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Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
CHAPITRE XVI. La bienheureuse Marie tonnait les desseins qu'a formés Lucifer
pour persécuter l'Église. — Elle en demande dans le ciel le remède, en la
présence du Très-Haut. — Elle avertit les apôtres. — Saint Jacques va prêcher
en Espagne, où la sainte Vierge le visite une fois.
307. Lorsque, après la
conversion de saint Paul, Lucifer et les princes des ténèbres délibéraient de
se venger de l'auguste Marie et des enfants de l'Église, comme il a été
rapporté dans le chapitre précédent, ils ne pensaient point que la vue de la
grande Reine de l'univers pénétrât ces obscures et profondes
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cavernes
de l'enfer, et ce qu'il y avait de plus secret dans leur conseil d'iniquité.
Dans cette assurance trompeuse, ces cruels dragons se promettaient une
victoire plus certaine, et se flattaient de ne trouver aucun obstacle à
l'exécution de leurs desseins contre elle et contre les disciples de son
très-saint Fils. Mais la bienheureuse Mère
regardait de sa retraite, à la clarté de sa divine science, tout ce que ces
ennemis dé la lumière déterminaient. Elle connut tous leurs projets et tous
les moyens qu'ils imaginèrent pour en venir à bout, leur colère contre Dieu et
contre elle, et leur haine mortelle contre les apôtres et contre.
les autres fidèles de l'Église. Et quoique la
très-prudente Dame considérât que les démons ne
pouvaient rien exécuter de leur malice sans la permission du Seigneur,
néanmoins, comme le combat est inévitable dans la vie mortelle, et qu'elle.
connaissait la fragilité humaine et l'ignorance où
sont communément les hommes des artifices que les démons emploient pour les
perdre, elle fut très-affligée de la prévision des
desseins si perfides que couvaient les ennemis pour l'extermination des
fidèles.
308. Outre cette science et
cette charité suréminente émanée si directement de celle du Seigneur lui-même,
elle reçut une autre prérogative, qui consistait en une activité infatigable
semblable à l'être de Dieu, qui opère toujours par un acte
très-simple; car la
trés-diligente Mère était d'une manière permanente dans l’amour actuel
de la gloire du Très-Haut, comme incessamment animée d'un zèle actuel pour
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sa
gloire et pour le salut et la consolation de ses enfants. Elle contemplait les
mystères les plus sublimes, elle confrontait le passé avec le présent, et l'un
et l'autre avec l'avenir, qu'elle prévoyait avec une sagesse plus qu'humaine.
Le très-ardent désir qu'elle avait du salut de
tous les enfants de l'Église, et la compassion maternelle qu'elle sentait de
leurs peines et des dangers qui les environnaient, l'obligeaient à regarder
comme siennes toutes la tribulations qui devaient les affliger, et, autant
qu'il dépendait de son amour, elle souhaitait les souffrir en leur lieu et
place, si cette substitution eût été possible, afin que les autres imitateurs
de Jésus-Christ travaillassent avec joie dans l'Église, méritant la grâce et
la vie éternelle, et qu'elle seule fût chargée de toutes leurs peines et de
toutes leurs afflictions. Sans doute d'après l'équité de la Providence divine
cela n'était pas possible, mais nous n'en sommes pas moins redevables à la
charité de la bienheureuse Marie de ce rare et merveilleux dévouement,
d'autant plus que parfois la volonté de Dieu s'y prêtait pour satisfaire son
amour et en adoucir les angoisses, en permettant qu'elle souffrit pour nous,
et qu'elle nous méritât en même temps de grands bienfaits.
309. Elle ne connut point
en particulier ce que les démons tramaient contre elle dans ce conciliabule;
elle comprit seulement que contre elle était leur plus grande fureur. Au
reste, ce fut par une disposition divine qu'elle n'eut pas connaissance de
toutes leurs mesures, afin que le triomphe qu'elle
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devait
remporter sur tout l'enfer fût plus glorieux, comme on verra dans la suite.
Cette prévoyance des tentations et des persécutions que notre invincible Reine
devait souffrir, n'était d'ailleurs pas nécessaire comme elle l'était en ce
qui concernait les, antres, fidèles, qui n'avaient pas le coeur aussi ferme et
aussi intrépide, et dont elle connut d'une manière particulière les peines et
les tribulations. Et comme dans toutes les affaira elle avait recours à la
prière pour consulter le Seigneur, enseignée qu'elle était par la doctrine et
par l'exemple de son très-saint Fils, elle
l'employa aussitôt; et s'étant retirée dans sa solitude, elle se prosterna,
selon sa coutume, avec un profond respect et avec une ferveur admirable, et
elle dit
310. « Souverain Seigneur,
Dieu éternel, incompréhensible et saint, voici votre humble servante
prosternée devant votre divine Majesté. Je vous supplie, Père éternel, par
votre Fils unique et mon Seigneur Jésus-Christ, de ne pas rejeter la prières
et les gémissements que du plus intime de mon âme je présente devant
votre charité immense, et avec celle que vous avez tirée du foyer ardent de
votre coeur amoureux pour la communiquer à votre esclave. Au nom de
toute votre Église, de vos apôtres et serviteurs fidèles, je vous
présente, Seigneur, le sacrifice de la mort et da sang de votre Fils
unique, celui de son adorable corps consacré, les prières qu'il vous a
offertes dans le temps qu'il vivait eu sa chair mortelle et
passible, et qui vous furent si agréables; l'amour avec lequel il a pris
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la forme
humaine dans mon sein pour racheter le monde, le privilège que j'ai eu de l'y
porter pendant neuf mois, et de le nourrir ensuite de mon propre lait, je vous
présente tout cela, mon Dieu, afin que vous me donniez la permission de vous
demander ce que mon coeur dédire et qui n'est pas haché à vos yeux. »
311. Durant cette prière
notre auguste Reine fut ravie en une divine extase, dans laquelle elle vit son
Fils unique qui priait le Père éternel, à la droite duquel il était,
d'accorder ce que sa très-sainte Mère demandait,
puisque toutes ses prières méritaient d'être exaucées, parce qu'elle était sa
Mère véritable et en tout fort agréable en son acceptation divine. Elle vit
aussi que le Père éternel était porté à lui encorder ce qu'elle souhaitait et
qu'il recevait ses prières avec complaisance, et que, la regardant avec une
douceur ineffable, il lui disait Marie, ma Fille, montez plus haut. A cette
parole du Père éternel, une multitude innombrable d'anges de différents ordres
descendit du ciel, et arrivés près de la bienheureuse Vierge, toujours
prosternée la face contre terre, ils la relevèrent. Puis ils la transportèrent
dans l'empyrée, et la déposèrent devant le trône de la
très-sainte Trinité, qui lui fut manifestée par une vision
très-sublime, quoique ce ne fût point
intuitivement, mais par des imagea représentatives. Elle se prosterna devant
le trône, et adora avec la plus profonde humilité l'être de Dieu dans les
trois personnes divines; elle rendit. des actions
de grâce à son très-saint
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Fils
de ce qu'il avait présenté sa prière au Père éternel, et le supplia de la lui
présenter de nouveau. Notre adorable Sauveur, qui, à la droite du Père,
reconnaissait la Reine du ciel pour sa digne Mère, ne voulut point oublier
l'obéissance qu'il lui avait témoignée sur la terre (1); mais il renouvela en
présence de tous les courtisans célestes cette reconnaissance de Fils, et
comme tel il présenta de nouveau au Père les désirs et les prières de sa
bienheureuse Mère. Le même Père éternel répondit en ces termes :
312. « Mon Fils, en qui ma
volonté sainte trouve la plénitude de mes complaisances (2), je suis attentif
aux gémissements de votre Mère, est ma clémence est portée à exaucer tans ses
désirs et a toutes ses prières. Puis, s'adressant à la très pure Marie, il lui
dit : « Ma bien-aimée, ma Fille, mon élue entre mille comme l'objet de mes
complaisances, vous êtes l'instrument de ma toute-puissance et la dépositaire
de mon amour; calmez vos inquiétudes, et dites-moi, ma Fille, ce que vous
demandez; car ma volonté est toute portée à satisfaire vos désirs et vos
prières, qui sont saintes à mes yeux. Avec cette permission l'auguste Marie
parla, et elle dit : « Père éternel, Dieu de mon âme, qui donnez et conservez
l'être à tout ce
qui est
créé, mes prières et mes désirs sont pour votre sainte Église. Jetez sur elle
les yeux de votre miséricorde, et considérez qu'elle est l'oeuvre de
(1) Luc., II, 15. — (2) Matth., XVII, 5.
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Votre
Fils unique incarné, acquise et fondée par son propre sang (1). Le dragon
infernal et tous vos ennemis, ses alliés, s'élèvent de nouveau contre
elle, et complotent la ruine et la perte de vos à fidèles, qui sont le fruit
de la rédemption que votre Fils et mon Seigneur a opérée. Confondez les
conseils iniques de cet ancien serpent, et défendez vos serviteurs les
apôtres et les autres fidèles de l'Église. Et afin qu'ils soient
délivrés des embûches, de la fureur et des persécutions de ces ennemis,
faites, Seigneur, qui elles se dirigent a toutes contre moi, s'il est
possible. Je ne suis qu'une seule pauvre créature, et vos serviteurs
sont nombreux; faites qu'ils jouissent de vos faveurs et de la tranquillité
nécessaire pour qu'ils puissent travailler à votre exaltation et à votre
gloire, et que je souffre , moi seule, les tribulations dont ils sont
menacés. Je combattrai vos ennemis, et vous les vaincrez et les confondrez
dans leur malice par la puissance de votre bras. »
313. « Mon Épouse et ma
bien-aimée, répondit le Père éternel, vos désirs sont agréables à mes
yeux, et je satisferai à vos demandes en ce qui est possible. Je
défendrai mes serviteurs autant qu’il est convenable pour ma gloire ; et
je les laisserai souffrir autant qu'il faut qu'ils souffrent pour mériter
leur couronne. Et afin que vous pénétriez le secret de ma sagesse avec
laquelle il convient de dispenser
(1) Act., XX, 28.
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ces
mystères, je veux que vous montiez sur mon trône, où votre ardente charité
vous donne place dans le consistoire de notre grand conseil, et vous
rend spécialement participante de nos divins attributs. Venez, ma bien-aimée,
et vous entendrez nos secrets pour le gouvernement de l'Église et
pour ses progrès, et vous exécuterez votre volonté, qui sera la
nôtre , telle que nous allons vous la
manifester maintenant. » A la force de cette très-douce
voix, la bienheureuse Marie comprit qu'elle était élevée sur le trône de la
Divinité, et placée à la droite de son Fils unique, à l'admiration et à la
joie de tous les bienheureux, qui connurent la voix et la volonté du
Tout-Puissant. Et ce fut véritablement une chose nouvelle et merveilleuse pour
tous les anges et tous les saints, de voir qu'une femme en chair mortelle fût
élevée et appelée sur le trône du grand conseil de la
très-sainte Trinité, pour lui faire part des mystères qui étaient
cachés aux autres, et renfermés dans le sein de Dieu même pour le gouvernement
de son Église.
314. Il
paraitrait dans le monde tout à fait
extraordinaire que dans une ville quelconque une femme fût appelée aux
assemblées où l'on traite du gouvernement public. Il paraîtrait encore plus
étrange quelle fût introduite dans les tribunaux et dans lés assemblées des
suprêmes conseils, où l'on décide les affaires les plus importantes des
royaumes, Cette nouveauté paraîtrait avec raison fort dangereuse, puisque
Salomon dit qu'il a cherché la vérité et la raison
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parmi
les hommes, et que sur mille il en a trouvé un qui la découvrait; mais que,
parmi les femmes il n'en a trouvé aucune (1). Il en est si peu qui aient le
jugement ferme et droit, à cause de la faiblesse de leur sexe,
qu'ordinairement on ne le présume chez aucune; et s'il y en a plusieurs,,elles
ne font pas nombre pour s'occuper des grandes affaires, sans autres lumières
que les lumières ordinaires et naturelles. Cette loi commune ne s'appliquait
point à notre auguste Reine; car si notre mère Ève commença, dans sa folle
ignorance, à détruire la maison de ce monde que Dieu avait construite,
l'auguste Marie, qui fut très-sage et la Mère de
la Sagesse (2), la releva et la restaura par son incomparable prudence et par
cette même vertu elle fat digne d'entrer dans le conseil de la
très-sainte Trinité, ou les trois personnes
divines traitaient de cette réparation.
315. Là il lui fut, de
nouveau demandé ce qu'elle souhaitait, pour elle et pour toute la sainte
Église, particulièrement. pour, les apôtres et les
disciples du Seigneur. La très-prudente Mère
exposa une seconde fois les voeux ardents qu'elle formait pour la gloire et
l'exaltation du saint nom du Très-Haut, et pour le soulagement des fidèles
dans la persécution que les ennemis du Seigneur allaient susciter contre eux.
Et quoique sa sagesse infinie connut tout ce qui devait arriver, néanmoins il
ordonna à notre auguste Dame de le proposer pour l'approuver et s'y complaire;
et pour
(1) Eccles., VII, 28 28, — (2) Eccles., XXIV, 34.
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la
mieux instruire des nouveaux mystères de la divine sagesse et de là
prédestination des élus, Pour faire bien comprendre ce que j'ai appris de ce
mystère, je m'explique en disant que, comme la volonté de la bienheureuse
Marie était très-droite,
très-sainte, et en tout extrêmement conforme et agréable à celle de
l'adorable Trinité, il semble, selon notre manière de concevoir, que Dieu ne
pouvait rien vouloir de contraire à la volonté de cette
très-pure Dame, dont la sainteté ineffable l'attirait à la volonté de
cette Épouse bien-aimée, unique entre toutes les créatures, dont les regards
et la chevelure le blessaient (1), et que le Père éternel traitait comme sa
fille, le Fils comme sa Mère, le Saint-Esprit comme son Épouse, après lui
avoir ensemble remis l'Église, tant leur coeur se confiait en elle (2). Par
tous ces titres les trois divines personnes ne voulaient ordonner l'exécution
d'aucune chose sans la consultation, sans la sagesse, et presque sans le bon,
plaisir de cette Reine de l'univers.
316. Mais afin que la
volonté du très-Haut et celle de la bienheureuse
Vierge concordassent en ces décrets, il fallut que cette grande Dame reçut
premièrement une nouvelle participation de la divine science et des conseils
très-secrets de sa providence, suivant lesquels il
dispose toutes les choses de ses créatures, leurs fins et leurs moyens avec
poids et mesure (3) avec une souveraine. équité et
avec une convenance admirable C'est pour cela qu'il fut donné dans cette
(1) Cant., IV, 9. — (2) Prov., XXXI, 11. — (2) Sap.,
XI, 21.
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occasion
à la très-pure Marie une nouvelle et très claire
lumière de tout ce qu il convenait que la puissance divine opérât et disposât
dans l'Église militante. Elle sut les raisons mystérieuses de toutes ces
choses, combien d'apôtres devaient souffrir et mourir avant qu'elle quittât la
terre, les peines et les afflictions qu'il fallait qu'ils souffrissent pour le
nom du Seigneur, la nécessité de ces épreuves, selon les secrets jugements du
Seigneur et la prédestination des saints, et qu'ils devaient établir l'Église
en versant leur propre sang, comme leur Maître et leur Rédempteur avait versé
le sien pour la fonder sur sa passion et sur sa mort. Elle comprit aussi que
par cette connaissance qu'elle avait de ce qu'il était convenable que les
apôtres et les imitateurs de Jésus-Christ souffrissent, elle réparait par sa
propre douleur et par sa compassion tout ce qu'elle ne souffrirait point et
qu'elle souhaitait souffrir, tandis qu'il fallait nécessairement qu'ils
passassent par ces afflictions, si courtes et si légères, pour arriver à la
récompense éternelle qui les attendait (1). Elle savait déjà que saint Jacques
ne tarderait pas à subir le martyre, et qu'en même temps saint Pierre serait
mis en prison; mais afin que notre grande Dame eût une plus abondante matière
d’augmenter son propre mérite, il ne lui fut pas déclaré alors que l'ange
mettrait en liberté le vicaire de Jésus-Christ. Elle comprit enfin que le
Seigneur accorderait .à chacun des apôtres et des
(1) II Cor., IV, 17.
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fidèles
le genre de peines et de martyre proportionné aux forces de sa grâce et de son
esprit.
317. Et afin de satisfaire
en tout la très-ardente charité de la bienheureuse
Mère, le Seigneur lui accorda de combattre de nouveau pour son honneur les
dragons infernaux , et de remporter sur eux les
victoires et les triomphes auxquels les antres mortels ne pouvaient pas
aspirer; de leur écraser par ce moyen la tète, et de les confondre dans leur
orgueil, pour les affaiblir dans leur lutte contre les enfants de l'Église.
Afin de la préparer à ces combats, les trois divines personnes lui
renouvelèrent tous les dons et la participation des attributs divins, et lui
donnèrent leur bénédiction. Les saints anges la replacèrent ensuite dans
l'oratoire du Cénacle, de la même manière qu'ils l'avaient transportée dans
l'empyrée. Aussitôt qu'elle fut sortie de ce ravissement, elle se prosterna
les bras en croix, et avec nue humilité incroyable et des larmes de tendresse
elle rendit des actions de grâces au Tout-Puissant
pour ce nouveau bienfait dont il l'avait favorisée, et pendant lequel elle
n'oublia point les privilèges de son incomparable humilité. Elle s'entretint
quelque temps avec les saints anges des mystères qui lui avaient été
découverts, et des besoins de l'Église, afin qu'ils s'employassent dans leur
ministère à ce qui était le plus pressant. Jale crut qu'il était convenable de
prévenir de certaines choses les apôtres, et de les encourager en les
préparant aux épreuves que l'ennemi commun leur susciterait, parce que c’était
contre eux qu'il dressait
156
sa plus
grande batterie. Elle paria pour ce sujet à saint Pierre, à saint Jean, et aux
autres qui se trouvaient à Jérusalem; et elle leur donna avis de plusieurs
choses particulières qui leur arriveraient à eux et à toute la sainte Église.
Elle leur confirma aussi la nouvelle qu'ils avaient de la conversion de saint
Paul, leur déclarant le zèle avec lequel il prêchait le nom et la loi de leur
adorable Maître.
318. Elle envoya des anges
aux apôtres et aux disciples qui étaient hors de Jérusalem, afin qu'ils leur
donnassent connaissance de la conversion de saint Paul, et qu'ils les
prévinssent et les encourageassent parles mêmes avis que notre auguste Reine
avait donnés à ceux qui se trouvaient présents. Elle chargea spécialement l'un
des saints anges d'avertir saint Paul des embûches que le démon lui dressait
de l'animer et de l'affermir tu l'espérance de la faveur divine su milieu de
ses tribulations. Les anges obéirent à leur grande Reine, remplirent ces
missions avec cette promptitude qui leur est ordinaire, et se manifestèrent
sous une forme visible aux apôtres et aux disciples vers, lesquels elle les
envoyait. Cette faveur singulière de la bienheureuse Marie leur causa une joie
incroyable et redoubla leur courage; chacun d'eux lui répondit par la voie des
mêmes anges avec une humble reconnaissance, lui promettant de mourir
volontiers pour l'honneur de leur divin Rédempteur. Saint Paul se distingua en
cette réponse, parce que sa dévotion envers sa protectrice, jointe à
l'impatient désir qu'il avait de la voir et de lui donner des
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marques
de sa gratitude, le pressait d'exprimer plus vivement les sentiments de son
zèle et de sa soumission. Il était alors à Damas où il prêchait et disputait
avec les Juifs de diverses synagogues; mais fort peu de temps après il alla
prêcher dans l'Arabie, d'où il revint à Damas, comme je le dirai plus loin:
319. Saint Jacques le
Majeur était plus éloigné qu'aucun des apôtres; car, ainsi qu'on l'a vu, il
fut le premier qui sortit de Jérusalem pouf aller prêcher la foi, et ayant
prêché quelques jours en Judée, il passa en Espagne. Pour ce voyage il
s'embarqua au port de Joppé, qui est maintenant
appelé Jaffa. Ce fut eu l'an du Seigneur 35, au mois d'août, que l'on appelait
sextile, un an et cinq mois après la passion du même Seigneur, huit mois après
le martyre de saint Étienne, et cinq mois avant la conversion de saint Paul,
selon ce que j'ai rapporté dans les chapitres onzième et quatorzième de cette
troisième partie. Saint Jacques se rendit de Jaffa en Sardaigne, et, sans
s'arrêter dans cette île, il arriva dans fort peu de temps en Espagne, et
débarqua au port de Carthagène, où il se mit à prêcher. Il ne demeura que
quelques jours à Carthagène, et, conduit par l'esprit du Seigneur, il prit le
chemin de Grenade, on il connut que la moisson était grande, et les
circonstances favorables pour souffrir toutes sortes de peines pour son divin
Maître, comme il arriva en effet.
320. Avant d'en parler, je
rappelle que notre grand apôtre saint Jacques fut un des serviteurs les plus
158
chers,
un des favoris de la Reine de l'univers. Elle ne le distinguait pas beaucoup
par des marques;extérieures, à cause de l'égalité prudente avec laquelle elle
les traitait tous (comme je l'ai fait remarquer dans le chapitre onzième), et
parce que saint Jacques était son parent; que si saint Jean comme son frère
avait aussi la même parenté avec la très-pure
Marie, elle avait des raisons qui la dispensaient de garder envers lui la même
mesure; car tout le collège des apôtres savait que le Seigneur, étant sur la
croix, l'avait choisi pour être le fils de sa très-sainte
Mère (1); ainsi il n'y avait point d'inconvénient pour les apôtres à ce
qu'elle distinguât saint Jean par quelques témoignages extérieurs, comme il y
en aurait eu si cela fût arrivé à l'égard de son frère saint Jacques ou de
quelque autre; mais notre très-prudente Reine
avait intérieurement pour saint Jacques une affection toute particulière (dont
j'ai dit quelque chose dans la, seconde partie), et elle se plut à la lui
témoigner par les faveurs les plus spéciales qu'elle lui fit pendant tout le
temps qu'il vécut jusqu'à son martyre. Saint Jacques les mérita par l'intimé
dévotion et le profond respect qu'il avait pour l'auguste Vierge, de la
protection de laquelle il eut un si singulier besoin; car il avait le coeur si
généreux et si intrépide, et l’esprit si ardent, qu'il s'exposait à toute
sorte de peines et de dangers avec un courage invincible. C'est pourquoi il
fut de tous les apôtres le premier, qui sortit de Jérusalem
(1) Joan., XIX, 26.
159
pour
aller prêcher la foi, et qui souffrit le martyre. Et pendant.
ses voyages et ses prédications il fut
véritablement un foudre comme enfant du tonnerre, car il reçut ce prodigieux
nom quand il fut appelé à l'apostolat (1).
321. Dans sa prédication en
Espagne, il rencontra des difficultés et des persécutions incroyables, que le
démon lui suscita par le moyen des Juifs incrédules. Ensuite il en essuya
d'aussi grandes dans l'Italie et dans l'Asie Mineure, qu'il traversa pour
revenir prêcher et souffrir le martyre à Jérusalem, ayant parcouru en fort peu
d'années tant de provinces éloignées, et visité tant de nations différentes.
Mais comme il n'est pas de mon sujet de rapporter tout ce que saint Jacques a
souffert dans ses divers, voyages, je dirai seulement ce qui regarde cette
histoire. Pour le surplus, il m'a été découvert que la grande Reine du ciel
prit un soin tout particulier de saint Jacques pour les raisons que j'ai
marquées; et que, par le ministère de ses auges, elle le garantit et le
délivra de plusieurs grands périls, elle le consola et le fortifia plusieurs
fois, soit en lui procurant la visite des esprits célestes , soit en lui
transmettant des avis très-importants, dont il
m'ait plus besoin que les autres dans le peu de temps qu'il vécut. Notre
Sauveur Jésus-Christ même lui envoya souvent des anges qui descendaient du
ciel pour défendre sou grand apôtre, pour le porter d'un lieu à un autre, et
pour le conduire dans ses voyages et dans sa mission.
(1) Marc., III, 17.
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322. Pendant qu'il demeura
en Espagne, entre les faveurs qu'il y reçut de l'auguste Marie, il y en eut
deux fort signalées; car cette grande Reine vint en personne le visiter et le
défendre dame les périls et dans les tribulations où il était. L'une de tes
apparitions de la bienheureuse Vierge est celle qu'il eut à Saragosse,
apparition aussi certaine qu’elle est célèbre dans le monde, et qu'on ne
pourrait nier aujourd'hui uns détruire une croyance pieuse confirmée par de si
grands miracles, et attestée par d'éclatants témoignages pendant plus de mille
six cents ans; je parlerai de ce prodige dans le chapitre suivant. Quant à
l'autre, qui fut la première, je ne crois pas qu'elle soit connue en Espagne,
car elle fut plus secrète. Elle eut lieu à Grenade, selon ce qui m'a été
découvert, et ce fut de cette manière. Les Juifs avaient établi quelques
synagogues dans cette ville à l'époque à laquelle ils avaient passé de
Palestine en Espagne, où ils demeuraient à cause de la fertilité du pays et de
la proximité des ports de la mer Méditerranée, qui leur facilitait le commerce
avec leurs compatriotes de Jérusalem. Lorsque saint Jacques arriva à Grenade
pour y prêcher, ils avaient déjà appris ce qui s'était passé à Jérusalem à
l'égard de notre Rédempteur Jésus-Christ. Et quoiqu'il y en eût quelques-uns
qui désirassent d'être informés de la doctrine qu'il avait prêchée, la plupart
néanmoins étaient déjà prévenue par le démon, qui avait introduit dans leur
esprit une impie incrédulité, afin qu'ils ne reçussent point cette doctrine,
et qu'ils s'opposassent à sa prédication
161
parmi
les Gentils, leur faisant entendre qu'elle était contraire aux coutumes
judaïques et à Moïse; et que si les Gentils adoptaient cette nouvelle loi, ils
détruiraient entièrement le judaïsme. Grâce à cet artifice diabolique, les
Juifs empêchaient que la foi de Jésus-Christ ne fût embrassée des
Gentils , qui savaient que notre adorable Sauveur
était juif; et voyant que ceux de sa nation et de sa loi le méprisaient comme
un imposteur, ils ne se décidaient pas si facilement, dans les commencements
de l'Église, à recevoir sa doctrine.
323. Or le saint apôtre
arriva à Grenade; et à peine eut-il commencé à prêcher que les Juifs
l'attaquèrent, le faisant passer pour un vagabond, pour un menteur, pour un
auteur de fausses sectes et pour un magicien. Saint Jacques avait avec lui
douze disciples à l'imitation de son divin Maître. Et comme ils continuaient
tous à prêcher, la haine des Juifs et de leurs partisans ne fit que
s'accroître , de sorte qu'ils entreprirent de s'en
défaire : et en effet ils firent aussitôt mourir un des disciples de saint
Jacques qui s'opposait aux Juifs avec un très-grand
zèle. Mais comme le saint apôtre et ses disciples, bien loin de craindre la
mort, désiraient la subir pour le nom de Jésus-Christ, ils continuèrent avec
un nouveau courage la prédication 'de sa sainte foi. Ils s'y livrèrent un
Certain temps, pendant lequel un grand nombre d'infidèles de cette ville et de
cette contrée furent convertis. Les Juifs en eurent une extrême colère, et
redoublèrent de fureur contre le saint apôtre et ses disciples. Ils les
prirent
162
tous, et
les destinant à la mort, ils les enchaînèrent et les menèrent hors de la
ville, dans un endroit où ils leur lièrent les pieds de peur qu'ils né
s'échappassent, car ils les regardaient comme des enchanteurs. Tandis qu'on se
préparait à les égorger toua le saint apôtre ne cessait d'invoquer le secours
du Très-Haut et de sa Mère Vierge; et s'adressant à elle il lui dit : «
Auguste Marie, Mère de mon Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, protégez
maintenant votre humble serviteur. Priez, Mère
très-donce et
très-compatissante, pour moi et pour ces fidèles qui professent
la sainte foi. Et si c'est la volonté du Très-Haut que nous
mourions ici pour la gloire de son saint nom, suppliez-le, Vierge
sainte, de recevoir mon âme en sa divine présence. Souvenez vous de moi, Mère
très-clémente, et bénissez-moi au nom de
Celui qui vous a choisie entre toutes les créatures. Recevez le sacrifice de
la douleur que j'ai d'être privé du bonheur de vous voir à cette heure,
si elle doit être la dernière de ma vie. O Marie! ô
Marie! »
324. Saint Jacques redit
plusieurs fois ces derniers mots. Mais notre auguste Reine entendit toute sa
prière de sou oratoire du Cénacle, d'où elle regardait par une vision
très-particulière tout ce qui se passait à l’égard
de son bien-aimé apôtre Jacques. A cette vue, elle sentit ses entrailles
maternelles s'émouvoir d'une tendre compassion pour ce fidèle serviteur qui
l'invoquait dans la tribulation. Sa douleur était d'autant plus vive qu'elle
en était plus éloignée; mais
163
sachant
que rien n'était difficile au pouvoir divin, elle se laissa aller au désir
d'assister son apôtre dans son affliction. Et comme elle savait aussi qu'il
devait être le premier à donner sa vie et son sang pour son
très-saint Fils, cette compassion augments encore
dans le coeur de la plus bénigne des Mères. Toutefois elle ne demanda ni au
Seigneur ni aux anges d'être portée où était saint Jacques, s'étant abstenue
de faire cette demande par son admirable prudence, qui lui découvrait que la
divine Providence ne manquerait point d'accorder au saint apôtre tous les
secours dont il aurait besoin; car quand il s'agissait de miracles, elle
réglait, durant sa vie mortelle, ses désirs et ses demandes à la volonté du
Seigneur avec la discrétion la plus merveilleuse.
325. Mais son adorable
Fils, qui était attentif à tous les désirs d'une telle Mère, parce qu'ils
étaient saints, justes et pleins de charité, ordonna aux mille anges qui
l'assistaient d'accomplir à l'instant le souhait de leur Reine. Ils se
montrèrent tous à elle sous une forme humaine, et lui dirent ce que le
Très-Haut leur ordonnait; et l'ayant reçue sur un trône.
formé d'une nuée toute brillante, ils la portèrent aussitôt en Espagne,
à l'endroit où saint Jacques et ses disciples se trouvaient enchaînés. Les
ennemis qui les avaient pria avaient déjà le coutelas à la main pour les
égorger tous. Il n'y eut que le seul apôtre qui vit la Reine du ciel dans la
nuée d'où elle lui parla, lui disant avec une douceur céleste: « Jacques, mon
fils, et le bien-aimé de mon Seigneur Jésus-Christ, ayez
164
bon
courage; et soyez éternellement béni de Celui qui vous a créé et appelé à sa
divine lumière. Allons, serviteur fidèle du Très-Haut, levez-vous, et soyez
libre de vos chaînes. » L'apôtre s'était prosterné devant la bienheureuse
Marie le mieux qu'il avait pu, étant si fort lié par tout le corps. Mais à la
voix de notre puissante Reine, ses chaînes et celles de ses disciples se
brisèrent incontinent, de sorte qu'ils se trouvèrent libres. Quant aux Juifs
qui avaient les armes à la main, ils tombèrent tous par terre, où ils
restèrent pendant quelques heures sans aucun sentiment. Les démons qui les
assistaient et qui les provoquaient, furent précipités dans l'abîme; et ainsi
saint Jacques et ses disciples purent librement rendre des actions de grâces
au Tout-Puissant pour un si grand bienfait.
L'apôtre témoigna particulièrement sa reconnaissance à la divine Mère avec une
humilité et une joie incomparables. Et quoique les disciples du saint ne
vissent point l'auguste Vierge ni les anges, ils n'en connurent pas moins le
miracle par l'événement. D'ailleurs, l'apôtre leur donna les détails
convenables pour les affermir dans la foi, dans l'espérance et dans la
dévotion envers la très-pure Marie.
326. Ce rare bienfait de
notre Reine fut encore plus grand; car non-seulement
elle préserva saint Jacques de la mort, afin que toute l'Espagne jouit de sa
prédication et de sa doctrine; mais elle prescrivit encore à cent de ses anges
de l'accompagner dans tous ;ses voyages, de le
conduire d'un lieu à un autre, de
165
le
défendre partout, aussi bien que ses disciples, des périls qui se
présenteraient, et de le mener à Saragosse après avoir parcouru tout le reste
de l'Espagne. Les cent anges exécutèrent tout cela comme leur Reine le leur
avait ordonné, et les autres la ramenèrent à Jérusalem. Saint Jacques avec
cette céleste escorte voyagea par toute l'Espagne avec plus de sûreté que ne
firent les Israélites dans le désert. Il laissa à Grenade quelques-uns de ses
disciples; qui y subirent depuis le martyre; et avec ceux qui lui restaient et
les autres qui se joignaient tous les jours à lui, il poursuivit sa route,
prêchant en plusieurs endroits de l'Andalousie. Il alla ensuite à Tolède, et
de là il passa en Portugal et en Galice, et par Astorga;
et après avoir parcouru diverses localités, il arriva dans la province de
Rioja, et se rendit par Lograño à
Tudèle et à Saragosse, où il arriva ce que je
dirai dans le chapitre suivant. Dans tout ce voyage, saint Jacques laissa de
ses disciples pour évoques dans plusieurs villes d'Espagne, afin qu'ils y
établissent la foi et le culte divin. Les miracles qu'il fit dans ce royaume
furent si nombreux et si prodigieux, que ceux dont on a connaissance ne
doivent point paraître incroyables, car il y en a bien plus qu'on ignore. Le
fruit qu'il fit par sa prédication fut, immense, eu égard au peu de temps
qu'il demeura en Espagne, et ç'a été une méprise de dire ou de penser qu'il
ait converti fort peu de personnes; car il établit la foi par tous les
endroits où il passa, et c'est pourquoi il ordonna un si grand nombre
d'évêques dans ce
166
royaume,
pour gouverner les enfants qu'il avait engendrés en Jésus-Christ.
327. Pour finir ce
chapitre, je veux avertir ici que j'ai appris par des voies différentes que
les historiens ecclésiastiques avaient avancé plusieurs opinions qui ne
s'accordaient point avec beaucoup de détails que j'écris dans cette histoire:
tels que la sortie des apôtres de Jérusalem pour aller prêcher; le partage des
provinces et des royaumes qu'ils firent par la voie du sort; la manière dont
le Symbole de la foi fut rédigé; le départ de saint Jacques et sa mort. J’ai
su que, pour ces événements et plusieurs autres, il y a une grande divergence
entre les écrivains quant à l'indication des années et des époques où ils ont
eu lieu, pour la faire concorder avec le texte des livres canoniques. Mais je
n'ai pas ordre du Seigneur; de satisfaire à tous ces doutes et à divers
autres, ni de résoudre ces difficultés; j'ai, au contraire, déclaré dès le
commencement que sa divine Majesté m’a ordonné d'écrire cette histoire sans
opinions préconçues, fussent-elles bâties sur une connaissance antérieure de
la vérité. Et si ce que j'écris, loin d’être en quoi que ce soit contraire,
est conforme au texte sacré, et répond à la dignité de la matière que je
traite, je ne saurais donner une plus grande autorité à cette histoire, et je
ne crois pas non plus. que la piété chrétienne en
demande davantage. Il est encore possible que mon travail serve à concilier,
quelques différentes opinions des historiens; mais je dois laisser ce soin aux
savants.
167
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
328. Ma fille, en
rapportant dans ce chapitre comment la puissance infinie du Très-Haut m'éleva
sur son trône pour me communiquer les décrets de sa sagesse et de sa volonté
divine, vous avez fait le récit d'une merveille si grande, si extraordinaire,
qu'elle surpasse tout ce que l'esprit humain peut concevoir dans la vie
passagère; et ce ne sera que dans la patrie et dans la vision béatifique que
les hommes connaîtront ce mystère avec une joie toute particulière de gloire
accidentelle. Et puisque cette faveur ineffable fut comme un effet et une
récompense de la charité très-ardente avec
laquelle j'aimais et j'aime le souverain Bien , et
de l'humilité avec laquelle je me reconnaissais sa servante; et que ces vertus
m'élevèrent sur le trôné de la Divinité et m'y procurèrent une place, lorsque
je vivais en la chair mortelle; je veux que vous ayez une plus grande
connaissance de ce mystère, qui. a été assurément
un des plus sublimes que la toute-puissance divine ait opérés en moi, et l'un
de ceux qui ont le plus excité l'admiration des anges et des saints. Quant à
votre propre admiration, je veux que ;vous la
changiez en un soin très-vigilant et en un vif
désir de m'imiter, et de partager les sentiments qui me méritèrent de telles
faveurs.
329. Or, considérez, ma
très-chère fille, que ce fut non pas une, mais
plusieurs fois que je fus élevée dans ma chair mortelle sur le trône de
168
la
très-sainte Trinité, après la descente du
Saint-Esprit, jusqu'à ce que je montasse au ciel après ma mort pour y jouir
éternellement de la gloire que j'ai. En ce qui vous reste à écrire de ma vie,
vous découvrirez d'autres secrets relatifs à ce bienfait. Mais toutes les fois
que la droite du Très-Haut nie l'accorda, je reçus des dons particuliers et de
très-abondants effets de grâce, sous des modes
différents que renferme le pouvoir infini , et
suivant la capacité qu'il me donna, pour rendre possible l'ineffable et
presque immense participation des perfections divines. Le Père éternel me
disait quelquefois dans ces faveurs : « Ma Fille et mon Épouse, votre amour et
votre fidélité, qui dépassent l'amour et la fidélité de toutes les
créatures, nous attirent vers vous et nous donnent la plénitude de
satisfaction que nôtre volonté sainte désire. Montez sur notre trône,
afin que vous soyez absorbée dans l'abîme de notre Divinité, et
que vous ayez la quatrième place en cette Trinité, autant que cela est
possible à une simple créature. Prenez possession de notre gloire, dont nous
mettons les trésors entre vos mains. Le ciel, la terre et tous les abîmes vous
appartiennent. Jouissez dans la vie mortelle, plus que tous les saints, des
privilèges de la béatitude. Que toutes les nations et toutes les créatures
auxquelles nous avons donné l'être qu'elles ont, vous servent; que les
puissances des cieux vous obéissent; que les plus hauts séraphins vous soient
soumis; et que tous nos biens vous soient communs dans notre
169
éternel
consistoire. Pénétrez le grand conseil de notre sagesse et de notre volonté;
et ayez part en nos décrets: puisque votre volonté est
très-droite et très-fidèle. Approfondissez
les raisons que nous avons, pour ce que justement et saintement nous
déterminons; que votre volonté et la nôtre soit
une, et qu'un soit le motif de ce que nous disposons pour notre Église. »
330. C'est avec cette bonté
aussi ineffable que singulière que le Très-Haut gouvernait ma volonté pour la
conformer à la sienne, et afin que rien ne frit exécuté en l'Église que par ma
disposition , et que celle-ci fût celle de Dieu
même, dont je connaissais dans son éternel conseil les raisons, les motifs, et
les convenances. Je vis en lui qu'il n'était pas possible, par une loi
commune, que je souffrisse toutes les peines et toutes les tribulations de
l'Église, et en particulier des apôtres, comme je le désirais. Quoiqu'il fit
impossible de réaliser ce voeu charitable, je ne m'écartai point, en le
formant, de la volonté divine qui m'inspira de pareils sentiments, comme une
marque et un témoignage de l'amour sans mesure avec lequel j'aimais le
Seigneur : et c'était le Seigneur lui-même qui m'animait d'une si grande
charité envers les hommes, que je souhaitais souffrir toutes leurs peines et
toutes leurs afflictions. Et comme de mon côté cette charité était véritable,
et que j'étais toute prête à la pousser jusque-là, si c’eût
été possible, elle fut par là même si agréable aux yeux du Seigneur,
qu'il m'en récompensa, comme si effectivement
170
j'eusse
exécuté mes désirs : car je souffris la plus grande des douleurs à ne pouvoir
souffrir pour tous. De là naissait en moi la compassion que j'eus des
tourments au milieu desquels les apôtres moururent, et de tous les supplices
des fidèles qui souffrirent pour Jésus-Christ : car j'étais affligée et
martyrisée en tous et avec tous, et je mourais en quelque sorte avec eux. Tel
fut l'amour que j'eus pour mes enfants , les
fidèles ; et il est maintenant le même, à la souffrance près ; mais les hommes
ne savent pas, ne comprennent pas combien ma charité les oblige à la
reconnaissance.
331. Je recevais ces
faveurs à la droite de mon très-saint
Fils , lorsque de la terre j'y étais élevée et
placée, jouissant de ses prééminences et de ses gloires jusqu'au degré auquel
elles pouvaient être communiquées à une simple créature. Les décrets et les
mystères cachés de la sagesse infinie étaient en premier lieu manifestés à la
très-sainte humanité de mon Seigneur, par la
révélation incompréhensible qu'elle a avec la Divinité à laquelle elle est
unie en la personne du Verbe éternel; et par l'intermédiaire de mon
très-saint Fils ils m'étaient communiqués d'une
autre matière : car l'union de son humanité avec la personne lu Verbe est
immédiate, substantielle et intrinsèque par elle-même; ainsi elle participe à
la Divinité et à ses décrets d'une manière proportionnée à l'union
substantielle et personnelle. Quant à moi, je recevais cette faveur à un autre
titre admirable et sans exemple, d'autant plus qu'il s'appliquait à une
171
simple
créature, non unie à la Divinité ; je la recevais comme semblable à l'humanité
très-sainte, et après elle la créature la plus
voisine de la même Divinité Vous n'en pourrez pas, ma fille, comprendre
davantage maintenant; vous ne sauriez pénétrer ce mystère dans la vie
mortelle. Mais les bienheureux le connurent chacun selon le degré de science
qu'il avait reçu; ils comprirent tous ce rapport et cette ressemblance que
j'ai avec mon très-saint Fils
, aussi bien que la différence qui nous sépare, et tout cela leur fut
et leur est encore maintenant un motif de faire de nouveaux cantiques de
gloire et de louange au Tout-Puissant : car cette
merveille fut une des grandes oeuvres que son puissant bras ait faites envers
moi.
332. Afin que vous exerciez
davantage vos forces et celles de la grâce à former de saints désirs et de
saintes affections , fût-ce pour des choses que
vous ne pouvez exécuter, je vous déclare un autre secret. C'est que lorsque je
connaissais les effets de la rédemption en la justification des âmes, et la
grâce qui leur était communiquée pour les purifier et les sanctifier par la
contrition ou par le baptême et par les autres sacrements
, je faisais une si grande estime de ce bienfait, que j'en avais une
sainte émulation. Et comme je n'avais aucun péché dont je dusse me justifier,
je ne pouvais recevoir cette faveur dans le degré auquel les pécheurs la
reçoivent. Mais comme je pleurais leurs péchés plus qu'eux tous ensemble, et
que je rendais des actions de grâces au Seigneur pour ce bienfait qu'il
accordait aux âmes avec une miséricorde
172
si
libérale, j'obtins par ces désirs et par ces oeuvres plus de grâces qu'il n'en
aurait fallu pour justifier tous les enfants d'Adam. Telle était la
complaisance que le Très-Haut prenait à mes oeuvres et telle fut la vertu que
leur donna le Seigneur lui-même, afin qu'elles fussent toutes agréables à sa
divine Majesté.
333. Considérez maintenant,
ma fille, quelles obligations vous impose la connaissance de secrets si
merveilleux et si vénérables. Profitez des talents et de tant de biens que
vous avez reçus du Seigneur; suivez-moi par la parfaite imitation de mes
oeuvres que je vous manifeste. Et, afin de vous enflammer davantage de l'amour
divin, souvenez-vous continuellement que mon très-saint
Fils et moi ne cessions, durant notre vie mortelle, de désirer avec une ardeur
extrême le salut des âmes de tous les enfants d’Adam, et de pleurer amèrement
la perte éternelle de tant de malheureux qui se la procurent à eux-mêmes avec
une fausse joie. Je veux que vous vous signaliez dans cette charité, dans ce
zèle, et que vous vous y exerciez beaucoup, en qualité d'Épouse
très-fidèle de mon Fils, qui par cette vertu s'est
livré à la mort de la croix, et en qualité de ma fille et disciple; que si la
force de cette charité ne m'ôta point la vie, ce fut parce que le Seigneur me
la conserva par miracle; mais c'est cette vertu qui me fit avoir place sur le
trône et dans le conseil de la très-sainte
Trinité. Si vous êtes, ma chère fille, aussi fervente à m'imiter, et aussi
prompte à m'obéir que je le demande de
173
vous,
je vous assure que vous participerez aux faveurs que je fis à mon serviteur
Jacques; je vous assisterai dans vos tribulations et vous guiderai , comme je
vous l'ai promis plusieurs fois; et en outre le Très-Haut sera beaucoup plus
libéral envers vous que vous ne sauriez le souhaiter.
CHAPITRE XVII. Lucifer prépaie une nouvelle persécution contre l'Église et
contre la
très-pure Marie. — Elle en donne connaissance à saint Jean, et par son ordre elle
se détermine d'aller à Éphèse. — Son très-saint
Fils lui apparaît, et lui dit d'aller à Saragosse pour visiter l'apôtre saint
Jacques. — Circonstances de cette visite.
334. Saint Luc fait mention
de la persécution qu'excita l'enfer conte l'Église, après la mort de saint
Étienne, su chapitre huitième des Actes, où il l'appelle grande (1), parce
qu'elle le fut jusqu,'à la conversion de saint Paul, par le moyen duquel le
dragon infernal la dirigeait: J'ai parlé de cette persécution dans les
chapitres douzième et quatorzième, de cette partie. Mais par ce qui est
rapporté dans les autres chapitres qui les suivent immédiatement, on
(1) Act., VIII, 1.
174
peut
comprendre que cet ennemi de Dieu ne se rebuta point, et ne se crut pas si
vaincu qu'il n'eût encore assez de force pour s'élever de nouveau contre la
sainte Église et contre l'auguste Marie. Et par ce que le même saint Luc
rapporte dans le chapitre douzième, où il dit qu'Hérode fit couper la tête à
saint Jacques, et fit arrêter saint Pierre (1), on voit que cette persécution
recommença après la conversion de saint Paul, quand même il ne dirait pas
expressément que le même Hérode envoya des gens pour maltraiter quelques-uns
des fidèles (2). Et afin que l'on comprenne mieux tout ce que j'en ai rapporté
et que j'en dirai dans la suite, je rappelle que toutes ces persécutions
étaient inventées et excitées par les démons, qui irritaient les persécuteurs
de l'Église, ainsi que je l'ai fait remarquer en divers endroits. Et comme la
Providence divine tantôt leur en donnait la permission, et tantôt la leur
ôtait et les précipitait dans l'abîme (ce qui arriva lors de la conversion de
saint Paul et en d'autres occasions), il eu résultait ce que l'on a vu dans
tous les siècles, que là primitive Église jouissait de temps en temps du repos
et de la tranquillité, et qu'après cette trêve elle était inquiétée et
affligée de nouveau.
335. La paix était utile
pour la conversion des fidèles, et la persécution pour leur mérite et pour
leur exercice; c'est pourquoi la Providence divine, dans sa sagesse, faisait
et fait toujours succéder l’une
(1) Act., XII, 2. — (2) Ibid.. 1.
175
à
l’autre. C'est pourquoi encore, après la conversion de saint Paul, l'Église
passa même plusieurs mois dans le calme, pendant que Lucifer et ses démons
étaient abattus dans l'enfer, jusqu'à ce qu'ils revinrent
sur la terre, comme je le dirai bientôt. Saint Luc parle de cet état de paix
au chapitre neuvième, après la conversion de saint Paul ,
quand il dit que l'Église était tranquille dans toute la Judée, dans la
Galilée et dans la Samarie, et qu'elle prospérait, marchant dans la crainte du
Seigneur et dans la consolation du Saint-Esprit (1). Et quoique l'évangéliste
dise cela après avoir rapporté la venue de saint Paul à Jérusalem, cette paix
exista longtemps auparavant, car saint Paul se rendit à Jérusalem dans la
cinquième année de sa conversion , ainsi qu'on le verra dans la suite; et
saint Luc, pour ne point déranger le plan de son histoire, en parle après la
conversion, mais dans un sens rétrospectif, de même qu'il arrive aux
évangélistes de mentionner dans leur récit, par anticipation , plusieurs
autres événements, pour n'avoir plus à revenir au sujet dont ils parlent; car,
bien qu'ils suivent l'ordre chronologique pour les choses essentielles, ils ne
classent point par annales tous les faits de leur histoire.
336. Cela posé, reprenant
ce que j'ai dit au chapitre quinzième touchant le conciliabule que fit Lucifer
après la conversion de saint Paul, j'ajoute que le dragon infernal et ses
démons prolongèrent quelque
(1) Act., IX, 31.
176
temps
cette conférence, dans laquelle ils discutèrent et prirent divers moyens pour
détruire l'Église et faire déchoir, s'il leur était possible, notre grande
Reine du degré éminent de sainteté auquel ils la croyaient parvenue,
quoiqu'ils en ignorassent infiniment plus qu'ils n'en connaissaient. Après que
les jours pendant lesquels l'Église jouissait de cet heureux calme furent
passés , les princes des ténèbres sortirent de
l'abîme pour mettre à exécution les desseins impies qu'ils avaient formés. Le
grand dragon Lucifer se mit à la tête de tous, et c'est une chose digne de
remarque, que la fureur de cette bête féroce contre l'Église et contre
l'auguste Marie fut si grande, qu'il tira de l'enfer beaucoup plus des deux
tiers de ses démons pour le succès de son entreprise; et il en aurait sans
doute dépeuplé ce royaume des ténèbres, si sa malice et sa cruauté mêmes ne
l'eussent obligé d'y laisser une partie de ses ministres infernaux pour le
tourment des damnés; car, outre le feu éternel que la justice divine leur
fournit, et quine leur pouvait manquer, ce dragon ne voulut pas que la vue et
la compagnie de ses démons leur manquassent non plus, de peur que ces hommes
infortunés ne trouvassent un léger soulagement dans leurs peines pendant le
temps que leurs bourreaux. demeureraient hors dé
l'enfer. C'est pour cela qu'il y a toujours des démons dans lés abîmes, et ils
ne voudraient pas épargner le supplice de leur présence aux misérables damnés,
malgré le désir si ardent qu'a Lucifer de détruire les mortels qui vivent sur
la terre. Et voilà le maître cruel
177
et
impitoyable que servent les aveugles pécheurs!
337. La rage de ce dragon
était arrivée à son comble, par les choses qu'il voyait se passer dans le
monde depuis la mort de notre Rédempteur, par la sainteté de la bienheureuse
Vierge, et par la faveur et la protection que les fidèles trouvaient en elle,
suivant l'expérience que les démons avaient faite en saint Étienne, en saint
Paul et en d'autres. C'est pour cette raison que Lucifer établit sa demeure
dans, Jérusalem, pour exécuter par lui-même son attaque contre ce qui se
trouvait de plus fort dans l'Église, et pour diriger de là les coups de toutes
ses légions infernales, qui ne gardent un certain ordre que dans la guerre
qu'ils font aux hommes pour les détruire, n'étant dans tout le reste que
confusion. Le Très-Haut ne leur donna point la permission que leur furieuse
envie souhaitait, car s'ils l'obtenaient ils bouleverseraient le monde dans nu
moment. Mais il la leur donna d'une manière limitative, et jusqu'au point
convenable, pour que l'Église, attaquée par ses ennemis, s'établit dans le
sang et sut les mérites des saints, et jetât par ce moyen de plus profondes
racines, et afin de manifester, davantage, par- les persécutions et les
tourments que souffriraient les fidèles, la vertu et la sagesse du Maître
souverain qui gouvernait l'Église. Aussitôt Lucifer commanda à ses ministres
de parcourir toute la terre, pour reconnaître où étaient les apôtres et les
disciples du Seigneur, en quels endroits son nom était prêché, et de revenir
pour l'instruire de tout ce qui se passait. Le dragon se mit dans la sainte
cité,
178
le
plus loin qu'il put des lieux consacrés par le sang et par les mystères de
notre Sauveur; car ils étaient redoutables pour lui et pour ses démons, et à
mesure qu'ils s'en approchaient, ils sentaient que leurs forces diminuaient,
et qu'ils étaient accablés par la vertu divine. Ils expérimentent cet effet
encore aujourd'hui, et le sentiront jusqu'à la fin du monde. C'est assurément
un grand malheur, que ces lieux si sacrés pour les fidèles soient aujourd'hui,
à cause des péchés des hommes, au pouvoir des ennemis de la foi ; heureux donc
est le petit nombre des enfants de l'Église qui ont le privilège d'y demeurer,
tels que les religieux de notre séraphique Père et réparateur de l'Église
saint
338. Lucifer fut informé de
l'état des fidèles et de tous les endroits où l'on prêchait la foi de
Jésus-Christ par les relations que lui en, firent ses satellites. Il leur
donna de nouveaux ordres, afin. que les uns
s'employassent à les persécuter, chargeant de cette mission des démons d'une
hiérarchie plus ou moins élevée, selon la différence des apôtres, des
disciples et des fidèles, et afin que les autres prissent garde à tout ce qui
arriverait et vinssent lui en rendre compte, transmettant partout à leurs
compagnons des instructions sur ce qu'ils devaient faire contre l'Église.
Lucifer signala aussi quelques hommes incrédules, perfides et dépravés, que
les démons devaient irriter, provoquer et remplir de colère et d'envie contre
les imitateurs de Jésus-Christ. Et parmi ceux-là ,
se trouvaient le roi Hérode et plusieurs Juifs, à cause de la
79
haine
qu'ils avaient contre le même Seigneur qu'ils avaient crucifié, et dont ils
prétendaient abolir entièrement la mémoire (1). Les démons choisirent encore
quelques Gentils des plus attachés à l'idolâtrie ; et des uns et des autres
ces esprits malins cherchèrent les plus méchants pour s'en servir et en faire
les propres instruments de leur malice. Par tous ces moyens ils entreprirent
la persécution de l'Église ; et le dragon infernal a toujours usé de cet art
diabolique pour détruire la vertu et le fruit de la Rédemption et du sang de
Jésus-Christ. Et il fit dans la primitive Église un grand ravage parmi les
fidèles, les persécutant par diverse; sortes de tribulations qui ne se
trouvent point écrites' et dont on n'a nulle connaissance dans l'Église. Mais
on a grand sujet de croire que ce que saint Paul dit des anciens saints dans
son Épître aux Hébreux (2), se reproduisit à l'égard des nouveaux. Outre ces
persécutions extérieures, les démons affligeaient tous les
justes , les apôtres, les disciples et les autres fidèles par des
tentations secrètes, par des illusions, des suggestions et mille mauvaises
pensées, comme ils le font aujourd'hui à l'égard de tous ceux qui souhaitent
vivre selon la loi divine et suivre notre Rédempteur Jésus-Christ. Il n'est
pas possible de connaître en cette vie tout ce qu'entreprit Lucifer dans la
primitive Église pour la détruire, ni ce qu'il fait maintenant avec la même
intention.
339. Mais rien ne fut caché
alors à l'auguste Mère
(1) Jerem., XI, 19. —
(2) Hebr., XI, 37.
180
de la
Sagesse; car elle connaissait à la clarté de la sublime science tous ces
secrets de l’empire des ténèbres cachés aux mortels. Et quoique les coups que
nous prévoyons ne nous fassent pas aussi grand mal, et que la
très-prudente Reine fût si bien informée des
prochaines épreuves de la sainte Église, qu'aucune ne la pouvait surprendre;
néanmoins, comme elles menaçaient. les apôtres et
tons les fidèles, elles lui perçaient le coeur, où elle les portait tous avec
un amour maternel, et sa' douleur se réglait par sa charité presque immense;
aussi, en aurait-elle perdu plusieurs fois la vie, si (comme je l'ai dit en
divers endroits) le Seigneur ne la lui eût conservée miraculeusement. Il est
certain que toutes les Ames justes et parfaites en l'amour du Seigneur
ressentiraient à leur tour de grands effets si elles faisaient réflexion sur
la rage et la malice de tant de démons si vigilants et si rusés pour perdre
quelques simples fidèles, pauvres, faibles et pleins de leurs propres misères.
Cette connaissance aurait fait oublier à la bienheureuse Marie toutes ses
propres affaires et toutes ses peines, si elle en eût eu pour secourir et
consoler ses enfants. Elle redoublait pour eux ses prières, ses soupirs, ses
larmes et ses soins. Elle les conseillait, les avertissait et les exhortait
pour les préparer ; et les animer an combat ,
surtout les apôtres et les disciples. Elle commandait souvent aux démons avec
une autorité de Reine, et leur arracha un très-grand
nombre d'âmes qu'ils trompaient et pervertissaient, et elle les délivrait de
la mort, éternelle. D'autres fois elle les
181
empêchait
d'exercer, de grandes cruautés envers les ministres de Jésus-Christ; car
Lucifer tâcha incontinent d'ôter la vie aux apôtres (comme il l'avait déjà
entrepris par le moyen de Saul, ainsi qu'on l'a vu), et la même chose arriva à
l'égard des autres disciples qui prêchaient la sainte foi.
340. Quoique notre auguste
Maîtresse conservât dans ces sollicitudes et dans cette compassion une grande
tranquillité intérieure, que les soins maternels qu'elle prenait n'étaient pas
capables de troubler, et quoiqu'elle gardât dans son extérieur une sérénité de
Reine, les peines de son cœur ne laissaient pas que de couvrir d'une ombre de
tristesse sa physionomie grave et sérieuse. Et comme saint Jean l'assistait
avec une attention toute filiale, ce léger changement sur le visage de sa
tendre Mère ne put échapper au regain pénétrant de l'Aigle évangélique. Il en
fat sensiblement affligé, et ayant cherché quelque temps dans son esprit le
sujet de sa peine, il s'adressa au Seigneur, et lui demandant une nouvelle
lumière pour ne rien, faire qui ne lui fût agréable, il lui dit : « Seigneur,
Dieu infini, Réparateur du monde, je reconnais l'obligation en laquelle,
sans l'avoir mérité et par votre
seule bonté, vous m'avez mis, en me donnant pour Mère Celle qui est
véritablement la vôtre, parce qu'elle vous a conçu, enfanté et nourri de
son propre lait. Vous m'avez, Seigneur, rendu le plus heureux des hommes
par ce bienfait, vais m'avez. enrichi du plus
grand trésor du ciel et de la terre. Mais votre Mère, mon auguste Maîtresse,
182
est restée
seule et pauvre sana votre très douce présence, à laquelle tous les hommes et
tous les anges ensemble ne sauraient suppléer, et combien moins ce vermisseau,
votre serviteur.« Aujourd'hui, mon Dieu et Rédempteur du monde, je vois
triste et affligée Celle qui vous a donné la forme humaine et qui
est la joie de votre peuple. Je désire, Seigneur, la consoler et la soulager
de ses peines, mais je me trouve incapable de le faire.«
D'un côté, la justice et l'amour filial me poussent, et de l'autre le
respect et ma faiblesse m'arrêtent. Éclairez-moi, Seigneur, sur ce que je dois
faire pour rencontrer votre bon plaisir, et pour le service de votre
digne Mère. »
341. Après cette prière,
saint Jean demeura quelque temps à hésiter s'il demanderait à la grande Reine
du ciel le sujet de sa peine. Il le souhaitait avec ardeur, mais la crainte
respectueuse avec laquelle il la regardait, la retenait; et, quoiqu'un
sentiment intérieur l'encourageât, il s'approcha trois fois de la porte de
l'oratoire où était la très-pure Marie sans oser y
entrer pour lui demander ce qu'il désirait savoir. La divine Mère connut tout
ce que saint Jean faisait et tout ce qui se passait dans son âme. Et par le
respect que la céleste Maîtresse de l’humilité avait pour l'évangéliste en
qualité de prêtre et de ministre du Seigneur, elle quitta son
oraison , alla le trouver, et lui dit :
Seigneur, dites-moi ce que vous demandez à votre servante. J'ai déjà dit
ailleurs que notre grande Reine appelait les prêtres et les ministres de son
très
183
saint
Fils seigneurs. L'évangéliste fut consolé et animé par cette faveur, et il lui
répondit, non sans une espèce de crainte : « Ma bonne Maîtresse, le
devoir et le désir que j'ai de vous servir ne m'ont point permis de ne
pas remarquer votre tristesse, et de ne pas penser que vous avez quelque
peine dont je souhaite que vous soyez soulagée. »
342. Saint Jean ne dit que
ces paroles, mais l'auguste Vierge pénétra le désir qu'il avait de lui
demander le sujet de son affliction, et, toujours
très-prompte à obéir, elle voulut prévenir sa demande et lui témoigner
sa soumission, comme à celui qu'elle reconnaissait pour son supérieur. Mais
elle s'adressa d'abord au Seigneur, lui disant : « Mon Dieu et mon Fils,
vous m'avez donné votre serviteur Jean en votre place, afin qu'il
m'accompagnât et m'assistât, et je l'ai reçu pour mon supérieur; je souhaite
obéir à ses désirs et à sa volonté qui m'est connue, afin que cette humble
servante de votre divine Majesté vous soit toujours soumise. Permettez-moi,
Seigneur, de lui découvrir ma peine et de satisfaire son désir. » Elle
entendit aussitôt le fiai de la divine volonté. Et s'étant mise à genoux aux
pieds de saint Jean, elle lui demanda sa bénédiction et lui baisa la main.
Puis, lui ayant demandé la permission de parler, elle lui dit : « Seigneur, ce
n'est pas sans raison que je suis affligée; car le Très-Haut m'a
découvert les tribulations qui doivent venir fondre sur l'Église, et les
persécutions auxquelles doivent être en butte tous ses enfants, et surtout les
apôtres, qui
184
en
souffriront de plus grandes. Et j'ai vu que le dragon infernal est sorti' de
l'abîme avec une multitude innombrable d'esprits malins pour exécuter ce
dessein impie dans le monde , et ils vont tous
travailler avec une haine et une fureur implacable à détruire le corps
mystique de Jésus-Christ, qui est la sainte Église. Cette ville de Jérusalem
sera attaquée la première, et plus ravagée que les autres ; on y fera mourir
l'un des apôtres, et il y en aura d'autres qui seront pris et tourmentés par
les artifices du démon. Mon coeur s'émeut de compassion à la pensée de tous
ces maux , il se désole à la vue des obstacles que
les ennemis susciteront pour empêcher l'exaltation du saint nom du Très-Haut
et le remède des âmes. »
343. L'évangéliste fut
aussi affligé par cet avis; il s'en trembla même un peu. Mais avec le secours
de la divine grâce il répondit à notre grande Reine : « Ma Mère et mon auguste
Maîtresse, votre sagesse n'ignore pas que le Très-Haut tirera de ces
tribulations de grands fruits pour son Église et pour les fidèles ses enfants,
et qu'il les assistera dans leurs épreuves. Nous sommes prêts, nous autres
apôtres, à sacrifier notre vie pour le Seigneur, qui a donné la sienne pour
tout le genre humain. Nous avons reçu des bienfaits immenses, qui nous
obligent à un juste retour. Lorsque nous étions petits à l'école de notre
Maître, nous agissions en petits. Mais depuis qu'il nous a enrichis par son
divin Esprit, et enflammés de son amour, nous avons perdu notre
185
lâcheté,
et nous aspirons à suivre le chemin de sa croix, qu'il nous a enseigné par sa
doctrine et par son exemple; nous savons que l'Église doit s'établir et se
conserver par l'effusion du sang de ses ministres et de ses enfants. Priez
pour nous, auguste Maîtresse, et par la vertu ;divine
et par votre protection nous remporterons la victoire sur nos ennemis, nous
triompherons d'eux tous à la gloire du Très-Haut. Que si le plus fort de la
persécution doit commencer en cette ville de Jérusalem , il me semble, Mère
vénérée, qu'il n'est pas convenable que vous l'attendiez ici, de peur que la
rage de l'enfer n'entreprenne, par le moyen de la malice humaine, quelque
attentat contre le Tabernacle de Dieu. »
344. Notre incomparable
Reine, parla compassion et l'amour maternel qu'elle avait pour les apôtres et
pour tous les autres fidèles, aurait volontiers et sans aucune crainte demeuré
à Jérusalem, pour les consoler et les soutenir tous dans la tribulation dont
ils étaient menacés. Mais quelque sainte que fût cette inclination, elle ne la
manifesta point à l'évangéliste, parce qu'elle venait de son propre mouvement;
elle la fit céder à l'humilité et à l'obéissance qu'elle montrait à l'apôtre
comme à son supérieur. Avec cette soumission, sans rien objecter à
l'évangéliste , elle le remercia du zèle avec
lequel il souhaitait souffrir et mourir pour Jésus-Christ; et pour ce qui est
du départ de Jérusalem , elle lui dit de décider ce qu'il jugerait à propos;
qu'elle lui obéirait en tout comme son inférieure, et qu'elle
186
prierait
notre Seigneur de le conduire par sa divine lumière, afin qu'il choisit le
parti qui lui serait le plus agréable , et à là plus grande gloire de son
saint nom. Après cette résignation, qui nous présente un si grand exemple et
peut bien nous faire rougir de nos désobéissances, l'évangéliste détermina
qu'elle se rendrait dans la ville d'Éphèse, aux confins de l'Asie Mineure; et
proposant ce parti à la bienheureuse Vierge, il lui dit : « Ma Mère et mon
auguste Maîtresse, étant obligés de nous éloigner de Jérusalem et de
chercher hors d'ici l'occasion propre , pour travailler à l'exaltation
du nom du Très-Haut, il me semble que nous devrions nous retirer à
Éphèse, où j'espère que vous opèrerez dans les âmes plus de fruit
qu'à Jérusalem. Je voudrais être un de a ceux qui entourent le trône de la
très-sainte Trinité, pour vous servir dignement
dans ce voyage, et je ne suis qu'un chétif vermisseau de terre :
mais le Seigneur sera avec nous, car il vous est partout favorable
et comme Dieu et comme votre Fils. »
345. Il fut arrêté qu'ils
partiraient pour Éphèse, après avoir donné les avis convenables aux fidèles
qui se trouvaient à Jérusalem; et notre grande Reine se retira ensuite dans
son oratoire, où elle fit, cette prière : « Dieu éternel, voici votre humble
servante prosternée en votre divine présence; je vous supplie, Seigneur,
de me conduire à tout ce qui vous sera le plus agréable. Je veux faire
ce voyage pour obéir à votre serviteur Jean, dont la volonté sera
la vôtre. Il n'est pas juste que votre servante et
187
votre
Mère, si obligée des faveurs de votre puissante main, fasse un seul pas qui ne
tende à votre plus grande gloire et à l’exaltation de votre saint
nom. Exaucez, Seigneur, mon désir et mes prières, afin que je fasse ce
qui est le plus conforme à votre bon plaisir. » Le Seigneur lui répondit
aussitôt : Mon Épouse et ma Colombe, ma volonté a ordonné ce voyage. Obéissez
à J eau, et allez à Éphèse; car j'y veux manifester ma clémence à
l'égard de quelques âmes parle moyen de votre présence, pendant le temps
qui sera convenable. » Cette réponse du Seigneur laissa la bienheureuse Marie
plus consolée' et mieux instruite de la volonté divine; elle demanda à m
Majesté sa bénédiction et la permission de se mettre en chemin, au moment que
fixerait l'apôtre : et, toute pleine du feu de la charité, elle s'enflammait
d'un saint zèle pour le bien spirituel des Éphésiens, dont le Seigneur lui
avait fait espérer qu'il tirerait un fruit qui lui serait agréable.
L’auguste Marie va de Jérusalem à Saragosse en Espagne, pour visiter saint
Jacques par la volonté de son Fils, notre Sauveur. — Ce qui arriva dans cette
visite l'année et le jour auquel elle eut lien.
346. Toute la sollicitude
de notre incomparable princesse, la très-pure
Marie, s'appliquait aux progrès de la sainte Église, à la consolation des
apôtres,
188
des
disciples et des autres fidèles; et tons ses soins tendaient à les défendre du
dragon infernal et de ses ministres, dans la persécution et dans les embûches
que ces ennemis leur préparaient, comme on l'a vu plus haut. Par cette
ineffable charité, avant de partir de Jérusalem pour se rendre à Éphèse, elle
disposa et régla, autant que possible, toutes choses par elle-même et par le
ministère de ses saints anges, pour prévenir de la manière la plus convenable
les inconvénients de son absence; car elle ne savait point alors combien de
temps ce voyage durerait, ni l'époque de son retour à Jérusalem. La plus
grande précaution qu'elle put prendre, ce fut de prier continuellement son
très-saint Fils de défendre ses apôtres et ses
serviteurs par la puissance infinie de son bras, d'abattre l'orgueil de
Lucifer, et de dissiper les desseins impies qu'il couvait dans sa malice
contre la gloire du même Seigneur. La très-prudente
Mère savait que saint Jacques serait le premier des apôtres; qui verserait son
sang pour notre Seigneur Jésus-Christ, et comme elle l'aimait beaucoup (ainsi
que je l'ai dit ailleurs) entre les prières qu'elle faisait pour tous les
apôtres, elle en fit une particulière pour lui.
347. Un jour que la divine
Mère était ainsi occupée à prier (c'était le quatrième avant qu'elle partit
pour Éphèse), elle sentit dans son intérieur quelque chose d'extraordinaire et
des effets célestes, qu'elle avait déjà expérimentés autrefois quand elle
était sur le peint de recevoir quelque bienfait particulier. On appelle ces
opérations paroles du Seigneur,
189
selon le
style de l'Écriture ; et la bienheureuse Marie y répondant, comme Maîtresse de
la science, dit Seigneur, que vous plaît-il que je fasse? Parlez,
a mon Dieu, car votre servante écoute.
s Pendant qu'elle redisait ces paroles, elle vit
son très-saint Fils, qui, placé sur un trône d'une
majesté ineffable et accompagné d'une multitude innombrable d'anges de tous
les ordres et de tous les choeurs célestes, descendait du ciel en personne
pour la visiter. Sa divine Majesté entra avec cette pompe dans l’oratoire de
sa bienheureuse Mère, et l'humble Vierge lui rendit du fond de son âme le
culte de l'adoration la plus parfaite. Aussitôt le Seigneur lui parla en ces
termes : « Mère bien-aimée, de qui j'ai reçu l'être humain pour sauver le
monde, je suis attentif à vos prières et à vos saints désirs qui sont toujours
agréables à mes yeux. Je défendrai mes apôtres et mon Église; je serai
son Père et son Protecteur; j'empêcherai quelle ne soit vaincue, et que
les portes de l'enfer ne prévaillent contre elle (1). Vous savez qu'il faut
que les apôtres travaillent avec me grâce pour ma gloire, et
qu'ils me suivent par le chemin de la croix et de la mort que j'ai soufferte
pour racheter le genre humain. Le premier qui me doit imiter en
cela est Jacques, mon fidèle serviteur; et je veux qu'il souffre le
martyre dans cette ville de Jérusalem. Et afin qu'il y vienne, et pour
d'autres fins qui regardent ma gloire et la votre, ma volonté est
(1) Matth., XVI, 18.
190
que vous
le visitiez en Espagne, où il prêche mon saint nom. Je veux, ma Mère, que vous
alliez à Saragosse, où il se trouve maintenant, et que vous lui ordonniez de
revenir à Jérusalem ; et de construire, avant de quitter Saragosse, dans cette
même ville, en votre honneur et sous votre vocable un temple où vous
soyez révérée et invoquée, pour le bien de ce royaume, pour ma glaire et
mon bon plaisir, pour la gloire et le bon plaisir de notre bienheureuse
Trinité. »
343. La grande Reine du
ciel reçut cette mission de son très-saint Fils
avec une joie toute nouvelle, et lui dit avec une profonde soumission: « Mon
adorable Seigneur, que votre sainte volonté soit éternelle ment
accomplie en votre servante et votre Mère, et que toutes les créatures
vous louent éternellement pour les oeuvres admirables de votre immense
miséricorde envers vos serviteurs. Moi-même je vous en glorifie, Seigneur, et
vous en rends de très humbles actions de grâces, au nom de toute la
sainte Église et au mien. Permettez, mon Fils, que, dans ce temple
que vous voulez que votre serviteur Jacques construise, je puisse
promettre en votre saint nom, la protection particulière de votre puissant
bras, et que ce sanctuaire soit une partie de mon héritage pour tous ceux qui
y invoqueront avec dévotion votre même nom, et y imploreront auprès de
votre clémence la faveur de mon intercession.
349. Notre Rédempteur
Jésus-Christ lui répondit :
191
« Ma Mère; en qui ma
volonté a trouvé ses complaisances, je vous donne ma royale parole que je
regarderai avec une singulière clémence et remplirai de douces
bénédictions ceux de vos dévots qui avec humilité m'invoqueront dans ce
temple, par le moyen de votre intercession. J'ai déposé entre vos
mains tous mes trésors; et comme ma Mère qui tenez ma place et mon
pouvoir, vous pouvez enrichir et privilégier ce lieu et y promettre votre
faveur; car j'accomplirai tout au gré de votre volonté. » La
très-pure Marie rendit de nouvelles actions de
graces pour cette promesse de son Fils et de son
Dieu tout-puissant. Puis, conformément aux ordres du même Seigneur, un grand
nombre des aines qui l'accompagnaient formèrent un trône d'une nuée
très-lumineuse, et y élevèrent l'auguste Vierge,
comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé. Notre Seigneur Jésus-Christ
lui ayant donné sa bénédiction, remonta au ciel avec les autres anges. Quant à
la très-prudente Mère, portée par les séraphins,
et accompagnée de ses mille auges et des autres que le Seigneur lui avait
laissés, elle alla a Saragosse, en Espagne, en
corps et en rime. Et quoique ce volage eût pu se faire en
très-peu de temps, le Seigueur le régla
d'une telle manière, que les saints auges formant
des choeurs d'une délicieuse harmonie, eussent le loisir d'y chanter des
hymnes de louange à leur Reine.
350. Les uns chantaient l'Ave
Maria; les autres, Salve sancta
Parens, et le
192
encore
le Regina caeli laetare,
etc. Ils alternaient ces chants en choeur, et se répondaient les uns aux
autres en formant des accords si mélodieux, que l'homme ne saurait s'en faire
une idée ici-bas. Notre auguste Princesse répondait à ces cantiques avec une
humilité qui égalait la grandeur de ce bienfait, rapportant toute cette gloire
à l'Auteur qui la lui donnait. Elle redisait mille fois: Saint, Saint,
Saint, est le Dieu des armées (1) ; Seigneur, ayez pitié des
misérables, enfants d'Ève; le pouvoir et la majesté vous appartiennent; vous
êtes le seul Saint, le Très-Haut, et le Maître de toutes les milices célestes
et de tout ce qui est créé. Les anges répondaient à leur tour à ces
divines louanges qui étaient si douces aux oreilles du Seigneur; et avec cette
musique céleste ils arrivèrent à Saragosse vers minuit.
351. Le
très-heureux apôtre saint Jacques était avec ses
disciples hors de la ville, tout contre la muraille qui longe les bords de
libre, et il s'était un peu écarté de leur compagnie pour faire oraison. Parmi
les disciples, les uns dormaient, et les autres priaient à l'exemple de leur
Maître; et comme ils ne pensaient à rien moins qu'à ce qui allait leur
arriver, la procession des anges se tint à une certaine distance avec la
musique, pour ne pas les surprendre; dé sorte qu'elle prit être entendue de
loin, non-seulement par saint Jacques, mais aussi,
par les disciples; ceux même qui dormaient se réveillèrent, et tous furent
(1) Isa., VI, 3.
193
pénétrés
d'une vive consolation intérieure et transportés d'une admiration qui les jeta
hors d'eux-mêmes, leur ôta presque la parole, et leur fit verser d'abondantes
larmes de joie. Ils aperçurent en l'air une lumière éclatante qui surpassait
celle du soleil, quoiqu'elle ne s'étendit pas de
toutes parts, ne remplissant qu'un espace déterminé, comme un grand globe.
Plus ravis encore, à cette vue, d'admiration et de joie, ils restèrent
immobiles jusqu'à ce que leur maître les appela.
Par ces merveilleux effets qu'il leur faisait sentir, le Seigneur voulait les
préparer et les rendre attentifs à ce qui leur serait découvert de ce grand
mystère. Les saints anges placèrent le trône de leur Reine sous les yeux de
l'apôtre, qui, absorbé dans la plus sublime oraison, entendait la musique et
apercevait la lumière mieux que les disciples: Les anges portaient une petite
colonne de marbre ou de jaspe, et d'une autre matière différente ils avaient
fait une statue, qui n'était pas fort grande, de la Reine du ciel; ils la
portaient avec beaucoup de vénération; et ils avaient préparé ces objets
sacrés cette même nuit avec l'habileté qui leur est naturelle quand Dieu leur
donne le pouvoir d'agir sur quelque chose.
352. La grande Reine de
l'univers étant sur ce trône admirable et environnée des choeurs des anges,
qu'elle surpassait et en lumière et en beauté, se manifesta à saint Jacques,
qui se prosterna aussitôt devant la Mère de son Créateur et de son Rédempteur;
il vit aussi la statue et la colonne ou le pilier entre les
194
mains de
quelques anges. La charitable Reine lui donna la bénédiction au nom de son
très-saint Fils, et lui dit : « Jacques, serviteur
du Très-Haut, soyez béni de sa droite, et rempli de la joie de sa divine
face. » Et tous les anges répondirent : Ainsi soit-il. Notre auguste Dame
poursuivant son discours ajouta : « Mon fils Jacques, le
Tout-Puissant a choisi ce lieu, afin que vous le lui consacriez
en y construisant un temple que vous lui dédierez, et où il veut que,
sous le titre de mon nom, le sien soit exalté, que les trésors de sa
divine droite et de ses anciennes miséricordes soient abondamment
communiquées à tous les fidèles; et qu'ils les reçoivent par mon
intercession, s'ils les demandent avec une vive foi et avec ente
véritable dévotion. Je leur promets, au nom du Très-Haut, de grandes
faveurs, de douces bénédictions, et ma puissante protection; car ce
temple sera ma maison et mon propre héritage. Et
en
garantie de cette vérité et de cette promesse, ma propre image y sera placée
sur cette colonne; et elle demeurera aussi bien que la sainte foi
jusqu'à la fin du monde dans le temple que vous construirez. Vous
commencerez au plus tôt cette maison du Seigneur; et après que vous lui
aurez rendu ce service, vous partirez pour Jérusalem, où mon très saint Fils
veut que vous lui offriez le sacrifice de votre vie dans le même lieu où
il a donné la sienne pour la rédemption du genre humain. »
353. Quand notre grande
Reine eut achevé ces paroles, elle ordonna aux anges de mettre la sainte
195
statue
sur la colonne et de la placer à l'endroit même où elle se trouve aujourd'hui,
ce qu'ils exécutèrent dans un instant. Aussitôt que la colonne fut érigée, et
que l'image sacrée y fut posée, les mêmes anges et le saint apôtre reconnurent
ce lieu pour la maison de Dieu, la porte du ciel (1), et une terre sainte et
consacrée en un temple pour la gloire du Très-Haut, et pour l'invocation de sa
bienheureuse Mère. En foi de quoi ils y offrirent leurs adorations à la
Divinité. Saint Jacques se prosterna, et les anges par de nouveaux cantiques
célébrèrent les premiers avec le même apôtre la nouvelle dédicace du premier
temple qui eût été construit dans le monde sous le vocable de la grande Reine
du ciel et de la terre après la rédemption du genre humain. Telle fut
l'heureuse origine du sanctuaire de Notre-Dame du Pilier à Saragosse, que l'on
appelle avec raison chambre angélique, propre maison de Dieu et de sa
très-pure Mère, digne de la vénération de tout
l'univers, et caution assurée des faveurs du Ciel, si nos péchés ne nous en
rendent indignes. Il me semble que notre grand patron et apôtre le second
Jacob commença bien plus glorieusement ce temple, que le premier Jacob n'avait
commencé le sien à Béthel lorsqu'il se rendait en Mésopotamie, quoique cette
pierre qu'il érigea comme un monument (2) marquât la place où le temple de
Salomon devait être construit. Jacob vit là l'échelle mystique avec les saints
anges, en songe et en figure; mais
(1) Gen., XXVIII, 17. —
(2) Ibid., 18.
196
saint
Jacques vit ici par les yeux corporels la véritable échelle du ciel et
beaucoup plus d'anges. Là, une pierre fut dressée comme un monument pour le
temple qui devait plusieurs fois être détruit et être entièrement ruiné après
quelques siècles; mais ici, sur l'appui de cette véritable colonne consacrée,
furent établis le Temple de la foi et le culte du Très-Haut jusqu'à la fin
monde; et les anges montent et descendent le long de cette échelle du ciel
avec les prières des fidèles et avec les faveurs incomparables que distribue
notre grande Reine à ceux qui l'invoquent et l'honorent dans ce lieu avec une
sincère dévotion.
354. Notre apôtre rendit de
très-humbles actions de grâces à la bienheureuse
Marie, et la pria dé protéger d'une manière spéciale ce royaume d'Espagne, et
surtout ce lieu consacré à sa dévotion et à son nom. La divine Mère lui promit
de le faire, et lui ayant donné de nouveau sa bénédiction, les anges la
ramenèrent à Jérusalem dans le même ordre qu'ils l'avaient portée à Saragosse.
A sa prière, le Très-Haut ordonna qu'un ange demeurât dans ce sanctuaire pour
le défendre, et depuis ce jour-là il remplit ce ministère, et le remplira tant
qu'y subsisteront l'image sacrée et la colonne. De là le prodige que tous les
fidèles reconnaissent : c'est que ce sanctuaire s'est maintenu inébranlable,
intact depuis plus de mille six cents ans parmi la perfidie des Juifs,
l'idolâtrie des Romains, l'hérésie des ariens et la fureur barbare des Maures;
mais l'admiration des catholiques serait encore plus grande s'ils
connaissaient en détail les moyens et les artifices
197
que les
enfers conjurés ont inventés à diverses époques pour détruire ce sanctuaire
par la main de tous ces infidèles et de toutes ces nations. Je ne m'arrête
point au récit de ces entreprises inutiles, parce qu'il n'est pas nécessaire,
et que d'ailleurs il n'entre pas dans mon sujet. Il me suffit de dire que
Lucifer s'est servi très-souvent de tous ces
ennemis de Dieu pour essayer de renverser ce sanctuaire ,
et que le saint ange qui le garde a toujours déjoué tous leurs efforts.
355. Mais je fais savoir
deux choses qui m'ont été découvertes, 'afin que je les écrive ici. L'une est
que les promesses dont je viens de parler, tant de notre Sauveur Jésus-Christ
que de sa très-sainte Mère, de garder ce saint
temple , quoiqu'elles semblent être absolues, renferment néanmoins une
condition implicite, comme beaucoup d'autres promesses- de l'Écriture sainte
qui s'appliquent à des bienfaits particuliers de la divine grâce: Cette
condition est que nous agissions de notre côté de manière à ne point obliger
le Seigneur de nous priver de la faveur et de la miséricorde qu'il nous
promet. Et comme Dieu réserve dans le secret de sa justice le poids des péchés
qui peuvent l'y obliger, il se dispense de stipuler expressément cette
condition. D'ailleurs, nous sommes assez avertis par sa sainte Église que ses
promesses et ses faveurs ne nous sont point faites pour que nous nous en
servions contre le Seigneur lui-même, et que nous l'offensions en comptant sur
sa libérale miséricorde, puisque rien n'est si capable de nous en rendre
198
indignes
que cette ingratitude. Les péchés de ces royaumes et de cette pieuse ville de
Saragosse peuvent être en si grand nombre et si énormes, que nous mettrons de
notre côté la condition et le nombre par où nous mériterons d'être privés de
cet admirable bienfait et de la protection de la grande Reine des anges.
356. Le second avis, qui
n'est pas moins digne de considération , est que,
comme Lucifer et ses démons connaissent ces vérités et ces promesses du
Seigneur, ils ont tâché et tâchent toujours par leur malice infernale
d'introduire de plus grands vices parmi les habitants de cette illustre ville
, et surtout de ces vices qui peuvent le plus offenser la pureté de la
bienheureuse Vierge. Ainsi, il emploie plus de ruses dans cette ville
privilégiée que dans les antres. Dans cette conduite, l'antique serpent tend à
un double but également exécrable. D'une part, il veut porter les fidèles qui
habitent cette ville à offenser Dieu, et à le forcer par leurs offenses de ne
leur plus conserver ce sanctuaire, et par là Lucifer obtiendrait ce qu'il i'a
pas obtenu par tant d'autres moyens dont il s'est servi. D'autre part, il
veut, s'il échoue dans cette première tentative, faire eu sorte au moins
d'empocher les limes de vénérer ce saint temple, et de recevoir les grands
bienfaits que la très-pure Marie a promis, d'y
accorder à ceux qui les demanderaient dignement. Lucifer et, ses démons savent
très-bien que tes habitants de Saragosse ont
envers la Reine du ciel des obligations plus étroites:que beaucoup d'autres
villes
199
et
provinces de la chrétienté, parce qu'ils ont dans l'enceinte de leurs murs la
source des faveurs que les autres y vont chercher, et que si nonobstant la
possession d'un si grand trésor ils deviennent plus vicieux, et méprisent un
témoignage de clémence et de bonté qu'ils ne sauraient avoir mérité, cette
ingratitude envers Dieu et envers sa très-sainte
Mère leur attirera une plus grande indignation et un plus rigoureux châtiment
de la justice divine. J'avoue à toits ceux qui liront cette histoire que je
suis heureuse de l'écrire à deux journées seulement de Saragosse; je me
félicite de ce voisinage, et je regarde ce sanctuaire avec une tendre
dévotion , à cause de ce que tout le monde
comprendra que je dois à la grande Reine de l'univers. Je déclare aussi la
reconnaissance qu'ont dû m'inspirer les bontés des habitants de cette ville.
Pour la leur témoigner, je voudrais leur rappeler de vive voix la dévotion
profonde et cordiale qu'ils doivent avoir envers l'auguste Marie , et les
faveurs qu'ils peuvent, soit obtenir par cette dévotion, soit démériter
parleur négligence et leur inattention. Qu'ils se considèrent donc comme plus
favorisés et plus obligés que les autres fidèles. Qu'ils apprécient leur
trésor, qu'ils en profitent avec joie, et qu'ils se cardent de faire du
propitiatoire de Dieu une maison inutile et commune, et de le changer eu un
tribunal de justice, puisque la très-pure Marie a
fait de ce saint temple un siège de miséricordes.
357. Après cette apparition
de la bienheureuse Vierge, saint Jacques appela ses disciples, qui, sans
200
avoir ni
vu ni entendu autre chose que la lumière et la musique céleste, en étaient
encore tout émerveillés. Leur charitable maître les informa de ce qu'il
convenait qu'ils sussent, afin qu'ils l'aidassent à bâtir le monument sacré
auquel il se mit à travailler activement; et avec l'assistance des anges il
acheva avant de quitter Saragosse la petite chapelle où se trouvent la sainte
image et la colonne. Dans la suite des temps les catholiques ont construit le
magnifique temple et les édifices accessoires qui entourent ce sanctuaire si
célèbre. L'évangéliste saint Jean n'eut alors aucune connaissance de ce voyage
de la divine Mère en Espagne; elle ne lui en dit rien, parce que ces faveurs
et ces excellences ne concernaient point la foi universelle de l'Église; c'est
pour cette raison qu'elle les conservait dans le secret de son cœur,
quoiqu'elle en déclarât d'autres plus grandes à saint Jean et sua autres
évangélistes, lorsque la connaissance en était nécessaire pour la commune
instruction et pour la foi des fidèles. Mais quand saint Jacques, à son
retour, d’Espagne, passa par Éphèse, il communiqua à son frère Jean ce qui lui
était arrivé pendant qu'il prêchait en Espagne, et lui raconta les deux
apparitions qu'il avait eues de la divine Mère, et les circonstances
particulières de cette seconde. apparition à
Saragosse; il lui parla aussi du temple qu'il avait construit dans cette
ville. Et par le récit que l'évangéliste en fit, plusieurs apôtres et
disciples connurent ce miracle; car étant de retour à
Jérusalem , il le leur rapporta lui-même pour les affermir dans la foi
, dans la dévotion
201
envers
la grande Reine du ciel, et dans la confiance qu'ils devaient avoir en sa
protection. Et cela eut son effet, car dès lors ceux qui surent quelle faveur
Jacques avait reçue, l'invoquaient dans leurs afflictions et dans leurs
besoins, et la compatissante Mère les secourut tour à tour au milieu de divers
dangers et en diverses occasions.
358. Cette miraculeuse
apparition de la bienheureuse Marie dans Saragosse eut lieu au commencement
de, l'an quarante de la naissance de son Fils notre Sauveur, dans la nuit qui
suivit le 2 janvier. Il s'était passé quatre ans quatre mois et dix jours
depuis que saint Jacques avait quitté Jérusalem pour aller prêcher; car le
saint apôtre en partit (comme je l'ai dit plus haut) en l'an 35, le 20 août,
et après cette apparition il employa à construire le temple, à s'en retourner
à Jérusalem et à prêcher, un an deux mois et vingt-trois jours, et il mourut
le 25 mars de l'an 41. Lorsque la grande Reine des anges lui apparut à
Saragosse, elle avait cinquante-quatre ans trois mois et vingt-quatre jours,
et elle partit pour Éphèse le quatrième jour après qu'elle fut de retour à
Jérusalem, ainsi que je le dirai dans le premier chapitre du livre suivant. De
sorte que ce temple lui fut dédié plusieurs années avant sa glorieuse mort,
comme on le verra lorsqu'à la fin de cette histoire de notre auguste Dame je
déclarerai son âge et l'année en laquelle elle mourut; car depuis cette
apparition il se passa plus de temps qu'on ne dit ordinairement. Et pendant
toute cette période elle fut honorée d'un
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culte
public en Espagne, où on lui dédia aussitôt, à l'exemple de Saragosse,
plusieurs temples dans lesquels on lui rendait une solennelle vénération.
359. Ce merveilleux
privilège honore sans contredit beaucoup plus l'Espagne que tout ce qu'on
pourrait dire à son avantage, puisqu'elle a eu le bonheur d'être la première
entre toutes les nations et tons les royaumes du monde à rendre un culte
public à la grande Reine du ciel la très-pure
Marie pendant qu'elle vivait en la chair mortelle, et de l'invoquer alors avec
plus de dévotion et de zèle que d'autres nations ne l'ont invoquée après sa
mort et depuis quelle est montée au ciel pour ne plus revenir sur la terre.
J'ai appris que c'est en récompense de cette ancienne dévotion de l'Espagne
envers la bienheureuse Vierge que cette charitable Mère a enrichi publiquement
les royaumes par un si grand nombre de ses images miraculeuses, et par tant de
temples dédiés à son saint nom. Par ces faveurs toutes spéciales, la divine
Mère a daigné se rendre plus familière dans ces pays, en leur offrant sa
protection dans tant de sanctuaires qu'elle y a, et en venant de toutes parts
et dans toutes les provinces au-devant de nous, afin que nous la
reconnaissions pour notre Mère et pour notre Patronne, et aussi afin que nous
comprenions qu'elle oblige notre peuple à défendre son honneur et à étendre sa
gloire dans tout l'univers.
360. Je supplie humblement
tous les habitants d’Espagne, et je les presse au nom e cette grande Dame de
ranimer leur foi et do faire revivre l'antique
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dévotion
envers la très-pure Marie, de se regarder comme
plus obligés à son service que les autres nations, et d'avoir surtout une
grande vénération pour le sanctuaire de Saragosse, comme surpassant les autres
par l'excellence de ses privilèges, et comme ayant vu et fait naître la pieuse
vénération que l'Espagne a vouée à l'auguste Reine du ciel. Et que tous ceux
qui liront cette histoire soient persuadés que les prospérités et les
grandeurs anciennes de cette monarchie ont été des effets de la protection de
la bienheureuse Marie et des services que ses anciens habitants lui ont
rendus; et si aujourd'hui ces grandeurs sont si diminuées et presque perdues,
il faut l'attribuer à notre oubli et à notre peu de zèle qui nous a attiré et
mérité cet abandon si visible. Si nous souhaitons la fin de tant de calamités,
nous ne pouvons l'obtenir que par le moyen de cette puissante Reine, en nous
attirant sa protection par de nouveaux services et par des témoignages
éclatants d'une véritable dévotion. Et puisque le bienfait incomparable de la
foi catholique et les autres que j'ai rapportés nous sont venus par
l'entremise de notre grand patron et apôtre saint Jacques, renouvelons aussi
envers lui notre dévotion, et invoquons-le de tout notre coeur, afin que par
son interc6ssion le Tout-Puissant renouvelle ses
merveilles.
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Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
361. Ma fille, je vous
avertis que ce n'est pas sans mystère que je vous ai si souvent découvert dans
le cours de cette histoire les secrets desseins de l'enfer contre les hommes,
les trahisons qu'il ourdit pour les perdre, et la haine vigilante et
implacable avec laquelle il tâche d'en venir à bout, ne négligeant ni moment
ni occasion, plaçant en tous lieux et en tous chemins des pierres
d'achoppement, et tendant mille piéges autour de tous les mortels, quel que
soit leur état, pour les y faire tomber; et vous savez que ceux qu'il tend aux
personnes qui souhaitent avec ardeur la vie éternelle et l'amitié de Dieu,
sont encore plus dangereux, parce qu'ils sont plus cachés. Outre ces avis
généraux, je vous ai fait connaître plusieurs fois les entreprises que les
démons font contre vous. Il importe à tous les enfants de l'Église de sortir
de l'ignorance dans laquelle ils vivent des dangers si fréquents de leur
damnation éternelle, sans faire réflexion que ç'a été un châtiment du premier
péché de perdre la connaissance de ces secrets; et ensuite lorsqu'ils
pourraient la mériter, ils s'en rendent plus indignes par leurs propres
péchés. Il y a même beaucoup de fidèles qui vivent dans une aussi grande
négligence que s'il n'y avait point de démons
très-vigilants à les persécuter et à les séduire; et si quelquefois ils
y pensent, ce n'est que superficiellement
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et en
passant, car aussitôt ils retombent dans leur premier oubli, qui équivaut chez
la plupart à l'oubli des peines éternelles. S'il est vrai qu'en tous temps et
en tous lieux, en toutes oeuvres et en toutes occasions, le démon leur dresse
des embûches, il serait bien juste et bien naturel qu'aucun chrétien ne fit un
seul pas sans demander la faveur divine pour connaître le péril et pour n'y
pas tomber. Mais les enfants d'Adam considèrent si peu leur propre malheur,
qu'à peine trouvera-t-on, une seule de leurs actions qui ne soit infectée du
venin du serpent infernal, et par là ils accumulent péchés sur péchés, crimes
sur crimes, qui irritent la puissance divine et qui les rendent indignes de la
miséricorde.
362. Au milieu de tous ces
périls, je vous exhorte, ma fille, puisque vous connaissez la vigilance des
démons et la haine particulière qu'ils ont conçue contre vous, à avoir
vous-même, avec le secours de la divine grâce une vigilance aussi grande et
aussi continuelle qu'elle vous est nécessaire pour vaincre les plus rusés des
ennemis. Remarquez ce que je fis lorsque je connus l'intention que Lucifer
avait de me persécuter et de détruire l'Église : je redoublai alors les
prières et les gémissements, et comme les démons voulaient se servir d'Hérode
et des Juifs de Jérusalem, quoique j'eusse pu demeurer dans cette ville avec
moins de crainte que les autres fidèles, et que je l'eusse désiré, je la
quittai néanmoins, pour donner un exemple de prudence et de soumission : de
prudence en m'éloignant du péril, et d'obéissance en me
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conduisant
parla volonté de saint jean. Vous n'êtes pas forte, et le commerce des
créatures vous expose à un plus grand danger; en outre vous êtes ma disciple,
et vous avez mes actions et ma vie pour y conformer la vôtre : c'est pourquoi
je veux que, quand vous aurez reconnu le péril, vous vous en éloigniez
aussitôt, fallût-il vous résigner à un déchirement douloureux; que vous vous
conduisiez par l'obéissance que vous devez à celui qui vous dirige comme par
une boussole infaillible, et que vous vous appuyiez sur cette vertu comme sur
une forte colonne pour ne pas tomber. Prenez bien garde si sous certaines
apparentes de piété l'ennemi ne vous cache point un piège, et ne cherchez
point à faire du bien aux autres à votre propre préjudice spirituel. Ne vous
fiez point à votre sentiment, quand il vous paraîtrait bon et sûr, et ne
faites pas difficulté d'obéir en quoi que ce soit, puisque par obéissance
j'entrepris un voyage très-pénible et
très-fatigant.
363. Renouvelez aussi en
vous les désirs de suivre mes traces et de m'imiter avec perfection pour
continuer le reste de ma vie et l'écrire dans votre coeur. Courez par le
chemin de l'humilité et de l'obéissance après l'odeur de ma vie et de mes
vertus, car si vous m'obéissez (comme je vous y ai si souvent exhortée), je
vous assisterai comme ma fille dans vos nécessités et dans vos tribulations,
et mon très-saint Fils accomplira en vous sa
volonté, comme il le souhaite, avant que vous ayez achevé cet ouvrage; vous
recevrez les effets des promesses que nous vous avons faites
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plusieurs
fois, et vous serez bénie de sa puissante droite. Glorifiez le Très-Haut de la
faveur qu'il fit à mon serviteur Jacques à Saragosse, de la construction du
temple qu'il m'y dédia avant ma mort, de tout ce que je vous ai découvert de
cette merveille, enfin de ce que ce temple fut le premier de la loi
évangélique, et fort agréable à la très-sainte
Trinité.
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