit mourir. — Sa très-sainte Mère le suit. — Ce que fit cette auguste Reine dans cette occasion contre le démon, et quelques autres événements.

Teneur de la sentence de mort que Pilate prononça contre Jésus de Nazareth notre Sauveur.

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

CHAPITRE XXII. Notre Sauveur Jésus-Christ est crucifié au mont du Calvaire. — Les sept paroles qu'il prononça du haut de la croix. — Sa très-sainte mère s'y trouve présente, percée de douleur.

Testament que fit sur la croix Jésus-Christ, notre Sauveur priant son Père éternel.

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

 

LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU

 

DEUXIÈME PARTIE – LIVRE SIXIÈME

 

CHAPITRE XV. On amène notre Sauveur Jésus-Christ lié chez le pontife Anne. Ce qui arriva dans cette circonstance, et ce que sa très-sainte Mère y souffrit.

 

1256. il faudrait, pour parier dignement de la passion, des opprobres et des souffrances de autre Sauveur Jésus-Christ, se servir de paroles si vives et si efficaces qu'elles pussent pénétrer plus avant qu'une épée à deux tranchants, et atteindre par une profonde blessure jusqu’aux fibres les plus secrètes de nos lecteurs (1). Les peines de cet adorable Seigneur ne furent point communes, et il n'y aura jamais de douleur semblable à la sienne (2). Sa personne sacrée

 

(1) Hebr., IV. 12. — (2) Thren., I, 12.

 

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n'était point comme celle des autres enfants des hommes; il ne souffrit point pour lui-même ni pour ses péchés, mais pour nous et pour nos propres crimes (1). Il ne faut donc pas que les termes dont nous nous servons pour parler de ses souffrances soient communs, mais extraordinaires et efficaces, afin de nous en faire concevoir un juste sentiment. Mais, hélas ! il ne m'est as possible de donner cette force à mes paroles, ni de trouver celles que mon âme désire pour manifester ce mystère ! J'en dirai pourtant ce que je pourrai, employant les termes qui me seront dictés, quoique la petitesse de mon talent amoindrisse la grandeur de l'intelligence que j'en ai, et que ces termes ne répondent pas à ce que j'en conçois. Que la force et la vivacité de la foi que les enfants de l'Église professent suppléent donc à la faiblesse de mon discours. Et si les expressions sont communes, faisons en sorte que la douleur soit extraordinaire, la pensée haute, la pénétration vive, la considération profonde, la reconnaissance sincère et l'amour fervent, et croyons que tout cela sera fort au-dessous de la vérité de l'objet, et du retour que nous devons à notre divin Rédempteur comme serviteurs, comme amis, et comme enfants adoptés par le moyen de sa passion et de sa mort.

1257. Le très-doux agneau Jésus-Christ ayant été pris et garrotté dans le jardin, fut amené chez les pontifes, et d'abord chez Anne (2). Le traître disciple

 

(1) I Petr., II, 21. — (2) Joan., XVIII, t3.

 

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avait recommandé d'avance à cette troupe turbulente de soldats et de ministres de ne se point fier à son Maître, mais de le tenir étroitement lié, parce que c'était un magicien, et qu'il pourrait bien s'échapper de leurs mains (1). Lucifer et ses princes des ténèbres les irritaient secrètement, afin qui ils traitassent le Seigneur avec une cruauté impie et un mépris sacrilège. Et comme tous étaient des instruments dociles à la volonté de Lucifer, ils exercèrent sur la personne de leur Créateur toutes les inhumanités qui leur furent permises. Ils le lièrent avec une fort longue chaîne d'une telle manière, qui ils lui en firent divers tours à la ceinture et au cou, laissant les deux bouts libres : ils avaient fixé à cette chaîne des menottes, qu'ils mirent aussi aux mains du Seigneur qui avait créé les cieux, les anges et tout le reste de l'univers (2). Et, les ayant ainsi liées, ils les lui firent passer par derrière. Ils avaient apporté cette chaîne de la maison du pontife Anne, où elle servait à fermer la porte d'un cachot par une espèce de pont-levis; ils l'en avaient détachée dans le dessein d'en charger notre divins Maître, et y avaient ajusté des menottes garnies de cadenas. Ils ne furent pourtant pas satisfaits ni rassurés de cette manière inouïe de lier un captif : car ils s'empressèrent de joindre à cette pesante chaîne deux cordes assez longues; ils en jetèrent une autour du cou du Sauveur, et, la lui croisant sur la poitrine, ils lui en entourèrent le corps et l'attachèrent avec

 

(1) Marc., XIV, 44. — (2) Hebr., I, 10.

 

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des noeuds fort serrés, laissant encore les deus extrémités assez longues;sur le devant pour que deux soldats pussent tirer par là notre adorable Seigneur. Ils se servirent de l'autre corde pour lui lier les bras, et, lui en ayant fait aussi plusieurs tours à la ceinture, ils laissèrent les deux bouts pendre sur le dos, où il avait les mains liées, afin que deux autres soldats pussent le tirer et le relever.

1258. Le Saint et le Tout-puissant se laissa lier et emmener de cette sorte, comme sil eilt été le dernier des criminels et le 'plus faible des hommes; parce qu'il s'était chargé de toutes nos iniquités (1), et de la faiblesse ou Impuissance pour le bien à laquelle nous avaient réduits ces mêmes iniquités. Après l'avoir pris dans le jardin et l'avoir maltraité et blessé avec les mains, avec les cordes et avec les chaînes, les bourreaux l'attaquèrent encore avec leurs langues car ils vomirent, confine des vipères, le venin sacrilège qu’ils avaient, par des blasphèmes et par des injures inouïes contre Celui que les anges et les hommes adorent et glorifient dans le riel et sur la terre. Ils partirent tous de la montagne des Oliviers avec un tumulte et des vociférations horribles, menant au milieu d'eux le Sauveur du monde, les uns le tirant par les cordes de devant, les autres par celles qui lui assujettissaient les bras par derrière, et cela avec une violence inconcevable; quelquefois ils le faisaient marchez avec précipitation; quelquefois ils le faisaient

 

(1) Isa., LIII, 6.

 

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reculer et l’arrêtaient tout court; d'autres fois ils le traînaient soit d'un côté, soit d'un autre, suivant que les démons les poussaient eux-mêmes. Ils le faisaient souvent tomber, et, comme il avait les mains liées par derrière, il donnait de la tète contre terre, et sa face vénérable en était toute meurtrie et toute couverte de poussière. Quand il tombait, ils se jetaient sur lui, l'accablaient de coups et foulaient aux pieds sa personne sacrée et jusqu'à son visage; et, mêlant à toutes ces insultes de grands cris et de sanglantes moqueries, ils le rassasièrent d'opprobres, comme Jérémie l'avait déploré d'avance (1).

1259. Au milieu des excès de la fureur impie dont Lucifer enflammait ces ministres impitoyables, il était lui-même fort attentif aux couvres de notre Sauveur, dont il prétendait éprouver la patience pour reconnaître s'il était véritablement un simple mortel; car l'incertitude où il était à cet égard tourmentait plus son orgueil que toutes ses autres peines. Et, lorsqu'il observa la douceur et la patience que Jésus-Christ montrait parmi tant de mauvais traitements, et qu'il les supportait avec un air tranquille et majestueux , sans aucun trouble et sans la moindre émotion, ce dragon infernal entra dans une plus grande colère, et comme eût fait un homme furieux et enragé, il résolut de prendre les cordes dont les bourreaux se servaient, et de tirer lui-même, assisté des autres démons, le Sauveur avec plus de violence, pour tâcher d'altérer

 

(1) Thren., III, 30.

 

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le calme et la mansuétude de la divine victime. Mais la très-pure Marie, qui de sa retraite découvrait par une claire vision tout ce qui se passait autour de son très-saint Fils, prévint cet attentat, et, quand elle s'aperçut de l'audacieux dessein de Lucifer, usant de son pouvoir de Reine, elle lui défendit de s'approcher de la personne sacrée de Jésus-Christ pour l'offenser. A l'instant même cet ennemi perdit ses forces, et il lui fut impossible de rien exécuter: car il n'était pas convenable que sa malice se mêlât en cette manière de la passion et de la mort du Rédempteur. Il lui fut néanmoins permis de porter ses satellites à irriter les Juifs, fauteurs de la mort du Sauveur, puisqu'il dépendait du libre arbitre de ceux-ci d'y consentir ou de s'y opposer. Lucifer se prévalut de cette permission, et, s'adressant à ces ministres d'iniquité, il leur dit: « Quel homme est-ce donc que celui-là? Il est né dans le monde, et, par sa patience et par ses rouvres, il nous tourmente et nous détruit! Personne, depuis Adam jusqu'à présent, n'a montré dans les souffrances ce courage, cette égalité d'âme. Nous n'avons jamais vu chez les mortels tant d'humilité ni tant de douceur. Comment serions-nous en repos lorsque nous voyons sur la terre un si rare et si puissant exemple, capable d'en entraîner tous les habitants? Si c'est là le Messie, il ouvrira sans doute le ciel, et fermera les voies par où nous conduisons les hommes à nos tourments éternels, et nous serons vaincus et frustrés de nos prétentions. Que si ce n'est qu'un simple homme, nous ne devons pas souffrir qu'il laisse aux autres un

 

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si grand exemple de patience. Venez donc, complices de mon orgueilleuse rébellion; marchons et persécutons-le par le moyen de ses ennemis, qui, obéissants sujets de mon empire, sont animés contre lui de la furieuse envie que je leur ai communiquée.

1260. L'auteur de notre salut se livra en proie à la rage que Lucifer avait inspirée à cette troupe de Juifs, cachant le pouvoir qu'il avait de les anéantir ou d'empêcher les outrages qu'ils lui faisaient, afin que notre rédemption fût plus abondante. Or le menant lié et maltraité de la sorte, ils arrivèrent chez le pontife Anne, auquel ils le présentèrent comme un criminel digne de mort. C'était la coutume des Juifs de présenter ainsi liés les malfaiteurs qui méritaient le dernier suppliée, et ces liens étaient comme autant de témoins du crime qui méritait la mort; et ils amenaient de cette sorte le Sauveur comme lui signifiant la sentence avant que le juge l'eût prononcée. Le sacrilège pontife parut dans une grande salle, où il s'assit, plein d'une arrogance superbe, sur une estrade qui s'y trouvait. Le prince des ténèbres, Lucifer, environné d'une grande multitude de démons, se mit aussitôt près de lui. Les satellites et les soldats présentèrent Jésus-Christ chargé de chaînes au pontife, et lui dirent: « Nous vous amenons, Seigneur, ce méchant homme, qui a troublé tout Jérusalem et toute la Judée par ses sortilèges et par ses méchancetés; au moins, cette fuis son art magique ne lui a servi de rien pour s'échapper de nos mains. »

1261. Notre Sauveur Jésus- Christ était assisté

 

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d'une multitude innombrable d'anges, qui l'adoraient et le glorifiaient, admirant par quels jugements impénétrables de sa sagesse (1) le Verbe divin consentait à être présenté comme coupable et pécheur devant un prêtre inique, qui faisait parade de son zèle pour la justice et pour l'honneur du Seigneur, au moment où il voulait le lui ôter aussi bien que la vie d'une manière sacrilège, tandis que le très-doux Agneau gardait le silence sans ouvrir la bouche, comme l'avait dit Isaïe (2). Le pontife l'interrogea d'un ton impérieux sur ses disciples et sur la doctrine qu'il enseignait (3). Il lui fit cette question pour en calomnier la réponse, dans le cas où elle eût prêté tant soit peu à ,une interprétation fâcheuse. Mais le Maître de la sainteté, qui est le guide de la sagesse, et qui redresse les plus sages (4), offrit su Père éternel cette humiliation qu'il subissait étant présenté au pontife comme coupable, et interrogé par lui comme criminel et auteur d'une fausse doctrine. Notre Rédempteur répondit, quant à sa doctrine, avec un air humble et tranquille : J'ai parlé publiquement ci tout le monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les Juifs s'assemblent, et je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interrogez-vous? Interrogez ceux qui ont entendu ce que' je leur ai dit, ceux-là savent ce que j'ai enseigné (5). Le Sauveur s'en rapports A ses auditeurs, en faisant cette réponse, parce

 

(1) Roi., XI, 33. — (2) Isa., LIII, 7. — (3) Joan., XVIII, 19. — (4) Sap., VII, 18. — (5) Joan., XVIII, 20, 21.

 

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que sa doctrine était de son Père éternel, qu'on aurait calomnié le témoignage que lui-même en aurait rendu, et que la vérité et la vertu se justifient d'elles-mêmes parmi leurs plus grands ennemis.

1268. Il ne parla point de ses apôtres, parce que ce n'était pas alors nécessaire, et que d'ailleurs ils se trouvaient dans nue telle disposition qu'ils ne pouvaient point être loués de leur Maître. Et quoique cette réponse qu'il fit relativement à sa doctrine fût si pleine de sagesse et si directe à la question qui lui avait été posée, il y eut parmi les satellites qui se trouvaient auprès du pontife un soldat qui osa, dans son effroyable témérité, lever la main et donner un soufflet à cet adorable Seigneur; et non content de l'avoir frappé, il le reprit, en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au pontife (1)? Le Sauveur reçut ce sanglant affront, en priant le Père éternel pour celui qui le lui avait fait, et il était même prêt à tendre l'autre joue si c'eût été nécessaire, pour recevoir un autre soumet, accomplissant jusqu'aux moindres détails la doctrine qu'il avait enseignée (2). Mais afin que ce stupide et audacieux valet, loin de pouvoir se vanter, eût à rougir d'une méchanceté si inouïe, le Seigneur lui repartit avec beaucoup de sérénités et de douceur : Si j'ai mal parlé, montrez en quoi j'ai mal dit ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous (3) ? O spectacle digne d'une nouvelle admiration pour les esprits célestes! Combien de sujet ont et doivent avoir les

 

(1) Joan., XVIII, 22. — (2) Matth., V, 39. — (3) Joan., XVIII, 23.

 

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colonnes du ciel et tout le firmament de trembler, seulement à en entendre le récit! Cet adorable Seigneur est Celui, comme Job l'assure (1), qui est si sage en son coeur et si puissant en sa force, que personne ne lui peut résister et trouver la paix en lui résistant; qui transporte les montagnes et les renverse dans sa colère avant qu'elles puissent s'en apercevoir, qui ébranle la terre sur ses fondements et en secoue les colonnes les unes contre les autres, qui commande au soleil, et le soleil ne se lève point, qui tient les étoiles enfermées comme sous un sceau, qui fait des choses grandes et incompréhensibles, à la colère duquel personne ne peut résister, et sous qui fléchissent ceux qui soutiennent le monde : et cependant c'est le même qui souffre pour l'amour des hommes qu'un impie soldat le frappe au visage

1263. Le sacrilège serviteur fut confondu dans sa méchanceté par la réponse humble et efficace que fit le Sauveur. Mais ni cette confusion, ni celle que pouvait avoir le pontife, de ce que l'on commettait un tel crime en sa présence, ne furent capables de les émouvoir ni d'adoucir les autres ennemis de l'Auteur de la vie. Pendant qu'on le maltraitait de la sorte, saint Pierre et l’autre disciple, qui était saint Jean, arrivèrent chez Anne. Saint Jean, qui en était fort connu, entra facilement; mais saint Pierre resta dehors, jusqu'à ce que le disciple bien-aimé eût parlé à la portière; et à sa considération elle le laissa entrer,

 

(1) Job., IX, 4, etc.

 

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pourvoir ce qui se passait à l'égard du Rédempteur (1). Les deux apôtres pénétrèrent dans la cour de la maison contiguë à la salle du pontife, et saint Pierre s'approcha du feu où les soldats se chauffaient, parce que la nuit était froide. Cette servante qui gardait la porte, ayant considéré avec attention saint Pierre, l'aborda et lui dit: « N'êtes-vous pas des disciples de cet homme (2)? » Elle lui fit cette demande en ayant l'air de s'en moquer; ce dont saint Pierre eut honte par une lâche pusillanimité; et cédant à la peur, il lui répondit: « Non, je n'en suis point. » Après avoir fait cette réponse, il s'écarta de la compagnie et sortit de la maison d'Anne; mais il suivit ensuite sou maître chez Caïphe, où il le renonça deux autres fois, comme je le dirai ci-après.

1264. Le renoncement de Pierre causa une plus grande douleur à notre divin Maître que le soufflet qu'il reçut; car autant le péché était contraire et odieux à son immense charité, autant et plus les souffrances lui étaient agréables et douces, parce qu'elles lui servaient à vaincre nos propres péchés. Après ce premier renoncement, Jésus-Christ pria le Père éternel pour son apôtre, et disposa que la grâce et le pardon de ses trois renoncements successifs lui seraient ménagés parle moyen de l'intercession de la bienheureuse Marie. Cette auguste Princesse voyait de son oratoire tout ce qui se passait, ainsi que je l'ai indiqué. Et comme elle avait dans son sein le propitiatoire et le sacrifice,

 

(1) Joan., XVIII, 16. — (2) Ibid.. 17.

 

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c'est-à-dire son adorable Fils lui- même sous les espèces eucharistiques , elle lui adressait ses amoureuses prières, exerçant des actes sublimes de compassion, de reconnaissance et. d'adoration. Quand elle eut connu le renoncement de saint Pierre, elle pleura amèrement , et elle n'arrêta point ses larmes qu'elle n'eût su que le Très-Haut ne lui refuserait point ses grâces, et qu'il le relèverait de sa chute; Cette tendre Mère sentit aussi dans son corps virginal toutes les douleurs et toutes les blessures de son Fils, et aux mêmes endroits que lui. Et lorsque le Seigneur fut garrotté avec les cordes et les chaînes, elle éprouva aux mains un mal si violent, que le sang en jaillit comme si elles eussent été fortement litres; et il en arriva de même pour les autres blessures qu'il recevait sur sa personne sacrée. Comme à ces souffrances corporelles se joignait la douleur qui déchirait son âme en la vue des tourments qu'endurait notre Seigneur Jésus-Christ, elle finit par verser dans cet amoureux martyre des larmes de sang, prodige qu'opéra te bras du Seigneur. Elle sentit aussi le soufflet qui fut donne à son très-saint Fils comme si la même main sacrilège eût frappé en même temps et le Fils et la Mère: Pendant tous ces mauvais traitements que le Sauveur subissait, elle imita les saints anges à glorifier et à adorer leur Créateur avec elle, pour réparer les outrages que les pécheurs lui faisaient; et communiquant aux mêmes anges ses profondes et douloureuses réflexions, elle s'entretenait avec eux du triste sujet de sa compassion , de ses amertumes et de ses larmes

 

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Instruction que la grande Reine de l'univers m'a donnée.

 

1265. Ma fille, la lumière divine que vous recevez pour connaître les mystères renfermés dans ce que mon très-saint Fils et moi avons souffert pour le genre humain et pour apprécier le peu de retour qu'il nous rend pour tant de bienfaits, vous appelle à de grandes choses. Vous vivez dans une chair mortelle, et par conséquent vous êtes exposée aux mêmes ingratitudes; mais la force de la vérité que vous comprenez, produit souvent en vous des mouvements de surprise, de douleur et de compassion, en raison du peu de réflexion que font les mortels sur de si hautes merveilles, et à la vue des biens qu'ils perdent par leur lâcheté. Or, si vous êtes dans ces sentiments, quelles doivent être les pensées des anges et des saints sur ce sujet? Que dois-je penser moi-même sous les yeux du Seigneur, envoyant le monde et les fidèles dans un état si dangereux et dans un oubli si déplorable, après que mon très-saint Fils a souffert une mort si cruelle, tandis qu'ils peuvent m'invoquer comme leur Mère et leur avocate, et quand son admirable vie et la mienne leur servent d'exemple? Je vous dis en vérité, ma très-chère fille, que mon intercession et les, mérites que je représente au Père éternel de son Fils et du mien, peuvent seuls apaiser sa juste colère, et,empêcher qu'il ne détruise le monde et qu'il ne punisse

 

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rigoureusement les enfants de l'Église, qui savent la volonté du Seigneur, et ne l'accomplissent point (1). Mais je suis fort indignée d'en trouver si peu qui s'affligent avec moi, et qui consolent mon Fils dans ses peines, comme dit David. (2) Cette insensibilité sera ce qui couvrira d'une plus grande confusion les mauvais chrétiens au jour du jugement; parce qu'ils connaîtront alors avec une douleur irréparable qu'ils ont été non-seulement ingrats, mais inhumains et cruels envers mon très-saint Fils, envers moi et envers eux-mêmes.

1266. Réfléchissez donc, ma fille, à vos obligations, élevez-vous au-dessus de tout ce qui est terrestre et au-dessus de vous-même; car je vous appelle et vous choisis, afin que vous m'imitiez et m'accompagniez là où les créatures me laissent si seule, après tant de faveurs que mon très-saint Fils et moi leur avons faites. Considérez avec toute l'attention dont vous êtes capable combien il en a coûté à mon Seigneur de réconcilier les hommes avec son Père et de leur mériter son amitié (3). Gémissez de ce que tant d'hommes vivent sans y songer, et semblent travailler de toutes leurs forces à détruire et à perdre ce qui a coûté le sang et la mort de Dieu même, ce que je leur ai procuré dès ma conception , et ce que je ne cesse de solliciter et de tâcher d'obtenir pour leur salut. Pleurez amèrement de ce qu'il se trouve dans la sainte Église plusieurs successeurs de ces pontifes

 

(1) Joan., IV, 25. — (2) Ps. LXVIII, 21. — (3) Colos., I, 22.

 

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hypocrites et sacrilèges, qui sous prétexte de piété condamnèrent Jésus-Christ; de ce que l'orgueil et beaucoup d'autres grands péchés sont autorisés et applaudis; de ce que l'humilité, la vérité, la justice et les vertus sont opprimées; et de ce qu'il n'y a que la cupidité et que la vanité qui triomphent. Bien peu de personnes connaissent la pauvreté de Jésus-Christ,. bien moins de personnes encore veulent l'embrasser. Les progrès de la sainte foi sont arrêtés par l'ambition excessive des puissants du monde, et chez un grand nombre de catholiques elle est oiseuse et stérile; tout ce qui doit avoir vie est mort, et tout marche à une ruine irréparable. Les conseils de l'Évangile sont oubliés, les préceptes transgressés, la charité presque éteinte. Mon Fils et mon Dieu a présenté ses joues avec une patience et une douceur ineffable pour être frappé (1). Qui est celui qui pardonne une injure pour l'imiter? Au contraire le monde a fait des lois pour se venger, et non-seulement les infidèles, mais aussi les enfants de la foi et de la lumière les pratiquent.

1267. Je veux que, connaissant l'énormité de ces péchés, vous imitiez ce que j'ai fait dans le cours de la passion et durant toute ma vie; car j'exerçais pour tous les hommes tous les actes de vertu contraires aux différents vices. Pour les blasphèmes et les injures que l'on adressait à mon adorable Fils, je le bénissais et le louais; pour les infidélités que l'on pratiquait à son égard, je croyais en lui, et ainsi de toutes les

 

(1) Thren., III, 30.

 

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autres offenses. C'est ce que je veux que vous fassiez dans le monde où vous vivez et que vous connaissez. Que l'exemple de Pierre vous fasse fuir aussi les dangers auxquels exposent les créatures; car vous n'êtes pas plus forte que cet apôtre de Jésus-Christ, et si votre fragilité vous fait parfois tomber, pleurez aussitôt comme lui, et ayez recours à mon intercession. Réparez vos fautes journalières par la patience dans les adversités, recevez-les avec joie, sans trouble et sans aucune distinction , quelles qu'elles puissent être; suit les maladies, soit les insultes des créatures, soit les agitations et la lutte des passions que vos ennemis invisibles feront naître dans votre âme (1). Il y a dans tout cela de quoi souffrir, et vous devez vous y résigner avec foi, espérance et magnanimité. Croyez bien qu'il n'y a point d'exercice plus profitable pour l'âme que celui des tribulations ; elles éclairent, détrompent et éloignent le coeur humain des choses terrestres, et le portent au Seigneur, qui vient au-devant de lui; car il habite avec les affligés, il les délivre et les protège (2).

 

(1) Rom., VII, 23. — (2) Ps. XC, 15.

 

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CHAPITRE XVI. On amène notre Sauveur Jésus-Christ chez Caïphe le grand prêtre, où il est accusé et interrogé s'il est le Fils de Dieu. — Saint Pierre le renonce deux autres fois. — Ce que fait l'auguste Marie dans cette rencontre, et quelques autres mystères.

 

1268. Après que notre Sauveur eut reçu chez Anne les outrages et le soufflet dont j'ai parlé, ce pontife l'envoya lié à son gendre Caïphe, qui remplissait cette année-là les fonctions de grand prêtre, et près duquel les scribes et les anciens s'étaient assemblés pour examiner la cause du très-innocent Agneau (1). La patience invincible et la mansuétude que le Seigneur des vertus témoignait au milieu des injures qu'on lui faisait, étonnaient, confondaient et irritaient les démons d'une façon inexprimable, et comme ils ne pénétraient point les opérations intérieures de la très-sainte Humanité, comme quant aux actions extérieures, par lesquelles ils tâchent de deviner le coeur des autres hommes, ils ne découvraient en lui aucun mouvement désordonné, et que le très-doux Seigneur ne se plaignait pas, ne soupirait même pas, et refusait à son

 

(1) Joan., XVIII, 24; Matth., XXVI, 57. — (2) Ps. XXIII, 10.

 

 

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humanité jusqu'à cette légère consolation; cette générosité héroïque les tourmentait singulièrement, et ils l'admiraient comme quelque chose d'étrange et de tout à fait extraordinaire chez les hommes, qui sont d'une condition passible et faible. Transporté d'une nouvelle fureur, le Dragon excitait tous les princes des prêtres, les scribes et tous leurs serviteurs à insulter et à maltraiter le Seigneur de la manière la plus abominable; et de leur côté, ils étaient prêts à exécuter tout ce que l'ennemi leur suggérait, quand la divine volonté le leur permettait.

1269. Cette troupe infâme de ministres infernaux et d'hommes sans pitié partit dé la maison d'Anne, et traîna notre Sauveur chez Caïphe à travers les rues de la ville, continuant de le traiter avec une cruauté implacable et avec toutes les ignominies imaginables. Ils envahirent sa demeure avec un tumulte scandaleux , et le grand prêtre et ses assistants accueillirent le divin captif par de cruels sarcasmes, le voyant soumis à leur pouvoir et à leur juridiction, dont ils ne croyaient pas qu'il pût désormais se défendre. O secret de la très-haute sagesse du ciel de l’ignorance diabolique et stupide aveuglement des mortels ! Quelle distance immense vois-je entre vous et les oeuvres du Très-Haut! C'est quand le Roi de gloire, qui est puissant dans les combats (1), triomphe des vices, de la mort, et du péché par les vertus de patience, d'humilité et de charité, comme Seigneur de toutes les

 

(1) Ps., XXIII, 8.

 

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vertus, que le monde croit l'avoir vaincu par son orgueil ! Combien différentes étaient les pensées de notre Seigneur Jésus-Christ, de celles de tous ces ouvriers d'iniquité! L'Auteur de la vie offrait à son Père éternel ce triomphe que sa douceur et son humilité remportaient sur le péché; il priait pour les prêtres, pour les scribes, et pour tous ses autres persécuteurs; et il représentait à son Père sa patience, ses propres douleurs, et l'ignorance de ceux qui l'outrageaient. Au. même moment sa bienheureuse Mère offrait la même prière pour ses ennemis et ceux de son très-saint Fils, imitant en tout ce que sa Majesté faisait; car elle le découvrait clairement, comme je l'ai maintes fois répété. De sorte qu'il se trouvait entre le Fils et la Mère une admirable correspondance à laquelle se complaisait infiniment le Père éternel.

1270. Le pontife Caïphe occupait son siège sacerdotal enflammé d'une envie et d'une haine mortelle contre le Maître de la vie. Lucifer et tous les démons, qui vinrent de la maison d'Anne, l'assistaient. Les scribes et les pharisiens s'acharnaient comme des loups affamés contre le très-doux Agneau; tous se réjouissaient de sa prise, comme l'envieux se réjouit quand il voit son compétiteur abattu. Ils cherchèrent d'un commun accord des témoins, qui, subornés par des présents et des promesses, dissent quelque faux, témoignage contre notre Sauveur Jésus-Christ (1). Ceux qui avaient été prévenus se présentèrent; mais

 

(1) Matth., XXVI, 59; Marc., XIV, 56.

 

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ils ne s'accordaient point dans leurs dépositions; et ils pouvaient encore moins les appliquer à Celui qui était par nature l'innocence et la sainteté même (1). Pour se tirer d'embarras, ils appelèrent deux autres faux témoins, qui déposèrent contre Jésus, assurant de lui avoir ouï dire qu'il pouvait détruire ce Temple de Dieu bâti par la main des hommes, et dans trois jours en rebâtir un autre, qui ne serait point fait par la main des hommes (2). Mais ce faux témoignage n'était pas non plus convaincant; quoiqu'ils prétendissent s'en servir contre notre Sauveur, pour prouver qu'il usurpait le pouvoir divin, et qu'il se l'arrogeait à lui-même. Quand cela eût été, il était la vérité infaillible, par conséquent il ne pouvait rien dire de faux, rien de présomptueux, puisqu'il était véritablement Dieu. Mais le témoignage était faux; attendu que le Seigneur n'avait point proféré ces paroles telles que les témoins les rapportaient, en les appliquant au Temple matériel de Dieu. Ce que le Sauveur avait dit dans une certaine circonstance, lorsqu'il chassa du Temple ceux qui y vendaient et qui y achetaient, et qu'il répondit à ceux qui lui demandaient par quel pouvoir il les chassait: Détruisez ce Temple (3), équivalait à leur dire, de détruire le Temple de son corps, et qu'il ressusciterait le troisième jour, comme il lit pour preuve de sa puissance divine.

1271. Notre Sauveur ne répondit pas un seul mot

 

(1) Hebr., VII, 26. — (2) Matth., XXVI, 60; Marc., XIV, 68. — (3) Joan , II, 19.

 

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à toutes les calomnies que l'on inventait contre son innocence. Caïphe voyant le silence et la patience du Seigneur, se leva de son siège, et lui dit : « Ne répondez-vous rien aux accusations dont ces gens vous chargent (1)? » Mais il se tut et ne fit encore aucune réponse (2), parce que Caïphe et les autres membres du conseil, non-seulement étaient décidés à ne pas ajouter foi à ce qu'il aurait dit, mais leur double intention était qu'il répondit quelque chose, dont ils pussent se servir pour le calomnier, afin de couvrir leur tyrannique dessein, et d'empêcher que le peuple ne s'aperçût qu'ils le condamnaient injustement à mort. Cet humble silence de Jésus-Christ, qui devait adoucir le pontife, l'irrita encore davantage, parce qu'il lui ôtait tout prétexte pour exercer sa malice. Lucifer, qui excitait Caïphe aussi bien que les autres, était fort attentif à tout ce que le Rédempteur du monde faisait. Quoique l'intention de ce dragon fût bien différente de celle du pontife; car il prétendait seulement pousser à bout la patience du Seigneur, ou lui donner lieu de dire quelque parole à laquelle il pût reconnaître s'il était véritablement Dieu.

1272. Dans cette intention Lucifer inspira à Caïphe de faire avec emportement et d'un ton impérieux cette nouvelle question à notre Seigneur Jésus-Christ: Je vous conjure par le Dieu vivant de nous déclarer si vous êtes le Christ Fils de Dieu (3)? Cette question de la part du pontife fut pleine de témérité et de folie; car

 

(1) Marc., XIV, 60. — (2) Ibid., 61. — (3) Matth., XXXVI, 63.

 

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s'il doutait que Jésus-Christ ne fût Dieu, c'était un crime énorme et une insigne témérité de le tenir garrotté comme un coupable en sa présence; cet examen devait être fait d'une autre manière et selon la raison et selon la justice. Mais Jésus-Christ entendant que le grand prêtre le conjurait au nom du Dieu vivant, adora ce saint Nom, quoique prononcé par une bouche si sacrilège. Et pour exprimer son respect, il répondit en ces termes : Vous le dites, et je le suis. Toutefois je vous annonce qu'un jour vous verrez venir sur les nues du ciel le Fils de l'homme, qui n'est autre que moi, assis à la droite de Dieu (1). Les démons et les hommes se troublèrent diversement par cette réponse. Lucifer et ses ministres n'y purent point résister, et sentirent en elle une force qui les précipita dans l'abîme, écrasés sous le poids de cette vérité qui leur causait de nouveaux tourments. Et ils n'auraient point osé retourner en présence du Seigneur, si sa très-haute Providence n'eut disposé, que Lucifer entrât en de nouveaux doutes si Jésus-Christ avait dit la vérité ou s'il n'avait pas fait cette réponse pour se délivrer des Juifs. Dans cette incertitude, ils firent de nouveaux efforts et revinrent su combat; car le dernier triomphe que le Sauveur devait remporter sur eux et sur la mort était réservé pour la croix, comme nous le verrons dans la suite selon la prophétie d'Habacuc (2).

1273. Mais Caïphe, irrité de la réponse du Seigneur, qui devait le détromper entièrement, se leva une

 

(1) Matth., XXVI, 64. — (2) Habac., III, 13.

 

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seconde fois, et déchirant ses habits pour marquer le zèle qu'il prétendait avoir de l'honneur de Dieu, il dit à haute voix : Il a blasphémé, qu'avons-nous besoin encore de témoins? N'avez-vous pas entendu son blasphème? Qu'en pensez-vous (1)? Cette inepte et abominable déclaration de Caïphe fut véritablement un blasphème; car il dénia à Jésus-Christ la qualité de Fils de Dieu, qui par nature lui appartenait, et lui attribua le péché, qui par nature répugnait à sa divine personne. Telle fut la folie de ce méchant prêtre, qui était obligé par sa charge de connaître la vérité religieuse et de l'enseigner; de sorte qu'il devint lui-même un blasphémateur exécrable quand il dit que Celui qui était la. sainteté même blasphémait. Et ayant prophétisé peu de temps auparavant, par l'inspiration. du Saint-Esprit en vertu de sa dignité, qu'il était expédient qu'un seul homme mourut pour toute la nation (2), il ne mérita pas à cause de ses péchés d'entendre la vérité qu'il annonçait. Mais comme l'exemple et le sentiment des princes et des prélats sont si puissants pour mouvoir le peuple, qui est ordinairement porté à flatter les grands, tous ceux qui assistaient à cette inique assemblée s'irritèrent contre notre adorable Sauveur, et répondant à Caïphe, s'écrièrent : Il mérite la mort; qu'il meure, qu'il meure (3) ! Et excités par le démon, ils se jetèrent tous ensemble sur notre très-doux Maître, et déchargèrent sur lui leur fureur diabolique; les uns lui donnaient des soufflets

 

(1) Matth., XXVI, 65. — (2) Joan., XI, 50. — (3) Matth., XXVI, 67.

 

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et lui tiraient les cheveux , les autres lui crachaient au visage, d'autres lui, donnaient des coups de pied ou le frappaient de la main sur le cou; c'était une espèce d'affront très-sanglant que les Juifs réservaient aux gens qu'ils méprisaient le plus.

1274. Jamais les hommes n'ont été témoins d'outrages aussi cruels que ceux que les Juifs firent dans cette occasion à notre Rédempteur. Saint Luc et saint Marc rapportent que ces bourreaux impitoyables lui couvrirent le visage, et que lui ayant bandé les yeux, ils lui donnaient des soufflets en l'apostrophant ainsi: « Devine maintenant, devine, puisque tu es prophète, dis-nous qui t'a frappé (1). » La cause pour laquelle ils lui couvrirent le visage fut mystérieuse; et c'est parce que de la joie que notre Sauveur avait de souffrir ces opprobres, comme je le dirai bientôt, il rejaillissait sur son vénérable visage une beauté et une splendeur extraordinaire, qui remplirent tous ces ouvriers d'iniquité d'une surprise et d'une confusion fort pénibles, et pour cacher leur étonnement, ils attribuèrent cet éclat à l'art magique, et ils prirent de là occasion de voiler la face du Seigneur avec un linge fort sale, indignes qu'ils étaient de la regarder, et voulant d'ailleurs se soustraire à l'aspect de cette divine. lumière, qui les tourmentait et paralysait leur fureur diabolique. La bienheureuse Marie ressentait tous les sanglants affronts que subissait le Sauveur; elle sentait aussi la douleur des coups et des blessures

 

(1) Luc., XXII, 64; Marc., XIV, 65.

 

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dans les mêmes endroits et dans les mêmes moments que. l'adorable Rédempteur les recevait. Il y avait cette seule différence : c'est qu'en notre Seigneur Jésus-Christ les douleurs étaient causées par les coups que les Juifs lui donnaient, tandis que la main du Très-Haut les causait en sa très-pure Mère, suivant ses propres désirs. Et il est sûr que naturellement elle aurait succombé aux douleurs et aux peines intérieures dont elle était accablée, si la vertu divine ne l'eût fortifiée en même temps, afin qu'elle continu de souffrir avec son bien-aimé Fils et son Seigneur.

1275. Il n'est pas possible d'exprimer ni même de concevoir les oeuvres intérieures que fit le Sauveur au milieu de ces traitements d'une cruauté inouïe. Il n'y eut que la bienheureuse, Marie qui les connut entièrement, pour les imiter avec une souveraine perfection. Mais comme notre divin Maître apprenait à l'école de l'expérience de ses propres douleurs les souffrances de ceux qui devaient l'imiter et suivre sa doctrine, il s'appliqua à les sanctifier et à les bénir d'une manière spéciale en cette occasion, où il leur enseignait par son exemple le chemin étroit de la perfection. Parmi ces opprobres, ces tourments et tous ceux qu'il souffrit ensuite, il se plut à renouveler en faveur de ses élus les béatitudes qu'il leur avait promises auparavant. il se tourna vers les pauvres en esprit qui devaient l'imiter en cette vertu, et il dit : « Vous serez bienheureux dans votre dénuement des  choses terrestres, car je rendrai par ma passion et par ma mort le royaume du ciel comme une

 

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possession assurée, et comme une récompense certaine a de la pauvreté volontaire (1). Bienheureux seront  ceux qui souffriront avec douceur et qui supporteront les adversités avec patience; car outre le droit  qu'ils acquièrent à ma félicité pour m'avoir imité,  ils posséderont la terre des volontés et des coeurs  des hommes, par leur paisible conversation et par  les charmes de la vertu. Bienheureux seront ceux  qui sèmeront dans les larmes (2) et qui pleureront; car elles leur feront trouver le pain d'intelligence et de vie, et cueillir plus tard le fruit de la joie éternelle (3).

1276. « Bienheureux seront aussi ceux qui auront  faim et soif de la justice et de la vérité; car je leur  mérite une nourriture qui les rassasiera, et qui  surpassera tous leurs désirs, soit en la grâce, soit  en la récompense de la gloire. Bénis seront les  miséricordieux qui auront compassion de ceux qui  les offensent et qui les persécutent, comme je le  fais en leur pardonnant et en leur offrant mon  amitié et ma grâce, s'ils veulent la recevoir; et je  leur promets au nom de mon Père une miséricorde  abondante. Bénis soient ceux qui ont le coeur pur, qui m'imitent et qui crucifient leur chair pour conserver la pureté de l'esprit. Je leur promets la vision  de la paix , et qu'ils arriveront à celle de ma divinité par ma  ressemblance et par ma participation. Bénis soient les pacifiques qui, sans chercher leurs

 

(1) Matth., V, 3. — (2) Ps. CXXV, 6. — (3) Eccles., XV, 3.

 

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intérêts, ne résistent point aux maux, et les reçoivent avec un coeur ingénu et tranquille, sans  aucun esprit de vengeance; ils seront appelés mes   enfants, parce qu'ils ont suivi la conduite de leur  Père céleste; je les porte et les écris dans ma niée moire et dans mon entendement pour les adopter   comme miens. Que ceux qui souffriront persécution pour la justice soient bienheureux et héritiers de  mon royaume céleste, parce qu'ils ont souffert avec moi; je veux qu'ils soient éternellement avec moi, où je suis moi-même (1). Que les pauvres se réjouissent, que les affligés se consolent, que les   petits et les méprisés du monde célèbrent leur bon heur; et vous qui souffrez avec humilité et avec  patience, goûtez donc vos souffrances avec joie intérieure, puisque vous me suivez par les voies de a la vérité. Renoncez à la vanité, dédaignez les pompes  et les applaudissements de la superbe et trompeuse Babylone; passez par le feu et par les eaux de la  tribulation jusqu'à ce que vous soyez arrivés à moi,  qui suis la lumière, la vérité, et votre guide qui   vous conduis au repos éternel et au lieu de rafraîchissement (2). »

1277. Notre Sauveur Jésus-Christ s'occupait à ces rouvres si divines et à des prières pour les pécheurs, tandis que le conseil des méchants l'entourait et l'assiégeait, suivant l'expression de David (3), comme une bande de chiens enragés, l'accablant d'insultes,

 

(1) Joan., XII, 26. — (2) Ps. CXXV, 12. — (3) Ps. XXI, 17.

 

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d'opprobres, de coups et de blasphèmes. La Vierge mère, toujours attentive, s'associait à ce qu'il faisait et souffrait; dans la prière, elle faisait les mêmes demandes pour les ennemis; et dans les bénédictions que son très-saint Fils donna aux justes et aux prédestinés, elle se constitua leur mère, leur avocate et leur protectrice; et elle fit au nom de tous des cantiques de louange et de reconnaissance, de ce que le Seigneur réservait aux pauvres et aux méprisés du monde une si haute place dans son estime et une si large part dans ses complaisances. Pour cette raison et pour plusieurs autres choses qu'elle connut dans les oeuvres-intérieures de Jésus-Christ; elle fit de nouveau, avec une ferveur incomparable, choix des souffrances, des mépris, des tribulations et des peines pour tout le reste de la passion et de sa très-sainte vie.

1278. Saint Pierre avait suivi notre Sauveur de la maison d'Anne jusqu'à celle de Caïphe, mais toujours d'un peu loin, parce que la crainte qu'il avait des Juifs l'intimidait; toutefois, il parvenait à la surmonter jusqu'à un certain point par l'amour qu'il portait à son Maître, et par un effort de courage naturel. Il ne fut pas difficile à cet apôtre, favorisé d'ailleurs par l'obscurité de la nuit, de s'introduire dans la maison de Caïphe, à cause de la multitude des personnes qui entraient et qui sortaient. Il fut pourtant aperçu entre les portes de la cour par une autre servante, qui était portière, comme l'était celle de la maison d'Anne; et, s'étant approchée des soldats qui se chauffaient dans

 

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cette même cour, elle leur dit : « Cet homme-là est un de ceux qui étaient avec Jésus de Nazareth; » et une personne de sa compagnie lui dit: Vous êtes véritablement Galiléen, et un de ses disciples. Saint Pierre le nia, et jura qu'il n'en était point (1): après cela il s'écarta du feu et de la compagnie. Mais, quoiqu'il sortît de la cour, il ne put pas se résoudre de s'en éloigner, jusqu'à ce qu'il eût vu la fin de tout ce qui arriverait au Sauveur; car il était retenu par l'amour qu'il lui portait et par la compassion naturelle qu'il avait des peines dans lesquelles il le laissait. Après qu'il eut tournoyé et épié environ une heure dans cette même maison de Caïphe, un parent de Malchus, à qui ]'Apôtre avait coupé l'oreille, le reconnut et lui dit : Vous êtes Galiléen et disciple de Jésus; je vous ai vu avec lui dans le jardin (2)? Alors saint Pierre, se voyant découvert, fut saisi d'une plus grande crainte; et il se prit à détester et à jurer qu'il ne connaissait point cet homme. Aussitôt le coq chanta pour la seconde fois (3); de sorte que la parole que son divin Maître lui avait dite fut ponctuellement accomplie, qu'avant que le coq chantât deux fois, il le renoncerait cette nuit trois fois (4).

1279. Lucifer employa toutes ses ruses et toutes ses forces pour perdre saint Pierre. Il excita premièrement les servantes des pontifes, comme plus volages, et ensuite les soldats, afin que les unes et les autres

 

(1) Marc., XIV, 67 et 71; XIV, 68; Luc., XXII, 58 et 59; Matth., XXVI, 72. — (2) Joan, XVIII, 26. — (3) Marc., XIV, 72 . — (4) Ibid., 30.

 

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tourmentassent l'Apôtre par leurs remarques et leurs questions, et il troubla le saint lui-même par de violentes tentations, parce qu'il vit le danger, et surtout quand il commença à chanceler. Par suite de ces cruelles attaques, le premier renoncement de saint Pierre fut simple, le second avec serment, et il ajouta su troisième des imprécations contre lui-même. C'est ainsi que l'on tombe d'un moindre péché dans un plus grand, quand on prête l'oreille aux suggestions de l'ennemi. Mais, saint Pierre ayant ouï le chant du coq, se souvint de la prédiction de son divin Maître, parce que sa Majesté le regarda avec sa bénigne miséricorde (1). La Reine de l'univers lui procura ce bonheur par ses charitables prières : car elle connut, du cénacle où elle était, les renoncements que l'Apôtre avait faits, et tout ce qui avait contribué â sa chute, entraîné qu'il avait été par la crainte naturelle, et bien plus encore par la violence de la tentation de Lucifer. Elle se prosterna aussitôt, et pria avec beaucoup de larmes pour saint Pierre, en représentant sa fragilité et en même temps les mérites de son adorable Fils. Le Seigneur lui-même excita le coeur de Pierre et le reprit avec douceur par le moyen de la lumière qu'il lui envoya, afin qu'il reconnût sa faute et qu'il la pleurât. L'Apôtre sortit incontinent de la maison du pontife, le coeur brisé par la plus vive douleur et par les sanglots que lui arrachait le regret de sa chute. Pour la pleurer dans toute l'amertume de son âme, il alla

 

(1) Luc., XXII, 61.

 

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dans une grotte, qui est maintenant appelée du chant du coq, où il pleura avec un profond repentir. Dans trois heures il recouvra la grâce, et obtint le pardon de ses péchés, n'ayant pourtant jamais été privé des saintes inspirations. Notre auguste Princesse lui envoya un, de ses anges, avec charge de le consoler secrètement et de le porter â conserver l'espérance du pardon, de peur qu'il ne lui fût retardé par la défiance et le découragement. Le saint ange partit avec ordre de ne point se manifester à Pierre, attendu que son péché était encore trop récent. Cet esprit céleste exécuta tout ce qui lui avait été ordonné, sans que l'Apôtre s'aperçût de sa présence; ainsi ce grand pénitent fut fortifié et consolé par les inspirations de l'Ange, et reçut le pardon de son crime par l'intercession de la très-pure Marie.

 

Instruction que notre grande Reine m'a donnée.

 

1280. Ma fille, le secret mystérieux des opprobres, des outrages et des mépris auxquels fut en butte mon très-saint Fils, est lin livre scellé, qui ne peut être ouvert ni entendu que par la divine lumière, comme il vous a été donné de le connaître et de le lire en partie, quoique vous en écriviez beaucoup moins que vous n'en pénétrez, parce que vous ne sauriez tout exprimer. Mais comme ce livre vous est ouvert dans le plus

 

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intime de votre coeur, je veux qu'il y reste imprimé, et que dans la connaissance de cet exemplaire vivant et véritable vous étudiiez la science divine, que ni la chair ni le sang ne peuvent vous enseigner, parce que le monde ne la connaît point, et qu'il ne mérite pas de la connaître. Cette divine philosophie consiste à comprendre et à aimer le bonheur inestimable du sort de ceux qui sont pauvres, humbles, affligés, méprisés et inconnus parmi les enfants de la vanité (1). Mon très-saint et très-aimé Fils établit cette école dans son Église, quand il prêcha et proposa à tous les huit béatitudes sur la montagne. Et il mit depuis cette dos trine en pratique, comme un Maître qui fait ce qu'il enseigne, quand il renouvela dans sa passion les chapitres de cette science qu'il s'appliquait à lui-même, ainsi que vous rayez rapporté. Cette école est partout ouverte aux catholiques; ce livre est toujours étalé sous leurs yeux, et pourtant, qu'il y en a peu et qu'on compterait aisément ceux qui entrent dans cette école et qui lisent dans ce livre, tandis qu’il y a une infinité d'insensés qui ignorent cette science, parce qu'ils ne se disposent point à en être instruits !

1281. Les mortels ont la pauvreté en horreur, et sont affamés des richesses, sans que leur vanité puisse les désabuser. Que de gens qui se laissent emportera la colère et à la vengeance, et qui méprisent la mansuétude ! Qu'il en est peu qui gémissent de leurs véritables misères, et qu'il en est beaucoup qui cherchent les

 

(1) Matth., V, 2, etc.

 

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consolations terrestres ! A peine trouve-t-on un homme qui aime la justice, et qui ne soit injuste et déloyal envers son prochain. La miséricorde est éteinte, l'intégrité des coeurs violée ou blessée, la paix troublée. Personne ne vent pardonner; et, bien loin de vouloir souffrir pour la justice, les hommes font tous leurs efforts pour éviter les peines qui leur sont si légitimement dues. C'est pour cela, ma très-chère fille, qu'il s'en trouve très-peu qui soient bienheureux et qui reçoivent les bénédictions de mon très-saint Fils et les miennes. Vous avez maintes fois connu la juste colère du Très-Haut contre ceux, qui font profession de la foi, de ce qu'à la vue de leur exemplaire et du Maître de la vie, ils vivent presque comme des infidèles, et sont bien souvent plus horribles qu'eux; car ce sont eux qui méprisent véritablement le fruit de la rédemption, qu'ils avouent et qu'ils connaissent; ils commettent le mal avec impiété dans la terre des saints (1), et se rendent indignes du remède qui leur a été mis entre les mains avec tant de miséricorde.

1282. Je veux, ma fille, que vous travailliez à devenir bienheureuse, en suivant parfaitement mon exemple dans la mesure de la grâce que vous recevez pour entendre cette doctrine cachée aux sages et aux prudents du monde (2). Je vous découvre chaque jour de nouveaux secrets de ma sagesse, afin que votre, coeur s'enflamme, et que vous vous excitiez à porter votre main à des choses fortes (3). Je vais maintenant

 

(1) Isa., XXVI, 10. — (2) Matth., XI, 35. — (3) Prov., XXXI, 19.

 

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vous faire connaître un exercice auquel je m'adonnais, et dans lequel vous pourrez en partie m'imiter. Vous savez déjà que dès le premier instant de ma conception je fus pleine de grâce, exempte de la tache du péché originel et de toute participation à ses effets par ce privilège singulier, je fus dès lors bienheureuse dans les vertus, sans y sentir aucune répugnance, et sans titre obligée de satisfaire pour aucun propre péché. Néanmoins la science divine m'enseigna que, comme j'étais fille d'Adam en la nature qui avait péché, je devais, quoique je ne la fusse point dans le péché commis, m'humilier jusqu'au centre de la terre. Et comme j'avais les sens de la même espèce que ceux par lesquels la désobéissance avait été commise, et qu'en affectaient les mauvais effets auxquels alors et depuis s'est trouvée sujette la condition humaine, je devais, à cause de cette seule relation, les mortifier, les humilier et les priver de l'inclination qu'ils éprouvaient en cette même nature. De sorte que j'agissais comme une très-fidèle fille de famille, qui regarde comme sienne propre la dette de son père et de ses frères, quoiqu'elle ne l'ait point contractée, et qui tâche de la payer avec d'autant plus de zèle, qu'elle aime son père et ses frères, et qu'elle les voit dans l'impuissance d'y satisfaire, ne prenant aucun repos qu'elle ne soit parvenue à leur procurer une entière libération. C'est ce que je faisais à l'égard de tout le genre humain, dont je pleurais les misères et les péchés; et, comme j'étais fille d'Adam, je mortifiais eu moi les sens et les puissances par lesquels il avait

 

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péché, et je m'humiliais comme confuse et coupable de sa désobéissance et de son péché, quoique j'en fusse exempte, et j'en faisais autant pour les autres, qui sont mes frères en la même nature. Vous ne sauriez m'imiter dans les mêmes conditions, parce que vous avez participé au péché. Mais c'est ce qui vous oblige à n'imiter dans les autres choses que je faisais sans en avoir été souillée : puisque l'obligation que vous avez de satisfaire à la justice divine, après l'avoir contractée, vous doit presser de travailler sans cesse et pour vous et pour votre prochain, et de vous humilier jusque dans le néant; car un coeur contrit et humilié porte la divine clémence à user de miséricorde (1).

 

 

CHAPITRE XVII. Ce que notre Sauveur souffrit depuis le renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, et la grande affliction de sa très-sainte Mère.

 

1283. Les écrivains sacrés ont passé cet endroit sous silence, sans avoir déclaré où l'on mit l'Auteur de la vie, ni ce qu'il souffrit, ni les injures qu'il reçut dans la maison de Caïphe et en sa présence, depuis le

 

(1) Ps. L, 19.

 

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renoncement de saint Pierre jusqu'au lendemain, tandis qu'ils ont tous parlé du nouveau conseil qui se tint pour envoyer le Seigneur à Pilate, comme on le verra dans le chapitre suivant. J'hésitais à m'arrêter à ces circonstances, et à écrire ce qui m'en a été découvert, parce qu'il m'a été aussi montré qu'on ne connaîtra pas tout dans cette vie, qu'il n'est pas même convenable de dire à tous certaines choses, et que les mystères de la vie et de la Passion de notre Rédempteur ne seront entièrement manifestés aux hommes qu'au jour du jugement. Pour ce qu'il m'est permis d'en révéler, je ne trouve point de termes qui soient proportionnés à l'idée que j'en ai formée, et encore moins à l'objet que je conçois, parce que tout y est ineffable et au-dessus de mon savoir-dire. Je dirai néanmoins par obéissance ce que je pourrai, pour n'être pas reprise d'avoir caché la vérité, qui confond et condamne tellement notre vanité et notre oubli. Je confesse en présence du Ciel mon insensibilité, puisque je ne meurs point de honte et de douleur après avoir commis des fautes qui ont conté tant de peines au même Dieu, qui m'a donné l’être et la vie que j'ai. Nous ne pouvons plus ignorer l'énormité du péché, puisqu'il a attiré tant de maux sur l'Auteur même de la grâce et de la gloire. Je serais la plus ingrate de tous les mortels, si dès maintenant je n'abhorrais le péché plus que la mort, et autant même que le démon; et je déclare cette obligation à tous les enfants de la sainte Église.

1284. Les opprobres que notre Seigneur Jésus

 

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Christ reçut en présence de Caïphe lassèrent, sans l'assouvir, l'envie de cet ambitieux pontife et la rage de ses complices. Mais, comme minuit était déjà passé, ceux du conseil déterminèrent que, pendant qu'ils dormiraient, notre Sauveur serait gardé dans un lieu de sûreté jusqu'au lendemain. C'est pourquoi ils le firent mettre, garrotté comme il était, dans une espèce de cave souterraine qui servait de prison pour les plus grands voleurs et les plus scélérats. Cette prison était si obscure, qu'on n'y voyait presque pas, et si puante, qu'elle aurait été capable d'infecter toute la maison, si l'on n'eût pris soin d'en bien boucher les ouvertures : car il y avait plusieurs années qu'on ne l'avait ni lavée ni nettoyée, tant parce qu'elle était fort profonde, que parce que, lorsqu'on y renfermait des brigands, on n'éprouvait aucun scrupule à les jeter dans cet horrible cachot, comme des gens indignes de pitié, et comme des bêtes féroces et indomptables.

1285. On exécuta ce que le conseil d'iniquité avait prescrit; ainsi les soldats menèrent le Créateur du ciel et de la terre au fond de cet immonde cachot ! Et comme il était toujours lié en la même manière qu'il était venu du jardin, les bourreaux purent continuer à satisfaire à leur aise la rage que le prince des ténèbres leur inspirait : car, se servant des cordes dont le Seigneur était attaché, ils le tirèrent, ou plutôt le traînèrent dans cette prison avec une fureur incroyable, le chargeant de coups et de blasphèmes exécrables. Il se trouvait dans un coin le plus enfoncé

 

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de cette cave une pointe de rocher si dure, qu'on n'avait pu la casser. Les bourreaux attachèrent notre Sauveur Jésus-Christ avec les bouts des cordes à ce rocher qui avait la forme d'un tronçon de colonne; mais ce fut avec un raffinement de cruauté, car il n'avait pas la liberté de se redresser ni de s'asseoir pour prendre le moindre soulagement, et cette posture était extrêmement gênante et pénible. L’ayant laissé dans cet état, ils fermèrent les portes de la prison , et en remirent les clefs à l'un de ces méchants satellites, afin qu'il les gardât.

1286. Mais le dragon infernal était continuellement agité par son orgueil, et brûlait toujours de découvrir qui était Jésus-Christ; et, voulant encore éprouver sa patience invincible, il s'unit à tous ces hommes pervers pour inventer une nouvelle méchanceté. Il poussa celui qui avait les clefs du lieu où était le divin prisonnier et le plus grand trésor du ciel et de la terre, à solliciter ses compagnons, aussi méchants que lui, de descendre tous ensemble dans la prison où était le Maître de la vie, et de s'entretenir un peu avec lui pour lui donner occasion de deviner ou de faire quelque prodige, car ils le prenaient pour un magicien. Cédant à cette suggestion diabolique, le geôlier appela d'autres soldats et satellites, qui adoptèrent son projet. Mais, pendant qu'ils se préparaient à l'exécuter, il arriva que la multitude d'anges qui accompagnaient le Rédempteur dans sa Passion, l'ayant vu dans une posture si pénible et dans un lieu si abject et si sale, se prosternèrent devant lui et l'adorèrent

 

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pour leur Dieu véritable; et, plus il se rendait admirable en se laissant traiter de la sorte pour l'amour des hommes, plus ils s'empressaient de lui témoigner leur vénération, et de lui offrir l'hommage de leur culte. Ils lui chantèrent quelques-unes des hymnes que sa très-pure Mère avait faites à sa louange, comme je l'ai dit plus haut. Et tous les esprits célestes le prièrent au nom de cette auguste Reine, que, puisqu'il ne voulait pas montrer la puissance de sa droite en délivrant sa très-sainte humanité de tant de peines, il leur permît au moins de le délier pour lui donner quelque soulagement, et de le défendre contre cette troupe de bourreaux, qui, inspirés par Lucifer, se disposaient à lui faire de nouveaux outrages.

1287. Le Sauveur, ne voulant pas recevoir le service plue les anges s'offraient à lui rendre , leur dit Ministres de mon Père éternel, ce n'est pas ma volonté que vous me donniez maintenant aucun sou lapement dans ma passion; je veux souffrir tous ces opprobres et toutes ces peines, afin de satisfaire à l’ardente charité avec laquelle j'aime les hommes, et laisser à mes élus et amis cet exemple, afin qu'ils m'imitent et qu'ils ne perdent point courage dans la tribulation, et afin que tous estiment les trésors de la grâce que je leur ai méritée avec abondance   par le moyen de ces peines. Je veux aussi justifier ma cause, et montrer aux réprouvés, au jour de ma colère, combien il est juste qu'ils soient damnés, après avoir méprisé la très-douloureuse passion

 

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que j'ai subie pour leur procurer le salut. Vous direz à ma Mère qu'elle se console dans cette tribulation, en attendant que le jour de la joie et du repos arrive; qu'elle m'imite maintenant en ce que je  fais et en ce que j'endure pour les hommes, et que  j'accepte sa tendre compassion et toutes ses oeuvres  avec beaucoup de complaisance. » Les saints anges allèrent aussitôt trouver leur grande Reine, et ils la consolèrent par leur ambassade sensible, quoiqu'elle connût par une autre voie la volonté de son très-saint Fils et tout ce qui se passait dans la maison de Caïphe. Et lorsqu'elle vit la nouvelle cruauté que l'on exerçait sur l'Agneau du Seigneur et la posture si pénible de son très-saint corps, elle sentit la même douleur en sa très-pure personne, comme elle sentait toutes les autres peines de l'Auteur de la vie; car elles se répercutaient toutes comme un écho miraculeux dans le corps virginal de cette très-innocente colombe; le même glaive de douleur transperçait et le Fils et la Mère, avec cette différence pourtant, que Jésus-Christ soutirait comme Homme-Dieu et l'unique Rédempteur des hommes, et la bienheureuse Marie comme simple créature et la coadjutrice de son très-saint Fils.

1288. Quand elle sut que sa Majesté permettait à cette bande hideuse, excitée par le démon, d'entrer dans la prison, la tendre mère pleura amèrement pour les nouveaux outrages dont son fils serait l'objet. Et, prévoyant les desseins sacrilèges de Lucifer, elle résolut d'user de son autorité de Reine pour empêcher

 

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qu'on ne fit, contre la personne de notre Seigneur Jésus-Christ, aucune des actions indécentes par lesquelles ce dragon prétendait satisfaire la barbarie de ces misérables. Car, quoique tous les actes qu'ils commettaient pour maltraiter le Sauveur fussent odieux et d'une extrême irrévérence par rapport à sa divine personne, certains pouvaient être plus contraires à la décence, et c'est à ceux-là que l'ennemi poussait ses instruments pour irriter le Seigneur, n'ayant pu altérer sa douceur par les autres. Les oeuvres que fit notre auguste Princesse dans cette occasion et dans tout le cours de la passion furent si admirables, si héroïques et si extraordinaires, qu'on ne saurait les louer ni les raconter dignement, quand même on écrirait plusieurs livres sur ce seul sujet; ainsi il faut le réserver pour quand on jouira de la vision béatifique, attendu qu'il n'est pas possible de le traiter pendant cette vie.

1289. Or ces ministres d'iniquité entrèrent dans la prison, solennisant par des blasphèmes la fête qu'ils se promettaient au milieu des insultes et des sarcasmes auxquels ils étaient décidés à se livrer contre le Seigneur des créatures. Et l'ayant abordé ils se mirent à lui cracher vilainement su visage, et à lui donner des soufflets avec un mépris incroyable. Le Sauveur n'ouvrit point la bouche et ne leva pas même les yeux, se tenant toujours dans une humble sérénité. Ces ministres sacrilèges voulaient l'obliger de parler ou de faire quelque action ridicule ou extraordinaire, pour avoir occasion de le faire passer pour

 

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magicien et de se moquer de lui encore davantage; quand ils virent cette douceur inaltérable, ils se laissèrent aller à tous les transports de la colère qu'excitaient en eux les démons qui les accompagnaient. lis détachèrent notre divin Maître du rocher auquel il était lié, le placèrent su centre de la prison, et lui bandèrent les yeux avec un linge; et l'ayant ainsi au milieu d'eux, chacun lui donnait à l'envi des coups de poing et des soufflets, et redoublant leurs railleries et leurs blasphèmes, ils lui disaient de deviner qui l'avait frappé. Ces misérables proférèrent plus souvent ces blasphèmes dans cette occasion qu'en la présence de Caïphe; et lorsque saint Matthieu, saint Marc et saint Luc (1) racontent ce qui se passa devant ce pontife, ils comprennent tacitement ce qui arriva depuis.

1290. Le très-doux Agneau se taisait parmi tant d'opprobres et de blasphèmes. Et Lucifer, qui souhaitait avec ardeur qu'il lui échappât nu léger mouvement d'impatience, enrageait de voir la sérénité inaltérable de notre Sauveur; et il inspira avec nue malice infernale à ces hommes, qui étaient et ses esclaves et ses amis, de lui arracher tous ses vêtements, et de le traiter avec toute d'irrévérence et toute: la cruauté qu'un ennemi si exécrable pouvait imaginer. Les soldats ne résistèrent point à cette tentation, et résolurent d'exécuter un semblable projet. Mais notre très-prudente Dame usa de sein pouvoir de Reine

 

(1) Matth., XXVI, 67; Marc., XIV, 65; Luc., XXII, 64.

 

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pour empêcher ce sacrilège abominable, recourant aussi aux prières, aux larmes et aux soupirs; car elle pria le Père éternel de refuser son concours aux causes secondes de telles actions, et elle prescrivit aux organes des bourreaux eux-mêmes de n'user point de la vertu naturelle qu'ils avaient pour agir. Il résulta de cet ordre qu'ils ne purent rien exécuter de tout ce que le démon et leur propre malice leur suggéraient à cet égard; car ils oubliaient aussitôt beaucoup de choses, et ils n'avaient pas la force d'accomplir les autres choses qu'ils désiraient faire ; leurs bras étaient comme engourdis et perclus jusqu'à ce qu'ils eussent renoncé à leur mauvais dessein. Quand ils y avaient renoncé, ils revenaient à leur état naturel; parce que le miracle n'avait point lieu alors pour les châtier, mais seulement pour empocher les actions plus indécentes, et permettre celles qui l'étaient moins, ou celles d'une autre espèce d'irrévérence que le Seigneur voulait bien souffrir.

1291. Notre puissante Reine imposa silence aux démons, et leur défendit d'exciter les ministres et les soldats à commettre ces indécences, auxquelles Lucifer voulait les porter. Par cette défense le dragon fut abattu, et n'eut pas la forcé d'entreprendre ce que la bienheureuse Vierge lui interdisait, ainsi il ne lui fut pas possible d'irriter davantage ces hommes dépravés, et ceux-ci ne purent ni dire ni faire autre chose que ce qui leur était permis. Mais après avoir éprouvé en eux-mêmes coq effets aussi admirables qu'étranges, ils ne méritèrent pas de se détromper ni de

 

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reconnaître la puissance divine, quoiqu'ils se sentissent tantôt comme perclus, et tantôt libres et sains, et tout cela subitement; ces endurcis l'attribuaient à l'art magique et disaient que le Maître de la vérité et de la vie était un enchanteur. Et dans cette erreur diabolique ils continuèrent à maltraiter le Sauveur et à le couvrir de mille moqueries injurieuses, jusqu'à ce qu'ils s aperçurent que la nuit était déjà fort avancée, et alors ils le lièrent de nouveau au rocher; ensuite ils sortirent du cachot ainsi que les démons. Ce fut une disposition de la Sagesse divine de remettre au pouvoir de la bienheureuse Marie la défense de son très-saint Fils quant à tees choses intéressant l'honnêteté et la décence, par lesquelles il n'était pas convenable que Lucifer et ses ministres l'offensassent.

1292. Notre Sauveur se trouva une seconde fois seul dans cette prison, assisté néanmoins des esprits célestes qui admiraient les oeuvres et les secrets jugements de sa divine Majesté en ce qu'elle avait bien voulu souffrir, et qui, à la vue de ces merveilles, lui offrirent leurs louanges et leurs profondes adorations, ne cessant de glorifier et d'exalter son saint Nom. Notre divin Rédempteur fit une longue prière à son Père éternel, pour ceux qui devaient être les enfants de son Église évangélique, pour l'exaltation de la foi et pour les apôtres, surtout pour saint Pierre, qui pleurait alors son péché. Il pria aussi pour ceux qui l'avaient outragé, et il appliqua plus particulièrement sa prière à sa très-sainte Mère, et à ceux qui, à

 

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son imitation, seraient affligés et méprisée du monde; et il offrit pour toutes ces fins sa passion et la mort qu'il attendait. Au même moment la Mère de douleurs faisait la même prière pour les enfants de l’Église et pour les ennemis de son Fils et les siens, sans avoir contre ceux-ci ni colère ni aigreur. Elle tourna. toute son indignation contre le démon, comme incapable de la grâce à cause de son obstination irréparable. Et dans la sensible affliction où elle était, elle dit avec beaucoup de larmes au Seigneur.

1293. « Amour et bien de mon âme, mon Fils et  mon Seigneur, vous êtes digne que toutes les  créatures vous rendent le culte de respect, d'honneur et de louanges qu'elles vous doivent; car vous êtes l'image du Père éternel et la figure de sa a substance (1), infini en votre être et en vos perfections; vous êtes le principe et la fin de toute  sainteté (2). Si ces mêmes créatures dépendent absolument de votre volonté, comment, Seigneur,  méprisent-elles, outragent-elles et tourmentent elles maintenant votre personne, qui mérite tous les hommages d'une adoration suprême? Continent la malice des hommes a-t-elle osé s'élever avec tant de témérité? Comment l'orgueil s'est-il oublié jusqu'à mettre sa bouche dans le ciel? Comment l'envie a-t-elle été si puissante? Vous êtes l'unique et radieux Soleil de justice, qui éclaire et qui bannit les ténèbres du péché (3). Vous êtes la source de la

 

(1) Hebr., I, 3. — (2) Apoc., I, 8. — (3) Joan., I, 29.

 

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grâce, qui ne se refuse à aucun de ceux qui veulent la recevoir. C'est vous qui, par un amour libéral,  donnez l'être et le mouvement à ceux qui l'ont dans  la vie (1), et dont toutes les créatures reçoivent  leur conservation; tout dépend nécessairement de  vous, sans que vous ayez besoin de rien. Or qu'ont elles vu, ces créatures, dans vos oeuvres? Qu'ont elles trouvé en votre personne pour vous maltraiter  de la sorte? O laideur effroyable du péché, qui es bien pu défigurer à ce point la beauté du ciel et  obscurcir les brillants rayons de la face la plus vénérable ! O monstre impitoyable, qui traites avec   tant d'inhumanité le Réparateur même de tes ravages ! Mais je connais, mon Fils, que vous êtes  l'Artisan du véritable amour, l'Auteur du salut du  genre humain, le Maître et le Seigneur des vertus (2), et que vous mettez en pratique la doctrine  que vous enseignez aux humbles disciples de votre  école. Vous humiliez et confondez l'orgueil, et  vous êtes pour tous l'exemple de salut éternel. Et  si vous voulez que tous imitent votre charité et de votre patience ineffable, je dois être la première à suivre votre exemple, moi qui vous ai donné la  chair passible en laquelle vous êtes bafoué, couvert  de crachats, accablé de coups. Oh ! si je pouvais moi  soute souffrir toutes ces peines, et faire en sorte,  mon très-innocent Fils, que vous en fussiez délivré! Mais si cela n'est pas possible, accordez-moi

 

(1) Act., XVII, 28. — (2) Ps. XXIII, 10.

 

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du moins de souffrir avec vous jusqu'à la mort. Et  vous, esprits célestes, qui admirez la patience de  mon bien-aimé, et qui connaissez sa divinité immuable, et l'innocence et la dignité de son humanité véritable, réparez les injures et les blasphèmes  qu'il reçoit des hommes. Et proclamez qu'il est digne de recevoir l'honneur, la gloire, la sagesse,  la puissance et la force (1). Conviez les cieux, les  planètes, les étoiles et les éléments à le reconnaître,  et voyez s'il est une douleur égale à la mienne (2). »  Telles étaient, entre autres, les tristes plaintes par lesquelles la Mère désolée exhalait et soulageait quelque peu son amère douleur.

1294. La patience que montra notre auguste Princesse dans la passion et à la mort de son bien-aimé Fils, fut incomparable : car elle ne crut jamais souffrir assez; la grandeur de ses peines n'égalait point celle de son affection, qu'elle mesurait à l'amour et à la dignité de son très-saint Fils, et à l'excès de ses souffrances : dans tous les outrages que l'on faisait au même Seigneur, elle ne témoigna pas le moindre ressentiment personnel. Il n'y en avait point un seul qui lui échappât; mais elle ne s'en considérait point comme directement offensée, elle les déplorait en tant qu'ils offensaient la divine personne de son Fils, et qu'ils devaient tourner au préjudice des agresseurs; elle pria pour tous, et sollicita le Très-haut de leur pardonner, de les retirer du péché et de tout mal,

 

(1) Apoc., V, 12. — (2) Thren., I, 12.

 

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de les éclairer par sa divine lumière, et de leur faire la grâce d'acquérir le fruit de la rédemption.

 

Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge.

 

1295. Ma fille, il est écrit dans l'Évangile (1) que le Père éternel a donné à son Fils unique et le mien la puissance de juger et de condamner les réprouvés au dernier jour du jugement universel. Et cela devait être, non-seulement afin que tous ceux qui seront jugés et criminels, voient alors le Juge suprême qui les condamnera selon la volonté et l'équité divine, mais encore afin qu'ils voient cette même forme de son humanité sainte, en laquelle ils ont été rachetés (2), et découvrent en elle les opprobres et les tourments qu'elle a subis pour les délivrer de la damnation éternelle; et le même Seigneur qui les doit juger leur représentera tout ce qu'il a fait pour eux. Et comme ils ne pourront lui alléguer aucune excuse ni trouver . aucune justification, cette confusion sera pour eux le commencement de la peine éternelle qu'ils ont méritée par leur ingratitude obstinée. Car alors éclatera au grand jour l'immensité de la miséricorde avec; laquelle ils ont été rachetés, et l'équité de la justice avec laquelle ils seront condamnés. La douleur, les

 

(1) Joan., V, 27. — (2) Apoc., I, 7.

 

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peines et les amertumes que souffrit mon très-saint Fils à la pensée que tous ne profiteraient pas du fruit de la rédemption, furent extrêmes; et ce fut ce qui me déchira le tueur dans le temps que je le voyais en butte à des outrages, à des blasphèmes et à des tourments si impies et si cruels, qu'il est impossible de les dépeindre dans la vie présente. Pour moi, j'en conçus une juste et claire idée, et ma douleur fut proportionnée à cette connaissance, aussi bien que l'amour et la vénération que j'avais pour Jésus-Christ, mon Seigneur et mou Fils. Mais la plus grande peine que j'eus après celle-là, ce fut de savoir que sa Majesté ayant souffert une passion et une mort si affreuse pour les hommes , il s'en trouverait un si grand nombre qui se damneraient en dépit de cette rançon d'une valeur infinie.

1296. Je veux que vous m'imitiez aussi en cette douleur, et que vous vous affligiez de ce malheur déplorable; car parmi les mortels il n'y en a point d'autre qui mérite beaucoup de larmes et de lamentations, et il n'est point de douleur qui soit comparable à celle-ci. On voit peu de gens dans le monde qui réfléchissent à cette vérité avec l'attention convenable. Mais mon Fils et moi regardons avec une complaisance particulière ceux,qui nous imitent en cette douleur, et qui s'affligent de la perte de tant d'âmes. Tâchez, ma très-chère fille, de vous distinguer dans ces saints exercices, et ne cessez de prier; car vous né savez comment le Très-Haut acceptera vos prières. Mais vous devez savoir qu'il promet de donner à ceux

 

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qui demanderont, et d'ouvrir la porte de ses trésors infinis à ceux qui y frapperont (1). Et afin que vous ayez de quoi lui offrir, gravez dans votre coeur et dans votre mémoire ce que mon très-saint Fils et votre Époux a souffert de la part de ces hommes pervers et de ces vils bourreaux; contemplez la patience invincible, la mansuétude et le calme silencieux avec lesquels il s'est assujetti à leur inique volonté. Profitez dès maintenant de cet exemple, -et faites en sorte que ni l'appétit irascible ni aucune autre passion de fille d'Adam ne règnent en vous; qu'il n'y ait dans votre coeur qu'une horreur efficace pour le péché de l'orgueil et pour tout ce qui pourrait vous porter à mépriser et à offenser votre prochain. Demandez au Seigneur la patience, la douceur, la tranquillité dans les souffrances et l'amour de sa croix. Unissez-vous à elle, prenez-la avec une pieuse affection, et suivez Jésus-Christ votre époux (2), afin que vous puissiez l'atteindre.

 

(1) Luc., XI, 9. — (2) Matth., XVI, 24.

 

 

CHAPITRE XVIII. On assemble le conseil dès le vendredi matin pour vider la cause de notre Sauveur Jésus-Christ. — On l'amène à Pilate. — Sa très-sainte Mère, saint Jean l'Évangéliste, et les trois Marie, vont à sa rencontre.

 

1297. Les évangélistes disent (1) que le vendredi matin les anciens du peuple s'assemblèrent avec les princes des prêtres et les scribes, qui étaient les plus respectés du peuple, parce qu'ils étaient savants en la loi; et ce fut pour terminer d'un commun accord la cause de Jésus-Christ et pour le condamner à la mort, comme tous ceux du conseil le souhaitaient, en couvrant leur décision d'une apparence de justice, afin de satisfaire le peuple. Ce conseil se tint dans la maison de Caïphe, où le Sauveur était en prison. Et pour l'examiner de nouveau, ils ordonnèrent de le faire monter dans la salle du conseil. Les satellites descendirent aussitôt dans la prison pour exécuter cet ordre; et comme ils le détachaient de ce rocher dont j'ai parlé, ils lui dirent en se moquant de lui : « Sus, sus, Jésus de Nazareth, il faut marcher; tes miracles

 

(1) Matth., XXVII, 1; Marc., XV, 1; Luc., XXII, 66; Joan., XVIII, 28.

 

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ne t'ont guère servi pour te défendre. Ne pourrais-tu pas maintenant employer pour te sauver cet art merveilleux par les secrets duquel tu disais que tu rebâtirais le Temple en trois jours? Mais tu paieras à cette heure tes vaines forfanteries, et nous allons rabattre tes hautes pensées. Viens, viens, car les princes des prêtres et les scribes t'attendent pour mettre un terme à tes fourberies et te livrer à Pilate, qui saura bien en finir d'un coup avec toi. » On détacha le Seigneur de ce rocher, et on le mena garrotté comme il était devant le conseil, sans qu'il ouvrît seulement la bouche. Mais il était si défiguré par les coups et par les crachats, dont il n'avait pu se nettoyer ayant les mains liées, qu'il causa de l'horreur à ceux du conseil , sans qu'ils en eussent la moindre compassion, si grande était la haine qu'ils avaient conçue contre notre adorable Maître !

1298. Ils lui demandèrent encore s'il était le Christ, c'est-à-dire l'Oint (1). Cette seconde demande fut faite avec une intention malicieuse comme les autres, non pour entendre et accepter la vérité, mais pour la calomnier et rétorquer contre lui sa propre réponse. Mais le Seigneur, qui voulait mourir pour la vérité, ne voulut point la nier, ni l'avouer de manière qu'ils la méprisassent et qu'ils prissent quelque prétexte pour la décrier; car la seule apparence même de la calomnie était incompatible avec son innocence et avec sa sagesse. C'est pourquoi il tempéra sa réponse de telle

 

(1) Luc., XXII, 66.

 

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sorte, que, si les pharisiens avaient un peu de piété, ils auraient aussi occasion de rechercher avec un zèle véritable le mystère que ses paroles renfermaient; et que, s'ils n'en avaient point, on sût que la faute était en leur mauvaise intention, et non en la réponse du Sauveur. Il leur répondit donc : Si je vous dis que je le suis, vous ne me croirez point; et si je vous interroge sur quelque chose, vous ne me répondrez pas, et vous ne me laisserez pas aller (1). Néanmoins, je vous dis que désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu (2). Les pontifes répliquèrent : Vous êtes donc le Fils de Dieu? Le Seigneur leur répondit : Vous le dites, je le suis (3). Et ce fut comme s'il eût dit: La conséquence que vous avez tirée que je suis le Fils de Dieu est fort légitime : car mes oeuvres, ma doctrine, vos Écritures, et tout ce que vous faites et que vous ferez à mon égard, rendent témoignage que je suis le Christ promis en la loi.

1299. Mais comme ces hommes remplis de malice n'étaient point disposés à ouvrir leur cœur à la vérité divine, quoiqu'ils l'entrevissent à travers de claires conséquences, et qu'ils pussent y ajouter foi, ils ne l'entendirent et ne la crurent pourtant pas; au contraire, ils la regardèrent comme un blasphème digne de mort. Et voyant que le Seigneur confirmait ce qu'il avait déjà avoué, ils dirent : Qu'avons-nous besoin encore du témoignage de témoins, puisque nous avons entendu nous-mêmes de sa bouche (4)? Aussitôt ils

 

(1) Luc., XXII, 67 et 68. — (2) Ibid., 69. — (3) Ibid., 70. — (4) Ibid., 71.

 

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déterminèrent, d'un commun accord, qu'étant digne de mort, il serait emmené devant Ponce-Pilate, qui gouvernait la province de Judée an nom de l'empereur romain, comme maître de la Palestine pour ce qui concernait le temporel. Et, selon les lois de l'empire romain, les causes qui entraînaient la peine capitale étaient renvoyées au sénat, ou à l'empereur, ou à ses ministres, qui gouvernaient les provinces éloignées; car ils ne s'en remettaient point aux gens du pays, voulant que les suaires assez graves pour pouvoir aboutir au dernier supplice fussent examinées avec plus d'attention, et qu'aucun criminel ne fût condamné sans être ouï, et sans avoir eu le temps de se défendre; car, quant à ces règles de justice, les Romains se conformaient plus qu'aucune autre nation à la loi naturelle de la raison. Pour ce qui regarde notre Seigneur Jésus-Christ, les pontifes et les scribes étaient bien aises qu'il mourût par la sentence de Pilate, qui était idolâtre, pour se mettre à couvert des reproches du peuple, en disant que le gouverneur romain l'avait condamné, et qu'il ne l'aurait pas fait s'il n'eût été digne de mort. Leur perversité et leur hypocrisie les aveuglaient tellement, qu'ils se flattaient de pouvoir cacher leur jeu, comme s'ils n'eussent pas été les auteurs de toutes ces infàmes manœuvres, et plus sacrilèges que le juge idolâtre; mais le Seigneur fit que leur méchanceté se trahit aux yeux de tous parles instances mêmes qu'ils firent auprès de Pilate, comme nous le verrons bientôt.

1300. Les satellites amenèrent notre Sauveur Jésus

 

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Christ de la maison de Caïphe à celle de Pilate, pour le lui présenter lié avec des chaînes et des cordes, comme digne de mort. La ville de Jérusalem était pleine de gens qui y étaient accourus de tous les coins de la Palestine, pour y célébrer la grande pâque de l'agneau et des azymes. Mille bruits s'étaient déjà répandus parmi le peuple, et le Maître de la vie était universellement connu, de sorte que les rues regorgeaient d'une multitude innombrable, curieuse de le voir passer ainsi garrotté, et se partageant déjà en divers camps. Les uns criaient: Qu'il meure, qu'il meure, ce méchant homme, cet imposteur qui trompait le monde. Les autres disaient: Sa doctrine et ses œuvres ne paraissaient pas être si mauvaises; il faisait du bien à tous. Ceux qui avaient cru en lui s'affligeaient et pleuraient, et toute la ville était dans le trouble et l'agitation. Lucifer et ses démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait; et cet ennemi, se voyant secrètement vaincu par la douceur et la patience invincible de notre Seigneur Jésus-Christ, se débattait contre son propre orgueil et sa propre fureur, soupçonnant de plus en plus que ces vertus dont il était si fort tourmenté ne pouvaient pas se trouver chez un simple mortel. D'autre part, il présumait que les mauvais traitements qu'il recevait, le mépris souverain qu'il subissait, et les défaillances qu'il ressentait en son corps, ne pourraient point compatir avec la perfection d'un homme qui serait véritablement Dieu; parce que, s'il l'était, concluait le dragon, la vertu et la nature divine, communiquée à la nature

 

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humaine, produirait en celle-ci de grands effets qui empêcheraient ces sortes de défaillances, et ne permettrait point les outrages qu'on lui faisait. C'était la pensée de Lucifer, qui ignorait le prodige secret et divin par lequel notre Seigneur Jésus-Christ avait suspendu les effets qui auraient pu rejaillir de la divinité sur la nature humaine, afin que les souffrances arrivassent à leur plus haut degré, comme je l'ai dit ci-dessus. Dans ces doutes, le superbe dragon redoublait de rage et s'acharnait de plus en plus à persécuter le Seigneur, afin de découvrir quel était celui qui endurait ainsi de pareils tourments.

1301. Le soleil était déjà levé quand cela arrivait, et la Mère de douleurs, qui observait toute chose, résolut de sortir, de sa retraite pour suivre son très-saint Fils à la maison de Pilate, et l'accompagner jusqu'à la croix. Comme elle sortait du cénacle, saint Jean survint pour l'informer de tout ce qui se passait; car le disciple bien-aimé ignorait alors que la bienheureuse Marie connût par une vision particulière toutes les oeuvres de son divin Fils, ainsi que leurs divers incidents. Après le renoncement de saint Pierre, saint Jean s'était retiré, observant de plus loin les événements. Il reconnut aussi la faute qu'il avait commise en prenant la fuite su jardin, et, se présentant à notre auguste Reine, il la salua avec beaucoup de larmes comme Mère de Dieu, et sollicita humblement son pardon ; ensuite il lui dit tout ce qui se passait dans son coeur, tout ce qu'il avait fait, et tout ce qu'il avait vu en suivant son divin Maître. Il crut qu'il

 

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fallait prévenir la Mère désolée, afin d'adoucir la cruelle impression dont elle serait frappée, à l'aspect de son très-saint Fils. Et, voulant dès lors la préparer à ce triste spectacle, il lui dit : « O ma vénérée  Dame, à quel état est réduit notre divin Maître ! Il  n'est pas possible de le regarder sans en avoir le  coeur brisé . les coups et les crachats ont tellement   défiguré son visage si beau, que vous aurez peine à  le reconnaître quand vous le verrez. » La très-prudente Mère écouta ce récit avec autant d'attention que si elle eût ignoré les mauvais traitements que l'on faisait à notre Rédempteur; mais elle fondait en larmes, et était abreuvée d'amertume et de douleur. Les saintes femmes, qui se trouvaient auprès d'elle, entendirent aussi ce triste récit; elles en eurent le cœur percé de la même douleur, et furent saisies d'un grand étonnement. La Reine du ciel ordonna à saint Jean de la suivre avec ces dévotes femmes, auxquelles elle adressa ces paroles : « Hâtons-nous, afin que je  puisse voir le Fils du Père éternel, qui a pris chair  humaine dans mon sein; vous verrez, mes très chères amies, ce que l'amour que mon Seigneur et  mon Dieu porte aux hommes a bien pu opérer en  lui, et ce qu'il lui colite pour les racheter du péché  et de la mort, et pour leur ouvrir les portes du ciel. »

1302. La divine Reine alla par les rues de Jérusalem, accompagnée de saint Jean, des saintes femmes (quoique toutes ne la suivissent pas toujours, hormis les trois Marie et quelques autres fort pieuses), et des

 

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anges de sa garde; elle dit à ces esprits célestes de faire en sorte, que la foule du peuple ne l'empêchât point de parvenir à l'endroit où se trouvait son très-saint Fils. Ils lui obéirent et lui en facilitèrent l'abord. Elle entendait par les rites où elle passait les divers discours que l'on tenait et les divers jugements que l'on portait sur un cas si lamentable; car tout le monde s'entretenait de ce qui venait d'arriver à Jésus de Nazareth. Les personnes les plus compatissantes s'en affligeaient, et c'était le petit nombre : quelques-uns s'informaient pourquoi on le voulait crucifier; d'autres parlaient du lieu où il allait, et racontaient qu'on le menait lié comme un scélérat; ceux-ci avouaient qu'il était fort maltraité; ceux-là demandaient quel crime il avait commis, pour être soumis à un châtiment si cruel; enfin, beaucoup de gens disaient avec surprise ou avec peu de foi: Voilà donc où ont abouti tous ses miracles? Il faut que cet homme soit un imposteur, puisqu'il n'a pas su se défendre ni se délivrer. Toutes les rues, toutes les places retentissaient de discussions et de murmures. Mais, au milieu d'un pareil tumulte, notre invincible Reine conservait, malgré l'excès de sa douleur, une sérénité et une constance imperturbables, priant pour les incrédules et pour les malfaiteurs, comme si elle n'eût point eu d'autre soin que de travailler à obtenir le pardon de leurs péchés, et elle les aimait avec autant de charité que si elle en eût reçu de grands bienfaits. Elle ne s'irrita point contre ces ministres sacrilèges de la passion et de la mort de son bien-aimé Fils, et ne

 

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témoigna pas même la moindre indignation. Au contraire, elle les regardait avec affection, et leur faisait du bien.

1303. Plusieurs de ceux qui la rencontraient dans les rues reconnaissaient la Mère de Jésus de Nazareth, et lui disaient, émus d'une compassion naturelle: «  O Mère affligée! quel malheur est le vôtre! Comme votre coeur doit être brisé, déchiré! » D'autres lui disaient avec impiété : « Que vous avez mal élevé votre fils! Pourquoi permettiez-vous qu'il introduisit tant de nouveautés parmi le peuple? Vous auriez bien mieux fait de les avoir empêchées; mais cet exemple servira pour les autres mères, qui apprendront par votre infortune à instruire leurs enfants. » La très-innocente colombe entendait ces discours et d'autres semblables, encore plus injurieux; elle les accueillait tous, dans son ardente charité, avec les sentiments convenables, agréant la compassion des gens humains, supportant la dureté impie des incrédules, ne s'étonnant point du procédé des ingrats et des ignorants, et priant tour à tour le Très-Haut pour les uns et pour les autres.

1304. Les saints anges conduisirent à travers cette cohue la Reine de l'univers à l'angle d'une rue où elle rencontra son très-saint Fils; aussitôt elle se prosterna devant lui, et l'adora avec la plus haute et la plus fervente vénération que toutes les créatures ensemble lui aient jamais rendue. Ensuite elle se leva, et le Fils et la Mère se regardèrent avec une tendresse ineffable; ils se parlèrent intérieurement, le coeur navré

 

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d'une douleur qu'on ne saurait exprimer. Puis la très-prudente Dame se retira un peu en arrière, et suivit notre Seigneur Jésus-Christ, en s'entretenant avec lui et avec le Père éternel dans le secret de son âme; mais c'était d'une manière si sublime, que la langue corruptible des mortels n'est pas capable d'en donner une juste idée. Cette Mère affligée disait : « Dieu suprême, mon Fils, je connais les ardeurs de la charité que vous avez pour les hommes, et qui vous oblige de cacher la puissance infinie de votre Divinité sous la forme de la chair passible que vous avez reçue dans mon sein (1). Je glorifie votre Sagesse incompréhensible, par laquelle vous acceptez des outrages si sanglants, et vous vous livrez, vous qui êtes le Seigneur de tout ce qui est créé, pour le rachat de l'homme, qui n'est qu'un esclave   aussi vil que la cendre et la poussière (2). Vous  êtes digne d'être loué et béni de toutes les créatures, et elles doivent exalter votre bonté immense   mais moi, qui suis votre Mère, comment cesserais je de vouloir que ces opprobres retombent sur moi  seule, et non point sur votre divine personne, qui est la beauté que les anges contemplent et la splendeur de la gloire du Père éternel? Comment me résignerais-je à ne point tâcher de vous procurer quelque soulagement dans de pareilles peines? Comment puis-je vous voir si affligé et si défiguré, et souffrir qu'on ne manque de compassion et de

 

(1) Philip., II, 7. — (2) Gen., III, 19.

 

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pitié qu'envers le Créateur et le Rédempteur dans  une passion si amère? Mais s'il n'est pas possible  que je vous donne, comme Mère, aucun soulage ment, agréez, comme Fils et comme Dieu saint et  véritable, ma douleur et le sacrifice que je vous  offre, de l'impuissance où je me trouve de diminuer  vos peines. »

1305. Notre auguste Princesse garda durant toute sa vie au fond de son âme l'image de son très-saint Fils ainsi maltraité, défiguré, enchaîné et lié; et elle resta toujours aussi vivement frappée de ce triste spectacle que si elle eût continué à l'avoir sous les yeux. Notre Seigneur Jésus-Christ arriva à la maison de Pilate suivi de plusieurs membres du conseil des Juifs, et d'une foule innombrable composée de toutes les classes de la population. En le présentant au juge, les Juifs se tinrent hors du prétoire, affectant de vouloir, par zèle religieux, éviter toute espèce d'irrégularité, afin de pouvoir célébrer la pâque des pains sans levain, pour laquelle ils devaient être tout à fait purs d'infractions commises contre la loi (1). Et ces stupides hypocrites ne faisaient point de cas de l'horrible sacrilège dont ils souillaient leurs âmes en se rendant homicides de l'innocent! Pilate, quoique gentil, eut quelque égard pour les cérémonies des Juifs; et, voyant qu'ils faisaient difficulté d'entrer dans le prétoire, il en sortit. Et, selon la coutume des Romains, il leur demanda: De quoi accusez-vous cet homme (2) ?

 

(1) Joan., XVIII, 28. — (2) Ibid., 29.

 

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Les Juifs lui répondirent: Si ce n'était pas un scélérat, nous ne vous l'eussions pas livré de la sorte (1). Et ce fut comme s'ils lui eussent dit : Nous avons examiné ses méfaits, et nous sommes si attachés à la justice et à nos devoirs, que, s'il n'était pas un insigne criminel, nous ne procèderions pas contre lui. Pilate leur répliqua: « Quels crimes a-t-il donc commis?   11 a été convaincu, répondirent les Juifs, d'avoir troublé tout le pays et voulu s'établir notre roi, d'avoir défendu de payer les tributs à César, de s'être fait le Fils de Dieu (2), et d'avoir prêché une nouvelle doctrine, enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici (3). » Alors Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre loi; car je ne trouve aucun motif pour le juger. » Les Juifs répliquèrent ; « Il ne nous est pas permis de condamner à mort, et encore moins de faire mourir qui que ce soit (4). »

1306. La bienheureuse Marie, saint Jean et les femmes qui la suivaient, se trouvaient présents à toutes ces procédures; car les saints anges conduisirent leur Reine à un endroit d'où elle pouvait voir et ouïr tout ce qui se faisait et tout ce qui se disait. Et, couverte de son voile, elle versait des larmes de sang par la violence de la douleur qui brisait son coeur virginal. Elle était, quant aux actes de toutes les vertus, un miroir très-clair, dans lequel se réfléchissait l'âme très-sainte de son Fils, et elle

 

(1) Joan., XVIII, 30. — (2) Luc., XXIII, 2. — (3) Ibid.. G. — (1) Joan., XVIII, 31.

 

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ressentait dans son corps le contrecoup de ses douleurs et de ses peines. Elle pria le Père éternel de lui accorder la grâce de ne point perdre de vue son adorable Fils jusqu'à sa mort, autant qu'il serait naturellement possible. Cela lui fut accordé pendant que le Seigneur ne fut point en prison. La très-prudente Dame, considérant qu'il était convenable que l'on connut l'innocence de notre Sauveur parmi les fausses accusations des Juifs, et qu'ils demandaient injustement sa mort, pria avec beaucoup de ferveur que le juge ne fût point trompé, et qu'il fût assez éclairé pour comprendre que Jésus-Christ lui avait été livré par l'envie des prêtres et des scribes. En vertu de cette prière, Pilate eut une claire connaissance de la vérité, et découvrit que Jésus était innocent, et que c'était par envie qu’on le lui avait livré, comme le dit saint Matthieu (1); c'est pourquoi le Seigneur se communiqua davantage à lui, quoique Pilate ne coopérât point à la vérité qu'il connut, et qu'ainsi il n'en ait point profité; mais elle nous sert, à nous, et elle a fait voir la perfidie des pontifes et des pharisiens.

1307. Les Juifs souhaitaient, dans leur haine, que Pilate leur fût favorable, et qu'il prononçât aussitôt la sentence de mort contre le Sauveur, et comme ils s'aperçurent qu'il éludait leurs poursuites par toutes ses objections, ils se mirent à pousser des cris de fureur, renouvelèrent leurs accusations calomniatrices, et répétèrent qu'il voulait s'emparer du royaume de Judée;

 

(1) Matth., XXVII, 18.

 

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que c'était dans ce dessein qu'il trompait et excitait le peuple, et qu'il disait être le Christ, c'est-à-dire roi sacré (1). lis firent cette malicieuse plainte à Pilate, pour l'inquiéter davantage par le zèle du royaume temporel, qu'il devait conserver sous la domination de l'empire romain. Et comme, parmi les Juifs, les .rois étaient sacrés, ils ajoutèrent que Jésus s'appelait Christ, c'est-à-dire oint comme roi (2), afin que Pilate, ayant les idées des gentils, dont les rois n'étaient point sacrés, entendit que, s'appeler le Christ, c'était la même chose que de s'appeler roi des Juifs, déjà sacré. Alors Pilate lui demanda : « Que répondez-vous à toutes ces accusations (3)? » Mais Jésus ne répondit point un mot en présence des accusateurs, de sorte que Pilate était tout étonné d'un silence et d'une patience si extraordinaires (4). Et, désirant s'assurer davantage s'il était véritablement roi , il s'éloigna du tumulte des Juifs, et entra avec le Seigneur dans le prétoire. Et là, il lui dit à part: « Êtes-vous le roi des Juifs (5)? » Pilate ne put pas penser que Jésus-Christ fût roi de fait, puisqu'il savait assez qu'il ne régnait pas; ainsi il ne l'interrogeait que pour savoir s'il était roi de droit et sil prétendait au trône. Notre Sauveur. répondit: Dites-vous cela de vous-même, ou d'autres vous l'ont-ils dit de moi (6)? Pilate repartit : « Je ne suis pas Juif; votre nation et vos princes des prêtres vous ont livré entre mes mains. Qu'avez-vous fait (7)?»

 

(1) Luc., XXIII, 5. —(2) Ibid., 2. — (3) Marc., XV, 4. — (4) Ibid., 5. — (6) Joan., XVIII, 33. — (6) Ibid., 34. — (7) Ibid., 35.

 

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Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs; mais mon royaume n'est pas d'ici (1). Pilate ajouta quelque créance à cette réponse du Seigneur; c'est pourquoi il lui dit: Vous êtes donc roi, puisque vous avez un royaume? Jésus répondit : Oui, je le suis. Je suis né et suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque aime la vérité, écoute ma voix (2). Pilate admira cette réponse du Seigneur, et lui dit : Qu'est-ce que la vérité ? Et, lui ayant fait cette question, il sortit de nouveau du prétoire sans en attendre la réponse, et dit aux1uifs : Je ne trouve aucun crime en cet homme pour le, condamner (3). Mais c'est la coutume qu'à la fête de Pâque je vous délivre un prisonnier; voulez-vous donc que je vous délivre Jésus ou Barabbas (4)? (C'était un voleur et un assassin qu'on tenait alors en prison pour avoir tué un homme dans une querelle.) Alors tous redoublèrent leurs cris, et vociférèrent : Nous vous demandons de nous délivrer Barabbas, et de crucifier Jésus (5). Et ils persistèrent dans cette demande, jusqu'à ce qu'elle leur fût accordée.

1308. Pilate fut fort troublé des réponses de notre Sauveur Jésus-Christ et de l'obstination des Juifs; parce que, d'un côté, il ne voulait point rompre avec eux; et il les voyait si acharnés à exiger la mort du

 

(1) Joan., XVIII, 36. —(2) Ibid.. 37. — (3) Ibid., 38. —(4) Ibid., 39. — (5) Ibid.. 40.

 

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Seigneur, que cela lui paraissait bien difficile sans céder à leurs exigences; d'un autre côté, il connaissait clairement qu'ils le persécutaient par une envie mortelle qu'ils avaient contre lui, et que tout ce qu'ils disaient pour prouver qu'il soulevait le peuple, était faux et ridicule (1). Quant aux prétentions à la royauté qu'ils lui imputaient, il avait été satisfait de la réponse du Christ lui-même, qu'il voyait si pauvre; si humble et si patient dans les calomnies qu'on débitait contre lui. Et, à l'aide de la lumière qu'il reçut d'en haut, il reconnut la véritable innocence du Sauveur; mais ce fut là tout, car il continua à ignorer le mystère et la dignité de la Personne divine. La force des paroles de Jésus-Christ portait Pilate à en faire une haute estime, et à croire qu'il renfermait en lui quelque mystère; et c'est pourquoi il cherchait les moyens de le délivrer, et le renvoya ensuite devant Hérode, comme je le dirai dans le chapitre suivant; néanmoins toutes ces lumières ne furent point efficaces, parce que son péché l'en rendit indigne, qu'il n'out en vue que des fins temporelles auxquelles il subordonna sa conduite sans se préoccuper de la justice, et qu'il se conduisait par l'inspiration de Lucifer, comme je l'ai marqué, plus que par la claire connaissance qu'il avait de la vérité. De sorte qu'il se comporta en juge inique, jugeant la cause de l'innocent selon la passion de ceux qui étaient ses ennemis déclarés, et qui l'accusaient faussement. Et son péché fut encore plus

 

(1) Matth., XXVII, 18.

 

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grand, en ce qu'il agit contre sa propre conscience, en condamnant à mort cet innocent, et en ordonnant qu'il fût d'abord fouetté avec tant de cruauté, comme nous le verrons en son lieu, sans aucun autre motif que de contenter les Juifs.

1309. Mais quoique Pilate se montrât, pour ces raisons et pour plusieurs autres , le plus méchant des jugea en condamnant Jésus-Christ, qu'il prenait pour un simple mortel dont on ne pouvait contester l'innocence, son péché fut relativement moindre que celui des prêtres et des pharisiens, non-seulement parce que ceux-ci agissaient par envie, par cruauté et pour d'autres fins détestables, mais aussi parce que ce fut pour eux un crime énorme de ne pas reconnaître Jésus-Christ comme le Messie véritable, et le Rédempteur Dieu et homme, promis en la loi que ces mêmes Hébreux croyaient et professaient. Et pour leur condamnation le Seigneur permit que, quand ils accusaient notre Sauveur, ils l'appelassent Christ et Roi sacré , confessant par leurs paroles la vérité qu'ils niaient. Mais ces incrédules devaient ajouter foi à ce qu'ils disaient, pour entendre que notre Seigneur Jésus-Christ était véritablement oint, non par Ponction figurative des rois et des prêtres anciens, mais par cette onction qu'annonce David (1), différente de toutes les autres, comme l'était l'onction de la Divinité unie à la nature humaine, qui l'éleva à être Christ, Dieu et homme véritable; son âme très-sainte

 

(1) Ps. XLIV, 7.

 

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étant ointe par les dons de grâce et de gloire, qui répondent à l'union hypostatique. Or l'accusation des juifs signifiait cette vérité mystérieuse, quoiqu'ils ne la crussent point à cause de leur perfidie, et qu'ils l’interprétassent faussement par envie, reprochant au Seigneur de vouloir se déclarer roi sans qu'il le fait, tandis que le contraire était vrai. S'il ne voulait point en donner des preuves ni user de la puissance de roi temporel, lui, le Maître absolu de tout l'univers, c'était parce qu'il n'était pas venu dans le monde pour commander aux hommes, mais pour obéir (1). L'aveuglement des Juifs était encore plus grand, en ce qu'ils attendaient le Messie comme roi temporel, et pourtant blâmaient Jésus-Christ de ce qu'il l'était; il semble qu'ils ne voulaient pour Messie qu'un roi qui fût si puissant, que personne n'eût pu lui résister; mais alors même ils ne l'auraient reçu que par force, et non pas avec cette pieuse volonté que le Seigneur demande.

1310. Notre auguste Reine pénétrait profondément ces mystères cachés, et les repassait dans son cœur, exerçant des actes héroïques de toutes les vertus. Et comme les autres enfants d'Adam conçus dans le péché et souillés de plusieurs crimes, se laissent d'ordinaire d'autant plus troubler et abattre, qu'ils sont assaillis par des tribulations et des douleurs plus violentes, et qui alors la colère et les autres passions désordonnées les agitent, le contraire arrivait en la très-pure Marie,

 

(1) Matth., XX, 28.

 

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chez laquelle n'agissaient ni le péché ni ses effets; et la nature ne pouvait point contre-balancer l'excellente grâce qu'elle avait. Car les grandes persécutions et les grandes eaux de tant de douleurs n'éteignaient point le feu de son coeur enflammé de l'amour divin (1); mais c'étaient comme autant de brandons qui l'alimentaient et embrasaient de plus en plus cette âme divine et l’excitaient à redoubler ses prières pour les pécheurs au moment où ils en avaient un plus pressant besoin, puisque la malice des hommes était alors arrivée à son plus haut degré. 0 Reine des vertus, Maîtresse des créatures et très-douce Mère de miséricorde ! que mon insensibilité est grande , puisque mon coeur ne se brise point de douleur dans la connaissance que j'ai de vos peines et de celles de votre bien-aimé Fils unique! Si, malgré tout ce que je sais, je me trouve encore en vie, au moins faut-il que je m'humilie jusqu'à la mort. C'est manquer aux lois de l'amour et même de la simple pitié, que de voir souffrir l'innocent et de lui demander des grâces, sans prendre part à ses peines. Or de quel front dirons-nous, Reine vénérable, que nous aimons notre divin Rédempteur et que nous vous aimons, vous qui êtes sa Mère, si, lorsque vous buvez ensemble l'amer calice des douleurs les plus affreuses, nous nous enivrons au calice des plaisirs de Babylone? Oh ! si je comprenais bien cette vérité! Oh! si je la sentais et pénétrais! Si elle-même me pénétrait jusqu'au fond des entrailles, en

 

(1) Cant., VIII, 7.

 

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me forçant de considérer ce que mon adorable Seigneur et sa Mère affligée ont souffert! Comment pourrai-je penser qu'on est injuste à mon égard, lorsqu'on me persécutera? comment oserai-je me plaindre, quand je me verrai méprisée et rejetée du monde : « O grande Reine des martyrs et des âmes fortes, Maîtresse des imitateurs de votre Fila, si je suis votre fille et votre disciple, comme vous avez daigné me l'assurer, et que mon Seigneur a bien voulu me le mériter, ne repoussez point les désirs que j'ai de suivre vos traces dans le chemin de la croix ! Et si par faiblesse je viens à tomber, obtenez-moi, ma très-charitable Mère, les forces dont j'aurai besoin pour me relever, et donnez-moi un coeur contrit et humilié pour pleurer mon ingratitude. Priez le Très-Haut qu'il me favorise de son saint amour, qui est un don si précieux, que votre seule intercession me le peut procurer, et mon seul Rédempteur me le mériter.

 

Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

 

1311. Ma fille, les mortels sont fort négligents à considérer les oeuvres de mon très-saint Fils, et à pénétrer avec une humble vénération les mystères qu'il y a renfermés pour le remède et le salut de tous. C'est pour cela que tant de gens les ignorent, et qu'il s'en

 

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trouve d'autres qui s'étonnent que le Sauveur ait consenti à être traîné comme un criminel devant des juges iniques, qui l'examinèrent comme un malfaiteur et le regardèrent comme un insensé ; enfin, qu'il n'ait pas défendu son innocence par sa divine sagesse, et dévoilé la malice des Juifs et de ses autres adversaires, puisqu'il eût pu le faire avec tant de facilité. Mais dans un tel sujet d'admiration l'on doit révérer les très-hauts jugements du Seigneur qui a établi cette ordonnance à la rédemption du genre humain, opérant avec équité et bonté, et comme il était convenable à tous ses attributs, sans refuser à aucun de ses ennemis les grâces suffisantes pour faire le bien, sils voulaient y coopérer, par le bon usage des droits de leur liberté; car il voulait que tous fussent sauvés, s'ils n'y mettaient aucun obstacle de leur côté. ainsi personne n'a sujet de se plaindre de la miséricorde divine, qui a été surabondante (1).

1312. Mais je veux encore, ma très-chère fille, que vous découvriez l'instruction que ces oeuvres renferment; car mon très-saint Fils n'en a fait aucune qu'en qualité de Rédempteur et de Maître des hommes. Dans la patience qu'il montra et le silence qu'il garda, en sa passion, permettant qu'on le fit passer pour un perturbateur et pour un insensé, il a laissé aux hommes une leçon aussi importante qu'elle est pou étudiée et surtout peu pratiquée des enfants d'Adam. Ils ne se prémunissent pas contre la contagion que Lucifer leur

 

(1) I Tim., II, 4.

 

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a communiquée par le péché, et qu'il répand continuellement dans le monde; c'est pour cela qu'ils nu cherchent point auprès du Médecin le remède qui pourrait guérir leurs maladies; mais le Seigneur par son immense charité a laissé et en ses paroles et en ses oeuvres le secours qui leur est nécessaire. Que les hommes considèrent donc qu'ils ont été conçus dans le péché (1), et qu'ils voient quelles profondes racines a jetées dans leurs coeurs la semence de l'orgueil, de la propre estime, de l'avarice, de l'hypocrisie, du mensonge et de tous les autres vices que le Dragon y a semée. Généralement, tous recherchent les honneur et la vaine gloire, tous veulent être estimés, préférés. Ceux qui se croient savants veulent être vantés, applaudis, et font parade de leur science. Les ignorants veulent paraître savants. Les riches se glorifient de leurs richesses, et veulent être honorés. Les pauvres aspirent à devenir riches , affectent les dehors des riches et briguent leur faveur. Les puissants veulent qu'on les craigne, qu'on les respecte et qu'on leur obéisse. Tous enfin se précipitent à l'envi dans cette erreur,' et tachent, même quant à la vertu, de paraître ce qu'ils ne sont point, et ne sont pas ce qu'ils désirent paraître. On excuse ses vices, on cherche à faire briller ses qualités et ressortir ses avantages, on s'attribue les dons et les bienfaits comme si on ne les avait pas reçus, et on les reçoit comme s'ils n'étaient pas dispensés gratuitement par une main libérale; et au

 

(1) Ps., L, 7.

 

lieu d'en témoigner sa gratitude, on s'en sert contre Dieu, de qui ils viennent, et contre soi-même. Tous les hommes en général sont enflés du venin mortel de l'antique serpent, et plus il étend ses ravages et les consume, plus ils veulent s'en gorger. Le chemin de la croix est désert, parce que fort peu de personnes y marchent, et suivent Jésus-Christ dans les voies de l'humilité et de la sincérité chrétienne.

1313. La patience et le silence qu'eut en sa passion mon Fils, permettant qu'on le traitât comme un insensé malfaiteur, brisèrent la tête du Dragon infernal et rabattirent sa superbe arrogance. Maître d'une philosophie nouvelle et médecin qui venait guérir le mal du péché, il ne voulut point se défendre ni se disculper ou se justifier, ni contredire ceux qui l'accusaient, laissant aux hommes ce grand exemple d'une conduite si opposée aux suggestions de Lucifer, De sorte qu'en sa Majesté fut mise en pratique cette doctrine du Sage, qui dit (1) qu'une folie légère et opportune est plus précieuse que la sagesse et que la gloire; car l'homme est si fragile qu'il vaut mieux qu'il soit pour quelque temps regardé comme ignorant et méchant, que de faire une vaine ostentation de sagesse et de vertu. Il y a une infinité de gens qui se laissent séduire par cette dangereuse erreur, et qui, voulant passer pour savants, se répandent en- paroles comme des insensés (2); mais ils perdent par là ce qu'ils prétendent, parce qu'ils découvrent leur ignorance. Tous

 

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ces vices naissent de l'orgueil enraciné dans la nature corrompue. Pour vous, ma fille, conservez dans votre coeur la doctrine de mon très-saint Fils et la mienne, fuyez la vanité, souffrez dans le silence, et ne vous mettez pas en peine si le monde vous répute ignorante, puisqu'il ne sait pas où se trouve la véritable sagesse (1).

 

CHAPITRE XlX. Pilate renvoie à Hérode la cause et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ. — On l'accuse devant Hérode, qui le méprise et le renvoie à Pilate. — La bienheureuse Marie le suit, et ce qui arriva dans cette occasion.

 

1314. Une des accusations que les Juifs et leurs pontifes présentèrent à Pilate contre le Sauveur, fut qu'il avait commencé dans la province de Galilée à prêcher et à soulever le peuple par sa doctrine (2). Ce fut de là que Pilate prit occasion de demander si Jésus-Christ était Galiléen. Et ayant su qu'il l'était , il crut avoir quelque raison de se décharger de la cause de notre Rédempteur, dont il connaissait l'innocence, et de se délivrer des importunités des Juifs, qui le

 

(1) Baruch., III, 15. — (2) Luc., XIII, 5 et 6.

 

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pressaient avec tant d'instance de le condamner à la mort. Hérode se trouvait alors à Jésusalem pour y célébrer la Pâque des Juifs. Celui-ci était fils de l'autre roi Hérode, qui avait fait mourir les innocents, et persécuté notre Seigneur Jésus-Christ nouvellement né (1), et comme il s'était marié avec une Juive, il avait embrassé le judaïsme en se faisant prosélyte. C'est pour cela que son fils Hérode observait aussi la loi de Moïse, et était parti de Galilée, dont il était gouverneur, pour venir célébrer la Pâque à Jérusalem. Pilate et Hérode, qui gouvernaient les deux principales provinces de la Palestine , savoir, la Judée et la Galilée, étaient brouillés; car il était arrivé peu de temps auparavant que Pilate, voulant témoigner son zèle pour conserver les droits de l'empire romain, avait, comme il est rapporté au chap. mie de saint Luc (2), fait égorger plusieurs Galiléens dans le temps qu'ils faisaient certains sacrifices, mêlant le sang des coupables arec celui de leurs sacrifices. Or Hérode s'était irrité de cela, et Pilate souhaitant lui donner quelque satisfaction, résolut (le lui renvoyer notre Sauveur, comme sou sujet, afin qu'il examinât et jugeât sa cause (3); il espérait toujours d'ailleurs qu’Hérode le délivrerait comme innocent, et accusé par les pontifes et les scribes à cause de leur perfide envie.

1315. Notre Seigneur Jésus-Christ sortit , garrotté comme il l'était, de la maison de Pilate pour aller

 

(1) Matth., II, 16. — (2) Luc., XIII, 1. — (3) Luc., XXIII, 7.

 

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chez Hérode; il était accompagné des scribes et des prêtres qui allaient l'accuser devant le nouveau juge, et d'un grand nombre de soldats et de satellites, pour l'amener en le tirant par les cordes, et pour s'ouvrir un passage à travers la multitude d'étrangers et de curieux qui remplissait les rues. Mais leur malice en rompait sans peine les rangs pressés, et comme les ministres et les pontifes étaient ce jour-là si impatients de répandre le sang du Sauveur, ils hâtaient le pas, et menaient sa Majesté presque en courant, et avec un horrible tumulte. La bienheureuse Marie sortit ,également avec sa compagnie de la maison de Pilate pour suivre son très-doux Fils, et l’accompagner dans le chemin qu'il lui restait à parcourir jusqu'à la croix. Il n'aurait pas été possible que notre auguste Princesse eût fait ce chemin sans perdre de vue son bien-aimé, si les saints anges n'eussent fait en sorte, pour se conformer à ses désirs, qu'elle se trouvât toujours assez près de son Fils pour pouvoir jouir de sa présence , et participer ainsi avec une plus grande plénitude à toutes ses peines. Ce fut par son très-ardent amour qu'elle obtint tout ce qu'elle souhaitait, et, s'attachant aux traces du Seigneur, elle entendait les injures que les bourreaux lui adressaient, les coups qu'ils lui donnaient, le murmure du peuple, et les divers sentiments que chacun exprimait ou rapportait.

1316. Quand Hérode eut appris que Pilate lui renvoyait Jésus de Nazareth, il en témoigna une joie singulière. Il savait qu'il était l'intime ami de Jean,

 

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auquel il avait fait trancher la tête (1); il. était aussi informé de ses prédications, et par une folle curiosité il souhaitait s'entretenir avec lui, et surtout lui voir opérer quelque prodige en sa présence (2). L'Auteur de la vie fut donc amené devant Hérode, contre lequel le sang de saint Jean-Baptiste criait bien plus haut devant le même Seigneur que celui du juste Abel (3). Mais ce malheureux prince, qui ignorait les terribles jugements du Très-Haut, le reçut avec force moqueries, le prenant pour un magicien. Et dans cette erreur effroyable, il l'examina et lui fit plusieurs questions pour le provoquer, pensait-il, à faire quelque merveille, comme il le désirait (4). Le Maître de la sagesse et de la prudence ne lui répondit pas un mot, gardant toujours un humble sérieux en la présence du très-indigne juge, qui méritait bien par ses iniquités d'être privé du bonheur d'ouïr les paroles de vie éternelle qui seraient sorties de la bouche de Jésus-Christ si Hérode eût été disposé à les accueillir avec respect.

1317. Cependant les princes des prêtres et les scribes étaient présents; ils persistaient à accuser le Sauveur, et à lui reprocher les mêmes crimes dont ils l'avaient chargé devant Pilate (5). Mais il ne répondit rien non plus à toutes ces calomnies; car il n'ouvrit pas seulement la bouche devant Hérode, qui le pressait de parler, ni pour répondre à ses questions, ni

 

(1) Marc., VI, 27. — (2) Luc., XXIII, 8. — (3) Gen., IV, 10. — (4) Luc., XXIII, 9. — (5) Ibid., 10.

 

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pour détruire les fausses accusations de ses ennemis, parce qu'Hérode était en toute manière indigne d'ouïr la vérité : juste châtiment que les princes et les puissants du monde doivent craindre le plus. Hérode s'irrita du silence et de la douceur de Jésus-Christ, qui trompaient sa vaine curiosité; et, pour dissimuler son mécompte, ce méchant juge prit le parti de tourner en dérision notre très-innocent Maître; et, ayant porté, par sons exemple, tous ceux de sa suite à lui prodiguer des marques de mépris, il ordonna de le ramener à Pilate (1). Tous les serviteurs d'Hérode se moquèrent aussi de la modestie du Seigneur; et, voulant le traiter en fou, ils le vêtirent d'une robe blanche, costume par lequel on distinguait les insensés, afin que tout le monde les évitât. Mais cette robe fut pour notre Sauveur le symbole de son innocence et de sa pureté, la providence du Très-Haut l'ordonnant de la sorte, afin que ces ministres d'iniquité rendissent eux-mêmes, à leur insu, témoignage à la vérité, qu'ils prétendaient malicieusement obscurcir, aussi bien que les merveilles éclatantes qu'avait opérées notre adorable Rédempteur.

1318. Hérode remercia Pilate de la courtoisie avec laquelle il lui avait remis la cause et la personne de Jésus de Nazareth,et lui fit dire qu'il ne trouvait aucun crime en cet homme, qui ne paraissait âtre qu'un ignorant digne de mépris. Depuis ce jour-là, Hérode et Pilate, qui étaient brouillés, devinrent amis (2), le

 

(1) Luc., XXIII, 11. — (2) Ibid., 42.

 

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Très-Haut le disposant ainsi par les secrets jugements de sa divine sagesse. Notre Sauveur fut donc renvoyé d'Hérode à Pilate, et conduit par beaucoup de soldats de ces deux gouverneurs, à travers les flots d'une populace plus agitée et plus bruyante encore. Car ceux qui l'avaient auparavant vénéré comme le Sauveur et le Messie béni du' Seigneur (1), étant alors pervertis par l'exemple des prêtres et des magistrats, condamnaient et méprisaient le même Seigneur auquel ils venaient de rendre honneur et gloire: tant l'erreur et le mauvais exemple des chefs sont puissants pour entraîner le peuple! Au milieu de ce tumulte et de toutes ces ignominies; notre Sauveur répétait intérieurement, avec un amour, une humilité et une patience ineffables, ces paroles qu'il avait déjà dites par la bouche de David: Je suis un ver, et non un homme; je suis l'opprobre des mortels et le rebut de la populace. Ceux qui me voyaient se sont tous moqués de moi; et le mépris sur les lèvres, ils m'insultaient en branlant la tête (2). Notre adorable Maître était un ver, et non un homme, non-seulement parce qu'il ne fut point engendré comme les autres hommes, et qu'il n'était point un simple homme, mais véritablement homme et Dieu à la fois, mais aussi parce qu'au lieu d'être traité comme un homme, il le fut comme un ver de terre, et qu'en butte à tous les outrages, il ne fit non plus de bruit ni de résistance qu'un misérable vermisseau que l'on foule aux pieds et que l'on écrase

 

(1) Matth., XXI, 9. — (2) Ps. XXI, 7 et 8.

 

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comme l'objet le plus vil. Tous ceux qui regardaient notre Rédempteur Jésus-Christ (et ils formaient une multitude innombrable), semblaient, en vomissant l'injure et en secouant la tête, vouloir rétracter tout ce qu'ils avaient dit et tout ce qu'ils avaient fait à son avantage.

1319. La Mère de douleurs ne se trouva point corporellement présente aux opprobres et aux accusations dont les prêtres chargèrent l'Auteur de la vie devant Hérode, ni à l'interrogatoire que ce malheureux prince lui fit subir, parce qu'elle resta hors de la salle. où l'on fit entrer le Seigneur; elle sut néanmoins, par une vision intérieure; tout ce qui s'y passa. Nais quand le Sauveur sortit de cette salle où était le tribunal d'Hérode, il la rencontra, -et alors ils se regardèrent tous deux avec une intime douleur et avec une compassion réciproque, qui répondait à l'amour d'un tel fils et d'une telle mère. Cette robe blanche qu on lui avait mise, comme à un insensé, fut pour elle un nouvel objet qui lui brisa le coeur, quoiqu'elle connût, seule entre tous les mortels, le mystère de l'innocence et de la pureté que cet habit figurait. Elle l'adora sous cette robe mystérieuse, et le suivit chez Pilate, où on le ramenait; car ce que la volonté divine avait disposé pour notre remède, devait y être accompli dans le trajet du palais d'Hérode à celui de Pilate; la presse était telle, ainsi que la précipitation avec laquelle ces satellites impies menaient le Sauveur, qu'ils le firent tomber plusieurs fois par terre, et alors ils le tiraient par les cordes avec une cruauté et

 

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une violence si horribles, que' le sang jaillissait de ses sacrées veines; et, comme il ne pouvait pas facilement se relever à cause qu'il avait les mains liées, et que la foule ne pouvait ni ne voulait s'arrêter, ceux qui suivaient notre divin Rédempteur le heurtaient, marchaient sur son adorable personne, et lui donnaient plusieurs coups de pied, au milieu des éclats de rire des soldats, qui, excités par le démon, avaient abjuré tout sentiment de compassion naturelle, et semblaient n'avoir plus rien d'humain.

1320. La compassion et la douleur de la plus tendre des mères augmentèrent à la vue d'une pareille férocité, et, s'adressant à ses anges, elle leur ordonna de recueillir le précieux sang que leur Roi versait par les rues, afin qu'il ne fût point foulé aux pieds et profané par les pécheurs; et c'est ce que firent les ministres célestes. Elle leur prescrivit encore d'empêcher ces artisans d'iniquité de marcher sur la divine personne de son adorable Fils, s'il venait de nouveau à tomber. Et, comme elle était très-prudente en tout, elle ne voulut pas que les anges exécutassent cet ordre sans avoir consulté le Seigneur lui-même; elle leur dit donc de lui demander, de sa part, son agrément, et de lui représenter les peines qu'elle souffrait comme mère, voyant ces pécheurs le fouler avec une telle irrévérence sous leurs pieds sacrilèges. Et, pour mieux décider son très-saint Fils, elle le pria, par l'organe des mêmes anges, de changer cet acte d'humilité, qu'il voulait bien pratiquer en permettant à ces cruels satellites de le traiter d'une manière si odieuse, en un

 

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acte d'obéissance, en se laissant fléchir aux prières de sa Mère affligée, qui était aussi sa servante, et tirée de la poussière. Les saints anges représentèrent tout cela à notre Seigneur Jésus-Christ de la part de sa très-sainte Mère ; ce n'est pas qu'il l'ignorât, puisqu'il savait tout ce qui se passait dans l'intérieur de la bienheureuse Marie, et qu'il l'opérait lui-même par sa divine grâce; mais c'est que le Seigneur veut que l'on garde dans des occasions semblables l'ordre de la raison, que notre auguste Reine connaissait alors par une très-haute sagesse, pratiquant diversement les vertus dans ses différentes opérations; car la prescience du Seigneur, qui pénètre toutes choses , n'empêche point les mesures et les précautions.

1321. Notre Sauveur Jésus-Christ exauça les prières de sa bienheureuse Mère, et permit à ses anges d'exécuter, comme ministres de sa volonté, ce qu'elle souhaitait. Ainsi ils s'opposèrent à ce qu'on le fit tomber durant le chemin qui restait jusqu'à la maison de Pilate , et à ce qu'on le renversât et le foulât aux pieds comme auparavant, sans empêcher pourtant que les ministres de la justice et la populace furieuse n'exerçassent les autres mauvais traitements sur sa divine personne. La sainte Vierge voyait tout , entendait tout, avec un coeur invincible, mais pénétré de la plus sensible douleur qu'on puisse imaginer. Les Marie et saint Jean, qui suivaient le Seigneur et sa très-pure Mère, le virent aussi et le considérèrent avec beaucoup de larmes et avec des sentiments conformes à leurs dispositions. Je ne m'arrête point à dépeindre

 

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la désolation de ces saintes femmes et de quelques autres personnes dévotes qui accompagnaient aussi notre auguste Reine; ce triste tableau me demanderait trop de temps, surtout si j'entreprenais de rapporter ce que fit la Madeleine comme la plus fervente à témoigner son amour et sa reconnaissance à notre Rédempteur Jésus-Christ, ainsi que le Seigneur lui-même le dit quand il la justifia; car celui à qui on pardonne de plus grands péchés, c'est celui qui aime davantage (1).

1322. Le Sauveur arriva pour la seconde fois à la maison de Pilate, que les Juifs pressèrent de nouveau de le condamner à la mort de la croix. Pilate, qui connaissait l'innocence de Jésus-Christ et l'envie mortelle des Juifs, regretta vivement qu'Hérode lui eût renvoyé la cause dont il souhaitait se décharger. Mais se voyant obligé comme juge de la terminer, il tâcha d'apaiser les Juifs par divers moyens. C'est ainsi qu'il engagea secrètement plusieurs ministres et amis des pontifes et des prêtres à leur suggérer ridée de demander la liberté de notre Rédempteur, de le délivrer après qu'il lui aurait fait subir quelque châtiment, et de ne plus donner la préférence au voleur Barabbas. Pilate avait déjà fait cette tentative lorsqu'on lui présenta pour la seconde fois notre adorable Maître pour le condamner. Car il fit aux Juifs, non une seule fois, mais à deux ou trois reprises, la proposition de choisir Jésus ou Barabbas (2), avant et après

 

(1) Luc., VII, 43. — (2) Matth., XXVII, 17.

 

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qu'on eût mené le Seigneur devant Hérode; et c'est ce que racontent les évangélistes avec quelque différence , sans pourtant se contredire en la vérité. Pilate s'adressant aux juifs leur dit : « Vous m'avez présenté cet homme comme soulevant le peuple; et l'ayant interrogé en votre présence, je ne l'ai trouvé coupable d'aucun des crimes dont vous l'accusez (1). Hérode non plus, à qui je vous ai renvoyés, ne lui a rien fait qui montre qu'il soit digne de mort, quoique vous l'ayez accusé devant lui (2). Je me contenterai donc maintenant de le châtier, afin qu'il se corrige à l'avenir (3). Et étant obligé de délivrer quelque malfaiteur à cause de la solennité de Pâque , je délivrerai le Christ, si vous voulez lui donner la liberté, et je punirai Barabbas du dernier supplice. » Les Juifs, s'apercevant que Pilate désirait délivrer Jésus-Christ, répondirent en masse : « Nous ne voulons point du Christ, faites-le mourir, et rendez-nous Barabbas (4). »

1323. La coutume de faire sortir un criminel de prison dans cette grande solennité de Pâque, fut introduite parmi les Juifs comme en mémoire et en reconnaissance de la liberté qu'à pareil jour leurs pères avaient obtenue, lorsque le Seigneur les délivra du pouvoir de Pharaon, en frappant dans la nuit les premiers-nés de l'Égypte, et en submergeant ensuite le même Pharaon et toute son armée dans la mer Rouge (5). C'est en souvenir de cet insigne bienfait

 

(1) Luc., XXIII,14. — (2) Ibid.. 15. — (3) Ibid., 16. — (4) Ibid., 18. — (5) Exod., XII, 29; XIV, 28.

 

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que les Hébreux faisaient grâce à celui des prisonniers qui était le plus coupable, lui pardonnant ses crimes, et punissant les autres qui n'étaient pas aussi criminels. Et dans les traités qu'ils avaient conclus avec les Romains, ils avaient stipulé le maintien de cette coutume, à laquelle les gouverneurs se conformaient ponctuellement. Toutefois les Juifs altérèrent dans cette occasion le caractère de cette coutume, eu égard au jugement qu'ils faisaient de notre Seigneur Jésus-Christ; en effet, obligés de délivrer le plus criminel, et prétendant eux-mêmes que Jésus de Nazareth l'était, ils ne voulurent néanmoins pas le délivrer, et choisirent plutôt Barabbas, qu'ils croyaient moins coupable que lui. La rage du démon et leur propre envie les aveuglaient et leur pervertissaient les sens à un tel point, qu'ils se trompaient eux-mêmes en toutes choses.

1324. Lorsque Pilate avait dans le prétoire tous ces débats avec les Juifs, il arriva que sa femme, qui s'appelait Procula, le sachant, lui envoya dire: « Ne vous embarrassez point dans l'affaire de ce juste; car j'ai eu aujourd'hui à son sujet un songe qui m'a beaucoup tourmentée (1). » Le motif de cet avis de Procula fut que Lucifer et ses démons, voyant les mauvais traitements que l'on exerçait sur la personne de notre Sauveur et la douceur inaltérable avec laquelle il les supportait, sentirent, en dépit de leur fureur, une confusion et une perplexité toujours croissantes. Le

 

(1) Matth., XXVII, 19.

 

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superbe Lucifer ne pouvait pas comprendre avec ses orgueilleuses pensées comment il était possible que la Divinité se trouvât si étroitement unie au Sauveur, qu'elle permit qu'on l'accablât de tant d'opprobres, et qu'il éprouvât en son corps les effets de tant de cruautés; par suite, il ne parvenait pas à s'assurer s'il était Homme-Dieu ou s'il ne l'était pas; néanmoins ce dragon infernal croyait qu'il y avait là en faveur des hommes quelque grand mystère dont les conséquences ne pouvaient manquer de lui être fort préjudiciables, s'il n'arrêtait le progrès d'une chose si extraordinaire. Après s'être concerté à cet égard avec ses démons, il pressa les pharisiens par toutes sortes de suggestions de ne plus persécuter Jésus-Christ. Mais ces suggestions furent inutiles, comme introduites par le même dragon et sans vertu divine dans des coeurs obstinés et pervertis. Et alors les démons désespérant de pouvoir rien obtenir des pharisiens, s'adressèrent à la femme de Pilate, et lui firent entendre dans un songe que cet homme était juste et innocent; que si son mari le condamnait il serait privé de sa charge, et qu'elle devait lui conseiller de délivrer Jésus et de punir Barabbas, s'ils ne voulaient point voir arriver quelque grand malheur et en leur famille et en leurs propres personnes.

1325. Procula fut fort effrayée de ce que le démon lui représenta dans ce songe, et quand elle sut ce qui se passait entre les Juifs et son mari, elle lui envoya dire ce que raconte saint Matthieu, afin qu'il ne condamnât point à la mort celui qu'elle regardait comme

 

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juste. Le démon inspira également à Pilate des craintes semblables, qu'accrut l'avis de sa femme; mais comme tous les motifs en étaient terrestres et politiques, et qu il n'avait point coopéré aux grâces du Seigneur, ces craintes ne durèrent que jusqu'à ce qu'il en est conçu une plus forte, ainsi que les faits le prouvèrent. Pour lors il chercha une troisième fois, comme le marque saint Luc (1), à défendre la cause de notre Seigneur Jésus-Christ; et s'adressant aux Juifs, il leur dit qu'il était innocent, qu'il ne trouvait rien en lui qui méritât la mort, qu'il le corrigerait,' et qu'ensuite il le mettrait en liberté. Je rapporterai dans le chapitre suivant qu'il le fit effectivement châtier pour voir s'ils en seraient satisfaits. Mais les Juifs persistèrent, en élevant la voix, à exiger qu'il- fat crucifié (2). Alors Pilate demanda de l'eau, et ordonna qu'on délivrât Barabbas comme ils le désiraient. Et se lavant les mains devant tout le monde, il dit: « Je n'ai nulle part en la mort de cet homme juste que vous condamnez. Prenez garde à ce que vous faites, car je me lave les mains, afin que l'on sache qu'elles ne trempent point dans le sang de l'innocent. (3). » Pilate crut par cette cérémonie se disculper de la mort de notre adorable Sauveur, et l'attribuer aux princes des Juifs et à tout le peuple qui la demandaient. Et les Juifs furent si insensés et si aveuglés dans leur fureur, qu'à la condition de voir bientôt notre divin Seigneur crucifié, ils acceptèrent le

 

(1) Luc., XXIII, 22. — (2) Ibid.. 23. — (3) Matth., XXVII, 24.

 

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marché de pilote et se chargèrent de ce crime, prononçant leur propre sentence par cette effroyable imprécation : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (1). »

1326. O stupide et cruel aveuglement! O témérité inouïe! Vous voulez assumer sur vous et sur vos enfants l'injuste condamnation du juste et le sang de l'innocent, que le juge lui-même déclare être sans crime, afin qu'il crie contre vous jusqu'à la fin du monde ! O Juifs perfides et sacrilèges ! croyez-vous donc que le sang de l'Agneau qui lave les péchés du monde, et la vie d'un homme , qui est en même temps vrai Dieu, soient d'un poids si léger? Quoi! est-il possible que vous veuillez ainsi vous en charger, vous et vos enfants? Quand il ne serait que votre frère, que votre bienfaiteur, que votre maître, votre inhumanité et votre malice seraient déjà monstrueuses et exécrables. Certes, le châtiment que vous subissez est bien juste : il faut que le sang de Jésus-Christ, que vous avez voulu faire retomber sur vous et sur vos enfants, ne vous laisse jouir d'aucun repos en nul endroit du monde; et que cette charge, qui pèse plus que les cieux et que la terre, vous abatte et vous écrase. Mais, hélas 1 que dirons-nous si nous considérons que ce sang divinisé ayant coulé sur tous les enfants d'Adam pour les laver et les purifier, et ayant coulé pour les laver et les purifier avec plus d'abondance sur les enfants de la sainte Église, il y a néanmoins

 

(1) Matth., XXVII, 25.

 

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tant de fidèles qui par leurs mauvaises oeuvres se chargent de ce précieux sang, comme les Juifs d en chargèrent et par leurs œuvres et par leurs paroles, ceux-ci ignorant et ne croyant point que ce fût le sang de Jésus-Christ, et les catholiques sachant et confessant que ce l'est !

1327. Les péchés et les rouvres iniques des chrétiens ont en quelque sorte un langage par lequel ils demandent le sang et la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, en consentant à ce que ce sang retombe sur eux-mêmes. Que le Christ soit outragé, déchiré et cloué sur une croix, méprisé, condamné à la mort, et moins estimé que Barabbas. Qu'il soit dépouillé, flagellé et couronné d'épines pour nos péchés, nous ne voulons point avoir d'autre part en ce sang que d'être nous-mêmes la cause qui il soit répandu d'une manière ignominieuse et qu'on nous l'impute éternellement. Que ce Dieu incarné souffre et meure lui-même, pourvu que nous nous jouissions des biens visibles. Hâtons-nous d'user des créatures, couronnons-nous de roses (1), vivons dans la joie, servons-nous de notre pouvoir; empêchons que personne ne soit au-dessus de nous; méprisons l'humilité, fuyons la pauvreté, amassons des richesses; trompons tout le monde, ne pardonnons aucune injure; rassasions-nous des délices de la volupté; que nos yeux ne voient rien que notre cœur ne désire et ne tâche d'acquérir. Voilà notre loi : suivons-la aveuglément. Et si par

 

(1) Sap., II, 6, etc.

 

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cette conduite nous crucifions Jésus-Christ, que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.

1328. Demandons maintenant aux réprouvés qui sont dans l'enfer si tel n'a pas été le langage de leurs oeuvres, comme le leur attribue Salomon dans la Sagesse, et si pour l'avoir tenu intérieurement ils ne s'appellent pas eux-mêmes insensés et impies, et s'ils ne l'ont pas réellement été. Que peuvent espérer après cela ceux qui ne profitent point du sang de Jésus-Christ, et qui s'en chargent eux-mêmes, non comme le désirant pour leur remède, mais comme le méprisant pour leur damnation? Où est celui d'entre les enfants de l'Église qui soutire qu'un voleur et un scélérat lui soit préféré ? Cette doctrine est si mal pratiquée dans le temps où nous sommes, que l'on admire celui qui consent à ce qu'un homme d'un mérite égal ou même supérieur au sien obtienne la prééminence, et l'on ne considère pas que jamais personne ne sera aussi bon que Jésus-Christ, ni aussi méchant que Barabbas. Mais la plupart, quoiqu'ils aient cet exemple sous les yeux, se croient offensés et malheureux s'ils ne sont partout préférés, et s'ils ne jouissent de tous les avantages que procurent les honneurs, les richesses, les dignités, et toutes les choses qui brillent et qui provoquent les applaudissements du monde. Voilà ce que l’on recherche, ce que l’on se dispute; voilà ce à quoi les hommes consacrent tous leurs soins, toutes leurs forces et toutes leurs puissances, dès qu'ils commencent d'en user, jusqu'à ce qu'ils les perdent. Ce qui est encore plus

 

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déplorable, c'est que ceux qui par leur profession et par leur état ont renoncé au monde et lui ont tourné le dos, n'échappent point à cette contagion; et tandis que le Seigneur leur commande d'oublier leur peuple et la maison de leur père (1), ils se tournent de leur côté par l'action des principales facultés de la créature humaine, c'est-à-dire qu'ils prêtent toute leur attention et apportent toute leur sollicitude à l'administration de leurs intérêts, qu'ils aspirent et qu'ils travaillent à assurer à leur peuple et à la maison de leur père tout ce que le monde possède, et tout cela leur parait peu répréhensible, et ils se laissent ainsi séduire par la vanité. Au lieu d'oublier la maison de leur père, ils oublient celle de Dieu , dans laquelle ils demeurent, où ils reçoivent avec les secours du Ciel pour s'occuper de leur salut, un honneur qu'ils n'auraient jamais reçu dans le monde, et où ils sont entre, tenus sans aucun embarras ni souci qui puisse les distraire de leurs obligations. Cependant ils deviennent ingrats à tous ces bienfaits, abandonnant l'humilité que leur état leur impose. Il semble qu'il n'y ait que les pauvres et que les solitaires, que le monde méprise, qui doivent participer à l'humilité de notre Sauveur Jésus-Christ, à sa patience, à ses affronts, aux opprobres de sa croix, profiter de son exemple et suivre sa doctrine : c'est pour cela que les voies de Sion sont délaissées, et qu'elles pleurent de ce qu'il s'en trouve si peu qui viennent à la solennité

 

(1) Ps. XLIV, 11.

 

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de l'imitation de notre adorable Rédempteur (1).

1329. Elles n'ont pas été moindres, la folie et l'ignorance de Pilate, qui s'imaginait qu'après s'être lavé les mains, et avoir imputé le sang de Jésus-Christ aux Juifs, il serait justifié en sa conscience et devant les hommes, qu'il prétendait satisfaire par cette cérémonie pleine d'hypocrisie et de mensonge. Assurément les Juifs prirent la principale et la plus grande part à la condamnation de l'innocent, et appelèrent sur leurs tètes la responsabilité du plus horrible attentat mais Pilate n'en fut pas moins coupable, puisque ayant reconnu l'innocence de notre Sauveur Jésus-Christ, il ne devait point lui préférer un voleur et un meurtrier, ni châtier un homme en qui il ne trouvait aucun crime (2). Bien moins encore lui était-il permis de le condamner à la mort et de le livrer à la merci de ses mortels ennemis, dont l'envie et la cruauté lui étaient manifestes. Aussi un juge ne saurait être juste lorsque, connaissant la vérité et la justice, il les met en balance avec les considérations et les fins humaines de l'intérêt personnel : car c'est là un poids qui entraîne la raison des hommes qui ont l'âme basse; et comme ils manquent du fonds solide de vertu et de probité, que les juges doivent nécessairement avoir, ils ne savent résister ni à la cupidité, ni aux peurs mondaines; ils se laissent aveugler par la passion, et abandonnent la justice, pour ne point s'exposer à perdre leurs avantages temporels; et c'est ce que fit Pilate.

 

(1) Thren., I, 4. — (2) Luc., XXIII, 25.

 

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1330. Notre grande Reine se trouvait, dans la maison de Pilate , à même d'apprendre par l'intermédiaire de ses saints anges les discussions qui s'étaient élevées entre cet inique juge et les scribes et les pontifes sur l'innocence de notre Seigneur Jésus-Christ, et sur la préférence qu'ils accordaient à Barabbas. Elle entendit tous les cris de ces forcenés en silence et avec une admirable patience, comme étant une image vivante de son très-saint Fils. Et quoiqu'elle conservât un calme inaltérable plein de modestie, les vociférations des Juifs ne laissaient pas de pénétrer son coeur affligé, comme une épée à deux tranchants. Mais les gémissements qu'elle poussait dans son triste silence résonnaient dans le sein du Père éternel avec plus de douceur que les plaintes de la belle Rachel, qui, suivant l'expression de Jérémie, pleurait ses enfants sans vouloir être consolée (1), parce qu'ils n'étaient plus. Notre très-belle Rachel la bienheureuse Marie ne demandait aucune vengeance; elle sollicitait le pardon des ennemis qui lui ravissaient le Fils unique du Père éternel et le sien. Elle imitait tous les actes de l'âme très-sainte de Jésus-Christ, et agissait avec tant de sainteté, qu'il était impossible à l'affliction de troubler ses puissances, à la douleur d'affaiblir sa charité, à la tristesse de diminuer sa ferveur; le tumulte ne distrayait point son attention, et les injures et les cris de la populace ne l'empêchaient point de rester intérieurement recueillie parce qu'elle donnait à toutes

 

(1) Jerem.,  XXXI, 15.

 

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choses la plénitude de toutes les vertus au degré le plus éminent.

 

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

1331. Ma fille, je vois que ce que vous avez écrit et connu vous jette dans l'étonnement, observant que Pilate et Hérode ne se montrèrent pas aussi barbares ni aussi cruels dans la Passion de mon très-saint Fils que les prêtres, les pontifes et les pharisiens; vous remarquez surtout que ceux-là étaient des juges séculiers des gentils, et que ceux-ci étaient des docteurs de la loi,. des prêtres du peuple d'Israël qui professaient la véritable foi. Je veux- dissiper cette surprise par une leçon qui n'est pas nouvelle et que vous avez entendue autrefois; mais je veux que vous la repassiez maintenant en votre esprit, et que vous ne l'oubliiez de votre vie. Sachez donc, ma très-chère fille, que plus on est élevé, plus la chute est dangereuse ; car le mal en est irréparable, ou le remède fort difficile. Lucifer occupait dans le ciel une place éminente, tant par sa nature que par les dons de la grâce, car il surpassait en beauté toutes les autres créatures: mais par la chute de son péché il tomba dans la misère la plus profonde et dans la dernière difformité, ne surpassant ses sectateurs que par une plus grande obstination. Les premiers parents du genre humain

 

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Adam et Ève furent élevés à une très-haute dignité, et reçurent de la main du Tout-Puissant des dons très-sublimes; mais ils se perdirent eux-mêmes par leur chute, et entraînèrent dans leur perte toute leur postérité. Que si elle a été réparée, le remède en a été aussi cher que la foi l'enseigne , et Dieu a fait éclater une miséricorde immense en les secourant eux et leurs descendants dans une telle disgrâce.

1332. Plusieurs autres âmes sont parvenues au sommet de la perfection, et en sont malheureusement tombées, et tombées si bas, quelles ont été presque réduites au désespoir ou à une espèce d'impossibilité de se relever. Du côté de la créature elle-même ce mal a des causes nombreuses. La première est le chagrin et la confusion excessive qu'éprouve celui qui est déclin du haut rang des sublimes vertus, non-seulement parce qu'il s'est privé des plus grands biens, mais parce qu'il ne compte pas plus sur les bienfaits futurs que sur ceux qu il a perdus dans le passé, et qui il n'ose pointai appuyer davantage sur les grâces qu'il peut obtenir par de nouveaux efforts que sur celles qui lui ont été précédemment accordées, et dont il n'a pas profité par son ingratitude. Il résulte de ce funeste désespoir que l'on agit sans ferveur, sans goût et sans dévotion ; car le désespoir éteint tous les sentiments, comme l'espérance ferme aplanit mille difficultés, fortifie la créature humaine dans sa faiblesse, et lui fait entreprendre de grandes rouvres. Il y a encore une autre cause qui n'est pas moins formidable, c'est que les âmes accoutumées aux bienfaits

 

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de Dieu, ou par office comme les prêtres et les religieux, ou par l'habitude des vertus et des faveurs, comme les autres personnes adonnées à la spiritualité, pèchent ordinairement par le mépris qu'elles font de ces mêmes bienfaits, et par le mauvais usage des choses divines; car, par suite de leur fréquence, elles .en viennent, par un aveuglement étrange, à estimer peu les dons du Seigneur ; cette irrévérence empêche les effets de la grâce, à laquelle elles cessent de coopérer, et bientôt elles perdent cette sainte crainte qui entretient la vigilance et excite la créature à faire le bien, à obéir à la volonté divine, et à profiter avec soin des moyens que Dieu a prescrits pour sortir du péché, et pour acquérir son amitié et la vie éternelle. Ce danger est extrêmement grave pour les prêtres tièdes qui fréquentent l'Eucharistie et les autres sacrements sans crainte et sans respect; pour les personnes instruites et pour les puissants du monde, qui se corrigent difficilement de leurs péchés, parce qu'ils ont. perdu l'estime et la vénération des remèdes que l'Église leur présente, c'est-à-dire des sacrements, de la prédication et des bons livres. C'est pour cela que ces remèdes, qui sont salutaires aux autres pécheurs, et qui guérissent les ignorants, les rendent eux-mêmes malades, quoiqu'ils soient les médecins qui s'occupent de la santé spirituelle des autres.

1333. Ce ne sont pas là les seules raisons de ce mal; il y en a d'autres qui regardent le Seigneur même. Attendu que les péchés de ces âmes, qui par leur état ou par leur caractère sont les plus obligées à

 

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Dieu, se pèsent dans la balance de sa justice fort différemment de ceux des autres âmes, qui sont moins favorisées de sa miséricorde. Et quoique les péchés de tous les hommes soient les mêmes quant à la matière, ils n'en sont pas moins fort différents par leurs circonstances. En effet, les prêtres, les savants, les personnes puissantes, les prélats, ceux qui remplissent des fonctions saintes ou ont une réputation de vertu, font un mal incalculable par le scandale de leur chute et par les péchés qu'ils commettent. Ils se rendent coupables d'une audace plus téméraire, quand ils osent s'élever contre Dieu, qu'ils connaissent davantage et auquel ils sont les plus redevables, en l'offensant avec plus de lumières et de science, et par conséquent avec plus d'insolence et de mépris que les ignorants; c'est pourquoi il est si grièvement offensé par les péchés des catholiques, et surtout par ceux des personnes qui sont les plus éclairées, ainsi qu'on le voit dans toutes les parties des livres sacrés. Et comme le terme de la vie humaine a été assigné à chacun des mortels afin qu'il y méritât la récompense éternelle, de même il a été déterminé jusqu'à quel nombre de péchés la longanimité du Seigneur doit attendre et souffrir chacun : et la justice divine ne suppute pas seulement ce nombre d'après la quantité, mais aussi d'après la qualité et la gravité des péchés; il peut donc arriver que dans les âmes qui ont reçu plus de lumières et plus de faveurs du Ciel, la qualité supplée à la multitude des péchés, et qu'elles soient abandonnées et punies avec an moindre nombre que

 

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les autres pécheurs. On ne doit pas s'imaginer que tous puissent prétendre au sort de David (1) et de saint Pierre (2), car tous n'auront pas fait avant leur chute autant de bonnes œuvres auxquelles le Seigneur ait. égard. Il ne faut pas croire non plus que le privilège de quelques-uns soit une règle générale pour tous, puisque tous n'ont pas été choisis pour un ministère dans les jugements impénétrables du Seigneur.

1334. Votre doute sera éclairci, ma fille, par cette instruction , et vous comprendrez quel mal c'est d'offenser le Tout-Puissant; combien est épouvantable le malheur des âmes qui pèchent, lorsque le Seigneur, les ayant rachetées par son propre sang, les élève et les conduit dans le chemin de la lumière, et continent une personne peut tomber d'un haut degré de vertu dans un endurcissement plus criminel que d'autres d'une vertu plus commune. Le mystère de la passion et de la mort de mou très-saint Fils atteste cette vérité , en ce que les pontifes, les prêtres, les scribes et tout ce peuple étaient, comparativement aux Gentils, plus redevables ù Dieu, et leurs péchés les tirent. tomber dans un endurcissement plus aveugle et plus cruel que celui des Gentils eux-mêmes, qui ignoraient la véritable religion. Je veux aussi que cette vérin: et cet exemple vous rendent prudente, et vous fassent craindre un si terrible danger; et que vous unissiez à cette sainte crainte une humble reconnaissance et une haute estime des bienfaits du Seigneur. Souvenez-vous

 

(1) II Reg., XII, 13. — (2) Luc., XXII, 61.

 

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de la pauvreté au jour de l'abondance (1). Faites en une juste comparaison en vous-même. Considérez que vous portez votre trésor dans un vase fragile, et que vous le pouvez perdre (2); que lorsqu'on reçoit tant de faveurs, ce n'est pas une marque qu'on les ait méritées, puisqu'on ne les possède point par un droit de justice, mais par une pure grâce. Que si le Très-Haut vous a traitée avec tant de familiarité, il ne vous a pas assurée pour cela que vous ne puissiez tomber, et il ne vous a pas donné lieu non plus dé vivre dans la négligence, ou de perdre la crainte et le respect. Plus ses divines faveurs croisent à votre égard, plus vous devez être vigilante , car Lucifer est plus irrité coutre vous que contre les autres Mmes; parce qu'il a connu que le Seigneur vous a donné plus de marques de sou amour libéral qu'à des générations entières; et si vous étiez ingrate après tant de bienfaits et de miséricordes, vous seriez la plus malheureuse des créatures et certainement digne d'un châtiment fort rigoureux votre faute serait sans excuse.

 

(1) Eccles., XVIII, 25. — (2) II Cor., IV, 1.

 

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CHAPITRE IX. Notre Sauveur Jésus-Christ fut par ordre de Pilate flagellé, couronné d'épines et outragé. — Ce que fit la bienheureuse Marie dans cette occasion.

 

1335. Pilate, remarquant l'opiniâtreté et l'emportement des Juifs contre Jésus de Nazareth , et désirant ne le point condamner à mort, parce qu'il reconnaissait son innocence, crut qu'en le faisant durement fouetter, il apaiserait la fureur de ce peuple très-ingrat, et l'envie des pontifes et des scribes, de sorte qu'ils cesseraient de le persécuter et de demander sa mort, et dans le cas où Jésus-Christ eût manqué en quelque chose aux cérémonies et aux coutumes judaïques, il en serait suffisamment châtié. Pilate fit ce jugement parce qu'il avait ouï dire que Jésus ne gardait pas le sabbat ni les autres rites; en effet, c'était ce dont les pharisiens l'accusaient, ainsi que le raconte d'évangéliste saint Jean (1). Mais ici Pilate raisonnait mal, puisqu'il n'était pas possible que le Maître de la sainteté manquât en la moindre chose à la loi, n'étant parvenu pour la détruire, mais bien pour l'accomplir

 

(1) Joan., IX, 16.

 

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entièrement (1). Et quand même cette accusation n'eût pas été calomnieuse, il ne devait pas lui imposer une si grande peine, puisque les Juifs avaient en leur loi d'autres moyens, par lesquels ils se purifiaient des transgressions fréquentes qu'ils commettaient contre elle; ainsi ç'aurait toujours été une criante injustice de le faire fouetter avec tant de rigueur. Le juge ne se trompait pas moins lorsqu'il s'imaginait que les Juifs se laisseraient toucher en cette circonstance d'une certaine compassion naturelle, et écouteraient la voix de l'humanité. Car la fureur qu'ils avaient contre notre très-doux maître n'était pas celle d'hommes naturellement portés à la pitié quand ils voient leur ennemi humilié et abattu, parce qu'ils ont un coeur de chair, et une sympathie instinctive pour leur semblable, laquelle provoque facilement leur compassion : mais ces perfides Juifs étaient comme transformés en démons, qui s'irritent davantage contre celui qui est le plus affligé et le plus humilié, et quand ils le voient dans un plus grand abandonnement, c'est alors qu'ils disent : Persécutons-le maintenant qu'il n'a personne qui le défende, et qui le délivre de nos mains (2).

1336. Telle était la rage implacable des pontifes et des pharisiens leurs complices contre l'Auteur de la vie ; parce que Lucifer, désespérant désormais d'empêcher sa mort, que les Juifs prétendaient, les irritait avec une horrible malice, afin qu'ils la lui donnassent

 

(1) Matth., V, 17. — (2) Sap., II, 18.

 

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avec une cruauté inouïe. Pilate hésitait entre la lumière de la vérité, qu'il connaissait, et les vues humaines et terrestres qui le conduisaient; et suivant l'erreur qu'elles inspirent à ceux qu'elles dirigent, il ordonna que l'on fouettât rigoureusement Celui qu'il avouait être sans crime (1). On choisit six satellites de la justice, qui étaient les plus robustes pour exécuter cette sentence si injuste que le démon venait de suggérer, et ces vils scélérats incapables de pitié acceptèrent avec beaucoup de joie l'office de bourreaux : car l'homme violent et envieux est toujours bien-aisé d'exercer sa fureur, fût. ce par des actions basses et indignes. Aussitôt ces ministres du démon assistés de plusieurs autres menèrent notre Sauveur Jésus-Christ au lieu du supplice; c'était une cour ou un parvis de la maison où l'on mettait ordinairement à la question les malfaiteurs pour les obliger d'avouer leurs crimes. Ce parvis présentait une aire peu élevée, il était entouré de colonnes, dont les unes étaient couvertes par l'édifice qu'elles soutenaient, et les autres étaient à découvert et fort basses. Ils attachèrent fortement le Sauveur à une de celles-ci qui était de marbre , parce qu'ils le prenaient toujours pour un magicien, et qu'ils appréhendaient qu'il ne leur échappât.

1337. Ils le dépouillèrent d'abord de la robe blanche, et ce fut avec autant d'ignominie que lorsqu'on l'en avait revêtu en la maison d'Hérode. Et quand ils lui ôtèrent les cordes et les chaînes dont on

 

(1) Joan., XIX, 1.

 

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l'avait garrotté en le prenant au Jardin, ils le maltraitèrent encore d'une manière affreuse, rouvrant les plaies que les mêmes liens lui avaient faites aux bras et aux poignets, tant on les lui avait serrés. Et lui ayant laissé ses divines mains libres, ils lui ordonnèrent brutalement, avec force blasphèmes, de se dépouiller lui-même de la tunique sans couture qu'il avait. C'était la même que sa très-sainte Mère lui avait mise en Égypte, quand elle commença à faire marcher le très-doux Enfant Jésus, comme je l'ai rapporté en son lieu. Notre adorable Seigneur n'avait alors que cette tunique : car, quand on le prit au Jardin, on lai arracha le manteau qu'il portait ordinairement au-dessus de sa tunique. Le Fils du Père éternel obit aux bourreaux, et consentit à exposer son sacré et vénérable corps aux regards de la foule. Mais ces cruels et impies satellites, s'imaginant que sa modestie le rendait trop lent à se déshabiller, lui enlevèrent la tunique avec beaucoup de violence et de précipitation. Ainsi le Seigneur de l'univers se trouva tout nu, n'ayant d'autre vêtement qu'un caleçon, qu'il portait et qu'il garda toujours; c'était aussi le mémo rire sa bienheureuse blèse lui avait mis en Égypte avec la petite tunique : car tout ce qu'elle lui mit alors avait cruû à mesure que le très-saint corps croissait; et le Seigneur ne quitta jamais ni la tunique ni le caleçon, ni même les chaussures que notre auguste Princesse lui mit, excepté lorsqu'il allait prêcher, comme je l'ai dit ailleurs; alors il marchait souvent pieds nus.

 

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1338. Il me semble avoir ouï dire .que plusieurs docteurs ont écrit que notre Sauveur fut entièrement dépouillé de tout ce qui pouvait couvrir sa personne sacrée, au moment de la flagellation et du crucifiement, sa Majesté consentant à sabir cette confusion pour- augmenter ses souffrances. Mais m'étant informée de la vérité par un nouvel ordre que je reçus de mes supérieurs, il m'a été déclaré que notre divin Maître était disposé à souffrir sans résistance tous les opprobres qui ne choqueraient point la décence, et que les bourreaux essayèrent de lui faire cet affront d'une nudité complète, et voulurent lui ôter le seul caleçon qui lui restait; mais que cela ne leur fut pas possible, parce que quand ils voulurent l'entre prendre leurs bras se roidirent, comme il arriva dans la maison de Caïphe à ceux qui prétendirent dépouiller le Seigneur de l'univers, ainsi que je l'ai raconté au chapitre dix-septième. Et quoique les six bourreaux y employassent toutes leurs forces, ils éprouvèrent tous la même chose ; néanmoins ces ministres d'iniquité parvinrent ensuite, pour fouetter le Sauveur avec plus de cruauté, à relever un peu le caleçon, et c'est tout ce que sa Majesté permit. Dit reste, ces barbares ne furent ni attendris ni touchés du miracle qui engourdissait leurs membres; mais, dans leur folie diabolique, ils l'attribuèrent aux sortilèges qu'ils imputaient à l'Auteur de la vérité et de la vie.

1339. Notre divin Rédempteur fut dépouillé de cette manière-là devant la multitude, et les six bourreaux le lièrent cruellement à une colonne de ce

 

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parvis pour le frapper plus à leur aise. Puis ils se mirent à le flageller deux à deux avec une cruauté si inouïe, que la nature humaine en eût été incapable, si Lucifer ne se fût comme incorporé avec ces ministres impitoyables. Les deux premiers fouettèrent le très-innocent Seigneur avec de grosses cordes retorses, déployant dans cette exécution sacrilège toute leur rage et toutes leurs forces. Par ces premiers coups ils couvrirent tout le corps sacré de notre Sauveur d'énormes tumeurs et de meurtrissures, qui le défigurèrent entièrement et firent jaillir de toutes parts son très-précieux sang des blessures. Quand ceux-là se furent lassés, deux autres bourreaux les remplacèrent et le frappèrent à l'envi avec de rudes lanières et avec tant de violence, qu'ils firent crever toutes les tumeurs et toutes les ampoules que les premiers avaient causées; et il en sortit une si grande quantité de sang, que non-seulement tout le corps adorable du Sauveur en fut baigné, mais qu'il rejaillit sur les habits des satellites sacrilèges qui le frappaient, et ruissela jusqu'à terre. Ces deux bourreaux étant hors d'haleine, se retirèrent, et les derniers commencèrent à le frapper avec des nerfs aussi durs que des osiers déjà secs. Ceux-ci le déchirèrent avec une plus grande cruauté, non-seulement parce que leurs coups, au lieu de tomber simplement sur son très-saint corps, ne pouvaient plus tomber que sur les plaies que les premiers lui avaient faites, mais aussi parce qu'ils frirent de nouveau irrités par les démons, que la patience du Christ rendait de plus en plus furieux.

 

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1340. Toutes ses veines étaient déjà rompues, et son corps sacré ne présentait plus qu'une vaste plaie, de sorte que ces troisièmes bourreaux ne trouvèrent point de partie saine à blesser. Mais ces monstres, redoublant leurs coups, déchirèrent la chair virginale de notre Rédempteur; ils en firent tomber plusieurs lambeaux par terre, et lui dénudèrent les os en divers endroits de ses épaules, où on les Noyait tout ensanglantés, et quelques-uns sur un espace plus large même que la paume de la main. Et pour effacer jusqu'aux derniers vestiges de cette beauté, qui surpassait celle de tous les enfants des hommes (1), ils le frappèrent à son divin visage, sur les pieds et sur les mains, sans qu'il y eût une partie qui échappât à leurs coups et sur laquelle ils n'exerçassent la rage qu'ils avaient conçue contre ce très-innocent Agneau, dont le précieux sang coulait à flots sur le sol. Les coups qu'on lui appliqua sur les pieds, sur les mains et sur le visage lui causèrent une douleur incroyable, ces parties étant les plus nerveuses, les plus sensibles et les plus délicates. Ce vénérable visage était tout meurtri, et le sang qui en sortait de toutes parts se caillant devant ses yeux, l'aveuglait entièrement. En outre, ils le couvrirent de leurs immondes crachats, pour le rassasier eu quelque sorte d'opprobres (2). Le nombre des coups de fouet que reçut le Sauveur depuis les pieds jusqu'à la tête fut de croit mille cent quinze. Ainsi le souverain Seigneur et le

 

(1) Ps., XLIV, 3. — (2) Thren., III, 30.

 

Créateur de tout l'univers, qui par sa nature divine était impassible, devint pour nous et sous notre chair, comme l'avait prédit Isaïe (1), un homme de douleurs, connaissant à fond par sa propre expérience toutes nos souffrances, et il parut le dernier des hommes et le plus méprisé de tous.

1341. La multitude de peuple qui suivait notre Sauveur remplissait les cours de la maison de Pilate aussi bien que les rues, parce que tout le monde attendait le dénouement de cette grande affaire, et sen entretenait au milieu d'un tumulte horrible, chacun selon le jugement qu'il en avait formé. La bienheureuse Vierge souffrit des peines inexprimables parmi ces scènes de désordre, à la vue des opprobres dont les Juifs et les Gentils accablaient son très-saint Fils. Quand on le mena au lieu du supplice, la très-prudente Dame se retira dans un coin du parvis avec les Marie et saint Jean, qui l'assistaient et partageaient sa douleur. Retirée en cet endroit, elle découvrit par une vision très-claire tous les coups que notre adorable Sauveur recevait. Et quoiqu'elle ne vit point par les yeux du corps ce qui se passait, elle n'en eut pas moins une connaissance fort distincte. Il n'est pas possible de dire ni mime de concevoir les douleurs et la désolation qu'elle ressentit dans cette circonstance; on ne pourra les comprendre, avec les autres mystères de la Divinité qui nous sont cachés, que là où ils seront publiquement manifestés pour la gloire

 

(1) Isa., LIII, 3.

 

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du Fils et de la Mère. J'ai dit en d'autres endroits de cette histoire, et notamment dans le récit que j'ai fait de la passion du Seigneur, que la très-pure Marie sentit en son corps toutes les douleurs que son Fils éprouva par les mauvais traitements auxquels il fut en butte. Elle souffrit une douleur semblable dans toutes les parties de son corps, à mesure que celui de notre Seigneur Jésus-Christ était frappé des coups de fouet des bourreaux; de sorte que, sans répandre d'autre sang que celui qu'elle versa avec ses larmes, et sans non plus recevoir aucune plaie par impression de celles du Seigneur, la souffrance la changea et la défigura à un tel point, que saint Jean et les Marie ne la reconnaissaient presque plus aux traits de son visage. Outre les douleurs de son corps, celles qu'elle souffrit en son âme très-sainte furent inexprimables; car c'est dans cette circonstance que l'on pouvait dire que l'augmentation de la science n'était que l'augmentation des peines (1). Animée à la fois de l'amour naturel à une mère et de la souveraine charité de Jésus-Christ, elle seule comprit mieux que toutes les autres créatures ensemble l'innocence du même Soigneur, la dignité de sa personne divine., et l'énormité des injures qu'il essuyait des perfides Juifs, et de ces mêmes enfants d'Adam, qu'il rachetait de la mort éternelle.

1342. Ayant exécuté la sentence qui ordonnait la flagellation de notre Sauveur, les mêmes bourreaux le

 

(1) Eccles., I, 18.

 

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délièrent de la colonne avec un insolent dédain, et lui prescrivirent, en vomissant de nouveaux blasphèmes, de se vêtir au plus tôt de sa tunique, qu'ils lui avaient ôtée. Mais un de ces satellites inspiré du démon l'avait cachée pendant qu'on fouettait notre très-doux Maître, afin qu'il ne pût la trouver et qu'il restât ainsi dépouillé pour prolonger sa confusion et les sarcasmes de ses ennemis. La bienheureuse Vierge connut cette malice infernale, et, usant du pouvoir de Reine, elle commanda à Lucifer et à tous ses démons de sortir de ce lieu; et aussitôt ils se sentirent forcés de s'en éloigner par la vertu et par la puissance de notre auguste Princesse. Ensuite elle ordonna aux saints Anges de remettre la tunique de son très-saint Fils dans un endroit où sa Majesté pût facilement la prendre pour en vêtir son sacré corps, qui était tout déchiré de coups. Cela fut incontinent accompli, sans que les sacrilèges satellites en pénétrassent le mystère; ils l'attribuaient à des maléfices diaboliques. Notre Sauveur se vètit, ayant, outre ses plaies, souffert une nouvelle douleur, que le froid lui causait; car la saison était froide, comme on le peut voir par ce que les évangélistes disent (1); et comme le Seigneur avait demeuré un assez long temps dépouillé, le sang de ses plaies s'était figé, et c'est ce qui les lui rendait plus sensibles; il avait d'ailleurs moins de forces pour les endurer, parce que le froid les lui diminuait : cela n'empêchait pourtant pas que

 

(1) Marc., XIV, 54; Luc., XXII, 55; Joan., XVIII, 18.

 

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l'ardeur de son infinie charité ne lui fit désirer de souffrir toujours davantage. Et quoique la compassion soit si naturelle aux créatures raisonnables, personne ne fut touché du piteux état où il se trouvait, excepté sa Mère désolée, qui pleurait et gémissait pour tout le genre humain.

            1343. Entre les mystères du Seigneur cachés à la sagesse humaine, c'est un grand sujet d'admiration que la fureur des Juifs, qui étaient des hommes de chair et de sang, sensibles comme nous, ne frit point apaisée en voyant notre adorable Maître si maltraité et tout déchiré des cinq mille cent quinze coups de fouet qu'il avait reçus; et que, bien loin d'être émus d'une certaine compassion naturelle à la vue d'un objet si pitoyable, leur envie leur suggérât de nouveaux moyens d'outrager celui qui avait déjà tant souffert. Mais leur rage était si implacable, qu'elle leur fit bientôt inventer un nouveau genre de tourment. Ils allèrent donc trouver Pilate dans le prétoire, et lui dirent devant ceux de son conseil : « Cet imposteur, ce séducteur du peuple, Jésus de Nazareth, a voulu par ses artifices et par sa vanité qu’ on le prit pour le roi des Juifs; et afin d'humilier son orgueil et de confondre davantage sa présomption, nous vous demandons l'autorisation de lui mettre les insignes de la royauté, dont il s'est rendu digne par son orgueilleuse fantaisie. » Pilate accorda l'injuste demande des Juifs, et leur permit d'exécuter ce qu'ils souhaitaient.

1344. Or, ils menèrent notre Sauveur au prétoire, où ils le dépouillèrent de nouveau avec la même

 

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cruauté et la même insolence qu'auparavant; et ils le vêtirent d'un manteau de pourpre (1) tout déchiré et couvert de taches , pour le livrer à la risée de tous, sous ce costume propre à un roi imaginaire. Ils lui mirent aussi sur sa tète sacrée une couronne d'épines habilement entrelacées. Elle était composée de joncs épineux, dont les pointes étaient très-fortes et très-aiguës, et ils la lui enfoncèrent avec tant de violence, que plusieurs épines pénétrèrent jusqu'au crâne, quelques-unes jusqu'aux oreilles, et d'autres jusqu'aux yeux. Aussi le couronnement d'épines fut-il un dés plus douloureux tourments qu'ait soufferts notre adorable Seigneur. En guise de sceptre, -ils lui mirent un roseau dans la main droite. Ensuite ils lui jetèrent sur les épaules un manteau violet, semblable aux chapes dont on use dans l'Église; car les rois se servaient aussi alors de cet ornement pour marquer leur dignité. Telle fut l'ignominie avec laquelle les perfides Juifs habillèrent comme un roi de théâtre Celui qui était par nature et à tous tes titres le véritable Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (2). Tous les hommes de la milice se réunirent sous les yeux des pontifes et des pharisiens, et ayant placé au milieu d'eux notre divin Maître, ils lui lancèrent, le blasphème à la bouche, les sarcasmes les plus mordants; car les uns, fléchissant le genou, lui disaient ironiquement : « Salut! Roi des Juifs. »  D'autres lui donnaient des soufflets. Il y en avait qui, lui prenant

 

(1) Joan. XIX, 2. — (2) Apoc., XVI, 19.

 

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le roseau qu'il avait à la main, en frappaient et meurtrissaient sa tête. D'autres le souillaient de leurs immondes crachas; tous l'accablaient de leurs injures, de leurs mépris, de leurs outrages, inspirés par une fureur vraiment infernale (1).

1345. O charité incompréhensible et sans borne ! ô patience inouïe et qui surpasse l'imagination des enfants d'Adam! qui a pu, Seigneur, obliger votre grandeur, vous qui êtes le Dieu véritable et puissant dans votre être et dans vos oeuvres., à s'humilier jusqu'à vous faire souffrir des supplices, des opprobres et des blasphèmes si effroyables? Mais plutôt quels sont ceux d'entre les hommes, ô mon adorable Créateur ! qui ne vous ont pas offensé et n'ont pas travaillé à vous empêcher de rien faire pour eux ? Qui d'entre nous pourrait s'imaginer ce que vous avez souffert, si nous ne connaissions pas votre bonté infinie? Mais puisque nous la connaissons et que nous considérons avec la certitude de la sainte foi tant de bienfaits, tant de merveilles admirables de votre amour, où est notre jugement? A quoi sert la lumière de la vérité que nous confessons? De quelles illusions sommes-nous donc le jouet, puisqu'à la vue de vos douleurs, des coups de fouet, des épines, des opprobres et des affronts que vous avez reçus, nous osons chercher les plaisirs, le repos, les honneurs et les vanités du monde? Le nombre des insensés est véritablement infini (2). En effet, la plus grande de toutes

 

(1) Matth., XXVII, 29; Joan., XIX, 9; Marc., XV, 19. — (2) Eccles., I, 15.

 

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les folies est de connaître une obligation sans y satisfaire, de recevoir un bienfait sans jamais le reconnaître, d'avoir devant les yeux le plus précieux de tous les biens, et de le mépriser, de le rejeter, loin d'en tirer le moindre profit; enfin, de laisser la vie pour suivre la mort éternelle. Le très-innocent agneau Jésus n'ouvrit pas seulement la bouche su milieu de tant d'opprobres. Mais ni les sanglantes railleries qu'ils firent de notre divin Maître, ni les mauvais traitements qu'ils exercèrent sur sa sacrée personne ne purent apaiser la rage des Juifs.

1346. Pilate crut que si ce peuple ingrat voyait Jésus de Nazareth dans un état si pitoyable, il en aurait le coeur attendri et confus; c'est pour cela qu'il ordonna qu'on le fît paraître à une fenêtre du prétoire, afin que. tous le vissent ainsi déchiré de coups, défiguré, couronné d'épines, et sous le costume ignominieux d'un roi imaginaire . Et alors, s'adressant au peuple, il lui dit : Ecce Homo (1) : « Voilà l’homme que vous regardez comme votre ennemi. Que puis-je faire encore contre lui, après l'avoir fait châtier avec tant de rigueur? Il est si abattu, que vous n'avez plus sujet de le craindre. Je ne trouve rien en lui qui soit digne de mort. » Certes ce que le juge disait était incontestable; mais il condamnait par là même sa conduite aussi inique qu'impie, puisque sachant et avouant que cet homme était juste, et déclarant qu'il ne méritait point la mort, il ne lui avait pas moins infligé des

 

(1) Joan., XIX, 5.

 

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tourments si cruels, qu'ils eussent suffi pour lui ôter plusieurs fois la vie. O aveuglement de l'amour-propre ! ô quelle méchanceté de considérer dans ces sortes d'occasions ceux qui peuvent donner ou enlever, les charges ! Combien ces vues terrestres n'obscurcissent-elles pas la raison! Comme elles font pencher la balance de la justice, puisque dans cette rencontre elle s'éleva contre la vérité souveraine, et entraîna la condamnation du Juste des justes! Tremblez, juges, qui jugez la terre, et prenez bien garde que les poids de vos jugements ne soient faux (1); car en prononçant une sentence injuste, vous vous condamnez vous-mêmes. Comme les pontifes et les pharisiens ne souhaitaient rien tant dans leur haine implacable que de faire mourir notre Sauveur Jésus-Christ, rien aussi ne pouvait les satisfaire que sa mort; c'est pourquoi ils répondirent à Pilate : « Crucifiez-le, crucifiez-le (2). »

1347. La bienheureuse Vierge vit son très-saint Fils quand Pilate le montra, et dit : Ecce Homo; et s'étant prosternée, elle l'adora et le reconnut comme Dieu-Homme véritable. Saint Jean, les Marie et tous les anges qui accompagnaient notre auguste Dame firent de même : elle le leur prescrivit, et comme Mère de notre Sauveur et comme leur Reine; d'ailleurs les saints anges découvraient en Dieu même sa volonté à cet égard. Notre très-prudente Reine dit alors au Père éternel, aux saints anges, et surtout à

 

(1) Ps. II, 10. — (2) Joan., XIX, 6.

 

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son bien-aimé Fils des choses si sublimes, si pleines de douleur, de compassion et de respect, qu'elles ne pouvaient partir que d'un cour aussi embrasé que le sien des flammes du plus chaste amour. Elle considéra encore pansa très-haute sagesse que dans cette occasion où son adorable Fils était si méprisé et si outragé des Juifs, il fallait chercher le moyen le plus convenable de lui conserver son honneur et de prouver son innocence. Dans cette très-prudente pensée elle renouvela les prières qu'elle avait déjà faites en faveur de Pilate, comme je l'ai dit, afin qu'il continuât à déclarer, comme juge, que notre Rédempteur Jésus-Christ ne méritait point la mort et n'était point criminel, ainsi que les Juifs le prétendaient, et que tout le mondé pût entendre cette déclaration.

134S. En vertu de cette prière de l'auguste Marie, Pilate sentit une vive pitié de voir le Seigneur si maltraité, et il fut fâché de l'avoir fait fouetter avec tant de. barbarie. Bien que son caractère plus humain et plus compatissant que celui des Juifs contribuât à exciter en lui ces mouvements, ce qui opérait le plus dans son âme c'était la lumière qu'il recevait par l'intercession de la Mère de la grâce. Ce fut cette même lumière qui porta ce juge à faire tant de propositions aux Juifs pour tâcher de délivrer notre Sauveur Jésus-Christ après qu'on l'eut couronné d'épines, ainsi que le raconte l'évangéliste saint Jean au chapitre dix-neuvième (1). Car lorsqu'ils lui demandèrent son

 

(1) Joan., XIX, 4.

 

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crucifiement, Pilate leur répondit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le, car pour moi je ne trouve point de crime en lui pour le faire (1). » Les Juifs lui dirent: « Nous avons notre loi, et selon la loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu (2). » Ces paroles accrurent les craintes de Pilate : il songea qu'il pouvait être vrai que Jésus fût le fils de Dieu , selon le sentiment qu'il avait, comme Gentil, de la Divinité. Ces craintes le firent rentrer dans le prétoire, où il prit le Seigneur en particulier, et lui demanda d'où il était (3). Mais sa Majesté ne lui répondit rien, parce que Pilate n'était point en état de comprendre sa réponse, et il ne la méritait pas non plus. Il fit pourtant de nouvelles instances, et dit au Roi du ciel : « Vous ne me parlez point? Ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous crucifier, et que j'ai le pouvoir de vous délivrer (4)? » Pilate prétendit par là obliger Jésus-Christ à se disculper et à répondre quelque chose qui pût l'éclaircir sur ce qu'il désirait savoir,. Il lui semblait qu'un homme réduit à un si pitoyable état accepterait avec empressement la moindre avance et la moindre marque d'intérêt dont le juge voudrait le favoriser.

1349. Mais le Maître de la vérité répondit à Pilate sans s'excuser, et avec plus de magnanimité qu'il n'attendait; et dans cette réponse il lui dit : Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi s'il ne vous avait été donné d'en haut; c’est pourquoi celui qui m'a livré entre

 

(1) Joan., XIX, 6. — (2) Ibid., 7. — (3) Ibid., 9. — (4) Ibid., 10.

 

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vos mains est plus coupable que vous (1). Cette seule réponse mettait ce juge dans l'impossibilité de trouver aucune excuse pour couvrir le crime qu'il commettait en condamnant Jésus-Christ, puisqu'elle devait lui faire comprendre que ni lui ni même César n'avaient aucun pouvoir sur cet homme adorable; que si on l'avait livré à sa juridiction contre toute raison et justice, cela avait été permis par un ordre supérieur, et qu'ainsi Judas et les pontifes en lui procurant la mort avaient commis un crime plus énorme ; mais qu'il en était lui - même coupable, quoique à un moindre degré. Pilate ne parvint point à connaître cette vérité mystérieuse; mais les paroles de notre Seigneur Jésus-Christ l'effrayèrent: ce qui lui fit faire les derniers efforts pour le délivrer. Les pontifes devinant l'intention de Pilate, le menacèrent de la disgrâce de l'empereur s'il le délivrait, et s'il ne faisait pas mourir celui qui se prétendait roi. Ils lui dirent : « Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes pas ami de César; car quiconque se fait roi s'oppose à ses ordres (2). » Ils parlèrent ainsi parce que les empereurs romains ne permettaient point que personne prît dans toute l'étendue de leur empire les marques ou le titre de roi sans leur consentement; et si Pilate l'eût permis, il aurait contrevenu aux décrets de César. Il fut fort troublé par cette malicieuse menace des Juifs, et, s'asseyant dans son tribunal (3) (c'était environ vers la sixième heure) pour juger le Seigneur,

 

(1) Joan., XIX, 11. — (2) Ibid., 11. — (3) Ibid., 13.

 

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il fit de nouvelles tentatives, disant aux Juifs : « Voilà votre roi (1). » Alors ils crièrent tous : « Otez, ôtez-le de là, crucifiez-le. » Pilate leur répliqua  Crucifierai-je votre roi ? » A quoi ils répondirent : « Nous n'avons point d'autre roi que César (2). »

1350. Pilate se laissa vaincre par la malice obstinée des Juifs. Et étant dans son tribunal, en un lieu qui s'appelle en grec Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha, le jour de la préparation de la pâque, il prononça la sentence de mort contre l'Auteur de la vie, comme je le rapporterai dans le chapitre suivant. Les Juifs sortirent de la salle avec de grands témoignages de joie, publiant la sentence qui avait été prononcée contre le très-innocent Agneau, et qui renfermait notre remède, quoique ces ingrats l'ignorassent. La Mère de douleur, qui était restée dehors, connut tout ce qui se passa par une vision particulière. Et lorsque les pontifes et les pharisiens sortirent en annonçant que son très-saint Fils avait été condamné à mourir sur la croix, son affliction redoubla, et son coeur fut impitoyablement percé du glaive. Comme ce qu'elle souffrit alors surpasse tout ce que l'entendement humain peut concevoir, je me contente de livrer ce sujet aux méditations de la piété chrétienne. Il n'est pas possible non plus d'exprimer les actes d'adoration, de respect, d'amour, de compassion, de douleur et de soumission, qu'elle exerça intérieurement dans cette circonstance.

 

(1) Joan., XIX, 14. — (2) Ibid, 15.

 

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Instruction que j'ai reçue de la Reine de l'univers.

 

1351. Ma fille, vous considérez avec étonnement la malice endurcie des Juifs, et la facilité de Pilate, qui l'ayant appréciée ne laissa pas de la favoriser au préjudice de l'innocence de mon adorable Fils. Je veux vous tirer de cet étonnement par les avis dont vous avez besoin pour marcher avec précaution dans le chemin de la vie. Vous savez que les anciennes prophéties des mystères de la Rédemption et toutes les Écritures saintes devaient être infaillibles, puisque le ciel et la terre périraient plutôt qu'elles pussent manquer de s'accomplir (1), selon qu'il est déterminé dans l'entendement divin. Or, pour faire souffrir à mon Fils cette mort très-ignominieuse que les prophètes avaient prédite (2), il fallait qu'il y eût des hommes qui le persécutassent; mais que ceux-ci aient été les Juifs, leurs pontifes, et Pilate l'inique juge qui le condamna, ç'a été leur malheur, et non point le choix du Très-Haut, qui voudrait sauver tous les hommes (3). Et si ces ministres sont tombés dans un malheur si déplorable, on le doit attribuer à leurs propres péchés et à leur extrême malice, par laquelle ils ont résisté à la grâce des plus grands bienfaits, puisqu'ils avaient parmi eux leur Rédempteur et leur Maître, qu'ils pouvaient converser avec lui, le connaître, ouïr ses

 

(1) Matth., XXIV, 35. — (2) Sap., II, 20; Act., III, 18; Jerem., XI, 19. — (3) I Tim., II, 4.

 

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divines paroles, assister à ses miracles, et recevoir les faveurs que les anciens patriarches ont implorées si longtemps sans les obtenir (1). Par ce moyen la cause du Seigneur a été justifiée, et il a été visible qu'il a lui-même cultivé sa vigne et l'a entourée de soins (2), et qu'elle ne lui a produit que des épines et de mauvais fruits, donnant la mort su Maître qui l'a plantée, et ne voulant point le reconnaître, comme elle le devait et le pouvait bien plus que des étrangers.

1352. Ce qui arriva au chef Jésus-Christ mon Seigneur et mon Fils, doit arriver jusqu'à la fin du monde aux membres de ce corps mystique, qui sont les justes et les prédestinés : car ce serait une chose monstrueuse que les membres ne correspondissent point au Chef, les enfants au Père, et les disciples au Maître. Et quoique dans le monde les justes soient mêlés avec les pécheurs, les prédestinés avec les réprouvés, et que l'on y voie toujours des persécuteurs et des persécutés, des meurtriers qui donnent et des innocents qui subissent la mort, des personnes qui mortifient et d'autres qui sont mortifiées; le sort de chacun des hommes ne lui échoit que par suite de sa malice ou de sa bonté, et malheur à ceux qui par leurs péchés et par leur mauvaise volonté causent du scandale dans le monde (3) : c'est par là qu'ils deviennent les instruments du démon. Les pontifes, les pharisiens, et Pilate commencèrent dans la

 

(1) Matth., XIII, 17. — (2) Matth., XXI, 38. — (3) Matth., XVIII, 7.

 

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nouvelle Église l’oeuvre d'iniquité, car ils maltraitèrent le Chef de ce corps mystique si admirablement beau ; et ceux qui en maltraitent et qui en maltraiteront les membres, c'est-à-dire les saints et les prédestinés, se rendront les disciples des Juifs et du démon.

1353. Voyez donc, ma très-chère fille, lequel de ces sorts vous voulez maintenant choisir en la présence de mon Seigneur et en la mienne. Et si après que votre Rédempteur, votre Époux et votre Chef, a été maltraité, affligé, couronné d'épines et chargé d'opprobres, vous voulez être sa disciple et membre de ce corps mystique, il n'est ni convenable ni possible que vous viviez dans les délices du monde et selon la chair. Il faut que vous soyez persécutée sans que vous persécutiez personne, et opprimée sans opprimer qui que ce soit ; que vous portiez la croix et souffriez le scandale sans le causer; que vous pâtissiez sans faire pâtir votre prochain ; vous devez, au contraire, travailler à son salut autant qu'il vous sera possible, ne cessant de pratiquer la perfection de votre état et de votre vocation. C'est là le partage des amis de Dieu, et l’héritage de ses enfants dans la vie mortelle; cet héritage renferme la participation de la grâce et de la gloire que mon très-saint Fils leur a acquise par les tourments, par les opprobres et par la mort de la croix : j'y ai aussi coopéré par tant de douleurs et d'afflictions que vous avez connues, et dont je veux que le souvenir ne s'efface jamais dans votre esprit. Le Très-Haut pouvait prodiguer les richesses temporelles à ses élus, les élever

 

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aux plus hautes charges, et les douer d'une force tellement invincible qu'ils eussent soumis toutes choses à son pouvoir souverain. Mais il n'était pas convenable qu'ils fussent conduits par ce chemin, afin que les hommes ne se trompassent point eux-mêmes, en frisant consister leur félicité dans les grandeurs et les pompes mondaines, et en arrivant ensuite à délaisser les vertus, à ternir la gloire du Seigneur, à méconnaître l'efficace de la grâce, à ne point désirer les choses spirituelles et éternelles. Je veux que vous étudiiez continuellement cette science, que vous y fassiez tons les jours de nouveaux progrès , et que vous pratiquiez tout ce qu'elle vous enseignera.

 

CHAPITRE XXI. Pilate prononce la sentence de mort contre l'Auteur de la vie. — Le Seigneur porte sur ses épaules la croix sur laquelle il doit mourir. — Sa très-sainte Mère le suit. — Ce que fit cette auguste Reine dans cette occasion contre le démon, et quelques autres événements.

 

1354. Pilate prononça la sentence par laquelle il condamnait notre Sauveur Jésus-Christ, auteur de la vie, à mourir de la mort de la croix, selon le souhait

 

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des pontifes et des pharisiens. Après qu'elle lui eut été notifiée, on le mena dans un autre endroit de la maison du juge, où on lui ôta le manteau de pourpre qu'on lui avait mis comme. à un roi imaginaire. Cela eut lieu conformément aux vues mystérieuses du Seigneur, quoique avec une intention malicieuse du côté des Juifs, qui voulaient conduire le Sauveur au supplice de la croix avec ses propres habits, afin que tous pussent le reconnaître : car les coups, les crachats et la couronne d'épines avaient si fort défiguré son divin visage, qu'il ne fut reconnaissable pour le peuple qu'à ses vêtements. On lui mit la tunique sans couture, que les anges apportèrent par ordre de leur Reine, l'ayant tirée secrètement d'une autre chambre, où les ministres l'avaient jetée lorsqu'ils la lui ôtèrent pour le revêtir du manteau de pourpre. Les Juifs ne s'aperçurent point de ce miracle, et ils n'étaient d'ailleurs pas en 'état de le remarquer, à cause de la précipitation avec laquelle ils s'occupaient des préparatifs de sa mort.

1355. L'activité des Juifs était telle, que la sentence de mort, qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth , fut aussitôt publiée par toute la ville, et le peuple courut à la maison de Pilate pour le voir sortir et mener au supplice. Jérusalem était pleine de gens ; car, outre le nombre considérable de ses habitants, il y était venu de tous les côtés beaucoup d'autres personnes pour célébrer la Pâque; et dans cette occasion tous se rendirent au palais de Pilate pour voir ce qui s'y passait à l'égard de Jésus-Christ.

 

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C'était le vendredi , jour de la préparation , selon l'interprétation grecque ; car ce jour-là les Hébreux se préparaient pour le jour suivant du Sabbat, qui était leur grande solennité, en laquelle ils ne vaquaient à aucune oeuvre servile, pas même pour ce qui concernait leur nourriture :tout se faisait le vendredi. On fit sortir notre Sauveur avec ses propres vêtements à la vue de tout ce peuple (1) ; il était si défiguré par les plaies, le sang et les crachats, qui couvraient sa face divine, que ceux qui l'avaient vu auparavant l'eussent pris pour un autre que lui-même. Il parut, suivant l'expression d'Isaïe (2), comme un lépreux, et comme un homme frappé de Dieu : en effet, avec toutes ses meurtrissures, son corps sacré, couvert de sang caillé , ne présentait plus qu'une seule grande plaie. Les saints anges l'avaient plus d'une fois essuyé par ordre de la Mère désolée ; mais aussitôt les bourreaux recommençaient à lui jeter tant d'autres crachats, qu'il en était tout souillé en ce moment. A l'aspect d'un objet si pitoyable, il s'éleva un si grand bruit parmi le peuple, qu'on né pouvait rien entendre de tout ce que l'on disait. Mais les pontifes et les pharisiens dominaient de leur voix le tumulte, se livraient à une joie indécente, et engageaient la foule par de grossières, plaisanteries à se calmer et à débarrasser le chemin par lequel ils devaient faire passer le divin Condamné, afin que tout le monde pût entendre la lecture

 

(1) Joan., XIX, 17. — (2) Isa., LIII, 4.

 

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de la sentence de mort qui avait été prononcée contre lui. Toute cette multitude était divisée d'opinion, et au milieu de la confusion, chacun cherchait à faire prévaloir son avis. Parmi les nations différentes qui assistaient à ce triste spectacle, il se trouvait des gens qui avaient été favorisés des charitables bienfaits, et secourus par les miracles du Sauveur; d'autres encore qui avaient ouï et embrassé sa doctrine, et qui étaient ses parents et ses amis; plusieurs de ceux-ci pleuraient amèrement; quelques-uns demandaient quels crimes avait commis cet homme pour être traité avec tant de cruauté. Les autres demeuraient dans le silence et dans la consternation enfin on ne voyait partout que confusion et que tumulte.

1356. Saint Jean fut le seul des Apôtres qui se trouvât présent à ce spectacle, car se tenant auprès de la bienheureuse Vierge et des Marie, il fut témoin de tout ce qui se passa, quoiqu'ils restassent un peu à l'écart de la multitude. Et lorsque le saint Apôtre vit sortir son divin Maître, songeant qu'il en était si particulièrement aimé, il fut saisi d'une si vive douleur, qu'il s’évanouit et tomba comme mort. Il en arriva autant aux trois Marie. Mais la Reine des vertus fut invincible, et quoiqu'elle sentit une douleur inexprimable, elle n'eut pas ces défaillances qui marquaient la faiblesse des autres. Elle fut en tout très-prudente, très-forte , et admirable ; elle sut garder tant de mesure dans ses actions extérieures, que, sans faire éclater. la moindre plainte,

 

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elle consola les Marie et saint Jean, et pria le Seigneur de les fortifier, afin qu'ils pussent lui faire compagnie jusqu'à la fin de la Passion. En vertu de cette prière, ils revinrent en leur premier état, et parlèrent à notre auguste Dame, qui ne montra aucun trouble parmi tant de confusion et d'amertume, et conserva une sérénité et une dignité vraiment royales, quoiqu'elle ne cessât de répandre des larmes. Elle considérait son Fils et son Dieu véritable ; elle priait le Père éternel, et lui offrait les douleurs de la Passion, à l'exemple de notre Sauveur. Elle connaissait la malice du péché, pénétrait les mystères de la rédemption, conviait les anges à prier avec elle pour les amis et pour les ennemis; et élevant son amour et sa douleur à leur plus haut degré, elle donnait la plénitude à toutes ses vertus, se rendant par là un objet digue de l'admiration des anges, et de la complaisance de la Divinité,. Et comme il n'est pas possible de traduire dans une langue humaine les sentiments que la Mère de la Sagesse formait dans son coeur et exprimait parfois par ses paroles, je m'en remets à la piété chrétienne.

1357. Les pontifes et les satellites de la justice tâchaient de faire taire le peuple, afin qu'il entendit la sentence qui avait été prononcée contre Jésus de Nazareth ; car après la lui avoir notifiée, ils voulaient la lire publiquement en sa présence. Ayant donc apaisé le tumulte, et le Seigneur étant debout comme un criminel, ils en donnèrent lecture à haute voix, afin que tous les assistants l'entendissent;

 

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ensuite ils la relurent plusieurs fois par les rues, et en dernier lieu an pied de la croix. Je sais que cette sentence a été souvent imprimée, et, selon ce qui m'a été déclaré, elle l'a été au fond d'une manière exacte, sauf quelques mots qu'on y a ajoutés; j'omettrai ces additions, attendu que les termes que je vais employer, sans y rien ajouter et sans en rien retrancher, m'ont été inspirés comme il suit.

 

Teneur de la sentence de mort que Pilate prononça contre Jésus de Nazareth notre Sauveur.

 

1358. « Moi, Ponce Pilate, président de la Basse-Galilée, gouvernant ici en Jérusalem pour l'empire romain, dans le palais de l'archiprésidence, je juge et prononce que je condamne à mort Jésus, surnommé Nazaréen par le peuple, originaire de Galilée, comme factieux, rebelle à la Loi, à notre Sénat, et au grand empereur Tibère César. Et par cette sentence je détermine qu'il meure sur une croix, attaché avec des clous, comme l'on y attache les criminels, parce qu'assemblant ici chaque jour une foule de personnes pauvres et riches, il n'a cessé d'exciter des troubles par toute la Judée, en se prétendant le Fils de Dieu et le Roi d'Israël;  en annonçant la ruine de cette célèbre ville de  Jérusalem, du saint Temple et du sacré Empire;  en refusant le tribut à César, et parce qu'il a  poussé l'audace jusqu'à entrer en triomphe, avec

 

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des palmes, accompagné d'une grande partie du  peuple, dans cette ville de Jérusalem et dans le  saint Temple de Salomon. J'ordonne au premier   centenier, appelé Quintus Cornelius, de le mener  parla même ville avec ignominie, garrotté comme  il l'est, et flagellé par mon ordre. On lui mettra ses propres vêtements, afin qu'il soit reconnu de  tous; et il portera la croix sur laquelle il doit a être crucifié. Il ira par toutes les rues les plus a fréquentées entre deux voleurs qui ont été condamnés à la mort pour des larcins et des meurtres a qu'ils ont commis, et c'est afin qu'il serve d'exemple  à tout le peuple et aux malfaiteurs.

« Je veux aussi et j'ordonne par cette présente  sentence, qu'après que l'on aura mené de la sorte ce malfaiteur par les rues, ou le fasse sortir de la ville par la porte: Pagora, appelée maintenant Antoniana, et qu'un héraut déclare tous les crimes énoncés clans cette sentence ; on le conduira ensuite sur le mont que l'on appelle Calvaire, où l'on exécute ordinairement les plus insignes malfaiteurs; et là, ayant été cloué et crucifié sur la noème croix qu'il aura portée (comme il a été dit), son corps demeurera suspendu entre les deux sus dits voleurs. On mettra au sommet de la croix le titre de sou nom dans les trois langues actuellement le plus répandues, à savoir, l'hébraïque, la grecque et la latine, de sorte que chacun dise ; C’EST JÉSUS DE NAZARETH ROI, DES JUIFS; afin que tous l'entendent et le connaissent.

 

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« Je défends aussi sous peine de confiscation de biens, de mort, et d'être déclaré rebelle à l'Empire Romain, que personne, de quelque état et condition qu'il soit, ose empêcher la justice que j'ordonne de faire et d'exécuter en toute rigueur, selon les lois romaines et hébraïques. L'année de la création du monde cinq mille deux cent trente-trois, le vingt-cinq mars.

« PONTIUS PILATUS JUDEX ET GUBERNATOR GALILEAE INFERIORIS PRO ROMANO IMPERIO, QUI SUPRA  PROPRIA MANU. »

 

1359. Selon cette supputation , la création du monde eut lieu au mois de mars ; et cinq mille cent quatre-vingt-dix-neuf ans s'écoulèrent du jeu auquel Adam fut créé jusqu'à l'Incarnation du Verbe. En y ajoutant les neuf mois qu'il demeura dans le sein virginal de sa très-sainte Mère, et les trente-trois ans qu'il vécut, on trouve les cinq mille deux cent trente-trois ans et trois mois qui, selon le comput romain, restent jusqu'au vingt-cinq mars ; car suivant les calculs adoptés par l'Église, la première année du monde n'est composée que de neuf mois et sept jours, la seconde année commençant au premier janvier. Il m'a été déclaré qu'entre les opinions des Docteurs, la supputation que la sainte Église marque dans le Martyrologe Romain est la véritable , comme je l'ai déjà dit ù propos de l'Incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ, au livre premier de la seconde partie, chapitre onzième.

 

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1360. La sentence , que Pilate avait prononcée contre notre Sauveur ayant été lue à haute voix devant tout le peuple, les satellites chargèrent sur les épaules délicates et meurtries de Jésus la lourde croix sur laquelle il devait être crucifié. Et afin qu'il pût la tenir et la porter, ils lui délièrent les mains, sans délier pourtant le corps; car ils se promettaient de le mener et de le tirer par les cordes dont ils l'avaient garrotté, et par un raffinement de cruauté, ils lui en firent deux tours au cou. La croix était de quinze pieds de long, fort épaisse et d'un bois fort pesant. Le héraut qui avait publié la sentence ouvrit la marche, et ensuite toute cette populace turbulente, les satellites et les soldats partirent du palais de Pilate avec des vociférations et un tumulte effroyables, pressant leurs rangs comme ceux d'une procession en désordre, pour se diriger vers le mont du Calvaire à travers les rues de Jérusalem. Quand notre Rédempteur eut aperçu la croix, il la regarda avec la joie la plus vive, semblable à l'époux qui considère les riches joyaux de son épouse, et en la recevant il lui adressa intérieurement ces paroles :

1361. « O Croix si longtemps attendue et désirée, viens à moi, ma bien-aimée, reçois-moi entre tes  bras, afin que mon Père éternel y reçoive, comme sur un autel sacré, le sacrifice de la réconciliation éternelle avec le genre humain. Je suis descendu du ciel dans une vie mortelle et dans une chair a passible, pour mourir entre tes bras : car tu dois v être le sceptre par lequel je triompherai de tous

 

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mes ennemis, la clef avec laquelle j'ouvrirai les portes du paradis à mes élus (1), le sanctuaire où les criminels enfants d'Adam trouveront la miséricorde, et le canal des trésors qui peuvent les enrichir dans leur pauvreté. Je veux me servir de toi pour ennoblir les déshonneurs et les opprobres  des hommes, afin que mes amis les embrassent  avec joie et les recherchent avec ardeur pour me suivre dans le chemin que je leur fraierai par ton moyen. Je vous bénis, mon Père, Dieu éternel, o Seigneur du ciel et de la terre (2); et obéissant à  votre divine volonté, je charge sur mes épaules  le bois du sacrifice de mon humanité passible et très- innocente, et je l'accepte volontiers pour le salut éternel des hommes. Recevez-le, mon Père,  pour satisfaire votre justice, afin que désormais a ils ne soient plus des serviteurs, mais des enfants  héritiers avec moi de votre royaume (3). »

1362. La bienheureuse Vierge pénétrait tous ces mystères avec une plus haute intelligence que les esprits célestes ; et ce qu'elle ne pouvait pas voir, elle le connaissait par une révélation particulière, qui le lui découvrait avec beaucoup de clarté, et lui manifestait en  même temps les opérations intérieures de son très-saint Fils. Cette divine lumière lui fit connaître le prix infini que le bois sacré de la croix acquit par le seul contact de l'humanité divinisée de notre Rédempteur Jésus-Christ. Aussitôt elle adora

 

(1) Isa., XXII, 2. — (2) Matth., XI, 25. — (3) Rom., VIII, 17.

 

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cet instrument auguste, et lui rendit le culte qui lui était dut. Les anges qui accompagnaient le Sauveur et sa très-sainte Mère en firent de même. De son côté, elle partagea le tendre empressement avec lequel son adorable Fils reçut la croix, et lui adressa un discours très-sublîme comme Coadjutrice du Rédempteur. Elle pria aussi le Père éternel , imitant en tout de la manière la plus parfaite son divin Exemplaire, sans omettre la moindre chose. Au moment où le héraut publiait la sentence par les rues, elle composa, pour exalter l'innocence de son très-saint Fils, un cantique de louanges, qu'elle opposait aux crimes énumérés dans ta sentence , comme si elle en eût voulu paraphraser les termes à la gloire du même Seigneur. Les saints anges faisaient leur partie dans ce cantique, et le répétaient avec elle à mesure que les habitants de Jérusalem blasphémaient contre leur divin Rédempteur.

1363. Et comme toute la foi, toute l'intelligence et tout l'amour des créatures étaient en cette triste occasion concentrés dans le coeur magnanime de la Mère de la Sagesse, elle seule avait une juste idée, et portait un digne jugement des peines et de la mort que Dieu souffrait pour les hommes. Et sang rien négliger de tout ce qu'il fallait faire extérieurement, elle repassait et pénétrait par sa sagesse tous les mystères de la Rédemption du genre humain, et le mode de leur accomplissement au moyen de l'ignorance des mêmes hommes qui étaient rachetés. Elle comprenait merveilleusement quel était Celui qui

 

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souffrait, ce qu'il souffrait, de qui et pour qui il le souffrait , la dignité de la personne de notre Rédempteur Jésus-Christ, en laquelle se trouvaient les deux natures divine et humaine, leurs perfections, et les attributs de ces mêmes natures. La bienheureuse Marie seule en eut, après le Seigneur lui-même, la plus haute connaissance : de sorte qu'elle fut l'unique entre toutes les simples créatures qui parvint à faire une estime convenable de la Passion et de la mort de son très-saint Fils. Elle ne fut pas seulement témoin oculaire de ce qu'il souffrit, mais elle le connut par sa propre expérience, et c'est ce qui doit exciter une sainte émulation, non-seulement parmi les hommes, mais encore parmi les anges, qui ne participèrent point à cette grâce. Ils surent pourtant que notre auguste Reine éprouvait en son âme et en son corps les mêmes douleurs que son adorable Fils, et combien cela fut agréable à la très-sainte Trinité : et ils suppléèrent aux peines qu'ils ne purent point souffrir par la gloire qu'ils lui rendirent. Il arrivait quelquefois que la Mère affligée, ne voyant point son très-saint Fils, sentait en sois corps et en son âme les nouveaux tourments qu'on lui faisait subir, même avant qu'elle les connut par l'intelligence. Et en étant comme alarmée, elle disait: Hélas! quel martyre souffre maintenant mon très-doux Seigneur ! Bientôt elle apprenait et discernait nettement par la lumière d'en haut tout ce qui se passait à l'égard de sa divine Majesté. Mais elle fut si admirable et si constante: dans le désir qu'elle

 

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avait d'imiter son divin Exemplaire, qu'elle refusa durant la Passion toute sorte de soulagement naturel, non-seulement à son corps, car elle ne reposa, ne mangea et ne dormit point pendant ce temps-là ; mais encore à son âme, suspendant toutes les considérations qui pouvaient adoucir ses amertumes, et ne voulant recevoir aucune consolation, excepté celles que le Très-Haut lui communiquait par quelque divine influence : et alors elle la recevait avec humilité et avec reconnaissance pour recouvrer de nouvelles forces, afin de s'attacher avec plus de ferveur à l'objet douloureux et à la cause de ses peines. Elle réfléchissait aussi sur la malice des Juifs et des ministres, sur le grand besoin qu'avait le genre humain d'être secouru dans son état déplorable, et sur l'ingratitude des mortels, pour qui son très-saint Fils souffrait; tout cela, elle le connut à un degré très-éminent et très-parfait, et elle le ressentit plus que toutes les créatures.

1364 Le Tout-Puissant opéra dans ces circonstances, par l'organe de l'auguste Marie, un autre mystère admirable et secret contre Lucifer et ses ministres infernaux, et le prodige arriva en cette manière : Comme les démons étaient fort attentifs à tout ce qui se passait en la Passion du Seigneur, qu'ils ne parvenaient point à connaître, ils sentirent au moment même oh sa Majesté reçut la croix sur ses épaules, tin nouvel accablement et une espèce de défaillance dont ils ignoraient la cause, et dont l'étrangeté les jeta dans une grande surprise et une

nouvelle tristesse mêlée de confusion et de rage. Le prince des ténèbres sentant ces nouveaux et irrésistibles effets, craignit que la Passion et la mort dé Jésus-Christ ne le menaçassent d'une irréparable catastrophe et de la ruine de son empire. Et ne voulant point en' attendre, l'événement en la présence de notre Sauveur, il résolut de s'enfuir et de se retirer avec tous les autres esprits rebelles dans les enfers. Lorsqu'il voulut exécuter cette résolution, notre auguste Princesse s'y opposa , car le Très-Haut l'éclaira au même moment et la revêtit de son pouvoir, lui donnant connaissance de ce qu'elle devait faire dans cette rencontre. Or la bienheureuse Vierge s'a dressant à Lucifer, et à ses légions, leur défendit avec une autorité de Reine de prendre la fuite, et leur commanda d'attendre la fin de la Passion, et de se trouver présents à tout ce qui s'y passerait jusqu'au mont du Calvaire. Les démons ne purent résister au commandement de notre puissante Reine, parce qu'ils connurent et sentirent la vertu divine qui opérait en elle. Ainsi contraints d'obéir à ses ordres, ils accompagnèrent, comme s'ils avaient été liés et enchaînés, notre Seigneur Jésus-Christ jusqu'au Calvaire, où il devait, du haut du trôné de la croix, triompher d'eux; selon qu'il était déterminé par la Sagesse éternelle, comme nous le verrous dans la suite. Je ne saurais exprimer la tristesse et le découragement dont Lucifer et ses démons furent saisis dans cette occasion. Mais, selon notre manière de concevoir, ils allaient au Calvaire comme des criminels que l'on traîne au

 

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supplice, et que l'approche d'une punition inévitable plonge dans un abattement mortel. Et cette peine fut chez le démon proportionnée à sa nature et à sa malice, et répondit au mal qu'il avait fait dans le monde, en y introduisant la mort et le péché (1), pour le remède duquel Dieu lui-même allait mourir.

1365. Notre Sauveur continua à se diriger vers le mont du Calvaire , portant sur ses épaules, comme dit Isaïe (2), le signe de sa domination, qui était la sainte croix par laquelle il devait régner et assujettir le monde, mériter l'exaltation de son nom au-dessus de tout nom (3) , et racheter le genre humain entier de la puissance tyrannique que le démon s'était acquise sur les enfants d'Adam (4). Le même Isaïe (5) appelle cette tyrannie le joug qui les accablait, et le sceptre de celui qui les opprimait, et qui exigeait avec violence le tribut du premier péché. Et pour vaincre ce tyran et détruire le sceptre de sa domination et le joug de notre servitude, notre Seigneur Jésus-Christ mit la croix au même endroit où l'on porte le joug de la servitude et le sceptre de la puissance royale, voulant marquer par là qu'il en dépouillait le démon et la transportait sur ses épaules, afin que dès l'instant où il prit sa croix, les captifs enfants d'Adam le reconnussent pour leur légitime Seigneur et leur véritable Roi, qu'ils devaient suivre par le chemin de cette croix (6), par laquelle il a

 

(1) Sap., II, 24. — (2) Isa., IX, 6. — (3) Philip., II, 9. — (4) Colos., II, 15. — (5) Isa., IX, 4. — (6) Matth., XVI, 21.

 

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réduit tous les mortels sous son empire (1), et les a rendus ses sujets et ses esclaves achetés au prix de son précieux sang et de sa propre vie (2).

1366. Mais, hélas! que notre ingratitude est extrême! Que les Juifs et les ministres de la Passion aient ignoré ce mystère caché aux princes du monde; qu'ils n'aient point osé toucher la croix du Seigneur, parce qu'ils la croyaient ignominieuse, ce fut par leur faute, et cette faute a été énorme. Mais elle n'est point comparable à la nôtre, puisque ce mystère nous est maintenant découvert, et qu'en témoignage de notre croyance, nous condamnons l'aveuglement de ceux qui ont persécuté notre divin Maître. Or, si nous les blâmons de ce qu'ils ont ignoré ce qu'ils devaient connaître, quel péché sera le nôtre, si tout en reconnaissant Jésus-Christ pour notre Rédempteur, nous le persécutons et le crucifions comme eux (3) par nos offenses? O mon très-doux Jésus! lumière de mon entendement, gloire de mon âme, méfiez-vous de ma tiédeur et de ma faiblesse, qui me font répugner à vous suivre avec ma croix dans le chemin que vous m'avez frayé par la vôtre. Ayez la bonté, mon adorable Maître, de m'attirer après vous (4), et je courrai à l'odeur de votre ardent amour, de votre patience ineffable, de votre éminente humilité, et à la participation de vos opprobres; de vos angoisses, de vos affronts et de vos douleurs. Que ce soit là mon

 

(1) Joan., XII, 32. — (2) I Cor., VI, 20. — (3) Hebr., VI, 6. — (4) Cant., I, 3.

 

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héritage dans cette vie passagère et pénible; que ce soit là nia gloire et mon repos, car je ne veux avoir d'autre vie, d'autre consolation, d'autre paix, d'autre joie que votre croix et vos ignominies. Comme les Juifs et tout ce peuple aveuglé prenaient, des précautions pour ne point toucher la croix du très-innocent condamné, s'imaginant que son glorieux déshonneur était capable de les souiller, cet adorable Seigneur s'ouvrait lui-même la route qu'il devait parcourir à travers le flot de la populace qui remplissait les rues de vociférations horribles et confuses, au milieu desquelles on entendait retentir la voix du héraut qui publiait la sentence.

1367. Les satellites de la justice; abjurant tout sentiment de pitié naturelle, menaient notre Sauveur avec une cruauté incroyable. Les uns le tiraient avec les cordes par devant pour hâter sa marche , les autres par derrière pour augmenter ses peines et l'arrêter tout court. Ces violences et la pesanteur de la croix lui faisaient faire de fréquents soubresauts et des chutes nombreuses. Les pierres qu'il rencontrait en tombant le blessèrent surtout aux genoux, où les blessures se renouvelaient toutes les fois qu'il tombait. Le poids de la croix lui causa en outre un grand ulcère à l'épaule. Et par les secousses qu'on lui imprimait, tantôt la croix heurtait contre sa tête, et tantôt sa tête contre la croix , et alors les épines de la couronne s'enfonçaient davantage dans les parties les plus vives de la chair. Ces ministres d'iniquité aggravaient les douleurs de leur victime par des

 

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blasphèmes exécrables et en couvrant sa face divine de leurs immondes crachats et de poussière. Ils lui en jetaient avec un tel acharnement, qu'ils lui en remplissaient les yeux, dont elle les regardait avec miséricorde, se déclarant par là encore plus indignes d'un regard si favorable. Ils étaient si impatients de faire mourir notre doux Maître, qu'ils ne lui laissaient prendre aucun repos; et comme il avait été accablé de tant de mauvais traitements en un si court laps de temps, son corps sacré était tellement affaibli et réduit à un tel état de défaillance, qu'on eût cru qu'il allait succomber à tant d'affreux tourments.

1368. La Mère de douleurs quitta la maison de Pilate pour suivre son très-saint Fils; elle était accompagnée de saint Jean , de la Madeleine et des autres Marie. Et comme la grande foule la pressait et l'empêchait de s'approcher du Sauveur, elle pria le Père éternel de lui faire la grâce de pouvoir se trouver au pied de la croix en la compagnie de son Fils, de sorte qu'elle pût le voir par l'organe physique; et assurée de la volonté du 'I'res-Haut, elle ordonna aux saints ancrés de lui en faciliter le moyen. Les anges lui obéirent avec un humble respect, et conduisirent leur Reine par une rue qui abrégeait le chemin. Grâce à cette diligence, ils rencontrèrent notre divin Maître, et alors le Fils et la Mère se regardèrent en face, chacun d'eux ressentant une nouvelle douleur à la vue de ce que l'autre souffrait; mais fis ne se parlèrent point de vive voix, et la dureté des bourreaux ne leur aurait pas donné le temps de le faire. La très-prudente Mère

 

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adora son très-saint Fils qu'elle voyait pliant sous le faix de la croix, et le pria intérieurement, que puisqu'elle ne pouvait point le soulager de ce lourd fardeau, et qu'il ne voulait pas non plus permettre que les anges le fissent suivant le désir que lui inspirait son amour maternel, il se servît du moins de sa puissance divine pour suggérer à ses ministres l'idée de lui donner quelqu'un qui l'aidât à porter l'instrument du supplice. Notre Rédempteur Jésus-Christ exauça cette prière; et c'est ainsi qu'un homme de Cyrène appelé Simon fut destiné à porter la croix avec le Seigneur (1). Les pharisiens et les satellites se décidèrent à lui procurer ce soulagement, les uns par une certaine compassion naturelle, les autres par la crainte qu'ils avaient que Jésus-Christ ne mourût avant quo d'être crucifié, car il était dans une extrême défaillance, comme je l'ai rapporté.

1369. L'esprit humain ne saurait ni concevoir ni exprimer la douleur que la tendre Vierge Mère éprouva dans le trajet qu'elle fit jusqu'au mont du Calvaire, ayant devant les yeux son propre Fils, qu’elle seule pouvait dignement connaître et aimer. Son affliction était si grande qu'elle n'aurait pu manquer c'est mourir si la puissance divine ne l'eût soutenue. Dans cette extrême désolation, elle dit intérieurement ait Seigueur : « Mon Fils et mon Dieu éternel, lumière de mes yeux et vie de mon situe, recevez, Seigneur, le  sacrifice douloureux de l'impuissance où je suis de

 

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vous soulager de la croix, et de la porter moi mène qui suis fille d'Adam, afin d'y mourir pour votre amour, comme vous y voulez mourir par la très-ardente charité que vous avez pour le genre humain. O généreux médiateur entre le péché et la  justice! combien fortement sollicitez-vous la miséricorde parmi tant d'injures! O charité sans borne  et sans mesure, qui, pour avoir lieu d'agir avec  plus d'énergie et d'efficace, permettez tous ces opprobres ! O doux amour infini, que ne puis-je  disposer de tous les coeurs et de toutes les volontés  des hommes, afin de les empêcher de répondre si  mal à ce que vous souffrez pour tous! Oh ! si quelqu'un pouvait parler au coeur des mortels, et leur   faire comprendre ce qu'ils vous doivent, puisque  le rachat de leur captivité et la réparation de leur  ruine vous ont coûté si cher ! » Notre auguste Princesse ajoutait à ces paroles plusieurs autres choses pleines de la plus sublime sagesse que je ne saurais rendre.

1370. Comme le dit l'évangéliste saint Luc, celte multitude (1) comptait dans ses rangs beaucoup d'autres femmes qui suivaient aussi le Seigneur, et (lui s'affligeaient et pleuraient de le voir si maltraité. Mais le très-doux Jésus se retournant vers elles, leur dit: Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car les jours viendront dans lesquels on dira : Heureuses les femmes

 

(1) Luc., XXIII, 27.

 

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stériles, heureuses les entrailles qui n'ont point conçu, les mamelles qui n'ont point nourri (1) ! Alors les hommes diront aux montagnes : Tombez sur nous, et aux collines : Cachez-nous. Car s'ils traitent ainsi le bois vert, que feront-ils du bois sec (2) ? Par ces termes mystérieux, le Seigneur approuvait en quelque sorte les larmes que ces femmes versaient à cause de sa très-sainte Passion, et témoignait agréer leur compassion , nous apprenant en même temps quel doit être le principe de nos larmes pour qu'elles soient salutaires. Ces pieuses disciples dejnotre divin Maître l'ignoraient alors, car elles pleuraient ses affronts et ses douleurs, et non pas la cause pour laquelle il les souffrait; mais elles méritèrent d'en être instruites. Ce fait comme si le Seigneur leur eût dit : Pleurez sur vos péchés et sur ceux de vos enfants en me voyant souffrir, et non pas sur les miens, car je n'en ai aucun, et il n'est pas même possible qu'on en trouve en moi; c'est pour vos propres péchés que je souffre. Et si la compassion que vous me montrez est bonne et juste, j'aime encore mieux que vous pleuriez vos péchés que les peines que j'endure pour eux; en pleurant de la sorte, vous recevrez et sur vous et sur vos enfants le prix de mon sang et de la rédemption quo ce peuple aveugle ignore. Car le temps viendra, qui sera celui du jugement universel, auquel celles qui ri auront point d'enfants se croiront bienheureuses, et auquel les réprouvés souhaiteront que les montagnes tombent

 

(1) Luc., XXIII, 28 et 29. — (2) Ibid., 30 et 31.

 

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sur eux pour ne point voir ma colère. Car si leurs péchés dont je me suis chargé, ont produit ces effets en moi qui suis innocent, quels sont ceux qu'ils produiront en eux, qui seront comme un bois sec, sans aucun fruit de grâce et de mérite?

1371. Ces femmes fortunées furent éclairées , en récompense de leurs larmes et de leur compassion, pour pénétrer cette doctrine. La prière de la très-pure Marie ayant été exaucée, les pontifes, les pharisiens et les satellites résolurent de chercher nu homme qui aidât notre Rédempteur Jésus-Christ à porter la croix jusqu'au Calvaire. Ils rencontrèrent à propos Simon de Cyrène (appelé le Cyrénéen parce qu'il était natif de cette ville de Libye, et' venait souvent à Jérusalem); c'était le père de deux disciples du Seigneur qui se nommaient Alexandre et Rufus (1). Les Juifs contraignirent ce Simon de porter la croix de Jésus une partie du chemin, sans vouloir eux-mêmes la toucher, parce qu'ils croyaient qu'ils se souilleraient en touchant l'instrument du supplice d'un homme qu'ils punissaient comme un insigne malfaiteur. Ils prétendaient le faire passer pour tel aux yeux du peuple par ces précautions affectées. Simon prit la croix et suivit le Sauveur qui marchait entre les deux larrons, afin que tons le regardassent comme un scélérat de leur espèce. La Mère de douleurs s'avançait à quelques pas du Sauveur, comme elle l'avait demandé au Père éternel; et elle se conformait si entièrement

 

(1) Marc., IV, 21.

 

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à sa divine volonté dans toutes les peines de la Passion de son adorable Fils, auxquelles elle participait d'une manière si sensible, qu'elle n'eut pas. la moindre pensée de rétracter le consentement qu'elle avait donné à ses souffrances et à sa mort: si grande était la charité qu'elle avait pour les bommes, si grande la grâce par laquelle notre sainte Reine surmontait la nature !

 

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

 

1372. Ma fille, je veux que le fruit de l'obéissance par laquelle vous écrivez l'histoire de ma vie soit de former en vous une véritable disciple de mon très-saint Fils et de moi. C'est tour cela en premier lieu que vous recevrez la divine lumière qui vous fait découvrir de si hauts mystères, et les avis que je ne me lasse point de vous donner, afin que vous arriviez à bannir de votre coeur toute affection quelconque pour les créatures. Par ce dénuement vous surmonterez les obstacles que le démon vous suscite, et qui vous exposent à tant de dangers à cause de votre naturel facile. Moi qui le connais, je vous en avertis et je vous corrige; je vous instruis pour vous conduire. comme une mère et une maîtresse. Vous connaissez par la lumière du Très-Haut les mystères de la Passion et de la mort de mon Fils, et l'unique et

 

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véritable chemin de la vie, qui est celui de la croix ; cette même lumière vous fait voir aussi que tous ceux qui sont appelés ne sont pas élus pour la croix. Il y a beaucoup de gens qui disent qu'ils désirent suivre Jésus-Christ; mais le nombre de ceux qui se disposent véritablement à l'imiter est fort petit; car aussitôt que la croix des souffrances se fait sentir, on la rejette et on lui tourne le dos. La douleur que causent les afflictions est fort sensible à la nature humaine par rapport à la chair; le fruit spirituel en est plus caché, et peu de personnes se laissent guider par la lumière. C'est pourquoi sont en si grand nombre les mortels qui, oubliant la vérité, n'écoutent que la chair, et veulent toujours la caresser sans lui refuser jamais rien. Ils aiment les honneurs, rejettent les affronts, souhaitent les richesses, et ont en horreur la pauvreté; ils courent après les plaisirs, et évitent les mortifications. Tous ceux-là sont ennemis de la croix de Jésus Christ et la rebutent, parce qu'ils la croient ignominieuse comme ceux qui le crucifièrent (1).

1373. Une autre illusion est commune dans le monde, c'est celle des personnes qui s'imaginent suivre Jésus-Christ, leur divin Maître, sans souffrir et sans agir; elles se contentent de n'être pas fort hardies à commettre les péchés, et font consister toute la perfection en une espèce de prudence ou d'amour tiède, qui leur permet de ne rien refuser à leur volonté; et

 

(1) Philip., III, 18.

 

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de se dispenser de la pratique des vertus qui sont pénibles à la chair. Elles sortiraient de cette erreur, si elles considéraient que mon très-saint Fils a été maître autant que Rédempteur; et qu'il n'a pas seulement laissé aux hommes le trésor de ses mérites comme un secours pour les tirer de la damnation, mais encore comme un remède nécessaire pour les guérir de la maladie que le péché avait causée à la nature. Personne n'a été aussi sage que mon Fils et mon Seigneur; personne n'a pu connaître les conditions de l'amour aussi bien que lui, qui est la sagesse et la charité même (1); il pouvait en outre faire tout ce qu'il voulait. Eh bien, avec tout cela, il n'a pas choisi une vie douce et agréable pour la chair, mais pénible et pleine de douleurs, parce qu'il n'aurait pas suffisamment accompli son ministère en rachetant les hommes, s'il ne leur eût point enseigné à vaincre le démon et la chair, et à se vaincre eux-mêmes, et s'il ne leur eût fait connaître en même temps que cette glorieuse victoire est remportée par la croix, par les peines, la pénitence, la mortification et l'abaissement, qui sont les témoignages de l'amour et les marques des prédestinés.

1374. Pour vous, ma fille, qui connaissez le prix de. la sainte croix et l'honneur que les ignominies et les tribulations en ont reçu, vous devez embrasser votre croix et la porter avec joie sur les traces de mon Fils et votre Maître (2). Il faut que dans le cours de

 

(1) I Joan., IV, 16. — (2) Matth., XVI, 24.

 

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la vie passagère, vous trouviez votre gloire dans les persécutions, les mépris, les maladies, les outrages, la pauvreté , les humiliations, et dans tout ce qui est pénible et contraire à la, chair mortelle (1). Et afin que vous m'imitiez et me soyez agréable en tous vos exercices, je ne veux pas que vous cherchiez du soulagement dans les choses terrestres. Vous ne devez point vous amuser à réfléchir sur ce que vous souffrez, ni le découvrir à personne dans l'espoir de diminuer vos peines. Gardez-vous bien surtout d'exagérer les persécutions et les déplaisirs que vous recevez des créatures, ou de dire que vous souffrez beaucoup, ou de vous comparer avec les autres personnes affligées. Je ne vous dis pas que ce soit un péché de se procurer quelque soulagement honnête et modéré, et de se plaindre quelquefois avec patience. Mais de votre part, ma fille, ce soulagement serait une infidélité à l'égard de votre Époux et de votre Seigneur, car il vous a plus favorisée vous seule que des générations entières; et si le retour que vous lui devez en souffrant et en l'aimant, n'était pas aussi parfait que possible, vous ne sauriez vous disculper. Cet adorable Seigneur veut que vous vous unissiez si intimement à lui, que vous ne devez pas même accorder un soupir à votre faible nature sans autre fin plus haute que celle de vous soulager, de vous consoler. Et si l'amour vous attire, alors vous vous laisserez entraîner par sa douce force pour vous reposer dans les douceurs de l'amour;

 

(1) Rom., V, 3.

 

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mais bientôt l'amour de la croix vous fera renoncer à ce soulagement, comme vous savez que je le faisais avec une humble soumission. Tenez pour règle générale que toutes les consolations humaines amènent des imperfections et des dangers. Vous ne devez recevoir que celles que le Très-Haut vous enverra par soi-même ou par ses saints anges. Et ne puisez avec discrétion dans ces divines douceurs que ce qui vous fortifiera pour, souffrir davantage, et pour vous éloigner des consolations sensibles qui pourraient passer à là partie animale.

 

CHAPITRE XXII. Notre Sauveur Jésus-Christ est crucifié au mont du Calvaire. — Les sept paroles qu'il prononça du haut de la croix. — Sa très-sainte mère s'y trouve présente, percée de douleur.

 

 

1375. Notre véritable et nouvel Isaac, fils du Père éternel, arriva au mont du sacrifice, au même lieu où fut essayée la figure sur le fils du patriarche Abraham (1) et où l'on exécuta sur le très-innocent Agneau la rigueur qui fut suspendue à l'égard de

 

(1) Gen., XXII, 9.

 

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l'ancien Isaac qui le représentait. Le mont du Calvaire était un lieu méprisé, comme étant destiné pour le supplice des plus insignes criminels, dont les cadavres infects le rendaient encore plus ignominieux. Notre très-doux Jésus y arriva épuisé de fatigue, couvert de sang et de plaies, et tout défiguré. La vertu de la Divinité qui déifiait sa très-sainte humanité par l'union hypostatique, le soutint, non pour le soulager mais pour le mortifier dans ses souffrances,. afin que son amour immense en fût rassasié de telle sorte néanmoins qu'il lui conservât la vie, jusqu'à ce qu'il fut permis à la mort de la lui ôter sur la croix. Navrée de douleur, la divine Mère parvint aussi su sommet du Calvaire, et put corporellement s'approcher de son Fils; mais en esprit et par ce qu'elle souffrait, elle était comme hors d'elle-même, car elle ne vivait plus que dans son bien-aimé et de ses souffrances. Saint Jean et les trois Marie étaient auprès d'elle, parce qu'elle avait prié le Très-Haut de lui accorder cette seule et sainte compagnie, et leur avait obtenu de sa divine Majesté cette grande faveur de se trouver si près du Sauveur au pied de la croix.

1376. Comme la très-prudente Mère connaissait que les mystères de la Rédemption allaient être accomplis, quand elle vit que les bourreaux se disposaient s dépouiller le Seigneur pour le crucifier, elle se tourna en esprit vers le Père éternel et lui adressa cette prière : « Mon Seigneur et mon Dieu, vous êtes Père de votre Fils unique, qui, par la génération éternelle, est né Dieu véritable de Dieu véritable,

 

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qui n'est autre que vous ; et par la génération temporelle il est né de mon sein, où je lui ai donné le corps humain dans lequel il souffre. Je l'ai nourri de mon propre lait; en qualité de Mère, je l'aime comme le meilleur Fils qui ait jamais pu naître d'une autre créature, et j'ai un droit naturel sur son humanité très-sainte en la personne qu'il a : et votre divine Providence ne dénie jamais ce droit à qui appartient. Or je vous offre maintenant ce droit de mère, et le mets de nouveau entre vos mains, afin que votre Fils et le mien soit sacrifié pour la rédemption du genre humain. Acceptez, Seigneur, mon offrande, puisque je ne vous offrirais pas autant si j'étais moi-même crucifiée; non-seulement parce que mon Fils est vrai Dieu et de votre propre substance, mais aussi par rapport à ma douleur. Car, si je mourais., et que les sorts fussent changés afin que sa très-sainte vie fût conservée, ce serait pour moi une grande consolation et l'accomplissement de mes désirs. » Le Père éternel accueillit cette prière de notre auguste Reine avec une complaisance ineffable. Il ne fut permis au patriarche Abraham que l'essai du sacrifice figuratif de son fils (1), parce que le Père éternel en réservait l'exécution et la réalité pour son Fils unique. Cette mystique cérémonie ne fut pas non plus communiquée à Sara, mère d'Isaac, non-seulement à cause de la prompte obéissance d'Abraham, mais aussi parce

 

(1) Gen., XXII, 12.

 

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que ce secret ne devait pas même être confié à l'amour maternel de Sara, qui peut-être, quoiqu'elle fût sainte et juste, aurait entrepris de s'opposer à l'ordre du Seigneur. Mais il n'en arriva pas de même à l'égard de l'incomparable Marie ; car le Père éternel put avec sûreté lui confier sa volonté éternelle, afin qu'elle coopérât dans une juste proportion au sacrifice du Fils unique, en s'associant à la volonté même du Père.

1377. La Mère invincible ayant achevé cette prière, connut que les impitoyables ministres de la Passion voulaient, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc (1), faire boire au Seigneur du vin mêlé avec du fiel et de la myrrhe, pour augmenter les peines de sa Majesté. Les Juifs prirent prétexte de la coutume qu'ils avaient de donner aux condamnés à mort une certaine quantité de vin généreux et aromatique, pour leur fortifier les esprits vitaux, afin qu'ils subissent leur supplice avec plus de courage cette coutume s'était introduite à propos de ce que dit Salomon dans les Proverbes : Donnez du cidre à ceux qui sont affligés, et du vin à ceux qui sont dans l'amertume du coeur (2). Cette boisson pouvait animer et soulager un peu les autres condamnés; mais les Juifs, par une cruauté étrange, y mêlèrent tant de fiel, qu'elle ne pouvait causer à notre adorable Sauveur qu'une extrême amertume. La divine Mère connut cette perfidie, et, touchée d'une compassion

 

(1) Matth., XXVII, 34; Marc., XV, 23. — (9) Prov., XXXI, 6.

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maternelle, elle pria avec beaucoup de larmes le Seigneur de ne la point prendre. Et sa Majesté condescendit de telle sorte aux prières de sa Mère, qu'ayant goûté l'amertume de ce vin pour ne pas refuser entièrement cette nouvelle mortification, elle n'en voulut pas boire (1).

1378. On était déjà à la sixième heure du jour, qui répond à celle de midi ; et les bourreaux étant sur le point de crucifier le Sauveur, le dépouillèrent de la tunique sans couture. Et comme cette tunique était étroite et longue, ils la lui ôtèrent par le haut sans lui ôter la couronne d'épines; mais ils y mirent tant de violence, qu'ils arrachèrent la couronne avec la même tunique d'une manière impitoyable ; car ils lui ouvrirent de nouveau les blessures de sa tète sacrée, dans quelques-unes desquelles restèrent lés pointes des épines, qui, nonobstant leur dureté, ne laissèrent pas de se rompre par la forée avec laquelle les bourreaux lui enlevèrent la tunique, et avec elle la couronne. Ils la lui replacèrent aussitôt sur la tête avec une cruauté inouïe, ajoutant plaies sur plaies: Ils renouvelèrent aussi celles de son très-saint corps car la tunique s'y était comme collée, de sorte qu'en la lui arrachant ils ajoutèrent, comme dit David (2), des douleurs nouvelles à celles de ses plaies. On dépouilla quatre fois notre adorable Sauveur dans le cours de sa Passion. La première, pour le fouetter lorsqu'on le lia à la colonne; la seconde, pour lui

 

(1) Matth., XXVII, 34. — (2) Ps. LXVIII, 31.

 

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mettre le manteau de pourpre par dérision; la troisième, quand on le lui ôta pour le revêtir. de sa tunique; la quatrième fois sur le Calvaire, pour le laisser en cet état ; et alors ses souffrances furent plus vives, parce que ses plaies étaient plus profondes, que sa très-sainte humanité était réduite à une faiblesse extrême, et que le mont du Calvaire était plus exposé aux intempéries de l'air: car il fut aussi permis au vent et su froid de l'affliger en sa mort.

1379. Une de ses plus grandes peines fut de se voir nu en la présence de sa bienheureuse Mère, des pieuses femmes qui l'accompagnaient, et de la multitude de. peuple qui assistait à ce triste spectacle. Il ne réserva par son pouvoir divin que le caleçon que sa très-sainte Mère lui avait mis en Égypte; en effet, il ne fut pas possible aux bourreaux de le lui ôter, ni lorsqu'ils le fouettèrent, ni quand ils le dépouillèrent pour le crucifier : ainsi il le portait lorsqu il fut déposé dans le sépulcre, et c'est ce qui m'a été déclaré plusieurs fois. Il est vrai que le Sauveur serait mort volontiers tout nu et sans ce caleçon, pour mourir dans la dernière pauvreté, et sans rien avoir de tout ce qu'il avait créé et dont il était le Seigneur véritable, si sa très-sainte Mère ne l'eût prié de ne point permettre qu'on le lui ôtat : le Seigneur se rendit à ses désirs, parce qu'il suppléait par cette espèce d'obéissance filiale à l'extrême pauvreté en laquelle il souhaitait mourir. La sainte croix était étendue par terre, et les bourreaux préparaient les

 

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autres choses nécessaires pour crucifier notre divin Maître, aussi bien que les deux voleurs qui devaient mourir en même temps. Et tandis qu'ils s'occupaient de ces préparatifs, il fit cette prière au Père éternel :

1380.« Mon Père, Dieu éternel, infini en bonté  et en justice, j'offre à votre Majesté incompréhensible tout mon être humain et toutes les oeuvres que j'ai faites en lui par votre très-sainte volonté, après avoir descendu de vôtre sein dans cette chair passible et mortelle, pour racheter en elle mes frères les hommes. Je vous offre, Seigneur, avec moi, ma Mère bien-aimée, son amour, ses œuvres très-parfaites, ses douleurs, ses peines, ses fatigues, et la prudente sollicitude avec laquelle elle s'est attachée à me servir, à m'imiter, à m'accompagner jusqu'à la mort. Je vous offre le petit troupeau de mes apôtres, la sainte Église, et l'assemblée des fidèles, telle qu'elle existe maintenant et qu'elle existera jusqu'à la fin du monde, et avec elle tous les mortels enfants d'Adam. Je remets tout entre vos mains comme étant le vrai Dieu et le Seigneur tout-puissant : et pour ce qui me regarde, je souffre et je meurs volontairement pour tous; et par cette volonté je veux que tous soient sauvés, si tous veulent me suivre, et profiter de leur rédemption, afin que d'esclaves du démon, ils deviennent vos enfants, mes frères et mes co-hértiers par la grâce que je leur ai méritée. Je vous offre, en particulier, Seigneur, les pauvres, les

 

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misérables et les affligés , qui sont mes amis, et qui m'ont suivi par le chemin de la croix. Et je désire que les noms des justes et des prédestinés soient écrits dans votre mémoire éternelle. Je vous prie, mon Père, d'arrêter les effets de votre justice envers les hommes, de ne point leur infliger les châtiments dont ils se sont rendus dignes par leurs péchés, enfin, d'être désormais leur Père, comme vous êtes le mien. Je vous prie aussi pour ceux qui assistent à ma mort avec une pieuse affection, afin qu'ils soient éclairés de votre divine lumière; et pour tous ceux qui me persécutent, afin qu'ils se convertissent à la vérité; et surtout je vous prie pour l'exaltation de votre ineffable et très-saint Nom. »

1381. La bienheureuse Vierge connut cette prière de notre Sauveur, et pour l'imiter, elle pria de son côté le Père éternel dans les termes qui convenaient à sa qualité de mère. Elle n’oublia jamais d'accomplir cette première parole qu'elle entendit de la bouche de son Fils et de son Maître nouvellement né: Rendez-vous semblable à moi, ma bien-aimée. Le Seigneur ne manqua jamais non plus de remplir la promesse qu'il lui avait faite de lui donner par sa toute-puissance un nouvel être de grâce divine, qui serait au-dessus de celui de toutes les créatures, en retour du nouvel être humain qu'elle donna au Verbe éternel dans son sein virginal. Ce bienfait renfermait la très-haute connaissance qu'elle avait de toutes les opérations de la très-sainte humanité de son Fils, sans que la moindre lui échappât. Et

 

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elle les imita, comme elle les connut; de sorte qu'elle fut toujours soigneuse à les observer, habile à les pénétrer, prompte en l'exécution, forte et diligente en toutes ses oeuvres. En cela elle ne fut point troublée par la douleur, ni empêchée par les peines, ni embarrassée par les persécutions, ni attiédie par l'amertume de la Passion. Et quoique cette constance fût admirable en notre auguste Reine, elle l'aurait été pourtant moins, si elle n'eût assisté à la Passion de son Fils que comme les autres justes. Mais il n'en fut point ainsi: unique et exceptionnelle en toutes choses, elle sentait en son très-saint corps, comme je l'ai dit ailleurs, les douleurs intérieures et extérieures que notre Sauveur souffrait en sa personne sacrée. On peut dire, quant à cette correspondance sympathique, que cette divine Mère fut aussi fouettée et couronnée d'épines, qu'elle reçut des crachats et des soufflets, qu'elle porta la croix sur ses épaules, et qu'elle y fut clouée, puisqu'elle subit en son corps tous ces tourments, aussi bien que les autres; sans doute ce fut d'une manière différente, mais toujours avec une très-grande ressemblance, afin que la Mère fût en tout la vive image du, Fils. Outre qu'en cela la grandeur et la dignité de la très-pure Marie devaient répondre à celles du Sauveur suivant toute la proportion dont elle était capable, cette merveille renferma un autre mystère : ce fut de satisfaire en quelque sorte à l'amour de Jésus-Christ, et à l'excellence de sa Passion, qui devait être par là fidèlement reproduite par une simple créature. Or, quelle est celle qui pût prétendre

 

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à ce glorieux privilège, comme sa propre Mère?

1382. Les bourreaux voulant marquer sur la croix les trous où ils devaient mettre les clous, ordonnèrent insolemment au Créateur de l'univers ( O témérité effroyable) ! de s'étendre sur la même croix, et le Maître de l'humilité obéit sans résistance. Mais par une malice inouïe, ils marquèrent la place des trous à une distance plus grande que ne l'indiquait la longueur des bras et du reste du corps. La Mère de la lumière remarqua cette nouvelle cruauté, et ce fut une des plus grandes afflictions qu'elle souffrit dans toute la Passion, car elle pénétra les intentions perverses de ces ministres d'iniquité, et prévit les don-. leurs que son très-saint Fils souffrirait quand on le clouerait sur la croix. Mais elle ne put l'empêcher, attendu que le même Seigneur voulait souffrir encore cette peine pour les hommes. Et lorsque le Sauveur se leva de la croix afin qu'on y pratiquât les trous, notre auguste Princesse s'en approcha et l'aida à se relever en le prenant par le bras, puis elle l'adora et lui baisa la main avec une profonde vénération. Les bourreaux le lui permirent, parce qu'ils croyaient que la présence de sa Mère ne ferait qu'augmenter l'affliction du Seigneur, auquel. ils n'épargnèrent aucune des douleurs qu'ils purent imaginer. Mais ils n'en pénétrèrent point le mystère, car notre adorable Rédempteur n'eut point d'autre plus grande consolation dans sa Passion que de voir sa très-sainte Mère, et de considérer la beauté de son âme, et en elle sa

 

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plus fidèle image, et la complète acquisition du fruit de sa Passion et de sa mort. En ce moment cette vue remplit notre Seigneur Jésus-Christ d'une joie intérieure , qui contribua en quelque façon à le fortifier.

1383. Après qu'on eut fait les trois trous dans la sainte croix, les bourreaux ordonnèrent une seconde fois su Sauveur de s'y étendre pour l'y clouer. Et le souverain et puissant Monarque, le Maître de la patience obéit et se mit sur la croix, étendant les bras au gré des ministres de sa mort. Il était si exténué et si défiguré, que si ces barbares eussent conservé quelque reste de raison et d'humanité, ils n'auraient pu persister. dans leur cruauté en voyant la douceur, l'humilité, les plaies et l'état pitoyable de l'innocent Agneau. Mais les Juifs et les satellites ( O terribles et impénétrables jugements du Seigneur! ) étaient animés de la haine implacable et pleins de la malice des démons, et, privés de tout sentiment humain , ils n'agissaient plus qu'avec une fureur diabolique.

1384. Or, l’un des bourreaux prit la main de notre adorable Sauveur, et tandis qu'il la tenait sur le trou de la croix, un autre bourreau la cloua, perçant à coups de marteau la main du Seigneur avec un gros clou aigu, qui rompit les veines et les nerfs, et disloqua les os de cette main sacrée qui avait fait les cieux et tout ce qu'ils renferment. Quand il fallut clouer l'autre main, le bras ne put pas arriver au trou, parce que les nerfs s'étaient retirés et que l'on avait

 

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pratiqué malicieusement les trous trop distants l'un de l'autre, comme on l'a vu plus haut. Et pour en venir à bout , ces hommes impitoyables prirent la chaîne avec laquelle le très-doux Seigneur avait été lié, et plaçant sa main dans une espèce de menottes qui garnissaient l'un des bouts de la même chaise, ils tirèrent par l'autre bout avec tant de violence, qu'ils ajustèrent la main au trou, et la clouèrent avec un autre clou. Ils passèrent ensuite aux pieds, et les ayant posés l'un sur l'autre, ils les lièrent avec la même chaîne; et les tirant avec une cruauté inouïe, ils les clouèrent tous deux avec le troisième clou, qui était un peu plus fort que les autres. Ainsi fut attaché à la sainte croix ce corps sacré auquel la Divinité était unie, et l'admirable structure de ses membres déifiés et formés par le Saint-Esprit, fut rompue au point qu'on pouvait lui compter les os (1), tant ils s’étaient luxés et disloqués d'une manière sensible. Ceux de la poitrine et des épaules se déboîtèrent, et toue sortirent hors de leur place par la cruelle violence des bourreaux.

1385. Il n'est pas possible d'e:primer ni même de concevoir les douleurs atroces que notre adorable Sauveur souffrit dans ce supplice. Il ne les fera coin. prendre mieux qu'au jour du jugement, pour justifier sa cause contre les réprouvés, et afin que les saints le louent et le glorifient dignement. Mais à présent que la foi à cette vérité nous permet et nous

 

(1) Ps., XXI, 13.

 

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oblige d'y appliquer tout notre jugement (où il faudrait que nous rien eussions aucun), je supplie, je conjure les enfants de la sainte Église de considérer attentivement un mystère si vénérable, et d'en peser toutes les circonstances ; car si nous les méditons à sérieusement, nous y trouverons des motifs efficaces pour abhorrer le péché et pour ne le plus commettre, puisqu'il a causé tant de souffrances à l'Auteur de la vie. Réfléchissons aussi aux grandes douleurs qui affligeaient l'esprit et le corps de sa très-pure Mère; car. par cette porte nous découvrirons le Soleil qui nous éclaire le coeur. O Reine et Maîtresse des vertus ! O Mère véritable du Roi des siècles, immortel et incarné pour mourir ! Il est vrai, mon auguste Princesse, que la dureté de nos coeurs ingrats nous rend incapables et indignes de ressentir vos douleurs et celles de votre très-saint Fils, notre Rédempteur; mais procurez-nous par votre clémence ce bien que nous ne méritons point. Bannissez de nous une insensibilité si criminelle. Si nous sommes la cause de toutes ces peines, est-il raisonnable, est-il juste qu'elles s'arrêtent à vous et à votre bien-aimé? Il faut que le calice des innocents passe jusqu'aux coupables qui l'ont mérité. Mais, hélas ! où est le jugement? où est la sagesse? où est la lumière de nos yeux? qui nous a privé de la raison? qui nous u ravi le coeur sensible et humain ? Quand je n'aurais pas reçu, Seigneur, l’être que j'ai à votre image et à votre ressemblance (1); quand vous ne m'auriez pas donné

 

(1) Sap., II, 23.

 

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la vie et le mouvement (1) ; quand tous les éléments et toutes les créatures, que vous avez créés pour mon service (2), ne me donneraient pas une connaissance si certaine de votre amour immense; l'excès infini que ce même amour a fait paraître en vous clouant à la croix, au milieu de douleurs et de tourments si affreux, devrait me convaincre et me captiver dans des liens indissolubles de compassion; de reconnaissance , d'amour et de confiance en votre bonté ineffable. Mais si la voix de tant de prodiges ne m'éveille, si votre amour ne m'enflamme, si. votre Passion et vos peines ne me touchent, si tant de bienfaits ne me subjuguent, quelle fin dois-je attendre de ma folie?

1356. Après que le Sauveur eut été cloué à la croix, les satellites de la justice, craignant que les clous ne lâchassent, résolurent de les river derrière le bois sacré, qu'ils avaient perforé. Dans ce dessein, ils levèrent la croix pour la renverser brusquement contre terre avec le même Seigneur crucifié. Cette nouvelle cruauté fit frémir tout le peuple, qui, ému de compassion, jeta un grand cri. Quant à la Mère de douleurs, pour prévenir cet odieux attentat, elle pria le Père éternel de ne point permettre que les bourreaux exécutassent leur projet tel qu'ils l'avaient conçu. Ensuite elle ordonna aux saints anges de veiller au service de leur Créateur. Tout se fit suivant les instructions de notre auguste Reine; car au moment

 

(1) Act., XVII, 28. — (2) Eccle., XXXIX, 30 ; Amos., IV, 18.

 

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où les bourreaux renversèrent la croix afin que le Sauveur tombât avec elle le visage contre la terre, qui était couverte de pierres et d'ordures, les anges le soutinrent; et par ce moyen il ne toucha aucune de ces pierres, non plus que le sol. Les satellites rivèrent les pointes des clous sans s'apercevoir du miracle ; car le corps du Seigneur était si près de terre, et les anges tenaient la croix si bien fixée, que les impitoyables Juifs croyaient que les pierres et les ordures atteignaient leur adorable victime.

1387. Aussitôt ils approchèrent la croix avec le divin Crucifié du lieu où elle devait être dressée. Et se servant les uns de leurs épaules, les autres de leurs hallebardes et de leurs lances, ils l'élevèrent avec le Seigneur, et la poussèrent dans le trou qu’ils avaient pratiqué à cet effet. Alors l'Auteur de notre salut et de notre vie se trouva suspendu sur le bois sacré à la vue d'une infinité de personnes de différentes nations. Je ne veux point omettre une autre cruauté qu'ils exercèrent, m'a-t-il été déclaré, l'égard du Sauveur en dressant la croix; c'est qu'en se servant de la pointe de leurs armes pour la soutenir, ils lui firent de profondes blessures en divers er1droits de sou très-saint corps , et surtout sous les bras. A ce spectacle, le peuple redoubla ses cris et augmenta en même temps la confusion. Les Juifs blasphémaient, les gens humains se désolaient, les étrangers s'étonnaient, tout le monde se faisait remarquer cette scène horrible. Il y en avait qui n'osaient point regarder le Rédempteur dans un état si

 

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pitoyable; ceux-ci considéraient un exemple si étrange; ceux-là disaient que cet homme était juste et innocent ; et tous ces divers sentiments étaient comme autant de flèches qui perçaient le coeur de la plus affligée des mères. Le corps sacré du Sauveur perdait beaucoup de sang par les blessures que les clous lui avaient faites ; car la secousse qu'il reçut lorsqu'on laissa tomber la croix dans le trou, renouvela toutes ses plaies: ouvrant ainsi de plus grandes issues aux sources auxquelles il nous invitait, par la bouche d'Isaïe (1), à aller puiser avec joie les eaux propres à étancher notre soif, et à laver les taches de nos péchés. De sorte qu'on ne saurait se disculper si on ne s'empresse d'y courir (2), puisqu'on les achète sans argent et sans aucun échange, et que la volonté de les recevoir suffit pour les obtenir.

1388. Ils crucifièrent en manie temps les deux larrons, et dressèrent leurs croix l'une à la droite, l'autre à la gauche de notre Rédempteur, le plaçant au milieu comme celui qu'ils croyaient le plus coupable. Ires pontifes et les pharisiens, oubliant les deux scélérats, tournèrent toute leur fureur coutre Celui qui était impeccable et saint par nature. Et branlant la tète par moquerie (3), ils jetaient des pierres et de la poussière contre la croix du Seigneur, et contre sa personne sacrée. Ils lui disaient: « Toi qui détruis le temple de Dieu et qui, le rebâtis en trois jours, sauve-toi maintenant toi-même ; il a sauvé les autres

 

(1) Isa., XII, 3. — (2) Isa., LV, 9. — (3) Matth., XXVII, 89.

 

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et il ne peut se sauver lui-même (1). » D'autres disaient : « S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende main-, tenant de la croix, et nous croirons en lui. » D'abord les deux larrons se moquaient aussi de sa Majesté, et lui disaient: « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi, et sauve-nous avec toi (2). » Les blasphèmes des larrons furent d'autant plus sensibles au Seigneur, qu'ils étaient plus proches de la mort, qu'ils perdaient le mérite du supplice qu'ils subissaient, et qu'étant punis par la justice, ils pouvaient satisfaire en partie pour leurs crimes; comme l'un des deux le fit peu de temps après, profitant de la plus favorable occasion que jamais pécheur ait eue dans le monde

1389. Lorsque notre auguste Princesse vit que les Juifs, persistant dans leur perfide envie, s'acharnaient à déshonorer de plus en plus Jésus-Christ crucifié, qu'ils le blasphémaient et le regardaient comme le plus méchant des hommes, et qu'ils juraient de retrancher son nom de la terre des vivants, comme Jérémie l'avait prophétisé (3), son âme fidèle s'enflamma de nouveau du zèle de l'honneur de son Fils et de son Dieu véritable. Et s'étant prosternée devant sa sacrée personne crucifiée, elle l'adora et pria le Père éternel de défendre l’honneur de son Fils unique par des signes si éclatants, que les perfides Juifs en fussent confondus et frustrés dans leurs malicieuses intentions. Après avoir fait cette prière au Père, elle s'adressa avec le même zèle et avec le même pouvoir

 

(1) Matth., XXVII, 42. — (2) Ibid., 44. — (2) Jerem., XI, 19.

 

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de Reine de l’univers à toutes les créatures irraisonnables qu'il contient, et leur dit : « Créatures insensibles , sorties de la main du Tout-Puissant , manifestez le sentiment que les hommes doués de raison  refusent stupidement d'éprouver à la vue de sa  mort. Cieux, soleil, lune, étoiles, planètes, arrêtez votre cours, suspendez vos influencés envers les  mortels. Éléments, altérez vos propriétés; que la  terre perde son repos; que les pierres et les rochers se brisent. Tombeaux, qui servez de triste  demeure aux morts, ouvrez-vous pour confondre  les vivants. Voile mystique et figuratif du Temple,  déchirez-vous par le milieu et par ce déchirement  annoncez aux incrédules leur punition, et attestez  la vérité de la gloire de leur Créateur et de leur Rédempteur qu'ils prétendent obscurcir. »

1390. En vertu de cette prière et de ce pouvoir de la bienheureuse Vierge Mère de Jésus-Christ crucifié, la toute-puissance du Très-Haut avait disposé tout ce qui arriva au moment de la mort de son Fils unique. Sa divine Majesté éclaira et toucha les coeurs de beaucoup de personnes témoins des prodiges qui arrivèrent, et déjà auparavant de plusieurs autres, afin qu'elles reconnussent Jésus crucifié pour saint et juste, et pour le véritable . Fils de Dieu, comme le centenier et un grand nombre d'autres qui. s'en retournèrent du Calvaire en frappant leur poitrine de douleur, ainsi que le racontent les évangélistes (1).

 

(1) Matth., XXVII, 54; Luc., XXIII, 48.

 

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Il n' y eut pas que ceux qui avaient ouï et reçu sa doctrine qui le reconnurent; il y en eut une foule d'autres qui ne (avaient point connu et qui n'avalent pas, va ses miracles. Par l'effet de cette même prière, Pilate fut inspiré de ne point changer le titre de la croix que l'on avait déjà inscrit au-dessus de la tête du Seigneur en trois langues, c'est-à-dire en hébreu en grec et en latin. Et quoique les Juifs insistassent auprès du juge pour que l'inscription ne portât point Jésus de Nazareth roi des Juifs, mais seulement qui se qualifiait roi des Juifs (2). Pilate répondit : « Ce qui est écrit demeurera écrit; » et ne voulut point la changer (2). Toutes les autres créatures insensibles obéirent, par la volonté divine, à l'ordre de la très-pure Marie. Et tous les prodiges que des évangélistes racontent (3), arrivèrent entre midi et trois heures du soir, ou la neuvième heure' en laquelle le Sauveur` expira. Le soleil s'obscurcit; les planètes changèrent leurs influences; les cieux et la lune interrompirent leurs mouvements; les éléments se troublèrent; la terre trembla; plusieurs montagnes se fendirent; les pierres se brisèrent les unes contre les autres; les tombeaux s'ouvrirent, d'où les corps de certaines personnes nui étaient mortes ressuscitèrent. Le bouleversement de tout ce qui est visible et élémentaire, fut si extraordinaire, qu'il se fit sentir dans toutes les parties monde. Les Juifs qui étaient dans Jérusalem

 

(1) Joan., XIX, 21. — (2) Ibid., 22. — (3) Luc., XXIII, 45; Matth., XXVII, 51 et 52.

 

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furent saisis d'étonnement et d'effroi; néanmoins leur perfidie et leur malice extrême les rendit indignes de connaître la vérité que toutes les créatures insensibles leur publiaient.

1391. Les soldats qui crucifièrent notre Sauveur .Jésus-Christ, et à qui appartenait comme exécuteurs la dépouille des justiciés, convinrent entre eux de partager les habits de l'innocent Agneau. Ils firent quatre parts du manteau ou surtout qu'il avait quitté lors de la cène pour laver les pieds à ses apôtres, et qu'ils avaient, par une disposition divine, porté au Calvaire, et chacun d'eux eut la sienne , car ils étaient quatre (1). biais ils ne voulurent point couper la tunique sans couture (2), la Providence l'ordonnant de la sorte dans des vues fort mystérieuses; c'est pourquoi ils tirèrent au sort à qui elle resterait; et elle fut cédée à celui auquel le sort la fit échoir, de sorte que ce que dit David dans le psaume vingt-unième (3) fut accompli à la lettre. Les saints docteurs expliquent les mystères que cachait cette conduite de la divine Providence, qui ne permit point que cette tunique fût coupée; et entre autres choses elle voulut noua signifier que quoique les Juifs déchirassent par les coups et par les plaies la très-sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ qui recouvrait la Divinité, ils ne purent néanmoins pris atteindre ni blesser celle-ci par la Passion; et celui à qui écherra l'heureux sort d'être justifié en participant à

 

(1) Jean., XIX, 21. — (2) Ibid., 24. — (3) Ps., XXI, 19.

 

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cette même Passion, entrera un jour dans la pleine et entière possession et jouissance de la Divinité.

1392. Et comme la sainte croix était le trône roi al de Jésus-Christ et la chaire d'où il voulait enseigner la science de la vie, confirmant, lorsqu'il y fut élevé, sa doctrine par son exemple, il prononça cette parole, en laquelle il renferma tout ce que la charité et la perfection ont de plus sublime : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font (1). Notre divin Maître s'appropria ce précepte de la charité et de l'amour fraternel, en l'appelant sien (2). Et pour preuve de cette vérité qu'il avait enseignée, il en pratiqua le précepte sur la croix, non-seulement en aimant ses ennemis et en leur pardonnant (3), mais aussi en, représentant leur ignorance pour les disculper, au moment même où leur malice était arrivée au plus haut degré auquel pussent atteindre les hommes, puisqu'elle leur avait fait persécuter, et crucifier, et blasphémer leur Dieu et leur Rédempteur. Telle fut l'ingratitude humaine après tant de lumières, d'instructions et de bienfaits, et telle fut l'ardente charité de notre adorable Sauveur en retour des tourments, des épines, des clous , de la croix et de tant de cruels outrages. O amour incompréhensible! ô douceur ineffable! ô patience que les hommes ne sauraient jamais concevoir, que les anges admirent et que les démons redoutent ! L'un des deux larrons, appelé Dismas, comprit quelque chose de ce mystère, et l'intercession

 

(1) Luc., XXIII, 34. — (2) Joan., XV, 12. — (3) Matth., V, 44.

 

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de la bienheureuse Vierge opérant en même temps, il fut éclairé d'une lumière intérieure qui lui fit connaître son Rédempteur et son Maître à cette première parole qu'il dit sur la croix. Et; touché d'une véritable contrition de ses péchés, il se tourna vers son compagnon et lui dit : Quoi ! tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au mente supplice? Pour nous, c'est avec justice, puisque nous soufrons la peine due â nos crimes; mais celui-ci n'a commis aucun mal (1). Et s'adressant ensuite à notre Sauveur, il lui dit: Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque tous serez dans votre royaume (2):

1393. Cet heureux voleur, le centenier, et les autres qui confessèrent Jésus-Christ sur la croix, furent les premiers à ressentir les effets de la rédemption. Mais le plus heureux de tous, ce fut Dismas, qui mérita d'entendre la seconde parole que dit le Seigneur : Je vous dis en vérité que vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (3). O bienheureux voleur, qui seul avez obtenu cette parole si désirée de tous les justes de la terre! Les anciens patriarches et les prophètes n'ont pas eu le bonheur de l'entendre, s'estimant fort heureux de descendre dans les limbes, et d'y attendre pendant le cours de plusieurs siècles le paradis que vous avez obtenu en un moment par le plus beau trait de votre métier. Naguère vous voliez le bien d'autrui et les choses terrestres, et vous ravissez maintenant le ciel des mains de son Maître ! Mais vous l'emportez

 

(1) Luc., XXIII, 40 et 41. — (2) Ibid., 42. — (3) Ibid., 43.

 

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avec justice, et il vous le donne par grâce : vous avez été le dernier disciple de sa doctrine pendant sa vie, et le premier à la pratiquer après l'avoir ouïe. Vous avez aimé et corrigé votre frère; vous avez reconnu votre Créateur; vous avez repris ceux qui blasphémaient; vous avez imité votre adorable Maître en souffrant avec patience, vous l'avez prié avec humilité de se souvenir de vos misères comme rédempteur; et il a récompensé vos désirs comme glorificateur, en vous accordant sans délai la récompense qu'il vous a méritée, à vous et à tous les mortels.

1304. Le bon larron justifié, Jésus jeta ses doux regards sur sa Mère affligée, qui se tenait su pied de la croix avec saint Jean ; et s'adressant d'abord à sa Mère, il lui dit : Femme, voilà votre fils (1); et s'adressant ensuite à l'Apôtre, il lui dit : Voilà votre mère (2). Le Seigneur appela la sainte Vierge du nom de femme, et non de celui de mère, parce qu'il aurait été sensiblement consolé en prononçant ce dernier nom si plein do; douceur; et il ne voulut pas se donner cette consolation au milieu de ses plus grandes souffrances, comme je l'ai déjà fait remarquer, parce qu'il avait renoncé à tout ce qui pouvait adoucir ses peines. Mais en l'appelant femme, il lui dit intérieurement :  Femme bénie entre toutes les femmes (3), la plus prudente entre les enfants d'Adam; femme forte et confiante (4), exempte de tout péché, toujours fidèle en mon amour, toujours assidue à mon service; femme dont la charité n'a pu

 

(1) Joan., XII, 26. — (2) Ibid., 27. — (3) Luc., I, 42. — (4) Prov., XXXI, 10.

 

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être éteinte ni troublée parles eaux amères de la Passion (1) : je m'en vais à mon Père, et je ne puis désormais vous faire compagnie ; mon disciple bien-aimé vous assistera, il vous servira comme sa mère, et sera votre fils. Notre auguste Reine entendit tout cela. Et dès cette heure le saint apôtre la reçut pour sienne , favorisé de nouvelles lumières pour mieux connaître et estimer davantage la plus parfaite créature que la Divinité eût créée après l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi éclairé, il l'honora et la servit tout le reste de la vie de cette grande Reine, comme je le dirai plus loin. Elle le prit aussi pour son fils avec une humble obéissance, et lui promit dès lors une sollicitude toute maternelle, sans que les douleurs extrêmes de la Passion empêchassent son coeur magnanime de pourvoir à tout; car elle faisait toujours ce que la perfection et la sainteté ont de plus sublime , sans en omettre la moindre chose.

1395. Il était environ la neuvième heure du jour, bien que les ténèbres et le deuil de la nature parussent déjà faire régner la confusion de la nuit , quand notre Sauveur Jésus-Christ prononça d'une voix éclatante et forte la quatrième parole, que tous ceux qui étaient présents purent entendre : Mon Dieu, dit-il, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé (2)? Quoique le Seigneur dit ces paroles en la langue hébraïque, elles ne furent pas comprises de tous.. Et comme les premiers mots en cette langue étaient, Eli, Eli, quelques

 

(1) Cant., VIII, 7. — (2) Matth., XXVII, 46.

 

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uns s'imaginèrent qu'il appelait Élie : quelques autres dirent en se moquant : « Voyons si Élie viendra maintenant le délivrer de nos mains (1). » Mais le mystère de ces paroles de Jésus-Christ fut aussi profond que caché aux Juifs et aux Gentils; car elles comportent plusieurs sens que les docteurs sacrés leur ont donnés. Ce qui m'a été expliqué, c'est que le délaissement de Jésus-Christ ne consista point en ce que la Divinité s'éloigna de la très-sainte humanité par la dissolution de l'union substantielle hypostatique, ni par la suspension de la vision béatifique de son âme; car l'humanité eut ces deux unions avec la Divinité dès l'instant qu'elle fut conçue dans le sein virginal, de l'auguste Marie par l'opération du Saint-Esprit; et la Divinité n'a jamais délaissé ce à quoi elle s'est une fois unie. Telle est la vraie et catholique doctrine. Il est également certain que la très-sainte humanité fut abandonnée de la Divinité, en ce qu'elle ne la préserva point de la mort et des douleurs de la Passion. Mais le Père éternel ,ne la délaissa point entièrement, en ce qui regarde le soin dé son honneur, puisqu'il le défendit avec éclat par le désordre de. toutes les créatures insensibles, qui pleurèrent sa mort. Il y a encore un autre délaissement que notre Sauveur Jésus-Christ exprima par cette plainte, qui naissait de la charité immense qu'il avait pour les hommes, et ce délaissement fut celui des réprouvés; il se plaignit de ceux-ci à la dernière heure de sa vie, comme dans la prière

 

(1) Matth., XXVII, 49.

 

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qu'il fit au jardin, oh son âme très-sainte fut saisie de cette tristesse mortelle que j'ai dépeinte ci-dessus; parce qu'offrant une rédemption si abondante pour tout le genre humain, elle ne devait point être efficace dans les réprouvés; et qu'il s'en trouverait privé au sein du bonheur éternel, pour lequel il les avait créés et rachetés: et comme c'était un décret de la volonté éternelle du Père, il se plaignit amoureusement et avec douleur, quand il dit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? entendant parler de la compagnie des réprouvés.

1396. Comme plus grand témoignage de ces sentiments, le Seigneur ajouta aussitôt là cinquième parole, et dit : J'ai soif (1). Les douleurs de la Passion pouvaient causer à notre adorable Sauveur une soif naturelle. Mais ce n'était pas alors le moment de la faire connaître et de l'apaiser, et le divin Maître, sachant qu'il était sur le point d'expirer, n'en aurait rien dit, sans quelque dessein mystérieux. Il désirait avec ardeur que les captifs enfants d'Adam ne refusassent point la liberté qu'il leur méritait, et qu'il leur offrait. Il désirait que tous répondissent à ses soins charitables par la foi et, par l'amour qu'ils lui devaient; qu'ils reçussent ses mérites et ses douleurs, sa grâce et son amitié, qu'ils pouvaient acquérir en participant et à ses mérites et à ses souffrances; et qu'ils ne perdissent point leur félicité éternelle , qu'il leur laissait pour héritage, s'ils voulaient la recevoir et la mériter.

 

(1) Joan., XIX, 28.

 

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Voilà quelle était la soif de notre divin Maître, et il n’y eut alors que la bienheureuse Marie qui la comprit parfaitement; c'est pour cette raison , qu'elle appela intérieurement avec la charité la plus vive les pauvres, les humbles, les êtres affligés, méprisés et persécutés, afin qu'ils s'approchassent du Seigneur, et qu'ils apaisassent en partie cette soif , puisqu'il n’était pas possible de l'apaiser entièrement. Mais les perfides Juifs et les bourreaux, pour témoigner davantage leur funeste endurcissement, présentèrent par dérision su Seigneur une éponge trempée dans le fiel et le vinaigre, et l'ayant attachée au bout d'une canne, ils la lui portèrent à la bouche, afin qu'il en bût (1), accomplissant la prophétie de David, qui dit: Dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire (2). Notre très-patient Seigneur en goûta, et même il, en but quelque peu, pour montrer par ce mystère qu'il tolérait la damnation des réprouvés. Mais à la prière de sa très-sainte Mère, il cessa presque aussitôt d'en prendre ; parce qu'étant la Mère de la grâce, elle devait en être aussi la porte, et la médiatrice de ceux qui profiteraient de la Passion et de la rédemption.

1397. Ensuite le Sauveur prononça avec le même mystère la sixième parole: Consummatum est (3). J'ai maintenant accompli l’oeuvre pour laquelle je suis venu du ciel. J'ai accompli la rédemption des hommes et la volonté de mon Père éternel, qui m'a envoyé pour souffrir et mourir pour le salut des gommes. J'ai accompli

 

(1) Joan., XIX, 29. — (2) Ps., LXVIII, 22. — . (8) Joan., XII, 30.

 

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les Écritures, les prophéties, les figures du vieux Testament, et le cours de la vie passible et mortelle que j'ai reçue dans le sein de ma Mère. Je laisse dans le monde mon exemple, ma doctrine, mes sacrements, et les remèdes propres à guérir les maux que le péché a causés. J'ai satisfait à la justice de mon Père éternel pour la dette de la postérité d'Adam. J'ai enrichi mon Église pour le remède des péchés que les hommes commettront; et pour ce qui regardait ma mission de réparateur, j'ai achevé avec une entière perfection l'oeuvre de mon avènement su monde, et j'ai jeté dans l'Église militante un fondement assuré pour l'édifice de l'Église triomphante, que personne ne pourra ni ébranler ni changer. Tous ces mystères sont renfermés dans ces paroles: Consummatum est.

1398. L'oeuvre de la rédemption du genre humain ayant été entièrement achevée, il fallait que, comme le Verbe était sorti de son Père pour s'incarner et vivre d'une vie mortelle dans le monde (1), il s'en allât par la perte de cette vie à son Père avec l'immortalité. C'est pour cela que Jésus-Christ notre Sauveur dit la dernière parole : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains (2). Le Seigneur prononça ces mots d'une voix forte, de sorte que tous les assistants les entendirent; et quand il voulut les prononcer, il leva les yeux au ciel, comme s'adressant à son Père éternel, et après le dernier mot, il baissa de nouveau la tête et rendit l'esprit. Par la vertu divine de ces dernières

 

(1) Joan., XVI, 28. — (2) Luc., XXIII, 46.

 

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paroles, Lucifer et tous les démons furent précipités dans les abîmes, où ils demeurèrent tous abattus, comme je le dirai dans le chapitre suivant L'invincible Reine, la Maîtresse des, vertus pénétra toute la profondeur de ces mystères, comme Mère du Sauveur et coadjutrice de sa Passion, an delà de ce que toutes les créatures ensemble en peuvent concevoir. Et afin qu'elle participât en tout à 'cette même Passion, il fallait que, comme elle avait ressenti les douleurs qui répondaient à celles de son très-saint Fils, elle souffrît aussi, sans mourir, les peinés qu'eut le Seigneur à l'instant de sa mort. Que si elle ne mourut point, c'est que Dieu lui conserva la vie par un miracle qui fut plus grand que les autres par lesquels sa divine Majesté la lui avait conservée dans tout le cours de la Passion. Car cette dernière douleur fut beaucoup plus intense et plus vive que les antres; et nous pouvons dire que tout ce que les ho m mes ont enduré depuis le commencement du monde ne saurait égaler ce que la bienheureuse Marie souffrit dans la Passion. Elle resta au pied de la croix jusqu'au soir, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on ensevelit le corps sacré du Sauveur, comme je le dirai dans la suite; et en récompense de cette dernière douleur, le peu d'être terrestre qui animait son corps virginal fut encore spiritualisé d'une manière spéciale.

1399. Les saints évangélistes n'ont pas écrit les autres mystères cachés que notre Rédempteur Jésus-Christ opéra sur la croix; et les catholiques ne peuvent former, à cet égard, que les prudentes conjectures

 

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qu'ils tirent de la certitude infaillible de la foi. Mais entre ceux qui m'ont été découverts en cette histoire et en cette partie de la Passion , il y a une prière que le Sauveur fit su Père éternel avant de prononcer les sept paroles dont les évangélistes font mention. Je l'appelle une prière, parce qu'il s'adressa au Père éternel, quoique ce fût plutôt un testament qu'il fit en qualité de véritable et très-sage Père de la grande famille du genre humain, que son Père lui avait recommandée. Et comme la raison naturelle enseigne que le chef d'une famille et le possesseur d'un bien quelconque ne serait pas un prudent administrateur, et négligerait les devoirs de sa position, s'il ne déclarait à l'heure de sa mort la manière dont il entend disposer de ses biens et régler les intérêts de sa famille, afin que ses héritiers et ses successeurs sachent ce qui revient à chacun d'eux, sans être obligés de se disputer, et qu'ils entrent ensuite en possession légitime et paisible de leur part d'héritage; c'est pour cela que les hommes du siècle font leurs testaments quand ils se portent bien, pour éviter toute inquiétude à leurs derniers moments. Les religieux eux-mêmes se désapproprient de l'usage des choses qu'ils ont, car tout ce qui est terrestre pèse beaucoup à l'heure de la mort, et les soucis qui en naissent empêchent l'âme de s'élever librement à son Créateur. Sans doute, les choses terrestres n'étaient pas capables d'embarrasser notre Sauveur, puisqu'il n'en possédait aucune , et d'ailleurs elles n'auraient pu gêner sa puissance infinie; néanmoins il était convenable qu'il

 

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disposât alors des trésors spirituels et des dons qu'il avait acquis pour les hommes pendant le cours de sa vie.

1400. Le Seigneur attaché à la croix disposa de ces biens éternels, faisant connaître ceux à qui ils devaient appartenir et qui devaient être ses légitimes héritiers, et ceux qu'il déshéritait, ainsi que les causes de la différence de leur sort. Il s'entretint de tout cela avec son Père éternel, comme souverain Seigneur et très-juste juge de toutes les créatures , car les secrets de la prédestination des saints et de la réprobation des impénitents étaient renfermés dans ce Testament, qui fut fermé et cacheté pour les hommes. Seule, la bienheureuse Marie eut le privilège de l'entendre, parce que non-seulement elle pénétrait toutes les opérations de l'âme très-sainte de Jésus-Christ, mais elle était encore son héritière universelle, constituée la maîtresse de tout ce qui est créé. Coadjutrice de la rédemption, elle devait être aussi l'exécutrice testamentaire qui présiderait à l'accomplissement des volontés de ce Fils, qui mit toutes choses entre les mains de sa Mère, comme le Père éternel les avait mises entre les siennes (1), et en cette qualité, elle devait être chargée de distribuer les trésors acquis par son Fils et lui appartenant, tant à raison de, son titre que de ses mérites infinis. Cette connaissance m'a été donnée comme faisant partie de cette histoire, afin de faire mieux ressortir la dignité de notre auguste Reine, et que les pécheurs recourent

 

(1) Joan., XIII, 3.

 

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à elle comme à la dépositaire des richesses, dont son Fils notre Rédempteur veut rendre compte à son Père éternel : car tous nos secours doivent être tirés du dépôt de la très-pure Marie, et c'est elle qui doit les distribuer de ses mains charitables et libérales.

 

Testament que fit sur la croix Jésus-Christ, notre Sauveur priant son Père éternel.

 

1401. Après que la sainte croix eut été dressée sur le Calvaire, le Verbe incarné qui y était attaché, dit intérieurement à son Père, avant de prononcer aucune des sept paroles : « Mon Père, Dieu éternel, je vous glorifie de cette croix où je suis, et je vous Honore par le sacrifice de mes douleurs, de ma passion et de ma mort, vous bénissant de ce que par l'union hypostatique de la nature divine, vous avez élevé mon humanité à la suprême dignité de Christ, Dieu et homme, oint par votre Divinité même. Je vous glorifie pour la plénitude de tous les dons possibles de grâce et de gloire que vous avez communiqués à mon humanité dès l'instant de mon incarnation ; et je reconnais que vous m'avez donné dès ce moment l'empire universel sur toutes les créatures dans l'ordre de la grâce et de la nature pour toute l'éternité (1) ; que vous m'avez établi Maître des cieux et des éléments, du soleil, de la lune, des

 

(1) Matth., XXVIII, 18.

 

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étoiles, du feu, de l'air, des mers, de la terre, et de toutes les créatures sensibles et insensibles qui s'y trouvent ; de la révolution des siècles, des jours et des nuits, soumettant tout à mon pouvoir absolu; que vous m'avez fait le Chef, le Roi et le Seigneur des anges et des hommes, pour les gouverner et pour récompenser les bons et punir les méchants (1) ; qu'à cet effet vous m'avez donné la toute-puissance et les clefs de l'abîme (2), depuis les hauteurs du ciel jusque dans les profondeurs des enfers; que vous avez remis entre mes mains la justification éternelle des hommes , leurs empires, leurs royaumes et leurs principautés, les grands et les petits, les pauvres et les riches, et tous ceux qui sont capables de votre grâce et de votre gloire; enfin , que vous m'avez établi le Justificateur, le Rédempteur et le Glorificateur universel de tout le genre humain (3), le Seigneur de la mort et de la vie, de tous ceux qui sont nés, de la sainte Église et de ses trésors, des Écritures, des mystères, des sacrements, des secours, des lois, et des dons de la grâce : vous avez remis, mon Père, toutes choses entre mes mains (4), et les avez subordonnées à ma volonté, et c'est pour cela que je vous bénis, que je vous exalte, que je vous glorifie.

1402. Maintenant, Père éternel, que je sors de ce monde pour m'en aller à votre droite par la mort

 

(1) Ephes., I, 21; Joan., V, 22. — (2) Apoc., XX, 1. — (3) I Cor., I, 30. — (4) Joan., XIII, 3.

 

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que je vais souffrir sur la croix, et que j'ai accompli par elle et par ma passion la rédemption des hommes que vous m'avez confiée, je demande, mon Dieu, que cette croix soit le tribunal de notre justice et de notre miséricorde. Je veux juger, pendant que j'y suis attaché, ceux pour qui je donne la vie. Et justifiant ma cause, je veux disposer des trésors de mon avènement au monde, de ma passion et de ma mort; afin de déterminer dès maintenant ce qui est dû aux justes ou aux réprouvés, à chacun selon les oeuvres par lesquelles il m'aura témoigné son amour ou son mépris. J'ai cherché, Seigneur, tous les hommes, je les si tous appelés à mon amitié et à ma grâce, et j'ai travaillé sans cesse pour eux dès l'instant que j'ai pris chair humaine ; j'ai souffert toute sorte de peines, de fatigues, d'injures, d'opprobres; j'ai subi une flagellation ignominieuse, et si porté la couronne d'épines; enfin je vais mourir de la mort cruelle de la croix; j'ai imploré votre miséricorde infinie pour tous; je vous ai sollicité en faveur de tous par mes veilles, par mes jeûnes et par mes travaux ; je leur ai enseigné le chemin de la vie éternelle; et autant que cela peut dépendre de ma volonté, je veux l'accorder a tous, comme je l'ai méritée pour tous, sans en excepter ni en exclure aucun; c'est pour tous que j'ai établi la loi de grâce ; et l'Église, dans le sein de laquelle ils pourront se sauver, durera toujours, sans que personne puisse l'ébranler.

1403. Mais nous connaissons , mon Père, par notre prescience, que par leur malice et leur dureté

 

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tous les hommes ne veulent pas recevoir notre salut éternel, ni se prévaloir de notre miséricorde, ni marcher dans le chemin que je leur ai frayé par ma vie, par mes pauvres et par ma mort; mais qu'ils veulent arriver, par les voies de l'iniquité, jusqu'à la damnation. Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont très-équitables (1) ; il est juste aussi, puisque vous m'avez établi juge des vivants et des morts (2), des bons et des méchants, que je décerne aux justes la récompense qu'ils ont méritée en me servant et m'imitant, et que j'inflige aux pécheurs le châtiment de leur obstination perverse : que ceux-là aient part avec moi à mes biens, et que ceux-ci soient privés de mon héritage, qu'ils n'ont pas voulu accepter. Or, mon Père éternel, en votre nom et au mien, et pour vous rendre gloire,. je vais faire les dernières dispositions de ma volonté humaine, qui est conforme à votre volonté éternelle et divine. Je veux en premier lieu nommer ma très-pure Mère qui m'a donné l'être humain, et la constituer mon héritière unique et universelle de tous les biens de la nature, de la grâce et de la gloire qui m'appartiennent, afin qu'elle en soit la maîtresse avec un plein pouvoir; je lui accorde actuellement tous ceux de la grâce, qu'elle peut recevoir dans sa condition de simple créature, et je lui promets ceux de la gloire dans l’avenir. Je veux aussi qu'elle soit maîtresse des anges et des hommes; qu'elle ait sur eux un empire absolu, que tous lui

 

(1) Ps. CXVIII, 137. — (2) Act., X, 42.

 

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obéissent et la servent, que les démons la craignent et lui soient assujettis , et que toutes les créatures privées de raison et de sentiment lui soient soumises, les cieux , les étoiles, les planètes, les éléments et tous les êtres vivants, oiseaux, poissons et animaux que l'univers contient : je la rends maîtresse de tout, et veux que tons la sanctifient et l’exaltent avec moi. le veux encore qu'elle soit la dépositaire et la dispensatrice de tous les biens que les cieux et la terre renferment. Ce qu'elle ordonnera et disposera dans l'Église à l'égard des hommes et des enfants, sera confirmé dans le ciel par les trois personnes divines, et nous accorderons selon sa volonté tout ce qu'elle demandera pour les mortels, maintenant et toujours.

1404. Je déclare que le suprême ciel appartient aux anges, qui ont obéi à votre sainte et juste volonté, afin qu'il soit leur demeure propre et éternelle ; et que là leur appartiennent également la jouissance et la claire vision de notre Divinité. Je veux qu'ils en jouissent d'une possession éternelle, en notre amitié et en notre compagnie. Je leur prescris de reconnaître ma Mère pour leur Reine et leur Maîtresse légitime, de la servir, de l'accompagner, de l’assister en tout lieu et en tout temps, et de lui obéir en tout ce qu'elle voudra leur commander. Quant aux démons qui ont été rebelles à notre parfaite et sainte volonté, je les bannis de notre vue et de notre compagnie; je les condamne de nouveau à notre indignation et à la privation éternelle de notre

 

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amitié et de notre gloire, et de la vue de ma Mère, des saints et des justes mes amis. Je leur assigne pour demeure perpétuelle l'enfer, qui est le centre de la terre, et le lieu le plus éloigné de notre trône céleste, où ils seront privés de la lumière, et dans l'horreur des ténèbres palpables (1). Et je déclare que c'est là la part d'héritage qu'ils ont choisie par leur obstination et par leur orgueil, en s'élevant contre litre divin et contre ses ordres: et je les condamne à être tourmentés dans ces antres ténébreux par un feu éternel qui ne s'éteindra jamais.

1405. Par toute la plénitude de ma volonté, j'appelle, je choisis, et je tire de la nature humaine entière tous les justes et tous les prédestinés qui, par ma grâce et par mon imitation doivent être sauvés en accomplissant ma volonté et observant ma sainte loi. Ce sont ceux que je nomme en premier lieu (après ma bienheureuse Mère) les héritiers de toutes mes promesses, de mes mystères, de mes bénédictions, des trésors de mes sacrements, des secrets de mes Écritures, de mon humilité, de ma douceur, des vertus de foi, d'espérance et de charité, de prudence, de justice, de force et de tempérance, de mes dons, de mes faveurs, de ma croix, de mes souffrances, de mes opprobres, de mes humiliations et de ma pauvreté. Ce sera là leur partage en la vie passagère. Et comme ils en doivent faire eux-mêmes le choix par leurs bonnes oeuvres, afin qu'ils le

 

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fassent avec joie, je le leur destine en gage de mon amitié, parce que je l'ai choisi pour moi-même. Je leur promets ma protection , mes inspirations, mes faveurs, mes secours, mes dons, et la justification, selon leur disposition et leur amour; car je serai pour eux un père, un frère, un ami (1), et ils seront mes enfants, mes élus et mes bien-aimés : et comme tels, je les institue légataires de tous mes mérites et de tous mes trésors sans aucune réserve de ma part. Je veux qu'ils obtiennent de ma sainte Église et puisent dans mes sacrements tout ce qu'ils se rendront capables de recevoir; qu'ils puissent recouvrer la grâce s'ils la perdent, et regagner mon. amitié en se baignant et se purifiant de plus en plus dans mon sang; que l'intercession de ma Mère et de mes sainte leur serve dans tous leurs besoins; qu'elle les adopte pour ses enfants et les protège comme siens; que mes anges les gardent, les conduisent et les défendent; qu'ils les portent dans leurs mains, dupeur qu'ils ne trébuchent, et en cas de chute, qu'ils les aident à se relever (2).

1406. Je veux que mes justes et mes élus dominent, sur les réprouvés et sur les démons, et que mes ennemis es craignent et leur soient assujettis; que toutes les créatures les servent; que les cieux, les planètes, les étoiles et leurs influences les conservent; que la terre, les éléments, tous les animaux et toutes les autres créatures, qui sont à moi et qui me servent, les

 

(1) II Cor., VI, 18. — (2) Ps. XC, 11 et 12.

 

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entretiennent comme mes enfants et mes amis, et que leur bénédiction soit dans la rosée du ciel et dans la graisse de la terre (1). Je veux moi-même prendre mes délices au milieu d'eux (2), leur communiquer mes secrets, converser intimement et demeurer avec eux dans l'Église militante sous les espèces du pain et du vin; en gage infaillible de la félicité et de la gloire éternelles que je leur promets , et dont je les fais héritiers, afin qu'ils en jouissent à jamais avec moi dans le ciel d'une possession inamissible.

1407. Quant à ceux que notre volonté rejette et réprouve (bien qu'ils fussent créés pour une plus haute fin), je consens à leur attribuer comme leur partage en cette vie passagère, la concupiscence de la chair et des yeux, l'orgueil et tous ses effets (3) ; je permets qu'ils se rassasient de la poussière de la terre, c'est-à-dire de ses richesses, des vapeurs et de la corruption de la chair, de ses plaisirs, des vanités et des pompes mondaines. Pour en acquérir la possession, ils n'ont cessé d'employer tous les efforts de leur volonté; ils y ont appliqué leurs sens, leurs facultés, les dons et les bienfaits que nous leur avons accordés; et ils ont eux-mêmes choisi volontairement l'erreur et rejeté la vérité que je leur ai enseignée dans ma sainte loi (4 ). Ils ont renoncé à celle que j'ai écrite dans leur propre coeur, et à celle que ma grâce leur a inspirée; ils ont méprisé ma doctrine et mes

 

(1) I Cor., III, 22; Sap., XVI, 24; Genes., XXVII, 39. — (2) Prov., VIII, 31. — (3) I Joan., II, 16. — (4) Rom., II, 8; Ps. IV, 3.

 

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bienfaits; ils se sont associés avec mes ennemis et les leurs; ils ont accueilli leurs mensonges et aimé la vanité; ils se sont. plu aux injustices, à la vengeance et aux projets de l'ambition, ils n'ont cessé de persécuter les pauvres, d'humilier les justes, de railler les simples et les innocents; ils ont cherché leur propre gloire et aspiré à s'élever au-dessus des cèdres du Liban (1) dans la loi de l'iniquité qu'ils ont observée.

1408. Comme ils ont fait tout cela en dépit de notre bonté divine, qu'ils ont persisté dans leur malice opiniâtre et renoncé au droit d'enfants que je leur ai acquis, je les déshérite de mon amitié et de ma gloire. Et ainsi qu'Abraham éloigna de lui les enfants des esclaves, avec quelques présents, et réserva tout son bien pour Isaac, fils de Sara, qui était né libre (2), de même j'exclus les réprouvés de mon héritage avec les biens passagers et terrestres qu'ils ont eux-mêmes choisis. Et en les repoussant de notre compagnie, de celle de ma Mère, des anges et des saints, je les condamne aux abîmes et au feu éternel de l'enfer où ils seront en la compagnie de Lucifer et de ses démons, auxquels ils se sont volontairement assujettis, et je les prive pour notre éternité de l'espérance du remède. C'est là, mon Père, la sentence que je prononce comme juge et comme chef (3) des hommes et des anges, et le testament

 

(1) Ps., XXXVI, 35. — (2) Genes., XXV, 5. — (3) Ephes. IV, 15; Colos., II, 10.

 

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que je fais au moment de ma mort pour régler l'effet de la rédemption du genre humain, rendant à chacun ce qui lui est dit en justice selon les oeuvres (1), et conformément au décret de votre sagesse incompréhensible et de votre justice très-équitable. » Ainsi parla notre Sauveur crucifié à son Père éternel, et ce mystère fut caché et gardé dans le coeur de la bienheureuse Marie, comme un testament secret et scellé, afin qu'il fût exécuté en temps et lieu, et dès lors même dans l'Église par son intercession, comme il l'avait été précédemment par la prescience divine, dans laquelle le passé et l'avenir sont également présents.         

 

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

 

1409. Ma fille, tâchez de n'oublier jamais la connaissance des mystères que je vous ai découverts dans ce chapitre. Je prierai le Seigneur, comme votre Mère et votre Maîtresse, de graver de sa main divine dans votre coeur les leçons que je vous si données, afin que tant que vous vivrez vous les ayez constamment présentes à votre esprit. Je veux que par ce bienfait vous conserviez continuellement le souvenir

 

(1) II Tim., IV, 8.

 

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de Jésus-Christ crucifié, mon très-saint Fils et votre Époux, et que vous n'oubliiez jamais les douleurs qu'il ressentit sur la croix, et la doctrine qu'il y enseigna et qu'il y pratiqua. C'est avec ce miroir que vous devez perfectionner la beauté de votre âme, et apprendre à n'avoir qu'au dedans de vous-même votre éclat et vos charmes, comme la fille du Roi (1), pour que vous marchiez de progrès en progrès, et que vous régniez en qualité d'épouse du souverain Roi. Et comme ce titre glorieux vous oblige de faire tous vos efforts pour l'imiter, et de vous modeler sur lui autant qu'il vous sera possible avec sa grâce, comme ce doit être là le fruit de mes instructions, je veux que dès maintenant vous viviez crucifiée avec Jésus-Christ (2), et que vous vous rendiez semblable à cet adorable exemplaire en mourant à la vie terrestre. Je veux que les effets du premier péché soient détruits en vous, que vous ne viviez plus que dans les opérations et les effets de la vertu divine, et que vous renonciez à tout ce que vous avez hérité comme fille du premier Adam, afin d'acquérir l'héritage du second , qui est Jésus-Christ votre Rédempteur et votre Maître.

1410. Votre état doit être une croix fort étroite, ou il faut que vous soyez clouée, et non une voie large où vous trouveriez des privilèges et des interprétations qui la rendraient plutôt large et commode qu'assurée et parfaite. L'illusion des enfante de

 

(1) Ps XLIV, 13. — (2) II Cor., V, 15.

 

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Babylone et d'Adam est de chercher dans leurs différents états des adoucissements à la loi de Dieu, et de vouloir marchander le salut de leurs âmes pour acheter le ciel à bon compte, même au risque de le perdre, s’il leur en doit coûter la peine de se conformer à la rigueur de la loi divine et de ses préceptes. De là vient qu'ils courent en quête des doctrines et des opinions qui élargissent les voies de la vie éternelle; sans songer que mon très-saint Fils, leur a enseigné qu'elles étaient fort étroites (1) , et qu’il n'en a point suivi d'autres, afin que personne ne s'imagine pouvoir arriver au bonheur éternel par des voies plus spacieuses et proportionnées aux inclinations d'une chair pervertie par le péché. Ce danger est plus grand pour les ecclésiastiques et les religieux, qui par leur état doivent suivre leur divin Maître et se conformer à sa vie et à sa pauvreté; c'est pour cela qu'ils ont choisi le chemin de la croix; et cependant ils veulent que leurs dignités ou leur profession leur procurent plus de commodités temporelles et de plus grands honneurs qu'ils n'en auraient obtenus dans une autre carrière. Et pour y réussir, ils accommodent à leur gré la croix qu'ils ont promis de porter, de sorte qu'elle ne les empêche pas de vivre fort à l'aise et de mener une vie sensuelle en se fondant sur de simples opinions, et sur des interprétations trompeuses. Mais ils connaîtront un jour la vérité de cette sentence du Saint-Esprit qui dit : « Toutes les voies de l'homme

 

(1) Matth., VII, 14.

 

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lui paraissent droites, mais le Seigneur pèse les coeurs (1). »

1411. Je veux, ma fille, que vous soyez si loin de cette erreur, que vous pratiquiez toujours ce que votre profession présentera de plus rigoureux et de plus étroit; de sorte que vous ne puissiez vous séparer de cette croix ni vous tourner d'un côté ou de l'autre, comme y étant clouée avec Jésus-Christ; car vous devez préférer la moindre obligation de cet état à toutes les commodités temporelles. Il faut que votre main droite soit clouée par l'obéissance, sans que vous vous réserviez, un seul mouvement, une seule action, pensée ou parole qui ne soit dirigée par cette vertu. Vous ne devez point vous permettre un geste qui vienne de votre propre volonté, mais vous devez suivre en tout celle de vos supérieurs; il ne faut pas non plus que vous soyez sage à vos propres yeux (2) en quoi que ce soit, mais ignorante et aveugle, afin que vos guides ne trouvent en vous aucune résistance. Celui qui promet, dit le Sage (3), a cloué sa main et se trouve pris par ses paroles. Or vous avez cloué votre main par le voeu d'obéissance, et par cet acte vous vous êtes dépouillée de votre liberté et du droit. de dire : Je veux, ou je ne veux point. Votre main gauche sera clouée par le veau de pauvreté, et vous ne conserverez aucune inclination, aucune affection pour aucune des choses qui flattent d'ordinaire les yeux; car, soit dans l'usage, soit dans

 

(1) Prov., XXI, 2. — (2) Prov., III, 7. — (3) Prov., VI, 1.

 

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le désir de ces choses, vous devez imiter fidèlement Jésus-Christ pauvre sur la croix. Vos pieds doivent être cloués par le troisième voeu, celui de chasteté, afin que vous soyez pure, chaste et belle dans toutes vos démarches et dans toutes vos voies. C'est pourquoi vous ne devez point permettre que l'on dise en votre présence aucune parole qui choque la bienséance, ni recevoir aucune image des choses passagères, ni regarder ou toucher aucune créature humaine; vous devez consacrer tous vos sens et particulièrement vos yeux à la chasteté, et ne vous en servir que pour contempler Jésus crucifié. Vous garderez avec toute sûreté le quatrième voeu de clôture dans le côté de mon très-saint Fils, c'est là que je vous en demande l'accomplissement. Et afin que cette doctrine vous paraisse plus douce et ce chemin moins étroit, mettez-vous à considérer en vous-même l'image de mon adorable fils tout couvert de plaies, accablé d'outrages, cloué sur la croix, et déchiré en toutes les parties de son corps sacré, tel qu'il vous a été représenté. Nous étions, mon très-saint fils et moi, d'un tempérament plus sensible et plus délicat qu'aucun des enfants es hommes, et nous avons souffert pour eux des tourments affreux, afin qu'ils eussent le courage de se résigner à des peines beaucoup plus légères pour leur propre bien éternel et en retour de l'amour que nous leur avons témoigné. lis devraient prouver leur reconnaissance en choisissant le chemin dès épines et en portant la croix sur les traces de Jésus-Christ pour acquérir la félicité éternelle,

 

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puisque c'est là le droit chemin pour y parvenir (1).

 

 

 

 

 

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