Livre VIII - Ch. IV-IX

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CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie détruit le temple de Diane à Éphèse. — Ses anges la portent dans l'empyrée, où le Seigneur la prépare pour entrer en bataille contre le dragon infernal et pour le vaincre. — Il commence la lutte par des tentations d'orgueil.

Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

CHAPITRE V. La bienheureuse Marie, rappelée par l'apôtre saint Pierre, s'en retourne d’Éphèse à Jérusalem. — Le combat continue contre les démons. — Elle essuie une grande tempête sur mer. — Circonstances secrètes qui s'y présentèrent.

LETTRE DE SAINT PIERRE A LA BIENHEUREUSE MARIE.

Instruction que notre grande Reine m'a donnée.

CHAPITRE VI. L'auguste Marie visite les saints lieux. — Elle remporte des triomphes mystérieux sur les démons. — Elle voit, dans le ciel, la Divinité par la vision béatifique. — Les apôtres tiennent un concile. — Circonstances secrètes de ces événements.

Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges.

CHAPITRE VII. La bienheureuse Marie termine ses divers combats, triomphant glorieusement des démons, comme saint Jean le rapporte dans le chapitre douzième de son Apocalypse.

Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges.

CHAPITRE VIII. On déclare l'état dans lequel Dieu mit sa très-sainte Mère, par une vision de la Divinité abstractive, mais continuelle, après qu'elle eut vaincu les démons, et la manière d'opérer qu'elle avait dans cet état.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE IX. Le commencement qu'eurent les évangélistes et leurs évangiles. — La part qu'y prit la bienheureuse Vierge. — Elle apparut à saint Pierre à Antioche et à Rome. — Autres semblables faveurs qu'elle fit à quelques autres apôtres.

Instruction que la Reine des anges m'a donnée.

 

 

CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie détruit le temple de Diane à Éphèse. — Ses anges la portent dans l'empyrée, où le Seigneur la prépare pour entrer en bataille contre le dragon infernal et pour le vaincre. — Il commence la lutte par des tentations d'orgueil.

 

430. La ville d'Éphèse, située aux extrémités occidentales de l'Asie, est fort renommée dans toutes les histoires, pour plusieurs grandes choses, qui dans les siècles passés l'ont rendue si illustre et si fameuse dans l'univers entier. Mais sa plus grande gloire a été d'avoir reçu la Maîtresse souveraine

 

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du ciel et de la terre dans son enceinte pour quelques mois, comme on verra dans la suite. Voilà l'inestimable privilège  qui la rendit véritablement heureuse. Quant à ses autres avantages, quelque excellents qu'ils fussent, ils la rendirent en réalité malheureuse et infâme jusqu'à ce temps-là, puisque le prince des ténèbres y avait tellement affermi son trône. Mais comme notre grande Dame, la Mère de la grâce, fut reçue par tes habitants de cette ville avec tant de marques de bienveillance et de libéralité, il n'était pas possible que la très-ardente et très-généreuse charité qu'elle exerçait dans toute sorte d'occasions ne récompensât un accueil si obligeant par de plus grands bienfaits, se croyant plus redevable à ce peuple, au milieu duquel elle se trouvait, qu'aux autres qui lui étaient étrangers; et si elle était très-libérale envers tous, elle devait l'être davantage envers les Éphésiens. Sa propre gratitude la porta à se regarder comme obligée à favoriser toute cette ville. Elle fit des prières particulières pour elle, suppliant son très-saint Fils avec beaucoup de ferveur de répandre ses bénédictions sur ses habitants; de les éclairer comme un Père plein de bonté, et de les attirer à sa foi et à sa connaissance.

431. Le Seigneur lui répondit que, comme Reine de l'Église et de tout l'univers, elle pouvait faire tout ce qu'elle voudrait; mais qu'il fallait qu'elle considérât l'obstacle qu'opposait cette ville à l'effusion des dons de la miséricorde divine: parce que les anciennes et les présentes abominations des péchés que ses habitants

 

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commettaient, avaient fermé les portes de la clémence, et méritaient la rigueur de la justice, qu’ils auraient déjà éprouvée, si le Seigneur n'eût déterminé que cette même Reine vint demeurer dans cette ville au moment oh les iniquités de ses habitants étaient arrivées à leur comble pour attirer le châtiment qui était suspendu à sa considération. Outre cette réponse, la bienheureuse Vierge connut que la divine justice lui demandait comme sa permission et son consentement pour détruire ce peuple idolâtre d'Ephèse et des lieux circonvoisins. Cette connaissance et cette réponse affligèrent profondément le coeur compatissant de la très-douce Mère; mais sa charité quasi immense ne se laissa point décourager, et redoublant ses prières, elle dit au Seigneur :

489. « Souverain Roi, juste et miséricordieux, je  sais bien que la rigueur de votre justice s'exécute;  lorsque vous n'avez pas lieu d'exercer votre miséricorde; et que vous n'avez besoin pour celle-ci que de trouver en votre sagesse un motif quelconque, fût-il le plus léger, du côté des pécheurs. » Ayez maintenant égard, Seigneur, à la charité avec  laquelle les habitants de cette ville m'ont accueillie a pour y demeurer conformément à votre volonté;  ayez égard aux offres de leurs biens qu'ils m'ont  faites et il votre serviteur Jean pour nous secourir  dans nos besoins. Tempérez, mon Dieu, votre  rigueur, et faites qu'elle s'exerce sur moi; je la souffrirai volontiers pour le remède de ces misérables. Et vous qui êtes tout-puissant, et qui avez

 

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une bonté et une miséricorde infinie pour surmonter le mal par le bien, vous pouvez enlever cet  obstacle, et faire qu'ils profitent de vos bienfaits,  et que je n'aie pas la douleur de voir périr tant d'âmes, qui, sont les ouvrages de vos mains et le  prix de votre sang. » Le Seigneur, répondant à cette prière, dit: « Ma Mère et ma Colombe, je veux que vous connaissiez expressément la cause de ma juste  colère, et combien ces hommes pour lesquels vous  me priez, en ont mérité les effets. Or soyez attentive, et vous en serez persuadée. » Aussitôt notre auguste Reine découvrit par une très-claire vision tout ce qui suit.

433. Elle connut que plusieurs siècles avant,l'incarnation du Verbe dans son sein virginal, entre divers conciliabules que Lucifer avait tenus pour détruire les hommes, il en tint un dans lequel, s'adressant à ses démons, il leur dit: Par les lumières que j'eus su ciel dans mon premier état, par tee prophéties que Dieu a révélées aux hommes, et par les faveurs qu'il a accordées à un grand nombre de ses amis, j'ai eu moyen de découvrir que Dieu agréera beaucoup que les enfants d'Adam de l'un et de l'autre sexe s'abstiennent dans les temps à venir de plusieurs vices que je désire perpétuer dans le monde, surtout des plaisirs charnels , de la cupidité des biens de la terre et de l'avarice, et qu'ils renoncent mémo' à ce qui leur pourrait être permis. Afin qu'ils le fassent contre mon gré, il leur donnera de grands secours, par lesquels ils seront volontairement

 

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chastes et pauvres, et assujettiront leur propre volonté à celle des autres hommes. Et s'ils nous vainquent par ces vertus, ils mériteront de grandes récompenses et des faveurs singulières de Dieu , comme je l'ai remarqué chez plusieurs d'entre eux qui ont été chastes, pauvres et obéissants; par ces moyens je serai frustré de mes prétentions , si nous ne trichons de remédier à ce dommage, et de. le réparer par toutes les voies qui nous seront possibles. Je considère aussi que, si le Verbe divin se revêt de la chair humaine, comme nous l'avons entendu, il sera fort chaste, et qu'en outre il enseignera à une foule. de gens à le devenir, non-seulement aux hommes, mais encore aux femmes, qui, bien que plus faibles, sont aussi souvent plus tenaces, et ce me serait un plus grand tourment d'être vaincu: par elles, après avoir déjà triomphé de la première femme; d'autant plus que les Écritures des anciens annoncent en termes si pompeux les faveurs dont le Verbe incarné fera jouir les hommes en leur propre nature, qu'il doit certainement relever et enrichir par sa puissance.

434. Je demande, poursuivit Lucifer, votre conseil et votre concours pour m'opposer à tout cela; et je veux que nous travaillions dès maintenant à empêcher que les hommes ne reçoivent tant de biens. On voit par là combien est ancienne la haine de l'enfer contre les ordres religieux , et comme il s'y est pris de loin pour machiner contre la perfection évangélique dont ils font profession. Cette question fut

 

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longuement discutée entre les démons. Comme conclusion, ils finirent par convenir que de nombreuses légions de démons se tiendraient prêter, que des chefs leur seraient choisis, et qu'ils se chargeraient de tenter ceux qui entreprendraient de vivre sous le joug de la chasteté, de la pauvreté et de l'obéissance; que dès lors ils introduiraient, en dérision de la chasteté; un genre ou un ordre de vierges apparentes ou hypocrites, qui sous ce faux titre se consacreraient au service de Lucifer et de tous ses démons. Ils s'imaginèrent que, par ce moyen diabolique, non-seulement ils entraîneraient ces dures après eux avec un plus grand triomphe, mais qu'ils déshonoreraient aussi la vie religieuse et chaste, qu'ils prévoyaient que le Verbe incarné et sa Mère enseigneraient dans le monde. Et afin que cette institution que l'enfer prétendait y introduire, fit un plus grand progrès, ces esprits malins déterminèrent de lui assurer en abondance tous les biens temporels et tout ce qui flatte la nature, d'une manière pourtant cachée au-dehors; parce qu'ils feraient en sorte qu'on pût y mener la vie la plus licencieuse, sous le nom d'une chasteté dédiée aux faux dieux.

435. Mais ils se demandèrent aussitôt de qui, des hommes ou des femmes, devrait être composé cet ordre. Quelques démons opinèrent qu'il ne fallait y faire entrer que des hommes; parce qu'ils seraient plus constants, et assureraient mieux la perpétuité de l'institution. D'autres alléguèrent que les hommes n'étaient pas aussi faciles à se laisser tromper que les

 

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femmes; qu'étant plus clairvoyants, ils pourraient découvrir l'erreur, et qu'à l'égard des femmes il n'y avait pas tant de risques, parce qu'elles sont d'un jugement faible, crédules, fort attachées à ce qu'elles aiment, et par conséquent plus faciles à maintenir dans l’illusion. Cette opinion prévalut, et Lucifer l'approuva, sans néanmoins exclure entièrement les hommes de ce prétendu ordre religieux, espérant en trouver. quelques-uns qui l'embrasseraient pour s'attirer l'estime du peuple, surtout si les démons les assistaient en leurs fourberies pour ne point perdre cette vaine réputation que Lucifer lui-même leur procurerait par ses artifices, pour conserver longtemps dans l'hypocrisie ceux qui s'assujettiraient à son service.

436. Après ce conseil infernal les démons déterminèrent d'établir un ordre ou une congrégation de vierges feintes et trompeuses ; et Lucifer dit à ces esprits immondes : « Quoiqu'il doive m'être très-agréable d'avoir des vierges vouées et consacrées à mon culte, comme celles que Dieu veut avoir, vous savez que la chasteté et. la pureté du corps me sont si fort en horreur, que  je ne saurais les souffrir, voulût-on les dédier à mon honneur. C'est pourquoi nous devons tâcher de faire en-sorte que ces vierges soient l'objet de nos infamies. Et si par hasard l'uns d'elles voulait être chaste en son corps, nous lui suggèrerons intérieurement toute sorte de pensées et de désirs impurs, et en y consentant, elle cessera réellement d'être chaste, quand même par vaine gloire elle

 

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tâcherait de se soutenir. Du reste, pourvu quelle soit intérieurement impure; nous chercherons à la maintenir dans cette orgueilleuse opinion de sa virginité. »

437. Les démons, voulant jeter les premiers fondements de ce faux ordre, parcoururent toutes lés parties du monde pour en. examiner les nations, et ils trouvèrent que certaines femmes appelées Amazones, étaient les plus propres à seconder l'exécution de leur diabolique dessein. Ces Amazones étaient venues de la Scythie dans l'Asie Mineure, où elles demeuraient. Elles étaient belliqueuses, et démentaient par leur fierté et par leur audace la fragilité de leur sexe. Elles avaient conquis par la force des armes de vastes provinces, et firent d'Éphèse leur première capitale. Elles se gouvernèrent longtemps par elles-mêmes, dédaignant de s'assujettir aux hommes et de vivre en leur compagnie, qu'elles appelaient, dans leur orgueilleuse présomption, une dure servitude. Et comme les historiens s'étendent longuement sur ces matières, quoique avec uns grande divergence d'opinions, je ne m'y arrête point. Il suffit pour mon sujet de dire que ces Amazones étaient superbes, avides de la vaine gloire, et qu'elles méprisaient les hommes; de sorte que Lucifer trouva en elles une bonne disposition pour les séduire par le fantôme de la chasteté. Il représenta, à un grand nombre d'entre elles qu'elles pourraient par cette chasteté se faire estimer et vénérer dans le monde ; qu'elles se rendraient fameuses et admirables devant les hommes; et que l’une d'elles

 

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pourrait lien obtenir le titre et les honneurs de déesse. Cédant à cette ambition démesurée qui leur promettait tant de gloire mondaine, beaucoup d'Amazones se réunirent, les unes vierges en effet, les autres, vierges en apparence, et elles fondèrent cet ordre de femmes qui formèrent une congrégation dans la ville d Éphèse , où il prit son origine.

438. En peu de temps le nombre de ces vierges plus que folles s'accrut considérablement, à l'admiration et aux applaudissements du monde, que les démons provoquaient par leurs artifices. Il y en eut une parmi elles qui se distingua le plus par sa beauté, par sa noblesse, par son esprit, par sa chasteté et par plusieurs autres avantages, qui la rendirent et plus célèbre et plus admirable; elle s'appelait Diane. Or, par suite de l'estime qu'elle s'était acquise et de l'influence que lui donnait le grand nombre des compagnes qu'elle avait près d'elle, on entreprit de construire le mémorable temple d'Éphèse, que le monde plaça au nombre de ses merveilles. On mit plusieurs siècles à bâtir ce temple; mais comme Diane s'acquit parmi les aveugles païens le titre de déesse avec tous lés honneurs qu'il comportait, on lui dédia ce magnifique monument, que l'on appela temple de Diane, et suivant cet exemple on en construisit plusieurs autres en divers endroits sous le même titre. Le démon, voulant rendre célèbre cette fausse vierge Diane lorsqu'elle vivait à Éphèse, la remplissait d'illusions diaboliques; il la revêtait souvent de fausses splendeurs

 

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et lui découvrait de secrets pronostics; il lui enseigna même diverses cérémonies et divers rites semblables à ceux dont usait le peuple de Dieu, afin qu'elle s'en servit elle-même avec les peuples idolâtres pour honorer le démon. Les autres vierges vénéraient Diane comme une déesse, et les autres Gentils en firent de même, toujours empressés d'attribuer aveuglément la divinité à tout ce qui leur paraissait admirable.

439. Grâce à ces illusions diaboliques, lorsque les Amazones furent vaincues, et que les royaumes voisins prirent à diverses époques le gouvernement d'Éphèse, ils y conservèrent ce temple comme une chose divine et sacrée, y entretenant cette congrégation de vierges folles. Un homme obscur brilla ce temple, mais la ville et le royaume le rebâtirent ensuite, et les femmes y contribuèrent beaucoup. Cela arriva environ trois cents ans avant la rédemption du genre humain. Ainsi, lorsque la bienheureuse Marie se trouvait à Éphèse , le temple qui y subsistait n'était pas le premier, c'était le second qu'on y avait rebâti au temps que j'ai marqué, et ces vierges y demeuraient en divers appartements. Mais comme, au moment de l'incarnation et de la mort de Jésus-Christ, l'idolâtrie était si affermie dans le monde, loin d'avoir amélioré leurs moeurs, ces femmes diaboliques menaient alors une vie plus déréglée qu'auparavant, et communiquaient presque toutes avec les démons d'une manière abominable. Elles commettaient en outre d'autres péchés des plus horribles, et trompaient le monde par

 

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leurs artifices et leurs oracles, de sorte que Lucifer tenait les prêtresses et les 'adorateurs dans un égal aveuglement.

440. La divine Mère vit tout cela et mille autres horreurs autour d'elle à Éphèse; elle en eut le cœur pénétré d'une si vive douleur, qu'elle en serait morte si le Seigneur ne l'eût conservée. Mais ayant vu que Lucifer avait comme établi son siége d'iniquité dans l'idole de Diane, elle se prosterna devant son très-saint Fils, et lui dit : « Souverain Seigneur, digne de toute vénération et de toute louange, il est juste de mettre fin et de remédier à ces infamies qui ont duré tant de siècles. Je ne saurais souffrir qu'une malheureuse et abominable femme reçoive le culte de la véritable Divinité, que vous seul méritez comme Dieu infini , et que le nom de la chasteté soit si profané et dédié aux démons. Votre bonté infinie m'a constituée la guide et la Mère des Vierges comme une très-noble partie de votre Église, laquelle est extrêmement agréable à vos yeux, comme le fruit le plus estimable de votre rédemption. Le titre de la chasteté vous doit être consacré dans les âmes qui seront mes filles; c'est pourquoi je ne saurais plus voir qu'on l'attribue faussement aujourd'hui à des impudiques. Je me plains de la témérité que Lucifer et ses démons ont eue d'usurper ce droit, avec tant d'injustice. Je vous prie, mon adorable Fils, en punition de cet attentat, de les condamner à vous voir délivrer ces amis de leur tyrannie, et les tirer

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de leur servitude pour les mettre dans la liberté de la foi et de la lumière véritable. »

441. Le Seigneur lui répondit : « Ma Mère, je reçois votre demande, parce qu'il n'est pas juste qu'on dédie à mes ennemis, ne fût-ce que nominativement , la vertu de chasteté que vous avez- tant ennoblie, et qui m'est si agréable. Mais la plupart de ces fausses vierges sont réprouvées à cause de leurs moeurs abominables et de leur endurcissement; elles ne prendront pas toutes le chemin du salut éternel. Quelques-unes seulement embrasseront avec sincérité la foi qui leur sera enseignée. » En ce moment saint Jean vint à l'oratoire de l'auguste Marie, sans découvrir pourtant alors le mystère auquel la grande Reine du ciel s'occupait, ni la présence de son adorable Fils. Mais la véritable Mère des humbles voulut unir ses prières à celles du disciple bien-aimé, et ayant demandé intérieurement au Seigneur la permission de lui parler, elle lui dit : « Jean, mon fils, je suis fort affligée d'avoir connu les péchés énormes qui se commettent contre le Très-Haut dans ce temple de Diane, et mon âme désire qu'il y soit bientôt mis un terme et apporté un remède. » Le saint apôtre répondit : « Chère Dame, j'ai vu quelque chose de ce qui se passe dans ce lieu abominable, et dans mon extrême douleur je ne saurais retenir mes larmes en voyant que le démon y est honoré du culte qui n'est dû qu'à Dieu seul; personne ne peut arrêter tant de désordres, si vous, ma charitable Mère, ne l'entreprenez. »

 

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442. La bienheureuse Marie ordonna à l'apôtre de s'associer à ses prières, et de demander au Seigneur de remédier à ce mal. Saint Jean s'en alla donc dans sa retraite, la Reine des anges demeurant dans la sienne avec notre Sauveur Jésus-Christ. Et se prosternant de nouveau en la présence du Seigneur, versant beaucoup de larmes, elle continua ses prières avec une ferveur incroyable et avec une douleur si poignante, qu'elle ressemblait aux angoisses de l'agonie. Son très-saint Fils, ne pouvant s'empêcher alors de la fortifier et de la consoler, répondit en ces termes à ses prières et à ses désirs : « Ma Mère et ma Colombe , que ce que vous demandez se fasse sans retard; ordonnez comme puissante Maîtresse tout ce que vous désirez. » A cette permission la très-pure Marie s'enflamma du zèle de l'honneur de la Divinité, et avec une autorité de Reine elle commanda à tous les démons qui étaient dans le temple de Diane de descendre au plus tôt dans l'abîme , et de désemparer ce lieu qu'ils avaient possédé pendant tant d'années. Les légions d'esprits immondes qui trompaient le monde par leurs artifices diaboliques, et qui profanaient ces pauvres âmes, s'y trouvaient en grand nombre; mais dans un instant ils furent tous précipités dans l'enfer par la force des paroles de l'auguste Marie. Elle les frappa d'une terreur telle , que lorsque ses lèvres virginales eurent prononcé la première parole, ils n'eurent pas le temps d'entendre la seconde , si impatients de s'éloigner de la Mère du Tout-Puissant, qu'ils accusaient de lenteur leur agilité naturelle.

 

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443 Ils cherchaient dans l'enfer les endroits les plus éloignés du lieu où était la Reine du ciel sur la terre, et ils n'en purent quitter les plus sombres profondeurs, jusqu'à ce qu'ils eurent la permission (comme je le dirai bientôt) d'en sortir avec le dragon pour livrer bataille à cette invincible Daine. Mais on doit remarquer que par ces victoires elle remporta sur le démon un triomphe tel, qu'il ne parvenait plus à reprendre le même poste ou la même juridiction dont elle le dépossédait ; cependant, comme cette hydre infernale et venimeuse est toujours si vivace, quand l'auguste Marie lui coupait une tète, il lui en renaissait d'autres, car elle recommençait ses attaques en inventant de nouvelles ruses contre Dieu et contre son Église. Néanmoins la grande Reine de l'univers , achevant cette victoire, avec le nième consentement de notre Sauveur Jésus-Christ, ordonna sur-le-champ à l'un de ses saints anges de se rendre au temple de Diane, et de le détruire de fond en comble , sans y laisser pierre sur pierre, de ne sauver que neuf femmes qu'elle lui désigna parmi celles qui y demeuraient, de faire périr toutes les autres et de les ensevelir sous les ruines de l'édifice, parce qu'elles étaient réprouvées; que leurs antes suivraient les démons qu'elles adoraient et auxquels elles obéissaient, et qu'elles seraient précipitées dans l'enfer avant que d'augmenter le nombre de leurs crimes.

444. L'ange du Seigneur exécuta l'ordre de sa Souveraine, et renversa en un instant le superbe et fameux temple de Diane, dont la construction avait

 

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duré plusieurs siècles, et qui ne présenta plus tout à coup qu'un monceau de décombres aux habitants d'Éphèse épouvantés. Il préserva du désastre les neuf filles que la bienheureuse Marie lui avait désignées et que notre Sauveur Jésus-Christ avait disposées; car elles furent les seules qui se convertirent à la foi, comme je le dirai dans la suite. Tontes les autres périrent sous les ruines sans qu'il en restât aucune trace. Les habitants d'Éphèse firent de grandes re-cherches pour trouver le coupable; mais ils ne purent s'expliquer cette destruction ni en découvrir la cause, comme lors de l'incendie du premier temple, dont l'auteur avoua qu'il l'avait allumé dans l'ambition de transmettre son nom à la postérité. L'évangéliste saint Jean profita de cet événement pour prêcher avec plus de force la vérité divine aux Éphésiens, et pour les tirer de l'erreur dans laquelle le démon les tenait Ensuite le même évangéliste et la Reine du ciel rendirent des actions de grâces et des louanges au Très-Haut pour ce triomphe qu'ils venaient de remporter sur Lucifer et sur l'idolâtrie.

445. Mais on doit prendre garde ici de se tromper par ce qui est rapporté au chapitre dix-neuvième des Actes des apôtres, à propos du temple de Diane, que saint Luc suppose subsister à Éphèse (1) lorsque saint Paul vint prêcher dans cette ville quelques années plus tard. L'évangéliste dit qu'un orfèvre d'Éphèse nominé Démétrius, qui faisait des images

 

(1) Act, XIX, 27.

 

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d'argent de la déesse Diane; assembla plusieurs personnes de son art contre saint Paul (1), parce qu'il prêchait dans toute l'Asie que ces ouvrages, faits de la main des hommes, n'étaient pas des dieux. Démétrius persuadait à ses compagnons que, par cette nouvelle doctrine, non-seulement saint Paul leur ferait perdre le profit qu'ils tiraient de leur art, mais qu'il était aussi à craindre qu'on ne méprisât le temple de la grande Diane , si célèbre dans toute l'Asie et dans l'univers. Ce discours alluma leur colère, et ils se mirent à parcourir la ville en criant : « Vive la grande Diane des Éphésiens (2) ! » Et il arriva tout ce que saint Luc raconte dans ce chapitre. Or, afin que l'on comprenne qu'il ne contredit point ce que j'ai écrit , j'ajoute que ce temple dont saint Luc fait mention fut un autre temple moins superbe et plus ordinaire que les Éphésiens rebâtirent après que la bienheureuse Marie s'en fut retournée à Jérusalem. Et quand saint Paul arriva à Éphèse pour y prêcher, ce temple était déjà rebâti. De sorte que l'on infère de ce qui est rapporté dans le texte de saint Luc, combien le culte idolâtrique de Diane était enraciné dans le coeur des Éphésiens et dans toute l'Asie, tant parce que leurs ancêtres avaient passé plusieurs siècles dans cette erreur, que parée que leur ville s'était rendue célèbre dans tout l'univers par ce culte, et par les divers temples de Diane qu'on y avait construits. C'est ainsi que les habitants, trompés à la fois par leurs

 

(1) Act., XIX, 34, etc. — (2) Ibid., 28.

 

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préjugés et par leur vanité, s'imaginaient ne pouvoir vivre sans leur Diane et sans lui dédier des temples dans leur ville, qu'ils regardaient comme le siége d'une superstition qui y avait bris naissance et que les autres royaumes avaient adoptée à l'envi. D'où l'on voit que l'ignorance de la véritable Divinité était si grande et si opiniâtre parmi les gentils, que les travaux de plusieurs apôtres pendant plusieurs années furent nécessaires peur la leur faire connaître et pour arracher l'ivraie de l'idolâtrie, surtout parmi les Romains et les Grecs, qui présumaient d'être les plus savants et les plus habiles d'entre toutes les nations du monde.

446. Le temple de Diane détruit, la bienheureuse Vierge eut de plus grands désirs de travailler à l'exaltation du nom de Jésus-Christ et à l'agrandissement de la sainte Église, afin de rendre utile le triomphe qu'elle avait remporté sur les ennemis. Or, un jour que son zèle lui faisait redoubler ses prières, il arriva que les saints anges , se montrant à elle sous une forme visible, lui dirent : « Notre auguste Reine, le grand Dieu des armées célestes nous ordonne de vous porter dans l'empyrée, au pied de son trône, où il vous appelle. » La très-pure Marie répondit : Voici la servante du Seigneur, que sa très-sainte volonté soit accomplie en moi. Aussitôt les anges l'élevèrent sur un trône de lumière, tel qu'il a été décrit ailleurs, et la portèrent dans le ciel en présence de la très-sainte Trinité, qui ne lui fut manifestée dans cette occasion que par une vision abstractive. Elle se

 

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prosterna devant le trône suprême, et adora l'être immuable de Dieu avec une profonde humilité. Ensuite le Père éternel lui dit : « Ma Fille et ma très-douce Colombe, la voix des désirs qui vous enflamment et des gémissements que vous poussez pour l'exaltation de mon saint nom , est parvenue à mes oreilles, et les prières que vous faites pour l'Église sont agréables à mes yeux , et me portent à user de miséricorde et de clémence; pour répondre in votre amour, je veux vous investir de nouveau de ma puissance, afin qu'elle vous serve à défendre mon honneur et ma gloire, à triompher de mes ennemis et de leur antique orgueil, à les humilier et à leur briser la tète, et afin que par vos victoires vous protégiez mon Église et acquériez de nouvelles faveurs pour ses fidèles enfants et vos frères. »

447. La bienheureuse Marie répondit : « Voici, Seigneur, la plus petite de vos créatures, prête à faire tout ce qui sera de votre bon plaisir pour l'exaltation de votre nom ineffable et pour votre plus grande gloire; que votre divine volonté s'accomplisse en moi. » Le Pire éternel ajouta : « Que tous mes courtisans célestes sachent que je nomme Marie généralissime de toutes mes armées; elle vaincra tous mes ennemis et en triomphera glorieusement. » Les deux personnes du Fils et du Saint-Esprit confirmèrent la même promesse, et tous les bienheureux répondirent : « Seigneur, que votre sainte volonté soit accomplie au ciel et en la terre. » Puis le Seigneur ordonna à dix-huit des

 

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plus hauts séraphins d'orner et de revêtir leur Reine de ses armes., pour la préparer à combattre coutre le dragon infernal. C'est alors que fut mystérieusement accompli ce qui est écrit dans le livre de la Sagesse, que le Seigneur suscitera la. créature pour se venger de ses ennemis (1), et le reste de ce passage. Ces six de ces séraphins se présentèrent en premier lieu, et ceignirent l'auguste; Marie d'une espèce de lumière qui lui servait comme d'armure impénétrable, et qui faisait briller aux yeux des saints la sainteté et la justice de leur Reine, si invincible aux démons, qu'elle représentait d'une manière ineffable la force même de Dieu.. De sorte, que ces séraphins, tous les autres anges et tous les saints. rendirent des actions de grâces au Tout-Puissant pour cette merveille.

448. Six des douze autres séraphins s'avancèrent ensuite, et, obéissant au commandement du Seigneur, ils donnèrent un autre nouvel éclat à notre grande Reine. C~ fut comme une espèce de splendeur de la Divinité dont ils revêtirent son visage, et 'qui devait empêcher les démons éblouis de le regarder. En vertu de ce don, quand les ennemis vinrent pour la tenter, comme nous le verrons, ils ne purent jamais regarder son visage si divinisé; et le Seigneur lui accorda cette grande faveur, parce qu'il ne voulait point le leur permettre. Après. ces séraphins vinrent à leur tour les six derniers, que le Seigneur chargea de donner des

 

(1) Sap., V, 18.

 

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armes offensives à Celle qui devait défendre son honneur. Les anges, exécutant cet ordre, animèrent toutes les puissances de la bienheureuse Vierge d'autres qualités nouvelles, et d'une vertu divine qui correspondait à. tous les dons par lesquels le Très-Haut l'avait enrichie: Un pouvoir. extraordinaire fut accordé avec ce bienfait à notre grande Dame, afin qu'elle pût, selon sa volonté, empêcher et arrêter jusqu'aux plus intimes pensées et aux plus secrets efforts de tous les démons; car ils furent tons assujettis à la volonté de l'auguste Marie, sans pouvoir contrevenir à ses ordres; elle use bien souvent dé ce pouvoir en faveur des fidèles et de ses serviteurs. Les trois personnes divines, approuvèrent tous ces préparatifs et consacrèrent la signification de tous ces ornements, déclarant la participation qui lui était donnée des divin a attributs qui sont appropriés à chacune des adorables personnes, afin qu'enrichie de ces dons inestimables, elle s'en retournât dans l'Église et y triomphât des ennemis du Seigneur.

449. Les trois divines personnes donnèrent, comme pour la congédier, leur bénédiction. à la très-pure Marie, qui les adora avec le plus profond respect. Puis les anges la ramenèrent dans son oratoire, et, remplis d'admiration à la vue des oeuvres du Très-Haut, ils disaient: « Quelle est Celle-ci qui; enrichie de tant de dons magnifiques et divins, descend du plus haut des cieux sur la terre pour défendre la gloire du nom de notre Créateur? Avec quelle beauté, dans quel éclat elle vient pour combattre les guerres du Seigneur !

 

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O Reine très-magnanime ! avancez-vous et soyez heureuse dans les combats, et établissez votre. règne sur toutes les créatures (1); que toutes glorifient et louent le Très-Haut de ce qu'il s'est montré si libéral et si puissant en vous comblant de ses faveurs. Saint, saint, saint est le Dieu des armées célestes (2), et en vous toutes les nations de la terre le béniront. u L'auguste Vierge étant arrivée à son oratoire, se prosterna dans la poussière et rendit d'humbles actions de grâces au Tout-Puissant pour tous ces bienfaits.

450. La très-prudente Mère les repassa quelque. temps dans son esprit, et, se disposant au combat qui l'attendait contre les démons, elle vit sortir comme du fond de l'abîme sur la terre, un dragon roux d'un aspect effroyable, qui avait sept têtes, dont chacune vomissait avec nue fureur horrible des flots de fumée et de flammes, et qui était suivi d'une multitude d'autres démons sous la même forme. Cette vision fut si épouvantable, qu'aucun autre vivant n'eût pu la supporter sans mourir; et il fallut, que la bienheureuse Marie elle-même y eût été préparée, et qu'elle fût aussi invincible qu'elle l'était, atour accepter le combat contre ces hideux monstres de l'enfer. Tous ces démons se dirigèrent vers le lieu où était notre grande Reine, et, jetant des hurlements de rage, ils la menaçaient et s'excitaient les uns les autres, en lisant : « Allons, allons détruire cette

 

(1) Ps. XLIV, 5. — (2) Isa., VI, 3.

 

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femme, notre ennemie; le Tout-puissant nous permet de la tenter et de lui faire la guerre ; finissons-en cette fois avec elle, et vengeons-nous du mal qu'elle nous a toujours fait, et de ce qu'elle nous a chassés du temple de notre Diane, qu'elle vient de détruire. Détruisons-la elle-même; elle n'est qu'une femme et qu'une simple créature, et nous sommes des esprits sages, rusés et puissants; nous n'avons rien à craindre d'une fille de la terre. ».

451. Toute cette armée de dragons infernaux, commandée par Lucifer, se présenta devant notre invincible Reine, la provoquant au combat. Et comme le plus grand venin de ce serpent est l'orgueil, par lequel il introduit ordinairement dans une infinité d'âmes d'autres vices, dont il se sert pour les vaincre, il crut devoir commencer par ce vice, en le déguisant d'après le sublime état de sainteté auquel il se persuadait que la très-pure Marie était élevée. C'est pour cette raison que le dragon et ses ministres se transformèrent en anges de lumière, et se manifestèrent sous cette forme à la bienheureuse Vierge, s'imaginant qu'elle ne les avait point vus ni reconnus en celle de démons et de dragons, qui leur était propre et légitime. Ils commencèrent par des louanges et par des flatteries, disant : « Vous êtes puissante, Marie; vous êtes grande entre toutes les femmes, le monde entier vous honore et vous loue pour les excellentes vertus qu'il reconnaît en vous et pour les prodigieuses merveilles que vous opérez par ces vertus : vous êtes digne de cette gloire, puisque personne ne saurait

 

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vous égaler en sainteté, nous le savons mieux que tous les mortels ensemble; c'est pour cela,que. nous le confessons et que nous venons célébrer devant vous la gloire de vos actions héroïques. » En même temps que Lucifer exprimait hypocritement ces vérités, il tâchait d'inspirer à notre très-humble Reine de fortes pensées d'orgueil et de présomption. Mais, bien loin d'y donner le moindre consentement, ce furent pour elle dé vives flèches. de douleur qui blessèrent au vif son coeur candide et sincère. la peine que ces diaboliques flatteries lui causèrent surpassa celle que souffrirent les, martyrs dans tous. les tourments. Et pour confondre ces mêmes flatteries, elle fit des actes d'humilité et se rabaissa elle-même d'une manière si admirable et si efficace, que les démons ne purent v résister, ni rester plus longtemps en sa présence. Car le Seigneur fit que Lucifer et ses ministres remarquassent et sentissent les effets de ces actes. Ils prirent tous aussitôt la fuite, s'écriant, au milieu de leurs affreux hurlements : « Sauvons-nous dans les profondeurs de l'abîme, puisque ce lieu plein de confusion nous tourmente moins que l'humilité invincible de cette femme. » Ils la laissèrent pour lors, et la très-prudente Dame rendit des actions de grâces au Tout-Puissant pour cette victoire.

 

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Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

 

452. Ma fille, il y a dans l'orgueil du démon, tel qu'il existe chez cet être rebelle, une tendance à ce qu'il reconnaît lui-même être impossible: c'est qu'il voudrait que, comme les justes et les saints servent Dieu avec une humble soumission, ils lui obéissent et le servissent aussi, pour être en cela semblable à Dieu même. Or l'accomplissement de cet injuste désir est impossible, car il implique évidemment contradiction, puisque l'essence de la sainteté consiste pour la créature à s'ajuster à la règle de la volonté divine, en aimant Dieu par-dessus toutes choses, et en lui restant toujours soumise; et le péché consiste à s'éloigner de cette règle, en aimant quelque autre chose, et en obéissant au démon. Mais la bonté de la vertu est si conforme à la raison, que cet ennemi même ne sacrait nier cette conformité. C'est pour cela qu'il voudrait, s'il était possible, abattre les justes, dans l'envie et dans la rage où il est de ne pouvoir s'en servir, et jaloux d'enlever à Dieu la gloire que lui procurent les saints; et que le même démon ne peut obtenir. C'est encore pour cela qu'il fait tant d'efforts pour renverser à ses pieds quelques cèdres du Liban, quelques hommes élevés en sainteté, et pour ravaler au rang de ses esclaves ceux qui ont été les serviteurs du Très-Haut; et c'est dans cette entreprise qu'il emploie toute sa sagacité, tous

 

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ses artifices et tous ses soins. Cette même tendance le porte à faire en sorte qu'on lui dédie, ne fût-ce que de nom, quelques vertus morales, comme le font les hypocrites, et comme le faisaient les vierges de Diane. Il s'imagine ainsi prendre, pour ainsi dire, sa pari. dans les choses que Dieu aime, et souiller la matière des vertus par lesquelles le Seigneur se plait à communiquer sa pureté aux âmes.

453. Saches, ma fille, que les piégea que le serpent infernal tend sous les pas des justes pour les l'aire tomber sont si nombreux, qu'ils ne peuvent., avens une faveur spéciale du Très-Haut, les apercevoir, et encore moins les surmonter et les éviter. Pour obtenir cette protection du Seigneur, sa divine Majesté veut que la créature, de son côté, se tienne toujours sur ses gardes, qu'elle ne se fie point à elle-même, et qu'elle demande et désire continuellement la même protection; sinon elle périra infailliblement, puisque par elle-même elle ne peut rien. Ce qui attire fort la clémence du Seigneur, c'est la ferveur et le zèle pour les choses divines, c'est surtout la persévérance dans l'humilité et dans l'obéissance : vertus qui donnent aux fidèles la fermeté et, l'énergie nécessaires pour résister à l'ennemi. Je veux vous avertir, non pour vous affliger, mais pour mieux vous exhorter à la vigilance, que les justes font très-peu de bonnes rouvres que ce serpent ne parvienne à infecter en y répandant une partie de son venin. Car il tâche ordinairement, avec une adresse incroyable, d'exciter quelque passion ou quelque inclination terrestre qui

 

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entraîne l'intention de la créature d'une manière imperceptible, ou la détourne plus ou moins d'agir uniquement pour bien et pour la fin légitime de la vertu, fin que la moindre affection terrestre suffit pour pervertir totalement ou en partie. Et comme cette ivraie est mêlée avec le bon grain, il est bien difficile de la reconnaître dans les commencements, si les âmes ne se dépouillent entièrement de toute sorte d'attache aux choses passagères, et n'examinent leurs rouvres au flambeau de la vérité divine.

454. Vous êtes bien avertie, ma fille, de ce péril, et des artifices que le démon machine contre vous, avec plus d'acharnement que contre les autres âmes. Faites en sorte que votre vigilance soit égale à la sienne; ne vous fiez point dans vos oeuvres à la seule apparence d'une bonne intention : l'intention doit toujours être bonne et droite, mais seule elle ne suffit pas, et la créature ne la discerne pas toujours. Il arrive fort souvent que le démon trompe l'âme par le leurre d'une bonne intention , en lui proposant quelque bonne fin apparente ou fort éloignée, pour l'engager dans quelque péril prochain; et, tombant dans le péril, elle n'atteint presque jamais la bonne fin qu'il lui montrait pour la séduire. D'autres fois, encore qu'elle soit dirigée par une bonne intention, il ne lui laisse point examiner d'autres circonstances, de sorte qu'elle fait l'action sans prudence et avec quelque vice. Il arrive aussi que les inclinations et les passions terrestres se cachent sous une certaine intention qui parait bonne, et alors elles entraînent

 

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peu à peu le coeur presque tout entier. Or, parmi tant de périls, le remède est d'examiner vos oeuvres à la lumière dont le Seigneur éclaire la partie supérieure de votre âme, pour apprendre comment vous devez discerner ce qui est précieux de ce qui est vil (1), le mensonge, de la vérité, l'amertume des passions, de la douceur de la raison. Alors vous n'introduirez rien de ténébreux dans la lumière divine qui est en vous; votre oeil sera simple et purifiera tout le corps de vos actions (2), et vous serez en toutes choses tout agréable à votre Seigneur et à moi.

 

CHAPITRE V. La bienheureuse Marie, rappelée par l'apôtre saint Pierre, s'en retourne d’Éphèse à Jérusalem. — Le combat continue contre les démons. — Elle essuie une grande tempête sur mer. — Circonstances secrètes qui s'y présentèrent.

 

455. Après la juste punition du malheureux Hérode, la primitive Église de Jérusalem jouit d'un certain repos, que la grande Reine de l'univers lui mérita et procura par ses prières et par ses soins

 

(1) Jerem., XV, 19. — (2) Matth., VI, 22.

 

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maternels. En ce temps-là saint Barnabé et saint Paul prêchaient avec un fruit admirable. dans les villes de l'Asie Mineure, Antioche, Lystre et Perge, et dans plusieurs autres, comme le rapporte saint Luc aux chapitres, treizième et quatorzième des Actes, où il fait aussi mention des merveilles et des prodiges que saint Paul opérait dans ces villes et dans ces provinces. L'apôtre saint Pierre ayant été délivré de la prison, s'en alla du côté de l'Asie, pour s'éloigner, de Jérusalem et de la juridiction d'Hérode, et pour veiller; de là aux intérêts spirituels des néophytes qui se convertissaient dans l'Asie, sans négliger ceux des fidèles qui se trouvaient dans la Palestine. Ils le reconnaissaient tous pour le vicaire de Jésus-Christ, et lui obéissaient comme au chef de l'Église, sachant que tout ce que Pierre ordonnait et faisait sur la terre était confirmé dans le ciel. Avec cette vive foi ils avaient recours à lui comme ,au Souverain Pontife, quand il se présentait quelque doute. C'est pourquoi on l'avertit dé certaines questions qui avaient été agitées entre saint Paul et saint Barnabé. et quelques Juifs, tant à Antioche qu'à Jérusalem, touchant la pratique de la circoncision et l'observation de la loi de Moïse, comme je le dirai dans la suite, et comme saint Luc le rapporte au chapitre quinzième des Actes (1).

456. Ce fut le sujet qui obligea les apôtres et les disciples qui étaient. à Jérusalem de prier saint pierre

 

(1) Act., XV, 2.

 

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de retourner à la sainte cité, pour résoudre ces questions et décider ce qui était convenable, afin que la prédication de la foi ne fût point retardée, puisque les Juifs n'avaient plus de protecteur depuis la mort d'Hérode, et que l'Église jouissait par là d'une grande paix dans Jérusalem. Ils le prièrent aussi de supplier la Mère de Jésus de revenir, pour les mêmes raisons, dans la ville, où les fidèles désiraient vivement sa présence, espérant qu'elle suffirait pour les consoler dans le Seigneur, et pour faire prospérer toutes les affaires de l'Église. Or saint Pierre, ayant reçu ces avis, détermina de partir au plus tôt pour Jérusalem, et avant que de se mettre en route, il écrivit à notre auguste Reine la lettre qui suit

 

LETTRE DE SAINT PIERRE A LA BIENHEUREUSE MARIE.

 

A la Vierge Marie, Mère de Dieu, Pierre, apôtre de Jésus-Christ, votre serviteur et celui des serviteurs de Dieu.

 

« Vénérable Mère, quelques disputes se sont élevées parmi les fidèles sur la doctrine de votre  Fils et notre Rédempteur, pour savoir si avec   elle il faut observer l'ancienne loi de Moïse. Ils veulent que nous leur disions ce qui convient à  cet égard, et ce que nous avons entendu de la  bouche de notre divin Maître. Je vais à Jérusalem pour y consulter mes frères les apôtres; et nous

 

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vous prions, pour la consolation de tous et pour  l'amour que vous avez pour l'Église, de vous en retourner en la même ville, où les Hébreux sont plus pacifiques depuis la mort d'Hérode, et où les fidèles jouissent d'une plus grande sécurité. Tous les imitateurs de Jésus-Christ aspirent à vous voir et à se consoler par votre présence. Quand nous serons arrivés à Jérusalem, nous donnerons cet avis aux autres villes, et avec votre assistance on déterminera ce qui est convenable touchant les matières de la sainte foi et le développement de la loi de grâce. »

457. Ce fut là le style et la teneur de la lettre; et communément les apôtres adoptèrent ce style, mettant en premier lieu le nom de la personne, ou des personnes auxquelles ils écrivaient, et ensuite le nom de celui qui écrivait, ou suivant l'ordre inverse, qu'on remarquera dans les Épîtres de saint Pierre et de saint Paul, et de quelques autres apôtres. Dès la rédaction du Symbole, les apôtres convinrent d'appeler notre auguste Reine , Mère de Dieu, et de lui donner aussi entre eux les titres de Vierge et de Mère, parce qu'il importait à la sainte Église d'établir dans le coeur de tous les fidèles l'article de la virginité et de la maternité de cette grande Dame. Il y avait quelques autres fidèles qui l'appelaient Marie de Jésus, ou la Marie de Jésus de Nazareth; d'autres, moins instruits, l'appelaient Marie, fille de Joachim et d'Anne : de sorte que les premiers enfants de la foi se servaient de tons ces noms quand ils parlaient de notre grande Reine. La

 

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sainte Église, se servant plus ordinairement de celui que lui donnèrent les apôtres, l'appelle Vierge et Mère de Dieu, ajoutant à ce titre d'autres noms aussi glorieux que mystérieux. Un esprit fut chargé de porter et de remettre la lettre de saint Pierre à la divine Mère, et en la lui donnant il lui dit qu'elle était de l'apôtre. Elle la prit, et, pour honorer le vicaire de Jésus-Christ, elle se mit à genoux et la baisa : mais elle ne l'ouvrit point; parce que saint Jean était dans un autre endroit de la ville, où il prêchait. Aussitôt que l'évangéliste fut revenu près d'elle, elle se mit à genoux pour lui demander sa bénédiction, selon sa coutume, et elle lui remit la lettre, lui disant qu'elle était de saint Pierre, le pontife de tous. Saint Jean lui demanda. ce que la lettre contenait. Et la Maîtresse des vertus répondit : Vous la lirez le premier, seigneur, et ensuite vous me direz ce qu'elle contient. L'évangéliste le fit de la sorte.

358. Je ne saurais m'empêcher d'être dans l'admiration et dans la confusion en voyant l'humilité et l'obéissance que la bienheureuse Vierge montra dans cette occasion, quoiqu'il semble que ce soit peu de chose. Il n'y avait néanmoins que sa seule prudence incomparable qui pût lui inspirer, qu'encore qu'elle fût Mère de Dieu et que la lettre vînt du vicaire de Jésus-Christ, c'était d'une plus grande humilité et d'une soumission plus profonde, de ne point 14 lire et. même de ne point l'ouvrir sans la permission du ministre qu'elle avait près d'elle, pour, lui obéir et pour se conduire par sa volonté: Cet exemple admirable

 

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condamne et instruit en même temps la présomption des inférieurs qui cherchent des expédients et des excuses pour éviter de pratiquer l'humilité et l'obéissance que nous devons aux supérieurs. Mais la très-pure Marie fut en tout la Maîtresse et le modèle de la sainteté, tant dans les choses les plus petites que dans les plus grandes. L'évangéliste ayant lu la lettre de saint Pierre à notre grande Reine, lui demanda son sentiment sur. ce que le vicaire de Jésus-Christ écrivait. Mais voulant encore en cela se montrer plutôt obéissante que supérieure, ou simplement égale à saint Jean, elle lui répondit : « Mon fils et seigneur,  ordonnez vous-même ce que vous jugerez le plus à propos, et voici votre servante qui vous obéira. » L'évangéliste dit qu'il lui paraissait convenable qu'elle obéit à saint Pierre, et qu'elle retournât aussitôt à Jérusalem. « Il est juste, et nécessaire, répondit la  bienheureuse Vierge, d'obéir au chef de l'Église;  réglez promptement le départ. »

459. Après cette résolution-; saint Jean alla chercher un navire en partance pour la Palestine, et préparer ce qui était nécessaire pour le voyage. Pendant que l'évangéliste prenait ce soin, la très-pure Marie appela les femmes qu'elle connaissait, à Éphèse et qui étaient ses disciples, pour prendre congé d'elles et pour les instruire de ce qu'elles devaient faire pour se maintenir dans la foi. Il y en avait soixante-treize et la plupart étaient vierges, notamment les neuf qui furent; ainsi que je l'ai rapporté plus haut, préservées dans la ruine du temple de Diane. L'auguste Marie

 

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les avait elle-même catéchisées et converties à la foi ; et les ayant toutes assemblées dans la maison où elle demeurait, avec les femmes qui l'y avaient reçue, elle en fit une communauté. Par cette sainte congrégation, la divine Mère commença à réparer les péchés et les abominations qui avaient été commis pendant tant de siècles dans le temple de Diane; jetant les fondements de la première communauté où l'on devait garder la chasteté, dans la même ville où le démon l'avait profanée. Elle informa de tout cela ces heureuses disciples, qui ne surent pas néanmoins que notre puissante Reine eût détruit le temple : parce qu'il était convenable de tenir cette circonstance secrète, afin que les Juifs n'eussent aucun grief contre la miséricordieuse Mère, et que les Gentils ne s'irritassent point contre, elle, à cause de l'amour insensé qu'ils avaient pour leur Diane. C'est pourquoi le Seigneur fit qu'on regarda cette destruction comme un désastre accidentel, qu'on l'oublia aussitôt, et que les auteurs profanes n'en firent point mention comme du premier incendie.

460. Notre auguste Princesse adressa les plus douces paroles à ses disciples pour les consoler de son absence, et elle leur laissa un papier écrit de sa main, dans lequel elle leur disait : « Mes filles, je suis obligée de m'en retourner à Jérusalem par la volonté  du Seigneur tout-puissant. En mon absence vous  vous souviendrez de la doctrine que vous avez reçue  de moi, et que j'ai entendue de la bouche du Rédempteur du monde. Reconnaissez-le toujours pour

 

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votre Seigneur, pour votre Maître et pour l'Époux  de vos âmes; servez-le et aimez-le de tout votre  coeur. Gravez dans votre mémoire les commandements de sa sainte loi ; ils vous seront expliqués  par ses ministres et par ses prêtres, pour lesquels  vous aurez une grande vénération ; vous leur obéirez avec beaucoup d'humilité; et vous vous garderez bien d'écouter ou d'accepter d'autres maîtres  que ceux qui sont du nombre des disciples de Jésus-Christ, mon très-saint Fils, ou qui ont  embrasse sa doctrine. Je veillerai toujours à ce qu'ils vous assistent et vous protègent; je ne vous  oublierai jamais, et je ne manquerai pas de prier  le Seigneur pour vous. Je vous laisse à ma place  Marie l'ancienne; vous lui obéirez en tout avec  beaucoup de respect, et, de son côté, elle prendra  soin de vous avec le même amour et le même zèle  que moi. Vous garderez une retraite inviolable dans cette maison, où jamais aucun homme n'entrera; et si vous êtes obligées de parler à quel qu'un, ce sera à la porte et en présence de trois a d'entre vous. Vous serez assidues à l'oraison; vous direz et chanterez les prières que je vous laisse  écrites dans la chambre où j'étais. Observez le silence et la douceur, agissez envers les autres  comme vous voudriez qu'ils agissent envers vous. Que la vérité se trouve toujours dans vos paroles;  ayez Jésus-Christ crucifié continuellement présent  dans toutes vos pensées, dans toutes vos paroles  et dans toutes vos actions. Adorez-le, et le reconnaissez

 

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pour le Créateur et le Rédempteur du monde; je vous donne en son nom sa bénédiction , et je le prie de résider dans vos coeurs. »

461. La bienheureuse Vierge laissa ces avis et divers autres à cette sainte congrégation qu'elle avait vouée à son adorable Fils. Et celle qu'elle désigna pour en être supérieure était une des charitables femmes qui lui donnèrent l'hospitalité, et à qui la maison appartenait. C'était une femme fort prudente, avec laquelle notre Reine avait eu des entretiens particuliers, l'ayant instruite plus à fond de la loi de Dieu et de ses mystères On l'appelait Marie l'ancienne, parce que la divine Mère avait donné son propre nom à plusieurs femmes lors de leur baptême, leur communiquant sans envie, comme dit la Sagesse (1), l'excellence de son nom; et comme cette Marie fut la première qui reçut à Éphèse le baptême sous ce nom, on la surnommait l'Ancienne pour la distinguer des autres qui avaient été baptisées après. La Reine du ciel leur laissa encore écrits le Pater noster, le Credo, les dix commandements et quelques autres prières vocales qu'elles devaient réciter. Et afin qu'elles fissent leurs exercices avec plus Je dévotion, elle leur laissa dans son oratoire une grande croix, que les saints anges firent bien vite par son ordre. Puis, pour lest satisfaire davantage, elle distribua entre elles tous les quelques meubles et effets qu'elle avait, choses de peu de valeur aux yeux des hommes,

 

(1) Sap., VII, 13

 

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mais d'un prix inestimable pour ses disciples, comme témoignages et comme gages de sa tendresse maternelle.

462. Elle prit congé de toutes avec beaucoup de compassion de ce qu'elle les laissait seules, les ayant engendrées en Jésus-Christ. Elles se prosternèrent toutes à ses pieds pleurant amèrement la perte qu'elles allaient faire de leur consolation, de leur refuge et de la joie de leurs coeurs. Mais grâce aux soins que la bienheureuse Mère prit toujours de cette dévote congrégation, les soixante-treize personnes qui la composaient persévérèrent toutes en la crainte de Dieu et en la foi de notre Seigneur Jésus-Christ, quoique le démon leur suscitât de grandes persécutions par lui-même et par les habitants d'Éphèse. Ce que prévoyant notre-très-prudente Reine, elle fit, avant de partir, de ferventes prières pour elles, suppliant son très-saint Fils de les conserver, et de destiner un auge pour la garde de ce petit troupeau. Le Seigneur accorda tout ce que sa très-sainte Mère demandait; et quand elle fut de retour à Jérusalem, elle les consola plusieurs fois par des exhortations qu'elle leur envoyait, et recommanda aux disciples et aux apôtres qui allèrent à Éphèse d'entourer de leur sollicitude ces pieuses recluses. Tact qu'elle vécut , notre grande Dame exerça ainsi sa charité envers elles.

463. Le jour du départ pour Jérusalem arriva, et la plus humble des créatures demanda la bénédiction à saint Jean, qui la lui donna; puis ils allèrent tous deux s'embarquer, ayant demeuré à Éphèse deux ans

 

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et six mois. Aussitôt que l'auguste Vierge fut sortie de la maison qu'elle habitait, ses mille anges lui apparurent sous une forme humaine; mais ils étaient tous comme armés et rangés en bataille pour la défendre. Cette disposition inaccoutumée lui fit comprendre qu'elle devait se préparer à continuer le combat contre le grand dragon et ses alliés. Avant d'arriver à la mer elle vit une grande multitude de légions infernales qui venaient vers elle avec diverses figures effroyables , et qui étaient suivies d'un dragon à sept têtes, si difforme et si horrible en sa grandeur aussi bien qu'en tout le reste, qu'elle surpassait celle d'un grand navire , de sorte que le seul aspect de ce monstre abominable suffisait pour inspirer la plus vive terreur. Notre invincible Reine s'arma contre ces visions si formidables de la foi et. de la charité les plus ferventes, se servant des paroles des psaumes et de quelques autres qu'elle avait recueillies des entretiens de son très-saint Fils. Elle ordonna aux saints anges de l'assister, parce que naturellement ces figures si terribles lui causèrent une certaine crainte et une certaine horreur sensible. L'évangéliste ne connut rien de ce qui se passait alors, mais quelque temps après la divine Mère l'informa de tout.

464. Elle s'embarqua avec le saint, et le navire mit à la voile. Mais, à peine était-il sorti du port, que. les furies infernales , profitant de la permission qui leur avait été accordée, excitèrent une tempête si épouvantable , qu'on n'en a jamais vu une semblable jusqu'à présent : car dans ce prodigieux événement

 

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le Très-Haut voulut glorifier sa toute-puissance et la sainteté de l'auguste Marie; et c'est pourquoi il permit aux démons de déployer toute leur malice et toutes leurs forces dans cette bataille. L'affreux mugissement des flots dominait le bruit des vents; ils semblaient s'élever jusqu'à la région des nuages, et formant des montagnes écumantes, ils s'élançaient comme pour franchir les digues qui arrêtaient leur fureur (1). Le navire était battu avec tant de violence, qu'il était extraordinaire que chaque vague ne le mit point en pièces. Tantôt il était poussé jusqu'au ciel, tantôt il allait sillonner les sables de l'abîme, ou baignait dans les flots ses antennes et ses mâtures. Aussi fallut-il que pendant cette tempête inouïe les saints anges soutinssent quelquefois le vaisseau en l'air pour le préserver des chocs et des tourbillons, qui l'auraient naturellement fracassé et englouti.

465. Les mariniers et les passagers remarquaient l'effet de cette faveur, mais ils en ignoraient la cause; et, éperdus d'effroi, ils jetaient des cris de détresse et pleuraient leur perte, qui leur paraissait inévitable. Les démons augmentèrent leur consternation ; car, prenant une forme humaine, ils criaient comme s'ils se fussent trouvés sur les autres navires allant de conserve avec celui qui portait notre grande Reine, et disaient à tous ceux qui y étaient d'abandonner ce vaisseau , et de se sauver, s'ils pouvaient, dans les

 

(1) Ps. CIII, 9.

 

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autres. Ceux-ci souffraient aussi de la tempête; mais ces dragons tournaient toute leur rage contre le navire qu'ils avaient la permission spéciale d'assaillir, et qui portait leur ennemie; et les autres n'étaient pas si maltraités, quoiqu'ils se trouvassent tous dans le plus grand péril. Il n'y eut que la bienheureuse Marie qui connut cette malice des démons. Et comme les mariniers l'ignoraient, ils crurent que les voix étaient véritablement des autres matelots. Par cet artifice diabolique ils abandonnèrent à diverses reprises le vaisseau, ne voulant plus le gouverner, dans l'espoir de se sauver dans les autres navires. Mais les anges qui assistaient le vaisseau sur lequel leur Reine était, suppléèrent à ce lâche découragement, et le gouvernaient lorsque les mariniers l'abandonnaient à la merci des vents, afin qu'il fit naufrage.

466. Au milieu du désarroi général et de ces scènes de désolation, la bienheureuse Marie montrait le plus grand calme, et jouissait d'une inaltérable sérénité dans l'océan de sa magnanimité et de ses vertus, qu'elle exerçait par des actes aussi héroïques que l'occasion et sa sagesse le demandaient. Comme dans cette traversée si dangereuse elle connut par sa propre expérience les périls de la navigation qui lui avaient été révélés d'une manière divine en allant à Éphèse, elle eut une nouvelle compassion de tous eaux qui naviguaient, et renouvela les prières qu’ on avait faites pour eux auparavant, ainsi que je l'ai dit plus haut. La très-prudente Vierge admira aussi la force indomptable de la mer, et y vit une image de la

 

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colère de la justice divine, qui brillait avec tant d'éclat en cette créature insensible. Et passant de cette considération à celle des péchés des mortels, qui leur attirent l'indignation du Tout-Puissant, elle fit de grandes prières pour la conversion du monde et pour le progrès de l'Église. Elle offrit pour cela les peines de cette navigation ; car, nonobstant la quiétude de son âme, elle eu souffrit de fort grandes en son corps, surtout affligée de voir que tous Ceux qui se trouvaient dans ces navires étaient persécutés par le démon, parce qu'il voulait la tourmenter et la persécuter elle-même.

467. L'évangéliste saint Jean eut sa grande part dans cette tribulation, à cause du soin qu'il prenait de tout ce qui regardait sa charitable Mère, la Reine de l'univers. Cette peine se joignait à celle que le saint souffrait dans sa propre affliction, et tout lui était d'autant plus douloureux qu'il ne connaissait point alors ce qui se passait dans l'intérieur de l'auguste Vierge. Il tâchait aussi quelquefois de se consoler lui-même en la servant et en s'entretenant avec elle. Et quoique le trajet d'Éphèse aux côtes de Palestine se fasse ordinairement en six ou sept jours, ce voyage dura quinze jours, et la tempête quatorze. Un jour saint Jean s'affligea beaucoup de voir durer si longtemps une si horrible tourmente, et il ne put s'empêcher de dire à la bienheureuse Marie : « Qu'est-ce que cela, divine Mère? Devons-nous périr ici? Priez votre très-saint Fils de jeter sut nous ses regards paternels, et de nous secourir

 

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dans cette tribulation. » Elle lui répondit : « Ne vous troublez point, mon fils; c'est le moment  de combattre pour le Seigneur, et de vaincre ses ennemis par la force et par la patience. Je le prie de ne pas permettre que personne de ceux qui sont  avec nous périsse, et rappelez-vous que Celui qui garde Israël ne s'assoupit ni ne s'endort point (1); les forts de sa cour nous assistent et nous dé fendent; souffrons pour Celui qui a bien voulu  s'étendre sur la croix pour le salut de tous. » Ces paroles rendirent à saint Jean le nouveau courage dont il avait besoin.

468. Lucifer et ses démons, redoublant leur fureur, menaçaient notre puissante Reine de la faire périr dans un affreux naufrage. Mais ces menaces étaient comme toutes les autres, des flèches émoussées qui n'atteignaient pas la très-prudente Mère; elle ne regardait pas les démons et ne leur disait pas un seul mot; et, de leur côté, ces esprits rebelles ne pouvaient pas la regarder en face, à cause de l'éclat mystérieux que le Très-Haut lui avait donné, comme je l'ai dit ailleurs. Plus ils faisaient d'efforts pour le braver; moins ils y réussissaient, et plus ils étaient blessés par ces armes offensives dont le Seigneur avait revêtu sa très-sainte Mère. Cependant le Très-Haut lui cachait toujours la fin de ce long et opiniâtre combat, et il se cachait lui-même à la bienheureuse Vierge, sans se manifester à elle par aucune des visions qu'elle avait ordinairement.

 

(1) Ps. CXX, 4.

 

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469. Mais le quatorzième jour de la navigation et de la tempête, son très-saint Fils daigna la visiter en personne; il descendit du ciel, et, lui apparaissant sur la mer, il lui dit : Ma très-chère Mère, je suis avec vous dans la tribulation. La vue et les paroles du Seigneur, qui remplissaient la bienheureuse Mère d'une consolation ineffable toutes les fois qu'elle le voyait et qu'elle l'entendait, lui parurent encore plus douces dans cette pénible circonstance. En effet, le secours qui vient dans la plus grande nécessité est plus précieux. Elle adora son très-saint Fils, et lui répondit: « Mon Dieu, unique bien de mon âme,  vous êtes Celui à qui les vents et la mer obéissent (1);  regardez, mon Fils, notre affliction, et ne permettez pas que les ouvrages de vos mains périssent. » Le Seigneur lui dit : « Ma Mère, ma douce Colombe, j'ai reçu de vous la forme humaine que j'ai, et c'est pour cela que je veux que toutes mes créatures vous obéissent : commandez comme Maîtresse de toutes, puisqu'elles sont soumises à votre empire. » La très-prudente Mère souhaitait que le Seigneur commandât dans cette occasion aux flots, comme lors de la tempête que les apôtres essuyèrent sur, la nier de Galilée (2); mais l’occasion était bien différente, puisqu’alors il n'y  avait nul autre qui plût commander aux venus et à le mer. La bienheureuse Marie obéit, et par la vertu de son très-saint Fils elle commanda en premier lieu

 

(1) Matth., VIII, 27. — (2) Ibid., 26.

 

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à Lucifer et à ses démons de sortir sur-le-champ de la Méditerranée. Ils la quittèrent aussitôt, et se rendirent dans la Palestine; car en ce moment elle ne leur ordonna point de descendre dans l'abîme, vu que le combat n'était pas encore fini. Après que ces ennemis se furent retirés, elle commanda aux vents et à la mer de s'apaiser, et les vents et la mer obéirent à l'instant même, et il se fît tout à coup un si grand calme, que tous ceux du vaisseau en fusent émerveillés, ne connaissant point la cause d'un changement si subit. Notre Sauveur. Jésus-Christ prit congé de sa très-sainte Mère après l'avoir comblée de bénédiction et de joie, lui ordonnant de prendre terre le jour suivant. Il en fut ainsi; car, le quinzième jour de l’embarquement, ils arrivèrent au port par nu temps fort doux, et débarquèrent. Notre auguste. Reine rendit des actions de grâces au Tout-Puissant pour ces bienfaits , et lui fit un cantique de louanges de ce qu'il les avait délivrés, elle et ses compagnons de route, d'un péril si imminent. Le saint évangéliste en fit de même, et la divine Mère le remercia aussi de ce qu'il avait partagé ses peines; puis elle lui demanda sa bénédiction, et ils s'acheminèrent vers Jérusalem.

470. Les saints anges accompagnaient leur Reine dans le même ordre de bataille que j'ai indiqué lorsqu'ils sortirent d'Éphèse; car les démons recommencèrent le combat dès qu'elle fut descendues terre, où ils l'attendaient. Ils l'attaquèrent avec une fureur incroyable par diverses tentations contre toutes les

 

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vertus; mais ces flèches revenaient sur eux , sans faire la moindre brèche à la. Tour de David, à laquelle, dit l'Époux, étaient suspendus mille boucliers (1l) et toute sorte d'armures des, forteresses d'argent (2). En arrivant à Jérusalem, la piété et la dévotion si tendres de la bienheureuse Vierge la pressaient de visiter, avant d'entrer dans sa maison, les lieux consacrés par les mystères de notre rédémption, comme elle les avait visités en dernier lieu, quand elle quitta cette ville pour se rendre à Éphèse; mais saint Pierre se trouvait à Jérusalem; et c'était lui qui l'avait appelée. La maîtresse des vertus, savait d'ailleurs l'ordre qu'on y doit garder; elle résolut donc de préférer l'intention du vicaire de Jésus-Christ à sa propre dévotion De sorte que, voulant d'abord lui obéir, elle alla droit à la maison du Cénacle, où était saint Pierre; et, lorsqu'elle fut en sa présence, elle se mit à genoux et lui demanda sa bénédiction; le priant de lui pardonner si elle n'était pas venue plus tôt; puis elle lui baisa la main comme au souverain Prêtre; mais elle ne lui dit pas autre chose, et ne chercha pas à s'excuser de son retard par la, tempête; aussi saint Pierre ne connut-il tout ce qu'elle avait souffert dans sa navigation que par le récit que saint Jean lui en lit après. Le vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, tous les disciples et tous les fidèles de Jérusalem reçurent leur Maîtresse avec une joie indicible et avec une respectueuse affection; et, se prosternant à ses

 

(1) Cant., IV, 4. — (2) Cant., VIII, 9.

 

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pieds, ils la remercièrent de leur avoir apporté la consolation par sa douce présence, et d'être venue dans un lieu où ils pourraient la voir et la servir.

 

Instruction que notre grande Reine m'a donnée.

 

471. Ma fille, je veux que vous rappeliez continuellement à votre souvenir l'avis que je vous ai donné dès le commencement pour écrire ces secrets vénérables de ma vie; car ma volonté n'est pas que vous soyez simplement un instrument insensible pour les découvrir à l'Église, mais je veux encore que vous soyez la première à profiter de ce nouveau bienfait, pratiquant eu vous-même ma doctrine et l'exemple de mes vertus; c'est à cela que le Seigneur vous appelle, c'est pour cela que je vous si choisie pour ma fille et ma disciple. Quant aux justes réflexions que vous avez faites sur l'humilité que je pratiquai en n'ouvrant point la lettre de saint Pierre sans la permission de mon fils saint Jean, je veux vous développer la leçon qui est renfermée dans ma conduite, en commençant par vous persuader que dans ces deux vertus d'humilité et d'obéissance, qui sont le fondement de la perfection chrétienne, il n'y a rien de petit; tout y est très-agréable au Seigneur, et digue d'une grande récompense de sa miséricorde libérale et de sa justice.

 

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472. Vous devez de plus considérer, ma très-chère fille, que, comme la nature humaine ne se fait jamais plus violence qu'en s'assujettissant à une volonté étrangère, il n'y a non plus rien de plus nécessaire que cet assujettissement pour réprimer l'orgueil, que le démon prétend inspirer à tous les enfants d'Adam. C'est pour cette raison que cet ennemi fait tous ses efforts pour porter les hommes à s'attacher à leur propre sentiment et à leur propre volonté. Il se sert de cet artifice pour remporter plusieurs victoires, et pour perdre par divers moyens une infinité d'âmes; car il répand ce venin dans tous les états, dans toutes les conditions, poussant secrètement chacun des mortels à suivre sa propre opinion, de sorte qu'aucun inférieur ne se soumette aux lois et à la volonté du supérieur, et ne croie pouvoir les mépriser et les transgresser, renversant le bel ordre que la divine Providence a établi eu toutes choses. Et comme tous les hommes détruisent ce gouvernement du Seigneur, le monde est rempli de confusion et de ténèbres; tout est dans le désordre, et chacun se gouverne selon sa fantaisie, sans faire cas ni de Dieu ni des lois.

473. Mais si ce mal est général et horrible aux yeux du souverain Seigneur, il est encore beaucoup plus horrible chez les religieux, qui, étant liés par leurs voeux de religion, font tout leur possible pour élargir ces liens ou pour s'en délivrer. Je ne parle pas maintenant de ceux qui, témérairement, les rompent, et transgressent leurs voeux dans les petites choses et dans les grandes : c'est là une témérité

 

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effroyable , qui attire après elle la sentence de la damnation éternelle. Afin qu'on ne tombe point dans ce péril, j'exhorte ceux qui veulent assurer leur salut dans l'état religieux à bien se garder de chercher des opinions et des explications relâchées pour se dis penser de l'obéissance qui ils doivent à Dieu en leurs supérieurs, en examinant, quant à la pratique de l'obéissance et à l'observance de leurs autres voeux , jusqu'à quel point ils peuvent faire leur volonté sans pécher, et s'ils peuvent disposer de quelque chose sans permission et de leur propre mouvement. On ne fait jamais de ces sortes de recherches pour garder les voeux; on en fait pour les transgresser et pour étouffer les remords de la conscience. J'avertis les religieux que le démon tache de leur faire avaler ces moucherons venimeux, afin que peu à peu ils avalent les chameaux des plus grands péchés, après s'être accoutumés à ceux qui leur paraissent moindres. Et ceux qui veulent toujours allonger la corde du devoir jusqu'aux portes de la mort du péché mortel, méritent au moins que le juste Juge scrute ensuite minutieusement leur conscience pour les récompenser le moins qu'il pourra, puisqu'ils voudraient ne faire pour Dieu que le moins possible de ce qui lui est agréable, et que c'est là l'étude de toute leur vie.

474. Ce système de raffinements et d'adoucissements dans la loi de Dieu, qui n'aboutit qu'à la recherche des satisfactions qui flattent la chair, est extrêmement odieux à mon très-saint Fils et à moi; car c'est avoir bien peu d'amour pour lui que de

 

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n'obéir à sa divine loi qu'en ce qui est d'une obligation rigoureuse, ce n'est que la crainte du châtiment qui agît alors, et non l'amour pour celui qui commande, de sorte qu'on ne ferait rien en vue de cet amour s'il ne menaçait de punir. Il arrive souvent que l'inférieur ne voulant point s'humilier devant un subalterne, s'adresse au principal supérieur, pour obtenir la permission qu'il lui répugne de demander à. l'autre, et bien souvent il la demande générale, précisément à celui qui peut le moins connaître et découvrir le péril de l'imprudent qui la sollicite. On ne peut nier que ce ne soit là encore une espèce d'obéissance, mais il est certain aussi qu'on ne cherche et qu'on ne fait tous ces détours que pour agir avec plus de liberté, avec plus de péril, et avec moins de mérite, puisqu'il y en a sans doute davantage à obéir au supérieur ordinaire, à celui qui n'a pas les belles qualités que l'autre peut avoir, et parait devoir se prêter moins au goût et aux idées de l'inférieur. Telle n'est point la doctrine que j'ai apprise à l'école de mon très-saint Fils, et que j'ai pratiquée; je demandais en tout ce que je devais faire l'agrément de ceux que j'avais pour supérieurs, et vous savez que j'en eus toujours; et lorsqu'il fallut ouvrir la lettre de saint Pierre, qui était le chef de l'Église, j'attendis là permission de son inférieur, qui était pour moi le ministre immédiat.

475. Je ne veux pas, ma fille, que vous adoptiez la doctrine de ceux qui cherchent la liberté et des permissions pour leur propre satisfaction; mais je vous

 

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choisis afin que vous m'imitiez, et je vous exhorte à me suivre par le chemin assuré de la perfection. 'Fous ces détoura et toutes ces explications ont perverti l'ordre de la vie religieuse et chrétienne. Vous devez toujours vous humilier et vivre sous l'obéissance ; votre titre de supérieure ne saurait vous en dispenser, puisque vous avez des confesseurs et des supérieurs. Et si parfois, en leur absence, vous ne pouvez agir par leur ordre, demandez conseil et obéissez à quelqu'une de vos inférieures en l'office que vous avez. A vos yeux toutes vos consœurs doivent être des supérieures, et cela ne doit pas vous paraître extraordinaire, puisque vous êtes la moindre de tous les vivants; c'est là la place que vous devez prendre, vous humiliant devant tous les autres comme leur inférieure, afin que vous m'imitiez véritablement, et que vous soyez ma fille et ma disciple. Outre cela vous devez être ponctuelle à me dire vos manquements deux fois par jour, et à me demander la permission pour tout ce que vous aurez à faire; vous vous confesserez aussi chaque jour des fautes que vous aurez commises. Je vous prescrirai par moi-même et par les ministres du Seigneur ce qui vous sera utile; et vous ne devez pas faire difficulté de dire vos manquements ordinaires à plusieurs, afin que vous vous humiliiez en tout et envers tous devant le Seigneur et devant moi. Je veux que vous enseigniez à vos religieuses cette science cachée au inonde et à la chair. Et en vous l'enseignant à vous-même , je veux vous récompenser des peines que vous avez eues en écrivant ma vie, par les notions que je vous

 

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donne sur une doctrine si importante, afin que vous compreniez que si vous devez agir en m'imitant comme vous y êtes obligée, vous ne devez ni vous entretenir, ni parler, ni écrire, ni recevoir aucune lettre, ni faire aucun mouvement, ni même avoir aucune pensée, s'il est possible, sans mon ordre et sans prendre avis de celui qui vous dirige. Pour les gens du monde, ces vertus sont des ridicules ou des momeries; mais cette ignorance si superbe recevra sa punition ,lorsque les vérités seront éclaircies en la présence du juste Juge, que les véritables ignorants et les véritables sages seront connus, que les serviteurs qui ont été fidèles dans les petites choses aussi bien que dans les grandes, obtiendront leur récompense (1), et que les insensés s'apercevront du mal qu'ils se sont fait à eux mêmes en suivant la prudence de la chair au moment où ce mal sera irrémédiable.

478. Vous avez senti une certaine jalousie en apprenant que je gouvernais par moi-même cette congrégation de femmes retirées à Ephèse; je vous avertis de ne point vous y laisser aller. Car vous devez considérer que vous et vos religieuses m'avez choisie pour votre supérieure et votre patronne spéciale, afin que je vous gouverne comme Reine et comme Maîtresse; je veux qu'elles sachent que j'ai accepté cette charge et que je me constitue leur supérieure pour toujours, à condition qu'elles seront parfaites en leur vocation et fort fidèles envers leur divin Maître,

 

(1) Matth., XXV, 21.

 

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mon très-saint Fils, qui les a choisies pour ses épouses. Rappelez-le-leur souvent, afin qu'elles se gardent et s'éloignent du monde; qu'elles le méprisent; qu'elles se tiennent dans le recueillement et se conservent en paix; qu'elles ne se montrent point indignes d'être mes filles; qu'elles suivent la doctrine que je vous ai donnée dans cette histoire de ma vie, tant pour vous que pour elles; qu'elles l'estiment et la vénèrent avec une vive reconnaissance, et qu'elles la gravent dans leur coeur; car en leur donnant ma vie écrite de votre main pour leur modèle, je remplis l'office de mère et de supérieure, afin qu'étant mes inférieures et mes filles, elles suivent mes traces, imitent mes vertus et répondent à la fidélité et à l'amour que je leur témoigne.

477. Vous trouvez dans ce chapitre un autre avis fort important : c'est que les mauvais obéissants, quand il leur arrive quelque disgrâce à propos de ce qui leur a été ordonné, s'affligent et se troublent aussitôt, et pour pallier leur impatience, ils en attribuent la faute prétendue à celui qui leur a donné l'ordre, et le blâment soit auprès des supérieurs, soit auprès des autres, comme s'il était obligé de répondre des événements ou de les détourner, ou qu'il eût le gouvernement de toutes les choses du monde pour en disposer selon les désirs de l'inférieur. En quoi ils se trompent fort, car il arrive fréquemment que Dieu, voulant récompenser l'obéissance, met celui qui obéit dans des traverses pour augmenter son mérite et embellir sa couronne; d'autres fois il châtie

 

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par ces disgrâces la répugnance avec laquelle on a obéi, c'est pourquoi le supérieur gui commande n'en est nullement responsable. Le Seigneur a dit seulement: Celui qui vous écoute et qui vous obéit, m'écoute et m'obéit (1). Les peines qui résultent du fait de l'obéissance sont toujours utiles à l'obéissant, et s'il ne réussit pas toujours, on ne doit pas l'imputer à celui qui commande. Je ne 6s aucun reproche à saint Pierre de ce qu'il m'eût fait venir d'Éphèse à Jérusalem, quoique j'eusse beaucoup souffert dans le voyage; au contraire, je lui demandai pardon de n'avoir pas plus tôt accompli son désir. Ne soyez jamais de mauvaise humeur envers vos supérieurs, car la mauvaise humeur est une liberté fort blâmable, par laquelle on perd le mérite de l'obéissance. Regardez-les avec respect comme tenant la place de Jésus-Christ, et vous aurez un plus grand mérite de leur obéir; suivez mes traces, et l'exemple et la doctrine que je vous donne, et vous serez parfaite en tout.

 

(1) Luc., X, 16.

 

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CHAPITRE VI. L'auguste Marie visite les saints lieux. — Elle remporte des triomphes mystérieux sur les démons. — Elle voit, dans le ciel, la Divinité par la vision béatifique. — Les apôtres tiennent un concile. — Circonstances secrètes de ces événements.

 

478. A la gloire de la bienheureuse Marie, tous les efforts de notre esprit sont impuissants pour expliquer la plénitude de perfection qui se trouvait dans toutes ses oeuvres. En effet, nous sommes toujours accablés par la grandeur de la plus petite de ses vertus , s'il y en eut en elle quelqu'une de petite par rapport à la matière en laquelle cette auguste Reine l'exerçait. Mais la recherche sera toujours fort avantageuse pour nous, pourvu que nous ne nous livrions pas avec présomption , comme pour sonder entièrement l'océan de la grâce, mais que nous la fassions avec humilité pour glorifier et exalter en elle son Créateur, et pour découvrir de plus eu plus de quoi admirer et de quoi imiter. Je m'estimerai extrêmement heureuse, si, en manifestant les faveurs que le Seigneur a faites à la divine Mère, je parviens à donner aux enfants de l'Église une idée de ce que je ne saurais exprimer par mes faibles paroles , car je

 

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ne trouve point de termes adéquats à mon sujet; c'est pourquoi je suis réduite à en parler comme en balbutiant et avec une espèce de frayeur. Les événements qui m'ont été découverts pour ce chapitre et pour les suivants furent admirables. J'en dirai ce que je pourrai, afin que la foi et la piété chrétiennes puissent s'y étendre davantage par de pieuses réflexions.

479. Après que la très-pure Marie eut témoigné son obéissance à saint Pierre (comme on l'a vu dans le chapitre précédent), elle crut devoir satisfaire sa dévotion en visitant les lieux sacrés de notre rédemption. Elle réglait toutes les oeuvres propres à chacune des vertus avec une telle prudence , qu'elle n'en omettait aucune, donnant à chacune son temps, afin qu'elles eussent toutes les caractères par lesquels elles avaient la plénitude de la perfection possible. Par celte sagesse elle faisait en premier lieu ce qui était sur tout et avant tout conforme à l'ordre ; elle passait ensuite à ce qui l'était secondairement; mais l'un et l'autre avec tout'. la plénitude que chaque chose demandait en ses opérations. Elle sortit du saint Cénacle pour aller visiter tous les lieux sacrés, accompagnée de ses anges et suivie de Lucifer et de ses démons. Ces dragons cherchaient toujours à l'effrayer par leurs gestes de fureur, par leurs menaces et leurs diverses figures effroyables, aussi bien que par leurs tentations. Mais quand notre grande Dante approchait de l'un des saints lieux qu'elle allait vénérer, les démons s'arrêtaient à une certaine distance, parce que la vertu divine les retenait; ils sentaient

 

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aussi qu'ils étaient subjugués par la force que le Rédempteur avait communiquée à ces lieux sacrés par les mystères de notre rédemption. Lucifer, poussé par la témérité de son propre orgueil, faisait néanmoins tous ses efforts pour s'en approcher, car en profitant de la permission qu'il avait de persécuter et de tenter la Maîtresse des vertus, il désirait, s'il lai était possible , remporter sur elle quelque victoire dans ces mérites lieux où il avait été vaincu, ou du moins empêcher qu'elle ne les vénérât avec toute la dévotion qu'il lui voyait.

480. Mais le Très-Haut voulut que la vertu de sa main puissante opérât contre Lucifer et contre ses démons par l'organe de la Reine de l'univers, et que les mêmes actions qu'ils prétendaient troubler en elle, fussent les armes avec lesquelles elle les vainquît. Et c'est ce qui arriva, car la dévotion avec laquelle la divine Mère adora son très-saint Fils et renouvela la mémoire et la reconnaissance de la rédemption, inspira aux démons une si grande terreur, qu'ils ne purent point la surmonter, et ils sentirent venir contre eux, du côté de la bienheureuse Marie, une force secrète qui les accabla, les tourmenta et les refoula plus loin de la présence de cette invincible Reine. Ils jetaient des hurlements épouvantables, qu'elle seule entendait, et disaient entre eux : « Éloignons-nous de cette femme notre ennemie, qui nous confond et nous opprime par ses vertus d'une manière si étrange. Nous prétendions abolir la mémoire et le culte de ces lieux, où les hommes ont été rachetés et

 

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nous avons été dépouillés de notre empire; et cependant cette femme, n'étant qu'une simple créature, déjoue nos desseins, et renouvelle le triomphe que son Fila et Dieu a remporté sur nous du haut de la croix. »

481. L'auguste Marie continua les stations des divers sanctuaires en la compagnie de ses saints anges; et lorsqu'elle fut arrivée sur là montagne des Oliviers, qui était la dernière station, au lieu d'où son très-saint Fils monta au ciel, sa divine Majesté en descendit avec une beauté et une gloire ineffables pour visiter et consoler sa très-pure Mère. Cet adorable Seigneur se manifesta à elle en lui prodiguant les marques de tendresse d'un fils, mais dans tout l'éclat d'un Dieu infini et puissant; il la divinisa et l'éleva de telle sorte au-dessus de l'ètre terrestre par les faveurs qu'il lui fit dans cette occasion, qu'elle fut longtemps comme abstraite de tout ce qui est visible; et quoiqu'elle ne laissât point de s'occuper de toutes les oeuvres extérieures, il fallut néanmoins que pour s'y appliquer elle se fit une plus grande violence que dans d'autres cas semblables, car elle fut toute spiritualisée et transformée en son très-saint Fils. Notre grande Reine sut (parce que le Seigneur le lui apprit) que ces bienfaits étaient une partie de la récompense de l'humilité et de l'obéissance qu'elle avait pratiquées envers saint Pierre, en exécutant aussitôt ses ordres, et en les préférant non-seulement à sa dévotion, mais encore à sa propre commodité. Il lui promit aussi de l'assister dans sa lutte. contre les démons;

 

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et accomplissant à l'instant cette promesse, sa divine Majesté fit que Lucifer et ses ministres reconnussent en la bienheureuse Marie quelque chose de nouveau, qui lui assurait sur eux une supériorité encore plus grande.

482. L'auguste Vierge revint au Cénacle, et lorsque les démons essayèrent de renouveler leurs tentations, ils sentirent que c'était comme si un ballon lancé par une main vigoureuse contre un mur de bronze rebondissait avec force et revenait avec une extrême vitesse contre celui qui l'aurait lancé; il en arriva de même à ces ennemis présomptueux , qui reculèrent à l'aspect de la bienheureuse Marie avec plus de fureur contre eux-mêmes qu'ils n'en avaient contre elle. Ils redoublèrent leurs hurlements et leur rage, et confessant malgré eux plusieurs vérités, ils disaient : « Oh! que nous sommes malheureux à la vite du bonheur de la nature humaine! Elle a été élevée à la dignité la plus éminente en cette simple créature. Que les hommes seront ingrats et insensés sils ne profitent des biens qu'ils reçoivent par cette tille d'Adam ! Elle est leur remède et notre ruine en même temps. Son l'ifs est généreux envers elle ; mais elle ne se rend point indigne de sa munificence. C'est un cruel supplice pour nous que d'être obligés de confesser ces vérités. Oh ! si Dieu nous cachait cette femme, dont la vue ajoute tant de tourments à notre envie ! Comment pourrons-nous la vaincre, si son seul aspect nous est insupportable ? Mais convolons-nous par la pensée que les hommes perdront les grands biens que

 

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cette femme leur acquiert, et qu'ils la mépriseront follement. Nous nous vengerons sur eux des injures qu'elle nous fait, nous leur ferons sentir notre colère, nous les remplirons d'illusions et d'erreurs, car s'ils méditent sur cet exemple, ils se prévaudront tous de cette femme, et tous suivront ses vertus. Mais cela n'est pas capable de me consoler (ajouta Lucifer), parce que Dieu se laissera plus apaiser par cette sienne Mère qu'il n'est irrité par les péchés de ceux que nous pervertissons; et quand cela ne serait point, je ne saurais souffrir dans ma condition que la nature humaine soit si élevée dada une simple créature qui n'est qu'une faible femme. Cette injure est insupportable, recommençons à la persécuter, excitons notre propre envie, et faisons en sorte que la fureur qu'elle nous cause surpasse la rage que nous avons de la peine où nous sommes; et quoique nous souffrions tous d'affreux tourments, ne perdons pas courage, et ne laissons pas fléchir notre orgueil, car nous pourrions bien à la fin obtenir quelque avantage sur cette femme notre ennemie. »

483. La bienheureuse Marie entendait toutes ces furieuses menaces, mais elle les méprisait comme Reine des vertus; et sans en témoigner la moindre surprise, elle se retira aussitôt dans son oratoire, pour repasser en son esprit, avec sa très-sublime prudence, les mystères du Seigneur dans ce combat contre le dragon, et les délibérations importantes et difficiles auxquelles l'Église était occupée pour mettre fin à la circoncision et aux cérémonies de l'ancienne

 

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loi. La Reine des anges se tint quelques jours fort retirée pour travailler à ces grandes affaires, employant ce temps en de continuelles prières et en d'autres saints exercices. Et pour ce qui la concernait, elle supplia le Seigneur d'étendre le bras de sa toute-puissance contre Lucifer, et de la rendre victorieuse et de lui et de ses dénions. Elle ne cessait point de faire cette prière, quoiqu'elle silt qu'elle avait le Très-Haut de son côté, et qu'il ne l'abandonnerait point dans la tribulation; mais au contraire elle agissait de son côté comme si elle eût été la plus fragile des créatures dans le temps de la tentation, pour nous enseigner de quelle manière nous devons nous y comporter, nous qui sommes si sujets à tomber et à nous laisser vaincre. Elle pria pour la sainte Église, et demanda au Seigneur d'établir la loi évangélique dans toute sa pureté, dans toute son intégrité, et de l'affranchir des anciennes cérémonies.

484. Notre auguste Princesse fit cette, prière avec la plus grande ferveur, parce qu'elle connut que Lucifer et ses ministres prétendaient se servir des Juifs pour conserver la loi de la circoncision avec le baptême, et les cérémonies de Moïse avec la vérité de l'Évangile, espérant que par cet artifice ils réussiraient à tenir beaucoup de Juifs opiniâtrement attachés à leur ancienne loi dans les siècles à venir de l'Église. Ce fut un des avantages et des triomphes que l'auguste Vierge remporta dans ce combat qu'elle soutint contre le dragon, que l'on ait commencé à interdire dès lors la circoncision dans le concile dont

 

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je parlerai bientôt, et que l’on ait décidé qu'à l'avenir, pendant toute la durée de l'Église, ou séparerait le pur grain de la vérité évangélique d'avec toute la paille sèche et sans fruit des cérémonies mosaïques, comme notre mère la sainte Église le fait aujourd'hui. La bienheureuse Mère déterminait tout cela par ses mérites et par ses prières, pendant que saint Paul et saint Barnabé s'approchaient de Jérusalem; camelle savait déjà qu'ils venaient d'Antioche, envoyés par les fidèles pour résoudre avec saint Pierre et avec les autres les questions que les Juifs avaient soulevées à ce sujet, comme le rapporte saint Luc au chapitre quinzième des Actes (1).

485. Saint Paul et saint Barnabé arrivèrent à Jérusalem, sachant que la Reine du ciel s'y trouvait déjà; et saint Paul était si impatient de la voir, qu'ils se rendirent directement chez elle, et ils se jetèrent à ses pieds en versant d'abondantes larmes, dans les transports de joie qu'excita en eux sa présence. La joie que causa leur arrivée à la divine Mère ne fut pas moindre : elle les aimait dans le Seigneur avec une tendresse singulière, pour le zèle avec lequel ils travaillaient à l'exaltation de son nom et se livraient à la prédication de la foi.. La Maîtresse des humbles souhaitait que les deux apôtres se présentassent d'abord à saint Pierre et aux autres, et ne lui fissent leur visite qu'en dernier lieu, à elle qui se croyait la plus petite d'entre les créatures. Mais ils concilièrent très-bien la

 

(1) Act., XV, 2.

 

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vénération et la charité, persuadés qu'on ne devait préférer personne à Celle qui était Mère de Dieu, Maîtresse de tout ce qui est créé et principe de tout notre bien. L'auguste Vierge se prosterna à son tour devant saint Paul et saint Barnabé, elle leur baisa la main et demanda leur bénédiction. Saint Paul eut dans cette occasion une extase sublime , en laquelle lui furent de nouveau révélés de grands mystères et. d'excellentes prérogatives de cette Cité mystique de Dieu , la bienheureuse Marie, et il la vit toute revêtue de la Divinité même.

486. Cette vision pénétra saint Paul d'une admiration, d'un amour et d'une vénération inexprimables pour la très-pure Marie. Revenu de ce ravissement, il lui dit : « Mère de miséricorde et de clémence, pardonnez à cet homme pécheur et vil d'avoir persécuté votre très-saint Fils, mon Seigneur, et sa sainte Église. » La Vierge Mère lui répondit: « Paul, serviteur du Très-Haut, si Celui même qui vous a créé et racheté, vous a appelé à son amitié et a fait de vous un vase d'élection (1), comment pourrais-je refuser de vous pardonner, moi qui suis sa servante ? Mon âme le glorifie et l'exalte de ce qu'il s'est montré si puissant, si saint et si libéral à votre égard. » Saint Paul rendit des actions de grâces à divine Mère pour le bienfait de sa conversion, et pour les faveurs quelle lui avait faites encore, en le délivrant de tant de périls. Saint Barnabé la remercia

 

(1) Act., IX, 15.

 

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aussi pour les bienfaits qu'il avait reçus par son entremise; puis il lui demanda de nouveau sa protection, qu'elle leur promit.

487. Saint Pierre, en qualité de chef de l'Église, avait appelé les apôtres et les disciples qui étaient près de Jérusalem; il les assembla un jour avec ceux qui s'y trouvaient, en la présence de la grande Reine de l'univers, usant de son autorité de vicaire de Jésus-Christ pour empêcher la prudente Vierge de se retirer de l'assemblée par sa profonde humilité. Lorsque tous furent réunis, saint Pierre leur adressa la parole en ces termes : « Mes frères et mes enfants en notre Seigneur Jésus-Christ, il a fallu que nous nous réunissions tous pour résoudre les doutes et les points que nos très-chers frères Paul et Barnabé nous ont communiqués , et pour régler plusieurs autres choses qui intéressent la propagation de la foi. Pour cela, il convient que nous commencions par la prière, afin d'implorer l'assistance du Saint-Esprit; nous y persévérerons dix jours, selon notre coutume. Le premier et le dernier jour nous célèbrerons le très-saint sacrifice de la messe, par  lequel nous disposerons notre cœur à recevoir la  lumière divine. ».Toute l'assemblée approuva ce moyeu. Et ta Reine des anges prépara la salle du Cénacle, où l'on devait célébrer la messe le jour suivant; elle l'orna de ses propres mains, et procura tout le nécessaire pour la communion qu'elle, les autres apôtres et les disciples devaient faire à ces messes, que saint Pierre célébra avec les mêmes

 

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cérémonies que les autres dont j'ai fait mention ailleurs.

488. Les autres apôtres et les disciples communièrent de la main de saint Pierre , et après les avoir tous communies , il communia la bienheureuse Marie, qui prenait toujours la dernière place. Grand nombre d'anges descendirent au Cénacle, qui au moment de la consécration fut rempli d'une lumière admirable et d'une odeur délicieuse; ils furent tous témoins de cette merveille, et sentirent des effets divins que le Seigneur se plut à communiquer à leur âme. Après que la première messe fut dite , ils fixèrent les heures qu'ils devaient consacrer ensemble à la prière, sans manquer, en cas d'urgence, au ministère des âmes, de manière à reprendre aussitôt leurs pieux exercices. La sainte Vierge se retira dans un lieu où elle demeura toute seule sans en sortir, ni manger, ni parler à personne pendant ces dix jours. Dans ce temps-là il se passa tant de sublimes mystères à l'égard de la Reine de l'univers, qu'ils furent pour les anges le sujet d'une nouvelle admiration , et ce qui m'en a été manifesté est vraiment ineffable. J'en dirai néanmoins en, peu de mots ce que je pourrai, car il ne muserait pas possible de tout dire. Or, la divine Mère ayant communié à la première messe de ces dix jours, se retira. dans sa solitude, comme on l'a vu, et aussitôt, par ordre du Seigneur, ses anges et les autres qui s'y trouvaient, l'élevèrent en corps et en âme dans l'empyrée, pendant qu'un ange demeurait à sa place sous sa figure, afin que les apôtres qui étaient dans le

 

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Cénacle, ne remarquassent pas son absence. Ces esprits bienheureux la portèrent avec: la pompe majestueuse que j'ai décrite en d'autres occasions; et cette fois elle fut plus brillante encore, à cause des desseins du Seigneur, qui l'ordonnait. Lorsque sa très-sainte Mère fut élevée à la région de l'air la plus éloignée de la terre, le Tout-Puissant commanda à Lucifer et à tous ses démons de venir en la présence de cette même Reine au même endroit de l'air qu'elle occupait. A l'instant ils parurent tous et se présentèrent devant l'auguste Marie, et elle les vit, elle les connut tels qu'ils sont, et dans l'état auquel ils sont réduits. Leur aspect lui aurait causé une impression désagréable, tant il est hideux et repoussant; mais elle était munie de la vertu divine, afin que la vue de ces créatures si exécrables ne la blessât point. Il n'en fut pas de même pour les démons; car le Seigneur leur fit connaître d'une manière spéciale et par de vives impressions la grandeur de notre invincible Princesse, et l'autorité que celte femme forte qu'ils persécutaient comme leur ennemie avait sur eux, et que tout ce qu'ils avaient entrepris contre elle n'était qu'une folle témérité. Ils surent encore, pour leur plus grande frayeur, qu'elle avait dans son coeur notre Seigneur Jésus-Christ sous les espèces sacramentales, et que toute la Divinité la couvrait, l'enveloppait pour ainsi dire de la protection de sa toute-puissance, afin que, par la participation de ses divins attributs, elle les détruisit, les humiliât et leur brisât la tête.

489. En même temps les démons entendirent une

 

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voix qu'ils connurent sortir de l'être de Dieu, et qui leur disait : « Par ce bouclier si fort et si impénétrable de mon puissant bras je défendrai toujours  mon Église, et cette femme brisera la tête de l'ancien serpent (1), et triomphera toujours de son  orgueil, pour la gloire de mon saint nom. » Les démons, la regardant malgré eux, ouïrent cet oracle, et découvrirent d'autres mystères de l'auguste Marie. Ils en ressentirent une si cruelle douleur et un si affreux. désespoir, qu'ils dirent comme avec des cris horribles : « Que le pouvoir de Dieu nous précipite au plus tôt dans l'enfer, et ne nous arrête point en la présence de cette femme, qui nous tourmente plus que le feu. O femme forte et invincible, éloignez-vous de nous, puisque nous ne pouvons fuir de votre présence, où la chaîne du pouvoir infini nous tient liés. Pourquoi nous tourmentez-vous aussi. avant le temps (2)? Vous seule en la nature humaine êtes l'instrument de la toute-puissance contre nous, et par vous les hommes peuvent gagner les biens éternels que nous avons perdus. Et quand ils n'espèreraient point voir Dieu éternellement, votre vue, qui est pour nous le plus grand des supplices et des châtiments, à cause de la haine que nous vous avons jurée, les récompenserait des bonnes oeuvres qu'ils doivent à leur Dieu et à leur Rédempteur. Laissez-nous maintenant, ô Dieu tout-puissant, mettez fin à ce nouveau tourment par lequel vous renouvelez celui que nous

 

(1) Gen., III, 15. — (2) Matth., VIII, 29.

 

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avons subi lorsque vous nous avez précipités du ciel, puisque maintenant vous accomplissez par cette merveille de la puissance de votre bras la menace que vous nous avez faite alors. »

490. Les démons, dans ces transports de rage, furent assez longtemps retenus en la présence de notre invincible Reine, et ils avaient beau se débattre et chercher à s’enfuir, il ne leur fut pas permis de se retirer aussitôt que leur désespoir le leur faisait désirer. Et afin qu'ils fussent plus pénétrés de la terreur que la bienheureuse Marie leur inspirait, le Seigneur voulut que ce fût elle qui leur en accord comme la permission avec une autorité de Reine. Elle le fit, et à l’instant ils se précipitèrent tous de la région de l'air jusqu'au fond de l'abîme avec toute la vitesse que leurs puissances ont pour se mouvoir, et en poussant des hurlements épouvantables. Dans leur fureur, ils effrayèrent tous les damnés par la menace de nouveaux supplices, confessant en leur présence le pouvoir de Dieu et de sa Mère, qu’ils reconnaissaient malgré eux, et qu'ils souffraient horriblement de ne pouvoir nier. Après ce triomphe, notre auguste Princesse poursuivit sa route jusqu'à l’empyrée, où elle fut reçue au milieu de nouveaux transports de joie de la part de tous les bienheureux , et elle y demeura vingt-quatre heures.

491. Elle se prosterna devant le trône suprême de la très-sainte Trinité, et l'adora en l'unité d'une nature et d'une majesté indivisible. Ensuite elle pria pour l'Église, afin que les apôtres entendissent et

 

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déterminassent ce qui était utile pour établir la loi évangélique et marquer la fin de la loi de Moïse. Pendant qu'elle faisait cette prière, elle entendit une voix du trône par laquelle les trois personnes divines, chacune à part et suivant son rang, lui promettaient d'assister les apôtres et les disciples, afin qu'ils définissent et établissent la vérité divine, le Père les gouvernant par sa toute-puissance , le Fils par sa sagesse et comme chef, et le Saint-Esprit comme époux par son amour et par l'illustration de ses dons. Ensuite la divine Mère vit que l'humanité très-sainte de son Fils présentait au Père les prières qu'elle-même avait faites pour l'Église; et que, les approuvant toutes, elle proposait les raisons pour lesquelles il était convenable d'exaucer les prières de notre auguste Reine, afin que la foi et la loi de ['Évangile fussent implantées dans le monde, selon la résolution éternelle de l'entendement et de la volonté divine.

492. Bientôt, en exécution de cette volonté et de la proposition de notre Sauveur Jésus-Christ, la bienheureuse Vierge vit sortir de la Divinité et de l'être immuable de Dieu une forme de temple ou église aussi pure, aussi belle et aussi éclatante que si elle eût été fabriquée avec le diamant ou avec le plus brillant cristal; elle était ornée d'un grand nombre de riches émaux, qui la rendaient et plus magnifique et plus précieuse. Les anges et les saints la virent, et dirent avec admiration: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu tout-puissant en ses oeuvres

(1). La très

 

(1) Apoc., IV, 8.

 

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sainte Trinité relut cette Église à l'humanité sainte de Jésus-Christ, et sa Majesté se l'unit à lui-même d'une manière merveilleuse que je ne saurais expliquer en termes propres. Le Fils la remit ensuite entre les mains de sa très-sainte Mère. Au moment ou l'auguste Marie reçut l'Église; son âme entière fut inondée de nouvelles splendeurs, du sein desquelles elle vit intuitivement et clairement la Divinité par une éminente vision béatifique.

493. Notre grande Reine fut pendant cette douce extase, qui dura plusieurs heures, véritablement introduite par le souverain Roi dans le cellier du vin aromatique dont parle le Cantique des cantiques (1). Et comme ce qu'elle y reçut et ce qui lui arriva alors surpasse tout ce que nous pouvons imaginer, il me suffira de dire que la charité fut de nouveau réglée en elle, afin qu'elle l'employât dans la sainte Église, qui lui était remise sous ce symbole. Après toutes ces faveurs les anges la ramenèrent au Cénacle, portant toujours en ses mains ce temple mystérieux que son très-saint Fils lui avait remis. Elle demeura les neuf jours suivants en oraison, sans sortir de sa retraite et sans interrompre les actes dans lesquels la vision béatifique la laissa, actes si admirables, qu'on ne saurait ni les exprimer ni les concevoir. Une des principales choses qu'elle fit, ce fut de distribuer les trésors de la rédemption aux enfants de cette Église, en commençant par les apôtres, et en se transportant par sa prévoyance

 

(1) Cant., VIII, 2; II, 4.

 

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dans les temps à venir, elle les appliquait à divers justes, selon les mystérieux décrets de la prédestination éternelle. Et comme l'exécution de ces décrets fut commise à la bienheureuse Marie par son très-saint Fils, sa divine Majesté lui donna en même temps le domaine de toute l'Église et l'usage de la dispensation de la grâce que chacun puiserait dans les mérites de la rédemption. Je fie saurais me faire mieux comprendre en parlant d'un mystère si sublime.

494. Le dernier des dix jours, saint Pierre célébra une autre messe , et y communia les mêmes personnes qu'à la première. Puis, étant tous assemblés au nom du Seigneur, ils invoquèrent le Saint-Esprit, et commencèrent à discuter et à résoudre les questions qui s'étaient élevées dans l'Église. Saint Pierre, en qualité de chef et de pontife, parla le premier, ensuite saint Paul et saint Barnabé, et après ceux-là saint Jacques le Mineur, comme le rapporte saint Luc au chapitre quinzième des Actes (1). Le premier point que l'on décida dans ce concile, ce fut qu'on n'imposerait point à ceux qui étaient baptisés le joug de la circoncision et de la loi mosaïque, puisque le salut éternel se donne par le baptême et par la foi de Jésus-Christ. Et quoique ce soit ce que saint Lue a principalement marqué dans ce chapitre, on y détermina aussi d'autres choses relatives au gouvernement et aux cérémonies de l'Église, pour réprimer divers abus que certains fidèles commençaient à introduire

 

(1) Act., XV, 7, etc.

 

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par une dévotion indiscrète. On croit que ce concile a été le premier que les apôtres ont tenu; ils s'étaient pourtant déjà réunis pour rédiger le Credo et pour se concerter, ainsi qu'on l'a vu plus haut; mais les douze apôtres concoururent seuls à la rédaction du Symbole, tandis qu'à cette dernière assemblée on convoqua tous les disciples gui parent s'y rendre. Le mode de délibération et de détermination n'y fut plus le même, et l'on y prit des décisions proprement dites, comme cela résulte de celles que rapporte saint Luc dans le même chapitre : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous étant assemblés, etc. (1).

495. La teneur des actes de ce concile fut communiquée en cette forme aux fidèles et aux Églises d'Antioche, de Syrie et de Cilicie, qui connurent ainsi ce qui y avait été déterminé; et les lettres leur furent directement transmises par saint Paul, saint Barnabé et d'autres disciples. Et le Seigneur voulant approuver cette détermination , il arriva que, quand les apôtres la firent dans le Cénacle, et quand les prêtres la lurent à Antioche en présence des fidèles, le Saint-Esprit descendit en forme de feu visible, de sorte que tous furent consolés et confirmés en la vérité catholique. La bienheureuse Marie rendit des actions de grâces au Seigneur pour le bienfait que la sainte Église avait reçu par cette détermination. Ensuite elle donna congé à saint Paul, à saint Barnabé et aux autres; et pour leur consolation elle leur fit part des

 

(1) Act., XV, 28.

 

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reliques de notre Sauveur. Jésus-Christ qu’elle conservait , c'étaient ses langes et d'autres choses qui avaient servi à sa Passion. Elle leur promit sa protection et la continuation de ses prières, et alors ils s'en allèrent tout consolés et animés d'un nouvel esprit et d'un nouveau courage pour supporter les peines et les afflictions qui les attendaient. Pendant tout le temps que dura ce concile, le prince des ténèbres et ses ministres ne purent s'approcher du Cénacle il cause de la frayeur que leur avait donnée notre invincible Reine; et quoiqu'ils épiassent de loin l'occasion, il ne leur fut pas possible de rien entreprendre contre ceux qui y étaient assemblés. Heureux siècle et heureuse assemblée !

496. Lucifer rôdait sans cesse autour de notre grande Reine comme un lion rugissant; mais, voyant qu'il ne pouvait réussir en rien par lui-même, il alla trouver certaines magiciennes de Jérusalem avec lesquelles il,avait fait un pacte exprès, et leur persuada d'ôter la vie à la bienheureuse Vierge par leurs sortilèges. Ces malheureuses femmes ainsi trompées entreprirent de le faire par des voies différentes; mais tous leurs maléfices n'aboutirent à aucun résultat. Toutes les fois qu'elles s'approchaient de notre auguste Princesse pour chercher à lui nuire, elles demeurèrent toujours immobiles et frappées d'impuissance. Néanmoins la charité sans bornes de la très-douce Mère la porta à faire beaucoup d'efforts pour les convertir, et les détromper par ses paroles et par ses bienfaits; mais des quatre femmes dont le démon se servit en

 

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cette circonstance, une seule se convertit et reçut le baptême. Comme toutes ces entreprises ne servaient de rien à Lucifer, il en était tellement troublé et confus, qu'il aurait plusieurs fois cessé de tenter la très-pure Marie, si son orgueil inflexible ne s'y fût opposé; le Seigneur tout-puissant permettant tout cela pour augmenter la gloire du triomphe de sa très-sainte Mère, ainsi que nous le verrons dans le chapitre suivant.

 

Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges.

 

497. Ma fille, la constance et la force invincible avec lesquelles je repoussai les violentes attaques des démons, vous fournissent une leçon des plus importantes pour persévérer dans la grâce et pour acquérir de grandes couronnes. La nature humaine et la nature angélique (même chez les démons) sont douées de dualités fort opposées et fort inégales, car la nature spirituelle est infatigable., et celle des mortels est si faible, qu'elle se lasse et se rebute aussitôt du travail et à la première difficulté qu'elle rencontre dans la vertu , elle perd courage et quitte ce qu'elle a commencé ; ce qu'elle fait un jour avec plaisir, un antre jour lui répugne; ce qui lui paraît facile aujourd'hui, elle le trouve rempli de difficultés le lendemain; tantôt elle veut, et tantôt elle ne veut point; tantôt elle

 

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est fervente, et tantôt elle est dans la tiédeur. Mais le démon n., se rebute point, et ne cesse jamais de la persécuter et de la tenter. Cependant la providence du Très-Haut ne manque point de secourir les hommes; il limite et arrête le pouvoir des démons, afin qu'ils ne passent point les bornes de sa divine permission, et qu'ils ne puissent point déployer, dans leur lutte contre les âmes, toutes leurs forces infatigables; il assiste les hommes dans leur faiblesse, et leur donne la grâce et les ressources nécessaires pour qu'ils puissent résister à leurs ennemis et les vaincre dans les choses par lesquelles ils ont la permission de les tenter.

498. On voit par là combien est inexcusable l'inconstance des âmes qui chancellent dans la vertu et dans la tentation, pour ne pas souffrir avec force et avec patience la peine passagère qu'ils trouvent au moment de faire le bien et de résister au démon. Aussitôt elles sentent l'inclination des passions qui convoitent le plaisir présent et sensible; et alors le démon, par un artifice diabolique, le leur représente avec force,. en même temps qu'il leur exagère l'amertume et la difficulté de la mortification, allant, quand c'est possible, jusqu'à leur persuader qu'elle petit compromettre la santé et la vie. Par ces tromperies il entraîne une infinité d'âmes pour les précipiter d'un abîme dans un autre abîme. Et vous remarquerez à ce sujet, ma fille, un désordre fort commun parmi les gens du monde, mais fort horrible aux yeux du Seigneur et aux miens : c'est que beaucoup d'hommes

 

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sont faibles et inconstants lorsqu'il s'agit de pratiquer la vertu et la mortification, ou de faire pénitence de leurs péchés, ou de s'employer au service de Dieu; et les mêmes hommes qui sont faibles pour le bien sont forts pour pécher, et constants ait service du démon pour cela, ils entreprennent et ils exécutent des choses plus difficiles et plus pénibles que tout ce que la loi de Dieu leur commande ; de sorte qu'ils n'ont point de force pour sauver leurs ânes, et pour leur procurer la damnation éternelle ils sont forts et robustes.

499. C'est là une funeste erreur qui gagne plus ou moins jusqu'à ceux qui font profession d'aspirer à la perfection, et qui en redoutent les difficultés plue qu'ils ne le devraient; elle est cause de tous leurs retards dans le chemin de la perfection, et parfois même des nombreuses victoires que le démon remporte sur eux dans les tentations. Afin d'éviter ces périls, ma fille , vous devez profiter de mes exemples, et m'imiter en la force et en la constance avec lesquelles je résistais à Lucifer et à tout l'enfer, et en la sérénité majestueuse avec laquelle je méprisais ses illusions et ses tentations sans me troubler et sans y faire mienne attention, car c'est la meilleure manière de vaincre son orgueil. Au milieu des tentations, je ne me laissais point aller non plus à la tiédeur, et loin d'omettre aucun de mes exercices, je multipliais mes oraisons, mes prières et mes larmes, comme on doit le faire dans le temps des luttes contre les démons. Je vous recommande donc d'agir ainsi avec une grande

 

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exactitude, d'autant plus que vos tentations ne sont pas des tentations ordinaires; mais l'ennemi y met toute sa malice et y emploie toutes ses ruses, comme je vous en ai souvent avertie, et selon que votre propre expérience vous l'enseigne.

500. Et puisque vous avez particulièrement remarqué la terreur dont les démons furent saisis lorsqu'ils surent que j'avais dans mon coeur mon très-saint Fils nous les espèces sacramentales, je veux vous instruire de deux choses. L'une est que tous les sacrements, et surtout celui de l'adorable Eucharistie, sont de puissantes armes dans la sainte Église pour détruire l'enfer et pour terrifier tous les démons. Ce fut une des fins cachées que mon très-saint Fils eut en l'institution de cet auguste mystère et des autres sacrements. Que si les âmes ne sentent point aujourd'hui cette vertu et ces effets par une expérience ordinaire, c'est qu'elles ont presque entièrement perdu , par l'usage de ces sacrements, la vénération avec laquelle il faudrait les fréquenter et les recevoir. Mais vous ne devez pas douter que les Aines qui les fréquentent avec dévotion ne soient redoutables aux démons, et n'aient sur eux un grand empire, analogue à celui que vous avez reconnu en moi par ce que vous avez écrit. La raison en est que, lorsque l'âme est pure, ce feu divin se trouve en elle comme dans sa propre sphère , et il se trouva eu moi avec toute l'activité qui était possible en une simple créature, et c'est pour cela que je fus si terrible à l'enfer.

501. La seconde chose que je vous dis pour, preuve

 

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de cette vérité, est que ce bienfait que je reçus ne fut point pour moi un privilège  exclusif, le Seigneur en a favorisé d'autres âmes dans certaine mesure. Il est même arrivé récemment dans l'Église, que Dieu, voulant vaincre le dragon infernal, lui manifesta et lui mit sous les yeux une Ame qui avait dans la poitrine Jésus-Christ sous les espèces sacramentales, et par là il l'humilia et l'abattit de telle sorte, que durant plusieurs jours le même Lucifer n'osa point aborder cette filme, et supplia le Tout-Puissant de ne point la lui montrer en cet état, portant en elle-même l'Eucharistie. Il est aussi arrivé dans une autre occasion que le même Lucifer, par l'entremise de quelques hérétiques et d'autres mauvais chrétiens, entreprit un très-grand mal contre ce royaume catholique d'Espagne, et si Dieu ne l’eût point arrêté par le moyen de cette même personne, l'Espagne serait déjà entièrement perdue et soumise à ses ennemis. Mais la divine clémence voulant se servir de la même personne dont. je vous parle pour le détourner, la manifesta à Lucifer et à ses ministres après qu'elle avait communié. Et par la terreur qu'elle leur causa ils renoncèrent au dessein odieux qu'ils avaient formé pour ruiner tout d'un coup l'Espagne. Je ne vous déclare point quelle est cette personne, parce que cela n'importe. Je vous ai seulement découvert ce secret, afin que vous connaissiez l'estime que Dieu fait d'une âme qui se dispose à mériter ses faveurs, et qui le reçoit dignement dans. l'auguste sacrement de l'Eucharistie, et que vous sachiez que, s'il se montre libéral et puissant envers

 

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moi à cause de la dignité et de la sainteté de sa Mère , il veut aussi être connu et glorifié par d'autres âmes ses épouses , secourant son Église dans ses nécessités selon que les temps et les circonstances le demandent.

502. Vous comprendrez par là que, si les délitons craignent tant les âmes qui reçoivent dignement la sainte communion est les autres sacrements, par lesquels elles deviennent invincibles à leurs ennemis, ils travaillent pour la même raison avec d'autant plus d'ardeur à entraîner ces âmes dans le mal, ou à les empêcher d'acquérir contre eux un aussi grand pouvoir, que le Seigneur leur communique. Veillez donc, combattez courageusement contre des ennemis si infatigables et si rusés, et tâchez de m'imiter en cette force. Je veux aussi que vous ayez une grande vénération pour les conciles; pour toutes les assemblées de la sainte Église, et pour tout ce qu'on y ordonne et qu'on y détermine ; car le Saint-Esprit préside aux conciles et aux assemblées qui se tiennent su nom du Seigneur, qui a promis de s'y trouver aussi (1). C'est pour cela que l'on doit obéir à ce qu'ils ordonnent. Et quoiqu'on ne voie point aujourd'hui des marques visibles de l'assistance du Saint-Esprit dans les conciles, il ne laisse pas de tes gouverner secrètement; mais les prodiges et les miracles de ce goure ne sont pas maintenant aussi nécessaires que dans les commencements de l'Église, et le Seigneur ne les

 

(1) Matth., XVIII, 20.

 

refuse pas quand il le juge à propos. Louez et glorifiez sa miséricorde libérale pour tous ces bienfaits, et surtout pour les faveurs qu'il m'a faites lorsque je vivais en une chair mortelle.

 

CHAPITRE VII. La bienheureuse Marie termine ses divers combats, triomphant glorieusement des démons, comme saint Jean le rapporte dans le chapitre douzième de son Apocalypse.

 

503. four mieux entendre les mystères cachés de ce chapitre, il faut. se rappeler ceux dont j'ai traité dans la, première partie, livre premier, chapitres huitième, neuvième et dixième, où j'ai expliqué le douzième chapitre de l'Apocalypse tel qu'il m'a été découvert: Et non-seulement alors, mais dans tout le cours de cette divine histoire, j'ai remis à cette troisième partie à décrire les combats que la bienheureuse Marie soutint contre Lucifer et ses démons, les victoires qu'elle remporta sur eux , et l'état dans lequel la laissa le Très-Haut :après ces triomphes mystérieux tant qu'elle vécut encore dans sa chair mortelle. L'évangéliste saint Jean eut connaissance de tous ces vénérables secrets, et les renferma dans

 

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son Apocalypse (comme je l'ai déjà dit), particulièrement dans les chapitres douzième et vingt-unième, dont je répète les détails dans cette histoire, y étant obligée pour deux raisons.

504. L'une de ces raisons est que ces mystères sont en si grand nombre et si sublimes, qu'on ne saurait jamais les approfondir et les développer entièrement, d'autant plus que l'évangéliste les a renfermés, comme le secret du Roi et de la Reine, dans des énigmes et des métaphores très-obscures, afin qu'il n'y eût que le Seigneur même qui les expliquât quand il le jugerait à propos; et en cela l'évangéliste suivit l'ordre de l'auguste Marie. L'autre raison est que, tout en consistant dans la résistance à la volonté et aux ordres du Dieu très-haut et tout-puissant , l'orgueilleuse révolte de Lucifer retomba , comme sur sa cause principale , sur notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère, à la dignité et à l'excellence desquels les anges apostats et rebelles ne voulurent point s'assujettir. Et quoique cette révolte ait donné lieu au premier combat qu'ils livrèrent dans le ciel à saint Michel et à ses anges, ils ne purent néanmoins le livrer alors au Verbe incarné et à sa Mère Vierge en personne ; ils ne luttèrent que préfigurativement avec l'image de la femme mystérieuse qui leur fut annoncée et manifestée dans le ciel avec les mystères qu'elle renfermait comme Mère du Verbe éternel qui devait prendre dans son sein la forme humaine. Et lorsque le temps arriva auquel ces admirables mystères s'accomplirent et auquel le Verbe

 

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s'incarna dans le sein virginal de Marie, il fut convie-. nable que ce combat se renouvelât avec Jésus.Christ et Marie en personne, et qu'ils triomphassent par, eux-mêmes des démons, suivant la menace que le Seigneur lui-même leur avait faite, tant dans le ciel. que dans le paradis terrestre, en disant qu'il mettrait une inimitié entre la femme et le serpent, et entre leurs postérités, afin qu'elle lui brisât la tête (1).

505. Tout cela fut accompli à la lettre en Jésus-Christ et en sa très-sainte Mère : car saint Paul a dit que notre grand Pontife et Sauveur avait été, pour l'exemple, tenté par toutes choses sans péché : et il en arriva de même à l'égard de la bienheureuse Marie. Lucifer avait permission dé les tenter après. sa chute du ciel, ainsi que je l'ai dit dans le chapitre dixième de la première partie déjà cité. Et comme ce combat de l'auguste Marie correspondait au premier qui se donna danse ciel, et qu'il fut pour les, démons l'exécution de la menace qui leur fut faite par, le signe qui le représentait, il était naturel que l'évangéliste saint Jean les décrivît dans les mêmes, termes, et les renfermât sous les mêmes énigmes. Or, ayant expliqué ce qui regarde le premier combat, je dois déclarer ce qui se passa dans le second. Et quoique Lucifer et ses démons. eussent été punis, lors de leur première rébellion, par la privation éternelle de la vision béatifique, et précipités dans

 

(1) Gen., III, 15.

 

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l'enfer, ils furent encore, dans ce second combat, punis par des peines accidentelles, qui correspondaient à l'ardeur et à la violence avec lesquelles ils persécutaient et tentaient notre invincible Reine. La raison de ceci est qu'il est naturel à la créature, quand ses puissances obtiennent ce qu'elles désirent, de les sentir satisfaites à proportion de la vivacité avec laquelle elles le désiraient; comme, au contraire, d'éprouver de la douleur et du déplaisir lorsqu'elles . ne l'obtiennent point, ou qu'il leur arrive le contraire de ce qu'elles convoitaient et espéraient; or les démons, depuis leur chute, n'avaient rien désiré avec tant de véhémence que de faire déchoir de la grâce Celle qui en avait été la médiatrice, pour la transmettre aux enfants d'Adam. C'est pourquoi ce fat pour les dragons infernaux un tourment incompréhensible de se voir vaincus, domptés, et hors d'espérance d'accomplir leurs désirs, et de réussir dans les desseins impies qu'ils avaient machinés pendant tant de siècles.

506. Pour les mêmes raisons et pour plusieurs autres, la divine Mère ressentit une joie singulière de ce triomphe, et de voir l'antique serpent écrasé. Pour la fin de la lutte et pour le commencement du nouvel état auquel elle devait être élevée après tant de victoires, son très-saint Fils la prévint de faveurs si extraordinaires, qu'elles surpassent tout entendement humain et angélique. Et afin de faire comprendre une partie de ce qui m'en a été découvert, il faut que je fasse remarquer à celui qui lira cette

 

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histoire, que nos paroles et nos expressions sont toujours les mêmes, que nos facultés et notre capacité sont subornées, que nous nous trouvons dans la nécessité de nous en servir pour expliquer les mystères surnaturels, ceux-ci et les autres, tant les plus sublimés, que ceux qui sont moins éloignés de notre portée; mais, dans l'objet dont je parle, il y a une capacité ou étendue infinie, de sorte que le Tout-Puissant a pu élever la bienheureuse Vierge d'un état qui nous semble très-sublime à un autre état plus haut, et de celui-ci à un autre encore plus éminent, et la confirmer de plus en plus en ce même genre de grâces, de dons et de faveurs : car la très-pure Marie, étant elle-même tout ce qui n'est pas Dieu, renferme une étendue immense, et forme à elle seule une hiérarchie plus grande et plus élevée que tout le reste des autres créatures humaines et angéliques.

507. Or, tout cela supposé, je dirai comme je pourrai ce qui arriva à Lucifer jusqu'à ce qu'il fut enfin vaincu par l'auguste Marie et par son adorable Fils, notre Sauveur. Le dragon et ses démons tic furent point entièrement désabusés par les victoires que j'ai rapportées dans le chapitre précédent, et à la suite desquelles notre invincible Princesse les chassa et les précipita de la région de l’air jusqu'au fond de l'abîme; ils ne le furent pas non plus, par l'insuccès des sortilèges dont ils essayèrent par le moyen de ces femmes de Jérusalem. Mais, se doutant, dans son opiniâtre malice, qu'il ne lui restait que peu de temps pour user de la permission qu'il avait de tenter

 

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et persécuter la bienheureuse Vierge, .l'ennemi entreprit de nouveau de compenser ce peu de temps qu'il présumait lui rester, par un surcroît de fureur et d'audace. En conséquence il alla d'abord trouver des hommes qu'il savait être plus versés dans l'art magique que les sorcières de Jérusalem , et leur donnant de nouvelles instructions, il les chargea d'ôter la vie à Celle qu'il regardait comme son ennemie. Ces ministres d'iniquité l'entreprirent plusieurs fois, se servant de divers maléfices, des plus violents et des plus efficaces. Mais il leur fut impossible de nuire le moins du monde à la santé et à la vie de la bienheureuse Mère, parce que les effets du péché ne pouvaient s'étendre sur Celle qui n'y eut aucune part, et qui était, à d'autres titres, privilégiée et au-dessus de tous les agents de la nature. Le dragon, voyant l'inutilité de toutes les tentatives qu'il avait faites avec tant d'obstination, maltraita d'une manière impitoyable les magiciens dont il s'était servi, le Seigneur le permettant, parce qu'ils le méritaient eux-mêmes par leur témérité, et afin qu'ils sussent à quel maître ils avaient affaire.

508. Lucifer, s'excitant lui-même à une nouvelle rage, assembla tous les princes des ténèbres, et, lorsqu'il leur eut exposé avec véhémence les raisons qu'ils avaient, depuis qu'ils avaient été précipités du ciel, de déployer toutes leurs forces et toute leur malice pour abattre cette femme, leur ennemie, qu'ils connaissaient déjà être Celle qui leur avait été représentée dans le ciel, ils résolurent de l'aller attaquer

 

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tous ensemble dans sa retraite, s'imaginant que dans cette solitude ils la trouveraient, une fois ou l'autre, moins sur ses gardes, ou moins vigilamment protégée par Celui qui la défendait. Ils profitèrent aussitôt de l'occasion qui leur semblait favorable, et sortant presque tous de l'enfer pour cette entreprise, ils attaquèrent tous ensemble la bienheureuse Marie dans son oratoire. Ce combat fut le plus grand qui se soit jamais vu, et qui se verra avec une simple créature, depuis le premier qui se donna dans l'empyrée jusqu'à la fin du monde; car celui-ci fut fort semblable au premier. Et pour comprendre quelle devait être la fureur de Lucifer et de ses démons, on n'a qu'à considérer le tourment qu'ils enduraient lorsqu'ils ne faisaient que s'approcher du lieu- où était l'auguste Vierge, ou que la regarder, tant à cause de la vertu divine qu'ils sentaient en elle, qu'au souvenir des diverses victoires qu'elle avait remportées sur eux. Leur rage et leur envie prévalurent cependant sur leur honte et sur tous leurs maux, et les forcèrent à braver leurs propres supplices, à se jeter, pour ainsi dire, à travers les piques et les épées, pourvu qu'ils pussent se venger de notre grande Reine; car ne point l'entreprendre était pour Lucifer un plus grand supplice que tout autre tourment.

509. Dans cette attaque, les esprits malins dirigèrent principalement leurs premiers efforts contre les sens extérieurs de la très-pure Marie, et ils y mêlèrent des hurlements et des cris confus,

 

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remplissant l'air des phénomènes les plus étranges et d'un bruit si effroyable, qu'il semblait que toute la machine du monde dût se briser, et, pour rendre ce spectacle plus épouvantable, ils prirent diverses figures visibles, les uns de démons d'une laideur horrible , les, autres d'anges de lumière, et simulèrent entre les uns et les autres dans les ténèbres un combat acharné, sans qu'on en pût connaître la cause, ni ouïr autre chose qu'un affreux tumulte. Ils tâchaient, par cette tentation, de jeter la terreur et le trouble dans notre grande Reine. Et assurément toute autre créature humaine n'aurait pu la supporter sans perdre la vie, eût-elle été sainte, si le Seigneur l’eût laissée dans l'ordre commun de la grâce; car cet assaut se prolongea pendant douze heures entières.

510. Mais, au milieu de tout cela, notre auguste Maîtresse resta tranquille, sereine, immobile, aussi calme que si elle n'eût rien vu ni entendu ; elle ne montra aucun trouble, aucune émotion, aucune tristesse, et tout ce désordre infernal ne put ni altérer sa physionomie , ni lui faire faire un seul mouvement. Les démons assaillirent ensuite par d'autres tentations les puissances intérieures de l'invincible Mère, et répandirent alors tout leur venin diabolique au delà de tout ce que je puis dire ; car ils firent leurs derniers efforts, se servant de fausses révélations, d'illusions, de promesses, de menaces, sans laisser aucune vertu qu'ils ne tentassent par tous les vices contraires, et par tous les moyens et toutes les

 

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manières que leur malice put inventer. Je ne m'arrête point à particulariser ces tentations, parce qu'ici les détails ne sont ni nécessaires ni convenables. Mais notre grande Reine les vainquit toutes avec tant de gloire, qu'en toutes les matières des vices elle fit des actes contraires et aussi héroïques qu'on peut l'imaginer, sachant qu'elle agissait toujours avec toute l'énergie de la grâce, des vertus et des dons qu'elle possédait dans l'état de sainteté où elle se trouvait alors.

511. Elle pria dans cette occasion pour tous ceux qui seraient tentés et affligés du démon, comme celle qui expérimentait la force de sa malice, et le besoin que l'on a du secours divin pour la surmonter. Le Seigneur lui promit que tous ceux qui l'invoqueraient dans les tentations dont ils seraient affligés, seraient défendus et protégés par son intercession. Les démens s'acharnèrent à la lutte jusqu'à ce qu'ils eurent épuisé toute leur malice contre la plus sainte des créatures. Et alors elle appela la justice de son côté, et pria le Seigneur de se lever et de juger sa cause, comme dit David (1), afin que ses ennemis fussent dissipés, et que ceux qui le haïssaient prissent la fuite en sa présence. Pour faire ce jugement, le Verbe incarné descendit du ciel dans le Cénacle et dans la retraite où était sa Mère Vierge, pour elle comme un Fils très-doux et très-tendre, pour les démons comme un juge très-sévère, sur le trône

 

(1) Ps. LXXIII, 23; LXVII, 1.

 

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de la souveraine majesté. Il était accompagné d'une multitude innombrable d'anges, des anciens saints, d'Adam et d'Ève , de plusieurs patriarches et prophètes, de saint Joachim et de sainte Anne, qui se présentèrent et apparurent tous à la bienheureuse Vierge dans son oratoire.

512. La grande Dame adora son Fils et Dieu véritable prosternée avec toute la vénération qui lui était ordinaire. Les démons ne virent point le Seigneur, mais ils sentirent et reconnurent sa divine présence d'une manière différente, et, par la terreur qu'ils en eurent, ils essayèrent de fuir pour se soustraire à ce qu'elle leur annonçait. Mais le pouvoir divin les retint comme attachés avec de fortes chaises, en la manière que l'on doit supposer qu'il peut lier les natures spirituelles, et le Seigneur mit le bout de ces chaînes entre les mains de sa très-sainte Mère.

513. Tout à coup il sortit une voix du trône qui disait contre eux : « Aujourd'hui la colère du Tout-Puissant tombera sur vous, une femme descendante d'Adam et d'Ève vous brisera la tête (1), et la sentence qui fut prononcée dans le ciel et ensuite dans le paradis terrestre sera exécutée, parce que par votre désobéissance et votre orgueil vous avez méprisé l'humanité du Verbe et Celle qui la lui devait donner dans son sein virginal. » A l'instant la bienheureuse Marie fut relevée de terre où elle était, par le ministère de six des plus hauts séraphins qui entouraient

 

(1) Gen., III, 15.

 

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le trône; et l'ayant enveloppée d'une nuée toute resplendis saute, ils la placèrent à côté du trône même de son très-saint Fils. Et de son propre être et de sa divinité jaillit une splendeur ineffable qui la ceignit tout entière et qui la revêtit, comme si t'eût été le globe du soleil (1). La lune parut aussi sous ses pieds, marquant par là que l'auguste Vierge foulait toutes les choses terrestres et passagères, signifiées par les divers changements dé cette planète Ils lui mirent sur la tête un diadème ou une couronne de douze étoiles, symbole des perfections divines qui lui avaient été communiquées dans le degré possible à une simple créature. Elle paraissait aussi être grosse de la haute idée qu'elle avait au fond de son âme de l'être de Dieu, et de l'amour qui y correspondait dans une juste proportion. Elle criait comme étant dans les douleurs de l'enfantement (2), parce qu'elle voulait faire participer toutes les créatures y4i en étaient capables à cette idée de Dieu, à cet amour pour Dieu qu'elle avait conçus; et elles y résistaient, quoiqu'elle le désirât avec une ardeur qu'elle témoignait par ses larmes et ses gémissements.

514. Ce prodige si grand fut montré dans ce ciel tel qu'il avait été tracé dans l'entendement humain, à Lucifer, qui avait la forme d'un grand dragon roux , avec sept têtes, et dix cornes, et sept diadèmes sur ses têtes (3), marquant par cet horrible symbole qu'il était l'auteur des sept péchés capitaux, qu'il voulait

 

(1) Apoc., XII, 1. — (2) Ibid., 2. — (3) Ibid., 3.

 

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les couronner dans le monde par les hérésies qu'il allait forger, et qui pour cela étaient représentées par sept diadèmes; et que, par la subtilité et la force de ses artifices et de ses attaques, il avait presque détruit parmi les mortels la loi divine réduite aux dix commandements, contre lesquels il s'armait de dix cornes. Il entraînait aussi de sa queue la troisième partie des étoiles du ciel (1), qui figuraient non-seulement le grand nombre d'anges apostats qui le suivirent lors de sa désobéissance , mais aussi tant de fidèles qu'il a fait tomber du ciel de l'Église, et qui semblaient s'élever au-dessus des étoiles, soit parleur dignité, soit par leur sainteté.

515. Lucifer gardait cette forme si monstrueuse, et. ses démons avaient d'autres formes très-diverses, mais toutes des plus épouvantables. Tous se tenaient en ordre de bataille devant l'auguste Marie, qui allait produire le fruit spirituel par lequel l’Église devait se perpétuer et se nourrir. Et le dragon attendait qu'elle enfantât ce Fils pour le dévorer, en tâchant de détruire la nouvelle Église, par l'envie et la rage incroyable qu'il avait, de voir que cette femme coopérât si puissamment à l'établissement do l'Église, et parvint à la remplir de tant d'enfants et de tant de grâces par la fécondité de ses mérites, de ses exemples et de ses intercessions , et à attirer après elle tant de prédestinés pour le bonheur éternel. Et nonobstant l'envie du dragon, elle mit au monde un enfant mâle qui

 

(1) Apoc., XII, 4.

 

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devait gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer (1). Cet enfant fut l'esprit infaillible et irrésistible de la même Église, qui, par la rectitude et la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, gouverne toutes les nations en justice; il en est de même de tous les hommes apostoliques qui seront appelés, su jugement universel, à juger comme le Seigneur, avec le sceptre de fer de la divine justice (2). Tout cela fut l'enfantement de la bienheureuse Marie, non-seulement parce qu'elle enfanta Jésus-Christ, mais encore parce quelle enfanta par ses mérites et par ses soins l'Église même à la sainteté et à la rectitude spirituelle, parce qu'elle la nourrit et éleva tant qu'elle vécut sur la terre, et enfin parce que maintenant et toujours elle la conserve et la maintient dans le même esprit fort avec lequel elle la fit naître, en continuant à assurer l'intégrité de la vérité catholique et de la doctrine contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront point (3).

516. Saint Jean dit que ce Fils fut enlevé vers Dieu et mis sur le trône de Dieu, et que la femme s'enfuit dans un désert où Dieu lui avait préparé une retraite pour y être nourrie pendant mille deux cent soixante jours (4). C'est que tous les fruits légitimes de cette incomparable femme, tant dans la sainteté commune de l'esprit de l'Église que dans les âmes particulières qu'elle engendra et qu'elle engendre

 

(1) Apoc., XII, 5. — (2) Matth., XIX, 28. — (3) Matth., XVI, 18. — (4) Apoc., XII, 5 et 6.

 

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comme par son propre enfantement spirituel, tous arrivent au trône, où se trouve le fruit de l'enfantement naturel, qui est Jésus-Christ, dans lequel et pour lequel elle les engendre et les entretient. Quant au désert où la bienheureuse Marie se retira après ce combat, ce fut un état très-sublime et plein de mystères dont je dirai quelques mots dans la suite; et cet état est appelé désert, parce qu'elle est la seule de toutes les créatures qui y ait été élevée, et qu'aucune autre n'a pu l'obtenir ni y arriver. Ainsi elle s'y trouva seule, loin de toutes les créatures, comme je l'expliquerai; elle y fut surtout seule pour le démon, qui ignorait ce mystère plus que tous les autres, et qui ne put plus la tenter ni la persécuter en sa personne. Et le Seigneur la nourrit dans cette solitude pendant mille deux cent soixante jours, tant qu'elle vécut dans cet état avant de passer à un autre.

517. Lucifer connut tout cela, parce que tout cela lui fut annoncé avant que cette divine femme, ce signe vivant que lui et ses démons regardaient, se dérobât à leur vue. Par cette connaissance il perdit entièrement l'espoir dans lequel son grand orgueil l'avait entretenu pendant plus de cinq mille ans, de vaincre Celle qui devait être la Mère du Verbe incarné: Ou peut par là comprendre jusqu'à un certain point quels étaient le dépit et le tourment de ce grand dragon et de ses démons, dépit d'autant plus violent, tourment d'autant plus affreux, qu'ils se voyaient domptés et enchaînés par la femme, qu'ils avaient tant désiré faire déchoir de la grâce, et empêcher par leur furieux

 

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acharnement d'enrichir l'Église de ses mérites et de ses œuvres. Le dragon faisait tous ses efforts pour se. retirer, et disait : « O Femme! donnez-moi la permission de me précipiter dans l'abîme; je ne puis demeurer en votre présence, et je ne m'y mettrai plus tant que vous vivrez en ce monde. Vous avez vaincu, ô Femme ! vous avez vaincu , et je reconnais que vous êtes puissante en la vertu de Celui qui vous a choisie pour être sa Mère. Dieu tout-puissant, punissez-nous par vous-même, car nous ne pouvons vous résister, et ne vous servez plus pour instrument d'une femme qui est d'une nature si inférieure à la nôtre, sa charité nous consume, son humilité. nous accable, elle est en tout un témoignage de votre miséricorde envers les hommes, et c'est ce qui nous tourmente plus que mille supplices. Allons donc, démons ! aidez-moi; mais que pouvons-nous tous ensemble contre cette femme, puisque avec toutes nos forces nous ne saurions nous en éloigner tant qu'elle ne voudra point nous chasser de son insupportable présence? O stupides enfants d'Adam! pourquoi me suivez-vous, et pourquoi laissez-vous la vie pour la mort, la vérité pour le mensonge? Quel aveuglement est le vôtre (c'est ce que j'avoue malgré moi) , puisque vous avez de votre côté et en votre nature le Verbe incarné et cette femme? Votre ingratitude est plus grande que la mienne, et cette femme m'oblige de confesser les vérités que j'abhorre de tout mon cœur. Maudite soit la résolution que j'ai prise de persécuter cette fille d'Adam, qui me tourmente et m'opprime de la sorte! »

 

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518. Tandis que le dragon exhalait ces plaintes, le prince des milices célestes, saint Michel, apparut pour défendre la cause de la bienheureuse Marie et du Verbe incarné; et il engagea un autre combat avec le dragon et ses sectateurs par les armes de l'intelligence (1). Saint Michel et ses anges disputèrent avec eux, et les convainquirent de nouveau de leur ancien orgueil, de la désobéissance qu'ils avaient commise dans le ciel , et de la témérité avec laquelle ils avaient persécuté et tenté le Verbe incarné et sa Mère , sur lesquels ils n'avaient nul droit, puisqu'ils étaient exempts de tout péché, de tout défaut et de toute imperfection. Saint Michel justifia les oeuvres de la divine justice, déclarant qu'elles étaient très-équitables et irrépréhensibles en la punition de la désobéissance et de l'apostasie de Lucifer et de ses démons; et les saints anges les anathématisèrent, leur intimèrent de nouveau la sentence de leur punition, et proclamèrent le Tout-Puissant saint et juste en toutes ses oeuvres. Le dragon et les siens défendaient de leur côté la rébellion et l'audace de leur orgueil; mais toutes leurs raisons étaient fausses , vaines et pleines de présomption et d'erreurs diaboliques.

519. Il se fit un silence dans cette dispute , et le Seigneur des armées s'adressa en ces termes à la bienheureuse Vierge : « Ma Mère, ma bien-aimée, mon élue entre les créatures par ma sagesse éternelle, pour être ma demeure et mon saint temple,

 

(1) Apoc., XII, 7.

 

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c'est vous qui m'avez donné la forme d'homme, et qui avez réparé la perte du genre humain; c'est vous qui m'avez suivi et imité; vous qui avez mérité la grâce et les dons que je vous ai communiqués plus qu'à toutes mes créatures, et en vous ils n'ont jamais été oisifs et inutiles. Vous êtes l'objet digne de mon amour infini, la Protectrice, la Reine et la Maîtresse de mon Église. Vous avez ma commission et mon pouvoir, que, comme Dieu tout-puissant, j'ai mis à la disposition de votre très-fidèle volonté. Servez-vous en donc pour ordonner au dragon infernal de ne point semer dans l'Église, tant que vous y vivrez, l'ivraie des erreurs et des hérésies qu'il a inventées; abattez son orgueil et brisez-lui la tête (1), car je veux que, pendant votre vie,  l'Église jouisse de cette faveur par votre présence. »

520. La bienheureuse Marie exécuta cet ordre du Seigneur, et avec l’autorité d'une Reine elle imposa silence aux dragons infernaux, et leur défendit de répandre parmi les fidèles les faussetés qu'ils avaient machinées, et de pousser la témérité, pendant qu'elle serait sur la terre, jusqu'à vouloir séduire aucun des mortels par leurs dogmes et leurs doctrines hérétiques. Cela arriva de la sorte, quoique le serpent irrité exit intention, pour se venger de notre grande Reine, de répandre ce venin dans l'Église; mais le Seigneur lui-même l'empêcha de le faire tant que la divine Mère

 

(1) Gen., III, 15.

 

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y vécut, et l'enchaîna, à cause de l'amour qu'il avait pour elle. Après sa glorieuse mort, le Très-Haut laissa agir le démon, en punition des péchés des hommes pesés dans la balance de la divine justice.

521. Ensuite, comme le dit saint Jean, le grand dragon, l'ancien serpent, appelé le démon et Satan, fut chassé avec ses anges de la présence de notre auguste Reine (1) ; il fut précipité sur la terre, où il eut une certaine liberté, comme si la chaîne avec laquelle il était lié avait été un peu allongée. Alors on entendit dans le Cénacle une voix qui fut celle de l'archange et qui disait : « Maintenant le salut de  notre Dieu est affermi, et sa puissance et son règne, et la puissance de son Christ, parce que l'accusateur  de nos, frères qui les accusait jour et nuit a été  précipité (2), et ils ,l'ont vaincu par le sang de   l'Agneau, et par le témoignage qu'ils lui ont rendu,  et pour lui ils ont méprisé leur vie jusqu'à souffrir  la mort (3). C'est pourquoi, ô cieux ! réjouissez-vous, et vous qui les habitez. Malheur à vous, terre  et mer, parce que Satan est descendu vers vous  dans une grande colère, sachant qu'il ne lui reste  que peu de temps (4). » L'ange déclara par ces paroles qu'en vertu des victoires de la bienheureuse Marie et de celles de son Fils notre Sauveur, le royaume de Dieu, qui est l'Église, et les effets de la rédemption du genre humain pour les justes étaient assurés. Il appela tout cela salut, règne et puissance de

 

(1) Apoc., XII, 9. — (2) Ibid., 10. — (3) Ibid.,11. — (4) Ibid.,12.

 

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Jésus-Christ. Et l'ange ne se fit entendre que quand le combat fut terminé et quand le dragon fut vaincu et précipité dans la terre et dans la mer, parce que, si la bienheureuse Marie n'eût point vaincu le dragon infernal, cet impitoyable et puissant ennemi eût empêché les effets de la rédemption; et alors l'ange félicita les saints de ce que la grande Triomphatrice avait enfin brisé la tète et dissipé les desseins du démon qui calomniait les hommes , que le même ange appela frères par rapport à la nature spirituelle de l'âme, à la grâce et à la gloire qui établissent une espèce d'alliance entre nous et les esprits bienheureux.

522. Les calomnies par lesquelles le dragon persécutait et accusait les mortels , étaient les illusions et les erreurs avec lesquelles il prétendait pervertir les commencements de l'Église évangélique; et les raisons de justice qu'il alléguait devant le Seigneur consistaient en ce que les hommes, par leur ingratitude, par leurs péchés, et pour avoir ôté la vie à notre Sauveur Jésus-Christ, ne méritaient point le fruit de la rédemption ni la miséricorde du Rédempteur, mais devaient plutôt, en punition, être abandonnés dans leurs ténèbres et dans leurs péchés pour leur damnation éternelle. La très-pure Marie répondit à tout cela comme une Mère très-douce et très-clémente; elle nous mérita la foi et sa propagation , et l'abondance de toutes les miséricordes et de tous les dons qui nous ont été départis en vertu de la mort de son Fils, et dont ceux qui le crucifièrent , et les autres qui ne le reçurent point pour leur Rédempteur, s'étaient rendus

 

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indignes par leurs péchés. Mais l'ange avertit les habitants de la terre, avec une, douloureuse compassion, de se prémunir contre les attaques de ce serpent, qui descendait vers eux dans une grande colère, parce qu'il crut sans doute qu'il lui restait peu de temps pour l'exercer, ayant connu les mystères de la rédemption , le pouvoir de l'auguste Marie, et l'abondance des grâces, des merveilles et des faveurs avec lesquelles la primitive Église s'établissait; car de tous ces événements il concluait que le monde finirait bientôt, ou que tous les hommes suivraient notre Seigneur Jésus-Christ, et se prévaudraient de l'intercession de sa Mère pour obtenir la vie éternelle. Mais, hélas ! les hommes ont été plus insensés et plus ingrats que le démon lui-même ne le pensait.

523. L'évangéliste, continuant l'exposition de ces mystères, dit que le grand dragon, se voyant précipité sur la terre , entreprit de poursuivre la femme mystérieuse qui avait mis au monde un enfant mille (1); mais que deux ailes d'un grand aigle lui furent données, afin qu'elle s'envolât au désert, au lieu de sa retraite, où elle est nourrie pendant un temps, des temps, et la moitié d'un temps, hors de la présence du serpent (2). C'est pourquoi le même serpent lança de sa gueule contre la femme de l'eau comme un fleuve, pour l'entraîner sil était possible (3). En ces paroles ou découvre davantage la colère de Lucifer contre Dieu, contre sa Mère et

 

(19 Apoc., XII, 13. — (2) Ibid., 14. — (3) Ibid., 15.

 

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contre l'Église; car on voit que, de son côté, ce dragon est toujours dévoré par la même envie, enflé du même orgueil; et il lui resta encore assez de malice pour tenter notre auguste Reine, s'il lui était resté assez de forces, et s'il avait pu se prévaloir de la même permission. Mais il ne l'avait plus pour la tenter; c'est pourquoi l'évangéliste dit que deux ailes d'aigle lui furent données afin qu'elle s'envolât dans le désert, où elle est nourrie pendant les temps qui sont fixés dans ce chapitre. Ces ailes mystérieuses furent la puissance ou la vertu divine, que le Seigneur donna à la bienheureuse Marie pour voler et monter à la vue de la Divinité, et descendre de là vers l'Église, afin de distribuer aux hommes les trésors de la grâce, dont nous parlerons dans le chapitre suivant.

524. L'évangéliste ajoute que, dans cette solitude, dans ce désert, elle était hors de la présence du serpent, parce que dès lors le démon n'eut plus permission de la tenter çn sa personne. Et les temps, le temps et la moitié d'un temps, font trois ans et demi, qui font, à quelques jours près, les mille deux cent soixante jours qui ont été marqués. La très-pure Marie passa le reste de sa vie mortelle dans cet état et en divers autres que je rapporterai. Mais comme le dragon perdit l'espoir de la tenter, il jeta le fleuve de sa malice venimeuse après cette incomparable femme (1). En effet, après la victoire qu'elle remporta

 

(1) Apoc., XII, 15.

 

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sur lui, il se mit à tenter les fidèles avec de nouvelles ruses; et à les persécuter par le moyen des Juifs et des Gentils; et surtout après la mort glorieuse de notre grande Dame, il lâcha le torrent des hérésies et des fausses doctrines, qu'il tenait comme renfermées dans son sein. Et les menaces qu'il proféra contre la bienheureuse Vierge furent les guerres qu'il prétendit lui faire en persécutant les hommes, objet de sa tendresse maternelle, pour se venger de .ce qu'il ne pouvait exercer sa rage sur la personne de cette puissante Reine.

525. C'est pour cette raison que saint Jean dit ensuite (1) que le dragon s'irrita contre la femme et alla combattre ses autres enfants, qui gardent la loi de Dieu, et rendent témoignage à Jésus-Christ. Et ce dragon s'arrêta sur le sable de la mer (2), c'est-à-dire au milieu des innombrables infidèles, des idolâtres et des juifs, d'où il fait la guerre à la sainte Église, outre celle qu'il fait secrètement en tentant les fidèles. Mais la terre ferme et stable, qui est l'immutabilité de la sainte Église et son incontestable vérité catholique, secourut la mystérieuse femme; car elle s'entr'ouvrit et engloutit le fleuve que le serpent lança contre elle (3). Et c'est ce qui arrive puisque la sainte Église, qui est l'organe et la bouche du Saint-Esprit, a condamné et convaincu toutes les erreurs et toutes les sectes pernicieuses par les paroles et par la doctrine qui sortent de cette bouche,

 

(1) Apoc., XII, 17. — (2) Ibid., 18. — (3) Ibid., 16.

 

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et que transmettent les divines Écritures, les conciles, les décisions, les docteurs et les prédicateurs de l'Évangile.

526. L'évangéliste renferma tous ces mystères et plusieurs autres, dans la description ou le récit de ce combat, et des triomphes de l'auguste Marie. Et pour les achever dans le Cénacle, quoique Lucifer en eût été chassé et se trouvât au dehors, attaché à la chaîne que notre victorieuse Reine tenait, cette grande Dame connut qu'il était temps, et que c'était la volonté de son très-saint Fils de le précipiter dans les cavernes de l'enfer. Et, en vertu de cette puissance divine, elle lâcha le grand dragon et tous ses démons, et leur commanda avec empire de,descendre à l'instant dans l'abîme. Aussitôt que la bienheureuse Vierge leur eut fait ce commandement, ils tombèrent tous dans les plus profonds gouffres de l'enfer, où ils restèrent quelque temps à exhaler leur rage dans des hurlements effroyables, pendant que les sainte anges chantaient de nouvelles hymnes de louanges au verbe incarné pour ses victoires, et pour celles de son invincible Mère. Nos premiers parents, Adam et Ève, lui rendirent des actions de grâces de ce qu'il avait choisi la très-pure Marie, leur fille, pour être sa Mère et la Réparatrice de la ruine dans laquelle ils avaient entraîné leur postérité; les patriarches, à leur tour, de ce qu'ils voyaient leurs prédictions et leurs désirs si heureusement et si glorieusement accomplis. Saint Joachim, sainte Anne et saint Joseph glorifièrent le Tout-Puissant avec une plus grande

 

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joie de leur avoir donné une telle fille et une telle épouse, et tous ensemble ils chantèrent les louanges du Très-Haut, le reconnaissant pour saint et admirable dans ses conseils. L'auguste Marie se prosterna devant le trône et adora. le Verbe incarné; elle lui promit de nouveau de travailler pour l'Église, et lui demanda sa bénédiction ; et son très-saint Fils la lui donna avec des effets ineffables. Elle la demanda aussi à ses parents saint Joachim et sainte Anne, et à son époux saint Joseph; elle leur recommanda la sainte Église, et de prier pour tous ses fidèles. Et alors toute cette céleste compagnie se retira, et s'en retourna au ciel.

 

Instruction que j'ai reçue de la Reine des anges.

 

527. Ma fille, la révolte de Lucifer et de ses démons a marqué dans le ciel le commencement des combats qui auront lieu jusqu'à la fin du monde, entre le royaume de la lumière et celui des ténèbres, entre Jérusalem et Babylone. Le Verbe incarné s'est constitué chef des enfants de la lumière, comme auteur de la sainteté et de la grâce; et Lucifer, auteur du péché et de la damnation, s'est constitué capitaine des enfants des ténèbres. Chacun de ces princes défend son parti, et tâche d'augmenter son royaume et ses imitateurs. Jésus-Christ se sert de la vérité de sa foi divine, des faveur de sa grâce, de

 

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la sainteté de la vertu, des secours et des consolations dans les tribulations, et de l'espérance certaine de la gloire qu'il a promise aux siens; il a en outre ordonné à ses anges de les accompagner, de les soutenir et de les défendre jusqu'à ce qu'ils les eussent conduits dans son propre royaume (l). Lucifer s'attire et conserve des partisans par des fourberies, des mensonges et des trahisons ; par des vices énormes, des ténèbres et des désordres; il les traite aujourd'hui comme un tyran,, les opprimant sans aucun soulagement, les affligeant sans aucune consolation véritable, et, plus tard, il leur destine des tourments éternels et épouvantables, dont il les accablera avec la cruauté la plus horrible par lui-même et par ses démons, tant que Dieu sera Dieu.

528. Mais, hélas ! ma fille, quoique cette vérité soit si infaillible et si connue des mortels, la récompense tout autre et le prix infiniment différent, qu'il y a peu de combattants qui suivent Jésus-Christ, leur légitime Seigneur, leur Roi, leur Chef et leur Modèle ! Et qu'il y en a beaucoup que Lucifer retient sous sa bannière, lui qui ne les a point créés, qui ne leur a point donné la vie et la nourriture, qui n'a mérité leur fidélité par aucun bienfait, et n'a pu leur accorder aucune des faveurs qu'a faites et que fait l'Auteur de la. vie et de la grâce, mon très-saint Fils ! si grande est l'ingratitude des hommes, si folle leur infidélité, et si funeste leur aveuglement ! Ils

 

(1) Ps., XC, 11.

 

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sont doués d'une volonté libre pour suivre leur Chef et leur Maître, et pour lui témoigner leur reconnaissance; et cependant ils embrassent le parti de Lucifer, ils le servent gratuitement et lui donnent entrée dans la maison du Seigneur et dans son temple, afin qu'il le profane en tyran, et qu'il entraîne après lui le plus grand nombre des hommes dans les tourments éternels.

529. Ce combat dure toujours, parce que le Prince de l'éternité ne cessera jamais, dans sa bonté infinie, de défendre ses âmes qu'il a créées, et qu'il a rachetées par son sang. Mais il ne doit pas combattre avec le dragon par lui seul, non plus que par. ses anges car il est de la plus grande gloire de son saint nom de vaincre ses ennemis et de confondre leur opiniâtre orgueil par la main de ces mêmes créatures humaines, sur lesquelles ils prétendent se venger du Seigneur. Moi qui suis une simple créature, j'ai été la généralissime de ces guerres après mon Fils, qui était Dieu et homme véritable. Et quoique sa divine Majesté ait vaincu et en sa vie et en sa mort les démons, qui s'étaient enflés d'un nouvel orgueil à cause de l'empire que dès le péché d'Adam les mortels leur avaient donné, après sa Majesté je les vainquis à mon tour, en son nom, et c'est par ces victoires que la sainte Église a été établie en une perfection et une sainteté si sublimes, et Lucifer se trouvait réduit à une telle impuissance (comme je vous l'ai déjà déclaré), qu'elle s'y fût maintenue, si l'ingratitude et l'oubli des hommes ne lui eussent

 

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rendu les forces, avec lesquelles il fait aujourd'hui tant de ravage dans le monde.

530. Toutefois, mon très-saint Fils n'abandonne pas son Église, qu'il a acquise par son sang (1), ni moi non plus, qui la regarde comme sa mère et sa protectrice ; nous voulons toujours y avoir quelques-unes qui défendent la gloire et l'honneur de Dieu, et qui combattent pour lui contre les démons pour leur plus grande confusion. Je veux que vous vous y disposiez avec la faveur de la divine grâce, sans vous étonner de la force du dragon, ni vous effrayer de votre misère et de votre pauvreté. Vous savez que la fureur de Lucifer fut plus grande contre moi que coutre aucune des créatures, et même que contre toutes ensemble; je le vainquis néanmoins glorieusement par la vertu du Seigneur : par elle vous pourrez vaincre cet ennemi en de moindres attaques. Ét quoique vous soyez faible et sans les qualités dont il vous semblé avoir besoin, je veux que vous compreniez que mon très-saint Fils agit maintenant en cela comme un Roi qui, manquant de soldats et de sujets, reçoit dans sa milice qui que ce soit qui veuille le servir. Animez-vous donc à vaincre le démon en ce qui vous regarde, car le Seigneur vous armera ensuite pour d'autres combats. Et je vous fais savoir que l'Église catholique ne serait point arrivée au triste état où vous la voyez aujourd'hui, s'il y eût eu en elle plusieurs âmes qui se fussent employées à

 

(1) Act., XX, 28.

 

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défendre. avec zèle la cause de Dieu et son honneur; mais cette cause est fort abandonnée, même des enfants que la sainte Église a élevés.

 

CHAPITRE VIII. On déclare l'état dans lequel Dieu mit sa très-sainte Mère, par une vision de la Divinité abstractive, mais continuelle, après qu'elle eut vaincu les démons, et la manière d'opérer qu'elle avait dans cet état.

 

531. A mesure que les mystères de la sagesse infinie et éternelle s'accomplissaient en la bienheureuse Marie, cette grande Dame s'élevait de plus en plus au-dessus. de la sphère de sainteté accessible à la pensée de tout le reste des créatures. Et comme les victoires,qu'elle remporta sur le dragon infernal et sur ses démons eurent lieu dans les conditions et les circonstances, et furent accompagnées des faveurs que j'ai marquées , et que tout cela venait après les mystères de l'Incarnation, de la Rédemption, et les autres dans lesquels elle avait été Coadjutrice de son très-saint Fils, il est impossible à notre bassesse d'atteindre à une juste considération des effets que cela même produisait datas le coeur très-pur de la divine Mère. Elle repassait ces oeuvres du Seigneur dans son

 

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esprit, et les pesait au poids de sa très-haute sagesse. L'embrasement du divin amour augmentait, en elle avec l'admiration des anges et des courtisans da ciel et les ressorts de la vie naturelle se fussent brisés dans les élans impétueux auxquels elle se laissait aller pour se plonger et se perdre dans l'abîme de la Divinité, si elle ne lui eût été conservée par miracle. Et comme elle se sentait en même temps attirer par la charité maternelle quelle avait pour ses enfants les fidèles, qui dépendaient tous d'elle comme les plantes dépendent du soleil qui les nourrit et qui les vivifie, elle se trouvait dans tin état ait elle vivait dans une très-douce mais très-forte violence pour concilier tous ces sentiments dans son cœur.

532. Telle fut la situation clans laquelle se vit la bienheureuse Vierge après les victoires qu'elle remporta sur le dragon. Dans tout le cours de sa vie, dols le premier instant qu'elle en jouit, elle avait pratiqué en tout temps, et suivant les circonstances, ce qui était le plus pur, le plus saint. et le plais sublime, sans qu'elle en eût été détournée, soit par les voyages, soit par les afflictions, soit par les soins qu'elle prenait de son très-saint Fils et de son prochain ; mais à cette époque il y eut une espèce de lutte dans son coeur très-ardent entre la force de l'amour divin et celle de l'amour qu'elle avait pour les rimes. Elle sentait en chacune de ces oeuvres de la charité la sainte mais violente émulation avec laquelle elles aspirent à des dons plus parfaits, et à de nouveaux effets de la grâce. D'un côté elle désirait se retirer de tout ce

 

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qui est sensible, pour s'élever à la suprême et continuelle union avec la Divinité, sans aucun empêchement et sans aucune entremise des créatures, imitant les compréhenseurs, et se rapprochant plus encore de l'état de son très saint Fils lorsqu'il vivait sur. la terre, en tout ce qui n'était point jouir de la vision béatifique, que l'âme de notre adorable Sauveur avait par l'union hypostatique. Et quoique cela ne fût pas possible à la divine Mère,. il semble néanmoins que l'éminence de sa sainteté et l'excellence de son amour demandassent tout ce qui était immédiat à l'état de compréhenseur. D'un autre côté, l'amour qu'elle avait pour l'Église et le soin de secourir les fidèles dans toutes leurs nécessités , l'attiraient : car sans cet office de Mère de famille, on eût dit que les caresses et les faveurs du Très-Haut ne la satisfaisaient pas pleinement. Et comme il fallait du temps pour se livrer à ces occupations de Marthe, elle réfléchissait sur les moyens de les concilier avec le rôle de Marie, sans manquer ni aux unes ni à l'autre.

533. Le Très-Haut donna lieu à cet embarras de sa bienheureuse Mère, afin que le nouvel état qui lui avait été préparé par sa toute-puissance fût une faveur plus précieuse. Et pour l'en prévenir sa divine Majesté lui dit : « Mon Épouse et ma bien-aimée, les  peines et les désirs de votre très-ardent amour ont blessé mon coeur, et par la vertu de ma droite  je veux faire en vous une oeuvre qui ne s'est faite  et qui ne se fera jamais à l'égard d'aucune nation,  parce que vous êtes unique et choisie pour mes

 

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délices entre toutes mes créatures. J'ai préparé pour  vous seule un état et un lieu solitaire où je vous  nourrirai par ma divinité comme les bienheureux,  quoique d'une manière différente; vous y jouirez  de ma vue continuelle et de mes embrassements dans la solitude, dans le repos et dans la tranquillité, sans que les créatures et votre condition de voyageuse vous gênent. De cette demeure vous prendrez librement votre essor pour vous élever à travers les espaces infinis que votre très-ardent amour demande, pour s'étendre sans mesure et sans limite; de là aussi vous descendrez vers ma  sainte Église, dont vous êtes la Mère, et chargée de a mes trésors vous les départirez à vos frères, les distribuant selon votre volonté dans leurs nécessités et  dans leurs afflictions, afin que par vous ils reçoivent  le remède. »

534. C'est là le bienfait dont j'ai fait mention dans le chapitre précédent, et que l'évangéliste saint Jean a mystérieusement exprimé par ces paroles : La femme s'enfuit dans le désert où Dieu lui avait préparé une retraite pour y être nourrie pendant mille deux  cent soixante jours (1). Et il ajoute plus loin : Que deux ailes d'un grand aigle lui furent données, afin qu'elle s'envolât dans le désert où elle est nourrie, etc. (2). Il est bien difficile qu'étant ignorante comme je suis, je puisse bien me faire entendre dans l'explication de mystère, parce qu'il contient plusieurs effets surnaturels

 

(1) Apoc., XII, 6. — (2) Ibid., 14.

 

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qui, sans exemple chez aucune créature , se sont produits dans les puissances de notre seule Reine l'auguste Marie, pour qui Dieu réserva cette merveille; et puisque la foi nous enseigne que nous ne pouvons mesurer sa toute-puissance incompréhensible, il est juste d'avouer qu'il a pu faire envers elle beaucoup plus que nous ne saurions comprendre, et qu'on ne lui doit refuser que ce qui renferme en soi une contradiction évidente. Quant à ce qui m'a été découvert afin que je l'écrive, je n'y trouve, supposé que je l'entende, rien qui répugne, rien qui empêche que cela ne soit comme je le connais; seulement les termes propres tue manquent pour l'exprimer.

535. Or, je dis qu'après les batailles et les victoires que notre invincible Reine gagna contre le grand dragon et ses démons, Dieu l'éleva à un état dans lequel il lui manifesta la divinité, non par une vision intuitive, comme aux bienheureux, mais au moyen des espèces créées, par une autre vision distincte, que dans tout le cours de cette histoire j'ai appelée vision abstractive, parce qu'elle ne dépend point de la présence réelle de l'objet, et que cet objet infini n'excite point l'entendement par lui-même comme présent, mais par d'autres espèces qui le représentent tel qu'il est en lui-même , quoiqu'il soit absent , eu la manière que Dieu pourrait me communiquer par infusion toutes les idées et toutes les images nécessaires pour me représenter Rome telle qu'elle est en elle-même. La bienheureuse Marie avait déjà eu cette vision de la Divinité dans le cours de sa vie, comme je l'ai souvent

 

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répété dans cette histoire; mais, quoiqu'en substance elle ne fût point nouvelle pour elle, puisqu'elle l'eut à l'instant de sa conception (comme on l'a vu en son lieu ) , elle fut ici néanmoins nouvelle par deux conditions particulières :  une, qu'elle fut dès ce jour-là continuelle et permanente jusqu'à ce que l'auguste Vierge mourût et passât à la vision béatifique, tandis que les autres fois elle n'avait été que passagère ; l'autre , qu'elle devint dès lors plus vive et plus complète , parce que ce bienfait fut accordé è la divine Mère à un degré plus sublime, plus admirable, plus excellent et au-dessus de toute règle et de toute pensée créée.

536. Pour cette nouvelle faveur, toutes ses puissances furent retouchées par le feu du sanctuaire, et c'étaient de nouveaux effets de la Divinité par lesquels elle fut illustrée et élevée au-dessus d'elle-même; et comme ce nouvel état participait à celui où se trouvent les bienheureux , et qu'en même temps il en différait, il faut que l'on sache en quoi consistaient la ressemblance et la différence. La ressemblance était, que la très-pure Marie regardait le noème objet de la Divinité et des attributs divins dont les compréhenseurs jouissent par une possession assurée, et le connaissait même plus qu'eux tous. La différence consistait en trois choses : la première, en ce que les bienheureux voient Dieu face à face et par nue vision intuitive, tandis que celle de l'auguste Vierge était abstractive, comme je l'ai dit; la seconde, en ce que les saints dans la patrie ne peuvent accroître le degré de la

 

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vision béatifique ni de la jouissance essentielle, qui constituent la gloire de l'entendement et de la volonté; tandis que la très-pure Marie, en la vision abstractive qu'elle avait comme voyageuse, n'eut ni terme ni mesure: elle croissait chaque jour en la connaissance des attributs infinis et de l'être de Dieu; c'est pourquoi les ailes de l'aigle lui furent données, afin qu'elle volât toujours plus haut dans les espaces incommensurables de la Divinité, où il y a de plus en plus à connaître infiniment sans aucune qui borne les limites.

537. La troisième différence consistait en ce que les saints ne peuvent ni souffrir ni mériter ce qui n'est pas compatible avec leur état, taudis qu'en celui où était notre Reine, elle souffrait et méritait comme voyageuse. S'il en eût été autrement, le bienfait n'aurait pas été si grand et si estimable pour elle et pour l'Église, car les oeuvres et les mérites de cette grande Dame, dans cet état de grâce et de sainteté éminente, furent pour tous d'un pris extraordinaire. Elle était un spectacle nouveau et admirable pour les anges et pour les saints, et comme une image vivante de son très-saint Fils; car en qualité de Reine et de Maîtresse elle avait le pouvoir de distribuer les trésors, de la grâce, et en même temps elle les augmentait par ses mérites ineffables. Elle n'était point dans l'état des compréhenseurs; mais elle occupait parmi les voyageurs une place si voisine de celle qu'occupait notre Sauveur Jésus-Christ lorsqu'il vivait en ce monde, qu’encore que par rapport à lui elle fût voyageuse

 

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quant à l'âme et quant an corps, étant comparée avec les autres voyageurs, elle ressemblait plutôt aux bienheureux.

538. Cet état où se trouvait la sainte Vierge des mandait qu'il y eût dans l'harmonie de ses sens un nouvel ordre, et pour l'exercice de ses facultés naturelles un nouveau mode d'action entièrement analogue ; aussi le Très-Haut changea-t-il celui qu'elle avait eu jusqu'alors, et cela de la manière qui suit Toutes les espèces ou images des créatures que les sens avaient transmises à l'entendement de la bienheureuse Marie, furent effacées de son âme, quoiqu'elle ne reçût (comme je l'ai dit dans cette troisième partie) des espèces et des images sensitives que celles qui étaient absolument nécessaires pour l'exercice de la charité et des autres vertus. Néanmoins, comme elles avaient quelque chose de terrestre , et qu'elles étaient entrées dans son entendement par les organes sensitifs du corps , le Seigneur les lui ôta, la délivrant et la purifiant de toutes ces images et de toutes ces espèces. Et pour remplacer celles qu'elle devait recevoir à l'avenir suivant l'ordre naturel des facultés sensitives et même intellectuelles, le Seigneur répandit dans la partie supérieure de son entendement d'autres espèces plus pures et plus immatérielles , au moyen desquelles elle entendait et connaissait les choses d'une maniéré plus sublime.

539. Les savants pénétreront facilement cette merveille. Et pour me faire mieux comprendre de tous, je ferai remarquer que lorsque nous usons des cinq

 

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sens corporels extérieurs par lesquels nous entendons, nous voyons et nous goûtons, nous recevons de l'objet que nous sentons certaines impressions qui se transmettent à une autre paissance intérieure et physique, qu'on appelle sens commun, imagination , fantaisie ou faculté estimative; que là ces impressions se combinent et se réunissent; afin que ce sens commun vérifie ou sente tout ce qui est entré par les cinq sens extérieurs, puisqu'elles y restent en dépôt comme dans un magasin commun à toutes; et jusqu'ici nous sommes semblables en cela aux animaux, sauf quelques différences. Lorsque chez nous, qui sommes raisonnables, ces impressions ou espères ont été mitée en dépôt ou sont entrées dans le sens commun, dans l'imagination, notre entendement s'en sert pour agir selon l'ordre que nos puissances ont naturellement, et le même entendement produit d'autres espèces spirituelles un immatérielles, par une opération qui leur fait donner le nom d'entendement agissant; et c'est par ces espèces spirituelles ou idées, qu'il tire de son propre fonds, qu'il connaît et perçoit naturellement ce qui entre par les sens. C'est pourquoi les philosophes disent qu'il faut que notre entendement, pour percevoir, s'adresse à la fantaisie, et qu'il l'explore pour y puiser les espèces de ce qu'il doit percevoir, selon l'ordre naturel des puissances, parce que l'âme est unie au corps, dont elle dépend en ses opérations.

540. Mais chez la bienheureuse Marie arrivée à l'état dont je parle, cet ordre ne se gardait pas eu

 

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tout, attendu que le Seigneur établit miraculeusement en elle pour l'entendement un autre mode d'action, indépendant de la fantaisie et du sens commun. Ainsi, su lieu des espèces que son entendement devait naturellement tirer des objets sensibles qui entraient par les sens, le Très- Haut lui en communiquait d'autres qui les représentaient d'une manière plus relevée; quant à celles qu'elle acquérait par les sens, elles s'arrêtaient dans l'imagination, sans que l'entendement agissant opérât par leur moyen, car il était en même temps illustré par les espèces surnaturelles qui lui étaient infuses. Notre grande Reine ne se servait de celles qu'elle recevait dans le sens commun qu'autant qu'il le fallait pour sentir et souffrir les douleurs , les afflictions et les peines sensibles. De sorte qu'il se reproduisit en réalité dans ce temple de l'auguste Marie ce qui arriva dans celui qui en était la figure: c'est que l'on taillait et achevait de polir toutes les pierres hors du temple, où l’on n'entendit ni marteau , ni cognée, ni le bruit d'aucun instrument (1). Les animaux étaient aussi égorgés et offerts en sacrifice sur l'autel qui était hors du sanctuaire (2); et dans ce saint lieu on n'offrait que l'holocauste de l'encens et des parfums qui brûlaient dans le feu sacré (3).

541. Ce mystère s'exécutait en notre grande Reine, car c'était dans la partie inférieure des sens de son âme quelle taillait les pierres des vertus qui regardaient

 

(1) III Reg., VI, 7. — (2) Exal., XL., 27. — (3) Levit., VI, 12.

 

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l'extérieur. Dans le vestibule des sens communs, elle faisait le sacrifice des peines, des douleurs et des tristesses qu'elle éprouvait pour les enfants de l'Église et dans leurs tribulations. Et dans le Saint des saints des, puissances de l'entendement et de la volonté, elle n'offrait que le parfum de sa contemplation et de la vision de la Divinité, et le feu de son incomparable amour. Les espèces qui entraient par les sens n'étaient pas proportionnées à tout cela, car elles représentaient les objets d'une manière plus terrestre et avec le bruit propre à leurs opérations; c'est pour cette raison que le pouvoir divin éloigna ces espèces, et les remplaça par d'autres infuses et surnaturelles des mêmes objets; mais elles étaient plus pures, pour servir à la contemplation de la vision abstractive de la Divinité, et pour accompagner dans l'entendement de la bienheureuse Vierge celles qu'elle avait de l'être de Dieu, qu'elle regardait incessamment, et qu'elle aimait dans le repos, dans la tranquillité et dans la sérénité d'une paix inviolable.

542. Ces espèces infuses dépendaient de l'être de Dieu, car elles représentaient en Dieu toutes choses à l'entendement de l'auguste Marie, comme le miroir représente aux yeux tout ce qu'on y met devant, de telle sorte qu'ils l'aperçoivent sans se détourner, pour regarder l'objet en lui-même. C'est ainsi qu'elle connaissait en Dieu toutes choses, ce que les enfants de l'Église demandaient, ce dont ils avaient besoin, ce qu'elle devait faire pour eux selon les peines qu'ils souffraient, et tout ce que la volonté divine ordonnait

 

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à cet égard , afin qu'elle s'accomplit sur la terre comme au ciel , vue dans laquelle la bienheureuse Vierge demandait et obtenait tout du Seigneur. Le Tout-Puissant excepta de cette manière d'entendre et d'agir les oeuvres que la divine Mère devait faire pour obéir à saint Pierre et à saint Jean, et quelquefois aux autres apôtres. Elle-même demanda cette exception au Seigneur, pour ne pas interrompre l'obéissance, qui lui était si chère , et pour faire comprendre que par cette vertu l'on connaît la volonté de Dieu avec tant de certitude et d'assurance, que celui qui obéit n'a pas besoin de recourir à d'autres moyens pour la connaître; il n'a qu'à savoir si c'est son supérieur qui lui commande telle chose : car alors c'est sans doute ce que Dieu lui ordonne, ce qui lui est convenable , et ce que sa divine Majesté veut.

543. Pour tout le reste, en dehors de cette obéissance, qui s'étendait à l'usage de la sainte communion, l'entendement de la bienheureuse Marie ne dépendait point du commerce des créatures sensibles ni des images qu'elle en pouvait recevoir par les sens. Elle en fut entièrement délivrée, et se trouva dans la solitude intérieure, où elle jouissait de la vue abstractive de la Divinité, sans l'interrompre jamais, qu'elle dormît ou qu'elle veillât , qu'elle travaillât ou qu'elle fût en repos, et sans avoir besoin de raisonnements et de réflexions pour découvrir ce qui était de la plus haute perfection et le plus agréable au Seigneur, de même que les nécessités de l'Église, le temps et la

 

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manière d'y pourvoir. Elle connut tout cela par la vue de la Divinité, comme les bienheureux par celle qu'ils ont. Et comme ce qu'ils connaissent le moins est ce qui regarde les créatures, de même notre grande Reine, outre ce qui concernait l'état de la sainte Église, son gouvernement et celui de toutes les âmes, connaissait comme principal objet les mystères incompréhensibles de la Divinité plus que tous les anges et que tous les saints ensemble. Ce fut là le pain et l'aliment de vie, éternelle dont elle fut nourrie dans cette solitude que le Seigneur lui avait préparée. De cette heureuse retraite elle prenait soin de l'Église sans se troubler, prévoyait tout sans inquiétude, et s'occupait sans se distraire, étant en tout remplie de Dieu, revêtue au dedans et au dehors de l'or très-pur de la Divinité, entièrement plongée et abîmée clans cet océan incompréhensible, et pourtant toujours attentive aux besoins et su salut de tous ses enfants, car sans cette sollicitude sa charité maternelle n'aurait pas été pleinement satisfaite.

544. C'est pour cela que les deux ailes d'un grand aigle lui furent données, avec lesquelles elle s'éleva si haut, qu'elle arriva à la solitude et à l'état où jamais n'a pu atteindre ni la pensée des hommes ni la pensée des anges; elle reçut aussi ces deux ailes, afin qu'elle descendit de cette hanté demeure, et quelle volât au secours des mortels, non d'un vol mesuré, mais d'un vol prompt et rapide. O prodige de la toute-puissance de Dieu! O merveille inouïe qui manifeste de la sorte sa grandeur infinie! Les paroles

 

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me manquent, ma raison s'arrête devant un si profond mystère, dont la considération dépasse la portée de mon esprit. Heureux siècle d'or de la primitive Église, qui jouit d'un si grand bien! Ah! que nous serions heureux nous-mêmes si nous parvenions à mériter que le Seigneur renouvelât dans nos temps calamiteux ces prodiges et ces merveilles par sa bienheureuse Mère au degré possible; et dans la mesure de nos nécessités et de nos misères!

545. On appréciera mieux le bonheur de ce siècle et la manière d'agir de l'auguste Marie dans l'état dont je parle, si on l'observe dans divers faits qui se passèrent en certaines âmes qu'elle gagna au Seigneur. Pour citer un exemple, je dirai qu'il y avait à Jérusalem un homme fort connu parmi les Juifs à cause de la distinction de son rang et de sou esprit, qui avait quelques vertus morales-, mais qui du reste était fort zélé pour sa vieille loi, comme l'avait été saint Paul , et fort opposé. à la doctrine et à la loi de notre Sauveur Jésus-Christ. La très-pure Marie connut cela dans le Seigneur, qui par les prières de sa divine Mère avait préparé la conversion de cet homme. Et elle désirait vivement qu'il entrât dans le chemin de la vie et du salut, à cause de la bonne opinion qu'elle en avait. Elle le demanda au Très-Haut avec toute la ferveur de son ardente charité, et sa divine Majesté le lui accorda. Avant due notre grande Reine fût parvenue à l'état dont je parle, elle eût consulté la prudence et la très-sublime lumière qu'elle avait pour chercher les moyens propres à convertir cette âme ;

 

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mais elle n'eut pas besoin ici de cette consultation, il lui suffit de regarder le Seigneur, dans lequel elle découvrait par son application tout ce qu'elle devait faire.

546. Elle connut que cet homme viendrait vers elle par le moyen de la prédication de saint Jean, et qu'il fallait qu'elle dît au saint d'aller prêcher en quelque endroit où ce Juif pût l'entendre. L'évangéliste fit ce qu'elle souhaitait, et en même temps l'ange gardien de cette âme lui inspira la pensée d'aller voir la Mère du Crucifié, dont tout le monde louait la charité , la modestie et la douceur. Cet homme ne devina pas alors le bien spirituel qui lui pouvait résulter de cette visite, car il n'avait point la lumière divine pour le connaître; mais, sans songer à cette fin, il résolut d'aller voir notre auguste Reine par une curiosité humaine, désirant savoir par lui-même quelle était cette femme si estimée de tous. Il se rendit auprès de la bienheureuse Marie, et à peine l'eut-il vue et eut-il entendu les paroles qu'elle lui adressa avec une prudence toute céleste, qu'il fut tout changé, tout renouvelé ! Il se prosterna aux pieds de la divine Mère, reconnaissant Jésus-Christ pour le Rédempteur du monde, et demandant son baptême. Il le reçut incontinent de la main de saint Jean; et au moment où l'apôtre prononçait la formule de ce sacrement, le Saint-Esprit vint sous une forme visible sur le catéchumène, qui devint un homme d'une grande sainteté. La très-pure Marie lit un cantique de louange au Seigneur pour ce bienfait.

 

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547. Il y eut aussi une femme de Jérusalem qui , après avoir reçu le baptême abjura, la foi, ayant été trompée du démon par le moyen d'une sorcière sa. parente. Notre charitable Reine eut connaissance de la chute de cette âme, parce qu'elle la découvrit dans le Seigneur. Affligée de cet événement, elle travailla à la conversion de cette femme par beaucoup d'exercices, de larmes et de prières; mais la conversion est toujours plus difficile pour ceux qui s'éloignent volontairement du chemin de la vie éternelle après avoir commencé à y marcher. Néanmoins les prières de l'auguste Marie obtinrent le remède de cette âme séduite par le serpent. Ensuite cette charitable Reine connut qu'il fallait que l'évangéliste lui adressât quelques exhortations et tâchât de lui faire connaître son péché. Saint Jean le fit, et cette femme l'écouta avec beaucoup de docilité, se confessa à lui et recouvra la grâce. La bienheureuse Vierge lui donna de son côté plusieurs avis, afin qu'elle y persévérât et qu'elle résistât au démon.

548. En ce temps-là Lucifer et ses démons n'osaient point inquiéter l'Église dans Jérusalem, car ils craignaient de s'en approcher , à cause de la présence de notre puissante Reine; sa vertu les terrifiait et les éloignait. C'est pour cette raison qu'ils résolurent d'aller du côté de l'Asie, où saint Paul et quelques autres apôtres prêchaient, et entreprirent d'enlever quelques fidèles dans leurs filets. Ils en pervertirent plusieurs, et s'efforcèrent de les faire apostasier et de s'en servir pour troubler on empêcher la prédication.

 

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Notre très-zélée Princesse connut en Dieu ces machinations du dragon infernal, et pria sa divine Majesté d'y remédier, s'il était convenable d'en prévenir les suites. Il lui fut répondu d'agir elle-même comme Mère et comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, et qu'elle avait trouvé grâce aux yeux du Très-Haut. Avec cette permission du Seigneur elle se revêtit d'une force invincible, et comme la fidèle épouse qui se lève du lit nuptial ou du trône de son époux, et prend ses propres armes pour le défendre contre ceux qui prétendent l'insulter, de même notre auguste Dame, avec les armes du pouvoir divin, se leva contre le dragon, lui arracha la proie qu'il allait dévorer, l'accablant sous le poids de son autorité et de ses vertus, et lui enjoignant de se précipiter de nouveau dans l'abîme. Et ce que la bienheureuse Marie ordonna fut exécuté. Je pourrais rapporter une infinité d'autres événements de ce genre entre les merveilles qu'elle opéra, mais ceux-là suffiront pour faire connaître l'état auquel elle était élevée, et la manière dont elle y agissait.

549. Pour compléter ce récit par un renseignement précieux, nous devons calculer l'âge qu'avait la sainte Vierge lorsqu'elle reçut ce bienfait, en résumant ce qui a été marqué en d’autres chapitres. Quand elle se rendit de Jérusalem à Éphèse, elle avait cinquante-quatre ans trois mois et vingt-six jours; et ce fut l'an 60 de la naissance du Sauveur, le 8 janvier. Elle demeura deux ans et demi à Éphèse, et revint à Jérusalem le 6 juillet de l'an 42, à l'âge

 

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de cinquante-six ans et dix mois. Le premier concile dont j'ai parlé fut tenu par les apôtres, deux mois après que notre Reine fut retournée d'Éphèse à Jérusalem, de sorte que dans le temps de ce concile elle accomplit sa cinquante-septième année. Puis eurent lieu les combats qu'elle soutint contre les démons, et les triomphes qu'elle remporta sur eux ; ensuite elle passa à l'état que j'ai décrit, entrant en sa cinquante-huitième année, quarante-deux ans et neuf mois après la naissance de notre Sauveur Jésus-Christ. Elle resta dans cet état pendant les mille deux cent soixante jours dont saint Jean fait mention a chapitre douzième de l'Apocalypse, pour passer bientôt à celui que je dirai dans la suite.

 

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

550. Ma fille, il n'y a aucun des mortels qui puisse se disculper, s'il ne perfectionne sa vié à l'imitation de celle de mon très-saint Fils et de la mienne, puisque nous leur avons fourni l'exemple et le modèle où ils peuvent tous trouver de quoi imiter chacun dans son état; ainsi ils n'ont point d'excuse s'ils ne deviennent parfaits à la vue de leur Dieu incarné, qui s'est rendu le Maître de la sainteté pour tous. Mais sa divine volonté choisit quelques âmes et les sépare de l'ordre commun, afin que le fruit de son

 

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sang profite davantage en elles, que l'imitation de sa vie et de la mienne se conserve plus parfaite, et que la bonté, la toute-puissance et la miséricorde divine se manifestent avec éclat dans l'Église. Et lorsque les âmes choisies pour de telles fins correspondent au Seigneur avec un fidèle et fervent amour, ce n'est que par une ignorance toute terrestre que les autres peuvent s'étonner que le Seigneur se montre si libéral envers elles, et si puissant à leur faire des faveurs qui surpassent la pensée humaine. Ceux qui les mettent en doute veulent priver Dieu de la gloire qu'il prétend avoir en ses oeuvres, et présument de les mesurer et de les régler d'après l'étroitesse et la bassesse de l'esprit humain, qui chez de pareils incrédules est d'ordinaire et plus dépravé et plus obscurci par les péchés.

551. Et si les âmes choisies de Dieu sont elles-mêmes si grossières que de douter de ses bienfaits, ou qu'elles ne se disposent point à les recevoir et à en user avec la prudence et avec l'estime que les oeuvres du Seigneur méritent, il est certain que sa divine Majesté est plus offensée par ces âmes à qui elle a distribué tant de dons et tant de talents, que par les autres qui n'ont pas été aussi favorisées. Le Seigneur ne veut pas qu'on méprise le pain des enfants et qu'on le donne aux chiens (1), ni que l'ou jette les perles devant ceux qui- les foulent aux pieds (2), parce que ces bienfaits d'une grâce particulière

 

(1) Matth., XV, 26. — (2) Matth., VII, 6.

 

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sont ce qu'il réserve par sa très-hauts providence; et la partie principale du prix de la rédemption du genre humain. Sachez donc, ma très-chère fille, que les rimes qui se laissent abattre par peu de confiance dans les événements contraires à leurs inclinations ou fort difficiles, commettent cette faute; et celles qui par une fausse humilité empêchent que le Seigneur ne se serve d'elles comme d'instruments de sa puissance pour tout ce qui est de son bon plaisir, y tombent aussi. Cette faute est encore plus blâmable lorsqu'elles ne veulent point reconnaître et glorifier Jésus-Christ en ces oeuvres pour éviter les peines qui pourraient leur eu résulter, et ce que le monde dira de choses qu'il trouvera étranges. De sorte qu'elles ne veulent servir le Seigneur, et ne faire sa volonté qu'en ce qui s'accorde avec la leur. Si elles doivent pratiquer un acte de vertu , ce doit être avec de certaines commodités; si elles doivent aimer, ce doit être dans la tranquillité qu'elles souhaitent; si elles doivent croire et estimer ces bienfaits, ce doit être en jouissant des caresses et des consolations. Mais lorsqu'il faut essuyer quelque affliction, ou souffrir quelque chose pour Dieu, aussitôt elles se plaignent, elles s'impatientent, elles s'attristent; de sorte que le Seigneur se trouve frustré de ses désirs, et qu'elles deviennent incapables de ce qui est le plus parfait dans les vertus.

552. Tout cela est un défaut de prudence, de science et d'amour véritable, qui rend ces âmes inutiles à elles-mêmes et aux autres. Car elles se

 

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recherchent plutôt elles-mêmes que Dieu, et se gouvernent plus par leur amour propre que par l'amour divin; elles commettent tacitement une grande témérité, puisqu'elles veulent gouverner Dieu, et mène le reprendre ; elles disent qu'elles feraient pour lui de grandes choses, mais à telles et telles conditions, sans lesquelles elles ne peuvent les entreprendre

ne voulant point hasarder leur réputation ou leur repos, fut-ce pour le bien commun et pour la plus grande gloire de Dieu. Et comme elles. ne le disent point si nettement, elles s'imaginent qu'elles ne commettent point cette faute si téméraire, que le démon leur cache, afin qu'elle l'ignorent lorsqu'elles s'en rendent coupables.

553. Or, ma fille, afin que vous ne tombiez pas dans cette infidélité monstrueuse, il faut que vous considériez avec discernement ce que vous écrivez et connaissez de moi, comme je veux que vous l'imitiez. Je ne pouvais tomber dans ces fautes, et néanmoins mes prières et mes soins continuels étaient pour porter le Seigneur à gouverner toutes mes. actions par, sa seule volonté, et à ne me laisser que la liberté de faire ce qui lui était le plus agréable, et pour cela je tâchais d'oublier toutes les créatures. Vous êtes sujette à pécher, et vous savez combien de pièges le dragon vous a tendus par lui-même et par les créatures pour vous y, faire tomber; cela étant, il est juste que vous demandiez sans cesse au Tout-Puissant de vous gouverner dans vos actions, et que, vous fermiez si bien les portes de vos sens, qu'il ne passe

 

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dans votre intérieur aucune image des choses terrestres. Renoncez donc au droit de votre libre arbitre, et cédez-le à la volonté de votre Seigneur et à la mienne. Lorsqu'il faudra que vous ayez avec les créatures le commerce auquel la loi divine et la charité vous obligent, n'en prenez que ce qui est indispensable; ensuite priez le Seigneur qu'il efface de votre intérieur toutes les espèces de ce qui n'est pas nécessaire. Examinez toutes vos actions, toutes vos paroles et toutes vos pensées avec Dieu, avec moi, ou avec vos anges, puisque nous sommes toujours avec vous; et aussi avec votre confesseur, si vous le pouvez ; car sans cela tout ce que vous faites et tout ce que vous déterminez vous doit être suspect et paraître dangereux, et, en le comparant avec ma doctrine, vous saurez si vous voue en éloignez ou si vous vous y conformez.

554. Sur tout et pour tout, ne perdez jamais de vue l'être de Dieu, puisque la foi et la lainière que vous avez reçue sur cette vertu vous servent pour cela. Et comme ce doit être là votre dernière fin , je veux que dès cette vie mortelle voies commenciez à y parvenir, en la manière qui vous est maintenant possible avec le secours de la grâce. Or, pour cela, il est déjà temps que vous dissipiez les vaines appréhensions avec lesquelles le démon prétend  vous embarrasser et vous empêcher de donner une ferme créance aux bienfaits et aux faveurs du Seigneur. Décidez-vous donc à être forte et prudente en cette foi et en cette confiance, et abandonnez-vous entièrement

 

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au bon plaisir de sa divine Majesté, afin qu'elle fasse en vous et de vous tout ce qu'il lui plaira.

 

CHAPITRE IX. Le commencement qu'eurent les évangélistes et leurs évangiles. — La part qu'y prit la bienheureuse Vierge. — Elle apparut à saint Pierre à Antioche et à Rome. — Autres semblables faveurs qu'elle fit à quelques autres apôtres.

 

555. J'ai déclaré, autant qu'il m'a été permis, l'état où se trouva notre grande Reine après le premier concile des apôtres, et après les victoires qu'elle remporta sur le dragon infernal et sur ses démons. Et quoiqu'on ne puisse réduire en abrégé les merveilles qu'elle opéra en ces temps et en tous les autres, j'ai reçu une lumière pour écrire entre toutes ces oeuvres admirables le commencement qu’eurent les évangélistes. et leurs Évangiles, la part qu'y prit la, bienheureuse Vierge, la sollicitude avec laquelle elle dirigeait les apôtres absents, et la manière miraculeuse, avec laquelle elle le faisait. En la seconde partie et en plusieurs endroits de cette histoire, il a été dit que la divine Mère eut connaissance. de tous les mystères de la loi de grâce, des Évangiles et des

 

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Écritures saintes qu'on y écrirait pour l'établir. Elle fut confirmée à diverses reprises dans cette science, spécialement lorsqu'elle monta au ciel avec son très-saint Fils, le jour de l'Ascension. Et dès ce jour-là, sans en omettre aucun, elle fit en se prosternant une prière particulière, afin que le Seigneur éclairât de sa divine lumière les saints apôtres et les écrivains sacrés, et qu'il leur ordonnât de prendre la plume quand le moment le plus opportun serait arrivé.

556. Après cela, lorsque cette auguste Reine fut transportée dans le ciel, et qu'elle en descendit avec l'Église qui lui fut remise (comme je l'ai rapporté au chapitre vie de ce livre), le Seigneur, voulant qu'en qualité de Maîtresse de l'Église elle présidât à ce travail, lui manifesta qu'il était déjà temps de commencer à écrire les saints, Évangiles. Mais, dans sa profonde humilité et avec sa circonspection admirable, elle obtint du même Seigneur qu'elle ne remplirait cette mission que par l'entremise de saint Pierre, comme étant son vicaire et le chef de l’Église, et qu'il l'assisterait de sa divine lumière dans une affaire d'une si haute importance. Le Très-Haut lui accorda tout ce qu'elle souhaitait; et lorsque les apôtres se réunirent dans ce concile, dont saint Luc fait mention au chapitre quinzième des Actes (1), après qu'ils eurent résolu les doutes qui s'étaient élevés sur la circoncision, comme je l'ai rapporté dans

 

(1) Act., XV, 6.

 

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le chapitre sixième de ce livre, saint Pierre exposa à toute l'assemblée qu'il fallait écrire les mystères de la vie de notre Sauveur Jésus-Christ, afin qu'on les enseignât tous dans l'Église sans différence et sans contradiction, et que par cette lumière on abrogeât la loi ancienne et l'on établit la nouvelle.

557. Saint Pierre avait communiqué ce dessein à la Mère de la sagesse. Et après que tous les membres du concile l'eurent approuvé, ils invoquèrent le Saint-Esprit, afin qu'il désignât ceux des apôtres et des disciples qui devaient être chargés d'écrire la vie du Sauveur. Bientôt une lumière du ciel descendit sur l'apôtre saint Pierre, et l'on entendit une voix qui disait : Que le pontife et le chef de l'Église en désigne quatre pour écrire les œuvres et la doctrine du Sauveur du monde. L'apôtre et tous les autres se prosternèrent le visage contre terre, et rendirent des actions de grâces au Seigneur pour cette faveur; et après qu'ils se furent tous relevés, saint Pierre dit : « Notre très-cher frère Matthieu commencera dès maintenant à écrire son Évangile au nom du Père,  et du Fils, et du Saint-Esprit. Marc sera le second  qui écrira aussi l'Évangile au nom da Père, et du  Fils, et du Saint-Esprit. Que Luc soit le troisième  qui écrive au nom du Père, et du Fils, et du  Saint-Esprit. Que notre très-cher frère Jean soit   le quatrième et le dernier qui écrive aussi les  mystères de notre Sauveur au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Le Seigneur confirma cette nomination par la même lumière qui s'arrêta

 

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sur saint Pierre jusqu'à ce qu'il l'eût faite, et elle fut acceptée de ceux qui avaient été désignés.

558. Quelques jours après saint Matthieu détermina d'écrire son Évangile, qui tut le premier. Il était une nuit en oraison, renfermé dans une chambre de la maison du Cénacle, implorant les lumières du Seigneur pour commencer son histoire, lorsque la bienheureuse Marie lui apparut sur un trône magnifique et tout resplendissant, sans que les portes de la chambre où l'apôtre priait se fussent ouvertes. A la vue de la Seine du Ciel, il se prosterna avec une sainte crainte. Cette grande Dame lui ordonna de se lever, ce qu'il fit, en la priant de le bénir; puis l'auguste Vierge lui dit : « Matthieu, mon serviteur, le Tout-Puissant m'envoie avec sa bénédiction, afin que vous commenciez avec elle le saint Évangile, que par un heureux sort vous devez écrire. Son divin Esprit vous assistera pour cela, et je le prierai de le faire avec toute l'ardeur de mon âme. Mais il n'est pas convenable que voue disiez de moi autre chose que ce qui est indispensable pour manifester l'incarnation et les mystère du Verbe incarné, et pour établir sa sainte foi dans le monde comme le fondement de l’Église. Et cette foi étant établie, d'autres siècles viendront dans lesquels le Très-Haut donnera connaissance aux fidèles des mystères et des bienfaits que son puissant bras a opérés envers moi, et qu'il manifestera lorsqu'il le jugera à propos. » Saint Matthieu promit d'obéir à cet ordre de notre Reine; et taudis qu'il la consultait

 

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sur le plan de son Évangile, le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme visible, et il commença à l'écrire soi les yeux de la même Reine, dans l'ordre qu'il a suivi. La bienheureuse Marie disparut, et saint Matthieu poursuivit l'histoire, quoiqu'il l'ait ensuite achevée en Judée; il l'écrivit en langue hébraïque, l'an 42 du Seigneur.

559. L'évangéliste saint Marc écrivit son Évangile quatre années après, et ce fut l'an 46 de la naissance de Jésus-Christ; il l'écrivit aussi en hébreu, et en Palestine. Lorsqu'il voulut commencer à l'écrire il pria son ange gardien de faire savoir son dessein à la Reine du ciel, et de la supplier, de le favoriser et de lui obtenir la divine lumière dans les choses qu'il devait écrire. La charitable Mère fit cette demande pour lui; et aussitôt le Seigneur commanda aux anges de la porter dans le majestueux appareil qu'ils avaient accoutumé auprès de l'évangéliste, qui persévérait en son oraison. La grande Reine du ciel lui apparut sur un trône entouré de mille splendeurs, et l'évangéliste. se prosternant devant le trône, dit : « Mère du Sauveur du monde, et Maîtresse de tout ce qui est créé, je suis indigne de cette faveur, quoique je sois le serviteur de votre très-saint Fils et le vôtre aussi. » La divine Mère répondit : « Le  Très-Haut, que vous servez et que vous aimez, m'envoie afin que je vous assure qu'il écoule vos a prières, et que son divin Esprit vous dirigera pour a écrire l'Évangile dont il vous a chargé. » Ensuite elle lui ordonna de ne point écrire les mystères qui

 

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la regardaient, comme elle l'avait fait à saint Matthieu. Et à l'instant le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme visible, su milieu d'une grande splendeur qui enveloppa l'évangéliste et le remplit d'une nouvelle lumière intérieure, et il commença son Évangile en présence de la même Reine. Elle était alors dans la soixante et unième année de son âge. Saint Jérôme dit que saint Marc écrivit à Rome son court Évangile, à la sollicitation des fidèles qui s'y trouvaient; mais je déclare que ce fut une traduction ou une copie de celui qu'il avait écrit en Palestine; et comme les chrétiens qui étaient à Rome n'en avaient encore aucun, il l'écrivit de nouveau dans la langue latine, qui était la romaine.

560. Deux années après, c'est-à-dire l'an 68 du Sauveur, et soixante-trois de la bienheureuse Vierge, saint Luc écrivit son Évangile en langue grecque. Lorsqu'il allait commencer à l'écrire, l'auguste Marie lui apparut comme aux deux autres évangélistes, et il lui représenta que, pour manifester les mystères de l'incarnation et de la vie de son très-saint Fils, il fallait nécessairement déclarer le mode et l'ordre de la conception du Verbe incarné, et d'autres choses qui la concernaient en qualité de Mère naturelle de Jésus-Christ; elle accueillit ses observations, et c'est pour cela que saint Luc s'est plus étendu que les autres évangélistes en ce qu'il a écrit de la très-pure Marie, réservant les secrets et les merveilles qui la regardaient comme Mère de Dieu, ainsi qu'elle-même l'avait ordonné à l'évangéliste. Ensuite le Saint-Esprit

 

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descendit sur lui, et il commença son Évangile en présence de notre grande Reine, selon les lumières spéciales qu'elle lui avait données. Saint Luc resta très-dévot à la divine Maîtresse, et ne laissa jamais s'effacer de son esprit les espèces ou images qui y demeurèrent imprimées après qu'il eut vu cette douce Mère sur le trône et dans la majesté, où elle lui apparut en cette circonstance, de sorte qu'elle lui fut présente pendant toute sa vie. Saint Luc était en Achaïe lorsqu'il eut cette apparition et écrivit son Évangile.

561. Le dernier des quatre évangélistes qui écrivit son Évangile fut l'apôtre saint Jean, en l'année 58 de Jésus-Christ. Il l'écrivit en langue grecque, étant dans l'Asie Mineure, après la glorieuse mort et l'assomption de la bienheureuse Marie, pour combattre les erreurs et les hérésies que le démon commença bientôt à semer (comme je l'ai dit plus haut); elles tendaient principalement à détruire la foi à l'incarnation du Verbe; car comme c'était par ce mystère qu'il avait été humilié et vaincu, Lucifer voulut diriger aussitôt de ce côté les attaques de l'hérésie. C'est pour cette raison que l'évangéliste saint Jean écrivit avec tant dé force et de sublimité pour prouver la divinité réelle et véritable de notre Sauveur Jésus-Christ, surpassant en cela les autres évangélistes.

562. Et lorsqu'il résolut de commencer son Évangile, quoique l'auguste Marie fût déjà. glorieuse dans le ciel, elle en descendit néanmoins en personne avec

 

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une majesté et une gloire ineffables, accompagnée d'un très-grand nombre d'anges de toutes les hiérarchies; et, apparaissant à saint Jean , elle lui dit : « Jean, mon fils et serviteur du Très-Haut, il est  temps maintenant que vous écriviez la vie et les  mystères de mon très-saint Fils, et que vous donniez au monde une connaissance fort distincte de  sa divinité, afin que tous les mortels le connaissent  pour le Fils du Père éternel, et pour vrai Dieu  aussi bien que vrai homme. Quant aux mystères  et aux secrets que vous avez connus de moi, ce n'est pas maintenant le moment de les écrire et de  les manifester au monde si accoutumé à l'idolâtrie,  de peur que Lucifer ne trouble ceux qui doivent   maintenant recevoir la foi de leur Rédempteur et  de la très-sainte Trinité. Le Saint-Esprit vous assistera en tout, et je veux que vous commenciez à écrire en ma présence. » L'évangéliste se prosterna devant la Reine du ciel, et il fut rempli du divin Esprit comme les autres. Il se mit aussitôt à écrire son Évangile, favorisé de la douce Mère; il lui demanda sa bénédiction et sa protection. Elle le bénit, et lui promit de le protéger tout le temps qu'il lui restait à vivre; puis elle s'en retourna à la droite de son très-saint Fils. Voilà comment les évangélistes commencèrent leur saint récit, par le moyen et avec l'intervention de la bienheureuse Marie., afin que l'Église reconnaisse avoir reçu tous ces bienfaits de sa main. Je ne pouvais continuer cette histoire sans anticiper la relation des évangélistes.

 

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533. Mais si, dans l'état où notre grande Dame se trouvait après le concile des apôtres, elle vivait d'une vie plue sublime par la science et par la vue abstractive de la Divinité, elle redoublait en même temps ses soins et sa sollicitude pour l'Église, qui étendait de jour en jour ses conquêtes dans l'univers entier. Elle s'appliquait surtout comme une véritable Mère et Maîtresse à subvenir aux nécessités de tous les apôtres, qui faisaient comme une partie de son coeur, où ils étaient tous écrits. Et comme aussitôt après qu'ils eurent tenu ce concile ils s'éloignèrent de Jérusalem, à l'exception de saint Jean et de saint Jacques le Mineur, les seuls qui y restèrent, la compatissante Mère ressentit en leur absence une compassion naturelle à la pensée des fatigues. et des peines qu'ils souffraient en la prédication. Elle les suivait avec cette compassion dans leurs voyages, et avec une grande vénération , à cause de la sainteté et dignité qu'ils avaient comme prêtres et apôtres de son très-saint Fils, fondateurs de son Église, prédicateurs de sa doctrine, et comme choisis par la divine sagesse pour de si hauts ministères de la gloire du Très-Haut, Et il fut assurément, en quelque sorte, nécessaire que, pour s'appliquer à tant de choses différentes dans l'étendue de la sainte Église, Dieu élevât cette auguste Reine à l'état qu'elle avait : car dans un autre moins élevé elle n'aurait pu si aisément renfermer dans son coeur tant de soins, et conserver en même temps la tranquillité et la paix intérieure dont elle jouissait.

 

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564. Malgré la connaissance que la bienheureuse Vierge avait en Dieu de l'état de l'Église, elle recommanda de nouveau à ses anges d'être prompts à secourir tous les apôtres et tous les disciples qui prêchaient, et à les consoler dans leurs tribulations; puisque l'activité de leur nature leur, permettait cette promptitude, et que rien ne les empêchait de jouir en même temps de la vue de Dieu; et qu'il était si important d'établir l'Église, qu'ils devaient eux-mêmes, y contribuer comme ministres du Très-Haut et ouvrages de ses mains. Elle leur recommanda aussi de l'informer de tout ce que les apôtres faisaient, et surtout lorsqu'ils auraient besoin de vêtements, de l'en avertir; car la vigilante Mère voulut se charger de les leur fournir, afin qu'ils fussent tous habillés d'une manière uniforme, comme elle le fit lorsqu'ils sortirent de Jérusalem la première fois pour aller prêcher, ainsi qu'il a été rapporté en son lieu. C'est avec cette très-prudente prévoyance que notre grande Dame prit soin pendant toute sa vie que les apôtres portassent des vêtements semblables, pour la forme et pour la couleur, à ceux dont avait usé son très-saint Fils. Ainsi, elle filait et tissait de ses propres mains leurs tuniques, aidée en cela par ses anges qu'elle chargeait ensuite de les remettre aux apôtres où ils se trouvaient; et elles étaient pareilles à celles de notre Seigneur Jésus-Christ, dont la divine Mère voulut que les apôtres prêchassent aussi la doctrine et la très-sainte vie par leur mise extérieure. Pour ce qui est de la nourriture, elle les laissa y pourvoit

 

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eux-mêmes par les aumônes qu'ils recevaient et par le travail de leurs mains.

505. Par le même ministère des anges et par ordre de leur grande Reine, les apôtres furent souvent secourus dans leurs voyages, dans leurs tribulations, et dans les dangers auxquels les exposaient les persécutions des Gentils, des Juifs et des démons, qui les irritaient contre les prédicateurs de l'Évangile. Ils les visitaient maintes fois sous une forme visible, leur parlant et les consolant de la part de la bienheureuse Marie. D'autres fois ils le faisaient intérieurement, sans se manifester ; ils les délivraient des prisons; ils les avertissaient des piégea qu'on leur tendait, d'autres fois encore ils les conduisaient par les chemins, ils les portaient à un lieu à un autre où il fallait qu'ils prêchassent, et les instruisaient de ce qu'ils devaient faire selon les temps, les lieux et les nations. Les anges donnaient avis de tout cela à notre auguste Dame, qui à elle seule prenait soin de tous, et travaillait en tous et plus que tous. Il n'est pas possible de rapporter en détail tous les traits de vigilance, de sollicitude, de bonté de cette tendre Mère; car elle ne laissait passer aucun jour ni aucune nuit sans opérer plusieurs merveilles en faveur des apôtres et de l'Église. En outre, elle leur écrivait fréquemment, et leur transmettait de divines instructions, par lesquelles elle les animait et les remplissait d'une nouvelle consolation et d'un nouveau courage.

566. Mais, ce qui est digne d'une plus grande admiration , c'est que non-seulement elle les visitait

 

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par le moyen des saints anges et par ses lettres, mais elle leur apparaissait encore parfois elle-même, lorsqu'ils l'invoquaient, oit qu'ils se trouvaient dans quelque grande tribulation et dans quelque nécessité pressante. Et quoique cela soit arrivé à l'égard de plusieurs des apôtres (outre les évangélistes dont j'ai parlé), je ne rapporterai ici que les apparitions qu'elle lit à saint Pierre, qui, comme chef (le l'Église, eut un plus grand besoin de l'assistance et des conseils de la bienheureuse Marie. Aussi lui envoyait-elle plus souvent ses anges, et le saint envoyait-il à son tour à son auguste Maîtresse ceux qu'il avait en qualité de pontife de l'Église, et lui écrivait-il plus souvent que les autres apôtres. Aussitôt après le concile de Jérusalem, saint Pierre se rendit dans l'Asie Mineure, et s'arrêta à Antioche, oit il établit d'abord le siége pontifical. Pour surmonter les difficultés qui se présentèrent à ce sujet, le vicaire de Jésus-Christ se trouva dans nu certain embarras et dans une grande affliction dont la bienheureuse Marie eut connaissance, et dans lesquels le saint eut besoin de son secours. Et afin de le lui donner comme il était, concevable dans une affaire de cette importance, les anges la portèrent auprès de saint Pierre sur un trône tout brillant de lumière, tel que je l'ai déjà décrit ailleurs. Elle apparut à l'apôtre, qui était en oraison; . et lorsqu'il la vit si resplendissante, il se prosterna avec les marques de ferveur qui lui étaient ordinaires. Et, adressant à notre grande Dame, il lui dit, le visage baigné de larmes : « D'où me vient ce

 

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bonheur, à moi pécheur, que la Mère du Rédempteur daigne venir où je suis? » La grande Maîtresse des humbles descendit du trône sur lequel elle était, et, tempérant les splendeurs qui l'environnaient, elle se mit à genoux, et demanda la bénédiction au pontife de l'Église. Elle ne fit qu'avec lui -cet acte, qu'elle n'avait fait à l'égard d'aucun des autres apôtres lorsqu'elle leur apparaissait ; néanmoins, hors de ces apparitions, lorsqu'elle leur parlait naturellement, elle s'agenouillait pour leur demander la bénédiction.

567. Mais comme saint Pierre était vicaire de Jésus-Christ et chef de l'Église, elle en agit d'une autre manière envers lui : elle descendit du trône. lumineux qu'elle occupait en Reine, et le vénéra à titre de voyageuse, vivant encore en chair mortelle dans la même Église. Puis, dans un entretien familier, l'auguste Marie et le saint apôtre traitèrent des affaires importantes qu'il fallait résoudre. Il fut décidé, entre autres choses, que l'on commencerait dès lors à célébrer quelques fêtes du Seigneur dans l’Église. Après cela les anges ramenèrent la bienheureuse Vierge d'Antioche à Jérusalem. Et lorsque saint Pierre s'en fut allé à Rome pour y transférer le siège apostolique, comme notre Sauveur l'avait ordonné, elle apparut une- seconde fois au même apôtre. Et ils y déterminèrent qu'il instituerait dans l'Église romaine la fête de la naissance de son très-saint Fils, et qu'il ferait célébrer le même jour la Passion et l'institution du très-saint Sacrement, comme l'Église le

 

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fait le Jeudi saint. Longtemps après l'Église institua la fête de l'adorable Sacrement, et en fixa la solennité à un jour particulier, qui serait le premier jeudi après l'octave de la Pentecôte, comme nous la célébrons maintenant. Mais la première fête du très-saint Sacrement, qu'on solennisait le Jeudi saint, fut établie par saint Pierre, aussi bien que celle de la Résurrection, les dimanches, l'Ascension, la Pentecôte, la Nativité de Jésus-Christ, et d'autres coutumes que l'Église romaine observe dès ce temps-là jusqu'à présent. Et tout cela se fit par l'entremise et le conseil de l'auguste Vierge Marie. Après que ces choses furent conclues ,  saint Pierre vint en Espagne,. il visita quelques églises que saint Jacques avait fondées, et en fonda lui-même d'autres ; ensuite il s'en retourna à Rome.

568. Quelque temps avant la glorieuse mort de la divine Mère, saint Pierre se trouvant à Rome, les ennemis des chrétiens se mirent à les vexer par des tracasseries qui embarrassèrent et affligèrent extrêmement l'apôtre et tous les fidèles. Le vicaire de Jésus-Christ se souvenait des faveurs qu'il avait reçues de la grande Reine de l'univers dans ses tribulations, et sentait dans celle où il se trouvait alors le besoin qu'il avait de ses conseils et de ses encouragements. Il pria les anges de sa garde et de son office de faire connaître sa peine et sa détresse à la bienheureuse Mère, afin qu'elle le favorisât dans cette rencontre par son intercession efficace auprès de son très saint Fils ; mais le Seigneur, qui connaissait la ferveur et

 

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l'humilité de son vicaire saint Pierre, voulut le satisfaire et le prévenir. C'est pourquoi il ordonné aux saints anges de l'apôtre de le porter ù Jérusalem, au lieu où était la très-pure Marie. Les anges exécutèrent à l'instant cet ordre, et portèrent saint pierre au Cénacle, en présence de leur Reine. Ce bienfait signalé redoubla la ferveur des sentiments de l'apôtre, qui se prosterna devant la divine Mère, versant d'abondantes larmes de joie de voir accomplis les secrets désirs de son coeur. Notre grande Dame le fit se relever, et, se prosternant elle-même, lui dit: « Seigneur, donnez la bénédiction à votre servante, comme vicaire de Jésus-Christ, mon adorable Fils.» Saint pierre obéit, et lui donna sa bénédiction; puis ils rendirent des actions de grâces pour la faveur que le Tout-puissant lui avait faite en lui accordant ce qu'il souhaitait ; et quoique l'humble Maîtresse des vertus n'ignorât point la tribulation de saint Pierre et des fidèles de Rome, elle n'en écouta pas moins attentivement le récit qu'il lui fit de ce qui se passait.

560. La bienheureuse Marie lui dit tout ce qu'il était convenable de savoir et de faire, pour apaiser ces troubles et pacifier l'Église de Rome. Elle parla à saint Pierre avec tant de sagesse, qu'encore qu'il eut la plus haute idée de la très-prudente Mère, comme il put l'apprécier dans cette occasion par une nouvelle expérience et par une lumière extraordinaire, il en fut ravi d'admiration et de joie, et lui rendit d’humbles actions de grâces pour cette nouvelle

 

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faveur. Quand elle lui eut donné un grand nombre d'avis fort importants pour établir l'Église de Rome, elle lui demanda une seconde fois sa bénédiction, et prit congé de lui. Les anges ramenèrent saint Pierre à Rome, et l'auguste Vierge demeura prosternée les bras en croix, selon sa coutume, priant le Seigneur de dissiper cette persécution. Ses veaux furent exaucés : car saint Pierre étant de retour à Rome, trouva les choses en meilleur état, et bientôt les consuls permirent à ceux qui avaient embrassé la loi de Jésus-Christ de la garder librement. Les merveilles que j'ai rapportées donneront une idée de celles qu'opéra la bienheureuse Marie dans le gouvernement des apôtres et de l'Église: car s'il fallait les écrire toutes, je devrais faire plus de livres que je n'écris ici de lignes. C'est pourquoi je ne m'étendrai pas davantage sur cette matière, pour dire dans le reste de cette histoire les faveurs inouïes et admirables que notre Rédempteur Jésus-Christ fit à sa très-sainte Mère dans les dernières années de sa vie; encore dois-je avouer que ce ne sera, par rapport à ce qui m'en à été découvert, qu'une simple indication dont la piété chrétienne pourra se servir polir étendre ses réflexions, et pour louer le Tout-Puissant, Auteur de tant d'ineffables mystères.

 

 

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Instruction que la Reine des anges m'a donnée.

 

570. Ma très-chère fille, je vous ai découvert en d'autres occasions un sujet de plainte que j'ai entre autres contre les enfants de la sainte Église, et particulièrement contre les femmes, chez qui la faute est plus grande et plus odieuse à mes yeux, en ce qu'elle est tout à fait contraire à ce que je fis vivant dans la chair mortelle ; je veux vous le répéter dans ce chapitre, afin que vous m'imitiez, et que vous vous éloigniez de ce que font certaines femmes insensées et filles de Bélial. C'est qu'elles traitent les prêtres du Très-Haut sans aucun égard ni respect. Cette faute augmente chaque jour davantage dans l'Église, et c'est pourquoi je renouvelle cet avis que vous avez écrit ailleurs. Dites-moi, ma fille, s'il est concevable que les prêtres oints du Seigneur, consacrés et choisis pour sanctifier le monde , pour représenter Jésus-Christ et pour consacrer son corps et son sang, soient réduits à courtiser des femmes viles et terrestres? Qu'ils se tiennent debout et la tête découverte devant une femme superbe et misérable , seulement parce qu'elle est riche et que le prêtre est pauvre? Quoi! le prêtre qui est pauvre a-t-il une moindre dignité que le prêtre qui est riche? Ou s'imagine-t-on que les richesses donnent plus ou autant de dignité, de pouvoir et d'excellence que mon très-saint Fils n'en donne à ses prêtres et à ses ministres? Les anges ii honorent point les riches à raison de leur fortune,

 

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mais ils respectent les prêtres à raison de leur dignité. Or, comment laisse-t-on s'introduire cet abus, ce désordre dans l'Église, que les oints du Seigneur soient outragés et méprisés des mêmes fidèles qui les regardent et les reconnaissent comme les saints de Jésus-Christ lui-même?

571. Il est vrai que, de leur côté, les prêtres sont fort blâmables de s'assujettir, au mépris de leur dignité, au service des autres hommes, et surtout à celui des femmes. Mais si,

pour s'excuser, les prêtres peuvent se prévaloir de leur pauvreté, rien ne saurait justifier l'orgueil des riches, qui, lorsqu'ils trouvent des prêtres pauvres, les réduisent au rôle de serviteurs, tandis qu'en réalité ils sont véritablement maîtres. C'est là quelque chose de monstrueux , qui fait horreur aux saints, quelque chose d'abominable à mes yeux , à cause de la vénération que j'eus pour les prêtres Ma dignité de Mère de Dieu était grande, et cependant je me prosternais à leurs pieds; je baisais plusieurs fois la terre où ils avaient marché, et je le tenais pour un grand bonheur. Mais l'aveuglement du monde a obscurci la dignité sacerdotale, confondant ce qui est précieux avec ce qui est vil (1), et a fait que dans les lois et dans les désordres le prêtre ressemble au peuple (2). On se laisse servir des simples fidèles et des prêtres sans aucune différence : et le même ministre qui vient d'offrir an Très-Haut sur l'autel le redoutable sacrifice de son sacré corps

 

(1) Jerem., XV, 19. — (2) Isa., XXIV, 2.

 

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et de son précieux sang, celui-là même en descend pour aller aussitôt servir et accompagner comme un serviteur jusqu'aux femmes, qui sont si inférieures par leur sexe et par leur condition, et parfois encore plus indignes d'égards particuliers, à cause de leurs péchés.

572. Or je veux , ma fille, que vous tâchiez de réparer celte faute et cet abus des enfants de l'Église autant qu'il vous sera possible. Et je vous fais savoir que pour cela je regarde moi-même avec vénération, du trône de la gloire que j'occupe dans le ciel, les prêtres qui sont sur la terre. Vous devez toujours les regarder avec le même respect que lorsqu'ils sont â l'autel, ou avec le très-saint Sacrement en leurs mains ou dans leur sein ; vous devez avoir même pour les ornements et pour les habits sacerdotaux cette grande vénération avec laquelle je faisais les tuniques pour les apôtres. Quant aux saints Évangiles et à toutes les divines Écritures, vous connaîtrez l'estime que vous devez en faire, non-seulement pour les motifs qui vous ont été découverts, et que vous avez écrits, mais encore à raison de ce qu'ils contiennent et renferment, et à cause de la manière dont le Très-haut ordonna aux évangélistes de les écrire; le Saint-Esprit les inspira, ainsi fine les autres écrivains sacrés, afin d'enrichir la sainte Église par l'abondance de la doctrine, de la science, et de la lumière des mystères du Seigneur et de ses oeuvres. Il faut aussi que voua ayez une très-profonde obéissance et une très-grande vénération pour le Pontife romain,

 

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comme élevé au-dessus de tous les autres hommes; et lorsque vous l'entendrez nommer, vous lui témoignerez votre respect en inclinant la tête, comme lorsque vous entendez le nom de mort Fils et le mien, parce qu'il tient sur la terre la place de Jésus-Christ; et lorsque je vivais dans le monde je faisais la même révérence quand j'entendais nommer saint Pierre. Je veux que vous soyez ponctuelle et parfaite en tout cela ; que vous suiviez mes traces et que vous pratiquiez ma doctrine, afin que vous trouviez grâce aux yeux du Très-Haut, à qui toutes ces oeuvres sont fort agréables; car il n'y en a aucune de petite devant lui si on la fait pour son amour

 

 

 

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