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Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse.
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
CHAPITRE XXIII. Le triomphe que notre Sauveur Jésus-Christ remporta sur le
démon et sur la mort étant sur la croix. — La prophétie d'Habacuc, et, le
conciliabule que les démons tinrent dans l'enfer.
1412. Les sacrés mystères
de ce chapitre correspondent à plusieurs autres dont j'ai fait mention en
divers endroits de cette histoire. L'un de ces mystères est que Lucifer et ses
démons ne parvinrent jamais, dans le cours de la vie et des miracles de notre
adorable Sauveur, à connaître avec une certitude infaillible qu'il était vrai
Dieu et Rédempteur du monde, et par conséquent ils ne connaissaient point non
plus la dignité de la bienheureuse Marie. La providence de la divine Sagesse
disposait les choses de la sorte, afin que tout le mystère de l'incarnation et
de la rédemption des hommes s'opérât d'une manière plus avantageuse. Ainsi,
quoique Lucifer sût que Dieu se revêtirait de la chair humaine, il ignorait le
mode et
(1) Matth., XVI, 24
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les
circonstances de l'incarnation; et c'est parce qu'il lui fut permis d'en juger
selon son orgueil, qu'il se trouva dans une si grande perplexité, tantôt
assurant que Jésus-Christ était Dieu à cause des miracles qu'il faisait, et
tantôt le niant parce qu'il le voyait pauvre, méprisé, affligée t maltraité.
Ébloui par le mobile éclat de ces diverses lumières, il demeura dans le doute
jusqu'à ce que notre Sauveur fût crucifié, moment auquel le dragon infernal
devait être, par la connaissance des mystères du Rédempteur, à la fois
convaincu et dompté par la vertu de la Passion et de la mort qu'il avait
procurée à sa très-sainte humanité.
1413. Ce triomphe de notre
Rédempteur Jésus-Christ fut accompli d’une manière si sublime et si admirable,
que je me trouve dans l'impossibilité de le dépeindre; car il fut tout
spirituel, et il ne s'y passa rien que les sens puissent apercevoir. Je
voudrais, pour le faire comprendre, que nous nous communiquassions nos pensées
les uns aux antres comme les anges, au moyen de cette simple vue
intellectuelle par laquelle ils s'entendent entre eux; car il faudrait que
nous pussions nous eu servir pour manifester et pénétrer cette grande
merveille de la ToutePuissance. J'en dirai
pourtant tout ce que je pourrai , persuadée qu'on
eu découvrira plus par la lumière de la foi qu'on n’en comprendra par mon
faible exposé.
1414. Ou a vu dans le
chapitre précédent comment Lucifer et ses démons essayèrent de s'éloigner
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de notre
Sauveur Jésus-Christ et de se jeter dans l'enfer aussitôt que sa Majesté eut
reçu la croix sur ses sacrées épaules, parce qu'ils sentirent en ce moment la
puissance divine les subjuguer avec une plus grande force. Par ce nouveau
tourment ils comprirent (le Seigneur le permettant de la sorte) que la mort de
cet homme innocent qu'ils avaient tramée, les menaçait de quelque grande
perte, et qu'il devait ne pas être un simple mortel. C'est pourquoi ils
souhaitaient se retirer et ne plus assister les Juifs et les bourreaux comme
ils l'avaient fait jusqu'alors. Mais la puissance divine les retint et les
enchaîna comme des dragons furieux, les forçant, au moyen de l'empire que la
bienheureuse Marie avait reçu sur eux, de demeurer et de suivre Jésus-Christ
jusqu'au Calvaire. Le bout de cette chaîne invisible fut remis entre les mains
de notre auguste Reine, pour qu'elle pût les assujettir et les maîtriser par
les vertus de son très-saint Fils, comme des
captifs retenus par autant d'amicaux. Ils avaient beau se débattre comme des
forcenés, et tenter vainement à diverses reprises de prendre la fuite, ils ne
purent surmonter la force irrésistible avec laquelle la bienheureuse Vierge
les arrêtait et ses contraignait à s'approcher du Calvaire et à se ranger
autour de la croix, où elle leur ordonna de demeurer immobiles jusqu'à la
consommation de tant de sublimes mystères qui y étaient opérés tour le salut
des hommes et pour la ruine des démons.
1415. Ainsi enchaînés,
Lucifer et les antres esprits infernaux se sentirent tellement torturés par le
supplice
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que leur
faisait subir la présence de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa
très-sainte Mère, et tellement consternés par la
perspective de la défaite dont ils étaient menacés, qu'ils eussent voulu
chercher une espèce de soulagement dans les ténèbres de l'abîme. Et comme il
ne leur était pas permis de s'y précipiter, ils se pressaient les uns contre
les autres et se roulaient comme des insectes épouvantés qui cherchent un abri
pour se cacher, quoique leur fureur surpassât celle des plus cruels animaux.
C'est là que fut profondément humilié l'orgueil de Lucifer, et que furent
confondues les bonnes pensées qu'il avait d'établir son trône au-dessus des
étoiles (1), et d'absorber les plus pures eaux da Jourdain (2). A quelle
impuissance était réduit celui qui avait si souvent prétendu bouleverser tout
l'univers ! Dans quel honteux abattement était tombé celui qui avait trompé
tant d’âmes par ses fausses promesses ou par ses menaces! Comme ce malheureux
Aman était troublé à la vue de la potence qu'il avait préparée pour son ennemi
Mardochée (3) ! Quelle confusion fut la sienne quand il vit la véritable
Esther, l'auguste Marie solliciter le salut de son peuple, et demander que le
traître fût dépouillé de son ancienne grandeur, et puni du châtiment qu'il
s'était attiré par l'excès de son orgueil (4)! C'est là que notre invincible
Judith vainquit l'ennemi superbe dont elle abattit la tête altière (5). Je
saurai maintenant,
(1) Isa., XIV, 13. —
(2) Job., XL., 18. — (3) Esth., VII., 9. — (4)
Ibid- 9., — (5) Jud., XIII, 10.
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ô
Lucifer, que ton arrogance et ta présomption surpassent tes forces (1).
Comment es-tu déjà tout rempli de vers et rongé de la teigne, toi qui
paraissais si brillant? Comment es-tu plus opprimé que les nations que tu
frappais de tes plaies (2)? Ah! désormais je ne
craindrai plus tes vaines menaces, et je ne me laisserai plus tromper par tes
mensonges, car je te vois affaibli, dompté, et sans aucun pouvoir.
1416. Il était déjà temps
que le Maître de la vie vainquit l'antique serpent. Et comme il devait
remporter cette victoire en lui faisant connaître la vérité qu'il ignorait, et
qu'ici l'aspic venimeux ne pouvait point fermer les oreilles à la voix de
l'enchanteur (3), le Seigneur commença à prononcer sur la croix les sept
paroles, permettant à Lucifer et à ses démons d'en pénétrer le sens mystérieux
: car c'est en leur accordant l'intelligence que sa Majesté voulait triompher
d'eux, du péché et de la mort, et les dépouiller de la tyrannie qu'ils
exerçaient sur tout le genre humain. Or le Sauveur prononça la première parole
: Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font (4). A
cette prière, les princes des ténèbres connurent avec certitude que notre
Seigneur Jésus-Christ s'adressait au Père éternel, et qu'il était son' Fils
naturel, et vrai Dieu avec lui et avec le Saint-Esprit; qu'homme parfait, il
recevait volontairement en sa très-sainte
humanité, unie à la divinité, la mort pour racheter.
(1) Isa., XIV, 6. — (2) Isa., XIV, 12. — (3) Ps. LVII, 5. — (4) Luc., XXIII, 34.
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tout
le genre humain, et qu'il promettait par ses mérites infinis aux enfants
d'Adam et même à ceux qui le crucifiaient sans en excepter aucun, le pardon
général de tous leurs péchés, pourvu qu'ils profitassent de leur rédemption et
voulussent se l'appliquer pour leur remède. Cette connaissance provoqua chez
tous les esprits rebelles un si violent accès de dépit et de rage, qu'ils
voulurent à l'instant s'élancer avec impétuosité au fond des enfers; mais ils
s'épuisaient en vains efforts pour y parvenir, car notre puissante Reine les
retenait.
1417. Dans la seconde
parole que le Seigneur adressa à l'heureux voleur : Je vous dis en vérité que
vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (1), les démons découvrirent
le fruit de la rédemption en la justification des pécheurs, et la fin dernière
de cette même rédemption en la glorification des justes; et ils comprirent que
dès lors les mérites de Jésus-Christ commençaient à opérer avec une nouvelle
force; que par ces mêmes mérites allaient s'ouvrir les portes du paradis, qui
avaient été fermées par le péché; et que les hommes entreraient dans le ciel
pour y jouir du bonheur éternel et y occuper les places auxquelles les démons
étaient dans l'impossibilité d'arriver. Par là ils reconnurent la puissance
que le Sauveur avait d'appeler les pécheurs, de les justifier et de les
glorifier, et les victoires qu'il avait remportées sur eux pendant sa
très-sainte vie par les
très-éminentes vertus d'humilité,
(1) Luc., XXIII, 43.
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de
patience, de douceur, et par toutes les autres qu'il avait pratiquées. On ne
saurait exprimer la confusion et la peine qui accablèrent Lucifer quand il dut
avouer cette vérité; elles furent si grandes, que, malgré son orgueil, il
s'humilia jusqu'à prier la bienheureuse Marie de permettre à lui et à ses
compagnons de descendre dans l'enfer, et de les chasser de sa présence; mais
notre auguste Reine n'y consentit point, parce que le moment n'était pas
encore venu.
1418. Par la troisième
parole que le très-doux Jésus dit à sa Mère :
Femme, voilà votre fils (1), les démons connurent que cette divine Femme était
véritablement Mère de Dieu incarné, et la même que celle dont l'image leur
avait été montrée dans le ciel à l'époque de leur création; celle enfin qui
leur briserait la tète, ainsi que le Seigneur le leur avait annoncé dans le
paradis terrestre (2). Ils connurent que la dignité et l'excellence de cette
grande Reine la mettaient au-dessus de tontes les créatures, et qu'elle avait
un pouvoir absolu sur eux, selon l'expérience qu'ils en faisaient. Et comme
dès le commencement du monde, quand la première femme fut créée, les démons
avaient employé toutes leurs ruses pour tâcher de découvrir cette auguste
Femme qui leur avait été représentée clans le ciel, et s'aperçurent alors
seulement qu'elle avait toujours échappé à leurs recherches inquiètes, ils
entrèrent dans une fureur indescriptible, parce que la connaissance qu'ils en
(1) Joan., XIX, 26. — (2) Gen., III, 15.
200
eurent
tout à coup les tourmentait plus que tous les autres supplices qu'ils
enduraient; ils enrageaient les uns contre les autres comme des bêtes féroces,
et ils redoublèrent de colère contre la bienheureuse Vierge; mais tout cela
n'aboutit à rien. Ils comprirent en outre que notre Sauveur avait destiné
saint Jean à être comme l'ange
gardien de sa Mère, en le revêtant de la puissance sacerdotale. Ils y virent
comme une menace contre la colère qu'ils avaient à l'égard de notre auguste
Princesse, et saint Jean comprit aussi sa mission. Lucifer connut
non-seulement le pouvoir que le saint évangéliste
avait sur les démons, mais encore celui que tous les prêtres recevaient à
raisonne leur dignité et de leur participation. à
celle de notre Rédempteur; et il sut que les autres justes, ne fussent-ils
point prêtres, obtiendraient du Seigneur une protection spéciale et une grande
puissance contre l'enfer. Tout cela consternait Lucifer et ses légions.
1419. Lorsque Jésus-Christ
notre Sauveur prononça la quatrième parole , en
disant au Père éternel : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez -vous délaissé
(1)? les esprits rebelles connurent que la charité
de Jésus-Christ était sans bornes à l'égard de tous les hommes; et que, pour
la satisfaire, la Divinité avait mystérieusement suspendu son influence sur la
très-sainte humanité , afin que par l'extrême
rigueur de ses souffrances la rédemption fût plus surabondante; ils
(1) Matth., XXVII, 46
201
comprirent
aussi qu'il se plaignait amoureusement de ce que ne se sauveraient pas tous
les hommes, eux dont il se trouvait abandonné, et pour lesquels il était prêt
à souffrir davantage: si le Père éternel l'ordonnait. Ce bonheur que les
hommes avaient d'être si aimés de Dieu augmenta l'envie de Lucifer et de ses
ministres, d'autant plus qu'ils sentirent en même temps la toute-puissance
divine pour déployer sur les hommes sans aucune mesura cette charité infinie.
Cette pensée abattit l'orgueil et la malice de nos implacables ennemis, et ils
se reconnurent trop faibles pour s'opposer efficacement à cette charité si les
hommes voulaient s'en prévaloir.
1420. La cinquième parole
que notre Seigneur Jésus-Christ prononça : J’ai soif (1), rehaussa
encore le triomphe qu'il remportait sur les démens, et accrut de nouveau leur
fureur, parer que le Sauveur l'adressa plus clairement contre eux. Ils
entendirent que sa Majesté leur disait : « S’il vous semble que ce que je
souffre pour les hommes soit excessif, ainsi que l'amour que je leur porte, je
veux que vous sachiez que ma charité ne cesse d'être ardente pour leur salut
éternel; que les eaux très-amères de ma Passion
n'ont pas été capables de l'éteindre (2), et que je souffrirais encore pour
eux de plus affreux tourments, s'il le fallait, afin de les délivrer de votre
tyrannie et de les rendre assez forts, assez puissants pour surmonter votre
malice et votre orgueil.
(1) Joan., XIX, 28. — (2) Cant., VIII, 7.
202
1421. Parla sixième parole
du Seigneur : Consummatum est (1),
les démons eurent une entière connaissance du mystère de l'incarnation et de
la rédemption des hommes, qui venait, selon l'ordre de la sagesse divine,
d'être achevée dans toute sa perfection. Car il leur fut à l'instant manifesté
que notre Rédempteur Jésus-Christ avait accompli la volonté du Père éternel,
les promesses et les prophéties qui avaient été faites au monde par les
anciens patriarches; que l'humilité et l'obéissance de notre Sauveur avaient
vengé le Très-Haut de leur propre orgueil et de leur révolte dans le ciel ,
lorsqu'ils avaient refusé de se soumettre et de le reconnaître pour supérieur
dans la chair humaine qu'il devait prendre, et que c'est pour cela qu'ils
étaient, suivant les règles d'une sagesse et d'une équité souveraine ,
humiliés par ce meute Seigneur qu'ils avaient méprisé. Et comme, à raison de
la dignité suprême et des mérites infinis du Christ, il était convenable qu'il
exerçât alors la puissance que le Père éternel lui avait remise, de juger les
anges et les hommes (2), usant de ses attributions et intimant en quelque
sorte la sentence à Lucifer et à tous les démons dans son exécution même, il
leur ordonna, comme condamnés aux flammes éternelles, de descendre à l'instant
au fond des gouffres infernaux. Et en mente temps il prononça la septième
parole : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains (3). Notre
puissante Reine concourut à la volonté de son
(1) Joan., XIX, 30. — (2) Joan., V, 22. — (3) Luc.,
XXIII, 46.
203
très-saint
Fils, et ordonna aussi à Lucifer et à ses compagnons de se précipiter dans
l'abîme. En vertu de cet ordre du souverain Roi de l'univers et de sa
bienheureuse Mère, les esprits rebelles furent chassés du Calvaire et
précipités jusque dans les dernières profondeurs des enfers avec une force
plus rapide que celle de la foudre qui s'échappe de la nue.
1422. Notre Sauveur Jésus-
Christ,
victorieux triomphateur, voulant, après avoir subjugué ses plus grands
ennemis, remettre son âme entre les mains du Père éternel (1), baissa la tète
comme pour permettre à la mort de s'approcher de lui; il vainquit aussi la
mort par cette permission , par laquelle elle fut
trompée comme le démon. La raison en est, que la mort n'aurait pu avoir aucune
juridiction sur les hommes, si le premier péché ne leur eût attiré ce
châtiment; c'est pour cela que l'Apôtre dit que l'aiguillon de la mort c'est
le péché, et que par le péché elle a passé à tous les hommes (2); et comme
notre Sauveur paya la dette du péché qu'il ne pouvait commettre , il en
résulta que quand la mort lui ôta la vie, sans avoir aucun droit sur sa
Majesté, elle perdit celui qu'elle avait sur les enfants d'Adam ; de sorte que
dès lors ni la mort ni le démon ne pouvaient plus les attaquer avec le mente
succès qu'auparavant, pourvu qu'ils se prévalussent de la victoire de
Jésus-Christ, et ne voulussent pas rentrer de plein gré sous leur empire. Si
notre premier père Adam n'eût pas
(1) Joan., XIX, 30. — (2) Rom., V, 12 ; I Cor., XV,
55.
204
péché,
et qu'en lui nous n'eussions pas tous péché, la mort n'aurait point été connue
, nous aurions été transportés de cet heureux état d'innocence dans le fortuné
séjour de la patrie éternelle. Mais le péché nous a rendus sujets de la mort
et esclaves du démon, qui nous fa procurée afin de nous empêcher par son moyen
d'arriver à la vie éternelle, après nous avoir privés de la grâce et de
l'amitié de Dieu, et réduits dans l'esclavage du péché et sous son empire
tyrannique. Notre adorable Sauveur est venu détruire toutes ces oeuvres du
démon (1), et mourant innocent après avoir satisfait pour nos péchés, il fit
que la mort ne frapperait que le corps, et non pas l'âme; qu'elle ne nous
ôterait que la vie corporelle, et non point I'éternelle, la vie naturelle, et
non point la spirituelle; enfin qu'elle deviendrait pour nous la porte par
laquelle nous pourrions arriver au souverain bonheur si nous-mêmes ne voulions
le perdre. C'est ainsi que le Sauveur se chargea de la peine du premier péché,
et décida que la mort corporelle reçue pour son amour serait la satisfaction
que nous pouvions offrir de notre côté. C'est ainsi qu'il détruisit la mort,
et la sienne fut comme l’appât dont il se servit pour la tromper et pour la
vaincre (2).
1423. La prophétie
contenue. dans le cantique d'Habacuc fut accomplie
dans ce triomphé de notre Sauveur; je n'en prendrai que ce qui convient
à mon sujet. Le prophète connut ce mystère et le pouvoir
(1) 1 Joan., III, 8. — (2) I Cor., XV,
54 , Os., XIII, 14.
205
que
Jésus-Christ avait sur la mort et sur le démon. Il pria le Seigneur avec une
sainte crainte de vivifier son couvre, qui était l'homme; et prédit qu'il le
ferait, et 'qu'au fort de sa colère il se souviendrait de sa miséricorde (1);
que la gloire de cette merveille couvrirait les cieux, et que la terre
retentirait de ses louanges (2) que sa splendeur brillerait comme le soleil
(3); qu'il aurait la force dans ses mains, c'est-à-dire les bras de la croix,
et que sa puissance y serait cachée; que la mort vaincue irait devant sa face,
et que Satan marcherait devant lui et mesurerait la terre (4). Tout cela fut
accompli à la lettre, car Lucifer terrassé eut la tête écrasée sous les; pieds
de Jésus-Christ et de sa bienheureuse Mère, qui au Calvaire l'accablèrent de
tout le poids de la Passion et de la puissance divine. Il descendit jusqu'au
centre de la terre (qui est le fond de l'enfer et le point le plus éloigné de
la superficie); c'est pourquoi le prophète dit qu'il mesura la terre. Tout le
reste du cantique s'applique au triomphe de notre Sauveur dans le progrès de
l'Église jusqu'à la fin, et il n'est pas nécessaire de le citer. Mais ce qu'il
faut que tous les hommes sachent, c'est que Lucifer et ses démons furent
enchaînés et brisés par la mort de Jésus-Christ, qu'ils furent presque réduits
à l’impuissance de les tenter, s'ils ne leur eussent eux-mêmes ôté
volontairement. leurs chaînes par fleurs péchés, et
encouragé la présomption de leurs ennemie à entreprendre encore de.
perdre
(1) Habac., III, 2. —
(2) Ibid., 8. — (3) Ibid., 4. — (4) Ibid..
5.
206
le monde
par de nouveaux efforts. On le verra mieux par le récit du conciliabule qu'ils
tintent dans l'enfer, et de la suite de cette histoire.
Conciliabule que Lucifer tint avec ses démons dans l'enfer après la mort de
notre Seigneur Jésus-Christ.
1424. La chute que Lucifer
et ses démons firent des hauteurs du Calvaire jusqu'au fond de l'abîme, fut
plus violente que quand ils furent précipités du ciel. Et quoique ce triste
lieu soit toujours une terre ténébreuse, couverte des ombres de la mort,
pleine d'horreur, de misère et de tourments, comme le dit le saint homme Job
(1), il y régna en ce moment nu désordre plus affreux encore : car les damnés
furent saisis d'une nouvelle. épouvante, et eurent à souffrir une peine
accidentelle, à cause de la violence avec laquelle les démons se jetèrent sur
eux en tombant, et des transports de rage auxquels ils se livrèrent. Il est
bien vrai qu'ils n'ont pas le pouvoir dans l'enfer de tourmenter les âmes
selon leur volonté, et de les mettre dans des lieux où les peines sont plus ou
moins grandes, attendu que cela est réglé par la puissance de la justice
divine, suivant le degré de démérite de chacun des réprouvés, qui ne sont
tourmentés que dans cette mesure. Mais, outre la peine essentielle, le juste
Juge ordonne qu'ils puissent successivement souffrir, en certaines
circonstances, d'autres peines
(1) Job., X, 21. 207
accidentelles; parce que leurs péchés ont laissé des racines dans le monde, et
plusieurs mauvais exemples qui contribuent à la perte, d'un grand nombre de
personnes, et c'est le nouvel effet de leurs péchés qu'ils n'ont point
réparés, qui leur cause ces peines. Les démons firent subir à Judas de
nouveaux supplices pour avoir vendu Jésus-Christ, et pour lui avoir procuré la
mort. Et ils surent alors que le lieu si horrible où ils l'avaient mis, et que
j'ai déjà dépeint, était destiné pour la punition de ceux qui, ayant reçu la
foi , se damneraient faute de bonnes oeuvres, et de
ceux qui mépriseraient délibérément le culte de cette vertu, et le fruit de la
rédemption. C'est, contre cette classe de réprouvés que les démons tournent
toute leur colère; tâchant d'exercer sur eux la haine qu'ils ont conçue contre
Jésus et Marie.
1425. Aussitôt que Lucifer
eut reçu la permission de s'occuper de ses nouveaux desseins, et put sortir de
l'abattement dans lequel il resta quelque temps plongé, il entreprit de
communiquer aux démons la nouvelle rage qu'il avait contré le Seigneur. C'est
pourquoi il les assembla tous, et s'étant placé sur un lieu éminent, il leur
dit : « Vous n'ignorez pas, vous autres qui avez depuis tant de siècles
embrassé mon juste parti, et qui y demeurerez fidèles pour venger mes injures,
vous n'ignorez pas, dis-je, celle que je viens de recevoir de ce nouvel
Homme-Dieu; vous savez qu'il m'a tenu dans une
étrange perplexité durant trente-trois ans, me cachant son être divin
208
et les
opérations de son âme, et qu'il a triomphé de nous par la mort même que nous
lui avons procurée pour nous en défaire. Je l'ai abhorré avant même qu'il prit
la chair humaine, et j'ai refusé de le reconnaître comme plus digne que moi de
recevoir les adorations de tous en qualité de souverain Seigneur. Et quoique
j'aie été précipité du ciel avec vous à cause de cette résistance, et revêtu
de cette difformité si indigne de ma grandeur et de ma beauté primitive, ce
qui me tourmente plus que ma déchéance, c'est de me voir si opprimé par cet
homme et par sa Mère. Je les ai cherchés avec une activité infatigable dès que
le premier homme fut créé, pour les détruire ou pour anéantir du moins toutes
leurs couvres et empêcher que personne ne le reconnût pour son
Dieu , et ne profitât des exemples du Fils et de la
Mère. J'ai fait tous mes efforts pour y réussir, mais ç'a été en vain,
puisqu'il m'a vaincu par son humilité et par sa pauvreté, qu'il m'a renversé
par sa patience, et qu'il m'a enfin privé par sa Passion et par sa mort
ignominieuse de l'empire que j'exerçais sur le monde. Cela me tourmente
tellement, que si je pouvais l'arracher de la droite de son Père où il va
s'asseoir triomphant, et l'entraîner ensuite, avec tous ceux qu'il a rachetés,
dans les abîmes où nous sommes, je n'en serais pas encore satisfait, et ma
fureur ne serait pas encore apaisée.
1426.«
Est-il possible que la nature humaine, si inférieure à la mienne, doive être
autant élevée au-dessus de toutes les créatures! Qu'elle soit si aimée
209
et si
favorisée de son Créateur, qu'il l'ait unie à lui-même en la personne du Verbe
éternel! Qu'elle m'ait persécuté avant même cette union, et qu'après elle
m'ait défait et confondu à ce point! Je l'ai toujours regardée comme ma plus
cruelle ennemie ; elle m'a toujours été odieuse. O hommes si favorisés du Dieu
que j'abhorre, et si aimés de son ardente charité, comment empêcherai-je votre
bonheur? Comment vous rendrai-je aussi malheureux que moi, puisque je ne puis
anéantir l'être que vous avez reçu? Que ferons-nous maintenant, ô mes sujets?
Comment rétablirons-nous notre empire? Comment recouvrerons-nous nos forces
pour attaquer l'homme? Comment pourrons-nous désormais le vaincre? Car
dorénavant, à moins que les mortels ne soient tout à fait insensibles et
ingrats, à moins qu'ils ne soient plus endurcis que nous à l'égard de cet
Homme-Dieu qui les a rachetés avec tant d'amour,
il est certain qu'ils. le suivront tous à l'envi; ils lui donneront leur coeur
et embrasseront sa douce loi ; personne ne voudra prêter l'oreille à nos
mensonges; ils fuiront les vains honneurs que nous leur promettons, et
rechercheront les mépris ; ils s'attacheront à mortifier leur chair, et
connaîtront le danger qui se trouve dans les plaisirs ; ils abandonneront les
richesses pour embrasser la pauvreté, qui a été si honorée de leur Maître, et
ils dédaigneront tout ce que nous pourrons offrir à leurs sens, pour imiter
leur véritable Rédempteur. Ainsi notre royaume sera détruit puisque personne
ne viendra demeurer avec nous
210
dans ce
lieu de confusion et de supplices ; ils acquerront tous le bonheur que nous
avons perdu ; ils s'humilieront et souffriront avec patience ; rien ne restera
à ma fureur et à mon orgueil.
1427. O malheureux que je
suis, quels tourments me cause ma propre erreur! Si j'ai tenté cet homme dans
le désert (1), cela n'a servi qu'à lui faire remporter sur moi une insigne
victoire , et laisser un exemple
très-efficace aux hommes pour me vaincre. Si je
l'ai persécuté, il n'en a que mieux fait éclater son humilité et sa patience.
Si j'ai persuadé à Judas de le vendre, et aux Juifs de le crucifier avec tant
de cruauté, ce n'a été que pour avancer ma ruine et le salut des hommes, et
que pour établir dans le monde cette doctrine que je voulais détruire. Comment
Celui qui était Dieu a-t-il pu s'humilier de la sorte? Comment a-t-il tant
souffert de la part d'hommes si méchants? Comment ai-je moi-même tant
travaillé à rendre la rédemption des hommes si abondante, si admirable et si
divine, qu'elle me tourmente horriblement, et me réduit à une telle
impuissance? Comment cette femme, qui est sa Mère et mon ennemie, est-elle si
forte et si invincible ? Ce pouvoir est extraordinaire chez une simple
créature ; sans doute elle le reçoit du Verbe éternel, à qui elle a donné la
chair humaine. Le Tout-Puissant m'a toujours fait
une guerre à outrance par le moyen de cette femme, que mon ambition m'a fait
détester dès le premier
(1) Matth., IV, 3.
211
moment
où son image me fut représentée. Mais si je ne parviens point à assouvir ma
haine et à satisfaire mon orgueil, je n'en persisterai pas moins à combattre
perpétuellement ce Rédempteur, sa Mère et les hommes. Eh bien donc,
compagnons, voici le moment de nous livrer à notre haine contre Dieu.
Approchez-vous pour conférer avec moi sur les moyens dont nous nous servirons,
car je souhaite connaître votre opinion sur cette affaire.
1428. Quelques-uns des
principaux démons répondirent à cette horrible proposition de Lucifer, et
l'encouragèrent en lui communiquant divers desseins qu'ils avaient couvés pour
empêcher le fruit de la rédemption dans les hommes. Ils convinrent tous qu'il
n'était pas possible de s'attaquer à la personne de Jésus-Christ, ni de
diminuer le prix infini de ses mérites, ni de détruire l'efficace de ses
sacrements, ni de changer la doctrine qu'il avait prêchée; mais qu'il fallait
néanmoins, en tenant compte des nouveaux moyens et des nouvelles faveurs que
Dieu avait ménagés pour le salut des hommes , inventer de nouveaux artifices
pour les empêcher d'en faire leur profit, et essayer de les séduire par de
plus grandes tentations. A cet effet, plusieurs démons des plus rusés dirent :
« Il est vrai que les hommes ont maintenant une nouvelle doctrine et une loi
fort puissante; qu'ils ont de nouveaux sacrements, qui sont efficaces, un
nouvel exemplaire, qui est le Maître des vertus, et une éloquente Avocate en
cette femme extraordinaire; mais les inclinations et les passions de
212
leur
chair et de leur nature sont toujours les mêmes, et les choses délectables et
sensibles n'ont point été changées. Ainsi, en redoublant de malice, nous
détruirons, autant qu'il dépend de nous, ce que ce Dieu homme a opéré pour
eux, et nous leur ferons une vigoureuse guerre, car nous tâcherons de les
attirer à nous par nos suggestions et d'exciter leurs passions, afin qu'ils se
laissent entraîner à leur impétuosité sans considérer leurs suites funestes;
nous savons tous que la capacité humaine est si bornée, qu'étant occupée à un
objet, elle ne peut être attentive à ce qui lui est opposé. »
1429. Après cette
délibération , les démons se partagèrent en
plusieurs bandes, suivant les différents vices, et se départirent les offices
qu'ils devaient exercer pour tenter les hommes avec toute l'astuce possible.
Ils décidèrent qu'ils devaient s'efforcer dé maintenir l'idolâtrie dans le
monde, afin que les hommes n'arrivassent point à la connaissance du vrai Dieu
et de la rédemption du genre humain. Et que si l'idolâtrie disparaissait ils
feraient naître de nouvelles sectes et des hérésies, en choisissant à cet
effet les hommes les plus pervers et les plus corrompus, qui seraient les
premiers à les embrasser et à les enseigner. C'est dans ce conciliabule
infernal que furent inventées la secte de Mahomet, les hérésies d'Arius, de
Pélage, de Nestorius, et toutes celles qui se sont produites dans le monde
depuis la primitive Église jusqu'à nos jours, entre plusieurs autres qu'ils y
forgèrent et qu'il n'est ni nécessaire ni convenable de
213
rapporter
ici. Lucifer approuva ce système diabolique parce qu'il était contraire à la
vérité divine, et sapait le fondement du salut des hommes, qui consiste en la
foi. Et il félicita , caressa et plaça près de lui
les démons qui l'avaient imaginé, et s'étaient chargés de chercher les impies
propres à introduire ces erreurs.
1430. D'autres démons
promirent pour leur compte de pervertir les inclinations des petits enfants en
les observant dès leur berceau ; d'autres encore, de rendre les parents
négligents dans l'éducation de leurs enfants, soit par aversion, soit par une
tendresse excessive, et d'inspirer aux enfants de l'antipathie pour leurs
parents. Il y en eut qui s'offrirent à semer la division entre les personnes
mariées, et à leur faciliter l'adultère et le mépris de leurs obligations
réciproques et de la fidélité qu'elles se doivent. Tous contractèrent
l'engagement de propager parmi les hommes les querelles, la haine, la discorde
et la vengeance; de les y exciter parles jugements téméraires, par l'orgueil,
par la sensualité, par l'avarice et par l'ambition; de combattre par des
arguments captieux toutes les vertus que Jésus-Christ avait enseignées, et
surtout de détourner les mortels du souvenir de sa Passion et de sa mort, et
du bienfait de la rédemption, de la pensée des supplices de l'enfer et de leur
éternité. Par tolus ces moyens les démons se flattèrent que les hommes
s'attacheraient exclusivement aux choses sensibles, et ne se mettraient pas
fort en peine des choses spirituelles et de leur propre salut.
214
1431. Lucifer ayant ouï ces
projets et plusieurs autres que les démons avaient formés, leur dit : «
Je suis fort content de vos avis, je les admets et les approuve tous, et je ne
doute pas que nous n'obtenions un succès facile sur ceux qui n'embrasseront
point la loi que ce Rédempteur adonnée aux hommes. Mais ce sera une affaire
grave que d'attaquer ceux qui la recevront. Néanmoins je prétends employer
toute ma rage contre cette loi, et persécuter cruellement ceux qui la
suivront; à ceux-là nous devons faire une guerre acharnée jusqu'à la fin du
monde. Je vais tâcher de semer mon ivraie dans cette nouvelle Église (1),
c'est-à-dire l'ambition, l'avarice, la sensualité, les haines mortelles et
tous les vices dont je suis la source. Car si les péchés se multiplient une
fois parmi les fidèles, ils irriteront Dieu par leur malice et par leur
grossière ingratitude, et l'obligeront à leur refuser avec justice les secours
de la grâce si abondants que leur Rédempteur leur a mérités; et s'ils s'en
privent par leurs iniquités, nous sommes sûrs de remporter sur eux de grandes
victoires. Il faut aussi que nous travaillions à leur ôter la piété et le goût
de tout ce qui est spirituel et divin, de sorte qu'ils ne comprennent point la
vertu des sacrements, ou qu'ils les reçoivent sans s'être purifiés de leurs
péchés, ou du moins sans dévotion; car, comme ces bienfaits sont spirituels,
il est indispensable de les recevoir avec ferveur pour en augmenter le fruit.
Et
(1) Matth., XIII, 25.
215
si les
mortels méprisent leur remède, ils recouvreront bien tard leur sauté et
résisteront moins à nos tentations; ils ne découvriront point nos mensonges,
ils oublieront les faveurs célestes, méconnaîtront la mémoire de leur
Rédempteur et dédaigneront l'intercession de sa Mère; cette noire ingratitude
les rendra indignes de la grâce, et leur Dieu et leur Sauveur sera trop irrité
pour la leur accorder. Je veux que tous vous secondiez mon entreprise et que
vous y apportiez tous vos soins, sans perdre ni temps ni occasion d'exécuter
ce que je vous commande. »
1432. Il n'est pas possible
d'exposer les résolutions que Lucifer et ses ministres prirent dans cette
occasion contre la sainte Église et ses enfants, pour tâcher, d'absorber ces
eaux du Jourdain (1). Il nous suffira de dire que cette conférence dura
presque une année entière après la mort de Jésus-Christ, et de considérer dans
quel état se trouvait anciennement le monde, et celui dans lequel il se trouve
depuis cette précieuse mort, et depuis que le Seigneur a manifesté la vérité
de la foi par tant de miracles, par tant de bienfaits, et par les exemples de
tant de saints personnages. Et si tout cela ne suffit pas pour ramener les
mortels dans le chemin du salut, on peut comprendre l'étendue du pouvoir que
Lucifer s'est acquis sur eux et l'acharnement de la haine qu'il leur a vouée,
haine telle, que nous pouvons dire avec saint Jean : « Malheur à la terre, car
Satan descend vers
(1) Job., XL, 18.
216
vous,
plein de fureur et de rage (1). » Mais, hélas! faut-il
que des vérités aussi infaillibles et aussi importantes que celles-là, et si
propres à nous faire connaître notre danger et à nous le faire éviter par tous
les moyens possibles, soient aujourd'hui si éloignées du souvenir des mortels
qui né remarquent pas, les. pertes irréparables que
cet oubli cause dans le . monde! Nôtre ennemi est
rusé, cruel et vigilant, et nous restons cependant les bras croisés! Doit-on
s'étonner que Lucifer soit devenu si puissant dans le monde, quand tant de
gens l'écoutent, l'accueillent et croient à ses mensonges, et que
très-peu lui résistent, parce qu'ils ne songent
pas à la mort éternelle que cet implacable ennemi leur procure avec tant de
malice? Je prie ceux qui liront ceci de ne point mépriser un danger si
effroyable. Et si la situation du monde et ses malheurs, si les expériences
funestes que chacun fait en soi-même ne sont pas capables de nous éclairer sur
l'imminence du péril, apprenons au moins à le connaître par la grandeur des
secours que notre adorable Sauveur nous a laissés dans son Église; car il ne
nous aurait pas donné tant de remèdes si l'extrême gravité de notre maladie ne
nous eût exposés aux pins terribles chances d'une mort éternelle.
(1) Apoc., XII, 12.
217
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
1433. Ma fille, vous avez
reçu de la divine lumière de grandes connaissances sur le glorieux triomphe
que mon Fils et mon Seigneur remporta sur les
démons étant sur la croix, et sur l'abattement dans lequel les jeta leur
défaite. Mais vous devez être persuadée que vous ignorez beaucoup plus de
choses de ces mystères si ineffables que vous n'en avez connu; car, tant que
l'on vit dans la chair mortelle, on n'a pas les dispositions nécessaires pour
les pénétrer à fond; la Providence en réserve l'entière pénétration pour la
récompense des saints qui jouissent de la vue de Dieu dans le ciel, où l'on a
une parfaite intelligence de ces mystères; et en même temps pour la confusion
des réprouvés, lorsqu'ils les connaîtront en leur manière à la fin de leur
course. Mais ce que vous avez appris est plus que suffisant pour vous
convaincre des dangers de la vie mortelle, et pour voua animer par l'espérance
de vaincre vos ennemis. Je veux aussi vous avertir de la nouvelle haine que le
Dragon a conçue contre vous à cause de ce que vous avez écrit dans ce
chapitre. Il n'a cessé de vous haïr, et il a fait tous ses efforts pour vous
empêcher d'écrire ma vie, comme vous avez eu lieu de vous en apercevoir depuis
que vous l'avez commencée. Mais il est maintenant dans une plus grande colère,
parce que vous avez découvert l'humiliation qu'il a reçue à la
218
mort
de mon très-saint Fils, l'abattement auquel il fut
réduit, et le plan qu'il a dressé avec ses démons pour se venger de sa ruine
sur les enfants d'Adam, et particulièrement sur ceux de la sainte Église. Tout
cela le met dans un nouveau trouble, et il frémit de voir que l'on étale ses
misères devant ceux qui les ignoraient. Vous sentirez cette colère par les
persécutions et les tentations qu'il vous suscitera; car vous avez déjà
commencé, à éprouver la cruauté de cet ennemi, et je vous en avertis afin que
vous soyez bien sur vos gardes.
1434. Vous ôtes surprise,
et c'est avec raison, d'avoir connu d'un côté l'efficacité des mérites de mon
Fils pour la rédemption du genre humain, et la ruine et l'impuissance à
laquelle il réduisit les démons, et de les voir d'un autre côté exercer avec
audace un si grand empire dans le monde. Les lumières que vous avez reçues
pour écrire cette histoire suffiraient pour vous tirer de cet étonnement; je
veux néanmoins vous donner de nouveaux éclaircissements afin que vous
redoubliez de précautions contre des ennemis si pleins de malice. Il est
certain que quand ils connurent le mystère de l'Incarnation et de la
Rédemption, qu'ils virent mon très-saint Fils
naître dans la pauvreté et vivre dans les humiliations et dans les mépris,
quand ensuite ils eurent pénétré les secrets de sa vie, de ses miracles, de sa
Passion, de sa mort mystérieuse et de toutes les autres choses qu'il fit dans
le monde polir gagner les coeurs des hommes, Lucifer et ses démons se
trouvèrent sans
219
aucune
force pour tenter les fidèles comme ils avaient accoutumé de tenter les
autres, et selon le souhait qu'ils en avaient toujours. Ce découragement des
démons et la peur que leur inspiraient ceux qui étaient baptisés et qui
suivaient notre Seigneur Jésus-Christ, durèrent plusieurs années dans la
primitive Église; car le zèle avec lequel ils l'imitaient, la ferveur avec
laquelle ils professaient sa sainte foi, embrassaient la doctrine de
l'Évangile, et pratiquaient toutes les vertus par les actes les plus héroïques
d'amour, d'humilité, de patience et de mépris des vanités du monde, faisait
resplendir en eux la vertu divine à un point tel, que des milliers d'entre eux
répandaient leur sang et sacrifiaient leur vie pour notre Seigneur
Jésus-Christ, opérant les choses les plus merveilleuses et les plus
excellentes pour la gloire de son saint nom. Cette force invincible leur
venait de ce que la Passion, la mort de leur Rédempteur et le prodigieux
exemple de sa patience et de son humilité, frappaient encore leurs yeux de
près, et de ce qu'ils étaient moins vivement attaqués par les démons, qui ne
pouvaient se relever du profond abattement dans lequel le triomphe da divin
Crucifié les plongea.
1435. Les démons
craignaient tant cette vive image et l'imitation de Jésus-Christ qu'ils
reconnaissaient chez les premiers enfants de l'Église, qu'ils n'osaient s'en
approcher et fuyaient même leur rencontre, ainsi qu'il leur arrivait à l'égard
des apôtres et des autres justes qui furent assez heureux que de recevoir la
doctrine de mon très-saint Fils pendant
220
qu'il
vivait sur la terre. Ils offraient au Très-Haut dans leurs oeuvres
très-parfaites les prémices de la grâce et de la
rédemption. La même chose aurait continué à se produire jusqu'à présent,
témoin les saints, si tous les catholiques eussent profité de la grâce par une
coopération fidèle, et eussent suivi le chemin de la croix, comme Lucifer le
craignait et comme vous l'avez expliqué. Mais peu à peu la charité, la
ferveur, la dévotion se sont refroidies en beaucoup de fidèles qui ont suivi
les inclinations et les désirs de la chair, aimé la vanité et les biens de la
terre, et se sont laissé tromper par les illusions de Lucifer; de sorte qu'ils
ont terni dans leur âme la gloire du Seigneur, en se livrant à ses plus grands
ennemis. Voilà l'ingratitude monstrueuse qui a conduit le monde au déplorable
état où il se trouve, et permis aux démons d'élever leur, orgueil contre Dieu,
présumant d'assujettir tous les enfants d'Adam, grâce à la coupable
indifférence des catholiques. Leur audace s'en est accrue à ce point, qu’ils
ont entrepris de détruire toute l'Église en portant un si grand nombre de
personnes à ne la point reconnaître, et ceux qui vivent dans son sein à la
mésestimer, ou à ne point se prévaloir du prix du sang et de la mort de leur
Rédempteur. Mais ce qui est le plus désolant, c'est que la plupart des
catholiques ne parviennent point à connaître le mal et ne se soucient pas du
remède; et pourtant ils ont sujet de croire qu'ils sont arrivés aux temps
calamiteux dont mon très-saint Fils avait menacé
le monde lorsqu'il dit, en s'adressant aux filles de Jérusalem, que les femmes
221
stériles
seraient alors bienheureuses, et que les hommes demanderaient que les
montagnes et les collines tombent sur eux pour les cacher, afin de ne point
voir l'incendie allumé par tant de péchés énormes, sous les pieds des enfants
de perdition qui y seront consumés comme des sarments desséchés et stériles
(1). Vous vivez, ma fille, dans ce siècle malheureux, et afin que vous ne
soyez pas entraînée dans la perte de tant d'âmes, pleurez-la amèrement, et
n'oubliez jamais les mystères de l'Incarnation, de la Passion et de la mort de
mon très-saint Fils; car je veux que vous en
témoigniez une juste reconnaissance pour beaucoup de personnes qui les
méprisent. Je vous assure que ce seul souvenir remplit les démons de terreur,
et leur fait fuir ceux qui méditent avec reconnaissance la vie et les mystères
de mon très-saint Fils.
(1) Luc., XXIII, 28.
222
CHAPITRE XXIV. Le coup de lance donné au côté de Jésus-Christ après sa mort. —
La descente de la croix et sa sépulture, et ce que fit la bienheureuse Vierge
dans ces circonstances jusqu'à son retour au cénacle.
1436. L'évangéliste saint
Jean dit que la bienheureuse Marie, Mère de Jésus, était auprès de la croix,
accompagnée de Marie Cléophas et de Marie
Madeleine (1). Et quoiqu'il rapporte cela avant que notre Sauveur eût expiré,
on doit entendre que notre invincible Reine y resta encore après, et qu'elle
s'y tint toujours debout, adorant son bien-aimé Jésus, mort sur cet arbre de
vie, ainsi que la Divinité, qui était toujours unie au corps sacré de notre
Rédempteur. Notre auguste Princesse était d'une constance inébranlable dans
ses sublimes vertus, immobile au milieu des flots impétueux des douleurs qui
pénétraient jusqu'au fond de son coeur ; et avec sa science éminente elle
repassait en son esprit les mystères de la Rédemption, admirant l'harmonie
avec laquelle la divine Sagesse les disposait. La plus grande affliction de
cette Mère de miséricorde était l'ingratitude
(1) Joan., XIX, 25.
223
par
laquelle elle prévoyait que les hommes répondraient à un bienfait si rare et
si digne d'une reconnaissance éternelle. Elle se demandait aussi avec
inquiétude comment elle donnerait la sépulture au corps sacré de son très
saint Fils, et qui le lui descendrait de la croix sur laquelle elle avait
continuellement les yeux élevés. Dans ce pénible embarras, elle s'adressa en
ces ternies aux anges qui l'assistaient: « Ministres du Très-Haut
, mes amis dans la tribulation, vous savez qu'il n'y a point de douleur
égale à la mienne ; dites-moi comment je descendrai de la croix mon bien-aimé.
Où pourrai-je lui donner une sépulture honorable? car
ce soin me regarde comme Mère. Dites-moi ce que je dois faire, et aidez-moi
dans cette triste occasion. »
1417. Les saints anges lui
répondirent.: « Reine et Maîtresse de l'univers,
préparez votre mur à ce qu'il lui reste à souffrir encore. Le Très-Haut a
caché sa gloire et sa puissance aux mortels, pour se soumettre aux
dispositions impies et cruelles des méchants; et il continue à vouloir que
l'on accomplisse à son égard les lois établies par les hommes ; or, une de ces
lois porte que les condamnés à mort ne doivent pas être ôtés de la croix sans
la permission du juge lui-même. Nous nous
empresserions de vous obéir et de défendre notre Dieu et notre Créateur
véritable : mais son bras nous arrête, parce qu'il veut en tout justifier sa
cause, et verser encore en faveur des hommes le peu de sang qui lui reste,
afin de les obliger d'autant
224
plus à
répondre à son amour, qui les a rachetés avec tant d'abondance (1). Et s'ils
ne profitent pas de ce bienfait, leur punition sera effroyable; et
plus le Seigneur aura tardé à se venger, plus la vengeance sera
rigoureuse.» Cette réponse des anges augmenta la douleur de la Mère affligée;
car il ne lui avait pas été révélé que son très-saint
Fils dût encore être percé d'un coup de lance; aussi, fut-elle saisie d'une
nouvelle tristesse, dans l'incertitude de ce qui arriverait au corps sacré du,
Sauveur.
1438. Bientôt elle vit une
troupe de gens armés qui venaient au Calvaire; et craignant qu'ils ne cour
missent quelque nouvel attentat contre notre Rédempteur, qui avait déjà expiré
sur la croix , elle s'adressa à saint Jean et aux
Marie , et leur dit : « Hélas ! ma douleur est
arrivée à son comble ; j'en ai le coeur brisé. Les bourreaux et les Juifs ne
sont peut-être pas satisfaits d'avoir fait mourir, mon Fils et mon
Seigneur. Ils prétendent sans doute exercer quelque nouvelle cruauté sur son
sacré corps. » C'était la veille de la grande tète du Sabbat des Juifs; et
pour la célébrer sans préoccupation, ils avaient prié Pilate de leur permettre
de rompre les jambes aux trois crucifiés, pour hâter leur mort, et les
descendre ce même soir de leurs croix, afin qu'ils n'y parussent point le jour
suivant, qui leur était très-solennel (2). Cette
compagnie de
(4) Ps. CXXIX, 7. — (2) Joan., XIX, 31.
225
soldats
que vit la bienheureuse Vierge, arriva au Calvaire avec cette intention. Et
comme ils y trouvèrent les deux voleurs encore en vie, ils leur rompirent les
jambes, et les firent mourir dans ce dernier tourment (1). Mais, voyant que
notre Sauveur Jésus-Christ était déjà mort, ils se dispensèrent de lui rompre
les jambes (2), accomplissant par là la mystérieuse prophétie qui est contenue
dans l'Exode, où le Seigneur leur défendait de rompre les os de l'Agneau
figuratif qu'ils mangeaient le jour de Pàque (3).
Cependant un soldat appelé Longin s'approcha de notre Rédempteur, et lui
ouvrit le côté avec sa lance (4); et aussitôt il en sortit du sang et de
l'eau, comme l'assure saint Jean, qui, témoin du prodige, rendit témoignage à
la vérité (5).
1439. La bienheureuse Marie
sentit le coup de lance que le corps inanimé de Jésus ne pouvait sentir,
percée de la même douleur que si elle eût reçu la blessure. Mais cette douleur
qu'elle éprouva dans son corps céda à celle qui remplit son âme
très-sainte quand elle vit la cruauté inouïe avec
laquelle on ouvrit le côté à son adorable Fils après sa mort. Et touchée d'une
égale compassion, elle oublia ses propres maux pour dire à Longin : Que le
Tout-Puissant vous regarde avec des yeux de
miséricorde, pour la peine que vous avez causée à mon âme. Voilà jusqu'où
alla son indignation, ou, pour mieux dire,
(1) Joan., XIX, 32. — (2) Ibid., 33. — (3)
Exod., XII, 46. — (4) Joan.,
XIX, 34. — (5) Ibid., 35.
226
sa douce
clémence, pour l'enseignement de tous ceux qui auraient à se plaindre de
quelque offense. Car elle considérait que Jésus-Christ avait reçu après sa
mort une très-grande injure par ce coup de lance;
et cependant ce fut par le plus grand des bienfaits qu'elle paya de retour
celui qui la lui fit, puisqu'elle obtint que Dieu le regardât avec des yeux de
miséricorde, lui rendit le bien pour le mal, et le comblât de bénédictions et
de grâces. Il arriva donc que notre Sauveur, exauçant la prière de sa
très-sainte Mère, voulut que du sang et de l'eau
qui coulèrent de son divin côté, quelques gouttes rejaillissent sur le visage
de Longin, et par cette faveur il lui accorda la vue corporelle dont il était
presque privé, et éclaira cri même temps son âme, afin qu'il connût le
Crucifié qu'il avait inhumainement percé. Par cette connaissance, Longin se
convertit; et pleurant ses péchés , il les lava
dans le sang et l'eau qui s'échappèrent du côté de Jésus-Christ, qu'il
reconnut pour vrai Dieu et pour le Sauveur du monde. Et aussitôt il fit une
déclaration publique de ses sentiments devant les Juifs pour leur plus grande
confusion, et en témoignage de leur endurcissement et de leur perfidie.
1440. Notre
très-sage Reine pénétra le mystère du coup de
lance, et comprit que de ces dernières gouttes de sang et d'eau, qui
jaillirent du côté de son très-saint Fils, allait
sortir l'Église nouvelle, purifiée et rajeunie en vertu de sa Passion et de sa
mort , et que de son sacré coeur sortaient encore
227
comme de
leur racine les branches qui , chargées de fruits de la vie éternelle, se sont
étendues par tout le monde. Elle repassa en son esprit le mystère de ce rocher
frappé de la verge de la justice du Père éternel, afin qu'il en
jaillit de l'eau vive pour apaiser la soif de tout
le genre humain, et rafraîchir tous ceux qui en boiraient (1). Elle considéra
les relations qui se trouvaient entre ces cinq fontaines des pieds, des mains
et du côté, ouvertes dans le paradis nouveau de la
très-sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, et bien plus
abondantes, bien plus propres à fertiliser le monde que le fleuve du Paradis
terrestre, divisé en quatre canaux pour arroser la superficie de la terre (2).
Elle résuma ces mystères et plusieurs autres dans un cantique de louange
qu'elle fit à la gloire de son très-saint Fils,
après qu'il eut reçu le coup de lance: outre ce cantique, elle fit une
très-fervente prière, afin que tous ces mystères
fussent accomplis en faveur de tout le genre. humain.
1441. Le soir de ce jour de
la préparation était déjà fort avancé, et la tendre Mère ne savait pas encore
comment elle pourrait satisfaire son désir de donner la sépulture au corps de
son adorable Fils : car le Seigneur voulait adoucir les peines de sa
très-sainte Mère par les moyens particuliers que
sa divine Providence avait ménagés, en inspirant à Joseph d'Arimathie
et à Nicodème de demander la permission
(1) Exod., XVII, 6. — (2) Gen., II, 10.
229
d'enterrer
le corps de leur divin Maitre (1). Tous deux
étaient disciples du Seigneur, et justes, quoiqu'ils ne fussent point du
nombre des soixante-douze ; mais ils ne se déclaraient point ouvertement parce
qu'ils redoutaient les Juifs, qui regardaient comme suspects et même comme
ennemis tous ceux qui suivaient la doctrine de Jésus-Christ et le
reconnaissaient pour leur Maître. Le plan de la volonté divine relativement à
la sépulture qu'elle désirait procurer à son très-saint
Fils, n'avait point été communiqué à la très-prudente
Vierge : c'est pourquoi les difficultés qui se présentaient à son imagination
augmentaient le douloureux embarras d'où elle ne savait comment se tirer par
elle-même. Dans cette affliction elle leva les yeux vers le ciel, et dit : «
Père éternel, j'ai été, par votre bonté et votre sagesse infinie, élevée de la
poussière à la très-haute dignité de Mère de.
votre Fils éternel, et me comblant de vos dons avec une libéralité immense
comme votre Être, vous avez bien voulu que je le nourrisse de mon propre lait,
que je pourvusse à ses besoins, et que je l'accompagnasse jusqu'à la mort ; je
suis maintenant obligée en qualité de Mère de donner une sépulture honorable à
son sacré corps, et tout ce que je puis faire dans l'état où je me trouve,
c'est de la lui souhaiter, et de m'affliger de ce que je n'ai pas le moyen
d'accomplir mon désir. O mon Dieu, je supplie votre
(1) Joan., XIX, 38
229
Majesté de me le procurer par votre toute-puissance. »
1442. Telle est la prière
que fit la compatissante Mère après que le corps de Jésus eut reçu le coup de
lance. Un instant après elle vit venir vers le Calvaire une troupe de gens
avec des échelles et d'autres préparatifs, et elle put supposer qu'ils
venaient ôter de la croix son trésor inestimable ; mais comme elle ne
pénétrait point leurs intentions, elle entra dans de nouvelles alarmes à la
pensée de la cruauté des Juifs, et s'adressant à saint Jean, elle lui dit :
« Mon fils, quel serait le dessein de ces gens qui viennent avec tant de
préparatifs? » L'apôtre répondit : « Chère Dame, ne craignez point ; car ceux
que nous voyons venir sont Joseph et Nicodème accompagnés de leurs
domestiques; ce sont tous des amis et des serviteurs de votre
très-saint Fils mon Seigneur. » Joseph était juste
aux yeux de Dieu, estimé du peuple, d'une naissance illustre, et l'un des
magistrats de la ville (1); il siégeait donc ordinairement au conseil, comme
l'Évangile le fait entendre en disant que Joseph n'avait point adhéré aux
projets, ni connivé à la conduite des homicides de Jésus-Christ, qu'il
reconnaissait pour le Messie véritable (2). Et si Joseph ne s'était point
avant la mort du Sauveur déclaré ouvertement son disciple, alors du moins il
le lit avec éclat, l'efficace de la rédemption produisant des effets tout
nouveaux.
(1) Luc., XXIII, 50. — (4) Ibid., 51.
230
Chassant la crainte. qu'il avait auparavant de
l'envie des Juifs et du pouvoir des Romains, il s'en vint hardiment trouver
Pilate, et lui demanda le corps de Jésus (1), pour le descendre de la croix,
et lui donner une sépulture honorable ; attestant qu'il était innocent et le
vrai Fils de Dieu , et que cette vérité était établie par les miracles de sa
vie et de sa mort.
1443. Pilate n'osa point
refuser à Joseph ce qu'il demandait ; ainsi il lui permit de disposer du corps
de Jésus comme il jugerait à propos. Ayant reçu cette permission, il sortit de
la maison du juge et appela Nicodème, qui était aussi juste, et savant dans
les lettres divines et humaines, comme on le peut inférer de ce qui arriva
lorsqu'il alla, suivant le récit de saint Jean ,
trouver Jésus dans la nuit pour entendre sa doctrine (2). Ces deux saints
personnages prirent courageusement la résolution de donner la sépulture à
Jésus crucifié. Joseph prépara un linceul blanc pour l'envelopper (3), et
Nicodème acheta environ cent livres de parfums (4), dont les Juifs avaient
accoutumé de se servir pour embaumer les corps des personnes les plus
distinguées. Ils se, rendirent au Calvaire avec ces préparatifs et tous les
instruments nécessaires, accompagnés de leurs serviteurs et de plusieurs gens
pieux , en qui opérait aussi le sang du divin Crucifié, qui avait été répandu
pour tous.
(1) Marc., XV, 13. — (2) Joan., III, 2. — (3) Matth.,
XXVII, 39. — (4) Joan., XIX, 39.
231
1444. Ils arrivèrent en
présence de la bienheureuse Marie, qui se tenait plongée dans la plus profonde
douleur an pied de la croix, avec saint Jean et les Marie. Et au lieu de la
saluer, ils furent si touchés de ce triste spectacle, qu'ils restèrent quelque
temps prosternés aux pieds de notre auguste Reine, et les uns et les autres au
pied de la croix, sans pouvoir retenir leurs larmes ni proférer aucune parole.
Ils ne cessèrent de gémir et de sangloter que lorsque notre invincible
Princesse les releva de terre, les consola et les anima; et alors ils la
saluèrent avec une humble compassion. La très-prévoyante
Mère les remercia de leur piété et de l'hommage qu'ils rendaient à leur Dieu
et à leur Maître en donnant la sépulture à son très-saint
corps, et elle leur portait au nom du Seigneur la récompense de cette bonne
oeuvre. Joseph d'Arimathie dit à la bienheureuse
Vierge : « Chère Dame, nous sentons déjà au fond de nos coeurs la douce et
forte action de l'Esprit divin qui nous remplit de sentiments si
tendres, que nous ne saurions ni les mériter ni les exprimer. » Aussitôt
Joseph et Nicodème ayant quitté leurs manteaux ,
dressèrent eux-mêmes les échelles contre la croix, et y montèrent pour
détacher le corps du Sauveur; et comme la glorieuse Mère en était fort proche,
avec saint Jean et la Madeleine qui l’assistaient, Joseph craignit que la
douleur de la divine peine ne se renouvelât si elle voyait déclouer le sacré
corps, et si elle le touchait quand ils le descendraient. Il avertit donc
l'apôtre de l'entraîner
232
un peu à
l'écart, afin de lui épargner cette nouvelle affliction. Mais saint Jean, qui
connaissait mieux le coeur invincible de notre auguste Dame, lui répondit que
dès le commencement de la Passion elle s'était trouvée présente à toutes les
peines du Seigneur, et qu'elle ne le quitterait point jusqu'à la fin : parce
qu'elle le révérait comme son Dieu, et l'aimait comme le Fils de ses
entrailles.
1445. Ils la supplièrent
néanmoins de vouloir bien se retirer un peu pendant qu'ils descendraient de la
croix le corps de leur Maître. Mais la bienheureuse Vierge leur répondit : «
Chers amis, puisque je me suis trouvée présente lorsqu'on a cloué mon
très saint Fils sur la croix, permettez que je le sois quand on l'en
détachera; car quoique une chose si touchante doive de nouveau me
déchirer le coeur, plus je la verrai de près, plus elle adoucira mes
peines. » En conséquence de cette réponse, ils se disposèrent à descendre le
corps du Sauveur. Ils commencèrent par lui ôter la couronne d'épines, et
découvrirent par là les profondes blessures qu'elles avaient faites à son chef
sacré. Ils la descendirent avec beaucoup de vénération et de larmes, et la
mirent entre les mains de sa très-douce Mère. Elle
la reçut à genoux, et l'adora avec une dévotion admirable, la baisant et
l'arrosant de ses larmes; et elle la pressa si fort de ses lèvres, que
quelques pointes y pénétrèrent. Elle pria le Père éternel de faire que ces
épines, consacrées par le sang de son Fils, fussent tenues en grande
vénération par les fidèles qui
233
auraient
plus tard le bonheur d'en être dépositaires.
1446. Puis, à l'exemple de
la divine Mère, saint .Jean, la Madeleine, les Marie et d'autres femmes
dévotes, et quelques fidèles qui se trouvaient là, adorèrent cette sainte
couronne, ainsi que les clous que la bienheureuse Vierge avait également reçus
et adorés la première. Quand on descendit le corps de notre adorable Sauveur,
sa très-sainte Mère voulant le recevoir se mit à
genoux et étendit ses bras avec le linceul déplié; saint Jean était du côté de
la tête, et la Madeleine du côté des pieds pour aider Joseph et Nicodème, et
tous ensemble, les yeux baignés de larmes, le remirent avec le plus grand
respect entre les bras de la plus tendre des mères. En ce moment elle se
sentit également pénétrée de compassion et de joie; car la vue de ce Fils, le
plus beau des enfants des hommes (1), alors couvert de plaies et défiguré,
renouvela toutes les douleurs de son âme; mais si en le tenant dans ses bras,
en le pressant contre son sein, elle souffrait quelque chose d'inexprimable,
elle goûtait en même temps, par la possession de son trésor, des consolations
et des douceurs qui satisfaisaient l'ardeur de son amour. Elle lui rendit le
culte de la plus humble adoration en versant des larmes de sang. Après qu'elle
l'eut adoré, tous les anges qui l'accompagnaient l'adorèrent aussi, sans
toutefois que les assistants s'en aperçussent. Saint Jean à son tour adora le
corps sacré de notre Rédempteur, et après lui tous les
(1) Ps. XLIV, 3.
234
autres
l'adorèrent, chacun selon son rang. Pendant cette adoration la
très-prudente Mère le tenait entre ses bras,
assise par terre.
1447. Notre grande Reine
agissait dans toutes ces circonstances avec tant de sagesse et de prudence,
qu'elle était l'admiration des hommes et des anges; car ses discours toujours
mesurés , étaient à la fois pleins d'une douce
tendresse et d'une vive compassion pour ce divin objet, naguère si beau (1),
de plaintes amoureuses et du sens le plus mystérieux. Elle appréciait la perte
qu'elle venait de faire au de-là de toutes celles qui peuvent affliger les
mortels. Elle attendrissait les coeurs et éclairait les âmes pour leur faire
connaître le mystère qu'elle repassait en son esprit. Enfin elle présentait
dans toute sa personne le modèle de la plus haute perfection; on y découvrait
une humble majesté, et la sérénité de son visage n'était point altérée par
l'indicible tristesse de son coeur. Calme au milieu de cette lutte de
sentiments si divers, elle parlait à son bien-aimé Fils, au Père éternel, aux
anges, aux assistants, et à tout le genre humain, pour la rédemption duquel
Jésus avait bien voulu souffrir et mourir. Je n'entrerai pas dans de plus
longs détails sur les actions et les discours de notre auguste Princesse dans
ce cas; la piété chrétienne trouvera assez de matière pour s'y étendre, et il
m'est d'ailleurs impossible de m'arrêter à chacun de ces vénérables mystères.
(1) Ps., XLIV, 3.
235
1448. Après que la Mère de
douleurs eut gardé quelque temps le corps de son adorable Fils sur ses genoux,
saint Jean et Joseph la supplièrent de leur
permettre de l'ensevelir, parce qu'il était déjà fort lard. La
très-prudente Mère le leur permit, et le corps du
Sauveur fut embaumé sur le même linceul dont cous avons parlé, et avec les
aromates et les parfums que Nicodème avait achetés, et qui servirent tous à
leur destination (1). On le mit ensuite dans un cercueil pour le porter au
sépulcre. Notre auguste Princesse, qui était
très-attentive à tout, convoqua un grand nombre d'anges du ciel, afin
qu'ils assistassent avec ceux de sa garde à la sépulture du corps de leur
Créateur, et ils descendirent à l'instant sous des
formes humaines, invisibles toutefois pour tous, excepté pour leur Reine. Une
procession eut lieu, où se trouvaient les anges et les hommes : saint Jean,
Joseph, Nicodème, et le centenier qui assista à la mort du Sauveur, et qui le
reconnut pour le vrai Fils de Dieu, furent les quatre qui portèrent le sacré
corps. La divine Mère les suivait, accompagnée de Madeleine, des Marie et de
quelques autres femmes dévotes ses disciples. A elles se joignirent beaucoup
de fidèles qui, éclairés de la divine lumière, vinrent au Calvaire après le
coup de lance. Tous se dirigèrent dans cet ordre, au milieu d'un profond
silence et versant des larmes, vers un jardin qui était proche,et
dans lequel Joseph avait un sépulcre neuf où l'on n'avait
(1) Joan., XIX, 40.
236
encore
mis personne (1). Ils déposèrent dans ce sépulcre béni le sacré corps de
Jésus. Et avant qu'on le fermât, sa très-sainte
Mère l'adora de nouveau. Après qu'elle lui eut rendu ce culte, les anges et
les hommes adorèrent aussi leur Seigneur, puis l'on ferma le sépulcre avec une
pierre qui était fort grande, comme le rapporte l'évangéliste (2).
1449. Aussitôt que le
sépulcre de Jésus-Christ fut fermé, ceux qui s'étaient ouverts au moment de sa
mort se fermèrent de nouveau, jusque-là ils s'étaient (mystère qui n'était pas
le seul que renfermât ce prodige) pour ainsi dire tenus prêts à recevoir, par
un heureux sort, le corps de leur Créateur incarné; ils ne pouvaient lui
offrir que cet asile, lorsque les Juifs n'avaient point voulu, malgré ses
bienfaits, le recevoir pendant sa vie. Plusieurs anges demeurèrent pour garder
le sépulcre, par ordre de leur Reine, qui y laissait son trésor. Tous ceux qui
avaient assisté à la sépulture du corps sacré du Sauveur, revinrent su
Calvaire dans le même silence et le même ordre qu'ils avaient gardé en le
quittant. La Maîtresse des vertus s'approcha de la sainte croix et l'adora
avec une tendre dévotion. Saint Jean, Joseph et tous ceux qui s'étaient
trouvés aux funérailles, lui rendirent ensuite le même culte. Le soleil
s'était déjà couché , et notre auguste Princesse
partit du Calvaire pour s'en retourner au cénacle, où ce saint cortège la
suivit. Elle y entra avec saint Jean, les Marie et leurs compagnes; les
(1) Joan., XIX, 41. — (2) Matth., XXVII, 60.
237
autres
prirent congé d'elle après lui avoir demandé sa bénédiction avec beaucoup de
larmes. La très-humble et
très-prudente Dame les remercia du service qu'ils avaient rendu à son
très-saint Fils, et de la consolation qu'elle en
avait reçue, puis elle les renvoya comblés de bienfaits intérieurs, et tout
attendris de sa douceur admirable et de sa profonde humilité.
1450. Les Juifs, confondus
et troublés par ce qui se passait, allèrent chez Pilate le samedi matin (1),
pour le prier de faire garder le sépulcre, disant que Jésus-Christ (qu'ils
appelèrent ce séducteur) avait dit qu'il ressusciterait après trois jours, et
que ses disciples pourraient bien dérober le corps et dire qu'il serait
ressuscité. Pilate acquiesça à cette malicieuse prévoyance, il leur accorda
les gardes qu'ils demandaient, et ils les mirent au sépulcre (2). Mais les
perfides Juifs ne prétendaient qu'obscurcir l'événement qu'ils
craignaient , comme on le découvrit depuis quand
ils subornèrent les gardes pour leur faire dire que notre Seigneur
Jésus-Christ n'était point ressuscité, mais que ses disciples l'avaient enlevé
(3). Et comme il n'y a point de conseil contre le Seigneur (4), toutes ces
précautions ne servirent qu'à mieux établir et divulguer la résurrection.
(1) Matth., XXVII, 62. — (2) Ibid., 65. —
(3) Matth., XXVIII, 13. — (4)
Prov., XXI, 30.
238
Instruction que j'ai reçue de notre auguste Maîtresse.
1451. Ma fille, le coup de
lance que mon très-saint Fils reçut dans son sacré
côté ne fut douloureux que pour moi; mais ses effets et ses mystères sont
très-doux pour les âmes saintes qui en savent
goûter la douceur. J'en fus fort affligée, mais cette faveur mystérieuse est
d'une grande consolation pool, ceux qui en ont profité. Pour apprendre à y
participer, vous devez considérer que mon Fils et mon Seigneur voulut, par le
très-ardent amour qu’il a pour les hommes,
recevoir, outre les plaies des mains et des pieds, celle du côté, qui lui
ouvrit le coeur, siége de l'amour, afin que les âmes entrassent, en quelque
façon par cette porte pour goûter cet amolli en le puisant à sa propre source,
et que ce fût le lieu de leur refuge. Je veux que vous n'en ayez point d'autre
pendant votre exil, et. que vous y fassiez votre
demeure assurée tant que vous vivrez. C’est là où vous apprendrez les
conditions et les lois de l'amour clans lequel vous m'imiterez, et où vous
comprendrez que vous devez rendre des bénédictions pour les injures qui vous
seront faites, à vous ou à vos proches, volume vous avez vu que je le faisais
quand je fus moi-même percée du coup de lance que mon
très-saint Fils reçut au côté après sa mort. Je vous déclare, ma
très-chère fille, que vous ne sauriez rien faire
de plus utile et de plus efficace pour acquérir la grâce du Très-Haut que vous
souhaitez. Et la prière que
239
vous
ferez en pardonnant les injures sera extrêmement profitable,
non-seulement pour vous, mais encore pour ceux qui
vous auront offensée; car mon très-saint Fils est
tout touché quand il voit que les créatures l'imitent, en pardonnant à ceux
qui les outragent et en priant pour eux, parce qu'ainsi elles participent.
à la très-excellente
charité qu'il a fait éclater sur la croix. Gravez dans votre coeur cette
doctrine, et pratiquez-la pour m'imiter en la vertu que j'ai estimée le plus.
Regardez par cette plaie le coeur de Jésus-Christ votre
Époux , et considérez avec quelle tendresse, avec quelle générosité
j'ai aimé eu lui ses bourreaux et toutes les créatures.
1452. Méditez aussi sur la
providence admirable du Très-Haut, voyez combien elle est ponctuelle à
secourir à temps les créatures qui l'invoquent dans leurs besoins avec une
confiance véritable, comme sa divine Majesté le fit à mou égard, quand je me
trouvai si affligée à cause de l'impuissance où j'étais de donner la sépulture
à mon très-saint Fils, selon mou obligation. Le
Seigneur voulant me secourir dans cette nécessité, inspira à Joseph, à
Nicodème et aux autres fidèles qui vinrent ensevelir son corps, les sentiments
d'une pieuse charité. Et ces hommes justes me consolèrent tellement dans cette
pénible circonstance, que le Très-Haut ayant égard à cette bonne couvre et à
mes prières, les remplit d'ineffables influences de sa divinité; ils en furent
favorisés tout le temps qu'ils employèrent à descendre de la croix le corps du
Sauveur et à lui donner la sépulture; et dès lors ils furent
240
renouvelés
et éclairés pour pénétrer les mystères de fi rédemption. Tel est l'ordre
admirable que garde dans sa conduite la douce et forte Providence du Très-Haut
pour rendre certaines créatures dignes de récompense, elle en met d'autres
dans l'affliction ; elle excite la pitié des personnes qui peuvent venir en
aide aux nécessiteux, afin que leurs bienfaits et la prière des pauvres qui
les reçoivent, leur attirent la grâce qu'elles ne mériteraient point si elles
n'exerçaient ces oeuvres charitables. Et le Père des miséricordes, qui nous
inspire et nous facilite par ses secours la pratique d'une bonne oeuvre,
daigne accorder ensuite la récompense comme si elle nous était due en justice,
parce que nous répondons à ses inspirations par la faible coopération que nous
apportons de notre côté , quoique tout le bien qui
se trouve en ce que nous faisons vienne de sa main libérale (1).
1453. Considérez aussi
l'ordre très-équitable de cette Providence en la
justice qu'elle exerce, réparant les outrages que l'on reçoit avec patience.
Ainsi, mon très-saint Fils ayant souffert une mort
pleine d'opprobres , le Très-Haut ordonna aussitôt
qu'il fût enseveli avec honneur, et suscita une foule de personnes qui le
reconnurent pour le vrai Dieu et le Rédempteur véritable, et qui déclarèrent
ouvertement qu'il était saint, innocent et juste; et il fit qu'au moment même
où ses bourreaux venaient de le crucifier avec tant d'ignominie, il fût adoré
comme le, vrai Fils de
(1) Jacob., I, 17.
241
Dieu ;
et que ses propres ennemis confondus sentissent intérieurement l'horreur du
crime qu'ils avaient commis en le persécutant. Quoiqu'ils n'aient pas tous
profité de sa bonté, ces bienfaits n'en furent pas moins des effets de
l'innocence et de la mort du Seigneur. Je contribuai aussi par mes.
prières à le faire connaître et révérer des secrets
serviteurs qu'il s'était choisis.
CHAPITRE XXV. Comment notre auguste Reine consola saint Pierre et les autres
apôtres. — La prudence avec laquelle elle agit après la sépulture de son fils.
— Comment elle vit descendre son âme
très-sainte
dans les limbes des saints Pères.
1454. La plénitude de la
sagesse qui éclairait l'entendement de la bienheureuse Marie, la rendait
attentive à tout ; de sorte que, même au milieu de ses douleurs, elle-
prévoyait et ordonnait toujours ce qu'il fallait faire selon les temps et les
circonstances, sans oublier ni négliger quoi que ce fût. Et par cette prudence
céleste elle pratiquait ce que toutes les vertus ont de plus saint et de plus
parfait. Après les funérailles de notre Seigneur Jésus-Christ
, elle se retira, comme on l'a vu plus haut, dans la maison du Cénacle.
Et se trouvant dans. la salle où les cènes furent
célébrées,
242
avec
saint Jean, les Marie et quelques autres saintes femmes qui avaient suivi le
Seigneur depuis soli départ de la Galilée, elle s'adressa à elles et à
l'apôtre, et les remercia avec une profonde humilité et avec beaucoup de
larmes, de la fidélité avec laquelle elles l'avaient accompagnée durant toute
la Passion de son bien-aimé Fils; elle leur promit en son nom la récompense de
leur constante piété et de leur sainte affection , et s'offrit encore à être
leur servante et leur amie. Saint Jean et ces saintes femmes lui rendirent des
actions de grâces pour cette grande faveur, lui baisèrent les mains et lui
demandèrent sa bénédiction. Ils la prièrent aussi de reposer un peu et de
prendre quelque nourriture. Mais notre auguste Reine leur répondit : Tout mon
repos et toute ma nourriture consistent à voir mon Fils et mon Seigneur
ressuscité. Satisfaites, vous autres, vos besoins comme il convient, pendant
que je me retirerai auprès de mon Fils.
1455. Elle alla aussitôt
dans sa retraite accompagnée de saint Jean, et s'y trouvant seule avec lui,
elle se mit à genoux et lui dit : « Il ne faut pas que vous oubliiez les
paroles que mon très-saint Fils nous a adressées
du haut de la croix. Il a bien voulu, par sa divine bonté, vous désigner pour
mon fils, et moi pour votre mère. Vous êtes prêtre du Très-Haut, et à raison
de votre éminente dignité, il est juste que je vous obéisse dans toute ma
conduite ; c'est pourquoi je veux que dès maintenant vous me prescriviez ce
que je devrai faire : car
243
j'ai
toujours été servante, et toute ma joie consiste à obéir jusqu'à la
mort. » Ce disant, notre auguste princesse versa beaucoup de larmes. Et
l'apôtre, sans pouvoir retenir les siennes, lui répondit : « Chère Dame,
Mère de mon Rédempteur, c'est moi qui dois vous être soumis; car le nom de
fils ne marque aucune autorité, mais plutôt l'obligation rigoureuse
d'obéir à sa mère ; et Celui qui m'a fait prêtre vous a choisie pour être sa
Mère, et s'est soumis à votre volonté (1), quoiqu'il fût le Créateur de
l'univers. Il est bien juste que je vous obéisse aussi, et que je fasse tous
mes efforts pour remplir dignement la charge qu'il m'a confiée de vous servir
comme fils ; et pour m'acquitter de mes devoirs en cette qualité, je voudrais
être plus ange qu'homme. » Cette réponse de l'apôtre fut
très-sage, mais elle ne fut pas assez convaincante pour vaincre
l'humilité de la Mère des vertus, qui repartit humblement : « Mon fils Jean,
toute ma satisfaction sera de vous obéir comme au chef ,
puisque vous l'êtes. Dans cette vie passagère, je dois toujours avoir un
supérieur auquel et ma volonté et mes sentiments soient soumis : c'est pour
cela que vous êtes ministre du Très-Haut, et, comme fils, vous me devez cette
consolation dans ma pénible solitude. » Saint Jean répondit : « Ma Mère, que
votre volonté soit faite, car en elle je trouverai toute ma sûreté. » Et sans
plus de réplique,
(1) Luc., II, 51.
244
la
divine Mère lui demanda la permission de demeurer seule dans la méditation des
mystères' de son très-saint Fils, et le pria
d'aller chercher quelque nourriture pour les femmes qui l'accompagnaient, de
les assister et de les consoler. Elle en excepta seulement les Marie, parce
qu'elles désiraient persévérer dans le jeûne jusqu'à ce quelles eussent vu le
Seigneur ressuscité, et elle recommanda à saint Jean de leur laisser
satisfaire leur dévotion.
1456. Saint Jean alla
consoler les Marie, et exécuta l'ordre que la Reine du ciel lui avait donné.
Et après qu'il eut pourvu aux besoins de ces pieuses femmes, elles se.
retirèrent, et consacrèrent cette nuit à de
douloureuses méditations sur la Passion et sur les mystères du, Sauveur. La
bienheureuse Marie agissait avec cette prudence divine, pratiquant
l'obéissance, l'humilité, la charité, et prévoyant tout ce qui était
nécessaire avec une ponctualité, merveilleuse, quoiqu'elle fût plongée dans la
plus amère désolation. Elle prit soin de ses pieuses disciples sans s'oublier
elle-même , et sans négliger ce qui regardait sa
plus grande perfection. Tout en approuvant l'abstinence de Marie comme étant
plus fortes et plus ferventes en amour, elle prévint les besoins de celles qui
étaient plus faibles. Elle avertit l'apôtre de ce qu'il devait faire à son
égard, et se. montra en tout la Maîtresse de la
perfection et la Reine de la grâce. Telle fut sa conduite au moment où les
eaux de la tribulation étaient débordées sur son âme (1).
(1) Ps. LXVIII, 1.
Car,
une, fois seule dans sa retraite, elle donna libre cours aux sentiments
douloureux qui agitaient tout son être, et,laissa ses puissances intérieures
et extérieures s'abîmer dans l'amertume de son coeur, se représentant les
images de tous les mystères de la mort ignominieuse de son
très-saint Fils; de ceux de sa vie, de sa
prédication et de ses miracles, du prix infini de la rédemption des hommes, de
l'Église nouvelle qu'il avait établie, ornée d'une merveilleuse beauté;
enrichie de ses sacrements et de tous les trésors de sa grâce, du bonheur
incompréhensible de tout le genre humain, racheté avec tant d'abondance et de
gloire, de la félicité certaine réservée aux prédestinés, et de la perte
effroyable des réprouvés, qui se rendraient volontairement indignes de la
gloire éternelle que son Fils leur avait méritée.
1457. L'auguste Vierge
passa toute la nuit dans la considération de ces sublimes mystères„ pleurant
et gémissant, louant et glorifiant les oeuvres de son Fils, sa Passion, ses
jugements impénétrables, et d'autres ineffables secrets de la divine sagesse
et de la providence du Seigneur ; elle les repassait tous dans son esprit, et
les pénétrait comme l'unique Mère de la véritable sagesse ; s'entretenant
tantôt avec les saints anges, et tantôt avec le Seigneur lui-même, de ce que
sa divine lumière. lui en faisait connaître
intérieurement: Le samedi matin, un peu après quatre heures, saint Jean alla
voir la Mère affligée avec le désir de la consoler. Et s'étant mise
246
à
genoux, elle le pria de lui donner sa bénédiction comme prêtre et comme son
supérieur. Le nouveau fils la lui demanda à son tour avec beaucoup de larmes,
et ils se la donnèrent réciproquement. Notre grande Reine l'engagea à
parcourir immédiatement la ville, où il ne tarderait pas à rencontrer saint
Pierre, qui venait la chercher ; elle lui dit de l’accueillir avec cordialité,
de le consoler et de le mener en sa présence; et d'en faire de même à l'égard
des autres apôtres qu'il rencontrerait, leur donnant l'espérance du
pardon , et leur promettant son amitié. Saint Jean
sortit du Cénacle, et quelques instants après il rencontra saint Pierre tout
confus et tout baigné de larmes, qui se rendait en tremblant auprès de notre
auguste Reine. Il venait de la grotte, où il avait pleuré son renoncement ;
l'évangéliste le consola, et l'encouragea par la promesse qu'il lui fit de la
part de la divine Mère. Ils cherchèrent tous deux les autres apôtres: ils en
trouvèrent quelques-uns, et ils allèrent ensemble au Cénacle, où était leur
véritable remède. Pierre se présenta tout seul le premier à la Mère de la
grâce, et se jetant à ses pieds, il dit, le coeur pénétré d'une profonde
douleur : « J'ai péché, Vierge sainte, j'ai péché devant mon Dieu, j'ai
offensé mon Maître, et vous aussi. s Il ne lui fut
pas possible d'en dire davantage, tant il était suffoqué par les soupirs, par
les larmes, et par les sanglots que lui arrachait le souvenir de son
infidélité.
1458. La bienheureuse Marie
voyant dans Pierre
247
prosterné
à la fois le pécheur repentant de sa faute récente et le chef de l'Église,
choisi de son très-saint Fils pour être son
vicaire, ne crut pas convenable de se prosterner elle-même aux pieds du
pasteur, qui avait si peu de temps auparavant renié son Maître; mais dans son
humilité, elle ne savait non plus se résoudre à ne point lui rendre l'hommage
qui était dû à sa dignité. Pour ne manquer ni à l’un ni à l'autre de ses
devoirs, elle jugea qu'elle pouvait l'honorer par un acte extérieur, en lui en
dissimulant le motif. Ainsi elle se mit à genou-, voulant lui témoigner son
respect; mais elle lui dit tut même temps , pour
cacher son intention : « Demandons pardon de votre péché à mon
Fils et votre Maître. » Elle pria Dieu et encouragea l'apôtre, le fortifiant
dans l'espérance, et lui représentant les miséricordes dont le Seigneur avait
usé envers les pécheurs convertis, et l'obligation qu'il avait, comme chef du
collège des apôtres, de confirmer les autres dans la foi par son exemple.
C'est par des exhortations semblables, toutes pleines de force et de douceur,
qu'elle affermit Pierre dans l'espérance du pardon. Les autres apôtres se
présentèrent à leur tour devant la très-pure
Marie, et se prosternant aussi à ses pieds, lui demandèrent.
pardon de la lâcheté avec laquelle ils avaient
abandonné son très-saint Fils dans sa Passion. Ils
pleurèrent amèrement leur péché, et la présente de la bienheureuse Vierge, qui
leur montrait une tendre compassion, augmentait la vivacité de leur repentir,
car il éclatait sur son visage une vertu
248
si
admirable, qu'elle produisait en eux de divins effets de contrition de leurs
péchés, et d'amour, pour. leur adorable Maître.
Notre auguste Princesse les releva et les encouragea, en leur promettant le
par-, don qu'ils souhaitaient, et son intercession pour le leur obtenir. Ils
commencèrent ensuite, chacun selon son rang, à lui raconter ce qui leur était
arrivé dans leur- fuite, comme si notre Reine en eût ignoré quelque chose.
Elle les écouta avec bonté, prenant occasion de ce qu'ils disaient pour leur
parier au tueur, les confirmer dans la foi de leur Rédempteur, et rallumer en
eux son divin amour. La très-pure Marie vint
efficacement à bout de tout cela, car ils la quittèrent animés de ferveur et
justifiés par de, nouveaux accroissements de grâce.
1459. La bienheureuse Mère
passa une partie du samedi dans ces saints entretiens. Et quand le soir vint,
elle se retira une seconde fois, laissant les, apôtres renouvelés en esprit,
pleins de consolation et de joie du Seigneur, mais toujours profondément
touchés de la Passion de. leur Maître. De son côté,
notre divine Reine s'appliqua à considérer ce que l'âme
très-sainte de son Fils faisait depuis qu'elle était sortie de son.
corps sacré. Elle sut alors que cette âme de
Jésus-Christ, unie à la Divinité, descendait dans les limbes des saints
patriarches, pour les tirer de cette prison souterraine, où ils étaient
retenus depuis le premier juste qui mourut dans le monde, attendant la venue
du Rédempteur universel des hommes. Pour exposer, ce mystère, qui est un
249
des
articles de la très-sainte humanité de, notre
Seigneur Jésus-Christ, il me paraît utile de donner ici les notions que j'ai
reçues sur les limbes, et sur leur situation. Or je dis que la terre a deux
mille cinq cent deux lieues de diamètre, passant par le centre d'une
superficie à l'autre; et jusqu'au demi diamètre, qui est le centre, il y en a
mille deux cent cinquante-une : et l'on doit
mesurer la circonférence de ce globe par rapport au diamètre. L'enfer des
damnés se trouve dans le centre comme dans le coeur de la terre; c'est un
abîme, une chaos qui contient plusieurs gouffres ténébreux, où les peines sont
différentes, mais toutes effroyables et terribles ; et tous ces gouffres
forment un globe, qui est lait à peu près comme un vase d'une dimension
immense, dont l'orifice est fort large. Les démons et tous les damnés étaient
dans cet horrible lieu de confusion et de tourments, et ils y seront pendant
toute l'éternité, tant que Dieu sera Dieu ; car dans l'enfer il n'y a point de
rédemption.
1460. A l'un des côtés de
l'enfer se trouve le purgatoire, où les âmes des justes se purifient, lorsque
pendant cette vie elles n'ont pas entièrement satisfait pour leurs péchés; et
quelles n'en sont pas, sorties assez pures pour pouvoir arriver aussitôt à la
vision béatifique. Cet antre est fort grand aussi, mais il l'est beaucoup
moins que l'enfer : et quoiqu'il y ait de grandes peines dans le purgatoire,
elles ne
(1) Matth., XXV, 41.
250
ressemblent
point à celles de l'enfer des damnés. A l'autre côté se trouvent les limbes,
qui sont divisés en deux parties. L'une est destinée aux enfants qui meurent
sans avoir reçu le baptême, avec le seul péché originel, et sans avoir
volontairement fait aucune couvre ni bonne ni mauvaise. L'autre était la
demeure des âmes des justes qui avaient déjà expié leurs péchés, mais qui ne
pouvaient entrer dans le ciel ni jouir de Dieu jusqu'à ce qu'eût eu lieu la
rédemption des hommes, et que notre Sauveur Jésus-Christ eût ouvert les portes
du paradis (1), que le péché d'Adam avait fermées. Cet antre des limbes est
aussi plus petit que l'enfer; ii n'a aucune
communication avec lui, et l'on n'y souffre point les peines du sens comme
dans le purgatoire; car les âmes y arrivent après avoir été purifiées de leurs
souillures dans le même purgatoire; elles n'étaient que privées, de la vision
béatifique, que soumises à la peine du dam ; c'est là que se trouvaient tous
ceux qui étaient morts en état de grâce, jusqu'à ce que le Sauveur mourût.
C'est là que descendit son âme très-sainte unie à
la Divinité, comme nous l'exprimons, quand nous disons qu'il est descendu aux
enfers, quoique les limbes et le purgatoire aient d'autres noms particuliers :
car ce nom d'enfer est généralement appliqué à tous ces lieux souterrains,
quoique communément parlant nous entendions par ce nom le lieu où se trouvent
les démons et les damnés, ainsi
251
que par
le, nom de ciel nous entendons ordinairement l'empyrée où sont les saints, et
où ils demeureront toujours, comme les damnés dans l'enfer. Après le jugement
universel il n'y aura que le ciel et l'enfer qui soient habités: en effet, le
purgatoire ne sera plus nécessaire, et les enfants sortiront aussi des limbes,
et passeront dans une autre demeure.
1461. L'âme
très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ arriva
aux limbes accompagnée d'une multitude innombrable
d'anges, qui célébraient les louanges de leur Roi victorieux et triomphant, et
lui rendaient honneur et gloire. Et pour représenter sa grandeur et sa
majesté, ils commandaient aux portes de cette ancienne prison de s'ouvrir,
afin de laisser entrer le Roi de- gloire et le Seigneur des armées, qui est
puissant dans les combats (1). En vertu de ce commandement quelques rochers du
chemin se brisèrent, quoique cela ne fût pas nécessaire pour l'entrée du Roi
et de sa milice céleste, qui n'était composée que d'esprits doués, d'une
merveilleuse subtilité. Far la présence de l'âme
très-sainte de notre Rédempteur, cet antre ténébreux fut changé en
ciel; il se trouva inondé des plus vives splendeurs; les âmes des justes qui y
étaient furent béatifiées par la claire vision de la Divinité, et dans un
instant elles passèrent de l'état d'une si longue attente à ta possession
éternelle de la gloire, et des ténèbres à la lumière inaccessible, dont elles
jouissent
(1) Ps. XXIII, 7 et 8.
262
maintenant.
Elles reconnurent leur vrai Dieu et leur Rédempteur véritable, lui rendirent
des actions de grâces, et le louèrent par de nouveaux cantiques, disant :
L'Agneau qui a été immolé est digne de recevoir la divinité, la puissance et
la force (1). Vous nous avez rachetés, Seigneur, par votre sang, de
toute tribu, de tout peuple et de toute nation: Vous avez fait que nous
soyons, un royaume poser notre Dieu, et nous régnerons (2). Seigneur,
la puissance, l'empire et ta gloire de vos oeuvres vous appartiennent. Au
même moment sa divine Majesté ordonna aux anges de tirer du purgatoire tontes
les armes qui y souffraient; et à l'instant elles furent menées en sa
présence. Et comme pour les prémices de la rédemption des hommes, elles furent
toutes délivrées par le Rédempteur lui-même des peinés qu'elles y devaient
souffrir encore, et furent glorifiées par la vision béatifique, comme les
autres âmes des justes. De sorte que, ce jour-là les deux prisons, les limbes
et le purgatoire, se trouvèrent désertes à la suite de la visite du souverain
Roi.
1462. Ce jour ne fut
terrible que pour l'enfer des damnés, car le Très-Haut fit que tous ces
malheureux connussent et sentissent la descente du Rédempteur dans les limbes,
et que les saints Pères et les justes connussent aussi la terreur que ce
mystère causait aux damnés et aux démons. Ceux-ci étaient atterrés, écrasés
sous le poids d'une oppression semblable à
(1) Apoc., V, 12. — (2) Ibid..
9.
253
celle
qu'ils avaient subie sur le Calvaire, comme je l'ai rapporté plus haut, et
lorsqu'ils entendirent (eu leur manière de parler et d'entendre) la voix des
anges qui allaient aux limbes devant leur Roi, ils furent saisis d'un nouveau
trouble et d'un nouvel effroi, et ils se cachaient dans les plus profondes
cavernes de l'enfer, comme des serpents que l'on poursuit. Les damnés furent
accablés d'un surcroît de confusion, reconnaissant avec un plus grand
désespoir l'erreur qui leur avait fait perdre le fruit de la rédemption dont
les justes avaient su profiter. Et comme Judas et le mauvais larron étaient
récemment arrivés dans l'enfer, on ils souffraient beaucoup plus que les
autres, leurs tourments s'accrurent encore en ce moment, car les démons
redoublèrent contre eux de fureur. Ces esprits rebelles résolurent, autant
qu'il dépendrait d'eux, de persécuter et de tourmenter davantage les chrétiens
qui feraient profession de la foi catholique, et de punir plus cruellement
ceux qui l'abjureraient ou qui transgresseraient la loi du Seigneur, parce
qu'ils jugeaient que ceux-là méritaient un châtiment plus rigoureux que les
infidèles à qui la foi n'aurait pas été annoncée.
1463. La grande Reine de
l'univers étant dans sa retraite, eut connaissance de tous ces mystères et de
plusieurs antres secrets que je ne puis déclarer. Et quoique cette vision
particulière excitât une joie ineffable dans la partie supérieure de son âme
où elle la recevait, cette joie ne se communiqua pas à ses sens corporels,
comme cela eût pu naturellement arriver. 254
Au
contraire, lorsque la bienheureuse. Vierge s'aperçut qu'elle commençait à
s'étendre jusqu'à la partie inférieure de son âme, elle pria le Père éternel
de suspendre cet écoulement, parce qu'elle ne voulait point jouir en son
corps, tant que celui de son très-saint Fils se
trouverait dans le sépulcre et ne serait point glorifié. La
très-prudente Mère témoigna par là le grand amour
qu'elle avait pour son adorable Fils, comme la plue vive et la plus parfaite
image de cette humanité déifiée; et c’est à cause de sa fidélité incomparable
qu'il lui fut donné de souffrir de mortelles angoisses dans son
corps , tandis que son âme surabondait de joie,
comme il arriva à notre Sauveur Jésus Christ. Durant cette vision elle fit des
cantiques de louanges, célébrant ce mystérieux triomphe, et glorifiant la
très-douce et très-sage
providence du Rédempteur, qui comme un Père plein de tendresse et comme un Roi
tout-puissant, voulut lui-même descendre pour prendre possession de ce nouveau
royaume que son l'ère lui avait remis, et voulut eu racheter les habitants par
sa présence, afin qu'ils commençassent, avant de le quitter, à jouir de la
récompense qu'il leur avait méritée. L'accomplissement de ces hauts desseins
et de plusieurs autres qui lui furent révélés la transportait d'allégresse, et
c'est pourquoi elle exaltait le nom du Seigneur comme Coadjutrice et comme
Mère de l'adorable Triomphateur.
255
Instruction que
j'ai reçue de la Reine du ciel.
1464. Ma fille, méditez les
enseignements que contient ce chapitre, ils vous sont directement applicables
et très-nécessaires dans l'état où vous a placée
le Très-Haut, et eu égard à ce qu'il demande de vous afin que vous
correspondiez à son amour. Or, ce qu'il demande de vous, c'est que parmi les
embarras des créatures, avait comme supérieure, soit comme inférieure, soit en
commandant, soit eu obéissant, vous ne perdiez jamais, malgré tontes les
occupations extérieures, la vue du Seigneur dans. la partie supérieure de
votre Ame, et que vous ne détourniez jamais vos regards de la lumière du
Saint-Esprit, qui vous assistera pour vous disposer à recevoir ses
continuelles communications; car mon très-saint
Fils veut trouver dans la solitude de votre coeur ces voies cachées au démon
et fermées aux passions, qui conduisent dans le sanctuaire où n'entre que le
souverain Prêtre (1), et où l'âme jouit des secrets et saints embrassements du
divin Époux , lorsque entièrement dégagée des choses terrestres, elle lui
prépare le lieu sacré de son repos. C'est là où vous trouverez votre Seigneur
favorable, le Très-Haut libéral, votre Créateur miséricordieux, votre
Rédempteur et votre Époux plein de douceur et d'amour; vous n'y craindrez
point la puissance
(I) Hebr., IX, 7.
256
des
ténèbres ; ni les effets du péché, quine pénètrent point jusqu'à cette région
de lumière et de vérité. Mais ce qui détruit ces voies divines, est l'amour
déréglé pour ce qui est visible, c'est la négligence à garder la loi du
Seigneur; ce qui suffit pour les obstruer, c'est le moindre désordre des
passions ou le plus petit soin inutile , c'est
surtout l'inquiétude de l'âme et le trouble intérieur; car pour y marcher, il
faut que le coeur soit pur et libre de ce qui n'est point vérité et lumière.
1465. Vous avez bien
compris et expérimenté cette doctrine, je n'ai cessé de vous la manifester
dans ma conduite comme dans un clair miroir. Vous avez su de quelle manière je
me suis comportée dans les douleurs et dans les afflictions de la Passion de
mon très-saint Fils; avec quel zèle je m'occupai
des apôtres et des préparatifs de la sépulture, comment j'assistai les saintes
femmes et comment j'agis tout le reste de ma vie, conciliant toujours ces
choses extérieures avec les opérations de pion cime, sans que les unes
empêchassent les autres. Or, pour m'imiter en cela, comme je veux que vous le
fassiez, il faut que ni la fréquentation inévitable des créatures, ni les
occupations de votre état, ni les peines de la vie passagère, ni les
tentations et la malice du démon puissent détourner votre attention et
troubler votre intérieur. Et je vous avertis, ma
très-chère fille, que si vous n'êtes
très-soigneuse sur cet article, vous perdrez beaucoup de temps, vous
vous priverez d'une infinité de faveurs extraordinaires, vous frustrerez les
très- hautes et
257
très-saintes
fins du Seigneur, et vous nous contristerez moi et les anges, car nous voulons
touque votre conversation soit avec nous ; vous perdrez aussi par cette
négligence la tranquillité de votre esprit, la consolation de votre âme,
plusieurs degrés de grâce, les accroissements de l'amour divin que vous
souhaitez, et enfin une très-grande récompense
dans le ciel. Vous voyez par là combien il vous importe d'être attentive à mes
avis, et de m'obéir en ce que je vous enseigne avec un amour maternel.
Faites-y réflexion, ma fille, et gravez dans votre coeur mes paroles, afin que
vous les mettiez en pratique par mon intercession et avec la grâce du
Très-Haut. Tâchez aussi de m'imiter eu la fidélité de l'amour avec lequel je
refusai, afin d'imiter mon adorable Maître, le soulagement que mes sens
corporels auraient pu recevoir, tout en le remerciant de son secours ainsi que
de la faveur qu'il fit aux justes des limbes, lorsque son âme très, sainte y
descendit pour les racheter et les combler de joie par sa présence; car toutes
ces merveilles furent les effets de son amour infini.
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