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lnstrucion que la grande Reine des anges m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
Instruction que la Reine des anges m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
Note
de l'Éditeur: Ici commence le tome VI de l'édition de Paris 1857(Poussièlgue-Rusand)
TROISIÈME PARTIE
LIVRE SEPTIÈME
CHAPITRE XI. Où l'on donne quelques détails sur la prudence avec laquelle la
bienheureuse Marie dirigeait les nouveaux fidèles. — ce qu'elle fit à l'égard
de.
saint Étienne durant sa vie et au moment de sa mort. — Plusieurs autres
événements.
179. Le Seigneur ayant
investi l'auguste Marie du ministère de Mère et de Maîtresse de la sainte
Église, devait lui donner en thème temps une science et une lumière
proportionnée à un office si sublime, afin que par ce moyen elle connût tous
les membres de ce corps mystique, dont le gouvernement spirituel lui
appartenait, et qu'elle fournit à chacun la doctrine et l'enseignement propres
à son rang, à sa condition et à ses besoins. Notre Reine reçut cette lumière
avec toute la plénitude et toute l'abondance de sagesse et
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de
science divine que l'on peut voir dans tout le cours de cette histoire. Elle
connaissait tous les fidèles qui entraient dans l'Église, et pénétrait leurs
inclinations naturelles, le degré de grâce et les vertus qu'ils avaient, le
mérite de leurs oeuvres, les fins et les commencements de chacun ; de sorte
qu'elle n'ignorait rien de tout ce qui regardait l'Église, à moins que le
Seigneur ne lui cachât dans certaines occasions, pour quelque temps, des
secrets, qu'il lui découvrait ensuite au moment opportun. Et toute cette
science n'était point stérile, mais elle se trouvait accompagnée d'une égale
participation de la charité de son très-saint
Fils, par laquelle elle aimait tous les fidèles comme elle les connaissait. Et
attendu qu'elle pénétrait d'ailleurs le mystère de la volonté divine, elle
dispensait les sentiments de la charité intérieure avec poids et mesure, et
suivant toutes les règles de cette sagesse, de sorte qu'elle n'aimait et
n'estimait personne au-dessus ni au-dessous de ses mérites; défaut dans lequel
nous tombons très-souvent à cause de notre
ignorance, même en ce qui nous semble le plus juste.
180. Mais la Mère de
l'amour bien ordonné et de la science la plus parfaite ne renversait point
l'ordre de la justice distributive en L'application de son estime et de son
affection maternelle; car elle les dispensait à la lumière de l'Agneau, qui
l'éclairait et qui la guidait, afin qu'elle donnât de son amour intérieur à
chacun ce qui lui était dû, plus ou moins, selon les divers degrés du mérite,
quoiqu'elle fût à l'égard
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de tous
la mère la plus indulgente, la plus tendre, sans tiédeur, sans parcimonie et
sans oubli. Mais dans les démonstrations extérieures de sa bienveillance et
dans ses actes, elle se conduisait, quand elle était obligée de se trouver
avec les fidèles assemblés, par d'autres règles d'une
très-haute prudence, évitant toujours ces privautés, ces singularités
qui éveillent l'émulation, la jalousie, l'envie dans les communautés, dans les
familles, et dans toutes les sociétés où les actions publiques sont remarquées
et contrôlées par le grand nombre. C'est une passion commune et naturelle à
tous de désirer d'être estimé et aimé, surtout des personnages distingués et
puissants; à peine trouverait-on un homme qui ne se flatte lui-même d'avoir
autant de mérite que tout autre pour être autant estimé et favorisé que lui,
et même davantage. Ce mal s'étend jusqu'aux personnes les plus élevées en
dignité et même en vertu, comme on l'a vu dans le collège des apôtres, qui,
sans avoir aucun motif de soupçonner notre adorable Sauveur de la moindre
partialité, débattirent entre eux des questions de préséance et de
supériorité, qu'ils osèrent soumettre à leur divin Maitre
(1).
181. Pour prévenir et
empêcher ces sortes de disputes, notre grande Reine mettait le plus grand soin
à se montrer toujours égale, toujours la même dans la distribution de ses
faveurs et dans les témoignages d'affection qu'elle donnait à tous les fidèles
à la vue
(1) Matth., XVIII, 1; Luc., IX, 46.
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de
l’Église. Cette conduite fut non-seulement digue
d'une telle Maîtresse, mais encore très-nécessaire
dans les commencements, tant pour servir de système de gouvernement dans
l'Église aux prélats dépositaires de l’autorité, qu'à raison de ce que, dans
ces temps fortunés et prospères, tous les apôtres, tous les disciples et
d'autres fidèles , se signalaient par des miracles
et par d'autres dons divins, comme beaucoup de docteurs se distinguent dans
ces derniers siècles par leur science et leur érudition. Il fallait leur
enseigner à tous que, ni pour ces grands dons, ni pour d'autres grâces moins
éclatantes, personne ne devait se laisser enfler d'une vaine présomption, ni
se croire digne d'être plus honoré et plus favorisé de Dieu et de sa
très-sainte Mère dans les choses extérieures. Le
juste doit se contenter d'être dans l'amitié du Seigneur; et à celui qui ne
l'est pas, tous les honneurs et tous les applaudissements ne serviront de
rien.
182. Malgré cette réserve,
notre très-prudente Princesse ne manquait pas de
témoigner la vénération et de rendre l'honneur qui étaient dal à chacun dés
apôtres et des fidèles, selon leur dignité ou leur ministère; de sorte que,
quant aux marques de vénération, elle montrait à tous par sou exemple ce
qu'ils devaient faire dans les choses d'obligation, comme par sa réserve elle
leur enseignait là modération dans les choses volontaires et facultatives.
Notre auguste Reine fut si admirable et si prudente en tout cela, qu'elle ne
donna jamais le moindre sujet de plainte à
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aucun
des fidèles qui l'abordaient; jamais aucun ne put lui refuser, même avec la
moindre apparence de raison, son estime et son respect; loin delà, tous
l'aimaient, la bénissaient, et, pleins de joie, se reconnaissaient redevables
à ses faveurs et à sa bonté maternelle. Aucun ne put craindre d'en être
négligé ou rebuté dans ses besoins, aucun ne put s'apercevoir qu'elle le
méprisât et qu'elle. en favorisât ou aimât plus un
autre; elle ne donnait jamais lieu aux fidèles de faire des comparaisons de ce
genre, si grandes étaient la discrétion et la sagesse de notre Reine!
si précis était le point auquel elle suspendait au
levier de la prudence les balances de la charité extérieure ! C'est pour cela
qu'elle ne voulut point distribuer par elle-même les offices et les dignités
entre les fidèles, ni solliciter pour aucun. A cet
égard elle s'en rapportait entièrement à l'avis et à la décision des apôtres,
auxquels par ses prières secrètes elle obtenait les lumières du ciel.
183. Sa profonde humilité
la portait aussi à agir avec tant de sagesse, que par sa conduite elle
enseignait à tous cette vertu, puisqu'ils savaient qu'elle était Mère de la
Sagesse elle-même, qu'elle n'ignorait rien, et qu'elle ne pouvait se tromper
en ce qu'elle aurait fait. Néanmoins elle voulut laisser ce rare exemple dans
la sainte Église, afin que personne ne présumât de sa science, de sa prudence
ou de sa vertu, surtout dans les matières importantes, et que tous comprissent
que le succès d'une affaire est attaché à l'humilité et au bon conseil, et
qu'il y a présomption
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à s'en
rapporter à sa propre opinion, quand on est obligé de consulter celle des
autres. Elle savait aussi que d'intercéder poux les autres dans les choses
temporelles, cela inspire à celui qui intercède,certains
sentiments de supériorité présomptueuse et de vanité, que développent encore
les remerciements flatteurs de ceux qui ont été favorisés par suite de cette
intercession. Toutes ces misères, toutes ces taches inhérentes à une vertu
commune, étaient infiniment au-dessous de la sainteté éminente de notre
auguste Maîtresse : c'est pour cela qu'elle nous a enseigné par son exemple à
nous conduire dans toutes nos actions de manière à ne point en diminuer le
mérite et à ne mettre aucun obstacle à notre plus grande perfection.
Toutefois, cette extrême circonspection avec laquelle elle agissait ne
l'empêchait pas de donner aux apôtres ses conseils et ses avis en ce qui
concernait l'exercice de leur ministère, et ils la consultaient souvent; elle
traçait de même des règles de conduite aux autres fidèles de l'Église, car
elle opérait toutes choses avec la plénitude de la sagesse et de la charité.
184. Saint Étienne, qui
était du nombre des soixante-douze disciples, fut un des saints qui eurent le
bonheur de mériter l'affection particulière de la grande Reine du ciel; car
dès qu'il commença à suivre notre Sauveur Jésus-Christ, elle le regarda entre
les autres avec une singulière tendresse, et lui accorda une des premières
places dans son estime. Elle connut aussitôt que ce saint était choisi du
Maître
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de la
vie pour défendre son honneur et son saint nom, et pour donner sa vie pour
lui. En outre, cet invincible saint avait un caractère fort doux et fort
pacifique, que la grâce rendit encore beaucoup plus aimable envers tous, et
plus docile à toutes les inspirations de la sainteté. Ce bon naturel plaisait
extrêmement à la très-douce Mère; et quand elle
trouvait quelqu'un de ce naturel doux et bénin, elle disait que celui-là
ressemblait davantage à son très-saint Fils. Ces
qualités et les vertus héroïques qu'elle reconnaissait en saint Étienne la
portaient à l'aimer tendrement, à le combler de ses bénédictions, et à rendre
des actions de grâces au Seigneur de ce qu: il l'avait créé, appelé et choisi
pour être les prémices de ses martyrs; et dans la prévision de son martyre,
qu'elle savait être si glorieux, elle l'aimait intérieurement beaucoup, car
son très-saint Fils lui avait révélé ce secret.
185. L'heureux saint
répondait avec une attention scrupuleuse et avec une respectueuse fidélité aux
bienfaits qu'il recevait de notre Sauveur Jésus-Christ et de sa
très-sainte Mère, car il était
non-seulement pacifique, mais encore humble de
coeur, et ceux qui le sont véritablement sont fort reconnaissants des faveurs
qu'ils reçoivent, fussent-elles moins grandes que celles dont le saint
disciple Étienne était l'objet. Il eut toujours une
très-haute estime et une extrême vénération pour la
Mère dé miséricorde, et lui demandait sa protection avec la dévotion la plus
fervente. Il la consultait sur beaucoup de choses mystérieuses ;
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car il
était fort savant, plein de foi et du Saint-Esprit, comme dit saint Luc (1).
Notre auguste Maîtresse satisfaisait à toutes ses questions, le fortifiait et
l'animait, afin qu'il défendit courageusement
l'honneur de Jésus-Christ. Et pour le confirmer davantage dans sa grande foi,
elle lui prédit son martyre, lui disant : « Étienne, vous serez le premier-né
des martyrs que mon très-saint Fils et mon
Seigneur engendrera par l'exemple de sa mort; vous suivrez ses traces
comme un fidèle disciple et un vaillant soldat, et vous porterez l'étendard de
sa croix dans la milice du martyre. Il faut pour cela vous armer de force et
du bouclier de la foi, et soyez assuré que la vertu du Très-Haut vous
assistera dans le combat. »
186. Cet avis de la Reine
des anges alluma dans le cour de saint Étienne le
plus ardent désir du martyre, comme on peut le conclure de ce que rapportent
de lui les Actes des apôtres. Non-seulement il y
est dit qu'il était plein de grâce et de force, et, qu'il opérait de grands
miracles et de grands prodiges dans Jérusalem ; mais, après les apôtres saint
Pierre et saint Jean, il n'est aucun disciple dont il soit dit qu'il disputât
avec les Juifs et qu'il les confondit avant saint Étienne, à la sagesse et à
l'esprit duquel ils ne pouvaient résister (2), parce qu'il leur prêchait et
les reprenait avec un cour intrépide, se signalant par sa hardiesse parmi les
autres disciples. Saint Étienne faisait tout cela, enflammé du désir du
martyre
(1) Act., VI, 5. — (2)
Ibid..
s.
9
que
notre grande Dame lui avait prédit. Et comme s'il avait eu peur qu'un rival
vint lui enlever cette couronne des mains, il se présentait avant tous les
autres pour disputer avec les rabbins et les autres maîtres de la loi de
Moïse, cherchant avec empressement les occasions de défendre l'honneur de
Jésus-Christ, pour lequel il savait qu'il devait sacrifier sa vie. Le dragon
infernal étant parvenu par sa malignité à découvrir le désir de saint Étienne,
tourna toute sa rage contre lui, et résolut d'empêcher que ce courageux
disciple reçût publiquement le martyre en témoignage la foi de notre
Rédempteur Jésus-Christ. Et pour exécuter son dessein il incita les Juifs les
plus incrédules à donner secrètement la mort à saint Étienne. Lucifer était
tourmenté par la vertu et le courage qu'il reconnaissait en ce saint disciple,
et il craignait qu'avec une pareille magnanimité il ne fit
de grandes choses, et en sa vie et en sa mort, pour honorer la doctrine et la
foi de son Maître. Au reste, la haine que les Juifs avaient contre le saint
était telle, qu'il lui fut facile de leur persuader de lui ôter la vie en
secret.
187. Ils l'essayèrent
plusieurs fois dans le peu de temps qui se passa depuis la descente du
Saint-Esprit jusqu'au martyre du saint. biais la
grande Reine de l'univers, qui connaissait la malice et les artifices de
Lucifer et des Juifs, délivra saint Étienne de toutes leurs embûches jusqu'au
moment marqué où il devait être lapidé, comme je le dirai bientôt. En trois
différentes occasions la bienheureuse Vierge envoya un
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de ses
anges qui l'assistaient, pour tirer saint Étienne d'une maison où ils avaient
formé le dessein de l'étrangler. L'esprit céleste. le
délivra de ce péril d'une manière invisible pour les Juifs qui le cherchaient,
mais le saint vit son libérateur et sentit qu'il le transportait au Cénacle,
et qu'il le présentait à sa Reine. D'autres fois elle le faisait avertir par
le même ange de ne point passer par telle rue, ou de ne point entrer dans
telle maison où ils l'attendaient pour s'en défaire. D'autres fois encore la
charitable Mère l'empêchait elle-même de sortir du Cénacle, parce qu'elle
connaissait qu'on l'épiait pour le tuer. Et non-seulement
on l'attendit plusieurs nuits quand il sortirait du Cénacle pour s'en
retourner chez lui; mais on lui tendit aussi les mêmes piéges en d'autres
maisons. Car saint Étienne, entraîné, comme je l'ai fait remarquer, par
l'ardeur de son zèle, allait sans aucune précaution
visiter et consoler beaucoup de fidèles dans leurs besoins, parce que, bien
loin de craindre les périls et les occasions de mourir, il les désirait et les
recherchait. Aussi, ne sachant point en quel temps le Seigneur lui accorderait
le grand bonheur qui lui était promus, et voyant que sa divine Mère
l'arrachait si souvent au danger, se plaignait-il parfois amoureusement à
elle, et lui disait-il : « Ma Reine et ma Protectrice, quand arrivera donc ce
jour, quand arrivera celte heure en laquelle je paierai à mon Dieu et à mon
adorable Maître la dette de ma vie, en me sacrifiant pour l'honneur et
la gloire de son saint nom! »
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188. La bienheureuse Marie
ressentait une joie incomparable d'entendre ces douces plaintes de l'amour de
Jésus-Christ dans la bouche de son serviteur Étienne, auquel elle répondait
avec aine tendresse maternelle : « Mon fils et serviteur
très-fidèle du Seigneur, le temps déterminé par sa
très-haute sagesse ne tardera pas de venir, vos espérances ne seront
point frustrées. Travaillez maintenant à ce qu'il vous reste à faire dans sa
sainte Église, la couronne de votre nom vous est assurée : rendez de
continuelles actions de grâces au Seigneur qui vous l'a préparée. » La pureté
et la sainteté d'Étienne étaient d'une perfection suréminente, de sorte que
les démons ne pouvaient s'approcher de lui qu'à une grande distance, et
c'était pour cela que Jésus-Christ et sa très-sainte
Mère l'aimaient beaucoup. Les apôtres l'ordonnèrent diacre. Il avait une vertu
vraiment extraordinaire et héroïque, et il mérita ainsi d'être le premier qui
après la Passion remporta sur tous la palme du
martyre. Et pour découvrir davantage la sainteté de ce grand et premier
martyre, j'ajouterai ici ce que j'en ai appris, selon ce que dit saint Luc au
chapitre sixième des Actes des apôtres (1).
189. Il s'éleva dans
Jérusalem des murmures parmi les fidèles; car les Grecs se plaignaient contre
les Hébreux de ce que dans le service ordinaire des convertis on n'employait
point les veuves des Grecs comme celles des Hébreux. Les uns et les autres
(1) Act., VI, 1.
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étaient
juifs israélites; mais on -appelait Grecs ceux qui étaient nés en Grèce, et
Hébreux ceux qui étaient originaires de la Palestine: et c'était là le sujet
de la plainte des Grecs. Ce ministère journalier consistait dans la
distribution des aumônes et des offrandes destinées à l'entretien des fidèles.
On en chargea six hommes d'une probité reconnue ,
comme il a été rapporté su chapitre septième ; et cette mesure fut prise
d'après le conseil de la bienheureuse Marie, comme il a été dit su même
chapitre. Mais le, nombre des fidèles augmentant, il fallut aussi employer à
ce même ministère plusieurs femmes veuves d'un âge mûr, qui pourvoyaient aux
besoins de leurs frères, surtout à ceux des autres femmes et des malades, leur
distribuant ce que les six aumôniers en titre leur remettaient. C'étaient des
veuves d'Hébreux. Et les Grecs s'imaginant qu'il était injurieux pour leurs
veuves de n'être point employées à ce ministère, se plaignirent devant les
apôtres du tort qu'on leur faisait.
190. Pour terminer ce
différend, le collège , des apôtres, fit assembler
les fidèles, et ils leur dirent Il n'est pas juste que nous laissions la
prédication de la parole de Dieu pour prendre soin de l'entretien
des frères qui viennent à la foi (1). Choisissez donc vous-mêmes parmi
vous sept hommes d'une vertu éprouvée, qui soient pleins de sagesse et
animés du Saint-Esprit; nous leur confierons ce ministère,
(1)
Act., VI, 2, etc.
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afin que
nous puissions nous livrer à la prière et à la prédication. Et vous vous
adresserez à eux dans les doutes ou dans les différends qui se
présenteront à propos de l'entretien et des nécessités des fidèles. » Cette
proposition plut à toute l’assemblée, qui choisit sans distinction de
nationalité les sept disciples que nomme saint Luc. Le premier et le plus
considérable fut saint Étienne, dont la foi et la sagesse étaient connues de
tous. Les sept élus furent surintendants, des six premiers et des veuves qui
remplissaient ce charitable office, dont les grecques ne furent pas plus
exclues que les autres, car on ne fit plus aucune attention à la nationalité,
mais seulement à la vertu de chacune. Saint Étienne fut celui qui par sa
sagesse et sa sainteté admirable contribua le plus à terminer ce différend, et
qui apaisa aussitôt les murmures des Grecs, en portant les Hébreux à leur
donner satisfaction, afin qu'ils vécussent .
tous en bonne intelligence, comme enfants de notre
Sauveur Jésus-Christ, et qu'ils agissent avec sincérité et charité, sans
partialité et sans acception des personnes; ce qu'ils firent du moins pendant
les quelques mois que le saint vécut encore.
191. Toutefois ce genre
d'occupations n'empêcha pas saint Étienne de prêcher et de disputer avec les
Juifs incrédules. Mais comme ils ne pouvaient ni lui donner la mort en secret,
ni résister à sa sagesse en public, cédant à leur haine furieuse, ils
suscitèrent contre lui de faux témoins qui l'accusèrent de blasphème
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contre
Dieu et contre Moïse (1), et qui dirent qu il ne cessait de parler contre le
saint Temple et contre la loi, et d'assurer que Jésus de Nazareth détruirait
l'un et l'autre. Et comme les faux témoins déposaient tout cela, et que le
peuple était irrité contre lui par les faussetés qu'on lui imputait à dessein,
on se saisit du saint et on l'emmena à la salle du conseil où étaient les
prêtres comme juges de cette cause. Le président lui demanda devant tous si
ces accusations étaient fondées (2), et en réponse le saint dit des choses
inspirées par la plus haute sagesse, prouvant par les anciennes Écritures que
Jésus-Christ était le véritable Messie qu'elles annonçaient. Et en terminant
son discours il leur reprocha leur dureté et leur incrédulité avec tant de
force et d'éloquence, que, se voyant dans l'impuissance de répondre, ils se
bouchèrent les oreilles et grincèrent des dents contre lui.
192. La bienheureuse Vierge
eut connaissance de la prise de saint Étienne, et aussitôt elle lui envoya un
de ses anges avant qu'il arrivât devant les pontifes, avec ordre de l'animer
de sa part au combat qui l'attendait. Saint Étienne lui répondit par le même
ange qu'il allait avec la joie la plus vive confesser la foi de son divin
Maître, qu'il était bien résolu à donner, sa vie pour cette même foi, comme il
l'avait toujours désiré, et qu'il la priait de, l'assister dans cette
circonstance à titre de Mère et
(1) Act., VI, 11, etc. — (2) Act., VII, 1.
15
de Reine
très-clémente, et que la seule chose qui
l'affligeât, c'était de n'avoir pu lui demander sa bénédiction pour mourir
avec elle, suivant son voeu le plus cher, et qu'il la suppliait de la lui
donner de sa retraite. Ces dernières paroles attendrirent extrêmement le coeur
de la très-pure Marie, et elle aurait bien voulu
l'assister en personne dans cette occasion, où le saint devait sacrifier sa
vie pour la défense de l'honneur de son Dieu et de son Rédempteur. La
très-prudente Mère se rendait compte des
difficultés qu'il y avait d'aller par les rues de Jérusalem au moment où toute
la ville était agitée, et plus encore de trouver le moyen de parler à saint
Étienne.
193. Elle se prosterna et
pria le Seigneur pour son bien-aimé disciple, représentant à sa divine Majesté
le désir qu'elle avait de le favoriser à cette dernière heure. Et dans sa
clémence le Très-Haut, qui est toujours attentif aux prières et aux désirs de
son Épouse et de sa Mère, et qui voulait d'ailleurs rendre plus précieuse la
mort de son fidèle serviteur et cher disciple Étienne, envoya du ciel une
multitude d'anges, avec ordre de se joindre à ceux de l'auguste Marie, et de
la transporter à l'instant à l'endroit où se trouvait le saint. Les anges
s'empressèrent d'exécuter la volonté du Seigneur, et ayant placé leur Reine
dans une nuée tout éclatante de lumière , ils la
portèrent dans la salle du conseil où était saint Étienne , et où le grand
prêtre achevait de l'examiner sur les accusations intentées contre lui. Cette
apparition fut cachée à tous les assistants, excepté à saint Étienne, qui
16
vit
devant lui en l'air la Reine de l'univers, revêtue de divines splendeurs et de
gloire; il vit aussi les anges qui la tenaient suspendue dans la nuée. Cette
faveur incomparable augmenta la flamme de l'amour divin et redoubla le zèle de
l'honneur de Dieu en son défenseur Étienne. Et outre la nouvelle joie que lui
causa la vue de la bienheureuse Marie, il arriva aussi que les splendeurs de
notre grande Reine frappant le visage de saint Étienne, il en
rejaillissait le plus vif éclat et une beauté
ravissante.
194. De ce prodige vint
l'attention avec laquelle les Juifs qui étaient dans cette salle
regardèrent saint Étienne, comme il est rapporté dans le chapitre
sixième des Actes, où saint Luc dit qu'ayant les yeux fixés sur le saint
disciple, son visage leur parut semblable à celui d'un ange (1); car ils y
voyaient sans doute quelque chose de surhumain. Dieu ne voulut point cacher à
ces perfides Juifs cet effet de la présence de sa
très-sainte Mère, afin que leur confusion fût plus grande si malgré un
miracle si éclatant ils n'embrassaient point la vérité que saint Étienne leur
prêchait. Mais ils ne connurent point la cause de cette beauté surnaturelle du
saint, parce qu'ils étaient indignes de la connaître; et il n'était pas- même
convenable de la découvrir alors : c'est pour cette raison que saint Luc ne
l'a point indiquée non plus. La bienheureuse Marie adressa à saint Étienne des
paroles vivifiantes et merveilleusement propres à le
(1) Act., VI, 15.
17
consoler;
elle ,assista en le comblant des bénédictions les plus douces et les plus
abondantes, et en priant le Père éternel de le remplir de nouveau en ce moment
de son divin Esprit. La prière de notre auguste Reine fut exaucée, et ce qui
le prouve, c'est le courage invincible et la sublime sagesse avec lesquels
saint Étienne parla aux princes des Juifs, et démontra l'avènement de
Jésus-Christ en qualité de Sauveur et de Messie, commençant son discours dès
la vocation d'Abraham jusqu'aux rois et aux prophètes du peuple d'Israël, et
citant les témoignages irréfragables de toutes les anciennes Écritures.
195. A la fin de ce
discours, en vertu des prières de la bienheureuse Marie qui était présente, et
en récompense du zèle invincible de saint Étienne, notre Sauveur lui apparut
du haut du ciel entr'ouvert, et Jésus-Christ se montra debout à la droite de
son Père, pour marquer qu'il voulait soutenir son fidèle serviteur dans son
combat. Saint Étienne leva les yeux su ciel, et s'écria : « Je vois les cieux
ouverts a et leur gloire, et dans cette même gloire je vois n Jésus à la
droite de Dieu (1). » Mais les Juifs perfides et endurcis prirent ces paroles
pour un blasphème, et se bouchèrent les oreilles pour ne point les entendre.
Et comme le blasphémateur, selon la loi, devait être lapidé, ils ordonnèrent
qu'elle fût exécutée en la personne du saint. Alors ils se jetèrent sur lui
avec la dernière violence; comme des loups
(1) Act., VII, 55.
ravissants,
et le traînèrent hors de la ville avec de grands cris. Au moment où cette
scène commençait, l'auguste Marie lui donna sa bénédiction; et l'ayant ainsi
encouragé, elle le quitta en lui prodiguant de nouvelles marques de tendresse,
et ordonna à tous les anges de sa garde de l'accompagner et de l'assister dans
son martyre, jusqu'à ce qu'ils conduisissent son âme devant le Seigneur.
Ensuite les anges qui étaient descendus du ciel pour la transporter auprès de
saint Étienne, la ramenèrent au Cénacle, avec un seul des anges de sa garde.
196. Elle vit de là par une
vision spéciale le martyre de saint Étienne dans toutes ses particularités;
comment on le traînait hors de la ville avec de bruyantes vociférations, en le
faisant passer pour un blasphémateur digne de mort; que Saul était un de ceux
qui montraient dans cette exécution le plus d'emportement et d'ardeur (1), et
qui, comme zélateur de la loi de Moïse, gardait les manteaux de tous ceux qui
lapidaient saint Étienne. elle vit les pierres
qu'on lui jetait, et qu'il y en avait quelques-unes qui pénétraient dans la
tête du martyr, et qui y restaient toutes teintes de son sang. Grande et.
profonde fut la compassion qu'un martyre si cruel
inspira à notre Reine; mais plus grande encore fut la joie qu'elle eut de voir
saint Étienne le recevoir si glorieusement. La compatissante Mère, voulant le
secourir de son oratoire, priait pour lui avec beaucoup de
(1) Act., VII, 57.
19
larmes,
et quand l'invincible martyr sentit qu'il était près d'expirer, il dit :
Seigneur, recevez mon esprit (1). puis, s'étant
mis à genoux, il éleva la voix et ajouta : Seigneur, ne leur imputez point
ce péché (2). La bienheureuse vierge s'associa aussi à ces prières avec
une joie indicible de voir que le fidèle disciple imitait si parfaitement son
Maître, priant pour ses ennemis et ses bourreaux, et remettant son esprit
entre les mains de son Créateur et de son Rédempteur. 197.
Saint Étienne expira accablé des pierres que lui avaient jetées les perfides
Juifs, les Juifs, plus endurcis dans leur obstination que les pierres mêmes.
Et à l'instant les anges de l'auguste Marie menèrent cette bienheureuse âme
devant Dieu pour être couronnée d'honneur et de gloire éternelle. Notre
Sauveur Jésus-Christ l'accueillit avec ces paroles de son Évangile : Mon
ami, montez plus haut (3); venez moi, serviteur fidèle ; que si vous
avez été fidèle en de petites choses qui ne font que passer, je vous
récompenserai éternellement avec abondance (4) ; et je vous
reconnaîtrai devant mon Père pour mon fidèle serviteur et mon ami, parce que
vous m'avez confessé devant les hommes (5). Tous les anges, tous les
patriarches et les prophètes et tous les autres bienheureux reçurent ce
jour-là une nouvelle joie accidentelle, et félicitèrent le glorieux martyr de
sa victoire, le reconnaissant pour les prémices de la passion du Sauveur, et
pour
(1) Act. VII, 58. — (2) Ibid., 50. — (3)
Luc., XIV, 10. — (4) Matth., XXV, 21
et 23. — (5) Matth., X,
82.
20
le
capitaine de ceux qui le suivraient dans la lice du martyre. Cette âme
bienheureuse fut placée en un lieu de gloire fort éminent, et proche de la
très-sainte humanité de notre Rédempteur
Jésus-Christ. L'auguste Vierge participait à cette joie par la vision qu'elle
avait de tout ce qui se passait; et pour en rendre des actions de grâces su
Très-Haut, elle fit avec les anges divers cantiques à sa gloire. Les anges qui
revinrent du ciel, où ils avaient laissé saint Étienne, témoignèrent à la
divine Mère leur reconnaissance pour les faveurs qu'elle avait faites au
saint, jusqu'à le placer dans la félicité éternelle dont il jouissait.
198. Saint Étienne mourut
neuf mois après la Passion et la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, le
vingt-six décembre, le même jour que la sainte Église célèbre son martyre, et
ce jour-là il achevait la trente-quatrième année de son âge : c'était aussi la
trente-quatrième année de la naissance du Sauveur, et il s'était même déjà
passé un jour de l'an trente-cinq. De sorte que saint Étienne naquit aussi le
jour qui vient après celui de la naissance de notre Sauveur; il n'était plus
âgé que des neuf mois qui s'écoulèrent depuis la mort de Jésus-Christ jusqu'à
la sienne, et le jour de son martyre répondit à celui de sa naissance; tout
cela m'a été déclaré. La prière de la très-pure.
Marie et celle de saint Étienne méritèrent la conversion de Saul, comme nous
le verrons plus loin. Et afin que cette. conversion
fût plus glorieuse, le Seigneur permit que dès ce jour-là le
21
même
Saul entreprit de, persécuter l',Église et de la détruire, en se signalant
entre tous les Juifs dans la persécution qui s'éleva après la mort de saint
Étienne, par la haine qu'ils avaient contre les nouveaux fidèles, comme je le
dirai dans le chapitre suivant. Les disciples prirent le corps de l'illustre
martyr (1), et lui donnèrent la sépulture, pleurant et gémissant de ce qu'ils
étaient privés d'un homme si sage et si zélé pour la loi de grâce. J'ai un peu
étendu mon récit, parce que j'ai connu la grande sainteté de ce premier
martyr, et parce que c'était un fervent dévot de la bienheureuse Vierge, qui
l'a couvert de son côté d'une protection toute spéciale.
lnstrucion
que la grande Reine des anges m'a donnée.
199. Ma fille, les mystères
divins représentés et proposés ana sens terrestres des hommes ne font pas sur
eux une vive impression, quand ils les trouvent dissipés et accoutumés aux
choses visibles, et quand leur intérieur n'est point débarrassé des
engagements du monde et des ténèbres du péché; car l'homme est de lui-même
pesant et très-peu capable de s'élever aux choses
célestes; et si, outre cette
(1) Act., VIII, 2.
22
difficulté,
qui lui est naturelle, il consacre toutes ses facultés à la recherche et à
l'amour des choses apparentes, il ne peut que s’éloigner de plus en plus de la
vérité; et accoutumé à l'obscurité, la lumière l'offusque (1). C'est pour cela
que les hommes terrestres font si peu de cas des oeuvres merveilleuses du
Très-Haut et de celles que j'ai faites et que je fais chaque jour pour eux.
Ils foulent aux pieds les perles, et ne distinguent point le pain des enfants
du grossier aliment des brutes. Tout ce qui est céleste et divin leur semble
insipide, et répugne même à leur goût blasé par les plaisirs sensibles; ainsi
ils sont incapables de comprendre les choses sublimes, et de profiter de la
science de vie et du pain d'intelligence qu'elles renferment.
200. Mais le Très-Haut a
bien voulu, ma très-chère fille, vous tirer de ce
péril; il vous a donné la science et la lumière, et a perfectionné vos sens et
vos puissances, afin que, fortifiée par la vertu de la divine grâce, vous
fassiez une digne estime de ses oeuvres admirables, et jugiez sainement des
mystères que je vous découvre. Et quoique je vous aie dit plusieurs fois que
vous ne sauriez entièrement les pénétrer pendant la vie mortelle, vous n'en
devez et pouvez pas moins, selon votre capacité, en faire une
très-grande estime, tant pour vous instruire que
pour m'imiter en mes oeuvres. Ma vie n'a été, même après que je me fus assise
dans le ciel, à la droite de mon
(1) I Cor., II, 14.
23
très-saint
Fils, et que je fus revenue sur la terre, qu'un tissu de toute sorte de peines
et de tribulations; cela vous fera comprendre que la vôtre doit passer par les
mêmes vicissitudes, si vous voulez me suivre comme votre Mère, et apprendre à
mon école le secret de la félicité. Ma conduite dans la direction des apôtres
et de tous les fidèles était toujours prudente, toujours humble, toujours
égale, exempte de partialité; vous y trouverez des règles qui vous serviront à
vous comporter à l'égard de vos inférieures avec douceur, avec modestie, avec
une humble gravité, et surtout sans acception de personnes. Une parfaite
charité et une véritable humilité rendent tout cela facile à ceux qui
gouvernent. En effet, si les supérieurs agissaient avec ces vertus, ils ne
seraient point si absolus dans leur commandement, ni si attachés à leur propre
sentiment; ils ne renverseraient point l'ordre de la justice avec un préjudice
aussi notable que celui dont peut se plaindre aujourd'hui tonte la chrétienté
: car l'orgueil, la vanité, l'intérêt, l'amour-propre et les considérations de
la chair et du sang se glissent presque dans toutes les actions de.
ceux qui ont quelque autorité, de sorte que
tout,est perverti, et toutes les provinces sont livrées à l'injustice et à
d'effroyables désordres.
201. Dans le zèle
très-ardent que j'avais pour l'honneur de mon
adorable Fils et que je déployais pour que l'on prêchât et défendit son saint
Nom; dans la joie que j'éprouvais quand on accomplissait à cet égard sa divine
volonté; et quand on faisait profiter
25
dans
les âmes le fruit de sa Passion et de sa mort en étendant la sainte Église;
dans les faveurs dont je comblai le glorieux martyr Étienne, parce qu'il était
le premier qui offrait sa vie pour la foi de son divin Maître: en tout cela,
vous trouverez, ma fille, de grands motifs de louer le Très- Haut pour toutes
ses oeuvres admirables et dignes de vénération et de gloire; de m'imiter, et
de bénir sa bonté infinie de la sagesse qu'elle me donna pour opérer en tout
avec plénitude de sainteté et selon son bon plaisir.
CHAPITRE XII. La persécution que souffrit l’Église après la mort de saint
Etienne. — Ce que lit notre auguste Reine dans cette occasion, et comment Par
ses soins les apôtres rédigèrent le symbole de la foi catholique.
202. En. ce même jour
auquel saint Étienne fut lapidé et mis à mort, saint Lue rapporte qu'il
s'éleva une grande persécution contre l'Église qui était à Jérusalem (1). Il
ajoute expressément que (2) Saul la ravageait, cherchant par toute la ville
ceux qui avaient embrassé la foi de Jésus-Christ pour les
(1) Act., VIII, 1. —
(2) Ibid., 3.
25
prendre
et les mener devant les magistrats, comme il le fit à l'égard de beaucoup de
fidèles, qui furent traînés en prison et maltraités, et dont plusieurs même
reçurent la mort dans cette persécution. Et quoiqu'elle fût fort terrible à
cause de la haine que les princes des prêtres avaient vouée à tous les
imitateurs de Jésus-Christ, et parce que Saul se signalait entre tous par la
violence avec laquelle il se portait le défenseur de la loi de Moïse, ainsi
qu'il le dit lui-même, dans l'épître aux Galates (1) : néanmoins cette fureur
des Juifs avait une autre cause secrète, dont ils ignoraient eux-mêmes le
principe, tout en en sentant les effets.
203. Cette cause était le
trouble de Lucifer et de ses démons, qui s'alarmèrent du martyre de saint
Étienne, et par là redoublèrent leur rage contre les fidèles, et surtout
contre la Reine et la Maîtresse de l'Église, l'auguste Marie. Le Seigneur
permit, pour augmenter sa confusion, que ce dragon la
vit quand les Anges la transportèrent auprès de saint Étienne. Lucifer ayant
remarqué ce bienfait si extraordinaire, et frappé de la constance et de la
sagesse de saint Étienne, se persuada que la puissante Reine en ferait autant
en faveur des autres martyrs qui s'offriraient à mourir pour le nom de
Jésus-Christ, ou du moins qu'elle les assisterait par sa protection, afin
qu'ils ne craignissent ni les tourments ni la mort, mais qu'ils les subissent
avec un courage invincible. Les tourments
(1) Galat., I, 13.
26
et les
douleurs étaient le moyen que le démon avait choisi pour intimider les fidèles
et les retirer de la suite de notre Sauveur Jésus-Christ, s'imaginant que les
hommes, qui sont si attachés à la vie et qui redoutent naturellement la mort
et les douleurs, surtout quand elles sont extrêmes, pour, les éviter
renonceraient à la foi, et que cet exemple déterminerait les autres à ne point
l'embrasser. Le serpent se servit toujours de ce moyen; mais dans le progrès
de l'Église il se trompa lui-même par sa propre malice, comme il s'était
trompé le premier à l'égard du chef de tous les saints, notre Seigneur
Jésus-Christ.
204. Mais comme alors
l'Église était dans ses commencements, et que Lucifer se trouva si mal d'avoir
irrité les Juifs contre saint Étienne, il en demeura tout confus. Quand il le
vit mourir si glorieusement, il assembla ses démons et leur dit : « Je suis
troublé par la mort de ce disciple, et par la faveur qu'il a reçue de cette
femme, notre ennemie : car si elle fait la même chose pour les autres
disciples et imitateurs de son Fils, il ne nous sera pas possible d'en vaincre
aucun par le moyen des tourments et de la mort; cet exemple les excitera au
contraire à souffrir et à mourir comme leur Maître; ainsi nous en viendrons à
être vaincus par les moyens mêmes dont nous nous servons pour les vaincre; car
pour notre propre tourment le plus grand triomphe qu'ils puissent remporter
sur nous, c'est de sacrifier leur vie pour la foi que nous avons entrepris de
détruire. Nous nous égarons dans
27
cette
voie ; mais je rien trouve point d'antres pour persécuter ce Dieu incarné, sa
Mère et leurs imitateurs. Est-il possible que les hommes soient si prodigues
d'une vie qu'ils aiment si éperdument, et qu'étant si sensibles aux moindres
douleurs ils se livrent eux-mêmes aux tourments les plus cruels pour imiter
leur Maître? Mais certes, ce n'est point cela qui apaisera ma juste colère. Je
ferai que d'autres hommes braveront la mort pour soutenir mes mensonges, comme
ceux-ci la bravent pour les intérêts de leur Dieu. Tous ne mériteront pas la
protection de cette femme invincible; et tons ne seront pas non plus assez
courageux pour endurer des tourments aussi effroyables que ceux que
j'inventerai. Allons donc, et irritons les Juifs nos amis contre cette race
odieuse, afin qu'ils l'exterminent et qu'ils effacent de la terre le nom de
son auteur. »
205. Lucifer exécuta
aussitôt son exécrable dessein, et alla avec une multitude innombrable de
démons trouver les princes et les magistrats des Juifs et les autres gens dit
peuple qu'il reconnaissait les plus incrédules; il les remplit tous de
confusion, d'envie et de rage contre ceux qui suivaient la loi de
Jésus-Christ, et les enflamma par ses suggestions hypocrites d'un faux zèle
pour la loi de Moïse et les antiques traditions de leurs ancêtres. Il ne fut
pas difficile an démon de semer cette ivraie dans des coeurs si perfides et
souillés par tant d'autres péchés; aussi la reçurent-ils avec une entière
volonté. Bientôt ils tinrent plusieurs assemblées, dans lesquelles ils
28
proposèrent
de se défaire d'un seul coup de tous les disciples et de tous les autres
sectateurs de Jésus-Christ. Les uns disaient de les chasser de Jérusalem, les
autres de les bannir de tout le royaume d'Israël ceux-ci opinaient qu'il
fallait les faire périr tous ensemble, afin d'en finir en une fois avec cette
secte; ceux-là enfin conseillaient de les condamner aux plus cruels supplices,
pour intimider les autres et les empêcher par cet exemple de s'unir à eux, et
de confisquer au plus tôt tous leurs biens, avant qu'ils pussent en remettre
la valeur aux apôtres. Cette persécution fut si violente, au rapport de saint
Luc, que les soixante-douze disciples s'enfuirent de Jérusalem , et furent
dispersés dans la Judée et dans la Samarie (1), où ils prêchèrent néanmoins
avec un zèle admirable. Les apôtres, l'auguste. Marie et d'autres fidèles
demeurèrent dans Jérusalem ; mais, ils s'y tenaient cachés, et il y en eut
plusieurs qui se blottirent dans les endroits les plus secrets, de peur de
tomber entre les mains de Saul, qui les cherchait activement pour les prendre.
206. La bienheureuse
Vierge, témoin attentive de tout ce qui se passait, commença, le jour même de
la mort de saint Étienne, par donner ordre que son saint corps fût enseveli
(car cela se fit aussi par ses soins), et demanda qu'on lui apportât une croix
que le martyr avait sur lui. Il l'avait faite à l'imitation de cette même
Reine; car après la descente du Saint-Esprit
(1) Act., VIII, 1.
29
elle en
porta une sur elle, et à son exemple les autres fidèles en portaient
communément dans la primitive Église. Elle reçut cette croix de saint Étienne
avec une vénération particulière, tant par rapport à la croix elle-même que
parce que le martyr l'avait portée. Elle lui décerna le titre de saint, et
ordonna de recueillir tout ce que l'on pourrait de son sang, et de le garder
avec beaucoup d'estime et de révérence comme d'un martyr déjà glorieux. Elle
loua sa sainteté et sa constance en présence des apôtres et de nombreux
fidèles, pour les consoler et les animer par son exemple dans cette épreuve.
207. Pour se faire une idée
de la magnanimité que notre grande Reine montra dans cette persécution, et
dans les autres auxquelles l'Église fut en butte pendant le temps de sa
très-sainte vie, il faut est quelque sorte
récapituler les dons que le Très-Haut lui communiqua, en les réduisant à la
participation ale ses divins attributs, participation aussi spéciale, aussi
ineffable que l'exigeait le rôle de cette Femme forte en qui le coeur de
l'Époux devait se confier entièrement (1), et qu'il allait charger de toutes
les couvres au dehors que la toute-puissance de son bras avait faites; car il
est certain que la très-pure Marie, en sa manière
d'opérer, surpassait toutes les créatures; et la vertu avec laquelle elle
agissait se rapprochait de la vertu de Dieu lui-même, dont elle paraissait
être l'unique image. Elle connaissait toutes
(1) Prov., XXXI, 11.
30
les
oeuvres et toutes les pensées des hommes, et pénétrait tous les desseins et
toutes les ruses des démons. Elle n'ignorait rien de ce qu'il convenait de
faire dans l'Église. lit quoique tout cela fût réuni et renfermé dans son
entendement, son intérieur ne se troublait point dans la disposition de tant
de choses; les unes n'embarrassaient point les autres; elle ne se méprenait
pas sur les moyens, et ne s'empressait point dans l'exécution; les difficultés
ne la rebutaient point; elle n'était point accablée par la multitude des
affaires; elle prenait soin de ceux qui étaient présents sans oublier les
absents ; sa prudence n'était jamais en défaut, jamais au dépourvu, car elle
paraissait immense; aussi s'appliquait-elle à toutes choses comme à une seule
cri particulier, et veillait-elle aux besoins de chaque fidèle comme s’il eût
réclamé seul la sollicitude de la divine Maîtresse. Semblable au soleil qui
éclaire, vivifie et échauffe tout ce qui est sur la terre saris peine, sans
lassitude, sans oubli, en conservant tout sou éclat, notre incomparable Reine,
que le Seigneur avait choisie comme le Soleil pour son Église, la gouvernait,
l'animait et vivifiait tous ses enfants sans en négliger aucun.
208. Quand elle vit
l'Église si troublée, si persécutée et si affligée par la malice des démons et
des hommes, qu'ils irritaient, elle se tourna aussitôt contre les auteurs de
cette criminelle entreprise, et commanda avec empire à Lucifer et à ses
ministres de descendre pour lors dans l'abîme, où ils furent à l'instant
précipités par une force irrésistible, en poussant
31
des
hurlements épouvantables: Ils y demeurèrent huit jours entiers comme
enchaînés, jusqu'à ce qu'il leur fut permis de remonter de nouveau. Ensuite la
bienheureuse Vierge appela les apôtres, les consola et les exhorta à être
constants et à espérer le secours du Ciel dans cette tribulation; et ses
paroles les décidèrent tous à ne point sortir de Jérusalem. Les disciples, qui
s'éloignèrent parce qu'ils ne pouvaient, vu leur grand nombre, se cacher comme
il était alors convenable, allèrent tous prendre congé de leur Mère et de leur
Maîtresse, et lui demandèrent sa bénédiction. Elle les exhorta et les
encouragea, leur prescrivant de ne point cesser, malgré cette persécution, de
prêcher Jésus-Christ crucifié; et en effet, ils le prêchèrent dans la Judée,
dans la Samarie et ailleurs. Dans les épreuves qu'ils curent à traverser, elle
les secourut par le ministère des saints anges, qu'elle leur envoyait avec
ordre de les animer et même de les porter, en cas de
besoin , comme il arriva à Philippe sur le chemin de la ville de Gaza,
quand il eut baptisé l'Ethiopien, l'un des serviteurs de la reine Candace,
selon qu'il est rapporté mi chapitre huitième des Actes (1). Elle envoyait
aussi les mêmes auges pour secourir les fidèles qui étaient à l'article de la
mort; ensuite elle assistait dans le purgatoire les âmes qui y allaient.
209. Les inquiétudes et les
peines des apôtres furent durant cette persécution plus grandes que
(1) Act., VIII, 39.
32
celles
des autres fidèles, parce qu'en leur qualité de maîtres et de fondateurs de
l'Église, il fallait qu'ils l'assistassent tant à Jérusalem que dans les
autres endroits où elle s'était établie. Sans doute ils étaient remplis de
science et des dons du Saint-Esprit; néanmoins, l'entreprise était si ardue et
les obstacles si puissants, qu'ils se seraient souvent trouvés arrêtés ou même
refoulés, sans le conseil et le secours de leur auguste Maîtresse. C'est
pourquoi ils la consul-, talent souvent; et selon les affaires qui
survenaient, elle les convoquait et les réunissait pour délibérer, car elle
seule pénétrait à fond les choses présentes et prévoyait avec certitude celles
à venir; et d'après ses avis ils sortaient de Jérusalem et allaient où leur
présence était nécessaire, comme il arriva à saint Pierre et à saint Jean, qui
se rendirent à Samarie quand ils apprirent que cette ville avait reçu la
parole de Dieu (1). l a bienheureuse Vierge, au
milieu de toutes ces occupations et de toutes les tribulations des fidèles,
qu'elle aimait et assistait comme ses enfants, ne maintenait dans un état
immuable de tranquillité parfaite et conservait une sérénité d'esprit
inaltérable.
210. Elle mettait dans ses
actions un ordre tel, qu'il lui restait du temps pour se retirer plusieurs
fois dans son oratoire; et quoique ses occupations extérieures ne
l'empêchassent point de prier, elle se livrait dans sa solitude à divers
saints exercices dont elle se réservait le secret. Elle se prosternait en
terre,
(1) Act., VIII, 14.
83
baisait
la poussière, gémissait et pleurait pour le salut des mortels, et à la pensée
de la perte de tant de personnes dont elle prévoyait la réprobation. La loi
évangélique, l'image de l'Église et ses progrès, les peines et les
tribulations que les fidèles devaient souffrir, tout cela était gravé dans son
coeur, et elle s'en entretenait avec le Seigneur et le repassait dans son
esprit, pour disposer toutes choses par cette lumière et cette science divine
de la volonté sainte du TrèsHaut. C'était là où
elle renouvelait cette participation de l'être de Dieu et de ses perfections,
dont elle avait besoin pour tant de choses divines qu'elle opérait pour le
bien et dans la direction de l'Église, sans en négliger aucune, les
accomplissant toutes avec une telle plénitude de sagesse et de sainteté, que,
simple créature, elle semblait toujours cesser de l'être. Eu effet, douée
d'une sagesse incomparable dans ses pensées,
très-prudente dans ses conseils, très-équitable
et très juste dans ses jugements, très-sainte dans
ses œuvres, véridique et sincère dans ses paroles, toujours d'une bonté
parfaite et vraiment merveilleuse, elle était indulgente envers les faibles,
douce et tendre envers les humbles, sévère et majestueuse envers les superbes.
Sa. propre excellence ne l'élevait pas plus que
l'adversité ne la troublait, et que les afflictions ne l'abattaient enfin elle
était en tout la vivante image de son très-saint
Fils agissant.
211. La
très-prudente Mère considéra que les disciples
s'étant séparés pour prêcher le nom et la foi de notre Sauveur Jésus-Christ,
n'avaient aucune
34
instruction
ni aucune règle explicite et déterminée pour prêcher une doctrine uniforme et
concordante, et pour proposer à la créance des fidèles les mêmes vérités
formellement exprimées. Elle sut, en outre, qu'il fallait que les apôtres se
répandissent bientôt par tout le monde pour y étendre et établir l'Église par
leur prédication , et qu'il était convenable qu'ils fussent tous d'accord sur
la doctrine sur laquelle devait reposer toute la vie et toute la perfection
chrétienne. La très-prudente Mère de la Sagesse
crut que pour tout cela il fallait réduire en abrégé tous les mystères divins
que les apôtres devaient prêcher et que les fidèles devaient croire, afin que
ces vérités, rassemblées en peu d'articles, fussent pour tous plus faciles à
apprendre; qu'autour d'elles toute l'Église fût unie sans aucune différence
essentielle, et qu'elles fussent comme les colonnes inébranlables sur
lesquelles s'élèverait l'édifice spirituel de cette nouvelle Église
évangélique.
212. La bienheureuse,
Vierge aspirant à la conclusion de cette affaire, dont elle connaissait
l'importance, exposa ses désirs au même Seigneur qui les lui donnait, et
persévéra plus de quarante jours dans cette prière, en l'accompagnant de
jeûnes, de prosternations et d'autres saints exercices. Et de même que pour
recevoir de Dieu la loi écrite, il fallut que Moise jeûnât et priât quarante
jours sur la montagne de Sinaï, comme médiateur entre Dieu et le peuple (1),
(1) Exod., XXXIV, 28.
35
de même
pour la loi de grâce notre Sauveur Jésus-Christ fut auteur et médiateur entre
son Père éternel et les hommes, et la très-pure
Marie fut médiatrice entre les hommes et son très-saint
Fils, afin que l'Église évangélique reçût écrite dans le coeur de ses enfants
cette nouvelle loi, réduite à des articles de foi qui ne changeront point, qui
ne péricliteront point dans cette même Église, parce qu'ils expriment des
vérités divines et infaillibles. Un de ces jours, pendant sa prière, elle dit
au Seigneur : « Souverain Roi, Dieu éternel, Créateur et Conservateur de
tout l'univers, vous avez par votre clémence ineffable commencé l'œuvre
magnifique de votre sainte Église. Or il n'est point conforme, Seigneur, à
votre sa gesse infinie, de laisser imparfaites les couvres de votre
puissante droite; élevez donc à sa plus haute perfection cette oeuvre
que vous avez si glorieusement commencée. Que les péchés des mortels ne
vous en empêchent pas, mon Dieu, puisque la voix de
leur . malice ne crie pas si haut que la
voix du sang et de la mort de votre Fils unique et du mien : le
cri de ce précieux sang ne demande point vengeance comme la voix du sang
d'Abel (1), mais il implore votre miséricorde pour ceux mêmes qui
l'ont répandu. Jetez, Seigneur, les yeux sur les nouveaux enfants qu'il
vous a engendrés, et sur ceux que votre Église aura dans les siècles à
venir; remplissez de votre divin Esprit Pierre votre vicaire et les
(1) Gen., IV, 10.
36
autres
apôtres, afin qu'ils fixent dans l'ordre convenable les vérités sur lesquelles
votre Église doit être établie, et que ses enfants sachent tout ce
qu'ils doivent croire d'une croyance unanime.»
213. Notre Sauveur
Jésus-Christ descendit du ciel pour répondre à ces demandes de sa
très-sainte Mère, et lui apparaissant avec une
gloire immense, il lui dit : « Ma Mère et ma Colombe, soulagez-vous dans
vos amoureuses peines, et satisfaites par ma pré sente et par ma vue les
ardents désirs que vous a inspirent l'intérêt de ma gloire et l'agrandissement
de mon Église. Je suis Celui qui puis et qui veux lui donner les secours
nécessaires; et vous, ma Mère, vous êtes Celle qui pouvez me porter à
lui départir mes faveurs : je ne refuserai rien à vos demandes et à vos
désirs. » Pendant que le Seigneur lui adressait ces paroles, la bienheureuse
Marie demeura prosternée, adorant la divinité et l'humanité de son Fils et de
son Dieu véritable. Sa divine Majesté la releva aussitôt, et la remplit de
joie et de consolations ineffables; elle lui donna sa bénédiction et la combla
en outre de nouveaux dons de sa toute-puissante droite. Elle jouit quelque
temps de ce bonheur de voir son adorable Fils, avec lequel elle eut des
entretiens sublimes et mystérieux qui calmèrent les inquiétudes que lui
causait son zèle pour l'Église, parce que sa divine Majesté lui promit de
l'enrichir par son entremise de ses plus grands bienfaits.
214. Après la prière que
notre Reine fit pour les apôtres, non-seulement le
Seigneur lui promit de les
37
aider à
définir exactement le symbole de la foi, mais il lui déclara aussi les termes,
les paroles et les propositions dont ils devaient alors le composer. Cette
très-prudente Dame connaissait tout, comme il a
été plus amplement expliqué dans la seconde partie; mais en ce moment marqué
pour la promulgation publique de ce qu'elle avait su si longtemps d'avance, le
Seigneur voulut en pénétrer de nouveau le coeur très-pur
de sa Mère Vierge, afin que de la bouche de Jésus-Christ lui-même sortissent
les vérités infaillibles sur lesquelles son Église est établie. Il fallut
aussi prévenir l'humilité de notre grande Dame, afin que par cette même
humilité elle se conformât à la volonté de son très-cher
Fils, en ce que dans le Credo elle devait s'entendre nommer Mère de Dieu et
Vierge avant et après l'enfantement, tandis qu'elle vivait encore en la chair
mortelle parmi ceux qui devaient prêcher et croire cette vérité divine. Mais
elle pouvait bien entendre prêcher d'elle-même une si grande excellence sans
aucune crainte, puisqu'elle avait mérité que Dieu regardât son humilité pour
opérer en elle la plus grande de ses merveilles (1), et c'était une chose bien
plus importante de savoir elle-même qu'elle était mère et vierge, que de
l'entendre prêcher dans l'Église.
215. Notre Seigneur
Jésus-Christ prit congé de sa bienheureuse Mère et s'en retourna à la droite
de son Père éternel. Puis il inspira à son vicaire saint Pierre
(1) Luc., I, 48.
38
et aux
apôtres de rédiger ensemble le symbole de la foi universelle de l'Église. Par
suite de cette inspiration ils allèrent trouver leur auguste Maîtresse pour
conférer avec elle sur les avantages et la nécessité de la résolution à
prendre à cet égard. On convint alors que l'on jeûnerait pendant dix jours et
que l'on persévèrerait dans la prière, comme une affaire si importante le
demandait, afin que les apôtres y fussent éclairés du Saint-Esprit. Ces dix
jours passés, ainsi que les quarante jours pendant lesquels l'auguste Marie
avait entretenu le Seigneur de cette même affaire, les douze apôtres se
réunirent sous les yeux de leur Maîtresse, et alors saint Pierre leur tint ce
discours :
216. « Mes
très-chers frères, la divine miséricorde a daigné,
par sa bonté infinie et par les mérites de notre Sauveur Jésus-Christ,
favoriser sa sainte Église, en commençant à multiplier ses enfants d'une
manière si rapide et si glorieuse, comme nous le voyons et l'expérimentons
tous les jours. C'est dans ce but que son puissant bras a opéré tant de
merveilles et de prodiges, qu'il les renouvelle chaque jour par notre
ministère, nous ayant
choisis
(quoique indignes) pour les ministres de a sa divine volonté en cette oeuvre
de ses mains, pour la gloire de son saint Nom. Avec toutes ces
faveurs le Très-Haut nous a envoyé des tribulations et des persécutions du
démon et du monde, afin a qu'elles nous servent à l'imiter comme notre Sauveur
et notre Chef, et que la barque de l'Église,
39
munie de
ce lest, gagne plus sûrement le port du a repos et de la félicité éternelle.
Les disciples se sont répandus, à cause de la colère des princes des
prêtres, dans les villes circonvoisines, où ils prêchent la foi de notre
Rédempteur Jésus-Christ. Et il faudra que nous allions bientôt la
prêcher par tout le monde, comme le Seigneur nous l'a ordonné
avant de monter au ciel (1). Or, afin que nous prêchions et que les fidèles
croient une seule et même doctrine (car la sainte foi doit être une,
comme le baptême (2) dans lequel ils la reçoivent est un, il faut, à
présent que nous sommes tous a assemblés au nom du Seigneur, que nous
déterminions les vérités et les mystères qui doivent être
proposés explicitement à tous les fidèles, afin qu'ils les
croient avec uniformité parmi toutes les nations a du monde. C'est une
promesse infaillible de notre Sauveur, que partout où seront deux ou trois
personnes assemblées cri son nom , il se trouve là
au milieu d'elles (3) ; comptons sur cette parole, et espérons fermement que
soir divin Esprit nous assistera maintenant, pour qu'en son nom nous
entendions et déclarions par un décret invariable les articles que la sainte
Église doit recevoir, pour s'établir sur ces mêmes articles jusqu'à la
fin du monde, puisqu'elle doit durer jusqu'alors. »
217. Tous les apôtres
approuvèrent cette proposition de saint Pierre. Le même saint célébra aussitôt
(1) Matth., XXVIII, 19. — (2) Ephes., IV, 5. — (3) Matth., XVIII, 20.
40
la
messe, et communia la très-pure Marie et les
autres apôtres; et, la messe achevée, ils se prosternèrent, adorant et
invoquant le divin Esprit; la bienheureuse Vierge en fit de même. Et ayant
demeuré quelque peu de temps en prière, ils entendirent un grand bruit comme
quand le Saint-Esprit descendit la première fois sur tous les fidèles qui
étaient assemblés, et it l'instant le Cénacle où
ils étaient fut rempli de lumière et d'une splendeur admirable, et ils se
trouvèrent tous illuminés et remplis du Saint-Esprit. Alors l'auguste Marie
leur dit de prononcer et de déclarer chacun un mystère, ou ce que l'Esprit
divin lui inspirait. Saint Pierre commença, et tous les autres continuèrent en
cette forme :
SAINT
PIERRE. Je
crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre.
SAINT
ANDRÉ. Et
en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur.
SAINT
JACQUES LE MAJEUR. Qui
a été conçu du Saint -Esprit, qui est né de la Vierge Marie.
SAINT
JEAN. Qui
a souffert sous Ponce Pilate, qui a été crucifié, qui est mort et qui a été
enseveli.
41
SAINT
THOMAS. Qui
est descendu aux enfers, et le troisième jour est ressuscité des morts.
SAINT
JACQUES LE MINEUR. Qui
est monté aux cieux, qui est assis à la droite de
Dieu, le Père tout-puissant.
SAINT
PHILIPPE. Et
qui de là viendra juger les vivants et les morts.
SAINT
BARTHÉLEMI. Je
crois au Saint-Esprit.
SAINT
MATTHIEU. La
sainte Église catholique, la communion des saints.
SAINT
SIMON. La
rémission des péchés.
SAINT
THADDÉE. La
résurrection de la chair.
SAINT
MATHIAS. La
vie éternelle. Ainsi soit-il.
218. Ce symbole, que nous
appelons vulgairement le Credo, fut rédigé par les apôtres après le martyre de
saint Étienne, et avant que l'année de la mort de notre Sauveur
fdt révolue. Dans la suite des temps
42
la
sainte Église, pour confondre l'hérésie d'Arius et de plusieurs autres
hérésiarques dans les conciles qu'elle a tenus contre eux, a expliqué d'une
manière plus étendue les mystères que contient le Symbole des apôtres, et a
composé le symbole ou le Credo que l'on chante à la messe. Mais ils sont tous
deux une même chose en substance, et renferment les quatorze articles que nous
propose la doctrine chrétienne pour nous initier à la foi avec laquelle nous
sommes obligés de les croire pour être sauvés. Aussitôt que les apôtres eurent
achevé de prononcer tout ce symbole, le Saint-Esprit l'approuva par une voix
qui fut entendue au milieu de toute l'assemblée, et qui dit : Vous avez
bien déterminé. Alors la grande Reine de l'univers et les apôtres
rendirent des actions de grâces au Très-Haut, et elle leur en rendit aussi à
euxm0mes de ce qu'ils avaient mérité l'assistance du divin Esprit pour parler
comme ses organes avec tant de sagesse à la gloire du Seigneur et pour le bien
de l'Église. Et pour mieux confirmer les fidèles par son exemple, la
très-prudente Maîtresse se mit à genoux aux pieds
de saint pierre, et protesta de son adhésion à la
sainte foi catholique telle qu'elle est contenue dans le symbole qui venait
d'être prononcé. Ce qu'elle fit pour elle-même et pour tous les enfants de
l'Église; puis s'adressant à saint Pierre, elle lui dit : Seigneur, que je
reconnais pour le vicaire de mon très-saint
Fils, moi chétif vermisseau de terre, en mon nom et au nom de tous les fidèles
de l'Église , je confesse et atteste entre vos
mains tout ce que
43
vous
venez de déterminer comme vérités infaillibles et divines de foi
catholique, et dans mon adhésion à ces vérités, je bénis et loue le
Très-Haut de qui elles procèdent. » Elle baisa la main au vicaire de
Jésus-Christ et aux autres apôtres, étant la première qui fit profession
expresse de la sainte foi de l'Église, après qu'ils en eurent déterminé les
articles.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
219. Ma fille, je veux,
pour votre plus grande instruction et pour votre consolation, vous découvrir,
à propos de ce que vous avez écrit dans ce chapitre, d'autres secrets de mes
œuvres. Je vous fais donc savoir que, depuis que les apôtres eurent composé le
Credo, je le récitais plusieurs fois à genoux et avec le plus profond respect.
Et lorsque je prononçais cet article : Qui est né de la Vierge Marie,
je me prosternais avec tant d'humilité, de reconnaissance et de louange pour
le Très-Haut, qu'aucune créature ne le saurait comprendre. En faisant ces
actes , je pensais à tous les mortels au nom
desquels je les offrais aussi, pour suppléer à l'irrévérence avec laquelle ils
prononceraient des paroles si vénérables Et ç'a été par mon intercession que
le Seigneur a inspiré à la sainte Église de dire si souvent dans l'office
divin le Credo, le Pater noster, l'Ave Maria; ç'a été
encore par cette
44
inspiration
que dans les ordres religieux on a établi la coutume de s'incliner quand on
les récite, et que tous les fidèles se mettent à genoux au Credo de la
messe à ces paroles : Et incarnatus est,
etc., afin que l'Église satisfît en partie à ce qu'elle doit au Seigneur pour
lui avoir donné cette connaissance et pour les mystères si dignes de
vénération et de reconnaissante que le Symbole contient.
220. Mes saints anges me
chantaient aussi plusieurs fois le Credo avec tant d'harmonie et de douceur,
que mon esprit se réjouissait dans le Seigneur; ou bien ils me chantaient
l'Ave Maria jusqu'à ces paroles : Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est
béni. Et quand ils prononçaient ce très-saint
Nom ou celui de Marie, ils faisaient une très-profonde
inclination; et par là ils ne faisaient qu'exciter mes sentiments d'humilité
amoureuse, et je m'abaissais au-dessous de la poussière, reconnaissant la
grandeur de l'être de Dieu et la petitesse de mon être terrestre. O ma fille !
soyez donc bien pénétrée de la vénération avec
laquelle vous devez prononcer le Credo, le Pater poster et l'Ave
Maria, et prenez bien gardé de tomber dans l'irrévérence grossière que
plusieurs fidèles commettent en cela. Ce n'est pas parce que, dans l'Église on
dit fréquemment ces prières et ces divines paroles, qu'on doit perdre le
respect qui leur est dd. Mais ce manquement téméraire vient de ce qu'on les
prononce du bout des lèvres, sans penser ni réfléchir à ce qu'elles signifient
et à ce qu'elles renferment. Pour vous, ma fille, je veux que vous en fassiez
la
45
matière
continuelle de votre méditation, c'est pour cela que le Très-Haut vous a donné
ce gotlt si particulier que vous avez pour la
doctrine chrétienne; et il est de son bon plaisir et du mien que vous la
portiez sur vous et que vous la lisiez souvent, comme vous l'avez accoutumé et
comme je vous le recommande de nouveau. Il faut que vous conseilliez à vos
inférieures d'en faire de même, car c'est un ornement qui pare les épouses de
Jésus-Christ, et tous les chrétiens devraient le porter avec eux.
221. Vous devez aussi
regarder comme une leçon pour vous le soin que je pris de faim écrire.
le Symbole de la foi aussitôt qu'il fut nécessaire
dans la sainte Église. Car c'est une négligence fort blâmable que de connaître
ce qui intéresse la gloire et le service du Très-Haut et le bien de la
conscience, et de ne pas le mettre incontinent en pratique, ou de ne pas faire
au moins tous ses efforts pour l'entreprendre. Quel sujet de confusion pour
les hommes qui sont si diligents à se procurer toutes les choses temporelles
quand il leur en manque quelqu'une, ils sont en des inquiétudes étranges; ils
prient aussitôt le Seigneur de la leur envoyer selon leur désir, comme il
arrive lorsqu'ils se trouvent privés de la santé ou des fruits de la terre, et
même d'autres choses moins nécessaires, ou plus superflues et plus
dangereuses, et cependant quand ils connaissent parmi toutes leurs obligations
la volonté et le bon plaisir du Seigneur; ils fout semblant de ne pas
comprendre, ou bien ils en différent l'exécution avec une injurieuse
46
insouciance.
Or gardez-vous bien, ma fille, de tomber dans ce désordre. Et comme je
m'appliquais avec tout le zèle possible à ce qu'il fallait faire pour les
enfants de l'Église, tâchez, à mon imitation, d'être ponctuelle en tout ce que
vous saurez être la volonté de Dieu, soit pour le bien de votre âme, soit pour
le profit des âmes de votre prochain.
CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie envoya le Symbole de la foi aux disciples
et aux autres fidèles. — Ils firent de grands miracles par son moyen. — Les
apôtres se partagèrent le monde. — Autres oeuvres de la grande Reine du ciel.
222. La
très-prudente Vierge était aussi soigneuse, aussi
vigilante dans le gouvernement de sa famille la sainte Église, que la mère et
la femme forte dont la Sage a dit : qu'elle a considéré les sentiers de sa
maison, pour ne point manger le pain de l'oisiveté (1). Notre grande Dame les
considéra et les connut avec plénitude de science; et comme, tout en restant
toujours ornée et revêtue de la pourpre dé la charité et de la blancheur
éclatante de son incomparable
(1) Prov., XXXI, 27.
47
pureté,
elle n'ignorait rien, elle n'omettait rien de ce dont ses enfants et ses
domestiques les fidèles pouvaient avoir besoin. Aussitôt que le Symbole des
apôtres fut achevé, elle en fit de sa propre main d'innombrables copies, avec
l'aide de ses saints anges qui l'assistaient et lui servaient de secrétaires,
afin de le faire parvenir sans retard aux disciples qui se livraient à la
prédication, disséminés dans la Palestine. Elle en envoya plusieurs copies à
chacun d'eux, avec une lettre particulière par laquelle elle leur recommandait
d'en garder un exemplaire, et de distribuer les autres aux fidèles, et les
informait du mode et des moyens que les apôtres avaient pris pour composer ce
symbole, destiné à être prêché et enseigné à tous ceux qui embrasseraient la
foi, afin qu'ils le crussent et qu'ils le confessassent.
223. Comme les disciples
étaient dispersés en divers endroits, les uns éloignés, les autres plus
proches, elle envoya les copies du Symbole et sa lettre à ceux qui étaient
plus près par la voie des autres fidèles, qui les leur remettaient; et elle
les fit remettre à ceux qui étaient plus éloignés par le ministère de ses
anges, qui apparaissaient et parlaient à la plupart des disciples; quant aux
autres, auxquels ils ne se montraient pas, ils les leur laissaient toutes
pliées entre les mains, produisant dans leur coeur des effets admirables; de
sorte que par ces effets et par les lettres de notre auguste Reine ils
savaient de quelle part leur venaient ces précieuses dépêches. Indépendamment
de ces mesures qu'elle prit personnellement,
48
elle
donna ordre aux apôtres de distribuer aussi dans Jérusalem et en d'antres
endroits les copies du Symbole qu'ils avaient faites, d'inculquer aux fidèles
la vénération qu'ils devaient avoir pour les
très-sublimes mystères qu'il renfermait; de leur faire comprendre que
le Seigneur lui-même l'avait dicté, en envoyant le Saint-Esprit, afin qu'il
l'inspirât et l'approuvât, et de les instruire de ce qui s'était passé et de
toutes les autres choses nécessaires, afin que tous sussent que c'était là la
foi unique, invariable et certaine, que l'on devait embrasser, confesser et
prêcher dans l'Église pour obtenir la grâce et la vie éternelle.
224. Par ces soins le
Symbole des apôtres fut en très-peu de temps
distribué à tous les fidèles de l'Église, parmi lesquels il produisit un fruit
et répandit des consolations incroyables; car ils étaient, en général si
fervents, qu'ils le reçurent avec la plus grande dévotion. Et le divin Esprit
qui l'avait inspiré pour établir l'Église, le confirma aussitôt par,de
nouveaux miracles, non-seulement par l'organe des
apôtres et des disciples, mais aussi par le moyen de beaucoup d'autres
fidèles. Il y en eut qui en ayant reçu les copies avec les sentiments d'une
vénération toute particulière, reçurent le Saint-Esprit sous une forme visible
qui venait sur eux avec une divine lumière. Cette lumière les environnait
extérieurement, et, entre autres effets célestes, les remplissait d'une
merveilleuse science. Ces prodiges allumaient chez les autres le plus ardent
désir de posséder et, de révérer le Credo. Il y en eut aussi qui, en
l'appliquant
49
sur les
malades, sur les morts et sur les possédés, les guérissaient de leurs
maladies, les ressuscitaient et en chassaient les démons. Entre autres faits
miraculeux, il arriva un jour qu'un juif incrédule entendant un catholique qui
récitait dévotement le Credo, entra en fureur et voulut le lui arracher des
mains; mais avant de pouvoir exécuter ce détestable dessein, le juif tomba
mort aux pieds du catholique. Et comme ceux qui recevaient alors le
baptême . étaient tous
des adultes, on leur prescrivait de faire leur profession de foi par la
récitation du Symbole des Apôtres; et, à la suite de cette profession, le
Saint-Esprit descendait visiblement sur eux.
225. On voyait aussi se
perpétuer d'une manière manifeste le don des langues, que le Saint-Esprit
accordait non-seulement à ceux qui l'avaient reçu
le jour de la Pentecôte, mais à un grand nombre d'autres fidèles qui le
reçurent depuis, et qui aidaient à prêcher et à catéchiser les néophytes;
ainsi, quand ils s'adressaient à un auditoire composé de personnes de
différentes nations, chacune d'elles les entendait en sa propre langue,
quoiqu'ils ne parlassent que la langue hébraïque. Et lorsqu'ils instruisaient
des gens appartenant à la même nation ou connaissant la même langue, ils se
servaient de leur idiome, comme je l'ai rapporté plus haut en parlant.
de la venue du Saint-Esprit le jour de la
Pentecôte. Les apôtres faisaient encore beaucoup d'autres merveilles; car
quand ils imposaient les mains sur les nouveaux convertis, ou qu'ils.
les confirmaient en la foi, le Saint-Esprit
50
descendait
aussi sur eux (1). Le Très-Haut opéra tant de miracles dans ces heureux
commencements de l'Église, qu'il faudrait des volumes pour les écrire tous.
Saint Luc a rapporté expressément dans les Actes des apôtres ceux qu'il était
convenable de mentionner pour que l'Église ne les ignorât pas tous; mais,
parlant de ces miracles en général, il dit seulement qu'il y en avait
plusieurs (2), parce qu'il n'était pas possible de les renfermer tous dans une
histoire si abrégée.
226. En apprenant, en
écrivant tout cela, j'admirai la bonté libérale avec laquelle le
Tout-Puissant envoyait si fréquemment le
Saint-Esprit sous une forme visible sur les fidèles de la primitive Église.
Pour diminuer mon étonnement, il me fut répondu les deux choses qui suivent :
d'abord, que ce prodige ne faisait que montrer le prix que Dieu attachait,
dans sa sagesse, dans sa bonté et dans sa puissance, à attirer les hommes à la
participation de sa divinité dans la félicité et dans la gloire éternelle; et
que, comme pour nous faire arriver à cette fin, le verbe éternel était
descendu du ciel en nue chair visible, communicable et passible, de même la
troisième personne descendit si souvent sur l'Église sous une autre forme
visible, et de la manière la plus convenable, pour l'établir sur des
fondements aussi solides et avec des témoignages de la toute-puissance du Très
Haut et de l'amour qu'il a pour cette même Église.
(1) Act., VIII, 17. — (2) Ibid., 6.
51
Et en
second lieu, que dans ces commencements les effets méritoires de la passion et
de la mort de Jésus-Christ, auxquels s'unissaient les prières et
l'intercession de la très-pure Marie, étaient tout
récents, et que par conséquent, dans l'acceptation du Père éternel, ils
opéraient, pour ainsi dire, alors avec une plus grande force, parce que tous
les péchés et tous les crimes que les enfants de l'Église ont commis depuis,
ne s'étaient point encore interposés comme autant d'obstacles aux bienfaits du
Seigneur et aux effusions de son divin Esprit, qui ne peut plus maintenant se
manifester si souvent aux hommes qu'en la primitive Église.
227. Une année entière
s'était écoulée depuis la mort de notre Sauveur, lorsque les apôtres
résolurent, par une inspiration divine, d'aller prêcher la foi dans tout
l'univers, parce qu'il était temps de faire connaître aux nations le nom de
Dieu, et de leur enseigner le chemin du salut éternel. Et pour savoir la
volonté du Seigneur quant à la distribution des royaumes et des provinces qui
devaient échoir, en partage à chacun d'eux, ils convinrent, par le conseil de
notre auguste Reine, de jeûner et de prier pendant dix jours consécutifs; car
après avoir persévéré depuis l'Ascension jusqu'à la Pentecôte dans le jeûne et
dans la prière polir se préparer à la venue du Saint-Esprit, ils observèrent
cette sainte coutume dans les affaires les plus importantes. Ces pieux
exercices accomplis, le dernier jour le vicaire de Jésus-Christ célébra la
messe et communia la bienheureuse
52
Vierge
et les onze apôtres, ainsi qu'il avait été fait lors de la rédaction du
Symbole, et qu'il a été rapporté dans le chapitre précédent. Après la messe et
la communion, ils restèrent tous avec la Reine du ciel dans la plus sublime
oraison, invoquant spécialement le Saint-Esprit pour qu'il les assistât et
leur découvrit sa sainte volonté dans cette affaire.
228. Saint Pierre prit
ensuite la parole en ces termes : « Mes très-chers
frères, prosternons-nous tous devant la divine clémence, et confessons
de tout notre coeur et avec le plus profond respect notre Seigneur
Jésus-Christ pour vrai Dieu, pour notre Maître et pour le Rédempteur du
monde; professons hautement sa sainte foi telle qu'elle est contenue
dans le symbole qu'il nous a donné par l'Esprit Saint, et offrons-nous à
accomplir sa divine volonté. Ils le firent, récitèrent le Credo, et
ajoutèrent tous ensemble avec le même saint Pierre: « Dieu éternel,
nous, abjects vermisseaux, hommes misérables, que notre Seigneur
Jésus-Christ a daigné, par sa seule bonté, choisir pour être ses
ministres, et pour enseigner sa doctrine, prêcher sa sainte loi et établir son
Église dans tout l'univers, nous nous prosternons en votre divine
présence, unis de coeur et d'âme. » Afin d'accomplir votre volonté éternelle
et sainte, a nous nous offrons à souffrir et à sacrifier notre vie pour
la confession de votre sainte foi, pour l'enseigner, pour la prêcher dans le
monde entier, comme notre adorable Maître Jésus-Christ nous l'a
ordonné. Nous voulons, pour cette mission, nous
53
exposer
à toutes sortes de peines, de tribulations et d'outrages, et braver même
la mort s'il le faut. Mais nous méfiant de notre faiblesse
, nous vous supplions, Seigneur, d'envoyer sur nous votre
divin Esprit, afin qu'il nous gouverne et guide nos pas dans la voie
droite, sur les traces de notre Maître, et afin qu'il nous communique une
nouvelle force, et qu'il nous fasse connaître maintenant dans
quels royaumes ou dans quelles provinces il sera plus agréable à votre
divine volonté que nous nous dispersions pour prêcher votre saint Nom. »
229. Cette prière étant
achevée, il descendit sur le Cénacle une lumière admirable qui les enveloppa
tous, et l'on entendit une voix qui dit: Que mon vicaire Pierre assigne h
chacun les provinces qui doivent faire son lot. Je le dirigerai et
l'assisterai par ma lumière et par mon Esprit. Le Seigneur remit cette
distribution à saint Pierre pour confirmer de nouveau dans cette circonstance
l'autorité dont il l'avait investi comme chef et pasteur universel de toute
l'Église, et afin que les autres apôtres sussent qu'ils la devaient établir
dans tout l'univers, sous l'obéissance de saint Pierre et de ses successeurs,
auxquels l'Église devait être soumise et subordonnée comme étant les vicaires
de Jésus-Christ. C'est ce qu'ils comprirent tous, et il m'a aussi été
découvert que ce fit là la volonté du Très-Haut. Et pour l'exécuter, saint
Pierre ayant ouï cette voix, commença par lui-même la distribution des
royaumes, et dit : « Moi, Seigneur, je m'offre à souffrir et à mourir en
suivant mon Rédempteur et mon Maître,
54
et en
prêchant son saint Nom; que ce soit maintenant dans Jérusalem, puis dans le
Pont, la Galatie, la Bithynie et la Cappadoce, provinces de
l'Asie; je fixerai ma résidence d'abord à Antioche, et ensuite à Rome,
où j'établirai la chaire de notre Sauveur Jésus-Christ, afin que le chef
de son Église y tienne sa place. » Saint Pierre dit cela, parce qu'il avait
ordre du Seigneur de désigner l'Église romaine pour le siège et la capitale de
toute l'Église universelle. Autrement saint Pierre n'aurait pas décidé de
lui-même un point de si haute importance.
230. Saint Pierre
poursuivit et dit : « Le serviteur de Jésus-Christ et notre
très-cher frère André le suivra prêchant la
sainte foi dans les pro vinces de la Scythie d'Europe, d'Épire et de Thrace, a
et se fixant dans la ville de Patras, en Achaïe, il gouvernera toute
cette province et les autres parties de son lot, autant que ce lui sera
possible.
Le serviteur de
Jésus-Christ, notre très-cher frère Jacques le
Majeur le suivra en la prédication de la foi dans la Judée, la Samarie et
l'Espagne, d'où il reviendra vers cette ville de Jérusalem pour prêcher la
doctrine de notre divin Maître.
« Le
très-cher frère Jean obéira à la volonté de notre Sauveur telle
qu'il la lui a manifestée étant sur la croix. Il s'acquittera des
devoirs d'un fils envers notre grande Dame. Il la servira et l'assister
avec un respect et un dévouement filial; il lui administrera l'auguste
sacrement de l'Eucharistie
55
et
soignera aussi en notre absence les fidèles de Jérusalem. Et quand notre Dieu
et notre Rédempteur aura appelé à lui dans le ciel la bienheureuse Mère, il
suivra son Maître en la prédication dans l'Asie Mineure, dont il dirigera les
Églises, en habitant durant la persécution l'île de
Patmos.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère Thomas le
suivra prêchant dans l'Inde et dans la Perse, aux
Parthes, aux Mèdes, aux Hyrcaniens, aux Brachmanes,
aux Bactriens. Il baptisera les trois rois Mages et les instruira de tout; car
ils attendent d'être instruits, et ils le chercheront eux-mêmes, attirés par
le bruit que feront sa prédication et ses miracles.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère Jacques le
suivra étant pasteur et évêque dans Jérusalem, où il prêchera aux Juifs, et
partagera avec Jean l'assistance et le service de la Mère de notre Sauveur.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère Philippe le
suivra par la prédication et par l'instruction des provinces de Phrygie et de
la Scythie d'Asie, et résidera dans la ville de
Hiéropolis, en Phrygie.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère
Barthélemi le suivra en Lycaonie, partie de
Cappadoce, en l'Asie; il se rendra dans l'Inde citérieure, et de là dans
l'Arménie mineure.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher
56
frère
Matthieu enseignera d'abord les Hébreux, et ensuite il suivra son Maître en
allant prêcher,en Égypte et en Éthiopie.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère Simon le
suivra prêchant dans la Babylonie, dans la Perse,
et aussi dans le royaume d'Égypte. Le serviteur de Jésus-Christ et notre
très-cher frère Judas Thaddée
suivra notre Maître prêchant dans la Mésopotamie, et ensuite il se
joindra à Simon pour prêcher dans la Babylonie et dans la Perse.
Le serviteur de
Jésus-Christ et notre très-cher frère Mathias le
suivra prêchant la sainte foi dans l'Éthiopie intérieure et dans l'Arabie;
d'où il reviendra en Palestine; Que l'Esprit du. Très- Haut nous conduise et
nous assiste tous, afin que nous fassions en tout lieu et en tout temps sa
sainte et parfaite volonté; et qu'il nous donne maintenant sa
bénédiction , lui au nom duquel je la donne à
tous. »
231. Ainsi parla saint
Pierre, et à peine avait-il cessé, qu'on entendit un
très-grand bruit, et .le Cénacle fut tout rempli de lumière et de
splendeur comme pour marquer la présence du Saint-Esprit. Et su milieu de
cette lumière on ouït une voix douce et forte qui dit : Acceptez chacun le lot
qui vous est échu. Ils se prosternèrent tous ensemble et dirent : « Souverain
Seigneur, nous obéissons avec promptitude et avec allégresse à votre
parole et à celle de votre vicaire; vos oeuvres ineffables remplissent
notre esprit des douceurs de votre joie. » Cette soumission
57
si
prompte que les apôtres témoignèrent au vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ
n'était sans doute qu'un effet de la charité avec laquelle ils brûlaient de
mourir pour sa sainte foi; néanmoins, en cette circonstance, elle les disposa
à recevoir une nouvelle visite du divin Esprit, pour être confirmés dans la
grâce et dans les dons qu'ils avaient reçus auparavant, et pour être encore
favorisés de plusieurs autres. Par de nouvelles illustrations ils connurent
mieux toutes les nations et toutes les provinces que saint Pierre leur avait
assignées; et en outre, chacun connut les coutumes particulières et la
topographie des royaumes qui lui étaient tombés en partage, comme si on lui en
eut tracé intérieurement une carte fort distincte et fort complète. Le
Très-Haut leur octroya un nouveau don de force pour supporter toute sorte de
peines et de fatigues; d'agilité pour parcourir tous les pays, bien que dans
leurs voyages les saints anges dussent maintes fois les assister; et
intérieurement ils se sentirent tous embrasés comme des.
séraphins des flammes du divin amour, et élevés au-dessus de la
condition de la nature.
232. La bienheureuse Reine
des auges était témoin de toutes ces merveilles, et observait tout ce que la
puissance divine opérait dans les apôtres et en elle-même; car dans cette
occasion elle participa plus aux influences de la Divinité qu'eux tous
ensemble : parce qu'elle était élevée à un degré
très-éminent au-dessus de toutes les créatures, et c'est pour cela que
88
l’accroissement de ses dons devait être proportionné à son élévation , et surpasser tous
les autres sans mesure. Le Très-Haut renouvela dans le
très-pur esprit de sa Mère la science infuse de toutes les créatures,
et notamment de tous les royaumes et de toutes les nations, dont les apôtres
avaient aussi reçu une connaissance infuse. Elle sut ce qu'ils savaient, mais
mieux et plus qu'eux , car elle eut une
connaissance individuelle de toutes les personnes auxquelles ils devaient
prêcher la foi de Jésus-Christ dans tous les royaumes; et grâce à cette
science, elle était aussi su courant de tout ce qui se passait sur la terre,
et en discernait aussi nettement tous les habitants, qu'elle savait ce qui se
passait et voyait ceux qui entraient dans son oratoire.
233. Cette science lui
appartenait comme étant la Maîtresse, la Mère et la Protectrice de l'Église,
que le Tout-Puissant lui avait recommandée et
confiée, comme je l'ai déjà dit et, comme je serai obligée de le répéter
souvent dans la suite. Elle devait prendre soin de tous ,
depuis le plus grand en sainteté jusqu'au plus petit, et des misérables
pécheurs enfants d'Ève. Et si personne ne devait recevoir aucun bienfait du
Fils que ce ne fât par les mains de sa Mère, il
fallait que cette très-fidèle Dispensatrice de la
grâce connût tous ceux de sa famille, au salut desquels elle devait veiller
comme une Mère, et comme quelle Mère! Notre auguste Reine avait reçu par
infusion non-seulement les espèces et la
compréhension de tout ce que j'ai dit, mais elle avait encore une
59
connaissance actuelle de tout ce qui arrivait lorsque les apôtres et les disciples
prêchaient : ainsi elle découvrait toutes leurs peines, les périls dont ils
étaient menacés, les piéges que le démon leur tendait, et les prières qu'eux
et les autres fidèles lui adressaient afin qu'elle les secourût par les
siennes, ou par le ministère de ses anges, ou par elle-même; car elle les
assistait par tous ces moyens, comme nous le verrons dans la suite en
plusieurs événements.
234. Je veux seulement
faire remarquer ici, qu'outre cette science infuse que la bienheureuse Vierge
avait de toutes choses par les espèces de chacune, elle en avait en Dieu une
autre connaissance par la vision abstractive, en laquelle elle regardait
continuellement la Divinité. Mais entre ces deux genres de science il y avait
une différence; car quand elle regardait en Dieu les peines et les afflictions
des apôtres et de tous les fidèles de l'Église, comme cette vision était si
douce et une espèce de participation de la béatitude, elle ne causait point à
la charitable Mère cette douleur sensible qu'elle éprouvait quand elle
envisageait ces tribulations et ces peines en elles-mêmes; en cette dernière
vision, elle sen affligeait et pleurait souvent avec une compassion
maternelle. Et afin qu'elle ne fût point privée de ce mérite et de cette
perfection , le Très-Haut lui accorda toutes ces
connaissances dans le temps qu'elle était encore au nombre des voyageurs. Et
au milieu de cette plénitude d'idées, d'images et de notions infuses, elle
avait
60
sur ses
facultés (comme je l'ai déjà dit) untel empire, qu'elle ne recevait de ces
espèces nu images acquises que celles qui étaient absolument nécessaires pour
l'usage de la vie, ou pour exercer quelque oeuvre de charité, ou pour la
perfection des vertus. Enrichie de tous ces dons et parée de cette beauté qui
éclatait aux yeux des auges et des saints bienheureux ,
la divine Mère leur était un objet d'admiration, en laquelle ils glorifiaient
le Très-Haut pour la digne application qu'il faisait de tous ses attributs en
la très-pure Marie.
235. Elle pria alors du
fond de son âme, afin d'obtenir aux apôtres la persévérance, et la force
durant leur prédication à travers le monde. Et le seigneur lui promit de les
soutenir et de les assister pour faire éclater en eux et par eux la gloire de
son Nom, et de leur donner à la fin une digne récompense de leurs peines et de
leurs mérites. Cette promesse remplit la bienheureuse Marie de joie et de
reconnaissance, et elle exhorta les apôtres à rendre des actions de grâces au
Seigneur, et à partir avec allégresse et avec confiance pour aller travailler
à la conversion du monde. Et leur ayant adressé plusieurs autres paroles
consolantes et vivifiantes, elle se mit à genoux, les félicita de l'obéissance
qu'ils avaient tous témoignée au nom de son très-saint
Fils, et leur exprima de sa part la satisfaction que lui causait le zèle dont
ils se montraient animés pour sa gloire et pour le bien des âmes à la
conversion desquelles ils se sacrifiaient. Elle baisa la main à chacun des
apôtres,
61
et leur
promit d'intercéder pour eux auprès du Seigneur et de s'employer à les,
servir; ensuite elle demanda leur bénédiction; selon sa coutume, et ils la lui
donnèrent tous comme prêtres du Seigneur.
236. Quelques jours après
que fut fait ce partage des provinces, ils commencèrent à sortir de Jérusalem,
et d'abord ceux qui devaient prêcher dans les régions de la Palestine; et le
premier fut saint Jacques le Majeur. Les autres
demeurèrent plus longtemps à Jérusalem, parce que le Seigneur voulait qu'on y
prêchât premièrement la foi de son saint Nom avec plus de force et plus
d'abondance, et que les Juifs fussent en premier lieu appelés aux noces de
l'Évangile, sils voulaient entrer dans la salle du festin; car en ce bienfait
de la rédemption, ce peuple fut plus favorisé, quoique plus endurci et plus
ingrat que les Gentils (1). Après cela les apôtres se dirigèrent vers les
royaumes qui leur étaient tombés en partage, suivant les circonstances et les
exigences du moment, se conduisant en cela par les inspirations de l'Esprit
divin, le conseil de la bienheureuse Vierge et les ordres de saint Pierre.
Mais avant, de quitter Jérusalem, ils allèrent, chacun à son tour, visiter les
saints lieux, comme le Jardin, le Calvaire, le Sépulcre, le lieu de
l'Ascension, Béthanie et les autres qu'il leur était possible de voir. Ils les
parcouraient avec un respect extraordinaire, les arrosaient de leurs larmes et
baisaient avec dévotion le sol que le Seigneur
(1) Act., XIII, 46.
62
avait
touché. De là ils se rendaient au Cénacle, honoraient ce saint lieu à cause
des mystères qui y avaient été opérés, et prenaient enfin.
congé de la Reine du ciel, en lui demandant de nouveau sa protection ;
alors la bienheureuse Mère les congédiait en leur adressant quelques douces
paroles pleines d'une vertu divine.
237. C'est au moment du
départ des apôtres que la très-prudente Dame leur
montra la plus admirable sollicitude maternelle, comme une véritable mère à
ses enfants. Ainsi, en premier lieu, elle leur fit à chacun une tunique
tissue, semblable à celle de notre Sauveur Jésus-Christ, d'une couleur entre
le violet et le cendré, et pour les faire elle se servit du ministère de ses
saints anges. De sorte que par ses soins les apôtres partirent habillés les
uns comme les autres, et comme leur adorable Maître Jésus-Christ, parce
qu'elle voulut qu'ils l'imitassent, et qu'on pût les reconnaître pour ses
disciples jusqu'en leurs vêtements. Elle fit aussi douze croix de la hauteur
des apôtres, et donna à chacun la sienne, afin qu'ils l'emportassent dans
leurs voyages et dans leurs missions, tant pour rendre témoignage de ce qu'ils
prêchaient, que pour leur consolation spirituelle dans leurs afflictions. Tous
les apôtres conservèrent et portèrent ces croix jusqu'à leur mort. Et ce fut à
cause des grandes louanges qu'ils disaient de la croix, que quelques tyrans
prirent occasion de faire martyriser sur la même croix ceux qui eurent le
bonheur d'y mourir.
238. La tendre Mère donna
encore à chacun des
63
douze
apôtres une petite boite de métal, quelle fit exprès, ayant mis dans chacune
trois épines de la couronne de son très-saint Fils
et quelques morceaux des langes dans lesquels elle avait enveloppé le Seigneur
encore enfant, et du linge qui avait reçu son précieux sang en la Circoncision
et eu la Passion. Elle gardait toutes ces reliques sacrées avec une vénération
et une dévotion extrêmes, comme Mère et comme dépositaire des trésors du ciel.
Quand elle voulut les remettre aux douze apôtres, elle les convoqua tous; et
quand ils furent réunis en sa présence, elle leur dit avec une, majesté de
Reine et une douceur de buire, que ces précieux gages quelle leur confiait,
étaient le plus grand trésor qu'elle eût pour les enrichir dans leurs voyages,
qu'ils leur rappelleraient vivement le souvenir de son
très-saint Fils, et leur attesteraient l'amour que le même Seigneur
avait pour eux, tant en qualité d'enfants qu'en qualité de ministres du
Très-Haut. Puis elle les leur remit, et ils les reçurent versant des larmes de
dévotion et de joie; ils rendirent mille actions de grâces à notre auguste
Princesse pour ces faveurs, et se prosternèrent devant elle pour adorer ces
reliques vénérables; après cela ils s'embrassèrent les uns les autres et se
félicitèrent mutuellement du trésor inestimable qu'ils venaient de recevoir;
et saint Jacques fut le premier qui partit pour aller commencer cette mission.
239. Mais, selon ce qui m'a
été découvert, les apôtres prêchèrent non-seulement
dans les provinces
64
que
saint Pierre leur avait alors assignées, mais encore en plusieurs autres
voisines de celles-là et plus éloignées de Jérusalem. Il ne faut pas en être
surpris; car ils étaient maintes fois transportés d'un lien à un autre par le
ministère des anges, soit pour prêcher l'Évangile , soit pour se consulter les
uns les autres sur les difficultés qu'ils rencontraient, et surtout pour les
aller proposer à saint Pierre, le vicaire de Jésus-Christ; ils étaient plus
souvent encore transportés auprès de la bienheureuse Marie polir lui demander
les conseils dont ils eurent besoin dans la difficile entreprise d'établir la
foi dans des royaumes si différente, et parmi des nations si barbares. Et si,
pour donner un peu de nourriture à Daniel, l'ange porta le prophète Habacuc
jusqu'à Babylone (1l), il n'est pas étonnant que, par un miracle semblable,
les apôtres fussent transportés sur les lieux où ils devaient prêcher
Jésus-Christ, faire connaître la Divinité, et établir l'Église universelle
pour le salut de tout le genre humain. J'ai dit ailleurs que, l'ange da
Seigneur porta Philippe, l'un des soixante-douze disciples, de la route de
Gaza jusqu'à Azot, comme le raconte saint Luc (2).
Voilà les merveilles qui, avec une infinité d'autres que nous ignorons ,
furent convenables pour envoyer quelques hommes obscurs et pauvres à tant de
royaumes , de provinces et de nations possédées du démon, et pleines des
idolâtries, des erreurs et des abominations, dont le monde
(1) Dan., XIV, 35. — (2) Act., VIII, 40.
65
était
infecté quand le Verbe incarné vint pour le racheter.
Instruction que la Reine des anges m'a donnée.
240. Ma fille,
l'instruction que je vous donne datte ce chapitre est de vous engager avec
toute mon autorité à pousser de profonds gémissements et verser des larmes
amères, fût-ce des larmes de sang si vous en aviez, en songeant à la
différence que présente la sainte Église entre son état actuel et ses
commencements. Considérez comment l'or très-pur de
la sainteté s'est obscurci (1), et comment la bonne couleur a été changée en
perdant l'ancien éclat que lui avaient donné les apôtres, et par l'emprunt de
couleurs fausses et étrangères employées pour couvrir la difformité et la
confusion des vices qui ternissent si malheureusement la beauté de l'Église et
y font régner une sombre horreur. Pour remonter au principe de cette vérité et
la pénétrer à fond, il faut que vous renouveliez en vous la lumière que vous
avez reçue pour connaître la. force et la violence
avec lesquelles la Divinité tend à communiquer sa bonté et ses perfections à
ses créatures. L'impétuosité du souverain Bien est si véhémente pour répandre
ses
(1) Then., IV, 1.
66
influences
dans les âmes, que la volonté de l'homme qui doit les recevoir peut seule les
arrêter par le libre. Arbitre dont il est doué; et lorsqu'elle repousse les
effusions de la bonté infinie, elle la violente (selon votre manière de
concevoir), et contriste en quelque sorte son amour immense dans les
témoignages naturels de sa libéralité. Mais si les créatures ne l'empêchaient
point et le laissaient opérer avec son efficace, il inonderait toutes les âmes
de ses faveurs,, et les remplirait de la
participation de son Être divin et de ses attributs. Il tirerait de la
poussière ceux qui seraient tombés, et il enrichirait les pauvres enfants
d'Adam, les délivrerait de leurs misères, les élèverait et les ferait asseoir
parmi les princes de sa gloire (1).
241. Par là vous
connaîtrez, ma fille, deux choses que la sagesse humaine ignore. L'une, c'est
la complaisance que le souverain Bien prend en ces âmes qui, animées d'un zèle
ardent pour sa gloire, travaillent par tous les moyens à ôter des autres âmes
l'obstacle qu'elles ont mis par leurs péchés à ce que le Seigneur les justifie
et leur communique tant de biens qu'elles peuvent recevoir de sa bonté
immense, et dont le Très-Haut désire les enrichir. On ne saurait comprendre en
la vie mortelle cette satisfaction que sa divine Majesté reçoit quand on
liai aide en cette oeuvre de la conversion des
âmes. C'est pour cela que le ministère des apôtres est si sublime, aussi bien
que
(1) I Reg., II, 8.
67
celui
des prélats, des ministres et des prédicateurs de la parole divine, qui en cet
office succèdent aux fondateurs de l'Église et qui travaillent à son
agrandissement et à sa conservation ; car ils doivent tous être les
coopérateurs et les exécuteurs de l'amour immense que Dieu a pour les âmes,
qu'il a créées afin qu'elles participassent à sa Divinité. La seconde chose
que vous devez considérer est la grandeur et l'abondance des dons et des
faveurs que le pouvoir infini communiquerait aux âmes qui ne mettraient aucun
empêchement à sa très-libérale bonté. Dans les
commencements de l'Église évangélique, le Seigneur manifesta aussitôt avec
éclat cette vérité, afin que les néophytes en eussent des preuves
incontestables dans un si grand nombre de prodiges et de merveilles que le
Très-Haut fit en faveur des premiers fidèles, lorsque le Saint-Esprit
descendait si souvent sur eux avec des signes visibles, et dans les miracles
que les croyants opéraient, ainsi que vous l'avez rapporté, avec les copies du
Symbole, et enfin dans tant d'autres faveurs secrètes qu'ils recevaient du
Seigneur.
242. Mais ce fut sur les
apôtres et sur les disciples que sa sagesse et sa toute-puissance éclatèrent
le plus, parce qu'ils n'apportaient aucun empêchement, aucun obstacle à la
volonté éternelle du Très-Haut; ils furent les véritables instruments et les
exécuteurs fidèles de son amour divin, les imitateurs de Jésus-Christ et les
sectateurs de sa vérité; et c'est pour cela qu'ils furent élevés à une
participation ineffable des attributs de Dieu lui-même, et en particulier de
sa
68
science,
de sa sainteté et de sa puissance, par laquelle ils firent et pour eux et pour
les autres âmes des merveilles telles, que les mortels ne les sauraient jamais
dignement exalter. Après les apôtres, il y eut d'autres enfants de l'Église
qui leur succédèrent,.et qui reçurent de génération
en génération (1) l'infusion de cette divine sagesse et de ses effets. Et sans
parler maintenant des martyrs innombrables qui ont versé leur sang et donné
leur vie pour la sainte foi, considérez les patriarches des ordres religieux;
les grands saints qui s'y sont distingués en toutes les vertus; les docteurs,
les évêques, les prélats et les hommes apostoliques dans lesquels la bonté et
la toute-puissance de la Divinité se sont manifestées avec un si vif éclat,
afin que les autres qui sont ministres du salut des âmes ne pussent se
plaindre, si Dieu ne leur accordait plus à eux et à tous les fidèles les
merveilles et les faveurs qu'obtenaient les premiers, et qu'il continue même
pour ceux qu'il trouve capables d'en profiter.
243. Et afin que la
confusion des mauvais ministres qui se trouvent aujourd'hui dans la sainte
Église soit plus grande, je veux, ma fille, que vous sachiez que dans les
desseins de la volonté éternelle par laquelle le Très-Haut a déterminé de
communiquer ses trésors infinis aux âmes, il les a d'abord destinés
directement aux prélats,, aux prêtres, aux
prédicateurs et aux dispensateurs de sa parole divine,
(1) Ps. XLIV, 17
69
afin
qu'en ce qui dépendait de la volonté du même Seigneur, ils ressemblassent tous
par la sainteté et la perfection plus aux anges qu'aux hommes, et qu'ils
jouissent de plusieurs privilèges et de plusieurs exemptions de nature et de
grâce entre les autres mortels , et que par ces bienfaits singuliers ils se
rendissent dignes ministres du Très-Haut, s'ils ne renversaient point l'ordre
de sa sagesse infinie, et s'ils correspondaient à la dignité à laquelle ils
étaient appelés et choisis entre tous. Cette bonté immense est maintenant la
même que dans la primitive Église; l'inclination qui porte le souverain Bien à
enrichir les âmes n'est point changée et ne saurait l’être; sa clémence
libérale n'est pas diminuée; l'amour qu'il a pour son Église est toujours au
même degré; la miséricorde regarde les misères, et les misères sont
aujourd'hui sans mesure; les cris des brebis de Jésus-Christ ne peuvent pas
monter plus haut; il n'y a jamais eu un si grand nombre de prélats, de prêtres
et de ministres. Cela étant, à qui doit-on attribuer la perte de tant d'âmes
et la ruine du peuple chrétien? D'où vient qu'aujourd'hui
non-seulement les infidèles n'entrent point dans le sein de la sainte
Église, mais qu'ils la persécutent et la désolent? Pourquoi les prélats et les
ministres ne brillent-ils pas, et Jésus-Christ ne brille-t-il pas en eux comme
dans les siècles passés et dans la primitive Église?
244. O ma fille !
je vous exhorte à pleurer sur cette perdition.
Voyez comme les pierres du sanctuaire sont dispersées aux carrefours de toutes
les
70
rues
(1) ! Considérez comme les prêtres du Seigneur se sont rendus semblables au
peuple (2), lorsqu'ils devaient le sanctifier et le rendre semblable à
eux-mêmes La dignité sacerdotale et ses riches et précieux ornements de vertus
ont été souillés par le contact impur des mondains; les oints du Seigneur,
expressément consacrés à son seul culte, ont dégénéré de leur divine noblesse;
ils ont perdu l'honneur de leur rang pour le ravaler à des actions viles,
indignes de leurs éminentes fonctions parmi les hommes. Ils embrassent la
vanité; ils se laissent entraîner à l'avarice et à la cupidité; ils soignent
leurs intérêts; ils aiment l'argent, et mettent toute leur, espérance dans les
trésors; ils s'abaissent jusqu'à flatter et servir les mondains et les
puissants, et même les femmes : et parfois ils ne font pas difficulté
d'assister aux,assemblées et aux conseils
d'iniquité. A peine y a t-il une brebis du troupeau de Jésus-Christ qui
connaisse en eux la voix de son pasteur, et qui trouve la nourriture salutaire
de la vertu et de la sainteté dont ils devraient être les maîtres. Les petits
demandent du pain, et il n'y a personne qui leur en distribue (8). Et quand on
le fait par intérêt ou par manière d'acquit, si la main est lépreuse, comment
donnera-t-elle l'aliment salutaire au nécessiteux et au malade? Et comment le
suprême Médecin lui confiera-t-il le remède dont dépend la vie? Si ceux qui
doivent être les intercesseurs et les médiateurs se trouvent
(1) Thren., IV, 1. — (2) Isa.,
XXIV, 2. — (3) Thren., IV, 4.
71
coupables
des plus grands péchés, comment obtiendront-ils miséricorde pour ceux qui en
ont de moindres ou de semblables?
245. Telles sont les causes
pour lesquelles les prélats et les prêtres ne font pas dans ces temps les
merveilles que faisaient les apôtres et les disciples de la primitive Église
et les autres qui ont imité leur vie avec un zèle ardent pour l'honneur du
Seigneur et pour la conversion des âmes. Par la même raison, les trésors de la
mort et du sang dé Jésus-Christ, que le même Seigneur a laissés dans l'Église
ne profitent ni dans ses prêtres et dans ses ministres, ni dans les autres
mortels; car si eux-mêmes les méprisent. et n'en
tirent aucun fruit, comment les distribueront-ils avec utilité aux autres
enfants de cette famille? C'est encore pour cela que les infidèles ne se
convertissent point maintenant à la véritable foi ,
comme les infidèles de ce temps-là, quoiqu'ils se trouvent sous les yeux des
princes ecclésiastiques, des ministres et des prédicateurs de l'Évangile.
Aujourd'hui l'Église est plus riche que jamais de biens temporels, de rentes
et de possessions; les hommes devenus savants par l'étude y fourmillent, elle
dispose de grandes prélatures et de toute sorte de dignités. Or, si ce sont là
des bienfaits, on les doit tous au sang de Jésus-Christ; on devrait donc les
employer tous à son honneur et à son service, à la conversion des âmes, à
l'entretien de ses pauvres, aux besoins de son culte sacré, et à la
glorification de son saint Nom.
246. Cet emploi se fait-il?
que l'on compte les
72
captifs que les rentes des églises servent à racheter, les infidèles qui se
convertissent, les hérésies que l'on extirpe; que l'on compte aussi les sommes
qui sont tirées des trésors ecclésiastiques pour des couvres semblables! Puis,
que l'on compte les palais que l'on a bâtis avec ces richesses, les majorats
que l'on a fondés, les tours superbes que la vanité a construites! Et, chose
plus déplorable ! que l'on voie les usages profanes
ou même criminels auxquels certains ministres des autels consacrent ces
trésors, déshonorant le souverain Prêtre Jésus-Christ, et vivant aussi
éloignés de son imitation et de celle des apôtres, auxquels ils ont succédé,
que les hommes les plus mondains vivent éloignés du même Seigneur. Et si la
prédication des dispensateurs de la parole divine est morte et sans vertu pour
vivifier les auditeurs, il faut en attribuer la faute, non à la vérité et à la
doctrine des saintes Écritures, mais au mauvais usage que les ministres en
font avec leurs intentions perverses. Ils remplacent la fin de la gloire de
Jésus-Christ par la recherche de leur propre honneur et des vains
applaudissements, ils subordonnent le bien spirituel des âmes aux vils calculs
de l'intérêt, et, pourvu qu'ils atteignent leur double but, ils ne se soucient
point de tirer aucun autre fruit de leur prédication. C'est pourquoi ils ôtent
à la saine et sainte doctrine la sincérité et la pureté (et quelquefois même
la vérité) avec lesquelles les auteurs sacrés l'ont établie et les saints
docteurs l'ont expliquée: ils la réduisent à des subtilités de leur propre
invention , qui causent plus
73
d'admiration ou de plaisir que dé profit aux auditeurs. Et lorsqu'elle arrive si
altérée aux oreilles des pécheurs, ils y reconnaissent plutôt le produit du
génie du prédicateur que la charité de Jésus-Christ; et ainsi, elle n'a ni
vertu ni efficace pour pénétrer les coeurs, quoiqu'elle soit fort habile à
chatouiller les oreilles.
247. Ne soyez point
surprise, ma très-chère fille, de ce que, pour
châtier ces vanités et ces abus et plusieurs autres que le monde n'ignore
point, la justice divine ait tellement abandonné les prélats, les ministres et
les prédicateurs de sa parole; et de ce que l'Église catholique, qui avait
dans ses commencements monté si haut, soit maintenant descendue si bas. Que
s'il y a quelques prêtres et quelques ministres qui soient exempts de ces
vices si déplorables, l'Église a encore cette obligation à mon
très-saint Fils, dans un temps où il est si
offensé et si délaissé par tous. Le Seigneur est
très-libéral envers ces bons, mais le nombre en est bien petit, comme
le témoigne la ruine du peuple chrétien et le mépris dans lequel sont tombés
les prêtres et les prédicateurs de l’Évangile : car si les ministres parfaits,
si les zélateurs du salut des âmes étaient, nombreux, nul doute que les
pécheurs réformassent leur vie et leurs moeurs , que beaucoup, d'infidèles se
convertissent; nul doute que les fidèles regardassent et entendissent avec
vénération et avec une sainte crainte les prédicateurs, les prêtres et les
prélats, et les respectassent à raison de leur dignité et de leur sainteté, et
non à. raison de
74
l'autorité
et du faste par lesquels ils cherchent à imposer une espèce de crainte
révérencielle toute mondaine, tout extérieure et sans aucun profit. Ne soyez
ni fâchée ni inquiète, ma fille, d'avoir écrit tout cela, car ils savent
eux-mêmes qu'il n'y a rien là qui ne soit vrai; vous ne l'écrivez, d'ailleurs
point par votre volonté, mais par mon ordre, afin que vous le déploriez et que
vous conviiez le ciel et la terre à s'associer à votre douleur; car il y a
très-peu de chrétiens qui s'en affligent; et c'est
la plus grande injure que le Seigneur reçoive de tous les enfants de son
Église.
CHAPITRE XIV. La conversion de saint Paul. —Comment la bienheureuse Marie y
concourut. — Quelques autres mystères cachés.
248. Notre mère la sainte
Église, dirigée par l’Esprit divin, célèbre la conversion de saint Paul comme
tut des plus grands miracles de la loi de grâce, et pour la consolation
universelle des pécheurs, puisque de persécuteur, de calomniateur et de
blasphémateur du Nom de Jésus-Christ, comme l'Apôtre le dit lui-même (1), il
devint apôtre par la divine
(1) Tim., I, 13
75
grâce,
après avoir obtenu une abondante miséricorde. Notre auguste Reine concourut si
puissamment à la lui faire obtenir, que nous ne pouvons
pas refuser à son histoire cette rare merveille de la toute-puissance. Mais on
en appréciera mieux la grandeur quand on connaîtra l'état de saint Paul
pendant qu'il s'appelait Sauf, et qu'il était persécuteur de l'Église, ainsi
que les motifs qui le portèrent à se déclarer le défenseur si ardent de la loi
de Moïse, et l'ennemi juré de celle de notre Seigneur Jésus-Christ.
249. Saint Paul eut deux
principes qui le rendirent si attaché au judaïsme. L'un était son propre
naturel, l'autre fut l'influence active du démon, qui en devina les
ressources. Saul avait naturellement le coeur grand, magnanime, généreux,
énergique, dévoué, et il apportait à ce qu'il entreprenait autant de zèle que
de constance. Il avait acquis plusieurs vertus morales et se faisait gloire de
professer hautement et de connaître à fond la loi de Moïse, quoiqu'en fait il
fût ignorant, comme il le confesse lui-même à son disciple Timothée (1), parce
que toute sa science était humaine et terrestre, et qu'il entendait la loi
comme la plupart des Israélites , seulement à la
lettre, et non d'après l'esprit, et sans la lumière divine qui est nécessaire
pour en comprendre le vrai sens et pour en pénétrer les mystères. Mais comme
son ignorance lui semblait une véritable science, et qu'il était tenace dans
ses idées, il se posait en zélateur ardent des
(1) I Tim., I, 13.
76
traditions
des rabbins, (1), il regardait comme une chose aussi absurde qu'odieuse qu'on
vint publier à l'encontre des docteurs et de Moïse (il le pensait ainsi) une
loi nouvelle, inventée par un homme crucifié à cause dé ses crimes; tandis que
Moïse avait reçu sur la montagne sa loi de la main de Dieu lui-même (2). Il en
conçut une grande horreur pour Jésus-Christ, pour sa loi et pour ses
disciples. Ses propres vertus morales (si on peut les appeler vertus, étant
sans la véritable charité) servaient à lui raire illusion; car elles lui
inspiraient une grande présomption , et il se
flattait d'éviter l'erreur; comme il arrive à plusieurs enfants d'Adam qui se
complaisent en eux-mêmes quand ils font quelque action vertueuse, et qui, dans
cette vaine satisfaction, ne songent pas à réformer en eux des vices énormes.
Saul vivait, agissait soifs l'empire de ces illusions, se prévalant
obstinément de l'antiquité de sa loi mosaïque, qu'avait établie Dieu lui-même,
dont il croyait défendre l'honneur avec un juste zèle, pour n'avoir pas
entendu cette loi; qui dans les cérémonies et dans les figures était
temporelle, et non éternelle : c'est pourquoi il fallait nécessairement, qu'il
y eût un autre législateur plus puissant et plus sage que
Moïse, :comme lui-même le dit (3).
250. Au zèle indiscret et
au caractère impétueux de Saul se joignit, pour l'irriter davantage contre la.
loi de notre Sauveur Jésus-Christ, la malice de
Lucifer
(1)
Galat., I, 14. — (2) Exod., XXXIV, 2. — (3) Deut., XVIII, 15.
77
et de
ses compagnons. J'ai parlé plusieurs fois dans le cours de cette histoire des
moyens infernaux que le dragon inventait contre la sainte Église. Et un de ces
moyens fut de chercher des hommes qui eussent des inclinations et des moeurs
en rapport avec ses desseins, pour s'en servir comme d'instruments et
d'exécuteurs dé sa méchanceté. Car quoique le même Lucifer et ses démons
puissent par eux-mêmes tenter en particulier les âmes, ils ne sauraient
déployer ici-bas publiquement leur étendard, et se mettre à la tête d'une
secte ou d'un parti contre Dieu, sans se cacher derrière un homme capable de
s'attirer des sectateurs aussi aveuglés et aussi insensés que leur chef. Ce
cruel ennemi était furieux à la vue des heureux commencements de la sainte
Église; il craignait ses progrès, et se consumait d'envie en voyant que les
hommes d'une nature inférieure à la sienne étaient élevés à la participation
de la Divinité et de la gloire, dont il s'était rendu indigne par son orgueil.
Il reconnut les inclinations de Saul, ses habitudes, ses goûts, l'état de sa
conscience; et tout dans cet auxiliaire lui parut s'accommoder fort aux désirs
qu'il avait de détruire l'Église de Jésus-Christ par la main d'autres
incrédules disposés à suivre ses impulsions.
251. Lucifer communiqua son
inique dessein aux autres démons dans un conciliabule particulier qu'il tint
pour ce sujet; et il y fut décidé d'un commun accord que le dragon lui-même et
plusieurs de ses satellites accompagneraient Saul sans le quitter un instant,
et qu'ils lui suggèreraient des idées et des sentiments
78
conformes à l'animadversion qu'il se sentait contre les apôtres et contre le
troupeau de Jésus-Christ tout entier; ils ne doutaient pas qu'il les écoutât
tous , puisqu'ils l'attaqueraient par son côté faible, et qu'ils
l'irriteraient par des motifs colorés d'une fausse apparence de vertu. Le
démon se mit aussitôt à l'oeuvre. Saul était bien opposé à la doctrine de
notre Sauveur dès le temps auquel le Seigneur la prêchait lui-même; néanmoins,
tant que sa divine Majesté vécut dans le monde, il ne se fit point connaître
comme zélateur aussi fougueux de la loi de Moïse et comme adversaire aussi
implacable de celle du Sauveur; ce fut à la mort de saint Étienne qu'il
découvrit la haine que le dragon infernal avait allumée en lui contre les
imitateurs de Jésus-Christ. Et comme dans cette occasion cet ennemi trouva le
coeur de Saul si disposé à recevoir et à suivre ses mauvaises impulsions, il
s'applaudit tellement d'avance du succès de sa malice, qu'il s'imagina n'avoir
plus rien à souhaiter, et que cet homme se prêterait à toutes les méchancetés
qu'il lui proposerait.
252. Dans cette confiance
impie, Lucifer prétendit que Saul ôtât lui-même la vie à tous les apôtres, et
ce qui est encore plus horrible, qu'il en fit de même à l'égard de la
bienheureuse Marie. L'orgueil du cruel dragon alla jusqu'à cette folie. Mais
il se trompait Saul était d'un caractère trop noble et trop généreux. Aussi
lui parut-il, au premier examen de ce projet diabolique, qu'il serait indigne
de son honneur et de sa personne de commettre une pareille trahison et d'agir
comme un homme de néant, tandis qu'il pouvait,
79
croyait-il,
détruire la loi de Jésus-Christ avec les armes de la raison et de la justice.
Il eut encore une plus grande horreur d'attenter à la vie de sa
très-sainte Mère, à cause des égards qui lui
étaient dus en qualité de femme. Il l'avait vue si modeste et si constante au
milieu des peines et dans le cours de la Passion de Jésus-Christ, qu'il la
regardait depuis ce temps-là comme une femme grande et digne de vénération ;
ainsi il la respectait, et il éprouvait même une certaine compassion de ses
douleurs et de ses afflictions, que tout le monde savait avoir été extrêmes.
C'est pour cette raison qu'il ne voulut rien entreprendre contre l'auguste
Vierge, malgré les odieuses suggestions du démon. Et cette compassion qu'eut
Saul des peines de notre auguste Reine lui servit beaucoup à avancer sa
conversion. Il ne voulut pas davantage recourir à la trahison contre les
apôtres, quoique Lucifer la lui présentât sous de spécieux prétextes, comme
une chose digne de son courage. Mais, dédaignant ces moyens iniques, il se
promit de se signaler entre tous les Juifs par l'acharnement avec lequel il
persécuterait l'Église jusqu'à la détruire et abolir le nom de Jésus-Christ.
253. Le dragon et ses
ministres furent satisfaits de cette résolution de Saul, n'en pouvant pas
obtenir davantage. Et afin que l'on connaisse la haine qu'ils ont contre Dieu
et contre ses créatures, je dois dire qu’ils tinrent ce même jour un autre
conciliabule pour aviser aux mesures qu'ils pourraient prendre pour conserver
la vie de cet homme, qu'ils trouvaient si
80
propre à
exécuter leurs desseins. Ces cruels ennemis savent
très-bien qu'ils n'ont nulle juridiction sur la vie des hommes, et
qu'ils ne peuvent ni la leur donner ni la leur ôter, à moins que Dieu ne le
leur permette dans quelque cas particulier; cependant ils voulurent dans cette
occasion devenir les médecins et les tuteurs de la vie et de la santé de Saul,
pour les lui conserver autant que cela pouvait dépendre d'eux, en le poussant
à se garder de ce qui était nuisible et à user de ce qui était le plus
salutaire, et en faisant servir d'autres choses naturelles à la conservation
de sa santé. Mais avec toutes ces précautions ils ne purent point empêcher que
la divine grâce n'opérât en Saul, lorsque celui qui en est l'auteur le jugea à
propos; d'ailleurs les démons étaient si loin de supposer que Saul pût en
devenir le trophée, qu'ils n'eurent jamais le moindre doute qu'il reçût la loi
de Jésus-Christ, et que la vie qu'ils tâchaient de conserver dût se prolonger
pour leur ruine et pour leur plus grand tourment. Ce sont là les oeuvres de la
sagesse du Très-Haut, qui laisse le démon s'abuser dans ses conseils
d'iniquité, afin qu'il tombe dans la fosse qu'il creuse et dans le piège qu il
tend sous les pas de Dieu (1), et que toutes ses machinations ne servent qu'à
l'accomplissement de sa divine volonté, à laquelle ce rebelle ne saurait
résister.
254 Le Seigneur disposait
par ce grand conseil de sa très-haute sagesse, que
la conversion de Saul fût et plus admirable et plus glorieuse. C'est pourquoi
il
(1) Ps., LVI, 7
81
permit
que Saul, incité par Lucifer, allât, à l'occasion de la mort de saint Étienne
, trouver le prince des prêtres, respirant la menace et le meurtre des
disciples du Seigneur qui s'étaient dispersés hors de Jérusalem (1), et lui
demander des pouvoirs pour les prendre partout où il les trouverait, et les
amener prisonniers à Jérusalem. A l'appui de sa demande, Saul offrit sa
personne , son bien et sa vie, et promit de faire
ce voyage à ses dépens, pour défendre la loi de ses pères et pour empêcher
que' la nouvelle loi que les disciples du Crucifié prêchaient, ne prévalût
contre elle. Ces avances déterminèrent facilement le souverain prêtre et les
membres de son conseil à accueillir les propositions de
Saul , et ils lui donnèrent sur-le-champ une ample commission avec
diverses lettres, notamment pour Damas; parce qu'ils avaient appris que
quelques-uns des disciples s'y étaient retirés, après avoir quitté Jérusalem.
Saul se disposa à partir accompagné d'un certain
nombre de satellites de la justice et de soldats. Mais sa principale escorte
consistait en plusieurs légions de démons, qui sortirent de l'enfer pour
l'assister dans cette entreprise, s'imaginant qu'avec de pareilles mesures ils
viendraient à bout de l'Église, et que Saul la mettrait à feu et à sang. Et
c'était véritablement son intention et le désir que Lucifer et ses ministres
lui inspiraient aussi bien qu'à tous ceux qui le suivaient. Mais laissons-le
maintenant sur la route de Damas, où il se rendait pour
(1) Act., IX, 1.
82
prendre
dans les synagogues de cette ville tous les disciples de Jésus-Christ.
255. La grande Reine de
l'univers n'ignorait rien de tout cela; car outre la science et la vision avec
laquelle elle pénétrait jusqu'à la moindre pensée des hommes et des démons,
les apôtres lui donnaient souvent avis de tout ce qu'on faisait contre les
imitateurs de Jésus-Christ. Elle savait aussi depuis longtemps que Saul devait
être apôtre du même Seigneur, le prédicateur des Gentils, un des ministres les
plus illustres et les plus admirables de l'Église .
en effet, son très-saint
Fils l'avait informée de tous ces événements, comme je l'ai rapporté dans la
seconde partie de cette histoire. Mais comme la persécution augmentait, le
fruit que, Paul devait opérer se faisait attendre, il ne portait pas ce nom de
chrétien sous lequel il devait travailler si efficacement^à la gloire du
Seigneur; d'un autre côté, les disciples de Jésus-Christ, qui ignoraient le
secret du Très-Haut, s'affligeaient et se laissaient presque décourager parce
qu'ils connaissaient la fureur avec laquelle Saul les cherchait et les
persécutait. Tout cela causa une peine extrême à la compatissante Mère de la
grâce. Or, considérant dans sa divine prudence combien la situation était
grave, elle s'anima d'une nouvelle et plus vive confiance pour demander le
remède de l'Église et la conversion de Saul; et, prosternée en la présence de
son Fils, elle cette prière :
256. « Souverain Seigneur,
Fils du Père éternel, Dieu vivant et véritable, engendré de sa propre
83
substance
indivisible, vous qui, par un prodige admirable de votre bonté infinie, avez
daigné devenir mon propre Fils : ô vie de mon âme !
comment votre servante, à qui vous avez recommandé votre Église
bien-aimée, pourra-t-elle vivre, si la persécution que vos ennemis ont excitée
contre elle triomphe, et si votre haute puissance ne l'arrête? Comment
pourrai-je souffrir de voir mépriser et a fouler aux pieds le prix de votre
mort et de votre sang? Si vous me donnez, Seigneur, pour enfants
ceux que vous engendrez dans votre Église, que a j'aime et que je regarde avec
un amour maternel, comment pourrai-je me consoler de les voir opprimés,
exténués, parce qu'ils confessent votre saint nom, et qu'ils vous
aiment de tout leur coeur? Seigneur, la puissance et la sagesse vous
appartiennent (1), et il n'est pas juste que le dragon infernal, ennemi de
votre gloire et calomniateur de mes enfants et de vos frères, se glorifie
contre vous. Confondez, mon Fils, l'ancien orgueil de ce serpent, qui s'élève
de nouveau contre voua avec tant d'insolence, menaçant de sa fureur les
innocentes brebis de votre troupeau. Considérez comment il abuse et entraîne
Saul, que vous avez choisi pour votre
apôtre.
Il est temps, mon Dieu, de faire agir votre toute-puissance, de délivrer cette
âme, de la quelle et en laquelle doivent résulter tant de gloire pour
votre saint nom, tant de biens pour l'univers entier. »
(1) I Paral., XXIX, 11.
84
257. La bienheureuse Marie
persévéra assez longtemps en cette prière, s'offrant à endurer toute sorte de
peines, et même à mourir, s'il était nécessaire, pour le remède de la sainte
Église et pour la conversion de Paul. Et comme la sagesse infinie de son
très-saint Fils avait subordonné cette conversion
aux prières de sa Mère bien-aimée, voulant exécuter cette merveille, il
descendit du ciel en personne et lui apparut dans le Cénacle, où elle priait
dans sa retraite. Et sa divine Majesté lui dit avec cette douceur, avec cette
tendresse filiale qu'elle lui témoignait toujours : « Ma
Bien-Aimée, ma Mère, en qui je trouve la complaisance de ma
parfaite volonté, quelles sont vos demandes? Dites-moi ce que vous
souhaitez? » L'humble Reine se prosterna de nouveau en la présence de son
très-saint Fils , selon
sa coutume; et l'ayant adoré comme vrai Dieu, elle lui dit : « Mon
très-haut Seigneur, vous connaissez par avance les
pensées et les coeurs des créatures, et mes désirs ne sont point cachés à vos
yeux. Ma demande part d'un cœur qui connaît votre infinie charité envers les
hommes, du cœur de celle qui est Mère de l’Église, Avocate des pécheurs
et votre esclave. Si j'ai tout reçu de votre amour immense uns l'avoir
mérité, je n'ai pas sujet de a craindre que vous mépriserez mes désirs, quand
ils tendent à votre gloire. Jevons demande, mon Fils, de regarder
l'affliction de votre Église, et de vous hâter, comme le meilleur des pères,
de venir au se cours de vos enfants, engendrés par votre sang très précieux. »
85
258. Le Seigneur désirait
entendre la voix et les gémissements de sa très-chère
Mère et de son Épouse bien-aimée; et c'est pour cela qu'il lui laina redoubler
us prières dans cette occasion, comme s'il lui eût marchandé une faveur qu'il
désirait lui accorder, et qu'il ne pouvait refuser à de tels mérites et à une
telle Charité. Cet artifice de l'amour divin fit naître entre notre Seigneur
Jésus-Christ et sa très-douce Mère de saints
entretiens pendant lesquels elle sollicita. le
terme de cette persécution par la conversion de Saul. Dans cette conférence sa
divine Majesté lui dit : « Ma Mère, comment ma justice sera-t-elle satisfaite,
si j'use de ma miséricorde et de ma clémence envers Saul,
lorsqu'il persiste dans l'incrédulité et dans la malice la plus
profonde, et qu'il mérite ma juste indignation et un châtiment rigoureux,
servant de toutes ses forces mes ennemis pour détruire mon Église et
abolir la mémoire de mon nom dans le monde ? » La Mère de la
sagesse et de la miséricorde trouva une réponse à ces paroles si concluantes
au point de vue de la justice, et elle dit avec cette même sagesse : « Mon
adorable Fils, mon Seigneur et Dieu éternel, quand vous avez, dans votre
entendement divin, choisi Paul pour votre apôtre et pour un vase
d'élection, et quand vous l'avez écrit dans votre mémoire éternelle, ses
péchés ne vous ont pas été un empêchement, et leurs eaux n'ont pas été
capables d'éteindre le feu de votre amour divin (1) ,
(1) Cant., VIII, 7.
86
comme
vous-même me l'avez manifesté. Vos mérites infinis ont été plus puissants et
plus efficaces, vos mérites, sur la vertu desquels vous avez construit
l'édifice de votre Église bien-aimée; ainsi je ne demande rien que vous-même
n'ayez déjà déterminé : mais je m'afflige; mon Fils, de voir que cette âme
s'avance vers un plus grand précipice et court à sa perte, qui causera
celle de plusieurs autres (s'il en est de lui comme du reste des hommes), et
que la gloire de votre nom , la joie des anges et des saints bienheureux (1) ,
la consolation des justes, la confiance que doivent recevoir les
pécheurs, et la confusion de vos ennemis soient retardées. Ne méprisez donc
pas, mon adorable Fils et mon Seigneur, les prières de votre Mère; exécutez
vos divins décrets, et faites que j'aie le bonheur de voir glorifier votre
nom; car il est déjà temps, et l'occasion est propre : ne
permettez pas que mon coeur soit attristé par le retardement d'un si grand
bien dans votre Église. »
259. Les flammes de la
charité embrasèrent tellement, durant cette prière, le chaste coeur de notre
auguste Reine, que sa vie naturelle y eût sans doute été consumée, si le
Seigneur lui-même ne la lui eût conservée par une vertu miraculeuse, quoiqu'il
permit dans cette circonstance, afin de pouvoir se complaire d'autant mieux
dans un amour si excessif de la part d'une simple créature, que sa
bienheureuse Mère souffrit
(1) Luc., XV, 10.
87
une
certaine douleur sensible et tombât comme en défaillance. Mais il fut
impossible, dirais-je volontiers, à son très-saint
Fils, de résister davantage à la force d'un tel amour, qui le blessait au
coeur; c'est pourquoi il la consola et la fortifia, et lui témoignant que ses
prières lui étaient très-agréables, il lui dit :
« Ma Mère, choisie entre toutes les créatures, que votre volonté se
fasse au plus tôt. Je ferai à l'égard de Saul, tout ce que vous
demandez, et je le changerai tellement, qu'il deviendra tout à coup le
défenseur de mon Église qu'il persécute, et le prédicateur de ma gloire et de
mon nom. Dans quelques instants je vais le recevoir dans mon amitié et
dans ma grâce.
260. Notre Sauveur
Jésus-Christ disparut alors de la présence de sa
très-sainte Mère, qui continua sa prière, et eut une vision fort claire
de tout ce qui se passait. Le même Seigneur apparut bientôt à Saul, à peu de
distance de la ville de Damas, où il se rendait en toute diligence, sans que
les progrès de la marche pussent mesurer ceux de sa haine contre Jésus. Le
Seigneur se montra à lui dans une nuée resplendissante de la lumière et de
l'éclat de sa gloire; en même temps Saul fut environné su dedans et au dehors
de la lumière divine, et son coeur et ses sens furent vaincus sans pouvoir
résister à une telle force. Il fut renversé de son cheval, et il entendit à
l'instant une voix d'en haut, qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me
persécutez-vous (1)? Il répondit tout troublé et saisi d'une grande
(1) Act., IX, 4.
88
crainte
: Seigneur, qui êtes-vous? La voix lui dit : Je suis Jésus que vous
persécutez; il vous est dur de résister à l'aiguillon de ma puissance.
Alors Saul répondit tout tremblant et plus effrayé : Seigneur, que vous
plait-il que je fasse; que voulez-vous faire de moi? Ceux qui
accompagnaient Saul entendirent ces demandes et ces réponses, quoiqu'ils ne
vissent point notre Sauveur Jésus-Christ, comme le vit Saul; mais ils virent
la splendeur qui l'environnait , et ils furent tous
fort intimidés, et tellement frappés d'un événement si extraordinaire, qu'ils
demeurèrent quelque temps tout interdits et comme hors d'eux-mêmes.
261. Cette nouvelle
merveille, inouïe jusqu'alors dans le monde, fut plus grande et plus efficace
en ce qui était secret qu'en ce qui paraissait aux sens ; car
non-seulement Saul fut abattu, renversé, privé de
fa vue, et de ses forces physiques au point qu'il aurait incontinent expiré
sans un secours particulier de la puissance divine; mais il fut.
aussi intérieurement changé en un homme nouveau ,
d'une manière plus parfaite que lorsqu'il passa du néant à l'être naturel
qu'il avait, et se trouva plus loin de ce qu'il était auparavant que la
lumière ne l'est des ténèbres-, et le firmament du centre de la terre ; car il
passa de l'image et de la ressemblance du démon à celle du séraphin le plus
sublime et le plus enflammé. Ce fut un dessein de la sagesse et de la
toute-puissance divine de triompher de telle sorte de Lucifer et de ses démons
dans cette conversion miraculeuse, qu'en vertu de la Passion et de la mort de
Jésus-Christ ce dragon fût vaincu
89
et sa
malice confondue par le moyen de la nature humaine, et de remporter ce
triomphe en faisant contraster les effets de la grâce et de la rédemption en
un homme: avec le péché même de Lucifer et avec ses effets. Et ici ce
contraste eut lieu, car la vertu de Jésus-Christ transforma Saul de démon en
ange de grâce, dans un instant aussi rapide que celui dans lequel l'orgueil
transforma Lucifer en démon. Il arriva qu'en la nature angélique la suprême
beauté déchut jusqu'à une extrême difformité; et en la nature humaine la plus
grande laideur s'éleva à la parfaite beauté. Lucifer descendit ennemi de Dieu
du plus haut du ciel jusqu'aux plut profonds abîmes de la terre; et- un homme
monta ami du même Dieu de la terre jusqu'à l'empyrée.
262. Mais comme ce triomphe
n'aurait pas été assez glorieux, si le vainqueur n'eut donné à cet homme plus
que Lucifer n'avait perdu, le Tout-Puissant voulut
rehausser de toute cette différence la victoire qu'il remportait en Saul sur
le démon. Car, quoique déchu de la grâce fort éminente qu'il avait reçue,
Lucifer ne perdit pas la vision béatifique, et il n'en fut pas non plus privé,
puisqu'elle ne lui avait pas été manifestée, et que, loin de se disposer à
l'obtenir, il s'en rendit indigne; mais à l'instant que Saul se disposa à la
justification et reçut la grâce, la gloire lui fut aussi communiquée, et il
vit clairement la Divinité , quoique ce ne
filt. qu'en passant. O
vertu invincible de la puissance divine! O efficace infinie.
des mérites de la vie et de la mort de
Jésus-Christ ! Il était
90
vraiment
bien juste que, si la malice du péché avait dans un instant changé l'ange en
démon, la grâce de notre Rédempteur fût encore plus puissante et plus
abondante que le péché (1) et tirât cet homme de ses abîmes pour l'élever
non-seulement à une grâce, mais encore à une
gloire si éminente. Cette merveille fut plus grande que d'avoir créé les cieux
et la terre, et toutes les créatures qu'elle contient. Elle a été plus grande
que de donner la vue aux aveugles, la santé aux malades, et que de ressusciter
les morts. Consolons-nous, pécheurs, par l'espérance que nous a laissée cette
justification merveilleuse, puisque nous avons pour notre Rédempteur, pour
notre Père, et pour notre Frère le même Seigneur qui a justifié Paul; et il
n'est pas moins puissant ni moins saint pour nous qu'il ne l'a été pour lui.
263. Tandis que Paul se
trouvait renversé par terre, contrit de ses péchés et entièrement renouvelé
par la grâce justifiante et par d'autres dons infus, il fut illuminé et
préparé en toutes ses puissances intérieures, comme il convenait qu'il le fût.
Et après cette préparation il fut enlevé dans l'empyrée, qu'il appelle
troisième ciel, déclarant aussi ne point savoir s'il fut ravi avec son corps,
ou seulement en esprit (2). Mais il y vit clairement la Divinité, par une
vision qui était plus qu'ordinaire, quoique ce ne fût qu'en passant. Outre la
perception qu'il eut de l'être de Dieu et de ses attributs infinis en
perfection , il connut le mystère
(1)
91
de
l'incarnation et de la rédemption du genre humain, tous ceux de la loi de
grâce, et l'état de l'Église. II connut le bienfait incomparable de sa
justification, la prière que lit saint Étienne, et mieux encore celle que la
très-pure Marie avait faite, et comment le moment
de sa justification avait été hâté par cette prière dont les mérites, après
ceux de Jésus-Christ, la lui avaient préparée dans l'acceptation divine. Il
fut dès lors très-reconnaissant et
très-dévot à la grande Reine du ciel, dont la
dignité lui fut manifestée, et il la reconnut toujours pour sa bienfaitrice.
Il sut aussi en quoi consistait l'apostolat auquel il était
appelé , et qu'il y devait travailler et souffrir
jusqu'à la mort. Beaucoup d'autres secrets lui furent en même temps révélés,
qu'il ne lui fut pas permis de découvrir, comme il le déclare lui-même (1). Il
s'offrit à accomplir tout ce qu'il connut être la volonté divine, et à se
sacrifier entièrement pour l'exécuter, comme il le fit depuis. La
très-sainte Trinité accepta le sacrifice et
l'offrande de ses lèvres, et en présence de tous les courtisans célestes elle
le désigna comme le prédicateur et le docteur des Gentils, et le nomma vase
d'élection, destiné à porter le saint nom du Très-Haut dans tout l'univers.
264. Ce fut un jour d'une
grande joie accidentelle pour les bienheureux ; ils firent tous de nouveaux,
cantiques de louanges pour glorifier la puissance divine d'une si rare
merveille. Car si la conversion du
(1) II Cor., XII, 4.
92
moindre
pécheur les remplit d'une nouvelle allégresse (1), quelle devait être celle
que leur causait une conversion en laquelle la grandeur et la miséricorde du
Seigneur se manifestaient avec tant d'éclat, dont tous les mortels devaient
tirer des fruits si précieux, et la sainte Église une gloire si particulière !
Il revint de ce ravissement, changé de Saul en saint Paul ; et quand il se
releva, il parut être aveugle, sans qu'il lui fût possible de voir la lumière
du soleil. On le conduisit à Damas à la maison d'un de ses amis, où, au grand
étonnement de tous, il demeura trois jours sans boire ni manger, absorbé dans
la plus sublime oraison. Il se prosterna, et se mettant à pleurer ses péchés
(quoiqu'il en eût été justifié), il s'écria, l'âme navrée de douleur au
souvenir de sa vie passée : « Hélas! dans quelles
ténèbres et dans quel aveuglement ai-je vécu, et avec combien de précipitation
courais-je à la damnation éternelle! O amour infini!
ô charité sans mesure! ô
très-douce clémente de la bonté éternelle ! Qui
vous a obligé, Seigneur, à un tel témoignage d'amour envers ce vermisseau de
terre, envers ce blasphémateur et votre ennemi? Mais qui peut vous y avoir
obligé, si ce n'est vous-même, si ce n'est votre Mère et votre Épouse par ses
prières? Dans le temps qu'aveuglé et environné de ténèbres je vous
persécutais, vous êtes venu au-devant de moi, miséricordieux Seigneur. Alors
que j'allais répandre le sang innocent,
(1) Luc., XV, 7.
93
qui
aurait toujours crié vengeance contre moi; vous qui êtes le Dieu des
miséricordes et le Rédempteur de nos âmes, vous me lavez et me purifiez par le
vôtre , vous me faites participant de votre ineffable divinité. Combien de
sujets n'ai-je pas de chanter éternellement des miséricordes si inouïes Qui me
donnera des larmes pour pleurer suffisamment une vie si horrible à vos yeux?
Que les cieux et la terre publient votre gloire. Pour moi je prêcherai votre
saint nom , et je le défendrai au milieu de vos
ennemis .» Saint Paul redisait ces paroles et d'autres semblables dans son
oraison avec une douleur incomparable, en y joignant des actes de
très-ardente charité, d'humilité profonde et de
très-vive reconnaissance.
265. Le troisième jour
après la chute et la conversion de Saul, le Seigneur parla dans une vision à
un des disciples, nommé Ananie, qui se trouvait à
Damas (1). Et sa divine Majesté ayant appelé Ananie
par son nom comme son serviteur et son ami , lui
ordonna d'aller dans la maison d'un homme nommé Jude, lui marquant l'endroit.
où il demeurait, et d'y chercher Saul de Tarse,
qu'il reconnaîtrait parce qu'il le trouverait en prière. Au même moment Saul
eut une autre vision du Seigneur, en laquelle il connut le disciple
Ananie, et le vit comme venant vers lui et comme
lui rendant la vue, en lui mettant les mains sur la tête. Mais le disciple
Ananie n'eut alors
(1) Act., IX, 10, etc.
94
aucune
connaissance de cette vision de Saul; c'est pourquoi il répondit au Seigneur :
« J'ai oui dire à plusieurs personnes, Seigneur, combien cet homme
a fait de maux à vos saints dans Jérusalem; il a même reçu des princes des
prêtres le pouvoir de charger de fers tous ceux qui invoquent votre
nom : et cependant, Seigneur, vous ordonnez à a une pauvre brebis comme moi
d'aller chercher le loup même qui veut la dévorer ? » Mais le Seigneur lui dit
: « Allez sans crainte, car cet homme que vous croyez mon ennemi est pour moi
un vase d'élection que j'ai choisi pour porter mon nom devant les
Gentils, devant les rois et devant les enfants d'Israël. Et je lui montrerai
combien il doit souffrir pour mon nom. » Alors le disciple connut tout ce qui
s'était passé.
266. En vertu de cette
parole du Seigneur, Ananie obéit et sen alla
aussitôt dans la maison où Saul était. Il le trouva en prière, et lui dit :
Mon frère Saul, le Seigneur Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où
vous veniez, m'a, envoyé vers vous afin que vous recouvriez la vue et que vous
soyez rempli du Saint-Esprit (1). Il reçut aussi de la main d'Avanie la
sainte communion, par laquelle il fut fortifié, et rendit des actions de
grâces à l'auteur de tous ces bienfaits. Ensuite il donna à son corps la
nourriture dont il était privé depuis trois jours. Il demeura et conversa
pendant quelques jours avec les disciples du Seigneur
(1) Act., IX, 17, etc.
95
qui
étaient à Damas; et, se prosternant à leurs pieds, il leur demanda pardon, et
les pria de l'admettre parmi eux comme leur serviteur et leur frère, quoique
le moindre et le plus indigne de tous. Par leur conseil il se montra aussitôt
en public, et commença p prêcher Jésus-Christ comme le Messie et le Rédempteur
du monde, avec tant de ferveur et de sagesse, qu'il confondait les Juifs
incrédules qui se trouvaient à Dansas, où ils avaient plusieurs synagogues.
Ils étaient tous stupéfaits de ce changement, et se disaient saris pouvoir
revenir de leur surprise : « N'est-ce pas là celui qui tourmentait à Jérusalem
ceux qui invoquaient ce nom de Jésus, et qui est même venu ici exprès pour les
emmener prisonniers aux princes des prêtres ? D'où vient donc le changement
que nous voyons en lui? »
267. Saint Paul se
fortifiait de plus en plus (1), et prêchait avec un plus grand zèle,
confondant les Juifs et les Gentils, de sorte qu'ils tinrent conseil pour le
perdre, et il arriva ce que je rapporterai dans la suite. Cette miraculeuse
conversion de saint Paul eut lieu un au et un mois après le martyre de saint
Étienne, le 25 janvier; le même jour auquel la sainte Église la célèbre, et
c'était la trente-sixième année de la naissance de Jésus-Christ; car saint
Étienne, ainsi que je l'ai dit dans le chapitre douzième, mourut le premier
jour de la trente-cinquième année, et la conversion de saint Paul arriva à la
fin du premier
(1) Act., IX, 20.
96
mois de
la trente-sixième, saint Jacques étant déjà parti de Jérusalem pour aller
prêcher, comme je le dirai plus tard.
268. Revenons à la grande
Reine des anges, qui par la science infuse et par la vision dont j'ai fait
plusieurs fois mention, connut tout ce qui se passait à l'égard de Saul ; son
premier et déplorable état, sa fureur contre le nom de Jésus-Christ, sa chute
de cheval et ce qui la causa, son changement, sa conversion, et surtout la
miraculeuse et singulière faveur d'être ravi jusqu'au troisième ciel, et d'y
voir clairement la Divinité; enfin tout ce qui lui arrivait dans Damas. Il
était, au reste, convenable et même juste que cette auguste Dame pénétrât ce
grand mystère, non-seulement en qualité de Mère du
Seigneur et de sa sainte Église, et comme l'instrument d'une si rare
merveille, mais aussi parce qu'elle seule pouvait l'exalter dignement,
beaucoup mieux que saint Paul, et mieux même que tout le corps mystique de
l'Église; et il ne fallait pas qu'un bienfait si nouveau et qu'une ouvre si
admirable de la droite du Tout-Puissant ne
trouvassent point la reconnaissance qû ils
devaient inspirer aux mortels. C'est cette reconnaissance que la bienheureuse
Vierge témoigna d'une manière parfaite, solennisant la première ce nouveau
miracle avec le retour possible à tout le genre humain. Elle convia tous ses
anges et un très-grand nombre d'autres qui vinrent
du ciel, et avec toue ces chœurs divins elle entonna un cantique de louanges
pour glorifier la paissance, la sagesse et la miséricorde
97
libérale
que le Très-Haut avait fait .éclater . en faveur de
saint Paul, et un autre cantique pour exalter les mérites de son
très-saint Fils, en vertu desquels cette
conversion pleine de merveilles avait été opérée. Par cette fidèle
reconnaissance de l'auguste Marie, le Très-Haut fut, selon notre manière de
concevoir, comme satisfait de ce qu'il avait opéré en saint Paul pour le bien
de son Église.
269. Mais ne passons pas
sous silence les soliloques du nouvel apôtre, inquiet de la place qu'il
occuperait dans le coeur de la tendre Mère, et du jugement qu'elle porterait
sur lui quand elle saurait qu’il avait été l'ennemi et le persécuteur si
acharné de son très-saint Fils et de ses
disciples, et qu'il avait travaillé avec tant de zèle à détruire l'Église. Ces
réflexions de saint Paul ne procédaient pas tant de l'ignorance que de
l'humilité et de la vénération avec laquelle -il regardait en son esprit la
Mère de Jésus-Christ. Toutefois, il ne savait pas alors que cette grande Dame
fût informée de tout ce qui lui était arrivé. Et quoiqu'il la considérât comme
une Mère très-miséricordieuse, après qu'il l'eut
reconnue en Dieu comme la Médiatrice de sa conversion et de son salut,
néanmoins, les énormités de sa vie passée l'intimidaient, l'humiliaient, et
lui causaient une espèce de crainte, se réputant indigne de la grâce d'une
telle Mère, dont il avait persécuté le Fils avec tant de fureur et
d'aveuglement. Il lui semblait que pour pardonner des crimes si affreux il
fallait une miséricorde infinie, et il se disait que la Mère était une simple
créature.
98
D'un
autre côté il s'encourageait, parce qu'il entendait dire qu'elle avait
pardonné à ceux-là mêmes qui avaient crucifié son Fils, et il se persuadait
qu'elle l'imiterait toujours en cela. Les disciples l'assuraient aussi qu'elle
était pleine de douceur et de compassion envers les pécheurs, et lui parlaient
souvent de sa grande clémence. Leurs discours redoublaient le désir qu'il
avait de la voir, et il se proposait intérieurement de se prosterner à ses
pieds, et de baiser la terre où elle aurait marché. Mais bientôt il rougissait
de honte à .la pensée de se présenter devant Celle qui était la véritable Mère
de Jésus, et craignait qu'elle ne le rebutât, parce qu'elle vivait dans une
chair mortelle. Il hésitait sil la supplierait de le châtier, parce qu'il
s'imaginait que ce serait une espèce de satisfaction; mais il lui semblait
aussi que cette vengeance ne s'accordait point avec son extrême bonté,
puisque, bien loin de se venger, elle avait demandé et obtenu pour lui une si
grande miséricorde.
270. Parmi ces réflexions
et d'autres semblables, le Seigneur permit que saint Paul eût quelques peinte
sensibles, mais pourtant douces; et à la fin, s'adressant à lui-même, il se
dit : « Prends courage, ô homme vil et pécheur; car sans doute Celle qui
a prié pour toi te recevra et te pardonnera, puis qu'elle est Mère véritable
de Celui qui est mort pour ton salut; elle agira comme Mère d'un tel
Fils; ils sont tous deux pleins de miséricorde et de clémence, et ils ne
méprisent pas le coeur contrit
99
et
humilié (1). » La divine Mère pénétrait par sa
très-sublime science les craintes et les pensées qui agitaient l'esprit
de saint Paul. Elle prévit aussi que le nouvel apôtre ne pourrait pas de fort
longtemps se rendre auprès d'elle; c'est pourquoi , touchée d'une compassion
maternelle, elle ne voulut pas différer jusqu'alors de donner à saint Paul la
consolation qu'il souhaitait; et, pour la lui procurer de Jérusalem, où elle
était, elle s'adressa à un de ses saints anges, et lui dit : « Esprit céleste
et ministre de mon Fils et de mon Seigneur, je suis émue de la peine
qui afflige l'humble coeur de Paul. Je vous prie, mon ange, d'aller au
plus tôt à Damas, pour le fortifier et pour calmer ses inquiétudes. Vous
le féliciterez de son bonheur, et l'avertirez de la reconnaissance
éternelle qu'il doit à mon très-saint Fils
de la clémence avec laquelle il l'a attiré à son amitié et à sa grâce,
et l'a choisi pour son apôtre. Vous lui ferez aussi savoir que jamais homme
n'a été l'objet d'une miséricorde pareille à celle qui s'est
manifestée sur lui. Et vous lui direz de ma part que je l'assisterai
comme Mère dans toutes ses peines,
et que je le servirai comme servante que je suis de tous les apôtres et de
tous les ministres qui prêchent le saint nom et la doctrine de mon
Fils. Vous lui donnerez la bénédiction en mon nom, et vous lui direz que
je la lui envoie au nom de Celui qui a daigné prendre chair dans
(1) Ps. L, 19.
100
mon sein
et se nourrir de mon propre lait.
271. Le saint ange exécuta
ponctuellement les ordres de sa Reine, et arriva en fort peu de temps auprès
de saint Paul, qui continuait sa prière; car cela arriva le jour après son
baptême, et le quatrième jour après sa conversion. L'ange lui apparut sous une
forme humaine, avec une beauté et une splendeur admirable, et lui dit tout ce
que l'auguste Marie lui avait ordonné. Saint Paul reçut cette ambassade avec
une humilité, avec un respect et avec une joie incomparable; et, répondait à
l'ange, il lui dit: « Puissant ministre du Très-Haut, moi le plus vil de tous
les hommes, je vous supplie, très-doux esprit qui
connaissez mes grandes obligations et qui savez combien il a fait éclater en
moi sa miséricorde infinie en me manifestant ses richesses, de vouloir bien
lui rendre de dignes actions de grâces et des louanges éternelles, de ce que,
malgré mon démérite, il m'a communiqué sa lumière divine et marqué du
caractère de ses enfants. Il m'a suivi par sa clémence lorsque je
m'éloignais le plus de sa bonté; il est venu à ma rencontre dans le
temps que je le fuyais; quand dans mon aveuglement je me livrais à la
mort, il m'a donné la vie; quand je le persécutais comme ennemi, il m'a élevé
à sa grâce et à son amitié, me payant par les plus grands de
tous les bienfaits des plus grands de tous les outrages (1). Personne ne s'est
jamais rendu
(1) I Tim., I, 13.
aussi
digne d'horreur que moi , et personne n'a jamais été si libéralement pardonné
et favorisé. Il m'a tiré de la gueule du lion pour me mettre au nombre des
brebis de son troupeau. Vous êtes témoin, esprit céleste, de tout cela,
aidez-moi donc à reconnaître éternellement tant de faveurs. Je vous prie de
dire à la Mère de miséricorde, mon auguste Reine, que son indigne serviteur se
prosterne à ses pieds dans la poussière, et la conjure avec un coeur contrit
de pardonner à celui qui a été assez téméraire que d'entreprendre d'abolir le
nom et l'honneur de son adorable Fils; d'oublier l'énormité de mes offenses,
et d'agir à l'égard de ce blasphémateur comme la Mère qui a conçu, qui a
enfanté et qui a nourri en restant toujours vierge, le même Seigneur qui lui a
donné l'être, et qui l'a choisie à cet effet entre toutes les créatures. Je
mérite le plus rigoureux châtiment pour tant de crimes ,
et je suis prêt à le subir, pourvu que j'y puisse sentir la clémence de son
bénin regard, pourvu qu'elle ne me refuse ni sa grâce ni sa protection.
Qu'elle m'admette au nombre des enfants de son Église, qu'elle aime avec tant
de tendresse; car je sacrifie pour son agrandissement et pour sa défense mes
désirs et mon propre gang, et j'obéirai en tout à Celle que je reconnais pour
ma Protectrice et pour la Mère de la grâce. »
272. Le saint ange porta
cette réponse à la bienheureuse Marie; et quoique dans sa profonde sagesse
elle la connût d'avance, le céleste ambassadeur ne
102
laissa
pas que de la redire. Elle l'entendit avec une joie toute particulière, et
rendit de nouvelles actions de grâces au Très-Haut pour les oeuvres
magnifiques qu'il faisait dans le, nouvel apôtre Paul, et pour le bien qui en
résultait à toute l'Église et à ses enfants. Je parlerai le mieux qu'il me
sera possible, dans le chapitre suivant , de la
confusion et de l'abattement que causa cette merveilleuse conversion de saint
Paul à Lucifer et à tous ses démons, et de plusieurs autres secrets qui m'ont
été découverts sur la malice de ce dragon.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
273. Ma fille, aucun des
fidèles ne doit ignorer que le Très-haut ne put convertir saint l'aul
et le justifier sans multiplier pour cette oeuvre miraculeuse les merveilles
de sa puissance infinie. Mais il les opéra pour montrer aux hommes combien sa
bonté l'incline à leur pardonner et à les élever à son amitié et à sa grâce,
et pour leur enseigner comment ils doivent coopérer et répondre à ses appels à
l'exemple de ce grand apôtre. Le Seigneur réveille et, appelle beaucoup d'âmes
par la force de ses inspirations et de ses grâces, et il y en a plusieurs qui
y répondent, qui obtiennent leur justification, et qui reçoivent les
103
sacrements
de la sainte Église; mais toutes ne persévèrent pas en leur justification; il
s'en trouve encore moins qui avancent dans la perfection; la plupart, après
avoir commencé selon l'esprit, finissent selon la chair. Ce pourquoi elles ne
persévèrent point en la grâce et retombent aussitôt dans leurs fautes, c'est
qu'elles ne disent point dans leur conversion ce que dit saint Paul dans la
sienne: Seigneur, que vous plaît-il faire de moi, et que vous plaît-il que
je fasse pour vous (1) ? Et s'il y a des gens qui prononcent ces paroles
de bouche, ce n'est pas du fond de leur coeur, où ils conservent toujours un
certain amour d'eux-mêmes, de l'honneur, des biens de la terre, et un secret
attachement au plaisir et à l'occasion du péché, qui bientôt les fait
trébucher et tomber.
274. Mais l'apôtre ut le
parfait modèle de ceux qui se convertissent à la lumière de la grâce,
nonseulement parce qu'il passa d'un extrême à
l'autre, du bout de la région du péché au bout de la région de la grâce et des
faveurs les plus admirables; mais aussi parce qu'il coopéra par sa volonté à
cette vocation, s'arrachant tout entier à son mauvais état et fuyant sa propre
volonté, pour s'abandonner en tout à la volonté divine. Ces paroles :
Seigneur, que vous plaît-il faire de moi? exprimaient
ce renoncement à lui - même et cette soumission absolue à la volonté divine
dans lesquels consista, en ce qui dépendait de lui, toute sa régénération. Et
c'est parce qu'il dit
(1) Act., IX, 6.
104
ces
paroles avec toute la sincérité d'un coeur contrit et humilié,, qu'il se
dépouilla de toute sa volonté, qu'il s'abandonna entièrement à celle de Dieu,
et qu'il prit une ferme résolution de ne jamais plus hasarder ses puissances
et ses sens aux périls de la vie animale et sensible, en laquelle il s'était
égaré. Il détermina de se soumettre aux ordres du Très-Haut de quelque manière
qu'il les connût, et de les exécuter sans retard, sans objection, comme il le
fit lorsque le Seigneur lui prescrivit d'entrer dans la ville de Damas, et
lorsqu'il obéit au disciple Ananie en tout ce
qu'il lui ordonna. Et comme le Très-Haut, qui pénètre les secrets du coeur
humain (1), connut la sincérité avec laquelle Paul correspondait à sa vocation
et s'abandonnait à la volonté divine, non-seulement
il l'accueillit avec une complaisance infinie, mais il lui départit des
grâces, des dons et des faveurs ineffables avec la plus grande abondance; et
quoiqu'il ne les eût pas méritées, il ne les aurait pas néanmoins reçues, s'il
ne s'y fût disposé par ce complet abandon à la volonté du Seigneur.
275. Cela étant, je veux,
ma fille, que voua pratiquiez pleinement ce que je vous ai commandé plusieurs
fois : c'est de renoncer à vous-même, de vous éloigner de toutes les
créatures, et d'oublier tout ce qui est visible, apparent et trompeur.
répétez souvent, mais beaucoup plus de coeur que de
bouche : Seigneur, que vous plait-il faire de moi? Car si vous voulez
faire
(1) Jerem., XVII, 10.
105
quelque
chose par votre propre volonté, vous ne chercherez pas en tout avec sincérité
la volonté du Seigneur. L'instrument n'a d'autre mouvement que celui que lui
imprime la main de l'artisan, et s'il avait un seul mouvement
propre , il pourrait résister à la volonté de celui
qui le manie. Il en arrive de même entre Dieu et l'âme : si elle a quelque
volonté qui la fasse agir sans attendre que Dieu la meuve, alors elle s'oppose
au. bon plaisir du Seigneur lui-même. Et comme il
respecte les droits de la liberté qu'il lui a donnée, il la laisse s'égarer
parce qu'elle le veut, et qu'elle n'attend point l'impulsion de son divin
artisan.
276. Et d'autant qu'il
n'est pas convenable que toutes les opérations des créatures dans la vie
mortelle soient miraculeusement conduites par la puissance divine, le
Seigneur, pour ôter aux hommes toute vaine excuse, a gravé la loi dans leur
coeur, et l'a déposée ensuite dans sa sainte Église, afin que par elle ils
connaissent la volonté divine, qu'ils s'y conforment, et qu'ils
l'accomplissent fidèlement. En outre , il a établi
dans son Église les supérieurs et ses ministres, afin que, les écoutant et
leur obéissant comme au Seigneur même, qui les amiste
(1), les âmes lui obéissent en même temps, et qu'elles eussent ce motif de
sécurité: Vous avez toutes ces ressources, ma très-chère
fille, avec une grande abondance, pour que vous n'entrepreniez aucune chose
sans consulter
(1) Luc., X, 16.
106
la
volonté de Celui qui dirige votre âme, car le Seigneur vous envoie à lui,
comme il envoya Paul à son disciple Ananie. Vous
avez à cet égard de plus étroites obligations que les autres, parce que le
Très-Haut vous, a regardée avec amour, et vous a prévenue d'une grâce
spéciale; il veut que vous soyez comme un outil en sa main, puisqu'il vous
assiste, vous gouverne et vous meut par lui-même, par moi et par ses saints
anges, et qu'il le fait avec la fidélité, avec l'attention et avec la
persévérance que vous connaissez. Considérez donc combien il est juste que
vous mouriez entièrement à votre propre volonté, que la divine ressuscite en
vous, et quelle donne l'âme et la vie à toutes vos actions. Imposez silence à
tous vos raisonnements, et soyez persuadée que, quand vous réuniriez toute la
science des hommes les plus sages, tout le conseil des plus prudents, et même
toute l'intelligence des anges, vous ne réussiriez pas à beaucoup près aussi
bien avec toutes ces lumières à exécuter la volonté du Seigneur, ni même à la
connaître, que vous n'y réussirez en vous abandonnant entièrement à son bon
plaisir. Il n'y a que lui qui sache ce qui vous convient, et il le veut avec
un amour éternel; il a choisi vos voies, et c'est lui qui vous y conduit.
Laissez-vous donc guider à sa divine lumière, sans perdre le temps à réfléchir
à ce que vous devez faire, car ces réflexions pourraient voua égarer; mais
vous trouverez toute la sécurité possible dans ma doctrine et dans mes
instructions. Gravez-les dans votre coeur, et travaillez de toutes vos forces
à les mettre en
107
pratique,
afin de vous rendre digne de mon intercession et de mériter par elle que le
Très-Haut vous attire à lui.
CHAPITRE XV. On déclare les moyens secrets dont les démons se servent pour
attaquer les âmes. — Comment le Seigneur les défend par les anges, par
l'auguste Marie et par lui-même. — Conciliabule que ses ennemis tinrent après
la conversion de saint Paul contre cette grande Reine et contre l'Église.
277. Par l'abondante
doctrine des saintes Écritures (1), et ensuite par les écrits des pieux
docteurs, toute l'Église catholique et en même temps tous ses enfants sont
informés de la malice et de la cruauté vigilante avec lesquelles les démons
les persécutent, faisant tous .
leurs efforts et employant tous leurs artifices pour les entraîner, si
ce leur était possible, dans les tourments éternels. Nous savons aussi par les
mêmes Écritures combien le pouvoir infini du Seigneur nous défend, afin que,
si nous voulons nous prévaloir de sa protection invincible, nous marchions
(1) Gen., III, 1 ; I Paral., XXI, 1; Job., II, 1;
Zach., III, 1; Matth, XIII, 19; Luc., VIII, 12;
XIII, 16; Act., V, 3.
108
en
sûreté jusqu'à ce que nous soyons arrivés su bonheur éternel, qu'il nous a
préparé par les mérites de notre Sauveur Jésus-Christ, et qu'il nous donnera
si nous le méritons de notre côté. Saint Paul dit que tous les livres saints
ont été écrits pour nous affermir dans cette confiance et pour nous consoler
par cette assurance, afin que notre espérance ne soit point vaine, comme elle
le sera, si nous l'avons sans les bonnes oeuvres (1). C'est pour cette raison
que l'apôtre saint Pierre joint ces deux choses ensemble, lorsque nous ayant
dit de déposer toutes nos inquiétudes dans le sein du Seigneur, gui prend
toujours soin de nous, il ajoute aussitôt : « Soyez sobre et veillez, parce
que le démon votre ennemi rôde autour de vous comme un lion rugissant,
cherchant quelqu'un qu'il puisse dévorer (2). »
278. Ces avis et plusieurs
autres. que renferme l'Écriture sainte ; sont
communs et généraux. Et quoique par tous ces avertissements et par une
expérience continuelle les enfants de l'Église pussent se faire en particulier
une juste idée des ruses et des machinations que les démons emploient pour.
nous perdre (3); néanmoins, comme les hommes
terrestres et charnels, accoutumés seulement à ce qui frappe les sens,
n'élèvent point leur esprit aux choses plus hautes (4), ils vivent dans une
fausse sécurité, ignorant
(1) II Cor., IV, 4; XI, 14; Rom., XV, 5;
Ephes., VI, 11; I Thes.,
II, 18. — (2) I Petr., V, 8. — (3)
Apoc., II, 10 et
alibi. — (4) I Cor., II, 14.
109
la
cruauté secrète avec laquelle les démons les poussent à leur perte. Ils
ignorent aussi la protection divine qui les couvre et les garantit, et, dans
leur aveuglement ils ne reconnaissent pas plus le bienfait qu'ils ne craignent
le péril. Malheur à vous, terre, dit saint Jean dans l'Apocalypse, parce que
Satan est descendu vers vous dans une grande colère (1) ! L'évangéliste
entendit ce cri d'alarme dans le ciel , où les bienheureux se seraient
affligés de la guerre secrète qu'un ennemi si puissant et si furieux venait
faire aux hommes, s'ils pouvaient y connaître un sentiment de douleur. Mais
quoique notre danger ne puisse pas faire souffrir les saints dans le ciel, ils
ne laissent pas d'avoir compassion de nous, qui, plongés dans une léthargie
effroyable, ne sentons point notre propre mal, et n'avons point compassion de
nous-mêmes. Pour tirer de ce funeste sommeil ceux qui liront cette histoire,
j'ai appris que j'avais reçu en tout ce que j'en ai écrit une lumière
particulière qui m'a découvert les secrets conseils de méchanceté qu'ont tenus
et que tiennent les démons contre les mystères de Jésus-Christ, contre
l'Église et contre ses enfants, comme je l'ai rapporté en plusieurs endroits,
pour faire connaître aux hommes quelques-uns des secrets cachés.
de la guerre invisible que nous font les esprits
malins pour nous maîtriser selon leur volonté. Dans cet endroit, et à
l'occasion de ce qui arriva en la conversion de saint Paul, le Seigneur m'a
encore
(1) Apoc., XII, 12.
110
mieux
éclairci cette vérité, afin que je l'expose et que l'on connaisse la lutte
continuelle que nos anges soutiennent au-dessus de nos sens contre les démons
pour défendre les âmes, et la manière dont le
Tout-Puissant les vainc, soit par le moyen des mêmes auges, soit par la
très-pure Marie, soit par notre Seigneur
Jésus-Christ, soit par lui-même.
279. Pour ce qui est des
combats que les saints anges livrent aux démons pour nous défendre de leur
envie et de leur malice, nous en avons des témoignages fort clairs dans les
livres saints; et il suffit pour mon sujet de les supposer sans les répéter
ici. On sait ce que le saint apôtre Jude dit dans son Épître catholique (1) :
que saint Michel entra en dispute avec le démon sur ce que cet ennemi
prétendait découvrir le corps de Moïse, que le saint archange avait enterré
par le commandement du Seigneur dans un lieu qui était caché aux Juifs.
Lucifer prétendait le faire connaître, pour porter le peuple à adorer le corps
du prophète par des sacrifices, et à changer par là le culte de la loi en
idolâtrie; et saint Michel empêchait que le sépulcre ne fût découvert. Cette
inimitié de Lucifer et de ses démons est aussi ancienne que leur
désobéissance; elle est aussi cruelle, aussi implacable que ce dragon a été
superbe et l'est encore contre Dieu, depuis qu'il a connu dans le ciel que le
Verbe éternel voulait prendre chair humaine et naître de cette femme qu'il vit
revêtue du soleil (2);
(1) Jud., V, 9. — (2) Apoc., XII, 1.
111
ce dont
j'ai dit quelque chose dans la première partie. La haine que cet esprit
orgueilleux a contre Dieu et coutre les hommes, vint de ce qu'il ne voulut
point se soumettre aux conseils de la Sagesse éternelle. Et comme il ne peut
l'exercer contre le Seigneur même, il l'assouvit contre les ouvrages de sa
toute-puissance. Comme encore le démon, par sa nature angélique, s'attache
obstinément, pour ne jamais lâcher prise , à ce que sa volonté a une fois
déterminé; il ne saurait cesser de persécuter les hommes, quoiqu'il ne le
fasse pas toujours par les mêmes moyens; il change de ruses, mais point
d'intention; et sa haine, au contraire, s'est accrue et s'accroît de plus en
plus par les faveurs que Dieu accorde aux justes et aux saints de son Église,
et par les victoires que remporte sur lui la postérité de cette femme son
ennemie, dont Dieu lui avait dit qu'il la persécuterait, mais qu'elle lui
écraserait la tête (1).
280. Mais comme cet ennemi
est un esprit intelligent, qui ne se lasse ni ne se fatigue dans ses
opérations, il est si diligent à nous persécuter, qu'il commence ses
poursuites dès l'instant que nous commençons notre existence dans le sein de
nos mères, et les continue jusqu'à ce que l'âme soit séparée du corps, et
ainsi nous expérimentons ce que dit job, que la vie de l'homme sur la terre
est une guerre continuelle (2). Cette guerre ne consiste pas seulement en ce
que nous sommes conçus dans le péché originel,
(1) Gen., III, 15. —
(2) Job., VII, 1.
112
et que
nous sortons du sein de nos mères avec la concupiscence rebelle et avec les
passions déréglées qui nous inclinent au mal; mais indépendamment de cette
opposition, de cette rébellion dont nous portons toujours le principe en notre
propre nature, le démon, pour nous combattre avec une plus grande fureur, se
sert de toutes ses ruses et du pouvoir que nous lui donnons; il se sert aussi
de nos sens, de nos puissances, de nos inclinations et de nos passions. Il
tâche encore de se prévaloir de plusieurs autres causes naturelles, pour nous
empêcher par leur moyen de recevoir la vie dans le sein de nos mères, afin de
nous empêcher en même temps de recevoir le remède qui nous procure le salut
éternel. Et s'il ne peut y réussir, il fait tous ses efforts pour nous
pervertir et pour nous faire perdre la grâce, et emploie tous ses artifices
dès l'instant de notre conception jusqu'à la dernière heure de notre vie, qui
est celle qui termine aussi notre combat.
281. C'est ce qui arrive
surtout à l'égard des enfants de l'Église : car aussitôt que les démons savent
que le fait de la génération naturelle du corps humain se produit, ils
observent en premier lieu l'intention des parents, s'ils sont en .état de
péché ou en état de. grâce, s'ils ont abusé ou non
des facultés génératrices; puis ils étudient leur complexion, car les pères et
mères la communiquent ordinairement, à leurs enfants. Ils considèrent aussi
les causes naturelles, non-seulement les
particulières, mais encore les générales, qui concourent à la génération et à
la
113
formation
des corps humains. Et joignant toutes ces données à leur longue expérience,
ils tâchent de découvrir; autant qu'ils peuvent, la complexion ou les
inclinations qu'aura le sujet engendré, tirant dès lors de grands pronostics
pour l'avenir. Que s'ils sont favorables pour l'enfant, ils font tous leurs
efforts pour empêcher qu'il ne vienne heureusement au monde, suscitant divers
périls, ou de violentes tentations aux mères, afin qu'elles fassent des
fausses couches dans les quarante ou quatre-vingts jours que tarde l'infusion
de l'âme. Mais quand ils savent une fois que Dieu a créé et uni l'âme au
corps, la rage de ces esprits rebelles est incroyable; et alors ils emploient
toute leur malice pour empêcher la naissance de l'enfant, et qu'il né reçoive
le baptême, s'il naît en un lieu où l'on ne puisse le lui donner incontinent.
Pour cela ils tâchent par leurs tentations et suggestions de porter les mères
à divers désordres et excès, à la mité desquels l'enfant naît avant terme ou
meurt dans leur sein; car parmi les catholiques, et même parmi les hérétiques
qui usent du baptême, les démons se contenteraient d'empêcher que leurs
enfants ne le reçussent; afin qu'ils ne fussent pas justifiés, et qu'ils
allassent aux limbes, où ils ne verraient pas Dieu; mais parmi les infidèles
et les idolâtres, ils n'y prennent pas tant de soins, parce qu'ils sont
assurés de la damnation des enfants et de celle de leurs parents.
282. Le Très-Haut a garanti
aux hommes de diverses manières sa protection pour les défendra
114
contre
cette méchanceté du dragon. La manière commune est celle de sa providence
générale, par laquelle il gouverne les causes naturelles, afin qu'elles aient
leurs effets au moment convenable, sans que la puissance des démons puisse les
arrêter ou les pervertir en ces mêmes effets : car pour cela le Seigneur leur
limite le pouvoir par lequel ils bouleverseraient le monde
, s'il le laissait à la disposition de leur malice implacable. biais
c'est ce que la bonté du Créateur ne permet pas; il ne veut pas abandonner ses
ouvrages ni le gouvernement des choses inférieures, et encore moins celui des
hommes, à ses ennemis irréconciliables, qui ne remplissent dans l'univers que
le rôle de vils bourreaux dans une société bien organisée , et même en cela
ils ne font que ce qui leur est ordonné et permis, Et si les hommes dépravés
n'avaient aucune intelligence avec ces ennemis, accueillant leurs mensonges et
commettant des fautes dignes de châtiment, on verrait, suivant l'ordre établi
dans toute la nature, les causes communes et particulières produire leurs
effets propres, et il n'arriverait point parmi les fidèles tant de malheurs de
tout genre, de mauvaises récoltes, des maladies, des morts subites, et tant de
maux que le démon a inventés. Tout cela ne doit être attribué, ainsi que tant
d'accidents fâcheux en la naissance des enfants qui naissent tout contrefaits,
qu'aux désordres et aux péchés des hommes; car nous donnons nous-mêmes des
armes su démon pour nous combattre, et nous méritons d'être châtiés par sa
malice, puisque nous nous y livrons.
115
283. Outre cette providence
générale, nous avons la protection particulière des saints anges, à qui,
suivant l'expression de David (1), le Très-Haut a ordonné de nous porter dans
leurs mains, de peur que nous ne tombions dans les piéges du démon, et le
Roi-Prophète dit dans un autre endroit (2) que le
Seigneur nous enverra son ange qui campera près de nous pour nous défendre et
nous délivrera des périls. Cette protection commence aussi, comme la
persécution, dès le sein de notre mère où nous recevons l'être humain, et dure
jusqu'au moment auquel notre âme comparaîtra devant le tribunal de Dieu, pour
être traitée selon qu'elle l'aura mérité. Dès l'instant que l'enfant a été
conçu dans le sein de sa mère, le Seigneur ordonne aux anges de garder et
l'enfant et la mère. Plus tard, au temps marqué, il lui assigne un ange
particulier pour sa garde , comme je l'ai expliqué
dans la première partie. Mais dès la génération, les anges ont de grandes
disputes. avec les démons pour défendre les enfants
qu'ils prennent sous leur protection. Les démons allèguent qu'ils ont
juridiction sur eux, parce qu'ils sont conçus dans le péché, enfants de
malédiction, indignes de la grâce et des faveurs divines, et esclaves des
mêmes démons. Les anges les défendent, alléguant qu'ils sont conçus selon
l'ordre des causes naturelles, sur lesquelles l’enfer n'a aucune autorité; et
que, s'ils ont le péché originel, ils le contractent avec la nature
(1) Ps. XC, 12. — (2) Ps. XXXIII, 7.
116
même,
par la faute de leurs premiers parents, et non parleur propre volonté ; que,
malgré le péché, Dieu les crée, afin qu'ils le connaissent, le louent et le
servent, et qu'en vertu de la Passion et des mérites de Jésus-Christ, ils
puissent mériter la gloire; que ces fins ne doivent point être empêchées par
la seule volonté des démons.
284. Ces ennemis allèguent
aussi que, dans la génération des enfanta, les parents n'ont pas eu la droite
intention ni la fin qu'ils devaient avoir, et qu'ils ont péché par l'abus des
facultés génératrices. Ce droit est le plus fort que puissent alléguer les
démons contre les enfants dans le sein de leur mère ; car il est certain que
les péchés de leurs parents éloignent beaucoup d'eux la protection divine, ou
méritent que la génération Boit empêchée. Cela arrive souvent, et parfois,
même après la conception, les enfants périssent avant que de naître; mais
communément les anges les gardent. Et si ce sont des enfants légitimes, ils
allèguent que leurs parents ont reçu le sacrement et la bénédiction de
l'Église; et s'ils ont quelques vertus, si, par exemple ils sont charitables
envers les pauvres, s’ils sont pieux et dévots, s'ils pratiquent quelques
bonnes oeuvres, les anges s'en servent comme d'armes contre les démons, pour
défendre ceux- qui leur ont été recommandés. A l'égard des enfants qui ne sont
pas légitimes, les disputes sont plus grandes, parce que l'ennemi a plus de
juridiction sur une génération en laquelle Dieu est si offensé; et que les
parents méritent avec justice un châtiment rigoureux : ainsi Dieu
117
manifeste
beaucoup plus sa miséricorde libérale en défendant et conservant les enfants
illégitimes. Les saints anges s'en prévalent, tout en alléguant, comme je l'ai
dit plus haut, le caractère des effets naturels. Lorsque les parents n'ont
personnellement aucun mérite ni aucune vertu ,
quand ils n'ont que des péchés et des vices, alors les anges allèguent encore
en faveur des enfants les mérites qui se trouvent en leurs ancêtres ou en
leurs frères, et les prières de leurs amis et de ceux à qui ils ont été
recommandés, disant qu'ils ne sont nullement responsables des désordres et des
excès de leurs parents. Ils allèguent aussi que ces enfants peuvent par la vie
parvenir à de grandes vertus et à une sainteté éminente, et que le démon n'a
aucun droit pour empêcher celui qu'ils ont d'arriver à connaître et à aimer
leur créateur. Dieu révèle quelquefois aux anges que les enfanta sont choisis
pour faire quelque chose de grand an service de l'Église, et alors leur
défense est très-vigilante et
très-puissante; mais aussi les démons augmentent leur fureur et leur
persécution par les conjectures qu'ils tirent de la sollicitude des anges.
285. Toutes ces disputes et
celles que nous rapporterons dans la suite sont spirituelles, comme le sont
les anges et les démons, et les armes avec lesquelles les anges et le Seigneur
même combattent, sont également spirituelles. Mais les plus offensives contre
les esprits malins sont les vérités des mystères de la Divinité, de la
très-sainte Trinité, de notre Sauveur
Jésus-Christ, de l'union hypostatique, de la rédemption ;
118
de
l'amour immense avec lequel il nous aime et comme Dieu et comme homme, et nous
procure le salut éternel ; puis, la sainteté et la pureté de l'auguste Marie,
ses mystères et ses mérites. Les démons perçoivent de nouvelles notions de
tous ces mystères, afin qu'ils les connaissent et qu'ils les considèrent; et
les saints anges ou Dieu même les forcent à cette perception. Alors il arrive
ce que dit saint Jacques, que les démons croient les vérités divines, et
qu'ils en tremblent (1) : car ces vérités tes accablent et les tourmentent de
telle sorte, que pour en détourner la voie ils se précipitent dans l'abîme et
demandent que Dieu leur ôte ces notions qu'ils reçoivent, comme de l'union
hypostatique et des autres vérités, parce qu'elles les tourmentent plus que le
feu qui les dévore, à cause de la grande horreur qu'ils ont pour les mystères
de Jésus-Christ. C'est pour cette raison que les anges redisent souvent dans
ces combats : Qui, est semblable à Dieu? Qui est semblable à Jésus-Christ,
Dieu et homme véritable, qui est mort pour le genre humain ? Qui est semblable
à la très- pure Marie notre Reine, qui fut exempte de tout péché, et qui a
donné dans son sein la chair et la forme humaine au Verbe éternel, étant
vierge et demeurant toujours vierge?
286. Les démons continuent
leur persécution, et les anges leur défense, après la naissance des enfants.
C'est alors que te dragon redouble sa fureur contre les enfants qui peuvent
recevoir le baptême, faisant tous
(1) Jacob., II, 19.
119
ses
efforts pour l'empêcher; et c'est aussi alors que la faiblesse de l'enfant
crie vers le Seigneur ce que dit Ezéchias : Seigneur, je souffre violence,
répondez pour moi (1). Cet appel su Seigneur, il semble que les anges le
fassent au nom des enfants, lorsqu'ils les gardent avec une sollicitude si
vigilante dès qu'ils sont sortis du sein de leur mère, lorsqu'ils ne peuvent
eux-mêmes se défendre, et que tous les soins de ceux qui les élèvent ne
sauraient prévenir tant de périls qui les environnent dans un âge si tendre.
Mais les saints anges suppléent souvent à cette impuissance; car ils les
gardent et les défendent quand ils dorment et quand ils se trouvent seuls en
d'autres occasions, dans lesquelles un grand nombre d'enfants périraient si
leurs anges ne les protégeaient. Ceux qui reçoivent le saint baptême et la
confirmation ont en ces sacrements une puissante défense contre l'enfer, à
cause du caractère d'enfants de l'Église qu'ils leur donnent; par la
justification qui les régénère et les fait enfants de Dieu et les héritiers de
sa gloire, par les vertus de foi, d'espérance et de charité, et par les autres
qui nous ornent et qui nous fortifient pour faire le bien ; par la
participation aux autres sacrements et aux suffrages de l'Église, dans
lesquels les mérites de Jésus-Christ et de ses saints nous sont appliqués; et
par d'autres grands bienfaits que tous les fidèles confessent. Que si nous
nous en prévalions, nous vaincrions le démon par ces armes, et il n'aurait
(1) Isa., XXXVIII, 14.
120
rien à
prétendre contre aucun des enfanta de la sainte Église.
287. Mais, hélas l 'combien
petit est le nombre de ceux qui, étant arrivés à l'usage de la raison, ne
perdent pas incontinent la grâce du baptême, et ne se mettent point du parti
du démon contre leur Dieu! C'est alors, semble-t-il, que le Seigneur devrait
avec justice nous abandonner, et nous refuser la protection de sa Providence
et de ses saints anges. Il ne le fait pourtant pas : au contraire, quand nous
commençons à nous rendre indignes de sa divine protection, il l'augmente avec
une plus grande clémence, pour manifester en nous les richesses de son infinie
bonté. On ne saurait exprimer combien grande est la malice avec laquelle les
démons tâchent de pervertir les hommes, et de les faire tomber dans quelque
péché aussitôt qu'ils ont l'usage de la raison. Ils s'y prennent de loin, et
s'efforcent de les accoutumer dès leur enfance à toute sorte d'actions
vicieuses, en leur faisant entendre et voir des choses qui portent su mal,
même chez leurs parents, chez ceux qui les élèvent, et dans les compagnies où
se trouvent des personnes plus âgées et plus vicieuses, et en déterminant les
parents à négliger les précautions nécessaires pour préserver dans leurs
tendres années leurs enfants. du danger des
mauvaises impressions. Car à cette époque on imprime en eux comme sur une cire
molle tout ce qui frappe leurs sens, et c'est par là que le démon meut leurs
inclinations et leurs passions; et ordinairement les hommes eux-mêmes
121
suivent
dans leur conduite leurs inclinations et leurs passions, à moins d'être
soutenus par un secours particulier. Il en résulte que, parvenus à l'usage de
la raison, les adolescents les suivent aussi, et se laissent entraîner par les
choses sensibles et délectables dont les images remplissent leur imagination.
Et quand le démon les a fait tomber dans quelque péché, il prend incontinent
possession de leur âme, et acquiert un nouveau droit sur eux pour les attirer
à d'autres, comme il arrive trop souvent, au grand malheur de tant de
personnes.
288. Les soins que prennent
les saints anges d'écarter de nous tous ces dangers et de nous défendre du
démon, ne sont pas moins grands. Ils envoient souvent aux pères et mères des
inspirations saintes qui les excitent à veiller à l'éducation de leurs
enfants, à les instruire en la loi de Dieu, à les former à la pratique des
oeuvres chrétiennes et de quelques dévotions, à les éloigner des occasions du
mal, enfin à les accoutumer à l'exercice des vertus. lis
envoient aussi de saintes inspirations aux enfants à mesure qu'ils avancent en
âge, ou selon la connaissance que leur donne le Seigneur de ce qu'il veut
opérer en leur âme. Ils ont de grandes disputes avec les démons touchant cette
défense : car ces malins esprits allèguent contre les enfants tous les péchés
des parents et les actes répréhensibles des enfants eux-mêmes; lors même que
ces actes ne les rendent pas criminels, les démons disent qu'ils ont leur
oeuvre à eux , et qu'ils ont droit de la continuer
dans telle âme. Que si 122
les
enfants étant arrivés à l'usage de raison commencent à pécher, la résistance
que font les' démons pour empêcher les anges de les tirer du péché est plus
forte. Alors les anges allèguent les vertus de leurs parents et de leurs
ancêtres, et les bonnes actions des mêmes enfants. N'eussent-ils fait que
prononcer le nom de Jésus ou celui de Marie lorsqu'on leur apprend à
L'articuler, ils l'allèguent pour les défendre, disant qu'ils ont commencé à
honorer le saint nom du Seigneur et celui de sa Mère; et s'ils ont d'autres
dévotions, s'ils savent et récitent les prières chrétiennes, les saints anges
s'en servent encore et se prévalent de tout cela comme d'armes propres à
l'homme pour le défendre du démon; car, par chaque bonne oeuvre que nous
faisons, nous lui ôtons quelque chose du droit qu'il a acquis sur nous par le
péché originel, et surtout par les péchés actuels.
289. Quand l'homme est
parvenu à l'usage de la raison, c'est alors que le combat entre les anges et
les démons augmente; car, dès l'instant que nous avons commis quelque péché,
le dragon infernal redouble sa fureur pour nous faire perdre la vie avant que
nous ayons fait pénitence, afin que nous nous damnions. Et pour nous
précipiter en d'autres nouveaux crimes, il sème de piéges toutes les voies que
l'on a à parcourir dans chaque état, sans en excepter aucun, ne mettant pas
néanmoins en tous les mêmes dangers. Que si les hommes connaissaient ce,
secret tel qu'il est en réalité, et s'ils voyaient les embûches que le démon
leur dresse par leur propre
123
faute,
ils marcheraient tous eu tremblant; plusieurs quitteraient ou n'embrasseraient
point leur état; et d'autres abandonneraient les fonctions et les charges
qu'ils ont recherchées avec ambition. Mais, ignorant les périls oh ils sont,
ils vivent dans une fausse et trompeuse sécurité, parce qu'ils ne sont touchés
que de ce qui frappe leurs sens; ainsi ils ne craignent point les précipices
que le démon leur creuse pour leur funeste ruine. C'est pourquoi il y à tant
d'insensés, et si peu de véritables sages; il y a beaucoup d'appelés, mais peu
d'élus ; les vicieux et les pécheurs sont sans nombre, et tes vertueux et les
parfaits sont fort rares. A mesure que les hommes multiplient leurs péchés, le
démon acquiert des actes effectifs de possession en leur drue; et s'il ne peut
ôter la vie à ceux qui sont ses esclaves, il les traite du moins comme de vils
serviteurs; alléguant qu'ils sont tous les jours d'autant plus à lui, qu'ils
veulent bien eux-mêmes lui appartenir, et qu'il n'est pas juste de les lui
enlever, ni de leur donner du secours, puisqu'ils n'en profitent point; ni de
leur appliquer les mérites de Jésus-Christ, puisqu'ils les méprisent; ni
l'intercession des saints, puisqu'ils les oublient.
290. Tels sont, entre
autres titres qu'il n'est pas possible de rapporter ici, ceux que le démon
fait valoir pour raccourcir le temps de la pénitence à ceux qui se livrent à
lui par leurs péchés. Que s'il ne peut y réussir, il tâche de les détourner
des voies par lesquelles ils peuvent arriver à la justification ;
124
et en
cela il réussit souvent. Toutefois jamais une âme n'est privée de la
protection divine et de la défense des saints anges, qui nous délivrent à
chaque instant du péril de la mort; ce qui est si certain, qu'à peine se
trouvera-t-il un seul homme qui ne l'ait pu éprouver dans le cours de sa vie.
Ils ne cessent de nous envoyer des inspirations, des impressions, et se
servent de tous les moyens convenables pour nous avertir des malheurs dont
nous sommes menacés. Ils nous défendent même de la rage des démons, et
allèguent contre eux, pour notre défense, tout ce que l'entendement d'un ange
et d'un compréhenseur peut découvrir en tout ce
sur quoi leur très-ardente charité et leur pouvoir
s'étendent. Et tout cela est très-souvent
nécessaire à l'égard de plusieurs âmes qui se sont livrées à la juridiction du
démon, et qui n'usent de leur liberté et de leurs facultés que pour se mettre
sous son empire tyrannique. Je ne parle point ici des infidèles, des idolâtres
et des hérétiques; car, quoique les anges gardiens les défendent et leur
donnent de bonnes inspirations, et les excitent quelquefois à faire de bonnes
actions morales qu'ils allèguent ensuite à leur défense , ce qu'ils font
néanmoins le plus souvent en leur faveur, c'est de les garantir des périls de
mort, afin que Dieu ait sa cause plus justifiée, leur ayant donné tant de
temps pour se convertir, et ils tâchent aussi d'empêcher qu'ils ne commettent
toutes les fautes dans lesquelles les démons voudraient les entraîner; car la
charité des saints anges s'applique à leur épargner du moins les
125
peines
plus grandes que la malice du démon travaille à leur attirer en l'autre monde.
291. C'est dans le corps
mystique de l'Église que la lutte entre les anges et les démons est la plus
vive, selon les, différents états des âmes. Ina esprits célestes défendent
généralement tous les enfants de l'Église avec les armes pour ainsi dire
communes, qu'ils but reçues dans le saint baptême; ils se servent du caractère
de la grâce, des vertus, des bonnes oeuvres , des
mérites, s'ils en ont acquis quelques-uns, des dévotions qu'ils ont envers les
saints, des prières des justes qui intercèdent pour eux, et des bons
mouvements qu'ils ont eus pendant toute leur vie. Cette défense est
très-puissante pour les justes : car, comme ils
sont dans la grâce et dans l'amitié de Dieu, les anges ont un plus grand droit
contre les démons, et par là ils les éloignent et leur représentent les âmes
justes et saintes comme formidables à tout l'enfer; et à cause de ce seul
privilège on devrait estimer la grâce au-dessus de tout ce qui est créé. Il y
a d'autres âmes tièdes et imparfaites qui tombent dans le péché et qui se
relèvent quelquefois; les démons allèguent contre celles-ci un plus grand
droit pour user de leur cruauté envers elles. Mais les saints anges ne
laissent pas que de les défendre et de faire tous leurs efforts pour empêcher
que le roseau cassé, comme dit Isaïe, ne soit brisé tout à fait; que
la mèche qui fume encore ne soit éteinte (1).
(1) Isa., XLII, 3.
126
292. Il se trouve d'autres
âmes si malheureuses et si dépravées, qu'après avoir perdu la grâce du
baptême, elles n'ont fait aucune bonne oeuvre dans toute leur vie; ou si
quelquefois elles se relèvent du péché, elles s'y rejettent si résolument,
qu'il semble qu'elles aient arrêté leurs comptes avec Dieu, agissant comme
sans espérance d'une autre vie, sans crainte de l'enfer et sans la moindre
horreur d'aucun péché. Dans ces âmes, la grâce n'a aucune action vitale et ne
saurait produire aucun mouvement de véritable vertu; aussi les saints anges ne
trouvent-ils rien de bon à alléguer pour leur défense. Les démons crient
alors: Celles-ci du moins nous appartiennent en toutes les manières et sont
soumises à notre empire, la grâce n'ayant point de part en elles. Ces esprits
malins représentent aux anges tous les péchés, toutes les méchancetés et tous
les vices de ces âmes qui servent volontairement de si cruels maîtres. On ne
saurait croire ni exprimer ce qui se passe à leur égard entre les démons et
les anges; car les ennemis s'opposent avec une extrême fureur à ce qu'on leur,donne
aucune bonne inspiration et aucun secours. Mais comme ils ne peuvent en cela
l'emporter sur la puissance divine, ils font les derniers efforts et se
servent de tous leurs artifices, afin qu'au moins elles ne reçoivent point ce
secours et qu'elles ne fassent aucun cas de la vocation du ciel. Et il arrive
souvent en ces âmes une chose fort remarquable, c'est que, toutes les fois que
Dieu leur communique par lui-même on par le moyen de ses anges quelque sainte
inspiration ou quelque bon mouvement,
127
il faut
premièrement chasser les démons et les éloigner, afin qu'elles y donnent leur
attention et que ces oiseaux de rapine ne viennent aussitôt détruire cette
bonne semence (1). Les anges font ordinairement cette défense par les paroles
que j'ai déjà citées : Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les
plus élevés? Qui est semblable à Jésus-Christ, qui est à la droite du Père
éternel? Et qui est semblable à la très-pure
Marie? Ils se servent aussi d'autres paroles semblables qui mettent les
démons en fuite, et alors ils se précipitent quelquefois dans l'abîme; mais
comme leur rage reste toujours la même, ils reviennent bientôt ait combat.
293. Les ennemis emploient
aussi toute leur malice pour porter les hommes à multiplier leurs péchés, afin
que la mesure de leurs iniquités soit bientôt comblée, et que, le temps de la
pénitence leur manquant avec la vie (2), ils puissent les précipiter dans
leurs tourments. Mais, si les saints anges qui se réjouissent de la conversion
du pécheur, ne peuvent pas la lui procurer malgré lui, ils s'efforcent autant
qu'ils peuvent de détourner les enfants de. l'Église
de leurs désordres, en les éloignant d'une infinité d'occasions de pécher, ou,
quand ils s'y trouvent engagés, de les décider à pécher moins. Et lorsque, par
toua ces charitables soins et par mille autres que les mortels ignorent, ils
ne peuvent ramener tant d'âmes qu'ils connaissent être dans le péché, ils se
prévalent
(1) Luc., VIII, 12. — (2)
Galat., VI, 10.
128
de
l'intercession de l'auguste Marie, et la prient de s'interposer comme
médiatrice auprès du Seigneur, et de se charger de confondre les démons. Et
pour que les pécheurs aient en quelque sorte un certain droit à sa
miséricordieuse pitié, les anges pressent leur âme d'avoir quelque dévotion
particulière envers cette grande Dame, et de lui rendre quelque service qu'ils
puissent faire valoir. Il est vrai sans doute que toutes les bonnes oeuvres
que l'on fait en état de péché mortel sont mortes et comme des armes
impuissantes contre le démon; néanmoins elles ont toujours quelque convenance
(quoique éloignée) à cause de la sainteté de leurs objets et de leurs bonnes
fins; et avec elles le pécheur est moins mal disposé que sans elles. De sorte
que ces oeuvres, présentées par les anges et surtout par la
très-pure Marie, ont une espèce de vie ou de
ressemblance à la vie aux yeux du Seigneur, qui les regarde alors autrement
que dans le pécheur, et quoiqu'elles ne puissent pas le porter à le favoriser,
il le fait à cause de ceux qui le prient.
294. C'est ainsi qu'une
infinité d'âmes sortent du péché et des griffes de Satan, la
très-pure Marie venant à leur secours quand la
défense des anges ne suffit pas; car il y a un très-grand
nombre d'âmes qui sont réduites à un état si déplorable, qu'elles ont besoin
d'un bras aussi puissant que celui de cette grande Reine. C'est pour cette
raison que les démons sont si tourmentés de leur propre fureur quand ils
savent que quelque pécheur se souvient de la bienheureuse Vierge ou qu'il
l'invoque ; car ils connaissent
129
la
tendre compassion avec laquelle elle les accueille; ils savent que, si elle
sollicite pour eux, elle gagne la cause, et qu'alors il ne leur reste aucune
espérance ni même aucune force pour lui résister; mais qu'ils se trouvent
aussitôt vaincus. Il arrive souvent que, quand Dieu veut opérer une conversion
particulière, cette auguste Reine ordonne avec
empire aux démons de s'éloigner de cette âme et d'aller dans l'abîme ou ils
vont toujours à sa voix. D'autres fois, sans qu'elle leur fasse ce
commandement, Dieu frappe leur intelligence de l'idée des mystères de sa Mère,
de la puissance et de la sainteté dont elle est douée, et devant ces nouvelles
notions ils prennent la fuite, ils tombent atterrés et
vaincus , incapables de détourner les âmes de répondre et de coopérer à
la grâce que cette charitable Dame leur a obtenue de son
très-saint Fils.
295. Mais, quoique l'intercession de cette grande Reine soit si
efficace et son pouvoir si formidable aux démons, quoique le Très-Haut ne
fasse aucune faveur à l'Église et aux âmes qu'elle n'y contribue par ses
prières, il arrive en beaucoup de rencontres que l’humanité du Verbe incarné
combat elle-même pour nous, et nous défend contre les attaques de Lucifer et
de ses ministres d'iniquité, se déclarant avec sa Mère en notre faveur et
vainquant les démons : tant est grand l'amour que cet adorable Seigneur a pour
les âmes, et tant est ardent le zèle avec lequel il s'occupe de leur salut
éternel ! Et cela n'arrive pas seulement quand les âmes sont justifiées par le
moyen
130
des
sacrements; car alors les ennemis sentent contré eux la vertu de Jésus-Christ
et de ses mérites d'une manière plus immédiate ; mais en d'antres conversions
merveilleuses le Seigneur envoie à ces esprits rebelles des espèces
particulières, par lesquelles il les ébat et les confond, leur représentant
quelques-uns de ses mystères, comme on l'a remarqué plus haut. C'est de cette
manière que s'opéra la conversion de saint Paul, celle de la Madeleine et de
plusieurs autres saints; et la même chose a lieu quand il faut garantir
quelque royaume catholique ou l'Église des trahisons et des méchancetés que
l'enfer invente pour les détruire. Pour des événements semblables,
non-seulement la très-sainte
Humanité , mais aussi la Divinité infinie, avec la
puissance qui est attribuée an Père éternel; se déclare immédiatement centre
tous les démons en la manière que nous venons de dire, leur donnant une
nouvelle connaissance et de nouvelles espèces des mystères et de la
toute-puissance qui doit les opprimer, les vaincre et leur enlever la prise
qu'ils ont faite, ou qu'ils entreprennent de faire.
296. Quand le
très-Haut oppose ces moyens si puissants au dragon
infernal, tout ce royaume de confusion est troublé pendant plusieurs jours
jusqu'au fond dé ses abîmes, la terreur s'y répand, on n'y entend que des
hurlements effroyables, et les démons ne peuvent s'arracher à ce lieu
d'horreur, jusqu'à ce que le Seigneur leur permette d'en sortir pour venir sur
la terre. Mais lorsqu'ils savent qu'ils
131
ont
cette permission, ils se remettent à persécuter les dures avec leur première
fureur. Et quoiqu'il semble que ce soit une chose qui ne s'accorde point avec
leur orgueil, de recommencer le combat contre celui qui les a vaincus,
néanmoins l'envie qu'ils ont contre les hommes, de ce qu'ils peuvent arriver à
la jouissance de Dieu, et la fureur avec laquelle ils désirent les priver de
ce bonheur, l'emportent chez les démons sur la honte de la défaite, et les
déterminent à nous persécuter jusqu'à la fin de notre vie. Que si les péchés
des hommes n'avaient pas offensé d'une manière si excessive la divine
miséricorde, il m'a été découvert que Dieu userait maintes fois de sa
puissance infinie pour défendre bien des rimes, même par une intervention
miraculeuse. Il en userait surtout en faveur du corps mystique de l'Église, et
de certains royaumes catholiques, en déjouant les complots que trame l'enfer
pour perdre la chrétienté, comme nous le voyons de nos propres yeux dans ces
siècles malheureux , où nous ne méritons point que
la puissance divine nous défende; car nous irritons tous communément la
justice du Seigneur, et le monde s'est allié avec l'enfer, à la tyrannie
duquel Dieu permet qu'il se soumette, parce que les hommes s'obstinent de.
plus en plus dans leur déplorable.
aveuglement.
297. Cette protection du
Très-Haut dont nous venons de parler éclata en la conversion de saint Paul;
car il le choisit dès le sein de sa mère, comme le dit le &tint lui-même (1),
le destinant en son entendement
(1) Galat., I, 15.
132
divin à
être son apôtre et un vase d'élection. Jusqu'à la persécution de l'Église, sa
vie se passa au milieu de divers événements sur la portée desquels le démon
prit le change, comme il lui arrive souvent à l'égard d'un grand nombre
d'âmes; mais cet ennemi l'observa dès sa conception, il sonda son caractère et
se préoccupa du soin avec lequel les anges le défendaient et le gardaient.
Leur sollicitude excita sa haine et lui fit chercher les moyens de le faire
périr dans ses premières années. Ce dessein ne lui ayant pas réussi, il tâcha,
su contraire, de lui conserver la vie quand il le vit persécuter l'Église,
comme je l'ai rapporté plus haut. Quand ensuite les anges essayèrent en vain
de faire revenir Saul de cette erreur, par laquelle il s'était si
volontairement livré aux démons, notre puissante Reine accourut à son secours,
regardant cette cause comme la sienne propre; grâce à elle, Jésus-Christ
employa sa vertu divine, et le Père éternel, à son tour, l'arracha de sa main
puissante des griffes du dragon; c'est ainsi qu'il fut confondu et précipité à
l'instant dans l'abîme par la présence de Jésus-Christ, avec tous les démons
qui accompagnaient Saul sur la route de Damas.
298. Lucifer et ses suppôts
sentirent dans cette occasion la force invincible de la toute-puissance
divine; ils en furent tellement accablés et terrifiés, que, pendant plusieurs
jours, ils restèrent immobiles su fond des cavernes infernales. Mais aussitôt
que le Seigneur leur eut ôté de l'intelligence les espèces qu'il leur avait
données pour les confondre, ils ne respirèrent
133
plus que
la vengeance. Et Lucifer ayant convoqué les autres démons, leur adressa ces
paroles Comment est-il possible que j'apaise ma fureur à la vue de tant
d'outrages que je reçois chaque jour de ce Verbe incarné, et de cette femme
qui l'a conçu et enfanté, s'étant fait homme dans son sein? Où est maintenant
ma force? où est ma puissance ?
où est ma fureur? où sont les triomphes que
j'ai remportés sur les hommes, depuis que sans raison Dieu m'a précipité des
cieux dans cet abîme? Il semble, mes amis, que le
Tout-Puissant veuille fermer les portes de ces enfers et ouvrir celles
du ciel, de sorte que par là notre empire sera détruit , et je verrai mes
projeta s'évanouir, moi qui brille du désir d'entraîner dans ces tourments le
reste des hommes. Si Dieu fait tant de merveilles en leur faveur, après les
avoir rachetés par sa mort; s'il leur témoigne tant d'amour; s'il les attire à
son amitié avec tant de force et de prodiges, ils se laisseront sans doute
gagner par un si grand amour et par de pareils bienfaits, fussent-ils aussi
insensibles que les bêtes féroces, et eussent-ils un coeur aussi dur que le
diamant. Ils l'aimeront et le suivront tous, sinon ils sont plus rebelles et
plus obstinés que nous. Quelle âme sera assez stupide pour ne pas se montrer
reconnaissante envers ce Dieu-Homme, qui lui
procure sa propre gloire avec tant de tendresse? Saul était notre ami,
l'instrument de mes desseins, soumis à ma volonté et à mon empire, ennemi du
Crucifié, et je lui réservais les tourments les plus cruels dans cet enfer.
Pourtant il me l'a arraché
134
des
mains lorsque je m'y attendais le moins, et de son bras fort et puissant il a
élevé un petit homme terrestre à une grâce et à des faveurs si sublimes, que
nous-mêmes ses ennemis nous ne pouvons nous défendre d'une espèce
d'admiration. Qu'est-ce qu'a fait Saul pour acquérir un bonheur si
extraordinaire? N'était-il pas à mon service, exécutant mes ordres et bravant
Dieu lui-même? Or, s'il a été si généreux envers lui, que ne sera-t-il pas
envers de moindres pécheurs! Quand même il ne les convertirait pas avec
d'aussi grandes merveilles, il les appellera et les attirera à lui par le
baptême et par les autres sacrements, au moyen desquels il y en a tant qui
sont justifiés chaque jour. Cet exemple si rare suffira pour qu'il attire le
monde entier, tandis que pour détruire l'Église je prétendais me servir de ce
Saul qui la défendra maintenant avec un intrépide courage. Faut-il que je voie
la vile nature humaine élevée à la félicité et à la grâce que j'ai perdues, et
quelle entre dans les cieux d'où j'ai été chassé? Cela me tourmente plus dans
ma propre fureur que le feu qui me brille. J'enrage de ne pouvoir m'anéantir.
Pourquoi Dieu ne le fait-il pas, et me condamne-t-il à un pareil supplice?
Mais puisqu'il en est ainsi, dites-moi, mes sujets, que ferons-nous contre ce
Dieu si puissant? Nous ne pouvons rien contre lui, mais nous pouvons nous en
venger sur les hommes qu'il aime tant, puisqu'en cela nous bravons sa volonté.
Et comme ma grandeur est plus que jamais irritée contre cette femme notre
ennemie, qui lui a donné l'être humain, je veux de nouveau
135
essayer
de la détruire et de me venger de l'injure qu'elle nous a faits en nous ôtant
Saul et en nous chassant dans cet enfer. Je ne serai point satisfait que je ne
l'aie vaincue. Je jure donc de tourner contre elle tous les artifices que j'ai
inventés contre Dieu et contre les hommes, depuis que j'ai été précipité dans
cet abîme. Suivez-moi tous, pour m'aider dans cette entreprise et pour
exécuter ma volonté. »
299. Ce fut là le discours
de Lucifer; quelques démons répondirent en ces termes : « Notre chef, nous
sommes prêts à vous obéir, sachant combien cette femme notre ennemie nous
opprime et nous tourmente; mais nous avons sujet de craindre qu'elle seule
elle ne nous résiste, et ne se joue de toutes nos mesures et de toutes nos
tentations; car nous avons vu en d'autres circonstances combien elle nous est
supérieure en force. Ce qui la touchera le plus sensiblement, ce sera que nous
entreprenions quelque chose contre les imitateurs de son Fils, parce qu'elle
les aime comme une mère et en prend le plus grand soin. Il faut donc que nous
persécutions en même temps les fidèles, puisque nous avons de notre côté tous
les Juifs incrédules, qui sont irrités contre cette nouvelle Église du
Crucifié; et, avec le concours des pontifes et des pharisiens, nous
obtiendrons sur ces fidèles tous les avantages que nous souhaitons, et ensuite
vous tournerez toute votre fureur contre cette femme. » Lucifer approuva ce
conseil, et témoigna en savoir bon gré à ceux qui l'avaient proposé; de sorte
qu'ils résolurent de venir détruire l'Église par l'entremise
136
de
nouveaux agents, comme ils l'avaient entrepris par celle de Saul. De cette
résolution résultèrent les conséquences que je rapporterai plus loin, et le
combat que la bienheureuse Marie soutint contre le dragon et ses démons,
remportant sur eux, pour la sainte Église, les grandes victoires dont j'ai
dit, au chapitre sixième de la première partie, que je réservais le récit pour
cet endroit.
Instruction que
la grande Reine des anges m'a donnée.
300. Ma fille, vous ne
parviendrez jamais à faire entièrement comprendre dans la vie mortelle par vos
humaines paroles l'envie que Lucifer et ses démons ont contre les hommes, ni
la malice, les ruses, la perfidie et la fureur avec lesquelles ils les
persécutent pour les faire tomber dans le péché, et ensuite dans les peines
éternelles. Ils tâchent d'empêcher toutes les bonnes oeuvres qu'ils peuvent
faire, et s'ils en font quelques-unes, ils les calomnient et travaillent à en
dénaturer le caractère, à en détruire les effets. Quant aux oeuvres mauvaises,
ils prétendent introduire dans les dînes toutes celles que leur malice peut
inventer. La protection divine est admirable contre cette extrême méchanceté,
mais les mortels n'y coopèrent pas de leur côté. C'est pour cette raison que
187
l'Apôtre les exhorte à marcher prudemment parmi les piéges que-les démons leur
tendent, et à vivre non comme des insensés, mais comme des hommes sages, et de
racheter le temps, parce que les jours de la vie d'ici-bas sont mauvais et
remplis de périls (1). Et il leur dit, dans un autre endroit, d'être fermes et
inébranlables pour abonder en toutes sortes de bonnes oeuvres, et d'être
assurés que le Seigneur ne laissera point leur travail sans.
récompense (2). Lucifer connaît cette vérité et il
la craint, c'est pourquoi il emploie toute sa malice pour décourager les âmes
; quand elles ont commis quelque péché, afin de les dégoûter des bonnes
oeuvres, et de leur ôter les armes avec lesquelles les saints anges les
défendent et font la guerre aux démons. Et quoique ces oeuvres dans le pécheur
ne soient point animées de la charité, et n'aient point cette vie de la grâce
qui fait mériter la gloire, elles sont néanmoins d'une grande utilité pour
celui qui les fait. Et il arrive quelquefois que, quand il s'accoutume à les
faire, la divine miséricorde condescend à lui donner des secours plus
efficaces pour faire ces mêmes oeuvres avec plus de plénitude et de ferveur,
avec une plus vive douleur de ses péchés et une véritable charité, par
lesquelles il obtient la justification.
301. Quand le pécheur fait
une bonne action, nous qui sommes dans la gloire, nous prenons de là quelque
motif pour le défendre de ses ennemis, et pour prier
(1) Ephes., V, 15 et 16. — (2) II Cor., XV, 58.
138
la
miséricorde divine de le regarder et de le tirer du péché. Les bienheureux
sont aussi bien aises que les mortels les invoquent avec ferveur dans leurs
périls et dans leurs besoins, et qu'ils aient envers eux une tendre dévotion.
Que si les saints dans la gloire sont si portés par .la grande charité qu'ils
ont à secourir les hommes dans les dangers qui les environnent, et dans les
persécutions du démon qu'ils connaissent, vous ne devez pas, ma
très-chère fille, être étonnée de ma compassion
pour les pécheurs qui m'invoquent et qui ont recours à ma clémence pour leur
salut; car je le leur souhaite infiniment plus qu'ils ne le désirent
eux-mêmes. On ne saurait compter ceux que j'ai délivrés de la fureur du dragon
infernal pour avoir eu une certaine dévotion envers moi, n'eût-elle abouti
qu'à réciter un Ave Maria, ou à prononcer une seule parole en mon honneur et
pour m'invoquer. Ma charité envers eux est si grande, que, sils avaient
recours à moi à temps et avec sincérité, il n'en périrait aucun. Mais les
pécheurs et les réprouvés ne le font pas , parce
qu'ils ne s'inquiètent pas des blessures spirituelles du péché, comme n'étant
pas sensibles au corps; et plus elles sont réitérées, moins elles causent de
douleur, car le second péché est une blessure faite à un corps mort, qui ne
saurait ni craindre, ni prévoir, ni sentir le coup qu'il reçoit.
302. De cette funeste
insensibilité provient chez les hommes l'oubli de leur damnation éternelle, et
cher. les démons l'ardeur avec laquelle ils les y
poussent. Et sans que les infortunés sachent sur quoi ils
139
fondent leur fausse sécurité, ils demeurent tranquilles dans leur propre mal,
lorsqu'ils devraient en redouter les suites et méditer sur la mort éternelle
qui les menace de fort près, ou lorsqu'ils devraient au moins songer, pour
obtenir le salut , à recourir au Seigneur, à moi et aux saints. Mais ils
négligent même de faire une demande qui leur colite si peu, jusqu'au moment où
elle ne peut plus être accueillie parce qu'ils la font sans les conditions
requises. Que si je procure le salut à quelques personnes à leur dernière
heure, parce que je vois combien il a coûté à mon
très-saint Fils de les racheter, c'est là un privilège qui ne saurait
être une règle commune pour tout le monde. Ainsi se damnent tant d'enfants de
l'Église qui, aussi ingrats qu'insensés, méprisent les secours si nombreux et
si puissants que la clémence divine leur offre au temps le plus opportun. Quel
surcroît de confusion pour eux, qui, connaissant la miséricorde du Très-Haut
et la bonté avec laquelle je veux les secourir, et la charité des saints pour
intercéder en leur faveur, n'ont voulu donner ni à Dieu la gloire, ni à moi,
aux anges et aux saints la joie que nous aurions eue de les sauver s'ils nous
eussent invoqués de tout leur coeur.
303. Je veux, ma fille,
vous découvrir un autre secret. Vous savez que mon Fils et mon Seigneur dit
dans l'Évangile que les anges se réjouissent dans le ciel lorsqu'un pécheur
fait pénitence et entre dans le chemin de la vie éternelle par le moyen de sa
justification (1). Il en est de même, sous un autre rapport,
(1) Luc., XV, 10.
140
lorsque
les justes font des oeuvres de véritable vertu , qui leur méritent de nouveaux
degrés de gloire. Or, ce qui se passe dans le ciel à la conversion des
pécheurs et à raison de l'accroissement des mérites des justes, se reproduit
en sens inverse chez les démons et dans l'enfer, lorsque les justes pèchent ou
que les pécheurs commettent de nouvelles fautes. Car les hommes n'en
commettent aucune, quelque légère qu'elle soit, que les démons n'en aient une
satisfaction particulière. C'est pourquoi ceux qui les tentent en donnent
aussitôt avis à ceux qui sont dans les prisons éternelles, afin qu ils s'en
réjouissent et qu'ils connaissent ces nouveaux péchés qu ils enregistrent dans
leur mémoire, pour en accuser les coupables devant le juste juge, afin qu'ils
sachent par là qu'ils ont une plus grande juridiction sur les malheureux
pécheurs qu'ils ont réduits sous leur empire, plus ou moins, selon l'énormité
des péchés qu'ils ont commis; telle est la haine qu'ils ont contre les hommes
et la trahison qu'ils leur font, lorsqu'ils les trompent par quelque plaisir
passager et apparent. Mais le Très-Haut, qui est juste en toutes ses oeuvres,
a aussi ordonné, comme en punition de cette méchanceté, que la conversion des
pécheurs et les bonnes oeuvres des justes causassent aussi un tourment
particulier à ces ennemis, qui, dans leur extrême malice, se réjouissent de la
perte des hommes.
304. Cet ordre de la divine
Providence tourmente fort tous les démons; car
non-seulement ce châtiment les confond et les accable dans la haine
mortelle qu'ils ont contre les hommes, mais, en outre, par les victoires que
les saints et les pécheurs convertis remportent sur eux, le Seigneur leur ôte
une grande partie des forces que leur ont données et que leur donnent ceux qui
se laissent séduire par leurs mensonges, et qui pèchent contre leur Dieu
véritable. Dans ces occasions, les démons font peser sur les damnés le nouveau
tourment qu'ils subissent; et comme il y a dans le ciel une nouvelle joie pour
toutes les bonne oeuvrés et pour la pénitence des pécheurs, il y a aussi dans
l'enfer, lorsque les démons entrent en fureur, une nouvelle confusion, un
nouveau désespoir, qui cause de nouvelles peines accidentelles à tous les
habitants de ce séjour d'horreur. C'est de cette manière que le ciel et
l'enfer prennent une part égale, mais par des effets si contraires, à la
conversion et à la justification du pécheur. Lorsque les âmes sont justifiées
par le moyen des sacrements, spécialement par la confession faite avec une
véritable douleur, il arrive maintes fois que, les démons n'osent plus,
pendant quelque temps, paraître devant le pénitent, et perdent même, pour des
heures entières, la hardiesse de le regarder, si lui-même ne leur rend des
forces par ses ingratitudes envers Dieu, et en s'exposant de nouveau aux
occasions du péché; car dans ce cas les démons s'affranchissent de la crainte
que leur ont causée la véritable pénitence et la justification.
305. La tristesse et la
douleur sont bannies du ciel; mais, si elles n'y étaient pas impossibles, rien
142
au
monde n'affligerait les bienheureux autant que de voir celui qui a été
justifié retomber dans le péché et perdre de nouveau la grâce, et le pécheur
s'en éloigner de plus en plus et se mettre comme dans l'impossibilité de la
recouvrer. La malice du péché est telle, que naturellement il serait capable
de contrister le ciel, comme la vertu et la pénitence tourmentent réellement
l'enfer. Or considérez, ma très-chère fille, dans
quelle ignorance dangereuse de ces vérités vivent communément les mortels,
privant le ciel de la joie qu'il recevrait de la justification de leur âme;
Dieu, de la gloire extérieure qui lui en résulterait; et l'enfer, du châtiment
qui est infligé aux démons, parce qu'ils se réjouissent de la chute et de la
perte des hommes. Je veux, ma fille, que vous tâchiez, comme une servante
fidèle et prudente, de profiter des lumières dont vous êtes favorisée, pour
réparer ces maux. Vous devez aussi vous approcher toujours du sacrement de la
pénitence avec ferveur, avec respect et avec une intime douleur de vos péchés;
car ce remède cause une grande terreur au dragon, qui fait tous ses efforts
pour tromper les âmes et les porter par ses artifices à recevoir ce sacrement
avec tiédeur, par coutume, sans douleur et sans les dispositions requises. Et
le démon fait ces efforts, non-seulement afin de
perdre les âmes, mais encore afin d'éviter le tourment qu'il ressent à la vue
d'un vrai pénitent dûment justifié, qui l'accable et le confond dans la
malignité de son orgueil.
306. Je vous avertis
encore, ma bien-aimée, que,
143
quoique ce soit une vérité infaillible que ces dragons infernaux soient les
auteurs et les maîtres du mensonge, qu'ils traitent avec les hommes dans
l'intention de les tromper en tout, et qu'ils prétendent toujours, par un
redoublement de malice, leur transmettre l'esprit d'erreur par lequel ils les
perdent; néanmoins, lorsque ces ennemis, dans leurs conciliabules, délibèrent
ensemble et discutent entre eux les résolutions perfides qu'ils prennent pour
tromper les mortels, alors ils traitent de quelques vérités qu'ils connaissent
et qu'ils ne peuvent nier; car ils les comprennent toutes, et s'ils les
communiquent aux hommes, ce n'est pas pour les leur enseigner, mais pour les
jeter dans les ténèbres, en les leur proposant mêlées avec des erreurs et des
faussetés dont ils se servent pour assurer le succès de leurs desseins impies.
Et comme vous avez révélé dans ce chapitre et dans toute cette histoire les
secrets de tant de conciliabules et de complots de la malice de ces esprits
malfaisants, ils sont fort irrités contre vous, parce qu'ils s'imaginaient que
ces secrets n'arriveraient jamais à la connaissance des hommes, et qu'ils ne
seraient point informés non plus de ce qu'ils machinent contre eux dans leurs
assemblées. C'est pour cette raison qu'ils déploieront toute leur fureur pour
se venger de vous; mais le Très-Haut vous assistera si vous l'invoquez, et si
vous trichez vous-même de briser la tète du dragon. Demandez aussi au Seigneur
que, par sa divine clémence, ces avis et ces instructions que je vous donne
servent à détromper
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les
mortels, et priez-le de leur communiquer sa divine lumière, afin qu'ils
profitent de ce bienfait. Soyez vous-même la première à y correspondre de
votre côté avec toute la fidélité possible, comme celle qui est la plus
obligée entre tous les enfants de ce siècle; car, comme vous recevez
davantage, votre ingratitude serait plus horrible et le triomphe des démons;
vos ennemis, serait plus grand, si, connaissant leur méchanceté, vous ne
faisiez tous vos efforts pour les vaincre avec la protection du Très-Haut et
avec l'assistance de ses anges.
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