L'interprétation du tableau de Sachseln
par le peintre Paul Deschwanden

Le tableau conservé à l'église de Sachseln représente comment la sainte Trinité révèle aux hommes
son mystère, comment le sacrement de l'autel remplace supérieurement (mirabilius reformasti) l'arbre de vie du
paradis perdu par le péché, comment l'homme, attiré et fortifié par ce pain du ciel,
parcourt les étapes successives de la vie spirituelle: purification, illumination, union,
et parvient à l'éternel et bienheureux repos au sein de Dieu.
Trois rayons partant du divin visage,
respectivement de l'oreille, de l'oeil et de la bouche, représentent la révélation de
Dieu comme créateur, rédempteur et sanctificateur. Trois autres, partant des médaillons
de la consécration, de la nativité du Sauveur, de la scène du jardin des oliviers,
s'épanouissent du dehors au dedans et signifient les trois étapes de la vie spirituelle
purgative, illuminative, unitive, ou des commençants, des progressants,
des parfaits.
Les trois premiers représentent comment
Dieu cherche l'homme égaré, entend l'appel de sa misère, accueille sa pénitence et lui
donne le baiser de paix.
Les trois autres qui vont de l'extérieur
au centre symbolisent les trois demandes de la prière de Nicolas, expression du désir de
franchir les trois étapes du chemin de la perfection spirituelle.
1. Mon Seigneur et mon Dieu, ôte-moi
tout ce qui m'empêche (d'aller) à toi : désir de purification.
2. Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi
tout ce qui m'aide à aller à toi: désir de sanctification progressive.
3. Mon Seigneur et mon Dieu, prends-moi
à moi et donne-moi tout à toi : désir d'union.
Tout homme est appelé par Dieu à
s'engager dans ce chemin... Ceux qui répondent avec une absolue fidélité obtiennent en
un sens, dés ici-bas, l'objet de la troisième demande. Le coeur créé pour Dieu trouve
en lui seul son repos: c'est ce que symbolise le troisième rayon qui seul traverse le
cercle lumineux de l'éternelle habitation de Dieu.
A chaque rayon épanoui vers le dehors,
correspond le rayon opposé qui s'élargit vers le centre. La grâce de Dieu prévient;
l'effort de l'homme répond. On distingue ainsi trois couples de rayons de sens opposé se
prolongeant sur une même ligne.
I. Correspondance de la création et de la
consécration eucharistique, le médaillon dit de la création évoque plutôt
l'institution de la sainte Eucharistie, aliment de la vie divine comme les fruits de
l'arbre paradisiaque entretenaient la vie physique et préservaient l'homme de la mort. Le
Seigneur bénit le pain et le vin; trois anges adorent. Ils semblent se réjouir d'un
mystère qui leur fait recouvrer un commensal perdu : l'homme. Des animaux symboliques,
comme déjà en d'autres tableaux d'une époque antérieure, représentent les
dispositions de désir, de pureté, d'humilité, etc., qu'il convient d'apporter à la
communion. A l'opposé, le prêtre, usant du pouvoir reçu de Jésus, consacre l'hostie,
en répétant en son nom les paroles mêmes de l'institution ceci est mon corps... Elles
sont l'instrument du mystère de la transsubstantiation: le pain et le vin deviennent le
corps et le sang unis à l'âme et la divinité de son Fils. C'est ce que Dieu donne, ce
qu'il peut donner de plus précieux et de plus pur. L'homme doit s'approcher en suppliant
: O mon Dieu et mon Seigneur, ôte-moi tout ce qui m'empêche d'aller à toi.
II. La
nativité et le crucifiement de Jésus se répondent à leur tour. Au pied de la croix est
étendue la robe sans couture de Jésus, teinte de son sang. Elle représente l'Eglise
née de son côté ouvert comme Eve fut tirée du premier Adam, et qui engendre à Dieu
ses enfants d'adoption. Dans la nativité, le Verbe éternel, Fils de Dieu, devenait « le
fils de l'homme ». Dans la nouvelle naissance spirituelle, de l'eau et de l'Esprit,
l'homme devient fils de Dieu : pour le devenir en perfection, il prie : Mon Seigneur et
mon Dieu, donne-moi tout ce qui m'aide à aller à toi.
III. Enfin, se
répondent l'annonciation et l'arrestation de Jésus au jardin. A la voix de l'ange, la
Vierge immaculée, pleine de grâce, conçoit en elle le Saint des Saints. Il devient son
Fils. C'est en vue de la maternité divine que Marie a été préservée du péché et
comblée de grâce dès l'aurore. La présence en elle du Verbe incarné consomme sa
sainteté. A l'opposé, resplendit souverainement la perfection des vertus et de l'amour
du Christ
à la plus atroce des offenses, la
trahison de l'apôtre par un baiser, il répond par le plus doux des avertissements. Les
deux rayons : celui qui sort du cercle et celui qui entre représentent donc la suprême
vertu et perfection. La prière assortie est ici : Seigneur, prends-moi à moi et
donne-moi tout à toi. Elle n'est définitivement exaucée que dans l'éternité, dans la
lumière divine. L'âme retourne au Père par le renoncement total à soi-même et
l'imitation de Jésus. Aux six jours du travail spirituel succède le sabbat de l'éternel
repos. Telle est la signification fondamentale des rayons et médaillons. Reste à
indiquer celle de divers détails :
1. Dans l'image de la consécration, on
aperçoit un cercueil : La messe est célébrée pour les âmes du purgatoire, l'Eglise
militante contemple l'Eglise triomphante, intercède pour l'Eglise souffrante, afin que
les âmes de cette dernière entrent au plus tôt dans la gloire.
2. Dans le médaillon de la nativité, on
aperçoit près du divin nouveau-né un bâton et une besace : Il est né au cours du
voyage de Marie et Joseph. Le Verbe incarné qui vient du sein du Père et y remonte à
l'ascension est voyageur et pèlerin; son douloureux voyage sur la terre sauve les hommes,
fait d'eux des voyageurs en marche (viatores) vers le ciel,
vraie Patrie où ils le verront (comprehensores).
3. Dans le médaillon de l'annonciation,
on aperçoit des béquilles : elles représentent tous les ex-voto par lesquels les
innombrables bénéficiaires des grâces et des miracles, obtenus par l'intercession de la
toute-sainte Marie, lui témoigneront au cours des siècles
chrétiens leur reconnaissance filiale.
4. Le rayon qui se dirige en
s'élargissant vers le médaillon de la création, où le Sauveur bénit le pain et le
vin, touche l'oreille divine pour signifier que Dieu entend la parole: Ceci est mon corps,
et que la Trinité accomplit la transsubstantiation dont l'humanité du Sauveur est
l'instrument, les prêtres qui consacrent étant eux-mêmes les représentants et les
instruments vivants du Sauveur souverain Prêtre.
Le 5ème rayon dirigé vers le
crucifiement touche l'il divin pour signifier la complaisance et l'amour du Père
pour son Fils obéissant jusqu'à la mort, et pour les hommes frères du Christ, devenant
par sa mort membres de son corps mystique et fils adoptifs.
6. Le rayon qui va vers l'annonciation est
émis par la bouche divine comme le souffle qui donna la vie à Adam, et le souffle du
Christ donnant aux Apôtres l'Esprit-Saint et la vie de la grâce: Insufflavit
eos et acceperunt Spiritum Sanctum.
7. Ces rayons ne pénètrent pas à
l'intérieur des médaillons pour indiquer le respect divin de la liberté humaine.
8. Aux quatre coins du tableau se voient
représentés par leurs symboles respectifs les quatre évangélistes qui ont narré
chacun l'histoire du salut.
9. Le cercle intérieur et les six cercles
(médaillons) forment un tout parfait comme l'ensemble des vérités et des commandements
divins. Le chiffre même est celui des jours de la création et du repos divin, des
sacrements, des demandes du Pater, des dons du Saint-Esprit...
M.- B. Lavaud, O.P.
VIE PROFONDE DE NICOLAS DE FLUE, p. 211-214, Fribourg 1942
Haut du
document
