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Instruction que la Reine des anges m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges l'auguste Marie.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
Instruction que la très pure Marie m'a donnée.
486
plus
cruelles représailles; si, pour augmenter leurs biens périssables, ils
renversent tout l'ordre de la raisonet de l'amitié
fraternelle et naturelle; si pour un plaisir honteux ils oublient les peines
de l'enfer, et surtout s'ils méprisent les inspirations, les secours et les
avis que Dieu leur envoie afin qu'ils redoutent et évitent la perdition
éternelle, comment pourront-ils se plaindre de la clémence divine? Que les
mortels qui ont péché contre Dieu se détrompent donc enfin, et qu'ils sachent
que sans pénitence il n'y a point de grâce, que sans amendement il n'y a point
de rémission, et que, sans pardon il n'y a point de gloire. Hais comme la
grâce, la rémission et la gloire ne seront accordées à aucun indigne, elles ne
seront pas refusées non plus à celui qui en sera digne, car jamais la
miséricorde n'a manqué et ne manquera à celui qui s'efforce de l'obtenir.
95. Je
veux , ma fille, que vous tiriez de toutes ces vérités les instructions
salutaires qui vous conviennent. Le premier point pour vous sera d'être fort
attentive à la moindre inspiration sainte que vous aurez et au plus petit avis
qu'on vous donnera; vînt-il de la part du dernier des ministres du Seigneur ou
de n'importe quelle créature, vous devez prudemment considérer que cela
n'arrive point à votre connaissance par hasard et sans une disposition
particulière du Ciel, puisqu'il est certain que M 'providence du Très-Haut
ordonne tout pour votre bien; c'est pourquoi vous devez, en pareil cas,
accueillir cet avis avec une humble reconnaissance, et le méditer
487
en
vous-même afin de découvrir quelle vertu cette espèce d'aiguillon peut et doit
vous exciter à pratiquer, et afin d'agir ensuite d'après les lumières que vous
recevrez. La chose vous parût-elle de peu d'importance, ne la méprisez pas:
faites-la, au contraire, et ce sera une bonne oeuvre par laquelle voue vous
diapo serez à d'autres d'un plus grand mérite et d'une vertu plus éminente. La
seconde instruction que vous devez tirer, c'est de réfléchir au dommage que
cause dans les âmes le peu de cas qu'elles font des secours, des inspirations,
des vocations et de tant d'autres bienfaits du Seigneur; car l'ingratitude
dont elles se rendent coupables en ce point justifie la rigueur équitable avec
laquelle le Très-Haut laisse s'endurcir plusieurs pécheurs. Que si ce danger
est tant à craindre pour tous, combien plus ne le sera-t-il pas pour vous, si
vous ne profitez point de la grâce surabondante et des
faveur? inestimables dont vous a comblée la
clémence du Seigneur, préférablement à mille générations? Et comme mon
très-saint Fils ne vous prévient de ses bienfaits
que pour votre avancement et pour le profit des autres âmes, je veux en
dernier lieu que vous ayez, à mon exemple (tel que vous le connaissez), le
plus ardent désir d'aller en aide à tous les enfants de l'Église et à tous les
autres que, vous pourrez, suppliant le Très-Haut du fond de votre coeur de
regarder toutes les aimes avec des yeux de miséricorde et de les sauver. Et
afin qu'elles obtiennent ce bonheur, offrez-vous à souffrir pour elles si
c'est nécessaire, vous souvenant de ce qu'elles
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ont
coûté à mon Fils et à votre Époux, qui a versé son sang et.
donné sa vie pour les racheter, et des peines que
j'ai prises dans l'Église pour leur salut. Demandez continuellement à la
divine miséricorde le fruit de cette rédemption, et afin que vous ne
l'oubliiez pas, je vous en fais un commandement.
CHAPITRE VII. Les apôtres et les disciples s'assemblent pour résoudre quelques
doutes, notamment sur la forme du baptême. — On le donne aux nouveaux
catéchumènes. — Saint Pierre célèbre la première messe. — Conduite de la
bienheureuse Marie dans toutes ces circonstances.
96. Il n'est pas du sujet
de cette histoire d'y suivre l'ordre des actes des apôtres, tels: que les a
écrits saint Luc , et d'y rapporter tout ce que les
apôtres firent après la venue du Saint-Esprit; car quoiqu'il soit certain que
la grande Reine et Maîtresse de l'Église eut connaissance de tout ce qui se
passait, ils firent néanmoins en son absence plusieurs choses qu'il n'est pas
nécessaire de mentionner ici. Il serait d'ailleurs impossible d'indiquer la.
manière dont la bienheureuse Vierge concourait à
toutes les oeuvres des apôtres et des disciples et à chacun des événements
489
en
particulier, cela seul exigerait des volumes. Il suffît à mon sujet, et pour
l'enchaînement de cette histoire, de prendre uniquement ce qui est
indispensable du récit de l'.évangéliste dans les
Actes des apôtres, et l'on connaîtra ainsi en grande partie les choses qu'il a
omises sur notre auguste Reine, parce qu'elles n'entraient pas dans son
plan , et qu'il n'était pas même convenable de les
écrire alors.
97. Or, à mesure que les
apôtres continuaient leurs prédications et les merveilles qu'ils opéraient
dans Jérusalem, le nombre des fidèles croissait aussi; de sorte que dans les
sept jours qui suivirent la venue du Saint-Esprit, il y en eut jusqu'à cinq
mille , comme le dit saint Luc dans le chapitre
quatrième (1). On les catéchisait tous pour les préparer au baptême, et les
disciples surtout s'en occupaient avec zèle, parce que les apôtres prêchaient
et avaient quelques controverses avec les pharisiens et les sadducéens. Le
septième jour, la Reine des anges, retirée dans son oratoire, et considérant
l'accroissement de ce petit troupeau de son très-saint
Fils, redoubla ses prières et le présenta à sa divine Majesté, la suppliant
d'éclairer ses ministres les apôtres, afin qu'ils se missent à régler le
gouvernement, et prissent les mesures nécessaires pour la plus parfaite
direction de ces nouveaux enfants de la foi. Et se prosternant elle adora le
Seigneur et lui dit : « Dieu éternel, ce chétif vermisseau vous loue et vous
glorifie de l'amour immense
(1) Act., IV, 4.
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que vous
avez pour le genre humain, et de ce que vous manifestez si généreusement
votre miséricorde paternelle, appelant tant d'hommes à la connaissance
et à la foi de votre très-saint Fils, et
propageant dans le monde la gloire de votre saint nom. Je vous supplie,
mon adorable Seigneur, d'éclairer vos apôtres et de leur suggérer
tout ce qui convient le mieux à votre Église, afin qu'ils puissent
établir le gouvernement nécessaire pour son agrandissement et sa
conservation. »
98. Aussitôt la
très-prudente Mère connut dans cette vision
qu'elle avait de la Divinité que sa prière était
très-agréable su Seigneur, qui lui répondit Marie, mon Épouse,
que voulez-vous? que me de mandez-vous?
car vos désirs se sont fait entendre, et
votre voix a doucement retenti à mes oreilles (1). « Demandez ce que vous
souhaitez, ma volonté est prête à vous l'accorder. » La bienheureuse
Marie répondit : « Mou Dieu, Seigneur de tout mon être, mes désirs et mes
gémissements ne sont point cachés à votre sagesse infinie. Je veux, je
cherche et je demande ce qui vous est le plus agréable, votre plus
grande gloire et l'exaltation de votre nom dans la sainte Église. Je
vous présente ces nouveaux enfants par lesquels vous l'avez en si peu
de temps agrandie, et je souhaite qu'ils reçoivent
le sacré baptême puisqu'ils sont déjà instruits dans la sainte foi. Je
souhaite aussi, si vous l’agréez,
(1) cant., II, 14.
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que
les apôtres, vos prêtres et vos ministres commentent dès maintenant à
consacrer le corps et le sang de votre Fils et du mien, afin que, par
cet ineffable et nouveau sacrifice, ils vous rendent des actions de
grâces et des louanges pour le bien fait de la rédemption du genre humain, et
pour toutes les autres faveurs que par elle vous avez faites au monde;
et que nous recevions, s'il vous plaît, en qualité d'enfants de l'Église, cet
aliment de vie éternelle. Je ne suis que cendre et
que poussière, la moindre servante des fidèles et la plus petite de
toutes les femmes, c'est pour cela que je n'ose point le proposer à vos
prêtres les apôtres. Mais inspirez, Seigneur, à Pierre, qui est
votre vicaire, de déterminer ce que vous voulez. »
99. La nouvelle Église fut
encore redevable de ce bienfait à l'auguste Marie ; ce fut par suite de sa
sage prévoyance et de son intercession qu'on commença dès lors à consacrer le
corps et le sang de son très-saint Fils, et qu'on
célébra la première messe dans la même Église après l'ascension, et la
descente du Saint-Esprit. Il était juste, en effet, que cette première
distribution du pain de vie (1) entre ses enfants fût due à ses soins
vigilants, puisqu'elle était l'heureux et riche vaisseau qui l'apporta du ciel
(2). C'est pourquoi le Seigneur lui dit : « Ma Bien-Aimée
et ma Colombe, que ce que, vous souhaitez et demandez
(1) Joan., VI, 85. — (2) Prov., XXXI, 16.
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se
fasse. Mes apôtres, avec Pierre et Jean; vous parleront, et vous
ordonnerez par eux ce que vous désirez, afin qu'on l'exécute. » A
l'instant ils arrivèrent tous près de notre grande Reine, qui les reçut avec
son respect ordinaire, s'agenouillant et demandant leur bénédiction. Saint
Pierre, comme chef des apôtres, la lui donna. Il prit ensuite la parole au nom
de tous, et représenta à la bienheureuse-Vierge
que les néophytes étaient déjà catéchisés en la foi et instruits des mystères
du Seigneur, et qu'il serait temps de leur donner le baptême pour les marquer
du caractère d'enfants de Jésus-Christ réunis dans le giron de l'Église; puis
il pria notre auguste Maîtresse d'ordonner ce qu'elle jugerait le plus à
propos et qui serait du bon plaisir du Très-Haut. La
très-prudente Mère répondit : « Seigneur, vous êtes
qi le chef de l'Église et le vicaire de mon
très-saint Fils en cette même Église, sa
très-sainte volonté approuvera tout ce que
vous ordonnerez en son nom, ma volonté est la sienne avec la
vôtre. »
100. En conséquence de
cette réponse, saint Pierre décida que le jour suivant (qui répondait au
dimanche de la très-sainte Trinité) on
administrerait le saint baptême aux catéchumènes qui s'étaient convertis cette
semaine; la bienheureuse Vierge l'approuva de la sorte ainsi que les autres
apôtres. Il se présenta ensuite un autre doute soir le baptême qu'il fallait
donner, si c'était celui de saint Jean ou celui de Jésus-Christ notre Sauveur.
Quelques membres de l'assemblée disaient qu'il fallait donner aux catéchumènes
493
le
baptême de saint Jean, qui était celui de pénitence, et qu'ils devaient
arriver par cette porte à la foi et à la justification de leurs âmes. D'autres
pensaient au contraire que par le baptême et la mort de Jésus-Christ le
baptême de saint Jean avait été abrogé, que celui-ci ne servait que pour
préparer les coeurs à recevoir le Rédempteur; mais que le baptême de sa divine
Majesté donnait la grâce justifiante et lavait tous les péchés de ceux qui
étaient bien disposés, et qu'il fallait les introduire immédiatement dans la
sainte Église.
101. Saint, Pierre et saint
Jean adoptèrent cette opinion, et la bienheureuse Marie la confirma; de sorte
qu'il fut arrêté qu'on établirait dès lors le baptême de notre Seigneur
Jésus-Christ, et que ces nouveaux convertis le recevraient comme les autres
qui embrasseraient la foi. En ce qui concerne la matière et la forme de ce
baptême, il ne s'éleva aucun doute parmi les apôtres, ils convinrent tous que
la matière devait être l'eau naturelle et élémentaire, et la forme : « Je
te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, parce que notre
Sauveur avait indiqué lui-même cette matière et cette forme, et qu'il les
employa à l'égard de ceux qu'il baptisa de ses mains. Cette forme du baptême
est encore observée aujourd'hui. Et quand il est dit dans les Actes des
apôtres (1), qu'ils baptisaient au nom de Jésus-Christ, cela doit s'entendre
non de la forme, mais de l'auteur du baptême,
(1) Act., II, 38.
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qui
était Jésus-Christ, pour distinguer son baptême de celui de saint Jean. Car
c'était la même chose de baptiser su nom de Jésus-Christ qu'avec le baptême de
Jésus-Christ; mais la forme était celle que le Seigneur lui-même a marquée, en
désignant expressément les trois personnes de la
très-sainte Trinité (1), comme le fondement et le principe de toute la
foi et de toute la vérité catholique. Après cette résolution les apôtres
décidèrent qu'on assemblerait le jour suivant tous les catéchumènes dans la
maison où était le Cénacle pour y être baptisés, et que les soixante-douze
disciples se chargeraient de les préparer ce jour-là.
102. Notre auguste
Princesse s'adressa ensuite à toute l'assemblée après en avoir demandé la
permission aux apôtres, et elle s'exprima en ces termes a Seigneurs, le
Rédempteur du monde, mon Fils et Dieu véritable, a offert au Père
éternel, dans
l'amour
qu'il a eu pour les hommes, le sacrifice a de son corps sacré et de son
précieux sang, se consacrant lui-même sous les espèces du pain et du vin, sous
lesquels il a déterminé de demeurer dans l'Église, afin que ses enfants y
eussent un sacrifice et un aliment de vie éternelle, et un gage
infaillible de la félicité dont ils espèrent jouir dans le ciel. Par ce
sacrifice, qui renferme les mystères de la vie et de la mort du Fils, on
apaisera le Père, et en lui et par lui l’Eglise lui rendra les actions
de
(1) Matth., XXVIII, 19.
495
grâces
et les louanges qu'elle lui doit comme Dieu et comme bienfaiteur. Vous êtes
les prêtres et les ministres à qui seuls il appartient de l'offrir. Je
souhaiterais, si vous le jugez à propos, que vous commençassiez à célébrer ce
sacrifice non sanglant, et à consacrer le corps et le sang de mon
très-saint Fils, afin que nous reconnaissions le
bienfait de la rédemption, et celui d'avoir envoyé le Saint-Esprit à l'Église,
et afin que les fidèles, en recevant ce pain de vie, commençant à jouir de ses
divins effets. Parmi les catéchumènes qui recevront le baptême, on pourra
admettre à la communion du corps adorable ceux qui paraîtront être les plus
capables et qui seront préparés, puisque le baptême est la première
disposition pour y participer. »
103. Tous les apôtres et
disciples se conformèrent aux désirs de la très-pure
Marie, et lui rendirent des actions de grâces pour le bienfait qu'ils
recevaient tous par ses avis et par sa doctrine. Il fut décidé que le jour
suivant, après le baptême des catéchumènes, on consacrerait le corps et le
sang de Jésus-Christ, et que saint Pierre dirait la messe, puisqu'il était le
souverain pontife de l'Église. Le saint apôtre y consentit, et avant de sortir
de cette assemblée, il lui exposa un autre doute, afin qu'elle.
le résolût, c'était sur la distribution des aumônes
et sur le règlement qu'il fallait établir pour le partage des biens que les
néophytes offraient à l'Église; et afin que tous ses frères s'en rendissent
bien compte, il le leur proposa de cette manière :
496
104. « Mes
très-chers frères, vous savez que notre Rédempteur
et adorable Maître Jésus-Christ, par u son exemple, par sa doctrine et par ses
préceptes, nous a enseigné et prescrit la véritable pauvreté (1) en
laquelle nous devons vivre, délivrés des soins que les biens entraînent, sans
en désirer et sans en amasser dans cette vie. Outre cette doctrine
salutaire, nous avons devant les yeux l'exemple terrible et encore tout
récent de la perte de Judas, qui était aussi apôtre comme nous, et qui par son
ava rite et son attachement aux biens de la terre s'est malheureusement
perdu , et est tombé de la dignité d'apôtre
dans l'abîme de l'iniquité et de la damnation éternelle. Nous devons éviter
cet affreux danger, et nous résoudre à ne posséder aucun bien et même à
ne point manier d'argent, pour imiter en cette rigoureuse pauvreté notre
Chef et notre Maître.« Je sais que c'est ce que
vous souhaitez tous, comprenant que le Seigneur ne nous a mis le danger et
la punition sous les yeux que pour nous préserver de la contagion. Or,
afin que nous soyons tous délivrés de l'embarras que nous causent les dons et
les aumônes que les fidèles nous apportent, il faut établir désormais une
forme de gouvernement. C'est pourquoi je vous engage maintenant à
déterminer le mode et à fixer l'ordre qu'il faudra suivre pour recevoir
et distribuer l'argent et les autres choses qu'on nous donnera. »
(1) Matth., VII, 20; Luc., XIV, 33.
497
105. Le collège des apôtres
et des disciples su, trouva en quelque sorte embarrassé
pour prendre les mesures convenables dans ce règlement, et divers expédients
furent proposés. Quelques-uns disaient qu'il serait utile de nommer un économe
qui recevrait tout l'argent et toutes les offrandes, et se chargerait de les
employer aux nécessités communes. Mais cet avis ne fut pas goûté d'une
assemblée composée d'hommes, pauvres et disciples du Maître de la pauvreté,
qui se souvenaient du funeste exemple de Judas, D'autres opinèrent qu'il
faudrait remettre toutes les aumônes à une personne sire, en dehors du
collège, laquelle en aurait l'entière disposition et en distribuerait les
fruits ou les revenus suivant les besoins de tous les fidèles : et ils ne
savaient que résoudre à cet égard, non plus que sur plusieurs autres moyens
qui étaient proposés. La grande Maîtresse de l'humilité, l'auguste Marie, les
écoutait tous sans dire un seul mot, tant à cause du respect qu'elle portait
aux apôtres que parce qu'elle ne voulait point, en exprimant la première son
sentiment, gêner la manifestation. de celui des
autres; car, quoiqu'elle fit la Maîtresse de tous, elle se comportait toujours
comme une disciple qui eût écouté pour apprendre. Mais saint Pierre et saint
Jean , voyant la diversité des opinions,
supplièrent la divine Mère de les tirer tous de cette perplexité en leur
déclarant ce qui serait le plus agréable à son très-saint
Fils
106. Elle obéit aussitôt ;
et, s'adressant à toute cette assemblée, elle dit : « Seigneurs mes frères,
498
j'ai été
à l'école de notre véritable Maître mon très-saint
Fils, dès l'heure à laquelle il sortit de mon sein jusqu'à ce qu'il mourût et
qu'il montât au ciel : et dans le cours de sa divine vie je n'ai jamais vu ni
su qu'il touchât de l'argent, ni qu'il acceptât des présents d'un prix
considérable. Que si, peu après sa naissance, il reçut les dons que les rois
de l'Orient lui offrirent en l'adorant (1), ce fut à cause du mystère qu'ils
figuraient, et pour ne pas frustrer les pieuses intentions de ces rois, qui
étaient les prémices des Gentils. Mais il m'ordonna en même temps, étant.
entre mes bras, de les distribuer aussitôt aux
pauvres et dans le Temple, comme je le fis. Il me dit maintes fois, pendant sa
vie, qu'une des hautes fins pour lesquelles il était venu au monde scias une
forme humaine, ç'avait été de relever la pauvreté et de l'enseigner aux
mortels, qui l'avaient en horreur. Et par sa conversation, par sa doctrine et
par sa très-sainte vie, il me fit toujours
connaître que la sainteté et la perfection qu'il venait enseigner seraient
fondées sur une extrême pauvreté volontaire et sur le mépris des richesses ;
que plus celte pauvreté serait grande dans l'Église, plus éminente serait la
sainteté à laquelle elle parviendrait en toute sorte de temps; et l'avenir le
prouvera assez.
107. « Or, étant dans
l'obligation de suivre les traces de notre divin Maître ,
de mettre en pratique
(1) Matth.
499
sa
doctrine pour l'imiter, et d'établir son Église sur cette même doctrine aussi
bien que sur son exemple, il faut que nous embrassions tous la plus haute
pauvreté, et que nous l'honorions, que nous la vénérions comme la véritable
mère des vertus et de la sainteté. C'est pourquoi il me semble que nous devons
tous éloigner notre coeur de l'amour et du désir des richesses, nous abstenir
de recevoir et de manier l'argent, et ne point accepter les dons qui sont d'un
trop grand prix. Et afin qu'aucun de vous ne soit exposé à l'avarice, on peut
élire six ou sept personnes d'une vie irréprochable et d'une vertu éprouvée,
qui redoivent les offrandes, les aumônes, et les autres choses dont les
fidèles voudront se dépouiller pour vivre avec plus de sûreté et suivre
Jésus-Christ, mon Fils et leur Rédempteur, sans aucun embarras de richesses.
Tout cela aura nom d'aumône, et non de rente, ni d'argent, ni de revenu, et
l'on s'en servira pour nos nécessités communes, pour celles de nos frères les
pauvres et pour les besoins des malades; dans notre assemblée et dans l'Église
personne ne doit s'arroger sur la moindre chose plus de droit que ses frères.
Que si les aumônes que l'on nous fait pour Dieu ne suffisent pas pour
tous , ceux qui seront désignés à cet effet en
demanderont en son nom de plus abondantes. Nous devons être convaincus que
notre vie doit dépendre de la très-haute
providence de mon adorable Fils, et non du soin d'amasser de l'argent sous
prétexte de nous entretenir;
500
nous
pourrons toujours subvenir à nos besoins; pourvu que nous ayons confiance en
Dieu, nous bornant à demander discrètement l'aumône quand cette ressource sera
indispensable. »
108. Les apôtres et les
autres fidèles de cette sainte assemblée applaudirent tous aux paroles de leur
Reine et la nôtre, reconnaissant qu'elle était l'unique et véritable disciple
du Seigneur et Maître de l'Église. La très-prudente
Mère, par une disposition divine, ne voulut remettre à aucun des apôtres ni
cette décision ni le soin d'établir dans l'Église le solide fondement de la
perfection évangélique et chrétienne, parce qu'une oeuvre de cette importance
exigeait l'exemple de Jésus-Christ et de sa propre
Mère. Ils furent les inventeurs et les artisans de cette
très-noble pauvreté, et ceux qui l'honorèrent et la pratiquèrent les
premiers, les apôtres et tous les enfants de la primitive Église, se
conformèrent à ces deux exemplaires. Ce genre de pauvreté fut observé
plusieurs années dans l'Église. Ensuite, par la fragilité humaine et par la
malice du démon, la pratique de cette vertu cessa d'être générale, et la
pauvreté volontaire finit par ne plus se trouver que dans l'état
ecclésiastique. Et comme plus tard elle devint difficile ou presque
impossible, Dieu suscita divers ordres religieux au sein desquels, malgré les
différences de leurs institutions, dette pauvreté primitive fut rétablie en
tout on en grande partie; elle se maintiendra de la sorte dans l'Église
jusqu'à la fin; et plus on pratiquera honorera et aimera cette vertu, plus on
jouira de ses
501
privilèges.
Aucun des ordres que la sainte Église a approuvés n'est exclu de la perfection
relative, et personne ne saurait être excusable s'il ne vise à la plus haute
perfection dans l'état où il se trouve. Mais comme il y a plusieurs demeures
dans la maison de Dieu (1), il y a aussi plusieurs ordres. Que chacun donc
observe ce qui le regarde selon son état. Et soyons tous persuadés que le
premier pas dans l'imitation de Jésus-Christ est la pauvreté volontaire, et
que celui qui l'observera plus strictement s'approchera davantage de
Jésus-Christ, et participera avec abondance aux autres vertus et aux autres
perfections.
109. Cette séance du
collège des apôtres fut terminée par la décision de la
très-pure Marie, et l'on nomma six personnes prudentes pour recevoir et
distribuer les aumônes. Notre grande Dame demanda la bénédiction aux apôtres,
qui sortirent pour continuer leur ministère; les disciples allèrent de leur
côté rejoindre les catéchumènes pour les préparer, à recevoir.
le baptême le jour suivant. La bienheureuse Vierge,
accompagnée de ses anges et des autres Marie, alla disposer et orner la salle
où son très-saint Fils avait célébré les cènes;
elle-même la balaya et l'arrangea, afin qu'on pût y consacrer le jour suivant
le corps et le sang de notre adorable Sauveur, comme il avait été arrêté. Elle
demanda au maître de la maison les mêmes ornements qu'on y avait
mise jeudi de la Cène, ainsi
(1) Joan., XIV, 2.
502
que je
l'ai rapporté, et le pieux hôte les donna avec tout le respect et toute la
vénération qu'il avait pour l'auguste Marie. Cette
très-prudente Dame prépara aussi le pain sans levain, le vin qu'il
fallait pour la consécration, le plat et le calice dans lesquels notre Sauveur
avait consacré. Elle se procura, en outre, de l'eau pure et des vases pour le
baptême, afin que la cérémonie se passât sans embarras et aussi décemment que
possible. Après ces mesures, la charitable Mère se retira et passa cette nuit
dans les actes les plus fervents d'amour, d'humilité et de reconnaissance, et
dans les exercices de la plus haute oraison, offrant su Père éternel tout ce
que son éminente sagesse lui inspirait pour se disposer dignement elle-même à
la communion qu'elle attendait, et afin que les autres la reçussent aussi avec
l'agrément et le bon plaisir de sa divine Majesté, et elle fit la même prière
pour ceux qui devaient être baptisés.
110. Le matin du jour
suivant, qui fut celui de l'octave du Saint-Esprit, tous les fidèles et tous
les catéchumènes se rendirent auprès des apôtres et des disciples dans la
maison ou était le Cénacle; et quand ils furent réunis, saint Pierre leur
prêcha et leur exposa la nature et l'excellence du sacrement du baptême, la
nécessité et les effets divins qu'il leur ferait éprouver; comment, par son
moyen, ils seraient marqués du caractère intérieur qui distingue les membres
du corps mystique de l'Église, et renaîtraient enfants de Dieu et héritiers de
sa gloire par la grâce justifiante et la rémission des péchés. Il les
503
exhorta
à garder la loi divine, à laquelle ils se soumettaient par leur propre
volonté, et à' rendre de très-humbles actions de
grâces pour ce bienfait et pour tous les autres qu'ils recevaient du
Très-Haut. Il leur expliqua aussi la vérité de l'auguste mystère de
l'Eucharistie, qui devait être célébré en consacrant le vrai corps et le vrai
sang de Jésus-Christ, afin que tous l'adorassent, et que ceux qui devaient y
participer après le baptême s'y préparassent.
111. Tous les nouveaux
convertis furent enflammés de ferveur par ce sermon, parce que lu dispositions
de leur coeur étaient sincères, les paroles de l'apôtre vives et pénétrantes,
et la grâce intérieure fort abondante. Puises apôtres commencèrent à baptiser
avec un ordre parfait, à la grande édification de tous. Les catéchumènes
entraient par une porte du Cénacle, et après avoir été baptisés ils sortaient
par une autre; les disciples et les autres fidèles les conduisaient sans
aucune confusion. La bienheureuse Vierge était présente à tout ce qui se
passait, quoi-, qu'elle se frit retirée dans un coin du Cénacle; elle priait
et récitait des cantiques de louange pour tous, connaissant l'effet que
produisait le baptême en chacun avec un degré plus ou moins grand de vertus
infuses. Elle voyait qu'ils étaient tous régénérés et lavés dans le sang de
l'Agneau, et que leurs dînes recevaient une pureté et une splendeur divines.
En témoignage de cette grâce, tous les assistants voyaient descendre du ciel
une éclatante et vive lumière sur chaque nouveau baptisé.
Par cette merveille Dieu
504
voulut
autoriser le principe de ce grand sacrement dans son l'Église et consoler ses
premiers enfanta qui y entraient par cette porte, et nous aussi qui
participons au même bonheur sans y donner l'attention et sans en montrer la
reconnaissance que nous devrions.
112. On acheva de baptiser
ceux qui se présentèrent, quoiqu'il y eût plus de cinq mille personnes qui
reçurent le baptême ce jour-là. Et pendant que les nouveaux baptisés rendaient
des actions de grâces pour un bienfait si admirable, les apôtres, avec les
disciples et les autres fidèles, vaquèrent quelque temps à l'oraison. Ils se
prosternèrent tous ensemble, glorifiant et adorant le Seigneur Dieu infini et
immuable, et confessant qu'ils étaient indignes de le recevoir dans le
très-auguste sacrément de l'autel. Cette adoration
et cette humilité profonde leur servirent de préparation prochaine pour
communier. Ils récitèrent ensuite les mêmes oraisons et les mêmes, psaumes que
notre Seigneur Jésus-Christ avait dits avant de consacrer, imitant en cette
action tout, ce qu'ils avaient vu faire à leur divin Maître. Saint. Pierre
prit en ses mains le pain sans levain qui était préparé, et levant d'abord les
yeux au ciel avec d'admirables sentiments de vénération, il prononça sur le
pain les paroles de la consécration du très-saint
Corps de Jésus-Christ, telles que le Seigneur lui-même les avait dites
auparavant (1). Le. Cénacle fut à l'instant rempli d'une splendeur visible et
d'une multitude, innombrable
(1) I Cor., XI, 34.
505
d'anges;
et toute l'assemblée. s'aperçut que cep flots de
lumière tombaient surtout sur la Reine du ciel et de la terre. Ensuite saint
Pierre consacra le calice, et fit avec le sacré corps et le précieux sang les
mêmes cérémonies que notre Sauveur, les élevant, afin que tous l'adorassent.
Après cela l'apôtre se communia lui-même et communia les onze apôtres, selon
que la très-pure Marie le lui avait inspiré. Puis,
entourée des esprits célestes qui étaient dans le Cénacle pénétrés d'un saint
respect, elle reçut à son tour la communion de la main de saint Pierre,
s'étant prosternée trois fois le visage contre terre avant d'arriver à
l'autel.
113. Elle reprit aussitôt
la place qu'elle occupais auparavant, et il n'est pas possible d'exprimer les
effets que produisit en cette incomparable créature la communion de la
très-sainte Eucharistie; car elle fut toute
transformée et tout absorbée en ce divin embrasement de l'amour de son
adorable Fils, auquel elle avait participé en recevant son corps sacré. Elle
fut élevée et ravie par ces merveilleux effets; mais les saints anges,
conformément à la volonté de leur Reine, l'enveloppèrent d'un voile
mystérieux, afin que les assistants ne découvrissent que ce qui était
convenable des effets divins qu'ils pouvaient remarquer en elle. Les disciples
communièrent après notre Reine; puis les autres fidèles qui avaient embrassé
la foi avant la descente du Saint-Esprit communièrent aussi. Mais des cinq
mille personnes qui fuirent baptisées, il n'y en eût que mille qui reçurent la
communion
506
ce
jour-là, parce qu'elles n'étaient pas toutes assez préparées pour recevoir le
Seigneur avec les connaissances et les dispositions qu'exige cet auguste
sacrement et ce sublime mystère de l'autel. Le mode de communion que suivirent
ce jour-là les apôtres, fut de communier, ainsi que la bienheureuse Marie et
les cent vingt fidèles sur lesquels le Saint-Esprit était descendu , sous les
deux espèces du pain et du vin; mais les nouveaux baptisés ne communièrent que
sous l'espèce du pain. Cette différence se fit, non pour marquer que les
nouveaux fidèles fussent moins dignes de communier sous une espèce que sous
l'autre, mais parce que les apôtres connurent qu'on recevait sous chaque
espèce Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme tout entier, et qu'il n'y avait
aucun prétexte pour chacun des fidèles, ni d'ailleurs aucune nécessité de
communier sous les deux espèces; ils prévirent, en outre, qu'il y, aurait
grand danger d'irrévérence et d'autres inconvénients fort graves à communier
tant de personnes sous les espèces du vin : danger et inconvénients qui
n'étaient pas alors à craindre à l'égard du petit nombre de fidèles qui les
reçurent. Aussi la coutume de communier sous la seule espèce du pain ceux qui
ne consacraient point le corps et le sang de Jésus-Christ, remonte-t-elle,
ainsi que je l'ai appris, à la primitive Église, quoiqu'il y en eût
quelques-uns qui, sans être prêtres, communiassent dans les premiers temps
sous les deux espèces. Mais cette sainte Église s'étant établie dans toutes
lois parties du monde, a ordonné ensuite d'une manière formelle, avec cette
507
sagesse
que lui donne l'Esprit-Saint qui la gouverne, que
les laïques et ceux qui ne célèbrent point la messe communieraient sous la
seule espèce du pain, et qu'il n'y aurait que ceux qui célèbrent cet auguste
mystère qui communieraient sous les deux espèces par eux consacrées. C'est la
pratique assurée de la sainte Église catholique romaine.
114. Après qu'ils eurent
tous communié, saint Pierre acheva la célébration du mystère sacré par
quelques oraisons et quelques psaumes qu'il dit en actions de grâces avec les
autres apôtres; car on n'avait pas encore déterminé les oraisons et les
cérémonies qui ont été ajoutées à la messe, à diverses époques, tant avant
qu'après la consécration et la communion. Plus tard, l'Église romaine a
heureusement réglé, avec une sainte sagesse; tout ce que les prêtres du
Seigneur doivent réciter et observer en célébrant la sainte messe. Quand tout
ce que je viens de dire fut terminé, ils restèrent encore quelque temps en
oraison: Puis ils sortirent (car le jour était déjà fort avancé) pour
s'employer à d'autres choses et pour prendre leur nourriture. Notre grande
Reine, au nom de tous, rendit au Très-Haut des actions de grâces qu'il reçut
avec complaisance, et il agréa les prières que sa bien-aimée lui fit pour ceux
quai étaient présents en la sainte Église, comme pour ceux qui en étaient
absents.
508
Instruction que la Reine des anges m'a donnée.
115. Ma fille, quoiqu'il
vous soit impossible de pénétrer pendant votre vie passagère le secret de
l'amour que j’eus.et que j'ai.
toujours pour les mortels, je veux, indépendamment de ce que vous avez
appris, vous faire remarquer de nouveau, pour votre plus grande instruction,
que quand le Très-Haut me donna dans le ciel le titre de Mère et de Maîtresse
de la sainte Église, il me fit participer, par une communication ineffable, à
sa charité et à sa miséricorde infinie envers les enfants d'Adam. Et comme
j'étais une simple créature, et que le bienfait était immense, j'aurais, à
cause de la force avec laquelle il, opérait en moi, perdu plusieurs fois la
vie naturelle, si la puissance divine ne me l'eût conservée par miracle. Je
sentais aussi maintes fois des effets analogues dans les transports de
reconnaissance auxquels je me livrais lorsque' quelques âmes entraient dans
l'Église et ensuite dans la gloire, parce que j'étais la seule qui connusse
entièrement ce bonheur et qui pusse l'apprécier, et c'était suivant ce degré
de compréhension que j'en rendais, avec une profonde humilité, les plus
ferventes actions de grâces du Très-Haut. Mais la charité me causait surtout
de semblables défaillances quand je demandais la conversion des pécheurs, ou
quand quelque fidèle venait à se perdre. Dans ces sortes d'occasions, je
souffrais beaucoup plus entre la joie et la douleur que les martyrs dans tous
leurs
509
tourments;
car j'opérais pour chaque âme avec une force inconcevable et surnaturelle.
Aussi les enfants d'Adam me sont-ils réellement redevables du sacrifice de ma
vie, que j'ai si souvent offerte pour eux. Et si maintenant, dans mon état, je
ne puis plus l'offrir, l'amour avec lequel je sollicite leur salut éternel
n'est pas moindre, mais beaucoup plus souverain et plus parfait.
116. Et si l'amour de Dieu
envers le prochain eut en moi une si grande force, jugez quelle devait être la
véhémence de celui que je sentais pour le Seigneur, même lorsque je le
recevais à l'autel. Je vous déclare ici un secret sur ce qui m'arriva la
première fois que je le reçus de la main de saint Pierre : c'est que le
Très-Haut laissa mon amour agir avec une telle violence, que mon coeur
s'ouvrit réellement et donna lieu, comme je le souhaitais, à mon Fils consacré
d'y entrer et d'y demeurer comme un Roi sur son propre trône. Vous comprendrez
par là, ma très-chère fille, que si j'étais
susceptible d'une douleur quelconque dans la gloire dont je jouis, ce qui m'en
causerait une très-sensible ce serait de voir la
témérité effroyable des hommes qui osent recevoir le corps sacré de mon
très-saint Fils, les uns avec des souillures et
des crimes abominables, les autres saris dévotion, sans respect, et presque
tous sans considérer l'importance, sans peser la valeur de cette hostie, qui
n'est rien moins que Dieu lui-même, germe, de la vie oui de la mort éternelle.
117. Craignez donc, ma
fille, ce danger; pleurez-le
510
pour un
si grand nombre d'enfants de -l'Église; demandez leur salut su Seigneur, et
profitant de l'instruction que je vous donne, rendez-vous digne de pénétrer
profondément ce mystère d'amour : et quand vous y participerez, bannissez de
votre entendement toutes les images des choses terrestres; rappelez- vous
seulement que vous allez recevoir Dieu lui-mème,,1'Étre
infini et incompréhensible. Faite tous vos efforts pour témoigner votre amour,
votre humilité et votre gratitude, et soyez persuadée que vous resterez
toujours fort au-dessous de ce que vous devez faire, et de ce que mérite un
mystère si vénérable. Pour y apporter de meilleures dispositions, réglez-vous
sur ce que je faisais dans ces occasions, dans lesquelles je veux surtout que
vous M'imitiez intérieurement, comme vous le faites dans les trois
humiliations corporelles; et j’approuve aussi la quatrième, que vous avez
ajoutée pour honorer dans l'adorable sacrement la partie de la chair et du
sang que mon très-saint Fils a prise dans mes
entrailles et que j'ai développée en le nourrissant de mon propre lait.
Continuez toujours cette dévotion; puisqu'il est certain qu'il se trouve dans
le corps consacré une partie de mon propre sang et de ma propre substance,
comme vous l'avez connu. Que si vous éprouveriez la plus vive douleur en
voyant fouler aux pieds avec un mépris sacrilège le corps sacré et le précieux
sang de mon Fils, vous, devez la ressentir aussi, vous devez verser des larmes
amères, sachant comment la plupart des enfants de l'Église le traitent
aujourd'hui,
511
avec une
irrévérence impie, sans aucune crainte et sans aucun égard. Gémissez donc sur
un pareil malheur ; pleurez de ce qu'il y en ait si peu qui pleurent; pleurez
de ce que les fins que mon très-saint Fils a voulu
atteindre par son immense amour sont ainsi frustrées. Et afin que vous
pleuriez davantage, je vous fais savoir, qu'autant dans la primitive Église il
y avait de personnes qui se sauvaient, autant il y en a maintenant qui se
damnent. Je ne vous déclare pas au-dessus ce qui arrive jour par jour; car si
vous le saviez, et que vous eussiez une véritable charité, vous mourriez de
douleur. Ce malheur déplorable arrive, parce que les enfants de la foi suivent
les ténèbres, aiment la vanité, convoitent les richesses, et qu'ils courent
presque tous après les plaisirs sensibles et trompeurs, qui aveuglent
l'entendement et le couvrent d'une nuit épaisse, dans laquelle ils ne
connaissent plus la lumière, et ne savent plus ni discerner le bien du mal, ni
pénétrer la vérité et la doctrine évangélique.
512
CHAPITRE VIII. On rapporte le miracle par lequel les espèces sacramentales se
conservaient en la
très-pure Marie d'une communion à l'autre, et le mode de ses opérations après
qu'elle fut revenue du ciel vers l'Église.
118. Jusqu'ici, je n'ai
parlé de ce bienfait qu'en passant, me réservant d'en faire un plus ample
récit en son lieu, c'est-à-dire maintenant; afin qu'une si grande merveille du
Seigneur en faveur de sa Mère bien-aimée ne figure point dans cette histoire
sans les détails précis que peut souhaiter notre piété. Je m'afflige de mon
impuissance personnelle, non-seulement parce que
tout ce que j'ignore surpasse infiniment ce que je conçois, mais aussi parce
que j'exprime avec peine et avec crainte nième ce que je connais, à cause de
l'insuffisance de mon langage, dont les termes ne répondent pas à ma
compréhension. Néanmoins je n'ose passer sous silence les bienfaits que notre
auguste Reine reçut de la puissante droite de son
très-saint Fils après qu'elle en fut descendue pour diriger son Église;
car s'ils étaient auparavant magnifiques et inénarrables ,
ils augmentèrent dès lors avec une divine variété; pour manifester
513
la
puissance infinie de l'auteur de ces dons, et la prodigieuse capacité de cette
créature unique et choisie entre toutes, à laquelle ils étaient destinés.
119. A ce rare et admirable
privilège, que la bienheureuse Marie reçut, de conserver toujours dans son
sein les espèces sacramentales, il ne faut point chercher une autre raison
qu'aux autres faveurs insignes que Dieu fit uniquement à cette grande Dame; et
c'est sa volonté sainte et sa sagesse infinie qui opère toujours tout ce qui
est convenable avec poids et mesure (1). Sans plus de motifs, il suffirait à
la prudence et à la piété chrétienne de savoir que Dieu a eu pour mère
naturelle cette sainte créature, et qu'elle seule, entre
toutes les autres, fut digne de l'être. Et puisque cette merveille a
été unique et sans exemple, ce serait accuser une ignorance grossière que de
chercher des preuves pour nous convaincre que le Seigneur a fait à l'égard de
sa Altère ce qu'il n'a fait, et ne fera à l'égard de personne; car la seule
Marie s'élève au-dessus de l'ordre commun de toutes les âmes. Mais quoique
tout cela soit vrai, le Très-Haut n'en veut pas moins que, par la lumière de
la foi et par d'autres illustrations, nous découvrions les raisons de
convenance et d'équité pour lesquelles son bras puissant a opéré ces
merveilles en faveur de sa très-digne Mère, afin
que ces mêmes merveilles nous le fassent connaître, et glorifier en elle et
par
(1) Sap., XI, 21.
514
elle,
et que nous sachions avec combien de sûreté nous plaçons toute notre espérance
en une Reine si puissante, et nous remettons notre sort entre les mains de
Celle en qui son adorable Fils a déposé tous les trésors de son amour. Or,
selon ces vérités établies, je dirai ce que j'ai appris du mystère dont
j'entreprends de parler.
120. La bienheureuse Marie
vécut trente-trois ans en la compagnie de son divin Fils, et à partir du
moment où il sortit de son sein virginal, elle ne le quitta jamais jusqu'à la
croix. Elle le nourrit, le servit, l'accompagna, le suivit, l'imita, agissant
en tout et toujours comme mère, comme fille, comme épouse, comme
très-fidèle servante et amie; jouissent de sa vue,
de sa conversation, de sa doctrine et des faveurs que par tous ses mérites et
tous ses services elle reçut en la vie mortelle. Jésus-Christ monta au ciel,
et la force de l'amour et de la raison l'obligea d'emmener avec lui sa
très-chère Mère, pour ne pas y trouver sans elle,
et pour quelle ne restât point sur la terre privée de sa présence et de.
sa compagnie. Nais la
très-ardente charité que le Fils et la Mère avaient pour les hommes
rompit eu quelque sorte ce lien et cette union, contraignant notre
très-douce Mère à revenir dans le monde pour
affermir (Église, et son adorable Fils à l'envoyer ici-bas et à consentir à
l'absence qui allait durant ce temps-là les séparer l'un de l'autre. Mais le
Fils de Dieu pouvant par un moyen particulier adoucir cette privation à sa
bien-aimée, il appartenait à son amour
515
de le
faire; et il ne l'aurait pas manifesté d'une manière aussi éclatante, s'il
avait refusé à sa bienheureuse Mère la faveur de l'accompagner sur la terre
pendant qu'il était assis dans la gloire à 1a droite de son Père éternel. En
outre, l'amour très-ardent de cette divine Mère,
accoutumée à la présence de son adorable Fils, eût souffert violence à un
degré insupportable, si elle eût dû rester tant d'années dans la sainte Église
sans l'avoir présent en la manière qu'elle le pouvait.
121. Notre Sauveur
Jésus-Christ pouvait satisfaire et satisfit à tout cela, en résidant toujours,
sous les espèces sacramentels, dans le coeur de sa
bienheureuse Mère, tant qu'elle demeura dans l'Église, après l'ascension de
son adorable Fils dans le ciel. Et par cette présence sacramentelle il
remplaça en quelque sorte avec avantage celle dont sa
très-douce Mère jouissait quand il vivait sur la terre près d'elle :
alors, en effet, il la quittait souvent pour s'employer aux oeuvres de la
rédemption, et dans ces circonstances la bienheureuse Vierge était en proie
aux inquiétudes on aux craintes que lui causaient les travaux de son
très-saint Fils; elle se demandait sans cesse s'il
reviendrait, ou s'il la priverait pour longtemps de sa douce compagnie; et
quand elle en jouissait, elle ne pouvait pas ne pas prévoir la Passion et la
mort de la croix qui l'attendaient. Cette douleur tempérait souvent la joie
qu'elle éprouvait à le voir, à l'entendre, à le posséder. Mais lorsque, la
tempête de la Passion passée, déjà il se trouvait à la droite du Père éternel,
516
et que
ce divin Seigneur et sou bien-aimé Fils résidait sons les espèces
sacramentales dans son sein virginal, alors la très-pure
Mère jouissait de sa vue sans crainte et sans alarme. En son Fils elle voyait
toute la très-sainte Trinité, de ce genre de
vision que j'ai indiqué ailleurs. De sorte que ce que cette grande Reine a dit
dans le Cantique des cantiques s'accomplissait à la lettre : Je l'ai saisi, et
je ne le laisserai pas s'éloigner jusqu'à ce que je l'aie conduit dans la
maison de ma Mère l'Église (1). Là, je lui donnerai du vin aromatique à boire,
et du suc de mes grenades (2).
122. Par cette faveur que
l'auguste Vierge reçut, le Seigneur satisfit aussi à la promesse qu'il avait
faite à son Église, dans la personne des apôtres, de demeurer avec eux jusqu'à
la consommation des siècles, ayant accompli d'avance la parole qu'il leur
avait donnée un peu avant de monter su ciel (3); car alors il était déjà sous
les espèces sacramentales dans le sein de sa Mère, comme je l'ai dit dans la
seconde partie. Et l'accomplissement de la promesse n'eût pas été immédiat
s'il ne se fut trouvé dans l'Église par ce nouveau miracle. En effet, dans ces
premières années les apôtres n'eurent point de temple, ni aucun lieu propre
pour garder continuellement la très-sainte
Eucharistie : c'est pourquoi ils consommaient toutes les espèces le jour
qu'ils célébraient la messe. La seule Marie était le temple et le sanctuaire
dans lequel le
(1) Cant, III, 4. — (2) Cant, VIII, 2. — (3) Matth., XXVIII, 20.
517
très-saint
Sacrement fut conservé pendant ce temps-là, afin qu'il n'y eût aucun instant
où le Verbe incarné ne résidât dans l'Église depuis son ascension jusqu'à la
fin du monde. Et quoiqu'il ne fût point dans ce tabernacle vivant pour l'usage
des fidèles, il l'habitait pourtant pour leur profit, et pour d'autres fins
très-glorieuses; car la grande Reine du ciel
priait pour eux dans ce Temple qui n'était autre qu'elle-même. Elle adorait
Jésus-Christ consacré dans l'Église su nom de toute cette même Église : et par
le moyen de cette auguste Dame, et de la demeure que le Seigneur faisait en
elle, il était présent et uni de cette manière au corps mystique des fidèles.
Bien plus, cette incomparable Dame, en gardant son adorable Fils sous les
espèces sacramentales dans son sein, rendit ce siècle plus heureux que s'il
eut habité comme à présent d'autres sanctuaires et d'autres tabernacles :
puisque dans celui qu'il avait en la bienheureuse Vierge il fut toujours adoré
avec le plus profond respect et le culte le plus religieux, et il n'y fut
jamais offensé, comme il l'est maintenant dans nos temples. Il trouva en Marie
avec plénitude les délices qu'il souhaitait prendre éternellement parmi les
enfants des hommes (1); et l'assistance perpétuelle de Jésus-Christ dans son
Église ne tendant qu'à cette fin, le Très-Haut ne pouvait s'y complaire plus
absolument que lorsqu'il était.sous les espèces
sacramentales dans le coeur de sa très-pure Mère.
Elle
(1) Prov., VIII, 81.
518
était la
sphère la plus propre du divin amour, et comme l'élément et le centre où il
reposait; et toutes les autres créatures lui étaient comme étrangères en
comparaison de l'auguste Marie; parce que ce feu de la divinité qui brille
toujours par une charité infinie, ne trouvait en ces créatures ni son foyer ni
son centre.
123. Et d'après
l'intelligence que j'ai reçue de ce mystère, j'ose dire que notre Sauveur
Jésus-Christ avait tant d'estime et d'amour pour sa
très-sainte Mère, et qu'elle l'attirait si irrésistiblement vers elle,
que, s'il ne fût toujours resté avec elle sous les espèces consacrées, il
serait descendu de la droite de son père sur la terre pour ne point la
délaisser pendant qu'elle vécut dans l'Église. Eût-il fallu que les courtisans
célestes fussent privés de la présence de la très-sainte
humanité pour ce temps-là, il en eût fait moins de cas que de tes priver de la
compagnie de sa Mère. Ce n'est pas là une exagération, puisque nous devons
tous avouer que le Seigneur trouvait en elle une correspondance plus parfaite
et une espèce d'amour plus semblable à celui de sa volonté, qu'en tous les
bienheureux ensemble, et que, par un amour réciproque, il aimait la
bienheureuse Marie, plus que tous ces courtisans célestes. Si, lorsque le
pasteur de la parabole de l'Evangile (1) laissa les quatre-vingt-dix neuf
brebis pour en chercher une seule qui lui manquait, nous ne lui reprochons
point d'avoir laissé le
(1) Matth., XVIII, 12.
519
plus
pour le moins, les saints dans le ciel n'auraient pas été surpris, de leur
côté, que ce divin pasteur Jésus-Christ les eût tous quittés pour se trouver
en la compagnie de cette très-douce et
très-innocente brebis, qui le revêtit de sa propre
nature, et qui le nourrit en cette même nature. Nul doute que les yeux de
cette bien-aimée Épouse et très-chère Mère
l'eussent attiré du ciel sur la terre (1), où il était venu auparavant pour le
salut des enfants d'Adam, qui l'avaient bien moins obligé, et pour mieux dire
très-désobligé par leurs péchés, et ce n'était que
pour souffrir pour eux. Que s'il fût venu rejoindre sa tendre Mère, ce n'eût
pas été pour souffrir et pour mourir, mais pour se procurer la joie d'être
auprès d'elle; mais pour cela il ne fut pas nécessaire de quitter le ciel,
puisqu’il parvenait, en descendant sur la terre d'une autre manière, à savoir,
par la vertu des paroles sacramentelles, à satisfaire son amour et celui de sa
bienheureuse Mère, dans le coeur de laquelle ce véritable Salomon reposait
comme dans sa couette royale (2) sans quitter la droite de son Père éternel.
124. Voici comment le
Très-Haut opérait ce miracle. Lorsque la très-pure
Marie recevait les espèces sacramentales, elles se dégageaient du foyer commun
de l'estomac, où se font la coction et la digestion de l'aliment naturel, afin
de ne pas se confondre et se mêler avec le peu de nourriture que notre grande
(1) Cant., VI, 4. — (1) Cant., III, 7.
520
Reine
prenait quelquefois. Le très-saint Sacrement,
étant dégagé de ce foyer de l'estomac se plaçait dans le coeur de Marie, comme
en récompense du sang qu'il avait fourni lors de l'incarnation du Verbe, pour
former cette très-sainte humanité à laquelle il
s'unit hypostatiquement, ainsi que je l'ai exposé
dans la seconde partie. La communion de la divine Eucharistie est considérée
comme une extension de l'incarnation; il était donc juste que la bienheureuse
Mère participât à cette extension d'une manière nouvelle et spéciale, elle qui
avait aussi concouru à cette même incarnation du Verbe éternel d'une manière
miraculeuse et toute particulière.
125. La chaleur du coeur
est extrêmement grande chez tous les êtres vivants parfaitement constitués, et
surtout chez l'homme, à cause de son excellence, de sa noblesse, de
l'importance de ses opérations et de sa longévité; et la bénigne nature prend
soin d'y faire circuler un air bienfaisant qui rafraîchit et tempère cette
ardeur naturelle d'où provient la chaleur animale. Cela étant, et avec la
forte complexion de notre auguste Reine, la chaleur de son tueur était
extrêmement intense, et l'activité incessante de son amour enflammé
l'augmentait encore : néanmoins les espèces sacramentales, qui étaient dans
son coeur, ne se consumaient et ne s'altéraient même point. Sans doute il
fallait multiplier les miracles pour les conserver : mais pourquoi les
épargner à l'égard de cette créature unique, qui était elle-même un prodige de
miracles, et l'abrégé de toutes les merveilles? Cette
521
faveur
commença dès la première communion, qu'elle reçut pendant la Cène (comme il a
été dit plus haut), et pour la lui continuer, ces premières espèces se
conservèrent jusqu'à la seconde communion, qu'elle reçut de la main de saint
pierre, le jour de l'Octave de la Pentecôte. Il arriva alors qu'au moment où
elle reçut de nouveau et avala les espèces sacrées, les premières qu'elle
avait dans le coeur se consumèrent, et les nouvelles espèces qu'elle venait de
recevoir prirent leur place. C'est dans cet ordre miraculeux que, dès ce
jour-là jusqu'à la dernière heure de sa très-sainte
vie, les espèces sacramentales se remplacèrent les unes les autres dans son
coeur, y conservant toujours son adorable Fils dans le
très-auguste sacrement.
126. La bienheureuse Marie
fut si divinisée, ses opérations et ses puissances furent si élevées au-dessus
de tout ce que peut concevoir la pensée humaine par ce bienfait et par celui
de la vision continuelle et abstractive de la Divinité dont j'ai parlé
ailleurs, qu'il est impossible de le comprendre en cette vie mortelle et de
s'en former une idée exacte, analogue aux idées que nous nous faisons des
autres choses, et je ne trouve pas même de termes pour exprimer le peu qui
m'en a été annoncé. Après qu'elle fut descendue du ciel elle se trouva toute
changée, toute transformée quant à l'usage qu'elle avait à faire des sens
corporels; car sous un rapport elle était séparée de son
très-saint Fils, auquel elle en consacrait le digne emploi lorsqu'ils
lui servaient pour converser;
522
et sous
un autre rapport elle sentait, elle comprenait comment elle le possédait dans
son coeur, où il attirait et recueillait toute son attention. Dès le jour où
elle descendit du ciel, elle fit un nouveau pacte, avec ses yeux, et jouit
d'un nouvel empire pour ne recevoir les images ordinaires des choses
terrestres et visibles qui entrent par les sens, qu'autant qu'il le fallait
pour diriger les enfants de l'Église, et pour savoir à cet égard ce qu'elle
devait faire et décider. Elle ne se servait point de ces images, et dans la
conversation elle n'était pas obligée d'en user ni de recourir à la faculté
intérieure, où elles sont déposées chez les autres personnes pour alimenter la
mémoire et l'entendement; car elle faisait tout cela au moyeu d'autres images
infuses et de la science qui lui était communiquée par la vision abstractive
de la Divinité, à la manière que les bienheureux découvrent eu Dieu et voient
ce que ce libre miroir veut leur montrer en lui-même ou dans les créatures,
par une autre vision ou science. Notre auguste Reine connaissait ainsi tout ce
que, selon la volonté de Dieu, elle devait faire, ne se servant point de la
vue pour savoir et apprendre quoi que ce fat; néanmoins elle regardait par un
simple regard le chemin par où elle passait et les personnes auxquelles elle
s'adressait.
127. Elle usait titi peu
davantage du sens de l'ouïe, parce que cela était nécessaire pour entendre
tout ce que les fidèles et les apôtres lui racontaient de l'état des âmes, de
l'Église et de leurs besoins, et pour les encourager par ses réponses, par ses
avis et par ses
523
conseils.
Mais elle avait tin tel empire sur ce sens ,
qu'elle ne lui laissait percevoir aucun bruit, aucune parole qui pat le moins
du monde offenser la sainteté et la perfection
très-sublime de sa dignité, ou qui ne fût pas nécessaire pour exercer
la charité envers le prochain. Elle n'usait point de l'odorat pour remarquer
les odeurs terrestres ou tout autre objet propre à cet organe, mais elle
sentait des parfums célestes par le ministère des anges, qui l'en embaumaient
en y trouvant de nouveaux motifs de louer le Créateur.
fille éprouva aussi un grand changement dans le sens (lu goût , car
elle s'aperçut due, depuis qu'elle était descendue du ciel , elle pouvait
vivre sans aucun aliment, quoiqu'il ne lui eût pas été prescrit de n'en point
prendre. Elle était libre à cet égard; ainsi elle mangeait quelquefois, mais
fort peu, et c'était lorsque saint pierre et saint Jean l'y engageaient, ou
pour ne pas attirer l'attention des personnes qui auraient pu s'étonner
qu'elle ne prit rien; de sorte qu'elle ne mangeait que par obéissance ou par
humilité , et alors elle ne percevait ni ne
distinguait non plus la saveur propre à l'aliment que si c'eût été un corps.
apparent ou glorieux qui eût mangé. Il en était de
même pour le toucher, car elle remarquait très-peu
ce qu'elle touchait, et n'en avait aucune satisfaction sensible; mais elle
sentait dans sert coeur avec une douceur et une joie ineffable le contact des
espèces sacramentales, et c'était ce sentiment qui absorbait ordinairement.
son attention.
128. Toutes ces faveurs
relatives à l'usage de ses
544
sens lui
furent accordées à sa demande; car elle les consacra tous de nouveau, aussi
bien que toutes ses puissances, à la plus grande gloire du Très-Haut, et ne
s'en servit que pour agir avec toute la plénitude possible de vertu, de
sainteté et de perfection éminentes. Et quoiqu'elle eût accompli pendant toute
sa vie, dès son immaculée conception , le devoir de
fidèle servante (1) et de prudente dispensatrice de sa plénitude de grâce et
des dons du Seigneur (comme on l'a vu dans tout le cours de cette histoire),
néanmoins, après qu'elle eut monté au ciel avec son adorable Fils, elle reçut
un nouveau surcroît de tons ces dons, et la
Toute-Puissance divine lui accorda une nouvelle manière d'opérer. Elle
était encore dans la condition des voyageurs, puisqu'elle ne jouissait pas de
la vision béatifique comme les compréhenseurs;
mais ses actes, en ce qui regarde les sens, avaient plus de rapport avec ceux
des saints glorifiés en corps et en âme, qu'avec ceux des autres voyageurs. On
ne saurait expliquer par aucun autre exemple l'état si heureux, si
extraordinaire et si divin dans lequel se trouva notre auguste Princesse quand
elle revint du ciel sur la terre pour diriger la sainte Église.
129. La sagesse et la
science intérieure répondaient, chez la bienheureuse Marie, à cette manière
d'agir avec les facultés sensitives, car elle connaissait la volonté et les
décrets du Très-Haut en tout ce qu'elle devait et qu'elle voulait opérer; elle
savait en
(1) Matth., XXV, 10.
525
quel
temps, de quelle manière, dans, quel ordre elle devait faire chaque chose; en
quels termes et dans quelles circonstances elle devait parler, au point qu'en
cela les anges qui nous assistent sans perdre de vue le Seigneur, ne la
surpassaient pas, au contraire. Leur grande Reine pratiquait les vertus avec
une si haute sagesse qu'ils en étaient ravis d'admiration, parce qu'ils
comprenaient qu'aucune autre simple créature ne pouvait la surpasser, ni même
arriver à cette sainteté consommée, à cette perfection suréminente avec
laquelle cette divine Mère opérait. Une des choses qui la pénétrèrent d'une
joie indicible, c'était l'adoration et le respect que les esprits célestes
rendaient à son Fils sous les espèces sacramentales dans son sein. Les saints
en firent de même dans le ciel lorsqu'elle y monta en la compagnie de son
très-saint Fils, le portant aussi renfermé dans
son coeur sous les espèces sacramentales, parmi les bienheureux, que ce doux
spectacle remplissait d'une nouvelle joie. Celle que causait à notre grande
Dame la profonde vénération que les anges témoignaient au
très-saint Sacrement dans son sein, provenait de la divine science qui'
lui faisait prévoir la négligence grossière qu'apporteraient les mortels à
rendre au corps sacré du Seigneur le culte qu'ils lui doivent. Pour réparer
cette faute qu'elle savait que nous commettrions tous, elle offrait à sa
divine Majesté les hommages dont l'entouraient les princes célestes, qui
connaissaient plus dignement ce mystère, et qui le révéraient avec les
sentiments du respect le plus sincère.
526
130. Elle voyait au dedans
d'elle-même le corps de son très-saint Fils,.
tantôt glorieux, tantôt revêtu de la beauté
naturelle de son humanité sainte, d'autres fois, et presque continuellement,
elle connaissait tous les miracles que renferme le
très-auguste sacrement de l'Eucharistie. Elle jouissait de toutes ces
merveilles et de beaucoup d'autres que nous ne saurions comprendre dans cette
vie corruptible; parfois elle les contemplait en elles-mêmes, et parfois en la
vision abstractive de la Divinité; et de même qu'elle voyait la Divinité, de
même elle discernait toutes les choses qu'elle devait faire, soit dans sa
conduite personnelle, soit dans ses rapports avec l'Église. Et ce qu'elle
prisait le plus, c'était de savoir combien son très-saint
Fils se complaisait i1 demeurer sous les espèces sacramentales dans son coeur
très-pur; et il y trouvait sans doute plus de
délices (selon ce qui m'a été découvert) qu'à être en la compagnie des
bienheureux. O chef-d'oeuvre singulier, unique et prodigieux de la puissance
infinie! Vierge sainte, vous seule avez été un ciel plus agréable
a votre Créateur que le ciel inanimé qu'il a fait
pour sa demeure (1). Celui que les espaces incommensurables ne peuvent
contenir (2), s'est renfermé en vous seule, et a trouvé un trône convenable
non-seulement dans votre sein virginal, mais aussi
dans le domaine immense de votre capacité et do votre amour. Vous seule avez
toujours été un ciel, et Dieu
(1) Ps., CXIII, 25. — (2) III Reg., VIII, 27.
527
a
toujours été avec vous depuis qu'il vous a donné l'être, et reposera en vous
pendant tous les siècles de son interminable éternité avec une satisfaction
absolue. Que toutes les nations vous connaissent, que toutes les générations
vous bénissent (1); que toutes les créatures vous glorifient et vous louent,
et reconnaissent leur Dieu et leur Rédempteur véritable, qui par vous seule
nous a visités et relevés de notre malheureuse chute (2).
131. Qui d'entre les
mortels et même d'entre les anges pourra dépeindre l'incendie d'amour qui
consumait le coeur de cette grande Reine pleine de sagesse? Qui pourra
comprendre avec quelle impétuosité le fleuve de la Divinité inonda et réjouit
cette Cité de Dieu (3)? Quelles affections, quels mouvements, quels actes lui
faisaient produire toutes ses vertus et tous les dons qu'elle avait reçus sans
aucune mesure, agissant toujours avec toute la force incomparable de ces
grâces? Quelles prières elle faisait pour la sainte Église? Quelle fut sa
charité envers nous? Quelles biens elle nous
procura et quelles faveurs elle nous ménagea? Il n'y a que l'Auteur de cette
merveille ineffable qui puisse le connaître. Pour nous, élevons notre
espérance, animons notre foi, augmentons notre amour envers cette tendre Mère,
demandons-lui avec instance son intercession et sa protection, car le Sauveur
ne lui refusera rien pour nous, puisque étant son Fils et notre frère, il lui
a donné d'aussi
(1) Luc., I, 48. — (2) Ibid., 68. — (3) Ps. XLV, 5.
528
grands
témoignages d'amour que ceux que j'ai rapportés et que je rapporterai dans la
suite.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges l'auguste Marie.
132. Ma fille, par tout ce
que je vous ai découvert jusqu'à cette heure de ma vie et de mes oeuvres, vous
êtes bien avertie que vous ne trouverez en aucune simple créature autre que
moi, l'exemplaire ou l'original sur lequel vous puissiez copier la plus grande
sainteté et la plus haute perfection à laquelle vous aspirez. Mais maintenant
vous avez montré le degré le plus sublime de vertu auquel je sois parvenue
dans la vie mortelle. C'est là un bienfait qui vous oblige plus que jamais à
renouveler vos désirs et à appliquer toute l'attention de vos facultés à la
parfaite imitation de ce que je vous enseigne. Il est temps, ma
très-chère fille, et il est juste que vous vous
abandonniez entièrement à ma volonté en ce que je demande de vous. Et afin de
vous animer davantage à acquérir ce bien , je veux
vous apprendre que , quand mon très-saint Fils
visite sous les espèces eucharistiques ceux qui le reçoivent avec vénération
et avec ferveur, après s'être préparés avec tout le soin et tout le zèle
possibles à le recevoir avec un coeur pur et sans tiédeur, sa divine Majesté
reste dans leur âme malgré la
529
consomption
de l'hostie , d'une autre manière spéciale et par une
grêce particulière, par laquelle il les assiste, les enrichit et les
dirige, en récompense du bon accueil qu'elles lui ont fait. Il y a fort peu
d'âmes qui obtiennent cette faveur, parce que la plupart l'ignorent , et
reçoivent le très-saint Sacrement sans cette
disposition, légèrement, comme par coutume, et sans se préparer par la
vénération et la sainte crainte que devrait leur inspirer un si auguste
mystère. Quant à vous, qui êtes instruite de ce secret, je veux que tous les
jours (puisque vous communiez tous les jours par ordre de vos supérieurs) vous
vous prépariez dignement, afin que vous ne soyez point privée de cette grande
faveur.
133. Pour cela vous devez
méditer sur ce que vous avez appris que je faisais; vous règlerez là-dessus
vos désirs, votre ferveur, votre vénération, votre amour, et tout ce que vous
devez faire pour préparer votre coeur, comme le temple et la demeure de votre
divin Époux et de votre souverain Roi. Tâchez donc de vous bien recueillir
avant et après l'avoir reçu ; faites réflexion sur la fidélité que vous lui
devez garder en qualité d'épouse, et surtout n'oubliez pas de mettre un
bandeau sur vos yeux et une garde à tous vos sens (1), afin qu'il n'entre dans
le temple du Seigneur aucune image profane. Conservez-vous avec soin dans une
grande pureté de coeur, car la plénitude de la lumière et de la sagesse divine
n'entre
(1) Ps. CXL, 3.
530
point
dans une âme impure (1). Vous connaîtrez tout cela par le secours de la
lumière que Dieu vous a donnée, si vous n'êtes attentive qui à elle seule avec
toute la droiture de votre intention. Et comme vous ne pouvez pas renoncer
entièrement au commerce des créatures, il faut que vous ayez un grand empire
sur vos sens, et que vous ne leur permettiez de vous transmettre aucune image
des choses sensibles, si elle ne peut vous aider à pratiquer ce qui est le
plus saint et le plus pur des vertus. Séparez ce qui est précieux d'avec ce
qui est vil (2), et la vérité d'avec le mensonge. Et afin que vous m'imitiez
en cela d'une manière parfaite, je veux que dès maintenant vous compreniez
avec quelle circonspection vous devez faire toutes choses, grandes ou petites,
afin que vous n'en perdiez point le fruit en renversant l'ordre de la raison
et de la lumière divine.
134. Considérez donc
sérieusement l'illusion commune des mortels et les pertes irréparables qu'ils
font chaque jour, parce que dans les résolutions de leur volonté ils ne sont
mus ordinairement que par ce qui frappe les sens, et qu'une simple impression
suffit pour leur faire prendre aussitôt un parti, sans aucune réflexion et
sans demander le moindre conseil. Et comme les choses sensibles mettent
sur-le-champ en branle les passions et les inclinations animales, il s'ensuit
qu'on ne subordonne pas ses actions au jugement de la raison, mais qu'on cède
à l'impétuosité
(1) Sap., I, 4. — (2) Jerem.,
XV, 19.
531
des
passions, excitées par les sens et par leurs objets. C'est pourquoi celui qui
ne consulte l'injure que par la douleur qu'elle cause, est porté aussitôt à la
vengeance. C'est pourquoi encore celui qui ne suit que la convoitise de la
chose d'autrui qu'il a regardée, se résout à l'injustice. C'est ainsi enfin
qu'agissent tant de malheureux qui se laissent aller à la concupiscence de la
chair, à la concupiscence des yeux et à l'orgueil de la vie (1), qui sont ce
que le monde et le démon leur offrent, parce qu'ils n'ont rien
d'autre ,à leur donner. Dans leur illusion funeste,
ils prennent les ténèbres pour la lumière (2), l'amer pour le doux, le venin
mortel pour le remède de leurs passions, et l'ignorance aveugle pour la
sagesse; puisque leur sagesse est diabolique et terrestre. Pour vous, ma
fille, gardez-vous de cette erreur pernicieuse, et ne vous déterminez jamais
en rien seulement d'après ce qui est sensible, ni d'après les avantages que
les sens vous représentent. Pesez vos actions et examinez-les d'abord à l'aide
de la lumière intérieure que Dieu vous a communiquée, afin de ne rien faire à
l'aveugle, et cette lumière ne vous manquera jamais. Prenez ensuite conseil de
votre supérieur, si vous le pouvez; avant de choisir un parti. Que si votre
supérieur est absent, consultez une autre personne, fuit-ce un inférieur, car
cela est encore plus sûr que de se conduire par sa volonté propre, laquelle
peut être troublée et obscurcie par les passions. Vous devez garder cet
(1) Joan., II, 16. — (3) Joan., III, 19.
532
ordre en
tout ce que vous ferez, surtout dans les choses extérieures, procédant
toujours avec prudence , avec discrétion, suivant les circonstances qui se
présenteront, et suivant les besoins du prochain. Mais dans toutes les
circonstances possibles il vous faudra prendre garde de perdre la boussole de
la lumière intérieure sur cette mer orageuse du commerce des créatures, où le
navigateur est toujours exposé à périr.
CHAPITRE IX. L'auguste Marie connut que Lucifer se préparait à persécuter
l'Église. — Ce qu'elle fit contre cet ennemi en protégeant et défendant les
fidèles.
135. Élevée au plus haut
degré de grâce et de sainteté auquel puisse parvenir une simple créature, la
grande Reine de l'univers regardait avec sa science divine le petit troupeau
de l'Église, qui se multipliait tous les jours. Semblable à une tendre mère et
à une vigilante bergère, elle était, pour ainsi dire, aux aguets sur la haute
montagne où. la droite de son Fils tout-puissant
l'avait placée, et elle observait si les brebis de son troupeau n'étaient
point exposées à
533
tomber
dans les piéges des loups infernaux, dont elle connaissait la rage contre les
nouveaux enfants de l'Évangile. Tel était le soin que la Mère de la lumière
prenait de cette sainte famille, qu'elle avait adoptée pour sienne et qu'elle
regardait comme l'héritage de son très-saint Fils,
comme des enfants choisis entre tons les autres mortels et.
comme les élus du TrèsHaut.
La nouvelle Église fut quelque temps dans une situation prospère, gouvernée
qu'elle était par la divine Maîtresse, qui lui distribuait ses conseils et ses
avis, lui enseignait sa doctrine, et ne cessait d'offrir pour elle ses prières
et ses supplications, sans perdre une seule occasion ni un seul moment pour
remplir ce ministère, et pour consoler les apôtres et les autres fidèles.
136. Quelques jours après
la venue du Saint-Esprit, redoublant ses prières, elle dit au Seigneur : « Mon
Fils et mon Seigneur, vrai Dieu d'amour, je sais que le petit troupeau
de votre sainte Église, dont vous m'avez constituée la Mère et la
Protectrice, ne vaut rien moins que le prix infini de votre vie et de
votre sang, moyennant lequel vous l'avez racheté fie la puissance des
ténèbres (1); il est juste, Seigneur, que je vous offre aussi ma vie et
tout mon être, pour la conservation et l'accroisse ment de ce dont votre
sainte volonté fait une si grande estime. Agréez, mon Dieu, que je
meure, s'il le faut, pour que votre saint nom soit exalté
(1) Col., I, 13.
534
et que
votre gloire se répande dans tout l'univers. a
Recevez, mon Fils, le sacrifice de mes lèvres et de ma volonté que je
vous offre avec vos propres mérites. Favorisez vos fidèles de votre
miséricorde, soutenez ceux qui n'espèrent qu'en vous et qui a s'abandonnent à
votre sainte foi. Éclairez Pierre a votre vicaire,
afin qu'il gouverne heureusement les brebis que vous lui avez confiées.
Gardez, tous les a apôtres vos ministres, prévenez-les tous des bénédictions
de votre clémence (1), afin que nous accomplissions tous votre sainte et
parfaite volonté. »
137. Le Très-Haut,
répondant aux prières de notre charitable Reine, lui dit: « Mon Épouse et ma
bien-aimée, mon élue entre les créatures pour la plénitude de mes
complaisances, je suis attentif à vos désirs et à vos prières. Mais vous savez
que mon Église doit suivre mes traces et ma doctrine en marchant dans le
chemin des souffrances et de ma croix, que mes apôtres, mes disciples, tous
mes intimes amis et tous mes imitateurs doivent embrasser (2), puisqu'ils ne
peuvent obtenir ce titre a qu'à la condition de souffrir. La barque de mon
Église a besoin du lest des persécutions pour qu'elle puisse voguer avec
sûreté à travers les prospérités a et les dangers du monde. C'est ce que ma
très-haute providence demande à l'égard des
fidèles et des prédestinés. Considérez donc l'ordre suivant lequel cela
doit être réglé. »
(1) Ps. XX, 4. — (2) Matth., I, 88.
535
138. Aussitôt notre grande
Reine eut une vision dans laquelle elle vit Lucifer et une multitude
innombrable de démons qui le suivaient et sortaient des cavernes infernales.
Ils y étaient restés abattus depuis le moment où ils furent vaincus et
précipités de la montagne du Calvaire, comme on l'a dit plus haut. Elle vit
que ce dragon à sept tètes s'élevait comme de la mer, suivi des autres esprits
rebelles; et quoiqu'il füt fort affaibli, comme un
convalescent qui sortant d'une longue maladie ne saurait presque se tenir
debout, néanmoins en son orgueil et en sa rage il s'avançait avec arrogance et
avec une haine implacable; mais on s'apercevait dans cette occasion que sa
fierté était plus grande que sa force, comme l'avait dit auparavant Isaïe (1);
car d'un côté il laissait paraître l'accablement que lui avait causé la
victoire de notre Sauveur et le triomphe qu'il avait da haut de la croix
remporté sur lui; d'un autre côté il exhalait la fureur dont il était enflammé
contre la sainte Église et contre ses enfants. Arrivé sur la terre, il la
parcourut et la reconnut tout entière; puis i1 s'en vint à Jérusalem pour y
déployer tout son acharnement contre les brebis de Jésus-Christ, et commença
par observer de loin ce troupeau, si humble, mais si formidable pour son
insolente malice.
139. Quand le dragon eut
reconnu la multitude de personnes qui avaient embrassé la sainte foi, et
venaient d'heure en heure recevoir le saint baptême,
(1) Isa., XVI, 6.
536
quand il
eut vu que les apôtres prêchaient et faisaient tant, de merveilles en faveur
des âmes, que les convertis, renonçaient aux richesses et les méprisaient, il
découvrit à l'instant les principes de sainteté invincibles sur lesquels était
établie la nouvelle Église, et l'étrange changement qu'ils annonçaient
redoubla la fureur dont il était transporté. Se retranchant dans sa' propre
malice, il poussait des hurlements épouvantables, et s'irritait contre
lui-même du peu de pouvoir qu'il avait contre Dieu, pour boire les eaux pures
du Jourdain qu'il aurait.voulu dessécher (1). Il
tâchait de s'approcher de l'assemblée des fidèles; mais il ne le pouvait,
parce qu'ils étaient tous unis en une charité parfaite. Cette vertu et celles
de foi, d'espérance et d'humilité, formaient comme une forteresse inaccessible
an dragon et à ses ministres d'iniquité. Il rôdait autour du troupeau de
Jésus-Christ pour épier si quelque brebis ne cesserait point d'être sur ses
gardes, afin de s'élancer sur elle et de la dévorer, il cherchait tous les
moyens de tenter les fidèles et d'en attirer quelqu'un, afin de s'en servir
pour faire brèche à cette forteresse des vertus qu'il reconnaissait chez tous;
mais il trouvait que tous les points étaient bien gardés, et bien défendus par
la vigilance des apôtres, par la force de la grâce et par la protection de
l'auguste Marie.
140. Quand cette charitable
Mère eut vu Lucifer avec une si nombreuse armée de démons, et découvert
(1) Job., XL, 18.
537
la rage avec laquelle il s'élevait contre l'Église évangélique, elle en eut le coeur pénétré de compassion et de douleur, connaissant d'un côté la faiblesse et l'ignorance des hommes, et de l'autre la malice, les ruses et la fureur de l'ancien serpent. Et voulant réprimer et refréner son orgueil, la bienheureuse Marie l'interpella en ces termes : « Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les plus élevés (1)? O insensé! téméraire ennemi du Tout-Puissant ! que le même Seigneur qui, étant sur la croix, t'a vaincu et a terrassé ton orgueil en rachetant le genre humain de ta cruelle tyrannie, te commande maintenant; que sa puissance t'accable, et que sa u sagesse te confonde et te précipite dans l'abîme. Et c'est ce que je fais en son nom, afin que tu ne puisses empêcher l'exaltation et m gloire que tous les hommes lui doivent comme Dieu et comme Rédempteur. » Ensuite notre compatissante Mère continua ses prières, et, s'adressant au Seigneur, elle lui dit : « Mon Dieu et mon adorable l'ère, si la puissance de votre bras n'arrête et ne brise la fureur que je découvre dans le dragon infernal et dans ses démons, il perdra et détruira sans doute toute la terre en ses habitants. Vous êtes le Dieu de miséricorde et de clémence envers vos créatures ne permettez pas, Seigneur, que ce serpent répande son venin sur les âmes rachetées et levées par le sang de l'Agneau votre adorable Fils (2). Est-il
(1) Ps. CXII, 5. — (2) Apoc., VII, 14.
538
possible
que ces âmes se livrent elles-mêmes à un monstre si cruel? Comment mon
coeur pourra-t-il a retrouver la paix, si je vois tomber dans un mal•heur si
affreux quelques-unes de celles qui ont recueilli le fruit de ce précieux sang
? Oh ! si ce dragon tournait toute sa rage
contre moi seule, et que les âmes que vous avez rachetées fussent sauvées ! Je
soutiendrai, moi, Seigneur éternel, vos a guerres contre vos ennemis.
Revêtez-moi de votre force, afin que je les humilie et que j'abatte leur
a insolence et leur orgueil. »
l41. En vertu de cette
prière et de cette résistance de notre puissante Reine, Lucifer.
se laissa grandement décourager, et n'osa point
alors s'approcher d'aucun membre de la sainte assemblée des fidèles. Il ne
diminua toutefois rien de sa fureur; mais il résolut, au contraire, de se
servir des scribes et des pharisiens et de tous les juifs qu'il reconnaissait
persister dans leur obstination et dans leur perfidie. Il les aborda, et au
moyen de diverses tentations il les remplit. d'envie
et de haine contre les apôtres et contre les autres fidèles de l'Église; de
sorte qu'il entreprit par l'intermédiaire des incrédules la persécution qu'il
n'eut pas la hardiesse de commencer par lui-même. Il leur représenta qu'ils
recevaient un plus grand dommage de la prédication des apôtres et des
disciples que de celle de Jésus de Nazareth, leur Maître, dont ils voulaient
illustrer et relever le nom sous les yeux de ceux mêmes qui l'avaient crucifié
comme malfaiteur; qu'il en résultait pour eux un
539
grand
déshonneur, que le nombre des disciples devenait considérable, et qu'ils
attiraient tout le peuple après eux par les miracles qu'ils faisaient chaque
jour; que par là les maîtres et les docteurs de la loi seraient méprisés et
perdraient leurs bénéfices accoutumés, parce que les néophytes donnaient tout
aux nouveaux prédicateurs qu'ils écoutaient, et que cette perte pour les
anciens maîtres de la loi commençait à croître sensiblement, à cause du grand
nombre de personnes qui suivaient déjà les apôtres.
142. Ces conseils
d'iniquité allaient fort bien à la cupidité et à l'ambition aveugle des Juifs;
aussi les reçurent-ils comme excellents et d'ailleurs conformes à leurs
désirs. Il arriva de là que les pharisiens, les sadducéens, les magistrats et
les prêtres tinrent contre les apôtres toutes ces assemblées que saint Luc
mentionne dans leurs Actes (1). La première eut lieu lorsque saint Pierre et
saint Jean guérirent à la porte du Temple un homme paralytique dès sa
naissance, âgé de quarante ans, qui était connu dans toute la ville de
Jérusalem. Et comme ce miracle fut si public et si éclatant, tout le peuple,
frappé d'admiration, courut vers eux (2). Alors saint Pierre lui fit un grand
sermon (3), et prouva qu'on ne se pouvait sauver par aucun autre nom que par
celui de Jésus, en la vertu duquel lui et saint Jean
avaient guéri ce paralytique incurable. Le lendemain les prêtres
s'assemblèrent et firent paraître devant eux les deux apôtres (4).
(1) Act., III, 6. — (2) Ibid., 11. —(3)
Ibid. 12, etc. — (4) Act., IV, 5.
540
Mais
comme le miracle était notoire, et que le peuple en glorifiait Dieu, 'ces
juges iniques s'en sentirent si confondus, que n'osant point les châtier ils
se contentèrent de leur défendre de parler et d'enseigner à l'avenir au nom de
Jésus de Nazareth (1). Saint Pierre, avec son coeur magnanime, leur répondit
qu'ils ne pouvaient leur obéir en cela, parce que Dieu leur commandait le
contraire, et qu'il n'était pas juste de désobéir à Dieu pour obéir aux hommes
(2). Après cette défense ils rendirent pour le moment la liberté aux deux
apôtres, qui s'en allèrent aussitôt trouver notre auguste Reine pour
l'informer de ce qui leur était arrivé, quoiqu'elle le sût déjà par une vision
dont elle avait été favorisée. Ensuite ils se mirent en oraison, et pendant
qu'ils y étaient, le Saint-Esprit vint une seconde fois sur eux tous avec des
marques sensibles.
143. Quelques jours après
arriva la punition miraculeuse d'Ananie et de
Saphire sa femme, qui, tentés d'avarice,
prétendirent tromper saint Pierre, lui apportant seulement une partie du prix
d'un fonds de terre qu'ils avaient vendu, et retenant le reste, tout en
assurant qu'ils ne l'avaient pas vendu plus cher (3). Peu de temps auparavant,
Barnabé, autrement appelé Joseph, qui était lévite et de l’île de Chypre,
avait vendu une autre terre et en avait apporté tout le prix aux apôtres (4).
Et afin que l'on sût que tous les fidèles devaient agir avec cette sincérité,
(1) Act., IV, 18. — (2) Ibid., 19. — (3) Act., V, 5. — (4) Act., IV, 37.
541
Ananie
et Saphire furent punis, tombant par terre et
expirant aux pieds de saint Pierre. Cette punition terrible mit en émoi tous
les habitants de Jérusalem , et procura aux apôtres
l'avantage de prêcher plus librement., Mais les magistrats et les sadducéens
s'irritèrent contre eux, s'en saisirent, et les jetèrent dans la prison
publique (1), où ils ne restèrent pas longtemps, parce que notre grande Reine
les délivra, comme je le dirai bientôt.
144. Je ne veux point
passer sous silence le secret de la chute d'Ananie
et de Saphire, sa femme. Quand la grande Reine du
ciel eut connu que Lucifer et ses démons instiguaient les prêtres et les
magistrats à s'opposer à la prédication des apôtres, et que par suite de ces
instigations ils avaient mandé en leur présence saint Pierre et saint Jean
après la guérison miraculeuse du paralytique, et leur avaient défendu de
prêcher au nom de Jésus, il arriva que cette charitable Mère considérant les
conséquences funestes qui en résulteraient pour la conversion des âmes, si ces
malicieux desseins n'étaient pas déjoués, s'adressa de nouveau au dragon, et
s'intéressant dans cette cause (comme elle l'avait promis au Seigneur) avec
beaucoup plus de résolution que Judith dans celle d'Israël, dit à ce cruel
tyran : « Ennemi du Très Haut, comment oses-tu , comment peux-tu t’élever
contre ses créatures, lorsqu'en vertu de la Passion et de la mort de mon
adorable Fils, tu as
(1) Act., V, 18.
542
été
vaincu et dépouillé de ton pouvoir tyrannique? Qu'est-ce que tu peux, ô
basilic venimeux, enchaîné et emprisonné que tu es dans les supplices de
l'enfer pour toute l'éternité? Ne sais-tu pas que tu dépens de sa puissance
infinie, et que tu ne saurais résister à sa volonté invincible? Eh bien !
il t'ordonne, et je t'ordonne en son nom et en
vertu de son pouvoir, de te hâter de descendre avec tes démons dans l'abîme
d'où tu es sorti pour persécuter les enfants de l’Église. »
145. Le dragon infernal ne
put résister à ce commandement de notre puissante Reine, parce que son
très-saint Fils permit, pour augmenter la terreur
des démons, qu'ils le vissent tous sous les espèces sacramentales dans le
coeur de son invincible Mère, comme sur le trône de sa toute-puissance et de
sa majesté. Il en arriva de même en d'autres occasions, dans lesquelles la
bienheureuse Vierge confondit Lucifer; j'en dirai quelque chose dans la suite.
Cette fois il se précipita dans les abîmes avec toutes ses légions qui le
suivaient; ils tombèrent tous domptés au moins pour quelque temps, et accablés
sous le poids de la vertu divine, que leur faisait sentir cette femme
incomparable. Dans cet état ils poussaient des hurlements effroyables, et
s'irritaient contre eux-mêmes du sort lamentable et irrémissible auquel ils
étaient condamnés, désespérant d'ailleurs de vaincre notre puissante Reine et
tous ceux qu'elle prenait sous sa protection. Lucifer plein de rage appela ses
démons, et leur dit : « Quel malheur est le mien? Dites-moi ce
543
que je
dois faire contre cette ennemie, qui me tourmente et me précipite de la sorte,
me faisant une plus grande guerre que toutes les autres créatures ensemble?
Cesserai-je de la persécuter, de peur qu'elle n'achève de me détruire? Je suis
toujours vaincu en la combattant, et elle est toujours victorieuse. Je sens
qu'elle diminue de plus en plus mes forces, et peu à peu elle finira par les
anéantir, et je ne pourrai rien entreprendre coutre les imitateurs de son
Fils. Mais comment me résignerais-je à souffrir un préjudice si injuste?
N'ai-je plus mon orgueilleuse puissance? Dois-je donc céder à une femme d'une
nature si inférieure à la mienne? Cependant je n'ose plus lutter contre elle.
Tâchons toujours d'abattre quelqu'un de ses enfants qui suivent sa doctrine;
un succès partiel diminuera ma confusion, et suffira pour me satisfaire. »
146. Le Seigneur permit su
dragon et aux siens de revenir sur la terre pour tenter et exercer les
fidèles. Après avoir observé leur conduite et reconnu la grandeur des vertus
qui les sauvegardaient, ils tic trouvaient aucun moyen de les faire tomber
dans les piéges qu'ils leur tendaient. Mais en étudiant leurs caractères et
leurs inclinations (c'est toujours ainsi, Hélas! qu'ils nous font une cruelle
guerre !) ils remarquèrent qu'Ananie et
Saphire sa femme étaient les plus attachés à
l'argent, et qu'ils l'avaient toujours recherché avec certains sentiments
d'avarice. Le démon les attaqua par cet endroit, qu'il trouva le plus faible,
et parvint à leur suggérer la pensée de retenir
544
une
partie du prix de l'héritage, qu'ils vendaient pour le donner aux apôtres, de
qui ils avaient reçu la foi et le baptême. Ils se laissèrent vaincre à cette
vile tentation , parce qu'elle était selon leur
basse inclination; de sorte qu'ils prétendirent tromper saint Pierre ; mais le
saint apôtre eut révélation de leur péché, et les punit par la mort soudaine
dont ils furent frappés à ses pieds, d'abord Avanie, et ensuite
Saphire, laquelle, ne sachant rien de ce qui était
arrivé à son mari, vint peu de temps après; et mentant comme lui, elle expira
aussi sous les yeux des apôtres.
147. Dès le premier dessein
que conçut Lucifer contre l'Église, notre auguste Reine connut ce qu'il
entreprenait, et qu'Avanie et Saphire ne
repoussaient point ses perfides suggestions; et, pleine de compassion et de
douleur, elle se prosterna en la divine présence, et dit avec un intime
gémissement: « Hélas! ô mon adorable Fils, comment
ce dragon dévorant peut-il faire sa proie des brebis de votre troupeau ?
Comment, mon divin Seigneur, pourrai-je souffrir que le venin de
l'avarice et du mensonge s'insinue dans les âmes qui vous ont coûté et
votre propre vie et votre précieux sang? Si ce cruel ennemi profite de
leur inexpérience pour se glisser parmi elles, il étendra de plus en
plus ses ravages, grâce a à l'exemple. du péché et
à la faiblesse des hommes, et les uns suivront les autres dans leur
chute. Je succomberai, mon Dieu, à ma douleur, parce que
vous m'avez fait connaître ce que pèse le péché
545
dans les
balances de votre justice; et beaucoup plus celui des enfants que celui
des étrangers. Or remédiez, mon bien-aimé, à ce dommage que vous m'avez fait
comprendre. » Le Seigneur lui répondit : « Ma Mère et mon Élue, que votre
coeur, où je réside, ne soit point affligé; car je tirerai pour
mon Église plusieurs biens de ce mal, que ma providence a permis à cette
fin. Par le châtiment dont je punirai ces péchés, j'apprendrai aux
autres fidèles à ne pas imiter un exemple effrayant, dont le
souvenir vivra dans l'Église, et à ne pas se laisser tenter à l'avenir
par la cupidité ni par l'amour de l'argent, puisque ma colère menace du
même châtiment ceux qui commettront le même crime; car, ainsi que
l'enseigne ma loi sainte, ma justice est toujours la même contre
les rebelles à ma volonté. »
148. La bienheureuse Marie
fut consolée par cette réponse du Seigneur, quoique la rigueur avec laquelle
la divine justice tira vengeance de la duplicité d'Avanie et de
Saphire excitât en elle une vive pitié. Pendant
que tout cela se passait, elle fit les prières les plus ardentes pour les
autres fidèles, afin qu'ils ne fussent point abusés par le démon ; et se
tournant de nouveau contre lui, elle le terrassa et le chassa, afin qu'il
cessât d'irriter les Juifs contre les apôtres. Et en vertu de cette force avec
laquelle elle arrêtait la fureur des esprits rebelles, les enfants de la
primitive Église jouissaient d'une paix et d'une tranquillité fort grande. Cet
heureux calme et cette
546
charitable
protection d notre auguste Reine auraient toujours continué, si les hommes ne
s'en fussent rendus indignes en se livrant aux mêmes tentations qu'Ananie
et Saphire, et à d'autres plus dangereuses encore.
Oh ! si les fidèles craignaient ce terrible
exemple, et imitaient celui des apôtres ! Il arriva qu'étant dans la prison où
j'ai déjà dit qu'ils étaient détenus, ils invoquèrent le secours divin et
celui de leur Peine et charitable Mère; et quand elle eut connu, par la divine
lumière qu'ils étaient prisonniers, prosternée les bras en croix devant la
divine présence, elle lit pour eux cette prière
« 149. Souverain Seigneur,
Créateur de l'univers, je me sommets de tout mon coeur à votre sainte u
volonté; et je reconnais, mon Dieu, qu'il est convenable, ainsi que votre
sagesse infinie l'ordonne, que les disciples suivent leur Maître, qui n'est
autre que vous, qui êtes la lumière et le guide a véritable de vos élus; c'est
ce que je confesse, mon adorable Fils; car vous cotes venu sur la terre sous
d'humbles dehors, pour honorer l'humilité et détruire l'orgueil, et pour
enseigner le chemin de la croix par la patience au milieu des afflictions
et du mépris des hommes. Je sais aussi que vos apôtres et vos disciples
doivent suivre cette doctrine, et l'établir dans l'Église. Mais s'il est
possible, souverain Bien de mon âme qu'ils conservent maintenant la liberté et
la vie pour fouler votre sainte Église, pour annoncer au monde la gloire de
votre saint Nom , et pour le convertir à
547
votre
véritable foi , je, vous supplie, Seigneur, de me permettre de secourir
Pierre, votre sicaire, et Jean mon fils et votre bien-aimé, et tous ceux
qui sont détenus en prison par la malice de Lucifer. Faites, Seigneur,
que cet ennemi ne se glorifie pas. Maintenant d'avoir triomphé de vos
serviteurs. Empêchez qu'il s'élève contre les autres enfants de l'Église.
Brisez son orgueil, et faites qu'il soit confondu en votre présence. »
150. Le Très-Haut,
répondant à cette prière, dit à la bienheureuse Vierge : « Mon Épouse, que ce
que vous souhaitez se fasse, car c'est ma volonté. Envoyez vos anges,
afin qu'ils détruisent les oeuvres de Lucifer; ma force est avec vous. » Après
ce consentement, la grande Reine des anges dépêcha aussitôt nu de ceux de sa
garde, qui appartenait à la plus haute hiérarchie, pour aller ôter les chaînes
aux apôtres et les tirer de la prison où ils étaient. Ce fut l’ange dont saint
Luc fait mention au chapitre cinquième des Actes (1), qui délivra pendant la
nuit les apôtres de la prison , comme la très-pure
Marie le lui avait ordonné, quoique l'évangéliste saint Luc n'ait point
expliqué le secret de ce miracle. Quant aux apôtres, ils virent dans toute sa
splendeur et dans toute sa beauté cet esprit céleste, qui leur dit que sa
Reine l'avait envoyé pour les tirer de la prison, connue il le fit; ensuite il
leur ordonna d'aller prêcher, et ils obéirent. Elle chargea aussi d'autres
(1) Act., V, 19.
548
anges,
peu de temps après, d'aller trouver les magistrats et les prêtres, et d'en
éloigner Lucifer 'et ses démons, qui les irritaient contre les apôtres, avec
ordre de leur donner de saintes inspirations, afin qu'ils n'osassent point
chercher à leur nuire ni à empêcher leur prédication. Ces saints anges
obéirent également, et s'acquittèrent si bien de cette mission, qu'il en
résulta ce que dit saint Luc au même chapitre (1), à propos du discours que
fit dans le conseil ce vénérable docteur de la loi, nommé Gamaliel. Car, comme
les autres juges se trouvaient embarrassés du parti qu'ils avaient à prendre à
l'égard des apôtres, qu'ils avaient mis en prison, et qui étaient libres et
prêchaient dans le Temple, sans qu'on sot par qui ils avaient été délivrés,
Gamaliel exprima son opinion, et conseilla aux prêtres de ne point se mêler de
ces hommes, mais de les laisser prêcher : parce que si cette oeuvre était une
enivre de Dieu, ils ne sauraient l'empêcher; et si elle ne l'était pas, elle
tomberait bientôt d'elle-même, comme l'entreprise des deux imposteurs qui
quelques années auparavant avaient tenté de former de nouvelles sectes à
Jérusalem et dans la Palestine : l'un s’appelait Théodas,
et l'autre Judas Galiléen; et tous deux périrent avec leurs partisans.
151. Gamaliel donna ce
conseil par l'inspiration des saints anges de notre grande Reine, qui
disposèrent aussi les autres juges à le recevoir. Que si ces juges défendirent
aux apôtres de prêcher encore
(1) Act., V, 34.
549
Jésus
de Nazareth, ce fut leur propre réputation et leur intérêt particulier qui les
v portèrent. Ils les firent aussi fouetter avant de les renvoyer, parce que,
malgré la première défense qu'ils leur avaient faite de continuer à prêcher,
ils avaient eu à les prendre une seconde fois pour le même sujet, lorsque
étant sortis de la prison ils prêchèrent de nouveau, par ordre de l'ange qui
les avait mis en liberté. Les apôtres allaient aussitôt rendre compte à la
bienheureuse Vierge de tous leurs travaux et de toutes les persécutions qu'ils
essuyaient, et la très-prudente Reine les recevait
avec une tendresse maternelle, ravie de les voir si constants dans les
souffrances, et si zélés pour salut des âmes.« Vous me paraissez maintenant,
Seigneurs, leur disait-elle, de véritables imitateurs et des disciples fidèles
de votre Maître, puisque vous bravez pour son saint Nom les outrages et les
opprobres, et que vous l'aidez avec joie à porter sa croix. Vous êtes ses
dignes ministres et coopérateurs, quand vous travaillez ainsi à faire valoir
le fruit de son sang dans les hommes , pour le
salut desquels il l'a répandu. Que sa puissante droite vous bénisse, et vous
communique sa divine vertu. » Elle leur disait cela à
genoux , après leur
avoir
baisé la main, et les servait ensuite, comme on l'a vu plus haut.
550
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
152. Ma fille, vous
trouverez plusieurs instructions fort importantes pour votre salut, et pour
celui (le tous les fidèles enfants de la sainte Église, en
ce que vous avez connu et écrit dans ce chapitre. On doit en premier
lieu considérer la sollicitude et la vigilance avec lesquelles je m'occupais
du salut éternel de tous les fidèles, sans oublier la moindre de leurs
nécessités, et le plus petit de leurs dangers. Je leur enseignais la vérité,
je priais continuellement pour eux, je les encourageais dans leurs peines; je
pressais le TrèsHaut de les assister, et surtout
je les garantissais des attaques, des illusions et de la fureur des démons.
Maintenant que je suis dans le ciel, je leur offre encore à tous les mêmes
faveurs; et si tous ne les expérimentent pas, ce n'est pas que, de mon côté,
je ne désire les leur faire, mais c'est qu'il y a bien peu de fidèles qui
m'implorent de tout leur coeur, et qui se disposent à mériter et à recueillir
le fruit de mon amour maternel. Je les défendrais tous contre le dragon, si
tous m'invoquaient, et craignaient les embûches dont il les environne pour les
faire tomber dans la damnation éternelle. Afin que les mortels sortent de leur
funeste assoupissement, et évitent ce malheur effroyable, je leur donne
maintenant ce nouvel avis : c'est, ma fille, qu'il est
très-certain que toua ceux qui se perdent depuis la mort de mon très
551
saint
Fils, et après les faveurs qu'il a faites au monde par mon intercession, sont
plus tourmentés dans l'enfer que ceux qui se sont perdus avant son avènement
au monde, et avant que je m'y trouvasse. Ainsi ceux qui entendront maintenant
ces mystères, et qui les mépriseront pour leur perdition, seront passibles de
plus grandes et de nouvelles peines.
153. Il faut que les
mortels réfléchissent aussi sur l'estime qu'ils doivent faire de leurs propres
âmes, puisque j'ai tant travaillé et que je travaille chaque jour tant pour
elles, après que mon très-saint Fils les a
rachetées par sa mort. Leur oubli à cet égard est fort blâmable et digne même
d'une punition très-rigoureuse. Car quelles
raisons peut avoir un homme qui a reçu la foi de prendre tant de peine pour se
procurer un plaisir passager des sens, qui ne dure parfois que quelques
instants, et ne saurait dans tous les casse prolonger au delà du terme de la
vie; et de ne pas faire plus de cas de son cime, qui est éternelle, que si
elle s'anéantissait avec les choses visibles? Les Hommes ne considèrent pas
(tue quand tout périt pour eux, alors l'âme commence à souffrir ou à jouir de
ce qui est éternel et sans fin. Vous qui connaissez cette vérité et la
perversité des mortels, ne soyez pas surprise si le dragon infernal est
aujourd'hui si puissant contre les hommes; car dans une guerre continuelle,
celui qui est victorieux accroît toutes ses forces de toutes celles que le
vaincu a perdues. Cela se vérifie surtout dans le combat acharné et incessant
que les chrétiens ont à soutenir contre les démons
en effet,
552
si les
âmes les vainquent, elles puisent de nouvelles forces dans cette victoire, et
ces esprits rebelles demeurent plus affaiblis, comme il arriva lorsque mon
Fils les eut vaincus et que je les, eus terrassés Après lui. Mais, s'ils
s'aperçoivent qu'ils obtiennent de l'avantage sur les hommes, alors ils
s'élèvent en leur orgueil, se prévalent de leur faiblesse, et recouvrent de
nouvelles forces et un plus grand pouvoir: c'est ce que vous voyez aujourd'hui
dans le monde, et cela parce que les amateurs de leur vanité se sont.
assujettis à eux, les suivant sous l'étendard de
cette même vanité et de leurs fausses promesses. Par suite de ce funeste
aveuglement l'enfer a élargi son sein, et plus il engloutit d'âmes, plus il en
est affamé, aspirant à ensevelir dans ses abîmes tout le reste des hommes.
154. Craignez, ô ma
très-chère fille, craignez ce danger autant que
vous le connaissez, et prenez bien garde de donner
aucune entrée dans votre coeur aux émissaires de ce féroce ennemi. Vous avez
l'exemple d'Ananie et de
Saphire, dans l'âme desquels le démon pénétra, en se servant, comme
d'une brèche, de leur amour de l'argent. Je ne veux pas que vous convoitiez
quoi que ce soit des choses du temps, et je veux que vous réprimiez de telle
sorte en vous toutes les passions et les inclinations de la nature fragile,
que les esprits malins eux-mêmes n'y puissent découvrir, avec toute leur
perspicacité, le moindre mouvement désordonné d'orgueil, d'avarice, de vanité,
de colère, ni d'aucune autre passion. C'est en cela que consiste la science
des saints, sans laquelle personne ne vit assuré
553
dans la
chair mortelle, et dont l'ignorance est cause de la perle d'une multitude
innombrable d'âmes. Apprenez-la cette science avec beaucoup d'attention, et
enseignez-la à vos religieuses, afin que chacune soit pour elle-même une
vigilante sentinelle. Par ce moyen elles vivront en paix et en une véritable
charité; et chacune et toutes ensemble, unies en la tranquillité du divin
Esprit et fortifiées par la pratique de toutes les vertus
, formeront une citadelle inaccessible à leurs ennemis. Rappelez-vous
et rappelez à vos religieuses la punition d'Ananie
et de Saphire, exhortez-les aussi à être exactes à
l'observance de leur règle et de leurs constitutions, car par là elles
mériteront ma protection toute particulière.
CHAPITRE X. Les faveurs que l'auguste Marie faisait aux apôtres par le
ministère de ses anges. — Le salut éternel qu'elle obtint à une femme à
l'heure de la mort. — Autres événements relatifs à quelques personnes qui se
damnèrent.
155. A
mesure que la nouvelle loi de grâce se répandait dans Jérusalem, que le nombre
des fidèles croissait, et que l'Église évangélique se développait (1),
554
notre
auguste et bienheureuse Reine, de soit côté, redoublait de sollicitude et
multipliait les soins dont elle entourait les nouveaux enfants que les apôtres
engendraient en notre Seigneur Jésus-Christ (2) par leur prédication. Et comme
ils étaient les fondements de l'Église (3), sur lesquels, comme sur des
assises inébranlables, devait reposer la solidité de cet édifice
admirable , la très-prudente
Mère et Maîtresse s'occupait des besoins du collège apostolique avec une
vigilance toute spéciale. Cette vigilance assidue devenait d'autant plus
active; qu'elle savait que Lucifer redoublait sa fureur contre les imitateurs
de Jésus-Christ, et surtout contre les apôtres comme ministres du salut
éternel des autres fidèles. Il ne sera jamais possible ici-bas de dire ni même
de concevoir les services, les faveurs, les bienfaits de tout genre qu'elle
procura à tout le corps de l'Église et à chacun de ses, membres mystiques, et
particulier aux apôtres et aux disciples; car, selon ce qui m'a été découvert,
il ne se passa point de jour ni d'heure où elle n'opérât pour eux plusieurs
merveilles. Je rapporterai dans ce chapitre quelques événements qui nous
présentent un fécond enseignement, à cause des
secrets de la providence impénétrable du Très-Haut qu'ils renferment. On
pourra en inférer quels devaient être le zèle et la charité que la
bienheureuse Marie avait pour les âmes.
156. Elle aimait et servait
les apôtres avec une
(1) Act., V, 14. — (2) I Cor., IV, 15. — (3)
Ephes., II, 20.
555
tendresse
et une vénération incroyables, tant à raison de leur éminente sainteté qu'à
raison de leur dignité de prêtres et de leur ministère de fondateurs et de
prédicateurs de l'Évangile. Lorsqu'ils demeurèrent ensemble à Jérusalem, elle
les servait, les assistait, les conseillait et pourvoyait à leurs besoins,
comme je l'ai raconté plus haut. L'extension et les progrès de l'Église les
forcèrent bientôt à sortir de Jérusalem, pour baptiser et initier à la foi
tant de personnes de divers lieux circonvoisins qui se convertissaient; mais
ils ne tardaient pas à y revenir, parce qu'ils avaient résolu de ne.
pas quitter Jérusalem et de ne pas se séparer
jusqu'à ce qu'ils eu eussent reçu l'ordre exprès. Ou
voit par les Actes des apôtres (1) que saint Pierre alla à
Lydde et à Joppé, où
il ressuscita Tabithe et fit d'autres miracles, et
revint ensuite à Jérusalem. Et quoique saint Luc fasse mention de ces voyages
après avoir rapporté la mort de saint Étienne (dont je parlerai dans le
chapitre suivant), néanmoins beaucoup d'habitants de la Palestine se
convertirent. auparavant; c'est pourquoi les
apôtres furent obligés de sortir de Jérusalem pour aller les instruire et les
confirmer dans la foi, et ils y rentraient ensuite pour rendre compte de tout
à leur auguste Maîtresse.
157. Le démon tâchait
d’empêcher le fruit de tous ces voyages et de toutes ces prédications,
suscitant contre les apôtres, contre leurs auditeurs et les néophytes taille
obstacles et contradictions de la part
(1) Act., IX, 38 et 40.
556
des
incrédules. Dans ces persécutions ils recevaient chaque jour de cruels
outrages et de grandes alarmes, parce que l'ennemi des âmes se flattait de
pouvoir les attaquer avec plus de succès en l'absence de leur Protectrice. En
effet, cette grande Reine des anges était si redoutable pour l'enfer, que,
nonobstant la haute sainteté des apôtres, il semblait à Lucifer que loin de
Marie, il les trouverait désarmés, et qu'il pourrait les tenter et les
attaquer avec avantage. Sans doute, l'orgueil et la fureur de ce dragon sont
tels, comme le dit Job, qu'il méprise le fer comme une paille légère, et
l'airain comme un bois pourri (1). Il ne craint ni les flèches ni la fronde;
mais il craint tant l'auguste Marie, que pour tenter les apôtres il attend
qu'ils en soient éloignés.
158. Toutefois, sa
protection ne leur manqua point, car cette charitable Dame découvrait toutes
choses du haut de sa sublime sagesse, et comme une
très-vigilante sentinelle elle leur signalait les piéges de Lucifer,
elle accourait au secours de ses enfants, ministres du Seigneur. Dans les
occasions où elle ne pouvait point parler aux apôtres parce qu'ils étaient
absents, elle lotir envoyait les saints anges de sa garde aussitôt qu'elle les
savait affligés, en leur recommandant de les consoler, de les animer et de les
préparer à tout, et quelquefois même de chasser les démons qui les
persécutaient. Les esprits célestes se hâtaient d'exécuter les ordres que leur
Reine leur donnait,
(1) Job., XLI, 18 et 19
557
tantôt
d'une manière secrète, en suggérant aux apôtres de douces et saintes pensées,
tantôt, et le plus souvent, en leur apparaissant sous une forme visible,
revêtus de lumière et d'une, beauté ravissante, et ils lés informaient de tout
ce qui leur était utile de connaître, ou de ce dont voulait les avertir leur
auguste Maîtresse. Ils usaient fréquemment dans leurs visites do ce mode
sensible, tant à cause de la grande sainteté des apôtres que parce qu'il était
alors extrêmement nécessaire de les soutenir et de les fortifier par
d'abondantes consolations. Jamais ils ne se trouvèrent dans la détresse ou
dans l'affliction sans que cette charitable Mère les
secourât par ces moyens, outre les prières continuelles, les
supplications et les actions de grâces qu'elle offrait pour eux. Elle était la
Femme forte, dont les domestiques étaient munis d'un double vêtement (1); elle
était aussi la Mère de famille qui fournissait à tous la
nourriture nécessaire et qui plantait la vigne du Seigneur du fruit de
ses mains (2).
159. Elle prenait
relativement le même soin des autres fidèles, et quoiqu'ils fussent en si
grand nombre dans Jérusalem et dans la Palestine, elle les
connais. sait tous et veillait sur tous,
pour les favoriser dans leurs besoins et dans leurs tribulations. Elle ne se
bornait pas à remédier à leurs nécessités spirituelles, elle s'occupait aussi
de leurs nécessités corporelles; sans parler de la multitude de malades
qu'elle
(1) Prov., XXXI, 21. — (3) Ibid., 15 et 16.
558
guérissait
des infirmités les plus graves. Quand elle savait qu'il n'était pas convenable
de guérir miraculeusement certains d'entre eux, elle ne laissait pas de les
visiter pour leur consolation, et de leur porter elle-même toutes les choses
dont ils pouvaient avoir besoin. Elle soignait surtout ceux qui étaient les
plus pauvres, et maintes fois elle leur donnait à manger de ses propres mains,
faisait leur lit et entretenait autour d'eux la propreté, comme si elle eût
été leur servante et malade avec les malades. Telles étaient l'humilité et la
charité de la grande Reine de l’univers, qu'elle ne dédaignait point de
s'employer aux choses les plus basses pour l'utilité de ses enfants les
fidèles, comme si elle y avait cherché sa propre consolation. Elle les
remplissait tous de joie, et répandait tant de douceur dans leurs peines,
qu'elle les leur rendait tontes faciles. Quant à ceux qui étaient éloignés et
qu'elle ne pouvait point assister personnellement, elle les favorisait
secrètement par l'entremise de ses anges, ou leur obtenait par ses prières
divers secours intérieurs.
160. Elle exerçait sa charité maternelle d'une manière toute
particulière envers les moribonds et les mourants; elle en assistait nu grand
nombre dans cette lutte suprême, et ne les quittait point qu'elle ne, leur eût
procuré l'espoir certain du repos éternel. Elle faisait de ferventes prières
pour ceux qui allaient au purgatoire, et pratiquait plusieurs oeuvres
pénitentielles, comme de se prosterner les bras en croix de faire des
génuflexions et d’autres exercices
559
par
lesquels elle satisfaisait pour eux. Puis elle envoyait quelques-uns de ses
anges dans le purgatoire avec ordre d'en délivrer ces Mmes pour lesquelles
elle avait satisfait, de les mener dans le ciel, et de les présenter en son
nom à son très-saint Fils, comme une partie de
l'héritage du même Seigneur, et comme le fruit de son sang et de sa
rédemption. Beaucoup d'âmes obtinrent ce bonheur dans le temps que la Reine du
ciel habitait la terre. Et j'ai appris qu'elle ne le refuse point maintenant à
celles qui se disposent pendant leur vie à mériter sa présence à l'heure de
leur mort, ainsi que je l'ai dit ailleurs. Mais il faudrait trop allonger
cette histoire si je voulais rapporter les faveurs que la bienheureuse Vierge
fit à une foule de personnes qu'elle assista à l'article de la mort; je ne
puis donc m'y arrêter: je raconterai seulement ce qui arriva à une fille
qu'elle arracha de la gueule da dragon infernal; cet événement est trop
extraordinaire et trop digne de nos réflexions pour que je l'omette dans cette
histoire et le refuse à notre instruction.
161. Il y avait à Jérusalem
une fille dont les parents étaient d'une condition pauvre et obscure; elle se
convertit parmi les cinq mille personnes qui les premières reçurent le
baptême. Cette pauvre fille tomba malade en s'occupant aux affaires de sa
maison, et sa maladie traîna en langueur sans aucune amélioration dans son
état. Il en résulta ce qui arrive à beaucoup d'autres en semblables
circonstances, c'est-à-dire qu'elle se relâcha de sa première ferveur, et se
négligea
560
au point
de commettre certaines fautes qui lui firent perdre la grâce baptismale.
Lucifer, qui veillait toujours pour dévorer quelques-unes de ces âmes,
assaillit celle-ci avec une extrême violence, Dieu le permettant de la sorte
pour sa plus grande gloire et pour celle de sa
très-sainte Mère. Le démon apparut à cette fille sous la forme d'une
autre femme, pour la mieux tromper, et lui dit en la caressant d'éviter toute
relation avec les gens qui prêchaient le Crucifié , et de ne point ajouter foi
à tout ce qu'ils lui débitaient, parce qu'ils ne faisaient que la tromper; que
sinon, les prêtres et les juges la châtieraient comme ils avaient crucifié le
maître de cette loi nouvelle et mensongère qu'on lui avait enseignée; enfin
qu'elle n'avait qu'à l'abandonner pour. se relever
de sa maladie, et pour vivre ensuite contente et à l'abri de tout péril. La
fille lui répondit : « Je ferai ce que vous me dites : mais comment me
comporterai-je à l'égard de cette Dame que j'ai vue avec ces hommes et avec
ces femmes, et qui me semble si belle et si douce que je ne saurais m'empêcher
de l'aimer beaucoup? » Le démon lui répliqua : « C'est justement celle-là qui
est la plus méchante de toute cette compagnie; c'est elle que vous devez haïr
la première, et il faut que vous ne vous laissiez plus tromper par elle, c'est
ce qui vous importe le plus. »
162. L'âme de cette pauvre
fille fut infectée par ce mortel venin de l'antique serpent, et au lieu de
recouvrer la santé du corps, elle vit sa maladie s'aggraver de jour en jour,
et marcha rapidement à
561
la fois
vers la mort naturelle et vers la mort éternelle. Un des soixante-douze
disciples qui allait visiter les fidèles fut informé de la maladie dangereuse
de cette fille, parce qu'un de ses voisins lui dit qu'il y avait dans cette
maison une femme de ceux de sa secte qui allait expirer. Il entra pour la voir
et l'encourager par de saintes paroles, et pour reconnaître ses besoins. Mais
la malade était si tyrannisée par les démons, qu'elle ne voulut ni lui
permettre de s'approcher d'elle, ni lui adresser la parole, et il eut beau
l'exhorter dans les termes les plus pathétiques, elle se détournait et se
couvrait la tête pour ne pas l'entendre. Le disciple connut à ces marques la
perte de la malade sans pouvoir en découvrir la cause; il alla aussitôt en
donner avis à l'apôtre saint Jean , qui sans tarder
un instant accourut auprès de cette fille. Il lui fit de vives remontrances,
et lui répéta des paroles qui eussent été des paroles de vie éternelle si elle
eût voulu les écouter. Mais il en fut rebuté aussi bien que le disciple, et
elle persista toujours dans son obstination. L'apôtre vit plusieurs légions de
démons qui environnaient la malade, et qui se retirèrent lorsqu'il entra dans
la maison, ne cessant pourtant de montrer l'envie d'y retourner bientôt pour
entretenir cette malheureuse fille dans les illusions dont elle était pleine.
163. A la vue de son
endurcissement, l'apôtre s'en alla tout désolé trouver la
très-pure Marie pour l'en informer et pour lui en demander le remède.
Notre grande Reine jeta aussitôt un regard intérieur
562
sur la
malade, et découvrit le triste et dangereux état auquel l'ennemi avait réduit
son âme. La compatissante Mère s'affligea de la disgrâce de cette pauvre
brebis abusée par le loup infernal, et, prosternée en terre, elle se mit à
prier et à demander sa conversion au Très-Haut, qui ne répondit rien à cette
demande de sa bienheureuse Mère. Non que ses prières cessassent de lui être
agréables; mais tout au contraire, il voulut alors faire en quelque sorte le
sourd pour la forcer de redoubler ses supplications, parce qu'il aimait à
entendre sa voix, et pour nous apprendre en même temps quelles étaient la
charité et la prudence de notre auguste Reine dans les occasions on l'exercice
de ces vertus était nécessaire. Cette fois le Seigneur la laissa dans l'état
commun et ordinaire où elle se trouvait, sans lui donner aucune lumière
nouvelle sur l'objet de sa demande. Mais elle n'en continua pas moins à prier,
et ne diminua rien de sa très-ardente charité,
sachant bien qu'elle ne devait point, à cause du silence du Seigneur, manquer
d'exercer son office de Mère, tant que la volonté divine ne lui était pas
manifestée expressément. Telle fut la prudence avec laquelle elle se conduisit
dans cet événement. Elle ordonna ensuite à l'un de ses anges d'aller secourir
cette âme, de la défendre contre les démons, et de la presser, par de saintes
inspirations, de fermer l'oreille à leurs mensonges et de se convertir à Dieu.
L'ange s'acquitta de sa mission avec cette promptitude que ces esprits
célestes apportent toujours à obéir à la volonté du Très
563
Haut;
mais il ne lui fut pas possible non plus de réduire cette fille obstinée,
quoiqu'il eût employé comme ange tous les moyens imaginables pour la
désabuser. C'est là l'état affreux auquel peut arriver une âme qui se livre au
démon.
164. Le saint ange s'en
retourna vers la sainte Vierge et lui dit : « Grande Reine, je viens
d'assister cette fille en péril de damnation, comme vous, ô Mère de
miséricorde, me l'aviez prescrit; mais son endurcissement est tel,
qu'elle repousse obstinément les saintes inspirations que je lui ai ménagées.
J'ai soutenu contre les démons su moins mon droit de la
défendre , et ils m'ont résisté, alléguant
celui que cette fille leur a volontairement attribué sur
elle-même, ce en quoi elle persévère librement. Le pouvoir de la divine
justice n'a pas concouru avec moi, comme je le désirais en obéissant à votre
volonté; c'est pourquoi, grande Reine, je ne puis vous donner la consolation
que vous désirez. n Notre charitable Maîtresse fut
fort affligée par cette réponse; mais comme elle est la Mère de l'amour, de la
science et de l'espérance sainte (1), elle ne pouvait point perdre ce qu'elle
nous a mérité et enseigné à tous. S'étant donc retirée de nouveau pour
demander la conversion de cette âme abusée, elle se prosterna et dit : «
Seigneur Dieu des miséricordes, voici ce chétif vermisseau de terre:
châtiez-moi et frappez-moi, et ne permettez pas que
(1) Eccles., XXIV, 24.
564
je voie
que cette âme, marquée par les prémices de votre sang et trompée par le
serpent, serve de trophée à la malice et à la haine qu'il a contre vos
fidèles. »
165. La bienheureuse Marie
persévéra quelque temps en cette prière; mais le Seigneur ne lui répondit
point encore, pour éprouver son coeur invincible et sa
très-ardente charité envers le prochain. La très, prudente Vierge
considéra ce qui était arrivé au prophète Élisée quand il fut sollicité de
rendre la vie au fils de la Sunamite, son hôtesse;
que dans cette circonstance le bâton du prophète avec lequel
Giézi
, son disciple, toucha l'enfant, ne suffit pas pour le ressusciter, et
qu'il fallut qu'Élisée allât lui-même toucher l'enfant et s'étendre sur lui
pour le rendre vivant à sa mère (1). Il fut impossible à l'ange et à l'apôtre
d'arracher à la mort du péché et aux illusions de Satan cette malheureuse
fille; c'est pourquoi notre auguste. Princesse résolut d'aller elle-même la
secourir, et proposa son, dessein au Seigneur dans la prière qu'elle fit pour
elle. Et quoiqu'elle n'obtint encore aucune réponse
de sa divine Majesté, comme l'urgence du cas semblait l'autoriser à compter
sur son consentement, elle sortit de sa retraite avec saint Jean et se mit à
marcher vers la maison de la malade, qui était assez éloignée du Cénacle. Mais
les anges l'arrêtèrent aussitôt, le Seigneur leur ayant ordonné de la porter
et de l'accompagner, sans le lui avoir
(1) IV Reg., IV, 34.
565
pourtant
manifesté à elle-même. Elle leur demanda pourquoi ils l'arrêtaient. Les
esprits célestes lui répondirent: a Grande Reine, nous ne devons pas souffrir
que vous marchiez par les rues de la ville, lorsque nous pouvons plus
décemment vous porter nous-mêmes. x Ils la
placèrent ensuite sur un trône formé d'une nuée lumineuse, et la
transportèrent dans la chambre de la malade, laquelle étant pauvre et déjà
incapable de parler, se trouvait abandonnée de tous, excepté des démons qui
l'environnaient et attendaient son âme pour l'emporter.
166. Mais à l'instant que
la Reine des anges fut arrivée, tous les esprits malins s'enfuirent avec une
vitesse incroyable, poussant des hurlements épouvantables, et dans leur
précipitation il semblait qu'ils s'embarrassassent les uns les autres. Notre
puissante Dame leur ordonna de descendre dans l'abîme jusqu'à ce qu'il leur
fût permis d'en sortir, et ils obéirent à ce commandement sans y pouvoir
résister. La charitable Mère s'approcha de la malade, et l'ayant appelée par
son nom, elle lui prit la main et lui adressa quelques douces et vivifiantes
paroles, par la vertu desquelles elle fut toute changée; elle commença à
respirer et à reprendre ses sens. Et répondant à la bienheureuse Marie, elle
lui dit : « Bonne Dame, une femme qui m'a visitée m'a assuré que les disciples
de Jésus me trompaient, et m'a engagée à me séparer au plus tôt et d'eux et de
vous, me menaçant de quelque grande disgrâce si j'embrassais la loi qu'ils
m'enseignaient. » — « Ma fille, répliqua
566
notre
Reine, cette femme qui vous est apparue n'était autre que le démon votre
ennemi. Je viens vous donner la vie éternelle de la part du Très-Haut; revenez
donc à sa véritable foi, que vous aviez reçue auparavant, et reconnaissez-le
de tout votre coeur pour le vrai Dieu et le Rédempteur véritable, qui est mort
sur la croix pour votre salut et pour celui du monde entier. Adorez-le,
invoquez-le et demandez-lui pardon de vos péchés. »
167. « Je croyais tout cela
jadis, répondit la malade, et l'on m'a dit que c'était une croyance
pernicieuse, et qu'on me châtierait si j'y persistais. » Notre auguste
Maîtresse lui dit encore : « Ma fille, ne craignez point cette
perfide menace; mais sachez que la punition et les peines que l'on doit
craindre sont celles de l'enfer, où les démons vous conduisaient.«
Vous ôtes maintenant bien près de la mort, et vous pouvez obtenir le
salut que je vous offre, si vous voulez me croire; et ainsi vous échapperez
au feu éternel, dont vous étiez menacée pour votre erreur. » Cette
exhortation et la grâce que la bienheureuse Vierge procura à cette pauvre
fille, la touchèrent d'une si vive componction, que, versant des torrents de
larmes, elle pria notre grande Reine de la protéger dans le péril où elle se
trouvait, lui promettant dé se soumettre à tout ce qu'elle lui prescrirait.
Aussitôt la compatissante Mère lui fit protester la foi de notre Seigneur
Jésus-Christ, et lui suggéra un acte de contrition pour se confesser. Elle la
disposa ensuite à recevoir les sacrements, et fit
567
appeler
les apôtres pour les lui administrer : et cette fille privilégiée expira
heureusement, ne cessant de répéter des actes de contrition et d'amour, et
invoquant Jésus et sa Mère, qui en prenait soin, entre les bras de sa
protectrice, qui avait resté deux heures entières auprès d'elle pour empêcher
que le démon ne revint la séduire. Le secours de la divine Marie fut si
puissant, que non-seulement elle la remit dans le
chemin de la vie éternelle, mais elle lui procura en
outre tant de grâces, que cette âme bienheureuse sortit de ce monde
délivrée de la coulpe et de la peine. Puis elle la
fit conduire au ciel par quelques-uns des douze anges qui avaient sur leur
poitrine la devise de la rédemption, et qui portaient des palmes et des
couronnes en leurs mains, destinés qu'ils étaient à secourir les dévots de
leur grande Reine. J'ai fait mention de ces ange dans la première partie, au
chapitre quatorzième, paragraphe deux cent-deux;
et au chapitre dix-huitième, paragraphe deux cent soixante-treize; et ainsi il
n'est pas nécessaire de répéter maintenant ce que j'en ai dit. Je fais
remarquer seulement, à propos de ces saints anges, que la bienheureuse Vierge
envoyait en diverses occasions, qu'elle les choisissait selon les grâces et le
vertus qu'ils avaient pour assister et favoriser les hommes.
168. Après que cette âme
eut été ainsi sauvée, les autres anges ramenèrent leur Reine à son oratoire
dans la même 'nuée en laquelle ils l'avaient transportée. Aussitôt qu'elle y
fut, elle s'humilia et se prosterna pour adorer le Seigneur et lui rendre des
568
actions
de grâces de ce qu'il avait arraché cette âme de la gueule du dragon infernal
; et en reconnaissance de ce bienfait, elle fit un cantique de louanges au
Très-Haut. Sa divine Majesté ordonna cette merveille par fa sagesse infinie,
afin que les anges, les saints du ciel, les apôtres et même les démons
connussent le pouvoir incomparable de l'auguste Marie;
què comme elle était la Maîtresse de tous, de même ils ne sauraient
tous ensemble arriver au degré de sa puissance; et qu'elle obtiendrait tout ce
qu'elle demanderait pour ceux qui l'aimeraient, la serviraient et
l'invoqueraient, puisque cette heureuse fille ne fut point privée du remède,
dons un état si déplorable, à cause de l'amour qu'elle avait eu pour cette
grande Dame. Cette merveille arriva aussi afin que les démons fussent
consternés, confondus, et qu'ils désespérassent de s'opposer avec succès à ce
que la bienheureuse Vierge veut et peut en faveur de ses dévots. On peut
remarquer dans cet exemple plusieurs autres choses pour notre instruction; je
m'en rapporte à cet égard à l'attention et à la prudence des fidèles.
169. Il n'en fut pas de
même pour dent autres nouveaux convertis qui se .
rendirent indignés de la protection efficace de la
très-pure Marie; et comme cet exemple peut aider à
notre expérience et nous servir de leçon, tout autant que celui d'Ananie
et de Saphire, pour nous faire découvrir les ruses
que Lucifer emploie afin de tenter et de, vaincre les hommes, je le
rapporterai ici tel qu'il m'a été raconté, avec les instructions qu'il
renferme , et qui
569
sont
propres à nous faire craindre avec David (1) les justes jugements du
Très-Haut. Après le miracle que je viens de citer, les démons eurent la
permission de revenir sur la terre et de tenter les fidèles, parce qu'il le
fallait pour assurer leur couronne aux justes et aux prédestinés. Or, Lucifer,
suivi des autres esprits rebelles, sortit de l'enfer avec une plus grande rage
contre les fidèles, et se mit aussitôt à observer par quel endroit il pourrait
les attaquer, tâchant de découvrir leurs mauvaises inclinations, comme il le
fait maintenant, connaissant, par la longue expérience qu'il a, que les
enfants d'Adam, inconsidérés qu'ils sont, cèdent plus facilement à leurs
inclinations et à leurs passions qu'à la raison et à la vertu. Et comme la
multitude ne saurait être-fort parfaite en toutes
ses parties, et que le nombre, des fidèles augmentait de jour en jour dans
l'Église, il s'en trouvait naturellement plusieurs en qui se refroidissait la
ferveur de la charité; et par là le démon avait un plus vaste champ où il
pouvait semer son ivraie. Il distingua parmi les fidèles deux hommes qui
avaient des inclinations déréglées et de mauvaises .
habitudes avant de se convertir, et qui tenaient à
gagner les bonnes grâces de quelques-uns des principaux Juifs, dont ils
attendaient divers avantagea temporels; et cette convoitise des honneurs et
des biens périssables (qui a toujours été la racine de tous les maux) (2), les
portait à flatter les puissants par de lâches complaisances, pour capter leur
faveur.
(1) Ps. CXVIII, 120. — (2) I Tim., VI, 10.
570
110. Par suite de ces
mauvaises dispositions, le démon se persuada que ces fidèles étaient faibles
en la foi et en toutes les autres vertus, et qu'il pourrait les pervertir par
le moyen des personnages dont ils dépendaient. Ce dragon infernal exécuta son
dessein, comme il l'avait formé, et malheureusement il réussit, en suggérant à
ces prêtres incrédules la pensée de faire aux deux néophytes toute sorte de
reproches et de menaces parce qu'ils avaient embrassé la foi de Jésus-Christ
et reçu le baptême; les prêtres remplirent avec le zèle le plus rigoureux le
rôle que le démon leur proposait. Et comme la colère des personnes puissantes
intimide les inférieurs d'un caractère pusillanime tel que celui de ces deux
convertis si attachés à leurs propres intérêts temporels, ils résolurent, avec
cette bassesse d'âme, d'apostasier de la foi de Jésus-Christ, pour ne pas
encourir l'inimitié de ces Juifs puissants en la protection desquels ils
avaient mis leur funeste confiance. Ils s'éloignèrent bientôt de l'assemblée
des autres fidèles, cessèrent
d'assister à la prédication et aux saints exercices que leurs frères
suivaient, et firent ainsi eux-mêmes connaître leur chute et leur perte.
171. Les apôtres furent
désolés de la perte de ces fidèles, et du scandale que causerait aux autres un
exemple si pernicieux dans les commencements de l'Église. Ils délibérèrent
entre eux s'ils en informeraient, la bienheureuse Vierge, parce qu'ils
prévoyaient que cette fâcheuse nouvelle l'affligerait extrêmement. L'apôtre
saint Jean leur rappels qu'elle
571
savait
tout ce qui se passait dans l'Église, et qu'il serait impossible de cacher ce
triste changement à sa très-vigilante charité. En
conséquence, ils allèrent tous lui rendre compte de ce qui était arrivé.
aux deus apostats, qu'ils avaient inutilement
tachés de ramener par leurs exhortations à la vraie foi qu'ils venaient
d'abjurer. La très-prudente Mère ne dissimula
point sa douleur, car il n'était pas convenable qu'elle la cachât quand il
s'agissait de la perte des âmes qui étaient. déjà
unies à l'Église. ll
fallait aussi que les apôtres appréciassent par la sensible douleur de notre
grande Dame l'estime qui ils devaient faire des enfants de l'Église, et le
zèle avec lequel ils devaient travailler à les maintenir dans la toi , et à
les faire rentrer dans le chemin du salut quand ils s'en seraient écartés. La
très-sainte Vierge se retira aussitôt dans son
oratoire, et se prosternant, selon sa coutume, elle fit une fervente prière
pour ces deux apostats, et versa sur eux d'abondantes larmes de sang.
172. Le Très-Haut, voulant
modérer jusqu'à un certain point sa douleur par la connaissance de ses secrets
jugements, lui dit : « Mon Épouse et mon Élue entre mes créatures, je veux que
vous connaissiez mes justes jugements en ce qui concerne les deux âmes
pour lesquelles vous me priez, ainsi que tous les autres qui entreront dans
mon Église. Ces deux hommes qui viennent d'abjurer ma véritable foi pourraient
faire plus de mal que de bien parmi les autres
fidèles , s'ils continuaient avec eux leurs rapports, car ils ont
des moeurs fort dépravées,
672
et se
pervertissent de plus en plus sous l'in fluence de leurs mauvais instincts; de
sorte que, a dans ma prescience infinie, je prévois que, ces deux
apostats seront réprouvés; c'est pourquoi il convient de les séparer du
troupeau des fidèles , et de les retrancher du corps mystique de mon
Église, de peur qu'ils n'infectent les autres, et ne leur communiquent
leur malice. Il faut, ma Bien-Aimée, selon ma
très-haute providence, qu'il entre dans mon
Église des prédestinés et des réprouvés; ceux-ci qui se damneront par leurs
péchés, et ceux-là qui, avec ma grâce, se sauveront par leurs bonnes
oeuvres : ma doctrine et l'Évangile doivent être semblables à un filet
qui renferme toute sorte de poissons (1), bons et mauvais, prudents et
mal avisés. De même l'ennemi doit semer son ivraie parmi le bon grain de
la vérité (2), afin que les justes se justifient davantage, et que ceux qui
sont souillés se souillent aussi davantage, si leur malice les y
porte (3). »
173. Telle fut la réponse
qu'adressa le Seigneur à la bienheureuse Marie après cette prière, la faisant
participer par de nouvelles. communications à sa
divine science. Ces communications calmèrent sa douleur en lui faisant mieux
connaître l'équité de la justice du Très-Haut quand il condamnait, avec
raison, ceux qui par leur malice se rendaient réprouvés et indignes de
l'amitié de Dieu et de sa gloire. Mais
(1) Matth., XIII, 47. —
(2) Ibid., 28 . — (3)
Apoc., XXII, 11.
573
comme la
divine Mère avait le poids du sanctuaire dans sa sagesse, dans sa science et
dans sa charité suréminente, elle seule entre toutes les créatures pesait
dignement le malheur d'une âme qui perd Dieu éternellement, et qui est
condamnée aux tourments éternels en la compagnie des démons; et sa douleur
était proportionnée à cette pénétration. Nous savons que les anges et les
saints du ciel, qui connaissent en Dieu ce mystère, n'en peuvent ressentir
aucune peine, toute peine serait incompatible avec la félicité suprême de leur
état. Et si la douleur était compatible avec la gloire dont ils jouissent,
elle répondrait chez eux à la connaissance qu'ils dut du sort lamentable de
ceux qui se damnent, à cause de la très-parfaite
charité avec laquelle ils les aiment, et du grand désir qu'ils éprouvent de
partager avec eux la gloire.
174. Or la douleur que ne
saurait causer aux bienheureux la damnation des hommes, la
très-pure Marie l'eut à un degré autant au-dessus
de celle qu'ils auraient s'ils étaient susceptibles d'une douleur quelconque,
qu'elle les surpassait et en sagesse et en charité. Pour la ressentir, elle se
trouvait dans la condition des voyageurs, et pour en connaître la cause elle
avait la science propre aux compréhenseurs : car
elle jouit dé la vision béatifique, elle connut l'Être de Dieu, sa bonté
infinie, l'amour qu'il a pour le salut des hommes, et elle comprit combien il
s'affligerait de la perte e'une âme, s'il était possible qu'il s'affligeât.
Notre charitable Seine connaissait aussi la difformité des démons, la haine
qu'ils ont
574
contre
les hommes, la nature des peines de. l'enfer et les
conditions de la société éternelle de mêmes démons et de tous les damnés. Elle
pénétrait tout cela, et mille autres choses que je ne saurais exprimer. Or
quelle douleur, quelle peine, quelle compassion cette connaissance ne
devait-elle pas exciter dans un coeur aussi doux et aussi tendre que celui de
notre très-charitable Marie, sachant que ces deux
âmes et tant d'autres après elles se perdraient, nonobstant les grandes grâces
qu'elles auraient repues dans la sainte Église ! Elle s'affligeait de ce
malheur et répétait sans cesse : « Est-il possible qu'une âme se prive à
jamais par sa propre volonté de la vue de Dieu, et qu'elle préfère
celle de tant d'horribles démons dans le feu éternel ! »
175. La
très-prudente Reine garda pour elle le secret de
la réprobation de ces nouveaux apostats, sans le découvrir aux apôtres. Mais
tandis qu'elle se livrait à sa douleur dans sa retraite, l'évangéliste saint
Jean entra pour la visiter et pour apprendre en même temps si elle voulait lui
donner quelques ordres. Et comme il la vit si affligée, il en fat troublé, et
lui ayant demandé la permission de parler, il lui dit : « Chère Dame, Mère de
mon Seigneur Jésus Christ, depuis la mort de sa Majesté, je n'ai jamais
remarqué en votre personne sacrée tant de signes de douleur que
j'y découvre maintenant; vos yeux et votre visage sont tout couverts de sang,
ce que je n'avais pas encore vu depuis ce temps-là. Dites-moi, grande Dame,
s'il est possible, le sujet d'une
576
affliction
si extraordinaire, et si je puis vous soulager, quand il faudrait donner
ma vie. » La bienheureuse Marie lui répondit : Mon fils, je pleure
maintenant pour ce même sujet. Saint Jean crut que le souvenir de la
Passion avait renouvelé en la compatissante Mère une douleur si cruelle, et
dans cette pensée il lui répliqua: « Ah ! mon
auguste Reine, vous pouvez modérer vos larmes, puisque votre Fils et
notre Rédempteur est glorieux et triomphant dans le ciel à la droite de son
Père éternel. Et quoique ce ne soit pas une raison pour que nous oubliions ce
qu'il a souffert pour les hommes, il n'en est pas moins juste que vous vous
réjouissiez des grands biens qui ont résulté de sa Passion et de sa mort. »
176. « Si après que mon
adorable Fils est mort pour eux (répondit la sainte Vierge), ceux qui
l'offensent, qui le renient, et qui perdent le fruit inestimable de son
précieux sang, veulent le crucifier de nouveau, il faut bien que je pleure,
connaissant comme je le connais le très-ardent
amour qu'il a pour les hommes, amour tel, qu'il serait disposé à souffrir
encore pour le salut de chacun ce qu'il a souffert pour tous. Je vois qu'on
paie si peu de retour cet amour immense, je vois la perdition éternelle
de tant de personnes qui devraient le reconnaître ,
que je ne puis ni modérer ma douleur, ni manquer d’y succomber, si le
mime Seigneur qui m'a donné la vie ne me la conserve. O enfants d'Adam, formés
à l'image
576
de mon
Fils et mon Seigneur, à quoi pensez-vous? Où est votre raison pour.
sentir votre malheur, si vous perdez Dieu
éternellement? » Saint Jean répartit : « O ma Mère et ma Maîtresse, si c'est
pour ces deux apostats que vous vous affliger, vous n'ignorez pas
que parmi tant d'enfants il doit y avoir des serviteurs infidèles,
puisque dans notre apostolat Judas a prévariqué à l'école même de
notre Rédempteur et notre Maître. — O Jean, répondit notre auguste
Reine, si Dieu avait résolu par une volonté formelle la perte de
quelques lames, cela pourrait diminuer ma douleur; mais quoiqu'il
permette la damnation des réprouvés, parce qu'ils veulent eux-mêmes se
perdre, ce n'est point là l'effet de la volonté absolue de la
divine Bonté; car elle voudrait sauver tous les hommes, s'ils ne
lui résistaient par leur libre arbitre (1); et mon
très-saint Fils a eu une sueur de sang en considérant qu'ils ne
seraient pas tous prédestinés, et que tous ne recevraient pas
efficacement le fruit du sang qu'il versait pour tous. Et si
maintenant dans le Ciel il pouvait ressentir quelque douleur, celle
que lui ferait éprouver la perte d'une seule âme surpasserait toutes les
peines qu'il a souffertes pour elle en sa Passion et en sa mort. Or,
connaissant cette vérité, et vivant dans une chair
passible , il est bien juste que je m'afflige de ce que; taon Fils
n'obtient pas ce qu'il désire avec tant d'ardeur.
(1) I Tim., II, 4.
577
Saint
Jean fut attendri jusqu'aux larmes par ces paroles et par plusieurs autres
réflexions de la Mère de miséricorde, et pleura longtemps avec elle.
Instruction que la très pure Marie m'a donnée.
177. Ma fille, puisque dans
ce chapitre vous avez appris d'une manière toute particulière la douleur
incomparable avec laquelle je pleurai la perte de l'âme de mon
prochain , vous en comprendrez mieux ce que vous
devez faire pour la vôtre et pour celle des autres, afin de m'imiter en la
perfection que je demande de vous. Je n'aurais refusé aucun supplice ni même
la mort, si c'est été nécessaire, pour empocher la damnation d'une seule âme;
au contraire, ma très-ardente charité y eût trouvé
un véritable soulagement. Que si cette sainte douleur ne va pas jusqu'à vous
faire mourir, il faut du moins que vous soyez disposée à souffrir pour ce
sujet tout ce que le Seigneur ordonnera, et que vous ne manquiez pas de prier
pour le salut des âmes, et de faire tout votre possible pour préserver vos
frères du moindre péché. Et lorsqu'il vous semblera que le Seigneur ne vous
écoute point, ne vous rebutez pas pour cela, mais animez votre espérance et
persévérez; car cette sainte importunité lui est toujours agréable, puisqu'il
désire plus que roua le salut de tous ceux qu'il a
rachetés. Si après
578
tous ces
efforts vous n'êtes pas encore exaucée, servez-vous des moyens que la prudence
et la charité vous inspireront, et renouvelez vos prières avec plus
d'instance; car le Très-Haut est toujours satisfait de cette charité envers,
le prochain, et de l'amour avec lequel on tâche d'empêcher le péché qui
l'offense. Il ne veut point la mort du pécheur; et, comme vous venez de
l'écrire, loin d'avoir par lui-même une volonté absolue et antécédente de
perdre ses créatures, il voudrait les sauver toutes, si elles-mêmes ne se
perdaient; et quoique sa justice le force à permettre cette perte, à cause de
la condition libre des hommes, il ne fait que permettre ce qui lui déplait. Ne
vous lassez point dans ces sortes de prières; mais en celles qui regardent les
choses temporelles, demandez-lui qu'il fasse sa sainte volonté de la manière
la plus convenable.
178. Et si je veux que vous
travailliez avec tant de zèle et de charité pour le salut de vos frères,
songez à ce que vous devez faire pour le vôtre, et voyez quelle estime vous
devez avoir pour votre propre âme, qui a coûté un prix infini. Je veux vous
recommander, comme Mère, quand la tentation et les passions vous porteront à
commettre une faute, quelque légère qu'elle puisse être, de vous souvenir de
la douleur et des larmes que m'ont causées la connaissance des péchés des
mortels et le désir de les empêcher. Prenez garde, ma
très-chère fille, de me donner le même sujet de douleur; car quoique je
ne puisse plus en souffrir maintenant, du moins vous me
579
priveriez
de la joie accidentelle que j'aurais à voir qu'après avoir daigné être votre
Mère et votre Maîtresse, pour vous diriger comme ma fille et comme ma
disciple, vous devenez parfaite comme formée à mon école. Votre infidélité à
cet égard tromperait le désir que j'ai que vous vous rendiez en
toutes vos rouvres agréable à mon
très-saint Fils, et que vous lui laissiez
accomplir en vous sa sainte volonté aussi pleinement que possible. Considérez
avec la lumière infuse que vous recevez, combien énormes seraient vos péchés,
si vous en commettiez quelques-uns après que le Seigneur et moi vous avons
comblée de tant de bienfaits. Les dangers et les tentations ne vous manqueront
pas dans le temps qu'il vous reste à vivre; mais souvenez-vous toujours de mes
instructions, de mes douleurs, de mes larmes, et surtout de ce que vous devez
à mon très-saint Fils, qui est si libéral envers
vous, et qui vous applique avec tant d'abondance le fruit de son sang, afin de
trouver en vous tout le retour de la reconnaissance.
FIN DU TOME V.
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